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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 23 septembre 1996

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[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte. Excusez-moi d'être en retard. J'étais à l'heure, mais pas dans la bonne salle.

Nous accueillons d'abord Mme Josée Rioux, directrice du Centre d'intervention Civas Estrie.

Je vous souhaite la bienvenue. Comme notre personnel vous l'a sans doute expliqué, nous vous demandons de faire votre exposé, après quoi il y aura une période de questions. Prenez tout le temps qu'il vous faut. Le même temps sera accordé à chacun d'entre vous.

[Français]

Mme Josée Rioux (directrice, CIVAS Estrie): Je regrette de ne pouvoir vous remettre de document au sujet de l'intervention du programme CIVAS Estrie. On ne m'a convoquée que mercredi dernier et je n'ai pu préparer de document détaillé. Vous devrez donc vous fier aux explications que je vous fournirai. J'essaierai de répondre à vos questions le plus adéquatement possible.

CIVAS Estrie est le Centre d'intervention en violence et abus sexuels de l'Estrie. Ce premier groupe du genre en Estrie débutait en avril 1992.

Le CIVAS est un peu le résultat d'une thèse de maîtrise que j'ai faite de 1990 à 1992. J'ai visité les endroits au Québec qui font de l'intervention auprès des délinquants sexuels et élaboré un programme pour l'Estrie, selon la philosophie de pensée que nous, de l'Estrie, avons au niveau de l'intervention.

Comme je le mentionnais, en avril 1992 débutait le premier groupe pour adultes. Au départ, le CIVAS intervenait uniquement auprès des adultes agresseurs, qu'ils soient pédophiles, exhibitionnistes, agresseurs sexuels ou voyeurs. Nous avions toutes les formes de dynamique, mais seulement au niveau des adultes.

En novembre 1993, nous élaborions le programme pour adolescents. Par hasard, je rencontrais au ministère de la Justice du Canada une personne responsable des programmes et du financement des projets novateurs. Puisqu'aucun programme en délinquance sexuelle adolescente semblable au nôtre n'existait au Canada, nous avons élaboré un tel programme au CIVAS et reçu une subvention du ministère de la Justice pour trois ans. Nous en sommes à notre dernière année.

Les rencontres pour adolescents débutaient en février 1994. Depuis, nous avons toujours au moins de 10 à 12 adolescents qui sont en traitement.

Comme l'Estrie n'est pas une très grande région, il est clair que nous n'aurons jamais de 25 à 30 adolescents en traitement chez nous.

Ces adolescents sont assujettis à la Loi sur les jeunes contrevenants et parfois aussi à la Loi sur la protection de la jeunesse. Nous transigeons dans le cadre de ces deux lois.

Les personnes qui sont assujetties à la Loi sur la protection de la jeunesse et qui viennent chez nous avant que ne soit entamé le processus judiciaire ne seront pas citées en justice si le programme fonctionne.

Une particularité du CIVAS Estrie est sa ligne d'écoute pour abuseurs sexuels. C'est une ligne unique au Canada. Elle vise à désamorcer la crise auprès des gens qui veulent commettre des agressions sexuelles. De 8 h à 22 h, des bénévoles sont disponibles pour être à l'écoute de l'agresseur.

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Depuis février 1995, cette ligne a traité plus de 300 appels de personnes en crise. Ces appels peuvent provenir de partout au Québec bien que nous n'ayons pas de ligne 1-800. Des gens font des appels interurbains pour nous rejoindre.

Nous rejoignons aussi des adolescents à ce niveau parce qu'il y a de la publicité dans les écoles, les centres jeunesse et les CLSC. Puisque les appels sont anonymes, nous ne sommes pas en mesure de déterminer la proportion des adolescents qui nous appellent.

En février 1996, nous mettions sur pied un nouveau programme pour victimes masculines. On sait que les victimes féminines sont plus souvent traitées par les centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, mais rien n'était fait pour les hommes, adolescents ou adultes. Ce programme de traitement pour ces hommes qui ont besoin d'aide répondait à une demande en Estrie.

En février 1996, nous débutions avec un groupe, mais faute de financement et en raison de difficultés financières, nous abandonnions ce programme en juin.

Le premier but de ce service était de briser le cercle abusé-abuseur. Une grande proportion de nos adolescents, soit quelque 60 p. 100, qui sont en traitement après avoir commis des agressions sexuelles, ont été abusés en bas âge. Le but du service pour victimes était de briser ce cycle, de faire en sorte qu'ils ne deviendront pas abuseurs parce qu'ils ont été abusés. Nous tenons beaucoup à ce service. Bien que nous n'excluions pas la possibilité de le poursuivre éventuellement, pour le moment, en raison de difficultés financières, le centre ne peut se permettre de continuer ce service. À notre avis, il est très important d'avoir un tel service.

J'oubliais de vous mentionner que le centre est un organisme communautaire à but non lucratif. Son financement est donc difficile parce que le Québec n'a pas encore de politique en matière de violence sexuelle. Les gouvernements ne s'impliquent pas comme nous le souhaiterions au niveau de la délinquance sexuelle.

Le programme pour adolescents comporte trois volets: habileté sociale, éducation sexuelle et prévention de la récidive.

À la lumière de nos études, nous avons constaté que l'habileté sociale et l'éducation sexuelle étaient très déficitaires chez le délinquant sexuel, qu'il soit adolescent ou adulte. Les habiletés sociales comprennent la communication avec les pairs, l'estime de soi, qui est très faible chez le délinquant sexuel et généralement la raison pour laquelle il commet un délit, la relation avec la famille et la relation avec les amis...

[Inaudible - Éditeur] Nous voulons les amener à être capables de s'exprimer en société, pour que dès l'adolescence ils puissent avoir un comportement dit socialement acceptable et qu'à l'âge adulte, ils ne perpétuent pas le comportement d'agresseurs.

Le volet éducation sexuelle comporte tout ce qui touche la sexualité, tant l'anatomie que la séduction, parce que ces adolescents ne savent pas entrer en contact avec les adolescentes et n'ont pas de blonde. Nous essayons de donner des ateliers très pratiques à leur intention afin de leur apprendre comment interagir avec les autres.

Le dernier volet, qui est pour moi le plus important, c'est la prévention de la récidive. En anglais, on parle de relapse prevention. Ce concept a été développé aux États-Unis pour les ateliers de toxicomanes et adapté aux délinquants sexuels.

Tout délit part d'un conflit et passe par des étapes. Du conflit on passe au malaise, à la recrudescence des fantaisies sexuelles, à des choix anodins, à une situation à risque et par la suite à un acte sexuel déviant.

Notre but est d'amener l'adolescent à identifier chaque étape par laquelle il passe, de l'amener à identifier des moyens à chaque étape pour se désamorcer et de faire en sorte qu'il ne récidivera pas. C'est très important, et nous pouvons voir à quelle étape il se situe parce que nous faisons tout cela en groupe, dans le cadre de la thérapie. En déterminant à quelle étape il se situe, nous pouvons l'amener à identifier des moyens, si les moyens qu'il avait déjà identifiés ne sont pas suffisants pour l'empêcher de récidiver.

La prévention de la récidive est le but principal du programme puisque nous avons recours à cette approche par la suite, tant au niveau des adolescents qu'à celui des adultes.

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Le suivi pour un adolescent se poursuit généralement pendant 8 à 12 mois. Ce n'est pas du court terme. Parfois, le suivi peut se prolonger jusqu'à 18 mois. Il est très difficile pour un jeune de parler de sexualité avec un adulte; c'est en quelque sorte inconcevable dans leur monde. Créer un lien avec un jeune de 12 ou 13 ans prend un peu plus d'une semaine ou deux. Il faut souvent jusqu'à deux mois pour l'amener à parler de ses problèmes sexuels et de l'abus. En général, nous avons besoin de 8 à 12 mois, 8 mois étant vraiment un délai minimum et 12 mois, la moyenne chez nous.

Le programme pour adolescents comprend des rencontres individuelles et des rencontres de groupe. Nous avons constaté qu'en groupe, certains événements de la vie de l'adolescent n'étaient pas mentionnés, par gêne ou par crainte de ce que les autres pourraient dire. Nous considérons donc que le travail individuel est très important. Vice-versa, en individuel, certaines réactions ne sont pas toujours adéquates et peuvent donc être apportées en groupe. Le groupe est très fort.

L'adolescent participe un soir par semaine à des rencontres de groupe parce qu'on ne veut pas le priver de l'école et il rencontre individuellement son intervenant attitré une fois tous les 15 jours. Les intervenants sont souvent des travailleurs sociaux ou des sexologues.

Nous tenons aussi des rencontres pour les parents. Je pense que l'appui aux parents est important. Une grande majorité d'eux ne comprennent pas pourquoi leurs jeunes ont commis des abus sexuels envers des jeunes ou des adolescentes. Le groupe de soutien est très, très important. Il est aussi important qu'ils puissent comprendre notre façon de faire et le changement qui s'opère chez l'adolescent. Nous avons des ados qui viennent chez nous et réussissent à parler beaucoup plus de leurs émotions et de leur vécu. Lorsque le parent n'est pas habitué à voir son enfant dire qu'il aime ou n'aime pas cela, nous jugeons important de rencontrer le parent.

Nous faisons aussi beaucoup d'évaluations sexologiques d'adolescents pour la cour. C'est la DPJ qui nous demande de faire des recommandations en vue d'un traitement ou d'établir des plans de traitement.

Tels sont les services que le Centre CIVAS donne aux adolescents. Nous collaborons avec la DPJ, tant au point de vue de la Loi sur les jeunes contrevenants qu'à celui de la Loi sur la protection de la jeunesse. Les CLSC dirigent vers nos services des adolescents qui consentent à entreprendre un traitement chez nous. Les centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel qui reçoivent les victimes dirigent aussi des jeunes chez nous. Avant que ne soit entamé le processus judiciaire, ils demanderont généralement que nous accueillions un jeune chez nous.

Une personne qui vient en traitement au CIVAS doit faire preuve d'un minimum de motivation. Il est clair que si la personne ne veut pas changer son comportement, nous ne pouvons rien faire pour elle. Les résultats ne nous appartiennent pas; ils appartiennent au jeune, à notre client.

Il faut aussi que la personne reconnaisse avoir commis un délit sexuel. Sinon, nous ne pouvons pas l'accepter chez nous, parce que cette reconnaissance est à la base de notre travail. Il y doit y avoir une acceptation intégrale du programme, et le client doit être prêt à respecter le programme tout entier. Ce sont les critères de base pour venir chez nous.

Certains cas sont exclus: nous n'accueillons pas de clients psychiatrisés, dont des gens ayant une double personnalité ou de multiples personnalités, et des meurtriers sexuels. De tels cas sont moins nombreux chez les adolescents, mais se retrouvent au niveau des adultes. Les personnes souffrant de schizophrénie et les meurtriers sexuels sont exclus de chez nous.

Les plus grandes difficultés du CIVAS sont évidemment reliées au financement. Nous avons bon espoir de pouvoir continuer à donner des services. Il est clair que cette année est la dernière année où nous recevons une subvention du ministère de la Justice du Canada. L'année prochaine, nous aurons un manque à gagner de 50 000 $. Nous ne savons pas encore où nous irons chercher ce montant. Nous y travaillerons activement.

Le CIVAS vit avec un budget de 140 000 $ par année. Ce n'est quand même pas la mer à boire pour quatre intervenants. L'année dernière, nous avons desservi 105 agresseurs et 13 victimes. Pour moi, c'est considérable.

Nous éprouvons un problème au niveau de la Loi sur les jeunes contrevenants. Généralement, les jeunes qui sont dirigés chez nous sont en mesure de rechange, pour laquelle prévoit actuellement un maximum de six mois. Il nous est difficile de faire un suivi puisque, comme je vous le précisais plus tôt, un délai de six mois ou parfois même de cinq mois donne à peine le temps au jeune de signer sa mesure de rechange, de venir chez nous en traitement, de commencer le traitement et de créer un lien.

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Trois des six mois de la mesure se trouvent déjà hypothéqués. Pour nous, c'est un gros problème. Il serait intéressant que la mesure puisse être prolongée.

Notre ligne d'écoute touche adolescents et adultes. Nous en sommes très fiers. Je vous distribuerai un peu plus tard des dépliants publicitaires sur la ligne d'écoute.

Lorsque je suis allée à un congrès sur la délinquance sexuelle à Toronto l'année dernière, tous les gens ont applaudi notre ligne d'écoute. Lorsque nous arrivons à écouter un délinquant un soir et qu'il prend rendez-vous avec nous pour le lendemain matin parce qu'il ne se sent pas bien, parce qu'il a commis des délits sexuels et qu'il n'a pas été cité en justice, nous lui donnons la priorité.

Il y a deux ans, avant la ligne d'écoute, nous accueillions peut-être trois volontaires par année. L'année dernière, de 25 à 30 personnes sont venues chez nous en traitement volontaire. Nous évitons ainsi des coûts au niveau du système judiciaire et évitons que des enfants continuent d'être des victimes. Le but du CIVAS n'est pas d'aider le délinquant sexuel parce que nous sommes sympathique à sa cause; ce n'est pas vrai. Je ne suis pas sympathique à la cause de l'agresseur. Ce que je veux, c'est qu'il y ait moins de victimes et que les femmes et les enfants soient en sécurité. Pour moi et mes intervenants, c'est vraiment la priorité.

À la demande du ministère de la Justice du Canada, une évaluation a été faite de notre programme pour adolescents. J'ai apporté une copie du rapport d'évaluation qui a été distribué partout au Canada. Deux psychologues de l'Institut Philippe-Pinel et de l'Université de Montréal, Luc Granger et Jean Proulx, sont venus évaluer le programme. D'après eux, le programme est conforme en tous points à ce qui doit se faire. Il se fait selon les règles de l'art. Toute intervention auprès des adolescents est bien structurée. Pour nous, c'est important.

J'aimerais faire un commentaire sur le taux de récidive chez l'adolescent. Il est difficile de savoir si un adolescent récidive, parce que le chiffre noir en délinquance sexuelle est important, un délit en cachant généralement dix. Il nous est difficile de dire que nous avons réussi à 90 p. 100 auprès de nos adolescents et qu'il n'y a pas eu de récidive. C'est très difficile à dire. Par contre, nous sommes souvent en contact avec les centres jeunesse en Estrie et constatons que peu de nos clients sont revenus à cause de délits sexuels. Ils sont peut-être revenus pour d'autres genres de délinquance, mais pas pour des délits sexuels. Pour nous, c'est significatif. Il demeure toutefois difficile d'avoir un chiffre sur le taux de récidive.

C'est tout ce que j'avais à vous dire sur le CIVAS ce matin. Je suis prête à répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente: Je suis sûre que nous en aurons.

Monsieur St-Laurent, vous avez dix minutes.

[Français]

M. St-Laurent (Manicouagan): Merci. J'ai eu l'occasion de vivre une situation assez particulière en Basse-Côte-Nord, dans un village de ma circonscription. Une personne de la DPJ voulait aller chercher un père abuseur. Des gens de ce petit village d'une trentaine de personnes se sont opposés à ce que la Sûreté du Québec vienne viennent chercher le père abuseur. Pour eux, ce n'était pas un scandale; c'était déplorable, mais ce n'était pas un scandale.

Vous avez beaucoup étudié et même fait une thèse à ce sujet. Y a-t-il des secteurs de la société où on retrouve plus particulièrement des gens qui ont des tendances à l'agression sexuelle ou si, comme c'est le cas pour les alcooliques par exemple, on les retrouve dans toutes les couches de la société? Avez-vous relevé des statistiques à ce sujet? J'imagine que vous devez avoir certaines données.

Mme Rioux: Au CIVAS, on peut diviser les gens que nous rencontrons en trois catégories: les pères incestueux, les pédophiles et les agresseurs sexuels.

Les pères incestueux se retrouvent dans toutes les couches de la société. Il n'y a pas de profil type du délinquant au niveau de la socialisation. Nous rencontrons un plus grand nombre de pédophiles parmi les gens qui reçoivent l'aide sociale. Cela est attribuable au fait que les gens plus fortunés peuvent davantage profiter du tourisme sexuel. Ils utilisent des moyens autres pour avoir de la sexualité. C'est très fort au niveau du tourisme sexuel. Je ne pense toutefois pas qu'une couche de la société soit plus touchée qu'une autre.

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Dans certains petits villages - moi aussi, je viens d'un coin éloigné, du Bas-du-Fleuve - , il y a plus de tendances au niveau de l'inceste. Certaines de ces familles sont un peu plus fermées et le père est beaucoup plus autocrate. On juge normal, dans ces villages, de commettre l'inceste.

Quand je travaillais à la DPJ à Mont-Joli, dans certains petits villages, des pères disaient que c'était normal d'avoir des relations sexuelles avec leurs enfants. Le père avait eu des relations avec son enfant et son grand-père en avait eu avec son père. Les gens se demandaient pourquoi il fallait que la police vienne arrêter le père, parce qu'ils considéraient cette pratique tout à fait normale. C'est de la sensibilisation et de la prévention qu'il faut faire dans ces familles.

Pour leur part, les écoles sont bien organisées. Le Regroupement des équipes régionales Espace fait aussi de la prévention au niveau des jeunes de moins de 12 ans dans les écoles et leur enseigne que si l'on commet des actes sexuels à leur égard, ils doivent le dire parce que ce n'est pas normal. Pour une famille qui a toujours connu cela, ce n'est pas anormal. C'est très clair. C'est tout comme l'adolescent qui a toujours vu son père boire et qui commence à consommer de l'alcool lui aussi; c'est exactement la même chose. C'est normal de le faire. Il n'y a aucun mal à cela. C'est à nous, en tant qu'intervenants, de faire de la prévention.

M. St-Laurent: Vous disiez que l'année dernière, vous aviez traité 105 agresseurs et 13 victimes. Parmi ces agresseurs, quelle est la proportion d'adultes et d'adolescents?

Mme Rioux: Au niveau des adultes, nous desservons le Québec en entier parce qu'il n'existe que deux autres centres semblables au CIVAS Estrie, dont un à Trois-Rivières, qui accueille des personnes citées en justice et l'autre à Roberval, qui est une maison de transition pour les délinquants sexuels. Par conséquent, tant la Gaspésie que l'Outaouais dirigent des personnes au CIVAS. Il s'agit habituellement de gens qui sortent de prison et viennent en maison de transition. Nous avons traité 68 adultes et les autres étaient des adolescents.

Nous ne traitons que des adolescents qui habitent l'Estrie parce que les adolescents ne peuvent se déplacer. Quand on a 12 ans, on vit avec sa famille. Les adolescents ne peuvent suivre un traitement dans une autre ville. Il y a aussi un problème de transport. Certains de nos clients partent de Lac-Mégantic pour venir à Sherbrooke. C'est une heure et demie de route, avant même de faire une thérapie. Les adolescents ne peuvent pas faire ainsi.

Les centres comme les CPEJ de Mégantic ou de Thetford Mines sont ceux qui nous appellent le plus et qui ont beaucoup de difficulté à faire traiter leurs adolescents à cause du problème de transport. Il est clair que nous n'avons pas les effectifs nécessaires pour nous déplacer et faire de la thérapie dans une ville en plus de continuer à faire ce que nous faisons au CIVAS Estrie. Nous n'avons que deux intervenants sur le terrain, une secrétaire et moi. Ce n'est quand même pas beaucoup pour desservir les 105 clients que nous avons traités l'année dernière. Le problème financier nous touche à ce niveau.

M. St-Laurent: Vous mentionniez plus tôt une statistique qui est peut-être pour vous banale, mais qui est pour nous un peu particulière. Vous disiez que la majorité des agresseurs avaient été agressés en bas âge.

Mme Rioux: La majorité des agresseurs ont été agressés en bas âge par un oncle, un père ou un frère. Cette situation ne ressort peut-être pas à l'évaluation, mais elle ressort en cours de traitement.

M. St-Laurent: Que pouvez-vous faire pour briser cette espèce de chaîne? Il s'agit peut-être non seulement de briser la chaîne mais en plus de fournir de l'information, d'aller plus haut. Vous ne cherchez pas à aller plus haut en fin de compte, à déterminer qui est coupable. D'après ce que je peux voir, vous cherchez plutôt à casser la chaîne là où vous l'attrapez. Vous continuez en espérant récolter des effets bénéfiques à l'avenir. Comment fonctionnez-vous?

Mme Rioux: Il est inutile d'aller plus haut parce que si la victime ne veut pas porter plainte, nous ne pouvons rien faire. Généralement, la victime est rendue à un âge où on n'a pas de pouvoirs au niveau des adultes. Lorsque nous transigeons au niveau des adolescents et rencontrons un jeune qui a commis des délits sexuels et qui a été agressé par son père, nous le signalons à la Protection de la jeunesse afin que le père puisse commencer un suivi. Nous commençons par un problème qui en entraîne un autre et nous nous retrouvons avec le père et le fils, qui ont tous deux commis des délits sexuels bien qu'à des niveaux différents. Il arrive fréquemment que nous ayons ce genre de clientèle.

Pour briser la chaîne à la bonne place, il nous faut travailler avec les victimes hommes et adolescents. Mais, comme je le précisais, c'est une question d'ordre financier. Nous ne sommes pas capables d'embaucher un intervenant de plus pour travailler avec cette clientèle.

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Mais il est vraiment important de briser la relation abusé-abuseur avant qu'un délit sexuel ne soit commis. Dès qu'un délit sexuel est commis, l'intervention doit porter sur ce délit, non pas sur celui qui avait été ciblé. On intervient également sur ce dernier, mais une personne coupable d'abus sexuel ne peut pas faire partie d'un groupe de victimes, puisqu'elle a déjà adopté un comportement déviant. C'est clair. On s'intéresse aux deux aspects et c'est alors double travail.

M. St-Laurent: Oui, si on accepte le principe qu'un coupable d'abus sexuels a déjà été lui-même victime de tels abus. En somme, vous le considérez comme un abuseur, lorsque celui qui a été abusé porte plainte. Sinon, il est traité en abusé, même s'il a déjà été abuseur. C'est d'une complexité incroyable.

Mme Rioux: C'est très complexe, mais généralement, grâce à tous les rapports psychologiques ou de suivi faits par les centres jeunesse, on arrive toujours à bien cerner le problème. Si on ne réussit pas à le bien cerner au moment de l'évaluation, on sait qu'en cours de traitement, certains aspects vont se révéler. C'est très clair.

On traite beaucoup aussi de l'orientation sexuelle des adolescents agresseurs parce qu'ils ont généralement été abusés par un homme et ont eux-mêmes abusé un garçon. Ils se sentent mêlés quant à leur orientation sexuelle. C'est donc un aspect important à traiter.

M. St-Laurent: Effectivement.

Une dernière question, madame la présidente. On parle de thérapies et de solutions diverses. Vous, qui avez fait des études en criminologie et qui êtes responsable d'une organisation qui fait tout de même un excellent travail sur le terrain, quelle est votre opinion sur la fameuse proposition de castrer les abuseurs sexuels?

Mme Rioux: Du point de vue biologique, je ne saurais vous répondre parce que je ne suis pas médecin. Or, généralement, l'explication du comportement sexuel déviant tient au taux de testostérone produit par les testicules. Donc, s'il y a castration, cette production cesse. Donc, pour la majorité des gens qui prônent la castration, s'il n'y a plus de testostérone dans le sang, l'activité sexuelle tombera à zéro.

Mais ce n'est pas vrai. On a une hypophyse et d'autres androgènes ou hormones qui conditionnent l'activité sexuelle. La preuve, c'est qu'en pharmacothérapie, on utilise deux médicaments anti-androgènes pour diminuer l'activité sexuelle des hommes. Il y a de l'Androcur et du Depo Provera. Si la dose est assez forte, la production de testostérone s'arrête. Donc, l'effet est le même que celui de la castration physique. Il est toutefois chimique et réversible. Les gars commettent des délits sexuels même quand leur production de testostérone est à zéro ou presque. Donc, la castration serait sans effet sur la conduite sexuelle.

Nous sommes plusieurs intervenants membres du regroupement à dire non à la castration. Il n'y a qu'un médecin au Québec qui prône la castration. Il est le seul adepte de cette solution. Il existe au Québec le Regroupement des intervenants en matière d'agressions sexuelles. Il a été mis sur pied dans sept secteurs différents: le milieu des jeunes, le milieu hospitalier, le milieu universitaire, le milieu communautaire, le milieu des fonctionnaires provinciaux, celui des fonctionnaires fédéraux et celui du secteur privé. Il vise à regrouper tous les intervenants québécois qui oeuvrent auprès des agresseurs sexuels. Il tient un colloque vendredi, où nous serons 140. Parmi ces 140, il n'y a personne qui va prôner la castration. On va prôner la castration pharmaceutique, mais pas physique. C'est très clair parce que c'est irréversible.

M. St-Laurent: Merci.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie.

Monsieur Ramsay.

M. Ramsay (Crowfoot): Je vous remercie, madame la présidente.

Recommandez-vous que les tribunaux pour la jeunesse imposent aux jeunes délinquants l'obligation de participer à des programmes d'intervention plutôt qu'une peine d'incarcération? J'ai cru vous entendre dire que les jeunes ne vous étaient pas envoyés suffisamment rapidement après qu'ils sont pris en charge par le système pénal pour pouvoir participer à vos programmes du début à la fin.

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Certains témoins soutiennent - du moins je crois que c'est ce qu'on peut lire dans un mémoire ou deux - que la participation à un programme d'intervention est préférable pour les jeunes à la garde en milieu fermé, pour ce qui est des adolescents. Êtes-vous aussi de cet avis?

[Français]

Mme Rioux: Dans le cas des adolescents, nous considérons préférable qu'ils soient traités chez nous plutôt que d'aller en centre d'accueil. En ce qui concerne les adultes, c'est autre chose, parce que, dans leur cas, je ne suis pas contre l'incarcération. Mais le temps est tellement court dans le cas des adolescents que plusieurs juges rendent maintenant la décision d'envoyer un jeune au CIVAS Estrie à la suite de l'évaluation sexologique qu'on a faite au lieu de les envoyer en centre d'accueil. Ou encore, ils peuvent recommander un séjour en centre d'accueil jumelé à la fréquentation de notre centre par la suite.

Cela nous accorde plus de temps, parce que si l'adolescent est en probation pendant un an et subit un traitement d'un an chez nous, nous considérons que c'est vraiment l'idéal. C'est ce que nous allons recommander au CPEJ à Sherbrooke et c'est généralement ce qui est recommandé au juge.

La question de la déjudiciarisation nous tient aussi à coeur. En ce qui a trait aux mesures de rechange, il est clair que si on ne fait pas comparaître un jeune devant le tribunal, s'il ne passe pas devant le juge, nous ne disposons pas toujours d'assez de temps. C'est ce sur quoi nous voulons travailler. Il n'est pas obligatoire de judiciariser tous les adolescents qui ont commis un délit sexuel. Les mesures de rechange servent justement à éviter aux jeunes d'avoir un casier judiciaire. Mais alors, le temps dont nous disposons est trop court.

[Traduction]

M. Ramsay: Qui détermine si un jeune a le droit de participer à une mesure de rechange et qui décide de la durée de cette mesure?

[Français]

Mme Rioux: Une mesure de rechange dure au maximum six mois. Quand on autorise une mesure de rechange, généralement, chez nous, elle est de six mois. La personne qui fait l'évaluation des dossiers est membre du CPEJ. Il y a trois décisions possibles à rendre: ou on ferme le dossier parce qu'il n'y a pas matière à intervention, ou on recommande une mesure de rechange, ou on en réfère au tribunal. La mesure de rechange est au maximum de six mois. C'est très clair. Ce n'est donc pas nous qui faisons cette évaluation, mais les intervenants du CPEJ. Cependant, eux aussi aimeraient probablement pouvoir recommander 12 mois.

Dans les cas qui nous sont renvoyés, si quelqu'un doit faire des travaux communautaires pendant six mois, la mesure de rechange peut être adéquate. C'est quand un traitement spécifique est requis, dans un cas de toxicomanie ou de délinquance sexuelle, qu'il est plus difficile de réaliser quelque chose en six mois. Et après, le jeune n'est généralement pas intéressé à continuer parce que c'est astreignant pour lui de venir en thérapie chez nous. Nous avons donc moins de pouvoir sur l'adolescent.

[Traduction]

M. Ramsay: Vous avez dit au sujet des agressions sexuelles que l'inceste est presque courant dans certaines localités. Qui est en cause? Est-ce le père dans la plupart des cas ou la mère l'est-elle également? L'inceste se limite-t-il aux membres de la famille immédiate? Peut-il être commis par un oncle? Voilà l'une des questions que je me pose.

Ce comportement n'est-il pas réprouvé par les membres de la famille? L'un ou l'autre des parents ne s'élève-t-il pas contre la chose ou conviennent-ils tous les deux qu'il n'y a pas là de quoi fouetter un chat. Ne devraient-ils pas plutôt trouver l'inceste anormal? Quand un père agresse sexuellement son fils ou sa fille, la mère de cet enfant et les proches ne s'y opposent-ils pas?

[Français]

Mme Rioux: Quant à la première question, disons que l'inceste peut être commis autant par le père que par le frère, l'oncle ou encore un tiers, comme l'aide de la mère. Cela se fait aussi par les mères. Les choses sont vues différemment selon le contexte. Que la mère touche les parties sexuelles de l'enfant dans le bain pour l'hygiène corporelle n'est pas vu de la même façon que lorsque c'est le père qui le fait. La mère joue un rôle d'éducation et de protection auprès de l'enfant. Toutefois, de plus en plus, on rencontre des mères qui ont commis l'inceste. Nous, on a maintenant des femmes en traitement chez nous. C'est très rare. Je croirais qu'au Québec, il n'y a que cinq ou six femmes judiciarisées parce qu'elles ont commis des abus sexuels, pas davantage. Chez nous, nous en avons une. On commence aussi à voir des femmes se faire accuser d'abus sexuels dans les garderies.

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En ce qui concerne la deuxième question, il est rare que la mère dévoile ce qui arrive dans la famille, premièrement parce que le père ou le mari détient souvent l'autorité dans la famille, ce qui lui donne un grand pouvoir. Le père incestueux contrôle généralement tous les faits et gestes de la famille. C'est ce que nous observons. C'est vraiment une personne très socialisée, qui travaille et a le contrôle sur toute la famille. Généralement, la mère ne parlera pas.

Les jeunes victimes, qu'elles soient garçons ou filles, taisent les abus dont elles sont victimes de la part de leur père, parce qu'elles craignent de blesser la mère ou l'éclatement de la famille. En effet, si une adolescente dit à sa mère que son père lui fait des attouchements sexuels ou vient dormir avec elle quand la mère est absente, elle sait que la famille va éclater. Il y aura probablement poursuite par la police. Le père sera probablement incarcéré. C'est cette crainte qui, souvent, habite toute la famille et empêche ses membres de parler.

Il peut y avoir plusieurs motifs. Il y a aussi le fait que cela peut leur paraître normal. Un garçon qui sait que son père a couché avec son frère plus vieux et que c'est maintenant son tour, trouvera la chose normale. Mais ces situations se rencontrent surtout dans les petits villages. On les voit plus rarement dans une plus grande ville parce qu'il y a beaucoup plus de prévention qui se fait. Mais, pour certains, c'est normal et les mères ne parlent pas par peur des représailles.

[Traduction]

M. Ramsay: Dans ce cas, les enfants qui sont victimes de ces agressions ne peuvent compter sur l'aide de personne. Pour les raisons que vous venez d'énoncer, ils ne peuvent pas compter sur l'aide de leur mère, car ils craignent qu'en faisant appel à elle, la famille n'éclate.

Les adultes des localités en cause acceptent-ils ce comportement?

[Français]

Mme Rioux: Dans certains endroits, cela peut être accepté. Mais maintenant, avec toute l'aide qui existe dans les écoles pour les jeunes, comme les psychologues et d'autres personnes ressources, les adolescents parlent un peu plus. C'est beaucoup plus rare maintenant de rencontrer une famille où tout est fermé, où peu de choses sont dites, parce que les écoles sont là.

Auparavant, quand les adolescentes parlaient et disaient avoir subi des abus sexuels dans la famille, beaucoup de gens avaient tendance à ne pas les croire. Mais maintenant, grâce à toute la prévention qui se fait, cela apparaît comme un phénomène nouveau. Ces situations sont beaucoup plus souvent dévoilées. On ne dit pas qu'il y a plus d'agressions sexuelles dans les familles, mais elles sont plus connues. On les dévoile davantage. Ce n'est pas une pratique qui devrait être acceptée.

[Traduction]

M. Ramsay: Les adultes qui considèrent ce comportement normal se sentiraient-ils menacés si votre programme était offert dans toute la province? Certains s'opposent-ils à la poursuite de votre programme sous prétexte qu'on risque ainsi de dénoncer ceux qui considéraient comme normal le fait d'exploiter sexuellement leurs enfants parce qu'ils avaient eux-mêmes été exploités sexuellement dans leur jeunesse? L'élargissement et la poursuite de votre programme suscitent-ils l'opposition de ceux qui craignent qu'on ne dévoile ainsi les crimes commis par certains parents?

[Français]

Mme Rioux: Je ne peux pas vous dire que j'ai fait face à de la résistance parce que le Centre ne fait pas de publicité à la grandeur du Québec; nous savons que nous ne pouvons donner plus d'extension à nos services. En ce moment, il n'y a pas personne dans la région qui veut faire démarrer un programme comme celui du CIVAS Estrie, parce que, financièrement, il est impossible de le faire.

Je ne crois pas que nous aurions à faire face à de la résistance, bien qu'à certains petits endroits il soit plus difficile d'entrer parce que le père incestueux a conservé le contrôle. Mais alors, ce n'est pas nous qui devons faire face à de la résistance, mais plutôt les intervenants du CPEJ qui doivent faire l'évaluation et le signalement. Ce sont eux qui rencontrent maintenant des difficultés.

.0950

Ils en rencontrent malgré le fait qu'un programme existe. La raison en est que, dans toutes les régions où les gens du CPEJ font des évaluations de dossiers et signalent des cas d'abus sexuel, ils ne peuvent donner des services aux agresseurs ou aux agressés, car il n'y en a pas. Mais il y a quand même des signalements faits par les enfants de la famille, d'où le père est retiré. On voit de telles situations. Généralement, le père incestueux sera judiciarisé et incarcéré.

Je ne crois pas qu'on ferait face à de la résistance. C'est seulement dans certaines familles qu'on pourrait en rencontrer, mais pas dans la population en général. Bien que le Centre soit perçu comme un centre d'aide aux délinquants sexuels, je maintiens toujours pour ma part que ce qu'on fait, c'est prévenir la récidive.

La délinquance sexuelle n'est pas le délit le mieux vu au Québec, en Ontario, un peu partout au Canada ou même partout dans le monde. C'est clair que nous faisons face à de la résistance lorsque nous disons avoir besoin d'argent alors que nous intervenons auprès des agresseurs. Il est clair que nous ne sommes pas aussi bien accueillis que le serait un centre d'aide aux victimes.

Moi, je me bats depuis 1990, non pas pour faire accepter la délinquance sexuelle, mais pour faire accepter le traitement de la délinquance sexuelle. Nous ne sommes pas nombreux à vouloir le faire, parce que je dois vous dire que c'est un travail très ardu et de très longue haleine.

Pourtant, généralement, quand on offre des services dans une ville, la majorité des gens sont contents parce que cela diminue la récidive.

[Traduction]

M. Ramsay: Je vous remercie.

La présidente: Je vous remercie, monsieur Ramsay.

Madame Torsney, vous avez dix minutes.

Mme Torsney (Burlington): Beaucoup d'études concluent que ceux qui ont été victimes d'agression sexuelle lorsqu'ils étaient jeunes et qui ne reçoivent pas d'aide risquent fort de se rendre coupables du même type d'agression lorsqu'ils deviennent adultes. Peut-être pourrions-nous vous fournir ces études pour qu'elles vous aident à lutter pour obtenir des fonds.

J'aimerais savoir si la nature et la gravité de ce type de crime ont changé au cours des dernières années?

[Français]

Mme Rioux: Je ne pense pas que les abus sexuels aient changé au cours des années; cependant, l'âge des agresseurs a diminué. Il était rare auparavant qu'on rencontre des agresseurs sexuels adolescents. Il s'agissait beaucoup plus d'adultes. Il faut aussi tenir compte du fait que les intervenants du CPEJ considéraient les abus ou les attouchements sexuels faits sur des jeunes filles par des adolescents de 12, 13, 15 ou 18 ans comme des expérimentations de leur sexualité. Il n'en va plus de même aujourd'hui. Je considère que lorsqu'on touche une partie du corps d'une personne qui ne le veut pas, on commet un abus.

Donc, c'est vu différemment par le CPEJ de l'Estrie. Je ne sais pas ce qu'il en est dans les autres CPEJ qui n'ont pas de centres de traitement, mais depuis que nous existons et que nous assurons des services, cela est vu différemment.

Mais le délit sexuel demeure un délit sexuel. Je connais un père qui a commis l'inceste sur ses enfants il y a 25 ans et qui a voulu recommencer sur ses petits-enfants. Ses quatre filles lui ont mis le holà et lui ont dit d'aller suivre un traitement. Dans le temps, il avait rendu enceinte une de ses filles, qui avait dû se faire avorter. Cela se passait il y a 25 ans. Son délit n'a pas changé; il a juste attendu que l'objet de son désir arrive au même âge.

Je trouve que l'âge des contrevenants diminue. Nous avons des jeunes de 11 ans qui commettent des délits sexuels. Le discours sur la sexualité, dans les familles, est aujourd'hui différent. Ce n'est plus un sujet tabou. Ce l'est tellement moins que certaines gens donnent trop d'éducation sexuelle aux enfants, si bien que les jeunes veulent expérimenter cela un peu plus tôt.

Nous en avons un qui a été catégorisé pervers à l'âge de 10 ans. À six ans, il écoutait de la pornographie avec ses parents ou il voyait ses parents avoir des relations sexuelles. Il a donc toujours vécu dans cela. À 10 ans, se masturber cinq ou six fois par jour lui paraît normal. Il y a beaucoup de travail à faire, mais je vous dis qu'il y a 15 ans, on n'aurait peut-être pas vu un jeune de cet âge-là commettre des abus sexuels sur de jeunes garçons.

C'est pourquoi je vous dis que la nature de l'agression sexuelle ne change pas, mais qu'elle est commise par des gens plus jeunes. C'est pourquoi un programme où on intervient auprès des adolescents est important maintenant, au même titre qu'un programme d'intervention auprès des victimes.

.0955

[Traduction]

Mme Torsney: Vous avez parlé d'un jeune de 10 ans qui consomment régulièrement de la pornographie et assistait aux ébats sexuels de ses parents. Selon vous, ce qu'on voit à la télévision, dans les revues, au cinéma et par l'intermédiaire des ordinateurs a-t-il exacerbé le problème?

[Français]

Mme Rioux: Non, je n'ai pas constaté un tel impact parce que, généralement, du moins je l'espère, les adolescents ne sont pas trop en contact avec la pornographie. Nos jeunes ont peu de matériel pornographique en général. Il y a toujours des exceptions, mais généralement nos jeunes n'en ont pas. S'ils commettent un abus sexuel, c'est généralement parce qu'ils ne sont pas capables d'interagir avec les gens de leur âge. C'est toujours plus facile avec un plus jeune. On le constate souvent chez les jeunes qui gardent des enfants et commettent sur eux des attouchements sexuels. Il en va de même pour les adultes. Les pédophiles, les pères incestueux ne sont pas capables de socialiser avec des gens de leur âge; il est toujours plus facile d'aller vers un enfant. Un enfant fait ce que l'on veut. Si on présente cela sous forme de jeu, l'enfant va faire tout ce qu'on va lui demander. C'est là que réside le pouvoir du pédophile. Il veut avoir un pouvoir sur l'enfant parce qu'il n'en a pas sur les gens de son âge. C'est à nous de l'amener à retrouver un pouvoir chez les gens qui sont un peu plus de son âge. C'est la même chose chez l'adolescent.

[Traduction]

Mme Torsney: Pensez-vous que les jeunes gens avec lesquels vous travaillez comprennent la loi? Sont-ils bien renseignés ou s'en fichent-ils tout simplement? En Ontario - du moins c'est le cas de bon nombre de mes électeurs - , on semble croire que les jeunes se fichent de la loi et l'enfreignent en toute connaissance de cause. Êtes-vous d'avis que les jeunes ne comprennent tout simplement pas la loi?

[Français]

Mme Rioux: Pas dans ma clientèle. Peut-être s'en trouve-il parmi les jeunes itinérants ou les jeunes contrevenants qui commettent des délits autres que d'ordre sexuel. Généralement, sauf pour la consommation de drogue, où la loi leur paraît moins importante, les gens ne se moquent pas de la loi. Ils vont peut-être éprouver certaines résistances vis-à-vis de la loi, mais je pense que tout le monde en a. Leur délinquance se situe vraiment au niveau sexuel. Ce ne sont pas des délinquants ordinaires. Ils ont rarement commis d'autres formes de délit. S'ils en commettent, ce sera plus tard.

Le meilleur exemple que je puisse vous donner concerne le monde des adultes. J'ai travaillé en maison de transition. J'ai vu tous les genres de délinquance avant de me spécialiser en délinquance sexuelle. J'ai rencontré des Hell's Angels, des meurtriers, des criminels de tous genres. Or, quand on regarde un pédophile, il n'a vraiment pas l'allure d'un délinquant ordinaire. Si je me promène dans une maison de transition, je sais que c'est un pédophile, parce qu'il n'a pas de tatouages ou un comportement de délinquant. Généralement, ces gens respectent toutes les règles de la société, sauf les règles qui concernent la sexualité.

Chez nous, il est rare qu'on rencontre des jeunes délinquants autres que des délinquants sexuels. On en a parce qu'on a des jeunes dont les parents sont délinquants, sont en prison ou sont sous le coup d'une ordonnance de probation, mais le phénomène est plus rare.

[Traduction]

Mme Torsney: Voici ma dernière question. Certains préconisent qu'on dévoile l'identité des coupables d'agressions sexuelles pour que la collectivité puisse se protéger contre eux. Certains soutiennent que la crainte de voir leur nom publié dans les journaux incitera certains jeunes à respecter la loi. Qu'en pensez-vous?

[Français]

Mme Rioux: On a déjà eu un débat à la télévision là-dessus à l'émission Droit de parole. Je suis contre la divulgation du nom ou de la photo d'une personne parce que je trouve que cela ne donne absolument rien. Tout ce qui va en découler, c'est que le délinquant va changer de ville et recommencer ailleurs.

Dites-moi le nom d'un délinquant aujourd'hui. Si je ne suis pas dans le domaine de la délinquance sexuelle, vous pouvez être certaine que dans quatre jours je l'aurai oublié, s'il y en a dix autres dans le journal. Pour ce qui est de la photo, c'est la même chose. On peut changer d'apparence physique.

Je pense que c'est un retour à l'esprit de vengeance. Si on se replace dans le domaine de la criminologie, c'est un retour à la préhistoire. On revient à l'exercice de la vengeance privée. Je considère que ce n'est pas un mode de fonctionnement idéal. On va amener un coupable à changer d'endroit, à ne pas se faire connaître et à récidiver.

.1000

Je pense que l'idéal, c'est de traiter la personne. Venons-en au cas de Val-d'Or qui en ce moment fait beaucoup la manchette. Les gens veulent afficher l'image du délinquant sexuel qui, lui, veut un traitement et veut faire quelque chose pour ne pas recommencer, mais il n'y a rien d'accessible pour lui à Val-d'Or. Tout ce qui lui est accessible l'est en pratique privée et il n'a pas les moyens de se le payer car il bénéficie de l'aide sociale. C'est pour cette raison que je me bats pour qu'on dispense des traitements un peu partout au Québec sur le plan de la délinquance sexuelle.

En ce moment, je fais partie du comité qui est en train d'élaborer la politique en matière de violence sexuelle. On recommande au gouvernement d'avoir au moins un service minimal dans chaque région pour qu'un cas comme celui de Val-d'Or ne se reproduise pas. Je vous dirais que le fait d'afficher la photo, d'écrire les noms dans le journal et de divulguer tout cela ne changera rien au comportement déviant.

Le délinquant sexuel est comme un alcoolique. Si vous fermez tous les bars d'une ville et que vous arrêtez d'y vendre de l'alcool, il va changer de ville et continuer de boire ailleurs parce que le problème n'est pas réglé à la base. C'est la même chose pour un délinquant sexuel.

[Traduction]

Mme Torsney: J'aimerais une précision. Votre centre emploie quatre personnes et son budget est de 140 000 $. Cela comprend-il une ligne téléphonique?

[Français]

Mme Rioux: Oui, tout.

[Traduction]

Mme Torsney: Vous avez aidé l'an dernier 105 agresseurs et 13 victimes.

[Français]

Mme Rioux: Oui.

[Traduction]

Mme Torsney: Et 68 p. 100 de ces 105 agresseurs étaient des adultes.

[Français]

Mme Rioux: Soixante-huit personnes parmi les 105 sont des adultes.

[Traduction]

Mme Torsney: Le pourcentage est donc un peu moins élevé, puisque le total est de 105. Vous offrez vos services dans les Cantons de l'Est et dans d'autres parties de la province grâce à votre ligne téléphonique.

[Français]

Mme Rioux: Les gens peuvent nous appeler sur la ligne d'écoute, mais nous ne pouvons accepter les frais. Avec le budget que nous avons, c'est impossible. Il y a des gens de Sept-Îles qui appellent sur la ligne 819-823-4433 et parlent avec un bénévole. On aimerait bien un jour avoir une ligne 800 et pouvoir en faire la publicité à la grandeur du Québec afin de répondre à une demande plus importante.

.1005

Quand un homme perd du pouvoir - je dis un homme parce que la majorité des appels proviennent d'hommes - et qu'il vit des conflits et a des problèmes, je préfère qu'il puisse appeler chez nous plutôt que d'aller dans un parc pour commettre une agression sexuelle. C'est très clair dans ma tête.

C'est vraiment de la prévention. Pour moi, c'est le service le plus élémentaire qu'on puisse donner à un délinquant. On ne peut pas les atteindre autrement que par une ligne téléphonique qu'ils savent anonyme. On ne les retrace pas. On n'est pas là pour cela.

[Traduction]

Mme Torsney: Vous envoie-t-on des enfants qui téléphonent à la ligne d'intervention?

[Français]

Mme Rioux: Nous avons Tel-Jeunes. Nous avons toutes les lignes avec nos coordonnées qui sont reliées à nos bureaux. Mais là encore, même si Tel-Jeunes touche le Québec au complet, il est difficile pour les jeunes de faire un appel interurbain en Estrie.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie.

[Français]

Monsieur St-Laurent, vous avez cinq minutes.

M. St-Laurent: Non. Ça va, madame.

[Traduction]

La présidente: Je regrette, mais votre temps est écoulé. Je croyais que nous avions commencé il y a une demi-heure.

Je vous remercie beaucoup de votre contribution à nos travaux. Bonne chance.

Nous allons faire une pause de deux minutes pendant que les témoins suivants s'installent.

.1010

.1012

La présidente: Nous reprenons la séance. Je souhaite la bienvenue à M. Normand Bastien, directeur du centre communautaire de l'Aide juridique de Montréal, division de la jeunesse.

Bienvenue.

[Français]

Me Normand Bastien (directeur, Centre communautaire de l'Aide juridique de Montréal (Division jeunesse); témoigne à titre personnel): Je m'excuse de ne pas avoir de texte. Je vais tenter de parler lentement.

Je suis avocat depuis 23 ans. Je suis directeur du bureau de l'Aide juridique de Montréal pour la Division jeunesse depuis 17 ans.

J'ai eu le privilège d'être parmi les membres du groupe de travail créé en 1990 par le ministère de la Justice et le ministère de la Santé et des Affaires sociales pour étudier la Loi sur la protection de la jeunesse et aussi pour étudier l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants au Québec.

Ce groupe de travail a produit deux rapports communément appelés Rapports Jasmin 1 et 2. Le deuxième, qui porte sur la Loi sur les jeunes contrevenants, est disponible depuis le printemps 1995.

J'ai aussi eu l'avantage - pas nécessairement un avantage, mais du moins le plaisir - de coprésider un comité du Barreau du Québec sur la représentation des enfants par avocat, comité qui a produit en février 1995 un rapport contenant énormément de recommandations quant au comportement des avocats qui acceptent de représenter des enfants ou des adolescents, que ce soit en matière de protection de la jeunesse ou en matière de jeunes contrevenants.

J'ai eu personnellement le plaisir de vous présenter en septembre 1994 un mémoire sur le projet de loi C-37. J'ai aussi fait parvenir un mémoire au comité sénatorial sur le même sujet. Vous comprendrez mon intérêt à vous faire part de quelques commentaires sur la réflexion que vous avez engagée.

Je dois vous dire, pour éviter tout imbroglio, que je témoigne à titre personnel. Les opinions que je pourrais émettre ne m'engagent que personnellement. Sommairement, le bureau que je dirige, qui est généralement composé d'une douzaine d'avocats, a représenté, depuis le 2 avril 1984 jusqu'au 31 mars 1995, environ 2 000 dossiers en moyenne par année, ce qui fait tout près de 22 000 cas dans lesquels nous sommes impliqués en matière de jeunes contrevenants. Cela couvre évidemment tous les délits possibles, y compris les délits de meurtre.

.1015

Parce qu'il y a beaucoup de questions, je ne pourrai exprimer une opinion sur chacun des sujets-là, mais je vais y aller par sujet particulier.

Votre première série de questions touche la criminalité chez les jeunes. Entre autres, vous vous intéressez à l'incidence du communautaire. Très sommairement, je dois vous dire à cet égard - en tout cas, c'est ce que je pense - que la réalité moderne de nos adolescents, particulièrement dans les grands centres, est qu'il y en a de plus en plus hors les lieux où ils devraient normalement se trouver. Ils sont de plus en plus nombreux à être hors de l'école et ils ont énormément de difficulté à se rendre sur les lieux du travail. Évidemment, ils n'ont pas les études nécessaires et, en plus, le travail n'est pas nécessairement disponible. Il est de moins en moins disponible, y compris pour les adultes, par les temps qui courent.

Idéalement, il faut viser un retour des adolescents aux lieux en question, soit l'école, soit le milieu du travail, mais on sait que ce n'est pas un objectif facile. Avant de parvenir à atteindre ces objectifs, il faut occuper ces jeunes et s'occuper d'eux.

Nous avons des travailleurs de rue qui sont très rassembleurs. Nous avons également des maisons de jeunes qui sont là pour combler un besoin important. Par contre, ces groupes passent plus de temps à assurer le financement de l'année à venir qu'à s'occuper des jeunes dont ils doivent s'occuper. Tous ceux qui jouent un rôle politique au Canada doivent faire en sorte que ces individus puissent non pas agir sans rendre de comptes, mais avoir la paix financièrement, ne serait-ce que pour deux ou trois ans, pour qu'ils puissent s'occuper des jeunes. S'il faut faire une demande tous les ans et la justifier, il est certain qu'on néglige une partie du travail.

Malheureusement - c'est un constat que je fais et je n'ai pas la solution - , les municipalités sont absentes de tous les grands débats relatifs à l'étude de la délinquance. Pourtant, c'est à elles que revient en premier chef le soin de s'organiser afin que des gens puissent être occupés quand ils ne sont pas à l'école. On restreint de plus en plus les lieux des activités, on limite de plus en plus les activités pour les jeunes à l'élite et on restreint de plus en plus les heures d'accès aux loisirs, quand il y en a.

Il faut absolument que les municipalités ne se contentent pas de faire des règlements interdisant le port d'armes blanches dans les lieux publics. Elles ont autre chose à faire. Elles doivent s'assurer que le milieu dans lequel vit la population soit un milieu relativement contrôlé.

Je ne comprends pas pourquoi on continue d'émettre des permis pour exploiter des machines à sous à proximité des écoles, etc. Cela se contrôle par règlement. Pourtant, dans tout quartier où est située une grande école, vous trouverez presque assurément une arcade ou un lieu semblable. Je pense que les municipalités ont un pouvoir important là-dessus.

Au même chapitre, vous nous parlez de dissuasion. Je partage l'opinion émise dans le Rapport Jasmin sur la Loi sur les jeunes contrevenants, à savoir que la dissuasion chez les jeunes est directement proportionnelle au risque de se faire prendre. Cela n'a rien à voir avec une grosse sentence potentielle ou avec une quelconque conséquence de l'acte.

.1020

À partir du moment où un jeune pense qu'il ne se fera pas prendre, il va s'adonner à des activités dans ce lieu-là. Le vol à l'étalage est inversement proportionnel au nombre des membres du personnel dans un magasin. Pour des raisons d'ordre économique, on a diminué le personnel et on a laissé la marchandise dans les mains des individus. Il est clair que, nécessairement, on va développer le goût de s'approprier des choses à bon marché.

Les policiers ont diminué leurs patrouilles et cela a un effet direct sur l'introduction par effraction dans les milieux résidentiels. Il faut réfléchir à cette réalité. À partir du moment où on fait des choix économiques ou autres pour diminuer l'activité de type préventif, il est certain que la conséquence, en bout de ligne, est que des gens vont en profiter.

On a aussi diminué les patrouilles autour des écoles et dans les parcs entourant les écoles, et tout le monde sait - il ne s'agit pas de faire des études là-dessus - qu'il s'agit là, tout comme les arcades, de lieux où se commettent énormément de transactions de drogue, entre autres. Tout le monde sait à quelle heure cela se fait, mais les patrouilles sont à peu près inexistantes à ces endroits-là.

Actuellement, le principal principe d'enquête qui est reconnu est le plus simple: c'est la délation. Si quelqu'un ne dénonce pas une activité quelconque, les services policiers seront absents. Il me semble que si ces choix peuvent être acceptables au niveau des adultes, et ce n'est pas mon opinion, on n'a pas le droit de laisser une population de jeunes s'embarquer dans ce genre de transactions et de laisser s'installer des circuits de transactions de cette nature autour des écoles. On doit revenir à la surveillance des quartiers entourant les écoles. Il n'appartient pas aux écoles de le faire, car elles contrôlent déjà difficilement les lieux scolaires eux-mêmes. L'environnement des écoles doit être surveillé par l'autorité civile.

Il y a un autre élément qui me surprend toujours en termes de prévention. Nous avons, depuis quelques années, énormément de moyens pour identifier des éléments prédicteurs. En 1990, on a rendu disponible une étude faite par le groupe de recherche sur l'inadaptation psychosociale chez l'enfant de la Faculté des Arts et des Sciences de l'Université de Montréal, particulièrement par le professeur Tremblay. Ils en arrivaient à la conclusion que, dès la maternelle, nous pouvons identifier des facteurs assez certains qui conduisent les individus identifiés à des troubles de comportement associés à la prédélinquance. C'est très facile. Il n'y a pas d'énormes études là-dessus, mais les professeurs font régulièrement ces constats au niveau de la maternelle. Il s'agit de l'agressivité, de l'hyperactivité, de l'inattention et de l'anxiété.

Je vous résume cela. C'est sûr que dans cette étude, il y a des liens entre l'un et l'autre. On est capable d'y arriver avec une certaine justesse. Mais, à partir du moment où on identifie ces gens-là, il faut travailler et intervenir. Or, nous assistons actuellement, pour toutes sortes de raisons, probablement justifiées, économiquement à tout le moins, à un désinvestissement énorme au niveau de l'intervention auprès de ce genre d'individus.

Pour intervenir, il faut absolument que la crise soit majeure. Il n'y a pas de crise majeure à sept, huit, six ou cinq ans, ans, sauf si l'enfant est victime d'abus sexuels ou d'abus physiques ou s'il est carrément abandonné. Mais un enfant de quatre, cinq ou six ans n'a jamais de troubles de comportement graves au sens où on intervient habituellement. Donc, on attend jusqu'à 10, 11 ou 12 ans avant d'intervenir. Et quand on intervient, il faut intervenir massivement et on n'a même pas les moyens de le faire. Il nous reste le centre de réadaptation pour le faire, ce qui coûte un prix fou.

.1025

On a l'impression actuellement, ou plutôt j'ai l'impression, que certains intervenants, faute de moyens pour intervenir, souhaitent que les individus passent à l'acte rapidement, autour de 12 ou 13 ans, pour qu'on puisse intervenir rapidement sans avoir fait toutes les évaluations nécessaires, qui sont lourdes à supporter. Quand on intervient en prévention, il faut intervenir auprès des parents. Il faut aller chercher les parents, faire des évaluations, aller voir l'école, alors que c'est très simple d'intervenir quand le jeune a commis un premier délit d'introduction par effraction. On a un beau rapport de police et on intervient.

Mais en agissant de la sorte, on discrédite à tout coup la Loi sur les jeunes contrevenants, parce que, qu'on le veuille ou non, la loi traitera ce premier délit comme un premier délit.

La Loi sur les jeunes contrevenants n'est pas une loi de protection. Elle n'est plus une loi de protection, comme l'était la Loi sur les jeunes délinquants. La Loi sur les jeunes contrevenants est une loi de sanctions. C'est-à-dire que l'action qui sera permise, eu égard à un acte commis, sera une réaction relativement proportionnelle à l'acte commis.

Espérer qu'on interviendra pendant 18 mois chez un jeune de 13 ans parce qu'il a commis une première et une seule introduction par effraction, c'est, dans la vraie vie, rêver en couleur. Et laisser espérer qu'on interviendra à long terme pour une première offense, c'est discréditer la Loi sur les jeunes contrevenants et donner de faux espoirs. Les lois de protection sont mieux adaptées à cela.

Tous ces genres de problèmes dont traite la Loi sur les jeunes contrevenants seront traités à moitié pour la simple raison que cette loi n'a pas d'emprise sur les parents. On ne peut, en matière de Loi sur les jeunes contrevenants, ordonner aux parents de corriger une situation qui est la leur. On ne va évidemment intéresser qu'une seule et unique personne qui, elle, aura des conditions à respecter et devra se soumettre à toutes sortes d'études. C'est le jeune lui-même. Les parents seront laissés à eux-mêmes.

On retire le jeune pendant un certain temps et on le remet dans la bonne voie, mais on le renvoie dans son milieu qui, lui, n'aura pas progressé et on sera surpris, par la suite, de constater qu'il y a récidive par-dessus récidive.

Les lois sur la protection de la jeunesse nous permettent d'intervenir sur une durée qui n'est pas liée à un acte commis, mais qui est reliée à un problème déterminé. Certaines lois nous permettent d'intervenir autant chez les parents que chez les enfants. Je pense qu'il ne faut pas attendre qu'un délit soit commis avant d'intervenir si on est capable d'avoir les évaluations nécessaires. Dieu sait que des études, il y en a très rapidement.

Je profite de l'occasion pour vous dire que l'on constate de plus en plus un désinvestissement du milieu scolaire. Pour toutes sortes de raisons, au début de la mise en oeuvre de la Loi sur la protection de la jeunesse, au début des années 1980, le milieu scolaire faisait énormément de signalement, mais on constate de plus en plus qu'il n'en fait plus que lorsqu'il en a vraiment assez.

Des cas relativement simples de parents qui déménagent, de parents qui ne viennent pas chercher leurs enfants en bas âge, qui oublient leurs enfants à l'école ne sont plus signalés à la DPJ, parce que cela est plus long. Il faut attendre un, deux ou trois mois avant que la DPJ s'en occupe, et les écoles n'ont pas tout ce temps.

Donc, si on veut que la prévention ait un sens, il faut faire ce que le professeur Trépanier appelait «investir dans la prévention primaire et la prévention secondaire». La Loi sur les jeunes contrevenants nous permet d'intervenir à titre préventif au niveau tertiaire, en s'assurant que l'individu qui a été pris ne récidive pas.

Vous vous intéressez aussi au degré de connaissance des jeunes. Je vais vous parler du degré de méconnaissance qu'ont les adultes de la Loi sur les jeunes contrevenants. La Loi sur les jeunes contrevenants est connue des adultes de par les médias qui, malheureusement, parlent de cette loi lorsqu'il y a un cas médiatique. On a l'impression que ce que les adultes connaissent ou retiennent de cette loi est ce que la médiatisation en a fait.

.1030

Or, les adultes pensent que les juvéniles demeurent impunis, ce qui est faux. Malheureusement, le fait de laisser se propager cette opinion fait en sorte que, d'année en année, on remet cette loi en question, alors qu'il y a beaucoup d'interventions. Il faut savoir qu'au moins 90 p. 100 des jeunes, de Montréal à tout le moins, qui passent devant le tribunal de la jeunesse finissent, dans les 30 ou 40 jours qui suivent leur comparution, par enregistrer un plaidoyer de culpabilité à une des offenses dont ils ont été accusés. Personne n'est acquitté indûment. La grande majorité des jeunes sortent de là avec au moins une probation, souvent de trois à six mois. Les très petits cas ont des travaux communautaires et, généralement, quand c'est un cas de travaux communautaires, c'est réglé par les mesures de rechange.

Les adultes sont aussi très exigeants face aux juvéniles. Pourtant, si les adultes arrêtaient d'acheter des biens qui proviennent du vol, il est clair qu'on réglerait une bonne partie des introductions par effraction. Quand un adulte est impliqué dans une cause de recel, tous les juges lui donnent une première chance. Il s'agit là d'un consommateur qui a profité d'une chance. Il s'en tire avec la moindre des sentences. Enlevez les receleurs adultes et vous réglerez la grande majorité des entrées par effraction commises par les juvéniles. Ce n'est pas vrai qu'un jeune vole un système de son pour l'apporter chez lui. Généralement, dès sa sortie de la maison, le système de son est promis à quelqu'un, à un adulte.

Les jeunes reproduisent nos comportements, que ce soit des comportements d'adultes comme parents ou des comportements qu'on voit à la télévision ou ailleurs. Quand nous, en tant qu'adultes, passons régulièrement sur les feux rouges avec les enfants ou stationnons dans des lieux interdits, il est clair que nous banalisons la loi et l'ordre. Il ne faut pas s'étonner que des jeunes aient la même réaction et finissent par bafouer l'autorité et tout ce qui est règlement.

À mon sens, on a fait une erreur en abolissant purement et simplement l'accusation de détournement de mineur qui existait dans la Loi sur les jeunes délinquants sans la remplacer par quelque chose de semblable. À mon sens, il serait temps, en 1996, que l'on puisse recréer une infraction au Code criminel qui soit celle de permettre, d'encourager ou d'inciter un adolescent à commettre une infraction, quelle qu'elle soit. C'est certain qu'actuellement, le fait d'avoir eu un conflit juvénile est une circonstance aggravante au niveau de la sentence. À mon sens, ce n'est pas suffisant. Ce devrait, au même titre que le complot, être une infraction à part.

Je passe rapidement au système judiciaire. Selon moi, il sera à peu près impossible de concilier le besoin des adolescents et la protection de la société à l'extérieur d'une juridiction spécialisée. Je ne ferai pas de longues dissertations là-dessus. Je laisse à d'autres le soin d'en parler. J'ai vu que le Barreau en parlerait, mais je vous dis que déjà, personnellement, je trouvais que l'installation du procès par jury au niveau des juvéniles avait quelque chose d'incompatible avec ce qu'on veut faire avec nos chambres de la jeunesse. Je comprends que le besoin d'augmenter les sentences pour les crimes importants nous obligeait, vu la Charte canadienne, à penser à de plus longues périodes de temps et, en conséquence, à offrir le procès par jury.

Il ne faudrait pas perdre de vue que dans la loi actuelle, il y a une incongruité majeure. C'est tout le système de renvoi qui, selon moi, est mal placé. Le système de renvoi doit demeurer, mais il doit être placé après un verdict. Nous en sommes rendus, depuis les amendements de 1992, à constater qu'un individu de 16 ou 17 ans, qui a le fardeau de prouver qu'il doit demeurer à la Chambre de la jeunesse, doit se soumettre lui-même à des expertises psychiatriques commandées par l'adversaire et à des rapports prédécisionnels et qu'on devra le questionner sur son ferme propos de ne plus recommencer. On devra le questionner sur sa capacité de remords.

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Comme avocats, nous avons l'obligation d'informer le jeune de ne pas parler des faits de la cause parce qu'il devra un jour subir un procès, possiblement chez les adultes. Donc, l'évaluation qui est faite du jeune, dans les causes importantes, est mauvaise et incomplète. On constate de plus en plus de renvois fondés seulement sur l'absence totale de remords, alors que le jeune a refusé de parler des faits de la cause.

Dans les faits de la cause, parce que le tribunal en tiendra compte, il est fréquent de constater que l'individu qui vient témoigner est un policier dont le témoignage est considéré irrecevable au moment du procès. On fait témoigner le policier avec du triple et du quadruple ouï-dire, avec le rapport de ses collègues. Il témoigne sur les faits de la cause. Soyez assurés qu'il s'agira là, quant aux faits de la cause, du scénario le plus noir possible de l'individu. Quand on arrivera au procès, cet individu ne viendra même pas témoigner. Comme cela, on ne pourra pas le prendre avec des contradictions ou avec des réponses floues qu'il aurait pu donner alors qu'il possédait les précisions. C'est un individu qui vient comme témoin et qui ne viendra jamais témoigner.

Selon moi, il faut déplacer le renvoi. On est capable de le faire pour les adultes. En ce qui a trait aux adultes, selon le chapitre sur les délinquants dangereux, la demande se fait après verdict, mais avant sentence. Il me semble que le renvoi devrait être replacé à ce niveau-là. Lorsqu'il est déclaré coupable, si la Couronne, eu égard aux faits prouvés et à la déclaration de culpabilité, pense que le code de mesures pour les juvéniles est inadéquat et inapproprié dans les circonstances, elle devrait à ce moment-là faire une demande pour qu'on puisse lui appliquer le code de sentence des adultes, et le débat se situerait là.

C'est sûr qu'il y aurait des détails techniques, parce qu'à partir du moment où l'individu risque une sentence de plus de cinq ans, il faut trouver un moyen pour qu'il ait accès indirectement au procès par jury. Je laisse aux spécialistes le soin de trouver une façon de fonctionner pour que cela puisse être fait.

Quant aux représentations précises en ce qui a trait à la loi, je pense qu'il est essentiel que vous réintroduisiez dans cette loi la détention en milieu hospitalier, non seulement pour une période courte, mais aussi pour une période ajustée aux périodes prévues à la Loi sur les jeunes contrevenants. Si l'alinéa 20(1)k) nous permet d'ordonner la détention d'un individu en milieu fermé pour sept ans, on devrait prévoir une même période en milieu hospitalier.

Il faut concevoir le milieu hospitalier juvénile différemment de celui des adultes. Je pense que vous avez prévu une visite à l'Institut Philippe-Pinel pour demain. Vous allez y constater qu'à l'unité juvénile de l'Institut, les juvéniles ne sont pas en milieu hospitalier au même titre qu'un adulte le serait. Il s'agit là d'individus qui n'avaient pas de défense d'aliénation mentale ou qui étaient très aptes, mais chez qui on a décelé un pattern qu'on se doit de corriger. Ce milieu-là, qui est un milieu sécuritaire, a tous les outils nécessaires pour le faire.

On ne peut se permettre de laisser un individu faire sept ans de centre sans travailler là où il est nécessaire de travailler, à savoir dans un milieu de type Pinel. Je suis allé un peu partout au Canada, particulièrement à Winnipeg en octobre 1995, pour malheureusement constater que l'Institut Philippe-Pinal, du moins son unité juvénile, faisait l'envie du reste du Canada en tant qu'institution. Nous sommes obligés de trouver des moyens pour y envoyer nos jeunes. Il faut passer par un dossier en matière de protection de la jeunesse pour être certain que le jeune peut y être envoyé. Il faut convaincre un juge de ne pas ordonner de mise sous garde parce que, s'il y a mise sous garde, cela empêche d'envoyer un individu à l'Institut Philippe-Pinel.

S'il vous plaît, là où les provinces veulent occuper ce champ-là et créer une institution, permettez que l'on puisse s'en servir.

.1040

Il y a aussi, dans notre système judiciaire, certaines incohérences. Je suis personnellement convaincu que des jeunes adolescents nous regardent aller et se questionnent, avec raison, sur notre sérieux en tant qu'adultes. Le système d'adversaires est excellent et doit demeurer, mais il doit être adapté.

Tous les juristes savent ce que ressent un avocat, qui a rencontré un jeune quatre ou cinq minutes la veille ou le jour d'une comparution, quand il entre dans une salle d'audiences et enregistre un plaidoyer de non-culpabilité. Mais essayez de faire comprendre cela à un juvénile quelque peu délinquant ou à ses parents. Il s'est fait prendre en flagrant délit. Il a assailli un policier, il l'a avoué à son intervenante sociale, à son professeur d'école et à ses parents et l'individu qu'il a vu pendant trois minutes entre dans une salle et dit: «Non coupable». Il faut nous permettre de ne pas enregistrer un plaidoyer, soit de culpabilité ou de non-culpabilité, à ce stade-là. On devrait être capables de décaler le plaidoyer pour faire une première entrevue et examiner le lien qu'il y a là.

Il ne faut pas s'imaginer que le plaidoyer de non-culpabilité est un plaidoyer de complaisance. Avant de décider, comme avocat, de donner un casier judiciaire qui, dans certains cas, restera pendant fort longtemps - je n'ai qu'à vous référer aux articles de C-19 sur le casier judiciaire qui précisent qu'ils peuvent être gardés pour cinq ans et même plus - , je veux bien être certain qu'on enregistre un plaidoyer de culpabilité pour les bonnes choses.

Deuxièmement, la Couronne elle-même agit avec des juvéniles de la même façon qu'elle agit avec des adultes. On met là à peu près 12 chefs d'accusation relativement aux mêmes événements pour être certain de ne rien oublier. Quand on va regarder tout cela par la suite, on va constater qu'il y a de la preuve sur un ou deux chefs. Donc, en tant qu'avocat, je n'irai pas plaider coupable aux 12 chefs d'accusation juste pour le plaisir de régler le dossier. Je vais m'assurer que l'un des deux chefs mentionnés par la Couronne est vraiment celui pour lequel l'individu est impliqué.

J'ai souvent demandé à la Couronne d'oublier cette stratégie avec des juvéniles, mais elle continue de faire cela, parce que plus il y en a, plus le plaidoyer vient rapidement par la suite.

J'aurais beaucoup à ajouter, mais je sais que votre temps est limité. Je voudrais attirer votre attention sur un autre aspect, en tant que parent plutôt qu'en tant que juriste. Les policiers sont obligés d'informer les parents lorsque l'individu adolescent est gardé en détention. La loi prévoit qu'il y aura pour les parents une copie de toutes les sommations qui seront envoyées au jeune. Mais les parents constatent souvent, le jour où on les appelle pour leur dire dire qu'on garde leur jeune en détention, que le même adolescent avait été interpellé trois, quatre ou cinq fois auparavant, qu'il n'y avait pas eu de suite et pas d'accusation et qu'ils n'en avaient jamais été informés. Il ne faut pas s'imaginer que c'est le jeune qui va dire à ses parents qu'il a été soupçonné d'un délit par la police et qu'il n'a pas été accusé.

Les policiers devraient toujours aviser les parents du fait que leurs jeunes ont été interpellés, ne serait-ce que comme témoins ou autrement. C'est beaucoup demander aux policiers mais, de plus en plus, on retrouve dans des postes de police des techniciens qui ne sont pas des policiers. Il y a maintenant des civils qui, dans les jours qui suivent, peuvent informer les parents dont le fils ou la fille a été interpellé.

Il y a un dernier élément qui crée des problèmes et qui est directement lié à la loi. On a décidé, et je pense que c'est sain de le faire, que la procédure de poursuite en matière de jeunes contrevenants serait celle des procédures sommaires par déclaration sommaire de culpabilité. En soi, c'est excellent, mais il y a un inconvénient. Cette procédure oblige à porter des accusations au lieu de la commission de l'infraction.

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Il arrive que des individus domiciliés à Montréal qui sont allés chez un ami en Gaspésie durant l'été sont impliqués dans un délit. L'accusation va être portée en Gaspésie alors que le jeune est à Montréal. En matière d'actes criminels, nous avons l'avantage de pouvoir porter des accusations là où l'individu se trouve. Il me semble que les techniciens du ministère devraient pouvoir nous donner la possibilité d'accuser un individu là où il se trouve, même si la procédure est sommaire.

Encore là, je laisse aux spécialistes le soin de trouver ce mécanisme. Je vous avoue que cela crée un problème majeur. C'est de plus en plus fréquent, parce que les gens voyagent beaucoup.

Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie, monsieur Bastien.

Il nous reste un peu de temps.

Monsieur St-Laurent, vous avez 10 minutes.

M. St-Laurent: Je vous remercie.

[Français]

Je vais poursuivre sur la déclaration sommaire de culpabilité.

Chez moi, à Sept-Îles, beaucoup de gens qui sont entrés à la prison avaient été accusés sur déclaration sommaire de culpabilité. Le système, donc le gouvernement, avec l'argent des contribuables, a dû payer leur transport à Montréal ou à Québec, et ils étaient accompagnés par des agents, naturellement. On parle donc de sommes énormes. Je suis entièrement d'accord avec vous.

Monsieur Bastien, vous avez parlé de la réaction des avocats qui représentent des enfants. Vous avez aussi parlé, entre autres, de la possibilité de décaler un plaidoyer de culpabilité ou de non-culpabilité. Pour ce qui est du comportement professionnel d'un avocat, je sais, pour l'avoir constaté moi-même, qu'il y a un peu plus que cela quand un avocat défend un enfant qui a été molesté et qu'on entend l'agresseur faire état de la situation dans la boîte des témoins. C'est pratiquement inhumain, tant pour l'avocat que pour la pauvre victime.

Voulez-vous aussi parler de ce comportement-là ou si vous vous en tenez seulement à l'élément de droit?

Me Bastien: Non, surtout pas à l'élément de droit. Le comité du Barreau du Québec visait tout sauf le comportement de droit. Les avocats ont reçu une formation adéquate là-dessus.

Prenons l'exemple du Code de déontologie des avocats du Québec. Il comporte plusieurs articles et chacun de ces articles commence par le mot «client», mais il n'y a pas de distinctions quant à l'âge du client.

En tant qu'adulte, lorsque j'ai un client adulte, même s'il n'est pas souhaitable d'avoir un comportement semblable, je peux lui dire: «Il n'y a rien là. Les policiers sont tous des pourris, ils ont mal travaillé, etc.», pour justifier des honoraires ou pour prouver que je suis un bon avocat.

Avec un juvénile, on ne devrait pas avoir le droit de faire cela. On ne devrait pas avoir ce droit parce que nous sommes d'abord des adultes, des professionnels. Le juvénile nous voit d'abord comme un adulte qui intervient auprès de lui et, si je banalise la loi ou si je ridiculise le système policier ou judiciaire en lui disant qu'on va s'en sortir en plaidant en vertu de la Charte, je l'assieds sur ses convictions.

Je dois le représenter professionnellement en lui faisant valoir tous les moyens de défense possibles et adéquats et je dois aussi faire attention à la façon dont je lui présente cela et à la façon de véhiculer cette règle de droit, ne serait-ce que pour expliquer ce qu'est un plaidoyer de non-culpabilité. Cela demande un certain temps et ce n'est pas nécessairement tout le monde qui le prend. Surtout, on ne nous donne pas ce temps.

.1050

Vous savez que les délais sont importants en matière juvénile. Je suis de ceux qui pensent que le temps n'a pas le même sens pour un jeune, mais je suis persuadé qu'à vouloir aller trop vite, on néglige un autre aspect des choses.

Il faut bien dire qu'un jeune contrevenant ayant commis un délit arrive généralement avec très peu d'estime de soi. Comme nous le savons tous, l'estime de soi est une chose qu'il faut constamment retravailler. Le jeune contrevenant a généralement perdu confiance envers tous les adultes qui l'entourent, aussi bien ses parents et ses professeurs que l'intervenante sociale qui s'en est occupée en matière de protection.

Quand j'arrive devant lui, en tant qu'adulte et professionnel, je dois le rencontrer très rapidement et enregistrer un plaidoyer de non-culpabilité. Il ne faut quand même pas espérer que j'obtienne la confiance de cet individu dans les minutes qui suivent, tout simplement parce que je suis avocat. Je dois gagner sa confiance petit à petit, certainement pas en récitant le Code criminel et en lui expliquant les règles de droit, mais bien plutôt en l'écoutant et en essayant de l'amener à me faire confiance. Ce n'est qu'ensuite qu'il sera possible de s'organiser pour le représenter et l'amener, dans 98 p. 100 des cas, à une reconnaissance des faits. Mais tout cela se construit et c'est un processus qui doit être édifié.

Ainsi, le rapport insiste sur le fait que la confiance ne s'accorde pas automatiquement, mais que vous devez la mériter. Si vous êtes avocat, ce n'est pas le jeune qui va vous dire qu'il ne veut plus de vous ou qu'il n'a pas confiance en vous, car il ne dira pas ce genre de choses à un adulte qu'il ne connaît pas. Il pourra dire cela à ses parents ou à ses amis. Par conséquent, je dois être à l'écoute. En tant qu'avocat, si je m'aperçois qu'il n'a pas ou plus confiance en moi et que je suis incapable d'obtenir la moitié des faits dont j'ai besoin, je pense que j'ai le devoir de me démettre de ce dossier-là au lieu d'insister pour justifier un horaire de travail et de forcer le jeune à faire ou à dire quelque chose.

Il est certain que je peux lui dire de plaider coupable et qu'il le fera à ce moment-là, mais plus tard, quand il faudra fournir un rapport prédécisionnel, il niera les faits. On voit en effet de plus en plus d'individus qui enregistrent un plaidoyer de culpabilité et qui ensuite nient les faits. Il y a donc très souvent un manque de communication et de confiance mutuelle. C'est pourquoi, en tant qu'avocat, je pose le problème et vous dis qu'il faut prendre le temps nécessaire pour cette démarche.

Il est également souhaitable que nous ayons la possibilité d'accéder à une formation, non seulement en droit mais aussi en psychologie ou d'autres matières. Nous pensons qu'il est important de savoir comment s'adresser à un adolescent. On a des enfants et on n'a pas toujours réussi comme on l'aurait voulu avec nos adolescents. Quand nous nous trouvons avec les adolescents des autres, il est important de pouvoir poser les bonnes questions et de s'adresser à eux de la meilleure façon possible.

M. St-Laurent: Monsieur Bastien, je voudrais changer de sujet et passer aux travailleurs sociaux de rue. Cela fait quelques années, je pense, que vous êtes dans le métier et que vous défendez des délinquants, mais à l'époque où vous avez commencé, je pense que cela n'existait pas. Donc, en tant que professionnel de la défense des délinquants, et aussi en tant que père de famille, pouvez-vous nous dire s'il y a une amélioration, car j'imagine quand même qu'il n'y a pas eu de détérioration? Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez des travailleurs sociaux de rue?

Me Bastien: Tout d'abord, vous avez bien raison de dire qu'il y avait beaucoup moins de travailleurs sociaux de rue. En tout cas, on en entendait peu parler. À l'époque, ces gens-là étaient plutôt des bénévoles qui avaient une sorte de vocation.

Je peux dire que dans les grands centres que je connais bien, de plus en plus de jeunes ne sont plus à l'école ni sur le marché du travail et sont dans la rue. Il a donc fallu répondre à ce besoin en mettant des travailleurs sociaux dans la rue pour qu'ils puissent aller les chercher. On a dû trouver des systèmes qui n'étaient pas institutionnels car l'institution ne serait pas allée les chercher. Cette année, on a aussi créé des maisons de jeunes.

Il faut se rendre compte que cette situation répond à une réalité moderne qui est loin d'être satisfaisante, mais il faut faire le triste constat que nous en sommes là. Il est en effet bien triste de constater que de plus en plus de jeunes ont de moins en moins d'argent et que la majorité d'entre eux ont des problèmes de drogue, ce qui les rend encore plus méfiants envers le monde adulte. Ils n'iront d'ailleurs pas tout seuls vers les travailleurs sociaux de rue mais plutôt avec deux ou trois amis. C'est la même chose en ce qui concerne les maisons de jeunes. Ils doivent s'investir eux-mêmes pour avoir le goût de revenir seuls, demander de l'aide si cela leur est nécessaire et se faire orienter dans le bon sens.

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Généralement, les jeunes qui fréquentent des travailleurs sociaux de rue ne demandent pas d'aide, mais ils l'obtiennent quand même car on leur suggère des solutions, surtout en ce qui concerne la toxicomanie. Je pense que c'est très important. On doit aller chercher les jeunes là où ils sont, et le plus souvent, quand ils sont avec ces travailleurs sociaux, ils ne commettent pas de délits.

M. St-Laurent: Vous avez mentionné que la Loi sur les jeunes contrevenants n'avait pas d'emprise sur les parents. Je trouve que c'est un gros défaut. Comment pensez-vous que l'on puisse y remédier? Devrait-on ajouter des éléments? Il est certain que je vous demande quelque chose d'assez précis, mais je pense qu'on est capable de répondre assez largement en ce sens. Pouvez-vous nous dire si vous souhaiteriez que l'on ajoute, dans le projet de loi, des responsabilités parentales, ou encore que l'on envoie automatiquement aux parents une copie d'un avertissement concernant un geste criminel? Quelles solutions préconiseriez-vous?

Me Bastien: La première des choses - et je pense que c'est capital - , c'est que le parent, peu importe que l'opinion que nous avons de sa présence soit bonne ou mauvaise, doit recevoir des informations concernant les activités délinquantes de son fils, qu'on l'ait accusé ou non. Je pense que les parents doivent être informés de l'enquête dont leur enfant a fait l'objet au sujet d'un délit, même si on n'a pas les preuves nécessaires.

Les parents qui voudront se préoccuper de cette réalité pourront apporter les correctifs nécessaires. Il est certain qu'il y aura toujours des parents qui féliciteront leur enfant de ne pas s'être fait prendre. Par contre, ceux qui voudront en bénéficier pourront le faire. Je soutiens donc qu'il est important que les parents soient impliqués.

Mais il y a un autre aspect qui peut poser un problème et j'en ai déjà parlé dans mon commentaire. En effet, on ne pourra pas, en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, en déclarant un fils coupable d'introduction par effraction, ordonner au père qui est absent ou toxicomane ou à la mère qui a des problèmes particuliers d'aller suivre une thérapie. Théoriquement, le juge n'a pas de soutien juridique pour lui ordonner cela.

C'est la raison pour laquelle je vous disais qu'en matière de protection de la jeunesse, on pourrait le faire. La Loi sur les jeunes contrevenants permet de constater qu'il y a eu un délit et sanctionne le délit. Cela nous permet de comprendre les raisons qui ont conduit au délit. Vous avez d'ailleurs ajouté un principe qui demande que l'on essaie de comprendre ce qui a conduit l'individu à commettre une telle action.

Si le délit nous permet de constater qu'il y a un problème dans la cellule familiale, il me semble que le volet protection devrait intervenir. Cependant, c'est lourd à porter car il faut ouvrir deux dossiers et faire intervenir deux types d'intervenants. Mais si on néglige un de ces aspects, il va falloir recommencer six mois plus tard. En effet, le jeune va faire sa période de probation. Il va respecter les conditions en allant pendant 6 ou 18 mois dans un centre de réadaptation.

Pendant cette période, les parents ne vont pas s'améliorer parce qu'ils auront l'impression d'avoir un répit. Le jeune n'étant plus là, il ne sera plus un sujet d'inquiétude. Mais le problème qu'on leur reprochait ne sera pas réglé. Et quand on va leur rendre le jeune dans six ou huit mois, on va le remettre dans un milieu qui n'aura pas changé ou qui sera peut-être devenu pire. Ensuite, si le jeune récidive, on va lui reprocher de ne pas avoir profité de la chance qu'on lui avait offerte. Et pourtant, on n'a rien fait pour corriger et améliorer le milieu.

Je crois donc qu'il faut essayer de se donner les moyens nécessaires pour aider les jeunes. Si on ne peut pas intervenir dans la Loi sur les jeunes contrevenants, il faut au moins s'assurer d'un minimum. Vous avez dit que le directeur provincial et la DPJ étaient deux entités. Dans votre loi constitutive, vous n'avez pas dit que le directeur provincial aurait nécessairement une autorité semblable en matière de protection.

Ce sont les provinces qui ont décidé de joindre ces deux responsabilités et de les donner au même individu. Par conséquent, si on joint ces responsabilités en les donnant à un même individu, on devrait pouvoir ouvrir un seul dossier et le régler. Il faudra peut-être réfléchir à l'opportunité de donner cette responsabilité à un seul et même individu. Peut-être doit-on avoir une direction autonome pour les jeunes contrevenants et peut-être faut-il encourager les gens à se servir de deux lois lorsque c'est nécessaire.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie.

Monsieur Ramsay, vous avez 10 minutes.

.1100

M. Ramsay: Je vous remercie, madame la présidente.

Votre exposé m'a fort impressionné. Je suis sûr que ce qui vous motive à faire cet exposé, c'est que vous vous intéressez honnêtement et sincèrement au bien-être des enfants. Je trouve cela réconfortant de la part d'un avocat de la défense. J'aurais pu vous écouter encore pendant longtemps et je pourrais vous poser de nombreuses questions au sujet de ce que vous avez dit car j'abonde dans le même sens que vous.

Vous avez dit que, contrairement à la Loi sur les jeunes délinquants, la Loi sur les jeunes contrevenants ne vise pas vraiment à protéger la société. Je vous ai peut-être mal compris car je prenais des notes rapidement. Pourriez-vous étoffer ce que vous avez dit, si c'est bien ce que j'ai compris?

Je fais le lien entre ceci et ce que vous avez dit tout à l'heure. Vous avez dit qu'il devrait y avoir une nouvelle infraction dans le Code criminel pour sanctionner les adultes qui encouragent les enfants ou les jeunes à avoir des démêlés avec la justice. En vertu de l'ancienne Loi sur les jeunes délinquants, il y avait une infraction qui s'appelait l'incitation d'un mineur à la délinquance. Recommandez-vous que l'on rétablisse cette infraction ou que l'on adopte quelque chose d'analogue? Pourriez-vous aussi nous préciser ce que vous entendez quand vous dites que la Loi sur les jeunes délinquants n'est plus une loi de protection comme l'était la Loi sur les jeunes délinquants?

[Français]

Me Bastien: En ce qui concerne la première partie de votre question, j'ai eu l'occasion d'élaborer longuement sur cette réalité, à savoir la différence entre la Loi sur les jeunes délinquants et ce qui était la Loi sur les jeunes contrevenants de 1982. Le texte de cette thèse sera bientôt publié dans le journal de l'Université d'Ottawa.

Il y a eu un colloque à la Faculté de droit civil de l'Université d'Ottawa, et je pense que M. Dupuy y était, sur un sujet qui m'intéressait. À la lumière des décisions rendues par la Cour suprême en 1982 et des commentaires qu'on a faits sur les jeunes contrevenants, de même que des comparaisons qu'on a faites avec ce qu'ont fait les juges de la Cour suprême avec l'ancienne loi, je suis arrivé à la conclusion qu'effectivement la Loi sur les jeunes délinquants était une loi qui soignait, qui recherchait un remède plutôt qu'une sanction. En effet, le délit commis était une occasion de constater qu'il y avait un problème et, peu importe l'acte qui avait été commis, on cherchait seulement à régler le problème.

En ce qui concerne la transgression d'un règlement municipal, qui était couverte par la Loi sur les jeunes délinquants à l'époque, si cela nous permettait de constater qu'un individu était abandonné par sa famille, on pouvait intervenir sur le délit en question pendant 18 mois ou deux ans. À l'époque, on pouvait même placer des jeunes pour une durée indéterminée. Le délit n'avait aucune importance et aucun lien avec la mesure prise.

Quand la Loi sur les jeunes contrevenants est arrivée, on a créé la responsabilisation. On a dit que les jeunes allaient être responsables de leurs actes, mais à un degré moindre que les adultes. Cette seule déclaration de principe amenait la sanction, la conséquence à l'acte. Pour un acte commis, il y avait une sanction, de sorte que, inconsciemment ou consciemment - car je ne sais pas comment les législateurs fonctionnaient à l'époque - , on a créé un code où le rigorisme avait sa place jusqu'au verdict.

Pour arriver à une déclaration de culpabilité, on respecte la Charte, on respecte des principes, on respecte la procédure. Mais une fois que l'individu est déclaré coupable, on oublie le Code criminel et on «soigne»; on cherche un remède ou un correctif. Mais il y a toujours, malheureusement ou heureusement, un degré de proportionnalité selon la perception de chacun, tandis que pour un vol à l'étalage, même si on a identifié un problème majeur, la Loi sur les jeunes contrevenants ne nous permet pas d'intervenir pendant 18 mois. Elle intervient en tenant compte du délit qui a été commis. Il y a un lien de proportionnalité et ce lien de proportionnalité a été accentué avec les amendements du projet de loi C-37 qui est devenu C-19.

.1105

Vous avez, dans le projet de loi C-19, introduit une règle qui empêche un juge de penser à l'hébergement sans abandonner toutes les autres mesures de l'article 20. Auparavant, cela n'existait pas. Aujourd'hui, c'est statutaire et un juge ne peut pas penser à un hébergement comme conséquence à l'acte sans expliquer pourquoi il ne retiendra pas chacune des mesures de l'article 20 autres que l'hébergement. Cela n'existait pas et cela existe maintenant depuis décembre 1995.

Il est donc de plus en plus vrai maintenant qu'il y a un élément de proportionnalité dans les sanctions, eu égard au geste commis.

C'est la première partie du problème et la première distinction. Pendant que vous étiez absent, monsieur Dupuy, j'ai mentionné que j'avais eu l'occasion, à Ottawa, d'élaborer sur la distinction entre la Loi sur les jeunes contrevenants et la Loi sur les jeunes délinquants concernant les deux approches. Ce texte-là sera disponible bientôt dans le journal de l'Université d'Ottawa. J'ai corrigé les épreuves récemment, et il devrait, en principe, être publié en octobre. J'attire donc votre attention sur ce sujet.

Pouvez-vous me rappeler l'autre aspect de votre question?

[Traduction]

M. Ramsay: C'était relié à la création d'une nouvelle infraction dans le Code criminel.

M. Bastien: Ce que je veux n'est pas vraiment la même chose.

[Français]

L'article 33 concernant le détournement de mineur faisait abstraction du consentement. À l'époque, par exemple, l'article 33 disait qu'un garçon de 18 ou 19 ans, adulte, qui avait des relations sexuelles avec une fille de 17 ans était accusé de détournement de mineure. Il y avait des distinctions qui ne fonctionnaient pas.

Actuellement, un adulte peut être accusé d'un vol commis avec un jeune, mais il n'y a pas d'accusation supplémentaire pour avoir incité un jeune à agir.

Je voudrais qu'il soit dit clairement que la complicité n'est pas une infraction, mais seulement la participation à un crime. Par contre, le complot doit être considéré comme une infraction. En effet, le fait de s'entendre entre trois individus pour commettre un crime et le fait de le commettre constituent deux infractions.

Personnellement, je souhaiterais, dans le cas où un adulte inciterait un jeune à commettre un délit, que l'adulte soit accusé d'une part de l'acte comme tel, mais aussi, d'autre part, d'avoir incité un jeune à agir. Je pense que cela pèserait plus lourd, tant en ce qui concerne le casier judiciaire que la sentence.

Il ne s'agit pas de rechercher et d'accuser du monde pour le plaisir d'accuser, mais il faut faire passer un message au monde adulte autrement qu'en durcissant une loi sur les jeunes contrevenants qui vise essentiellement les jeunes contrevenants. Ce message nous permettrait à nous, adultes, de voir que nous sommes un peu responsables quand nous achetons une télé volée ou un système de son volé, quand nous vendons de la drogue à des individus ou quand nous avons un jeune prostitué comme client. Quand je dis «nous», je ne m'implique pas dans ces actes, mais en tant qu'adultes, on banalise trop facilement la chose. Il faudrait que les adultes comprennent que dorénavant, on ne leur pardonnera plus ce genre de choses.

Tout le monde est sensible à ces problèmes. Actuellement, on est d'ailleurs en train d'essayer d'imaginer un moyen de contrôler le tourisme sexuel. Cela part du même esprit et il faut s'y mettre.

[Traduction]

M. Ramsay: Nous avons entendu tout à l'heure des témoignages qui m'ont choqué; les témoins précédents nous ont dit que, dans certaines localités, l'inceste est presque chose admise. Malheureusement, nous n'avons jamais assez de temps à consacrer aux témoins, et je n'ai pas pu leur demander si des accusations avaient été portées contre les parents par suite de ce qui avait été révélé. Quelle est votre réaction à vous? Estimez-vous que l'on applique la loi avec assez de rigueur dans les cas d'inceste ou de sévices sexuels commis par les parents? Pensez-vous que ces lois sont appliquées comme il se doit?

.1110

[Français]

Me Bastien: C'est certainement insuffisant et je pense que ce devrait être plus sérieux. Le problème que l'on a dans cette relation parent-enfant, lorsqu'on a décidé d'intervenir contre les parents qui sont accusés, c'est qu'on brise la cellule familiale. Il y a certainement d'autres dimensions qui permettent, à un moment donné, de tempérer l'action. Ce n'est pas parce que ce sont des parents que l'on ne doit pas intervenir.

J'avais cependant l'intention d'attirer votre attention sur un autre élément du même genre. Il existe, dans le Code criminel, l'article 215 qui prévoit des devoirs concernant le maintien de la vie, et on vise les parents qui négligent de subvenir aux besoins de leurs enfants, entre autres, mais on ne voit plus d'accusations de cette nature. Pourtant, c'est encore dans le Code criminel.

Personnellement, je me souviens, quand j'ai commencé ma pratique en 1973, avoir vu beaucoup de parents accusés de ne pas subvenir aux besoins de leurs enfants. Aujourd'hui, il n'y en a plus parce que l'État en a pris la charge. L'État intervient en termes de protection de la jeunesse, en vertu de l'aide sociale. Des pères peuvent disparaître et ne plus s'occuper de leurs enfants, les deux parents peuvent aussi disparaître et ne plus s'occuper de leurs enfants, mais la Justice ne bouge pas. Il me semble pourtant qu'il serait temps. Il ne s'agit pas de vouloir poursuivre tout le monde, mais il y a des réalités qui existent encore et qu'on oublie.

Il est certain qu'il faut avoir du jugement. Tout délit doit être sanctionné. Je pense entre autres à l'inceste qui était toléré dans certains milieux pour toutes sortes de raisons, culturelles ou autres, bien que je pense que personne ne l'accepte vraiment, mais on ne doit pas le tolérer et s'il y a des accusations à porter, il faut les porter. Il y a cependant, comme dans toute accusation, des moyens de régler certains cas autrement.

Il existe d'ailleurs des processus de mesure de rechange qui viennent d'être introduits concernant les adultes. Avec le projet de loi C-22 qui a été mis en vigueur le 3 septembre, vous avez exactement le même genre de pouvoir. Si des parents sont coupables, on peut peut-être les accuser sans les envoyer en prison, en utilisant plutôt le mécanisme qu'on vient de créer qui est celui des mesures de rechange,

[Traduction]

des mesures de rechange pour les adultes. Cela existe déjà.

[Français]

Je pense donc, pour toutes ces raisons, qu'on a des moyens, mais il faut vouloir les utiliser. Je ne suis pas sûr que tout le monde le veuille.

[Traduction]

La présidente: Merci, monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Merci, et je suis d'accord avec vous.

La présidente: Monsieur Maloney.

M. Maloney (Erie): Est-ce que ça signifie que la Loi sur les jeunes contrevenants va devenir la cible de toutes les critiques relatives au système judiciaire mis en place pour les jeunes?

Vous avez fait la comparaison entre la Loi sur les jeunes délinquants et la Loi sur les jeunes contrevenants. Y a-t-il des éléments de la Loi sur les jeunes délinquants qui, selon vous, pourraient être utiles dans une nouvelle version de la Loi sur les jeunes contrevenants?

Est-ce qu'on pourrait rassembler les bons éléments de chaque texte pour en faire un meilleur?

[Français]

Me Bastien: Je vais être très clair. Je pense qu'il ne faut pas revenir à la Loi de 1908. La Loi de 1982 prévoyait un équilibre difficile mais important. On a fait de la Loi sur les jeunes contrevenants, avec les amendements de 1986 et de 1992, et particulièrement ceux de 1992, une get tough law, une loi très dure. Il est certain que tous les aspects de protection en seront expulsés, parce que quand on revient au get tough, on doit nécessairement ajouter des choses dans les garanties procédurales.

Avant de penser envoyer quelqu'un en centre de réadaptation pour une dizaine d'années ou même sept ans, il est certain qu'il va falloir lui donner toutes les garanties de la Charte et autres, toutes les garanties procédurales. Il est certain qu'à partir du moment où une loi se durcit, on doit donner à l'individu impliqué toutes les garanties qui vont avec le durcissement.

Quand la Loi de 1982 prévoyait une intervention relativement courte, elle pouvait garder, en matière de traitement, énormément d'éléments des lois de protection. Si vous vous amusez à en relire tous les principes, vous vous apercevrez que dans la Loi de 1982, il y avait énormément de principes directement issus de la Loi sur les jeunes délinquants, mais qu'on les avait déplacés; on les avait mis strictement dans le traitement,

[Traduction]

après la condamnation.

.1115

[Français]

Il y avait énormément de possibilités. La loi prévoyait un degré de proportionnalité différent, mais il y avait énormément de possibilités. Je ne sais pas si c'est un phénomène législatif, mais on dirait que pour faire passer une loi au Canada, on la durcit sous certains aspects et on introduit des principes adoucisseurs sous d'autres aspects, de sorte que, finalement, ce n'est plus la même loi. Je pense que c'est ce processus qui doit être revu.

Il faut faire un choix, c'est-à-dire décider d'en faire une loi qui nous permet de traiter après une condamnation ou bien d'en faire une loi criminelle purement et simplement. Si ce n'est pas une loi criminelle que l'on veut avoir pour ce qui est du traitement, il est clair qu'on pourra réintroduire des notions de protection, des notions d'aide à l'enfance ou aux jeunes contrevenants. Autrement, il faudra oublier cela.

[Traduction]

M. Maloney: Quelle formule préférez-vous et pourquoi?

[Français]

Me Bastien: L'approche de 1982.

[Traduction]

Celle de 1982 - je pense que la dernière tentative n'était pas très réussie.

[Français]

Le durcissement de la Loi C-19 de 1995 est allé, à mon avis, un peu loin, particulièrement quand on prévoit l'escalade nécessaire dans les sanctions. Avant les amendements de 1995, quand un individu était déclaré coupable d'une introduction par effraction, la seule règle que le juge était tenu d'observer était de ne pas donner une sentence plus lourde que celle qu'un adulte aurait eue dans les mêmes circonstances. C'était la seule règle.

Il pouvait, dès la première offense, imposer huit mois d'hébergement. Ce n'était pas coutumier, mais c'était possible. Depuis les amendements de 1995, le juge ne peut plus faire cela. Depuis les amendements de 1995, le juge doit d'abord passer par la période de probation et justifier la raison pour laquelle il ne retient pas la probation, justifier les raisons pour lesquelles il ne retient pas une autre mesure avant de passer à la mesure. En ce qui concerne la mesure d'hébergement en milieu sécuritaire, on lui donne aussi des étapes à franchir avant de retenir la mise sous garde fermée.

Si vous relisez la décision de R. c. M. (J.J.) de la Cour suprême en date de 1993, vous verrez que le juge dit qu'on peut tenir compte du milieu familial pour intervenir jusqu'à un degré intéressant. Mais ce n'est pas nécessairement la logique de sa décision.

Alors, dans le cas d'une introduction par effraction qui nous permettait d'aller techniquement jusqu'à trois ans et qui nous était présentée dans un contexte de milieu familial carrément défait, le juge pouvait, dans le cas d'un premier délit, avant 1995, intervenir et envoyer le délinquant pour un période de huit mois en réinsertion sociale dans un centre de réadaptation. Depuis 1995, il ne le peut plus parce que les règles établies aux articles 24 et suivants sont totalement différentes.

On a voulu allonger, durcir, mais en même temps, on a voulu convaincre que le durcissement n'arriverait qu'en dernier ressort. Alors, on a mis des règles et des étapes pour y parvenir et en faisant ça, on empêche d'agir au moment où on le voudrait. Je suis certain qu'il y a maintenant des gens qui souhaitent que les jeunes récidivent le plus rapidement possible pour pouvoir arriver à la vraie solution. C'est un peu stupide mais il faut reconnaître qu'on en est arrivé là.

[Traduction]

M. Maloney: Vous avez dit qu'en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse il existe des moyens de faire intervenir les parents, ce qu'on ne trouve pas dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Pourriez-vous être plus précis?

[Français]

Me Bastien: La Loi sur la protection de la jeunesse est valable de 0 à 18 ans, du moins au Québec. Lorsqu'un juge constate que la sécurité ou le développement d'un enfant est compromis, il y a plusieurs motifs possibles, mais un des motifs qui, je pense, est très relié à la Loi sur les jeunes contrevenants, c'est le trouble de comportement majeur. Un trouble de comportement peut être la consommation de drogue. On peut aussi parler d'un individu qui ne revient pas coucher à la maison, des fréquentations en gang ou encore de l'absentéisme scolaire, etc. Quand les parents ne viennent pas à bout de cette réalité, le tribunal intervient et déclare que la sécurité ou le développement est compromis.

.1120

D'autre part, avec les évaluations que l'on possède, on constate qu'on ne peut pas, dans les circonstances, imaginer que le jeune va récupérer son autonomie avant une intervention de 18 mois en centre de réadaptation.

Cela n'a rien à voir avec un délit qui aurait été commis. C'est uniquement un portrait que l'on se fait de l'individu, avec tous les problèmes qu'il peut avoir, et on a décidé que l'intervention serait celle qu'on nous a présentée, c'est-à-dire 18 mois en centre de réadaptation.

Mais cette intervention-là ne se fait pas que sur le jeune lui-même. La personne qui est responsable du dossier a la nécessaire obligation d'apporter aide et conseils, non seulement à l'enfant, mais aussi aux parents, de sorte que si le centre travaille avec l'enfant, on doit associer les parents et on doit aussi travailler avec eux pour que chaque partie du même problème soit réglée dans les 18 mois. Si, effectivement, il y a une compatibilité dans l'évolution, il est possible que la période de 18 mois soit raccourcie par décision judiciaire et que le jeune retourne dans son milieu. Les parents ont l'obligation, et c'est une ordonnance du juge, de participer, parce qu'ils sont partie prenante dans le dossier. Les parents ont d'ailleurs leur avocat.

[Traduction]

M. Maloney: Quelles sont les sanctions prévues si les parents qui ne participent pas au programme?

M. Bastien: Dans la Loi sur la protection de la jeunesse, ils peuvent et même doivent participer.

M. Maloney: Mais s'ils ne le font pas? Quelles sanctions...

M. Bastien: Ils finissent par y participer.

M. Maloney: Envisagez-vous des liens plus étroits entre la Loi sur la santé mentale des enfants et notre système judiciaire pour les jeunes? Est-ce que ce serait une bonne chose?

M. Bastien: Non.

M. Maloney: Pourquoi?

[Français]

Me Bastien: Non. Si on mélange les deux lois, on risque de faire passer un mauvais message. Telle que conçue, la Loi sur les jeunes contrevenants veut sanctionner des comportements que la société n'accepte pas, des comportements dont les jeunes sont responsables.

Quand un avocat représente un jeune contrevenant, ce dernier sait qu'il va y avoir une conséquence et il n'est pas surpris. Il est certain qu'ils vont nous mandater pour convaincre le tribunal et faire en sorte que la conséquence soit la plus petite possible, mais ils savent qu'il va arriver quelque chose.

[Traduction]

Ils sont au courant.

[Français]

En matière de protection, le jeune n'a souvent rien à voir techniquement avec la mesure qui va lui être destinée. Prenez le cas de la jeune fille qui est abusée sexuellement par le nouveau conjoint de sa mère et dont la mère, qui ne veut pas perdre son conjoint, décide de croire le conjoint qui nie plutôt que de croire sa fille. La fille est victime et c'est elle qui se retrouve en centre de réadaptation pendant que le nouveau conjoint continue à vivre comme si rien ne s'était passé. Vous ne pourriez pas régler ces deux genres de problèmes en faisant un mix des deux lois.

Il est important que dans une loi, on vise une situation familiale ou une famille qui ne peut pas répondre aux besoins essentiels d'un ou de plusieurs enfants. Mais en matière de jeunes contrevenants, on vise le comportement du jeune contrevenant. Ce comportement peut être expliqué par un milieu familial non conforme ou non capable, mais c'est d'abord la sanction qui intervient.

On ne doit pas non plus continuer à dire ou à faire ce qu'on a souvent laissé entendre, à savoir que le jeune contrevenant qui a agi n'est pas responsable et que, par conséquent, il ne doit pas y avoir de conséquence. Il a commis un geste qu'on peut comprendre, mais il l'a commis et il doit y avoir une sanction.

Alors, il ne faut pas régler ce genre de comportement par des lois de protection qui sont de la nature du bien-être ou autre et enlever toutes notion de responsabilité. Ce serait une erreur de revenir à cela.

Il faut cependant permettre à ces deux lois de fonctionner ensemble et s'assurer qu'il y ait économie d'échelle à un moment donné, lorsque c'est possible. Il ne faut pas revenir en arrière.

[Traduction]

M. Maloney: Merci.

La présidente: Merci, monsieur Maloney.

Je vous remercie beaucoup de votre aide aujourd'hui. Nous vous en sommes reconnaissants.

Nous allons lever la séance pendant deux minutes, le temps que les témoins suivants s'installent.

.1124

.1131

La présidente: Nous reprenons la séance en compagnie du Regroupement des organismes de justice alternative du Québec.

Peut-être pourriez-vous d'abord nous présenter les personnes qui vous accompagnent. Je vois les noms: M. Simard, Mme Tamborini, M. Charbonneau et M. Béliveau. Je crois savoir que vous voulez faire la lecture de votre propre texte. Nous passerons ensuite aux questions.

[Français]

Mme Josée Tamborini (directrice de Trio Jeunesse, présidente du Regroupement des organismes de justice alternative du Québec): Madame la présidente, mesdames et messieurs, nous vous remercions de nous permettre de nous exprimer ici aujourd'hui. Nous espérons que tout le monde a eu une copie de notre mémoire.

Je vous présente M. Luc Simard, qui est membre du conseil d'administration du Regroupement des organismes de justice alternative du Québec et qui est également responsable d'un organisme de justice alternative à Sainte-Foy; M. Serge Charbonneau, le coordonnateur de notre regroupement; et M. Denis Béliveau, notre consultant. Je suis présidente du Regroupement et responsable d'un organisme de justice alternative dans la région de l'Outaouais.

Tout d'abord, pour vous situer rapidement, le ROJAQ, qui est un regroupement des organismes de justice alternative du Québec, est une association à but non lucratif composée de 39 organismes membres qui desservent tout le territoire québécois.

Il regroupe plus de 130 intervenants qui sont quotidiennement en contact avec des jeunes qui ont eu des démêlés avec la justice ainsi qu'un réseau de bénévoles qui aident à superviser le tout.

Ces organismes mettent en oeuvre un programme de mesures de rechange, tel que prévu dans la Loi sur les jeunes contrevenants depuis près de 10 ans. Les organismes s'appliquent à fournir des solutions de rechange au système pénal pour les mineurs avec l'appui et l'aide constante des bénévoles de la communauté.

Au coeur de leurs interventions, les organismes tentent de concilier les intérêts des parties impliquées, de protéger la société, de valoriser la notion de réparation et d'éviter quotidiennement la stigmatisation des jeunes.

J'aimerais vous donner quelques chiffres. En 1993, 10 992 jeunes ont été confiés à nos organismes partout au Québec; 56 p. 100 d'eux ont participé à un programme de mesures de rechange, 33 p. 100 à un programme sous une ordonnance du tribunal et 11 p. 100 ont fait l'objet de travaux compensatoires pour payer, par exemple, des infractions au code de la sécurité routière.

Cinquante neuf pour cent d'eux ont fait des travaux au bénéfice de la communauté, 24 p. 100 des adolescents ont participé à des mesures d'amélioration d'attitudes sociales, 3 p. 100 à des mesures de conciliation avec la victime et 11 p. 100 à des travaux compensatoires.

De plus en plus, les organismes tentent de diriger leurs interventions en médiation avec les victimes parce que les intervenants pensent que c'est une très bonne mesure que d'impliquer un adolescent et une personne qui a été lésée et de leur faire confiance pour qu'ensemble ils trouvent une solution au litige.

Nous tendons de plus en plus, grâce à la mesure de médiation, à donner une place active aux parties impliquées, à démystifier l'adolescence et à diminuer le sentiment d'insécurité que les gens peuvent vivre dans la communauté.

Selon nous, les gens peuvent se donner le meilleur contrôle par l'entremise de la médiation.

Je vais laisser M. Simard nous parler d'autres mesures.

M. Luc Simard (directeur d'Alternative Jeunesse Rive-Sud, directeur du Regroupement des organismes de justice alternative du Québec): Un partenaire très important, voire même primordial pour l'accomplissement de notre travail, ce sont les organismes collaborateurs. On peut dire qu'on a sûrement l'un des réseaux les plus développés au Québec au niveau des collaborations avec les organismes à but non lucratif.

.1135

Ce sont des personnes issues des communautés, des jeunes qui ont le désir de s'impliquer auprès des adolescents, tant au niveau du développement des programmes que de leur application. Ils sont vraiment impliqués dans toutes les sphères de notre organisation et sont des partenaires de premier ordre. Cette participation de la communauté est très importante et a des répercussions importantes, entre autres au niveau de la responsabilisation à l'égard des jeunes et de la justice. Par son implication, la communauté se sent un peu plus concernée par ce qui arrive à ses jeunes et par la Loi sur les jeunes contrevenants. Ceci lui permet aussi de démystifier un petit peu la délinquance, ce qui arrive à nos jeunes, la Loi sur les jeunes contrevenants, et d'avoir une vision plus réaliste des mesures qui peuvent être prises à l'égard des jeunes, entre autres défaire les préjugés qui peuvent parfois être véhiculés.

Pour ce faire, la communauté a besoin de beaucoup de soutien et d'aide, ce que nous lui offrons.

Nous croyons que l'implication de la communauté a des effets très bénéfiques pour les adolescents, y compris au niveau du sentiment d'appartenance que ces derniers peuvent avoir par rapport à leur propre communauté lorsqu'elle s'implique auprès d'eux. De plus, le processus judiciaire peut parfois être assez long, et cette implication vient mettre un visage sur la démarche et humaniser en bout de ligne le processus entrepris lors de la perpétration du délit.

Quant aux mesures comme telles, si on regarde l'amélioration des attitudes sociales, on constate que la communauté est très présente dans nos programmes et qu'elle accepte de s'investir bénévolement à partir de ses propres intérêts et de sa propre motivation pour accompagner les jeunes dans leur démarche. Les jeunes sont aussi invités à participer volontairement à des rencontres avec des personnes ressources issues de leur milieu avec lesquelles ils peuvent échanger sur des aspects qui les touchent plus particulièrement, que ce soit la toxicomanie ou la violence, par exemple.

Parlons de travaux communautaires. On permet au jeune qui accomplit des travaux communautaires de développer le sentiment qu'il y a réparation à la suite du délit qu'il a commis, donc que la boucle est fermée. Il y a eu perpétration du délit, puis il y a réparation. On peut ainsi transformer une situation perçue plutôt négativement en action positive par le biais d'un travail accompli au profit de la collectivité. Ce sont souvent des actions très concrètes et très utiles.

Pour nous, la notion de réparation est très importante. C'est une démarche qui peut facilement être comprise par les jeunes. Je pense que cette démarche devient plus significative pour le jeune parce qu'il en saisit bien le pourquoi.

Il est évident que s'il y a réparation directe auprès des victimes, la mesure s'avère encore plus concrète; le jeune a plus de facilité à la saisir et il peut y avoir des répercussions au niveau de l'accomplissement. La réparation symbolique, par le biais des travaux communautaires, nous apparaît une excellente solution alternative.

Il est important de préciser que l'objectif premier de cette mesure est la réparation symbolique. Si, comme il nous arrive de le constater, nous glissons vers des objectifs autres que la réparation symbolique, nous passerons à côté des objectifs premiers que visait cette mesure. Nous demanderions ainsi à la communauté qui s'investit de s'investir différemment et je ne crois pas que ce serait souhaitable.

Monsieur Charbonneau, je vous cède la parole.

M. Serge Charbonneau (coordonnateur du Regroupement des organismes de justice alternative du Québec): Je me permettrai, compte tenu du retard avec lequel nous avons présenté notre mémoire, de faire un rappel des points saillants du mémoire et d'aborder des questions peut-être un peu plus générales qui préoccupent votre comité et qui ont trait à la criminalité dans son sens large, au sens qu'on doit donner à nos actions, à la nécessité de la loi et à d'autres sujets connexes.

Je voudrais rapidement vous rappeler que nous étions présents ici le 1er novembre 1994 pour faire état de nos commentaires au sujet du projet de loi qui était à l'étude à l'époque.

.1140

Nous vous disions essentiellement à l'époque les choses que nous vous redisons aujourd'hui. Ce n'est pas du nouveau. Contrairement à des croyances et à ce que nous disent les médias - et ces faits sont documentés par plusieurs personnes et sont confirmés dans vos propres documents de consultation - , il n'y a pas une augmentation réelle de la criminalité chez les jeunes. De récents travaux sont venus étayer davantage cet état de choses.

D'ailleurs, tel que le mentionne notre mémoire, un groupe de travail s'est penché sur l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants au Québec et à aucun endroit, dans ce mémoire, on ne traite d'une augmentation effrayante de la criminalité ni du besoin de revoir la loi et de la rendre plus sévère. Ce n'est pas du tout l'orientation s'était donnée le groupe Jasmin.

Ces éléments et ceux relevés par des criminologues réputés tels Me Jean Trépanier ainsi que d'autres auteurs nous laissent croire, nous qui ne sommes pas des spécialistes, que la situation de la criminalité ne s'est pas nécessairement détériorée ou qu'elle ne devrait pas nous amener à nous inquiéter davantage.

Le climat de terreur qui se répand de plus en plus parmi la jeune population des écoles semble peut-être davantage préoccuper les parents. Ce climat de terreur est-il dû à une réelle augmentation du nombre d'actes violents ou est-il imputable à d'autres facteurs?

Selon nous, on ne peut nier qu'il y ait là un problème sérieux. Nous devons nous demander si la Loi sur les jeunes contrevenants et ses dispositions sont susceptibles de se traduire par une diminution des actes d'agression dans les écoles ou d'atténuer le climat d'insécurité dans les écoles. La réponse est simplement non. Ce serait beaucoup trop simple, bien que peut-être merveilleux de fonctionner ainsi. Ce serait une pilule magique. Aborder le phénomène de la violence dans les écoles, c'est beaucoup plus compliqué que cela.

D'ailleurs, il faut faire attention lorsque je dis «aborder les phénomènes de violence» parce que nous ne sommes pas certains qu'il y ait une augmentation.

Nous pouvons dire avec certitude que lorsque des conflits éclatent entre les jeunes dans les écoles, certains conséquences peuvent être beaucoup plus graves que dans le passé. On remarque que les jeunes sont plus souvent armés qu'ils ne l'étaient autrefois.

Peut-être pourrions-nous avancer l'hypothèse qu'au lieu d'une augmentation du nombre d'actes de violence, il y a une réduction du nombre de voies de fait en raison de conséquences probables qui sont plus grandes pour certaines gens.

Revoir cette question et établir comment nous pourrions y travailler, c'est vraiment une question de partenariat. Mme Tamborini vous entretiendra plus tard des expériences qui sont tentées pour essayer d'agir sur ce phénomène.

Y a-t-il un lien entre la criminalité au Canada et la Loi sur les jeunes contrevenants? Nous l'avons affirmé à nouveau. À notre avis, il n'y a aucun lien entre les taux de criminalité et la loi, mais plutôt avec son application.

Comme nous le mentionnions plus tôt, l'élément dissuasif pour les jeunes, c'est la certitude d'être l'objet d'une intervention. Ce n'est pas la certitude d'une lourde peine ou d'un emprisonnement; c'est d'être arrêté. On sait très bien que peu de jeunes se font arrêter, que les risques sont très très minimes. C'est une dimension qu'il faudrait examiner.

On semble remettre en question l'utilité du système de justice pour les mineurs. Nous réaffirmons, tout comme nous l'avons fait dans notre mémoire, l'utilité de ce système. Par ailleurs, nous avons retenu les services d'un historien expert qui a écrit la dimension historique de notre mémoire. Il relatait que dès 1857, le Canada avait pris des dispositions à l'intention des jeunes. Ces dispositions se nommaient «actes pour accélérer le procès et la punition des jeunes délinquants».

Un élément majeur à retenir de ce système pour les mineurs est la sévérité. Nous appuyons toute la question que le juge Jasmin et ses collaborateurs ont précisée dans le rapport.

.1145

Ensuite, il faut garder des dispositions pour tenir compte des besoins particuliers des jeunes. Ce serait commettre une grave erreur, à notre avis, que d'appliquer une justice identique aux adultes et aux mineurs sans tenir compte des besoins particuliers et de l'état de développement des mineurs.

La question de la responsabilisation, une dimension qui a été introduite avec la Loi sur les jeunes contrevenants, devrait faire l'objet d'une étude. On croit que la médiation est un élément qui devrait conduire à une plus grande responsabilisation. Il y a aussi la question de la place des victimes dans ce système pour les mineurs. On pense qu'on devrait peut-être délaisser cette vision qui ne consiste qu'à traiter l'auteur des infractions sans tenir compte de la victime et de ses besoins. Je pense que système de justice pour les mineurs devrait explorer ces choses-là.

Quant au travail de votre comité, il est important de ne pas lancer un faux message à la population. Le gouvernement canadien a une responsabilité immense en matière de perception de la criminalité, et les conclusions de votre travail vont soit nous aider, soit nous nuire beaucoup dans l'obtention de la collaboration de la communauté en vue d'accueillir des jeunes contrevenants.

On vous invite à présenter l'image la plus objective et tempérée possible du phénomène de la délinquance juvénile au Canada afin de ne pas stigmatiser les jeunes davantage, connaissant leur situation et le peu de chance qu'ils ont d'avoir un emploi et de devenir des citoyens à part entière. Nous croyons qu'on doit faire très attention à l'image qu'on va projeter des jeunes Canadiens.

Mme Tamborini: Quant aux programmes qui, de plus en plus, existent dans les écoles secondaires et qui se nomment «médiation des pairs», je vais vous faire part d'une expérience québécoise. On observait la mise en oeuvre d'un tel programme dans une école. Durant les trois ou quatre premiers mois de l'expérience, les adolescents consultaient les médiateurs bénévoles qui venaient à l'école pour résoudre les conflits.

Cependant, les adolescents venaient après que les coups étaient portés. Après trois à quatre mois d'expérience, le mot s'est transmis dans l'école et les adolescents allaient consulter les médiateurs bénévoles avant que des situations conflictuelles ne surviennent. Par exemple, les adolescents savaient qu'après l'école, il y aurait une bataille. Ils allaient consulter pour rencontrer l'autre partie et essayer de trouver des solutions ensemble.

Ces expériences nous montrent que les parties impliquées dans les litiges ont la capacité de trouver des solutions autres que de porter des coups, que de porter atteinte à des personnes.

Ces mêmes expériences font en sorte qu'on diminue les plaintes faites aux policiers et qu'il y a moins de renvois à la Loi sur les jeunes contrevenants.

L'expérience a aussi démontré que les solutions dont les gens se sont dotés ont été respectées. Il n'y a pas eu de bataille après la médiation. Nous avons aussi remarqué que cela améliorait beaucoup le climat dans les écoles. Le climat est important dans les écoles où, souvent, il y a beaucoup de peur. Ce programme a beaucoup diminué la peur et a formé les adolescents pour l'avenir. Une fois qu'on a participé à un programme de médiation, on a tendance à vouloir régler nos conflits par la suite.

Beaucoup de parents et de jeunes ont appris de ce programme et ont voulu, par la suite, devenir médiateurs bénévoles et perpétuer la tradition.

C'est donc possible. C'est une solution de rechange sur laquelle on miserait beaucoup d'énergie et d'argent. C'est viable comme projet et cela se fait déjà ailleurs au Canada. La médiation des pairs ne se fait pas qu'au Québec. Il s'agit d'une chose que l'on devrait poursuivre.

.1150

Mes coéquipiers ont peut-être des choses à ajouter.

Notre rapport contient nos recommandations. Dans les années qui viennent, il serait important de préciser les objectifs des sentences qui sont rendues, de privilégier la réparation directe - on a parlé de médiation - et d'investir dans des modes de résolution de conflits.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Monsieur St-Laurent, vous avez 10 minutes.

[Français]

M. St-Laurent: Vous abordez un point qui m'intéresse particulièrement, soit la façon de prévenir le crime ou d'amenuiser l'instinct criminel de certaines personnes. L'instinct criminel est un peu fort, mais enfin...

Au printemps dernier, j'ai été appelé à donner une conférence devant les étudiants de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Je leur ai dit que j'étais un fervent de l'application d'une justice holistique, comme on l'appelle dans un milieu plus développé. Cela a beaucoup été développé par les autochtones. Il s'agit de quelqu'un qui a commis un crime, pas nécessairement majeur. Il s'agit d'un comité du conseil qui se réunit avec des sages et des gens de la population, y compris la victime et le contrevenant, et ensemble on cherche à faire admettre à l'individu qu'il a commis un crime et on cherche aussi ensemble des solutions de rechange pour qu'il paie ce qu'il doit à la société et ne recommence plus.

Bien entendu, appliquer cela à grande échelle dans le système judiciaire actuel n'est pas une mince tâche, mais il faut y travailler. On ne pensait pas pouvoir construire la Tour Eiffel, mais rendu en haut, on s'est rendu compte que c'était possible.

Comment cela se passe-t-il chez vous? Racontez-moi cela en cinq minutes. Quel est le processus? Comment cela se déroule-t-il?

Mme Tamborini: Comment cela se déroule-t-il? Tout d'abord, il faut savoir que l'adolescent qui se reconnaît coupable du délit a aussi le goût de s'impliquer dans un programme de médiation. C'est la première chose à savoir.

À partir de la signature de l'entente sur les mesures de rechange, on reçoit l'adolescent. On communique avec la victime et on organise une rencontre. La rencontre est animée par un intervenant des organismes ainsi qu'un bénévole de la communauté. Je ne sais pas si c'est assez précis comme scénario.

M. St-Laurent: Je me réfère aux centres holistiques. J'avais proposé, entre autres, un espèce de scénario hypothétique qui voulait qu'il y ait un juge, quelqu'un pouvant trancher les lois plus allègrement, sans qu'il y ait nécessairement un avocat, du moins pas à cette étape-là, ainsi que la victime et l'agresseur et des gens de la communauté qui ne connaissent pas nécessairement l'agresseur. Ce n'est pas évident à trouver. Je ne sais pas comment on pourrait faire cela. Réussissez-vous à faire quelque chose comme cela? Votre groupe ressemble-t-il à ce que je viens de décrire?

M. Charbonneau: À l'heure actuelle, on ne peut dire qu'il y a un développement très fort de ces initiatives émanant de l'extérieur des institutions puisque, pour le moment, un délégué de la Jeunesse est toujours chargé du dossier et oriente finalement la situation. Cependant, je trouve votre question intéressante. Est-il possible de développer cela, de l'étendre à une plus grande population et de trouver là des voies peut-être plus satisfaisantes? Nous parions que oui.

On en est à une première étape du développement de ce type de règlement. C'est une procédure qui s'inscrit dans le programme de mesures de rechange du Québec et qui doit respecter des codes très, très stricts.

.1155

Il faudrait pousser davantage ces expériences tout en gardant un contrôle de l'État et des institutions sur les modalités ou les procédures, afin de ne pas créer une justice parallèle, une justice qui serait plus ou moins vindicative. Il faudrait une justice qui s'inscrive dans les barèmes qu'on s'est donnés de façon démocratique.

Comment peut-on garder un contrôle des institutions sur ces procédés tout en ayant des endroits où les gens possèdent la maîtrise presque totale des procédures et de la solution à leur conflit? On sait très bien que certaines expériences se font. Vous avez cité des expériences autochtones et il y a, à petite échelle, d'autres expériences qui se font.

Dans ces procédures, le jeune ne se sent plus comme une victime, comme quelqu'un qui est injustement traité, puisqu'il participe et reconnaît sa culpabilité. On pourrait croire, d'une certaine manière, qu'il dilue sa responsabilité, qu'il la met en contexte. La victime, quant à elle, vit ce processus, non plus seulement comme une injustice sans aucune réparation ou information sur les procédures ultérieures. Elle fait complètement partie du processus. Il y a d'énormes avantages.

Mais on est encore dans un état de développement très fragmentaire. C'est l'une des orientations qu'on propose. Nous proposons que des initiatives de ce type-là se développent à grande échelle, mais qu'on garde un contrôle étatique, un contrôle des institutions. C'est une orientation qui devrait être inscrite dans la loi, selon nous.

M. St-Laurent: Naturellement, on pourrait en parler longtemps. Vous avez dit plus tôt qu'il n'y avait aucune augmentation réelle de criminalité chez les jeunes. Ma question est simple. S'il n'y a pas d'augmentation, il n'y a sûrement pas une stagnation. Y a-t-il une baisse?

M. Charbonneau: Dans notre premier mémoire, on s'est dissociés de toute tentative de connaître la situation de la criminalité en termes de taux d'arrestation ou de statistiques. Il y a d'ailleurs plusieurs auteurs, et pas seulement des gens qui ne veulent pas contribuer positivement à la réflexion, qui se demandent si les statistiques policières sont un fidèle reflet de ce qui se passe. Je pense que les conclusions sont éloquentes là-dessus. Elles ne le sont pas. On remarque même aujourd'hui qu'elles indiquent une baisse légère de la criminalité.

Nous remarquons qu'à l'heure actuelle, dans les écoles, il y a une tolérance zéro à tout acte de violence, ce qui est très différent de la situation que l'on connaissait il y a 10 ans. Un professeur voit une voie de fait. D'ordinaire, il devrait faire intervenir la police. Il y a donc une augmentation importante du nombre de voies de fait qui sont rapportées aux statistiques policières. On sait aussi que, depuis quelques années, il y a une tolérance zéro en matière de consommation de drogue.

Ces deux situations sont, à notre avis, beaucoup plus pertinentes pour expliquer l'augmentation légère du nombre de voies de fait. Ce sont les voies de fait simples qui ont augmenté de façon importante. Ce ne sont pas les voies de fait graves. On a déjà démontré cela dans notre mémoire de 1994. Si on les dénonce en plus grand nombre, c'est tout simplement à cause des politiques adoptées par les écoles.

M. St-Laurent: Je suis d'accord avec vous. Vous vous basez sur des données d'une dizaine d'années. Je pense que l'imbroglio vient de là. J'ai 42 ans. Vers 1970, j'étais dans une école, comme presque tout le monde de cet âge, et il y avait des bagarres de gangs. Comme dans toutes les écoles, il y avait de petits gangs, pas des gros. On ne parle pas des Hell's Angels, mais d'affaires d'adolescents. On ne se battait pas au couteau. On ne se tuait pas dans les autobus.

.1200

Y a-t-il eu une baisse de la criminalité mais une augmentation de la gravité des infractions? Comment expliquez-vous cela? Il y a dix ans, c'était peut être pire qu'aujourd'hui, mais en 1970, il y a quand même 26 ans... Comment explique-t-on cela? J'aimerais vous entendre là-dedans.

M. Charbonneau: Nous ne l'expliquons pas au moyen de chiffres ou de statistiques. Ce n'est qu'une impression. On est d'accord sur cette impression que lorsque deux jeunes sont en situation d'agression, les conséquences probables sont plus graves qu'elles ne l'étaient il y a dix ans. Ce phénomène n'est pas couvert. Il ne faut pas croire que la peur ou le sentiment d'insécurité que la population partage - je pense qu'on est tous d'accord là-dessus - est né d'un rien.

Lorsqu'il y a des voies de fait, à notre avis, il y a une augmentation de la gravité. Il y a plus de risques de blessures importantes, de lésions. Mais il n'y a pas eu d'augmentation du nombre de voies de fait. Cependant, on partage l'opinion qui veut qu'il y ait une augmentation de la gravité des conséquences des voies de fait, et c'est un phénomène sur lequel il faut intervenir. Il faut faire quelque chose. On est d'accord sur cela. On partage tout à fait ces préoccupations.

[Traduction]

La présidente: Je sais, dès que cela devient intéressant, on est à court de temps.

Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Je remercie les témoins d'être venus ce matin.

J'aimerais aborder la question de la perception qu'on a de l'augmentation de la criminalité chez les jeunes. Je vais vous citer un mémoire qui a été envoyé au comité. Il nous vient de la Fondation québécoise pour les jeunes contrevenants. Je lis:

De plus, les dernières données de Statistique Canada montrent que le seul cas d'augmentation de la criminalité était dans la catégorie des crimes avec violence commis par les jeunes.

C'est quelque chose que je signale à votre attention et que vous pourrez commenter, si vous le voulez. J'aimerais aussi aborder une autre question.

Comme beaucoup d'autres témoins devant le comité, vous avez parlé du fait que l'on hésite beaucoup à faire connaître publiquement les infractions avec violence commises par les jeunes. Dans l'étude que je viens de vous citer, je retrouve un autre passage que j'aimerais vous lire et sur lequel j'aimerais avoir vos observations.

La présidente: Pourriez-vous ralentir? Vous donnez du fil à retordre aux interprètes.

.1205

M. Ramsay: Je ne fais que lire.

La présidente: Eh bien, ralentissez un peu pour qu'ils puissent...

M. Ramsay: D'accord.

Les auteurs poursuivent en disant que les recherches démontrent clairement que, pour chaque délit connu, un adolescent en a commis 20 pour lesquels aucune accusation n'a été portée. Dans ce contexte, le phénomène de la dernière chance prend des proportions dramatiques.

Voici où je veux en venir. Cela étant, lorsque nous choisissons de ne pas divulguer de renseignements sur les contrevenants violents, en particulier les jeunes récidivistes, et lorsque nous privons les chefs de famille du droit d'être informés afin de protéger leurs enfants du trafic de la drogue ou d'autres infractions, agissons-nous correctement? Sommes-nous justes pour les parents qui essaient d'obtenir de l'information pour protéger leur famille et leurs enfants?

Est-on juste pour le contrevenant? Ça semble faire partie du phénomène de la dernière chance. Nous disons que, même si le jeune a commis une agression ou un viol ou un autre acte de violence, nous allons cacher cette vérité à la société pour lui donner un avantage à lui plutôt que d'en informer la société qui pourrait s'en servir pour protéger les enfants.

Qu'en pensez-vous? Vous avez sûrement des idées et des positions sur le sujet.

[Français]

M. Charbonneau: Je m'excuse, monsieur Ramsay, mais j'ai compris à peu près 80 p. 100 de ce que vous avez dit. Je ne sais trop comment ça fonctionne. De toute manière, je crois que vous me demandez quelle est la justice pour les familles. Est-ce qu'on fait de la justice quand, à maintes reprises, on donne une dernière chance à ces jeunes, quand on tente de réduire le phénomène de la violence? Je crois avoir compris cela et je vais me permettre de commenter ces aspects.

Premièrement, je n'aimerais pas que vous ayez l'impression que nous sommes ici pour gracier les jeunes qui commettent des actes de violence. Ce n'est absolument pas notre propos. Nous nous demandons plutôt quelles modalités on devra prendre à l'égard des jeunes qui commettent des actes de violence.

Les statistiques ne peuvent pas nous indiquer la nature exacte des crimes avec violence et leur fréquence. Vous vous demandez ce qui agit sur l'impression de la justice que se font les gens. Jusqu'à quel point les gens font-ils confiance au système pénal et désirent-ils lui confier la gestion des situations de violence? J'estime que c'est là une des questions fondamentales que soulève ce texte.

Vous dites que les gens donnent une dernière chance aux délinquants. Il faut se demander pourquoi ils le font. Est-ce qu'ils le font tout simplement par complaisance, dans le but de réduire l'importance de ces actes? Je ne le crois pas. Je pense qu'il y a beaucoup d'ambiguïté pour ces personnes et que le pouvoir discrétionnaire à tous les niveaux devrait être examiné. Est-ce qu'on choisit entre l'éducation du jeune et la répression de ces comportements?

Est-ce que le fait de mettre une situation sous l'empire de la Loi sur les jeunes contrevenants va réduire la violence et contribuer à modifier les comportements de ces jeunes?

.1210

Je suis convaincu qu'à l'heure actuelle, les gens n'ont plus confiance en la capacité des institutions judiciaires de régler la question de la violence et les problèmes de comportement liés à la violence. Cette confiance a disparu. Comment la reconstruire? Là est la question. Comment donner une justice à ces personnes?

Je crois qu'il faudra se concentrer davantage sur les victimes, sur les parents de ces jeunes et sur des appuis pour régler les situations de violence. Il faudra agir avant que les situations de violence ne surviennent. Il ne s'agit pas simplement d'agir par la suite, mais de concourir à donner l'impression qu'il y aura une sentence. Il est quelquefois nécessaire d'avoir sentence, mais ce ne sera parfois pas nécessaire.

Pour les jeunes, la sentence n'a pas simplement un effet de dissuasion ou de peur. Ce serait commettre une profonde erreur que de croire cela. Je ne minimise pas l'importance d'entreprendre une action à l'égard des jeunes, mais cette action doit être bien pensée en ce sens que l'on doit agir en fonction de toute la situation. Si je veux réduire la violence dans les écoles, il est inutile d'enlever les deux auteurs de la majorité des infractions de violence.

Je ne fais que les remplacer le lendemain. Je tourne en rond. Vous en incarcérez un pour dix ans et il y en a un autre qui apparaît tout de suite pour réinstaller le même climat de terreur. Il faut s'occuper de la personne qui installe ce climat de terreur. Il faut prendre des dispositions à cet égard. Il faut agir contre le laissez-faire. Il faut voir le phénomène dans son ensemble et apprendre à agir sur ses causes.

Ce n'est pas aussi simple qu'on pourrait le croire. Je vous avoue qu'on peut avoir des solutions, mais elles ne viennent pas comme cela.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Maloney.

M. Maloney: Pour quels contrevenants recommandez-vous des «mesures de rechange»: uniquement pour ceux qui en sont à leur première infraction, comme c'est le cas avec la loi actuelle, ou pour d'autres? Combien de fois faut-il avoir commis un délit avant d'être judiciarisé?

[Français]

M. Simard: Votre question était: Combien de délits un jeune devrait-il commettre avant qu'on en vienne à le faire comparaître devant un tribunal? Il est difficile pour moi de répondre à cette question. Je ne crois pas que ce soit nécessairement une question de nombre. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Je pense que l'utilisation d'une mesure de rechange a des effets bénéfiques pour un jeune qui, par exemple, reconnaît ses responsabilités et est prêt à s'engager volontairement dans une telle démarche.

À ce niveau, pour ce qui est d'un jeune qui reconnaît sa responsabilité dans le geste qu'il a commis et qui est prêt à s'embarquer dans une démarche de réparation, je ne suis pas convaincu qu'il soit nécessaire de mettre en branle toute la machine de la Chambre de la jeunesse. J'espère que cela répond un peu à votre question.

[Traduction]

M. Maloney: En vertu de la loi actuelle, on ne peut avoir recours aux mesures de rechange qu'une seule fois. Devrait-il y en avoir plus d'une ou pensez-vous qu'aux termes de la loi actuelle une chance au niveau du tribunal pour la jeunesse c'est suffisant, insuffisant ou plus que suffisant?

[Français]

Mme Tamborini: Actuellement, le Tribunal de la jeunesse est suffisant pour régler les problèmes. Comme le disait M. Simard, il y a tout le programme de mesures de rechange, mais il y a aussi des ordonnances du tribunal pour des délits plus graves commis par certains jeunes.

.1215

D'après nous, il serait souhaitable de conserver la structure actuelle, de préciser des objectifs et de tendre toujours vers des mesures de rechange qui impliquent la communauté et les victimes.

M. Charbonneau: Je crois que le tribunal de la jeunesse ne serait pas en mesure de répondre à toutes les situations en général et à toutes les situations conflictuelles. Je ne sais pas si c'est le sens de votre question.

Nous sommes certainement d'accord sur toutes les mesures de rechange et leur développement, mais elles s'avéreraient insuffisantes pour traiter de toutes les situations imprégnées de violence. C'est dans cette optique que nous abordions la question de la nécessité de développer d'autres instances afin de ne pas surcharger le système de justice pour les mineurs. Il faut développer d'autres lieux pour régler et prendre en charge certaines situations, selon des critères très précis qui doivent être inscrits dans la loi afin de respecter une justice quelconque, afin que l'on puisse tenter de régler le conflit plus tôt. Nous pourrions par exemple permettre aux policiers de fermer des dossiers, mais aussi leur permettre de prendre un jeune et une victime et de les conduire directement à des procédures qui impliquent des mesures de rechange ou autres. Je crois que ça ressemblerait à ça.

[Traduction]

M. Maloney: Êtes-vous en faveur d'un processus prédécisionnel avant la saisie du tribunal pour la jeunesse, à savoir le transfert du dossier devant un tribunal composé de citoyens, de policiers et de ceux qui s'occupent de la libération sous condition? C'est cela que vous préconisez? Est-ce que ça devrait figurer dans la loi comme mesure de déjudiciarisation? Au lieu de s'adresser à des tribunaux ordinaires, devrait-on s'adresser à une sorte de tribunal communautaire?

[Français]

M. Charbonneau: Il est certain que ces questions font partie des scénarios qu'on pourrait envisager, mais nous ne remplacerions pas le système juridique actuel. Le système juridique actuel devra toujours s'occuper de certains conflits ou situations qui ne pourraient être réglés par des tribunaux communautaires. Si nous instaurions des tribunaux communautaires, nous devrions le faire avec beaucoup de circonspection et de précautions. Certaines des dispositions pourraient peut-être s'avérer plus néfastes que profitables pour les jeunes et les victimes.

Je crois qu'il faut envisager d'autres voies pour traiter de tous ces cas, pour justement faciliter ces renvois et faire en sorte que lorsqu'on est témoin, la dernière chance n'est pas une dernière chance. Il y a déjà des choses qui se font rapidement et auxquelles il est possible de recourir. Si nous mettons au point beaucoup de solutions de ce genre, je crois que les gens feront davantage confiance aux procédures, du moins dans un premier temps. Mais je ne crois pas que ce soit la panacée à toutes les situations de délinquance. Ce n'est pas l'optique que nous voudrions présenter.

[Traduction]

M. Maloney: Comment peut-on concilier le principe des mesures de rechange et la volonté des citoyens, actuellement, d'être plus fermes à l'égard des jeunes contrevenants? Les gens trouvent que les mesures de rechange sont bien trop clémentes vu la criminalité qui existe chez les jeunes. Aidez-nous à vous aider.

[Français]

M. Simard: L'opinion publique considère peut-être que les mesures prises à l'égard des jeunes sont plus souples et que des interventions plus sévères ou plus lourdes seraient nécessaires.

.1220

À mon avis, la réponse n'est pas dans la recherche de sentences plus lourdes ou de mécanismes plus sévères à l'égard des jeunes, mais plutôt dans le travail fait auprès de l'opinion publique, pour démystifier la délinquance et les interventions faites auprès des jeunes.

Il existe une étude qui dit qu'en général, les mesures prises à l'égard des jeunes sont souvent plus lourdes que celles prises à l'égard des adultes. Le travail, à mon avis, doit se faire davantage auprès de l'opinion publique. Ce qu'on fait actuellement en collaboration avec les organismes d'accueil, les superviseurs et les gens de la collectivité permet aux jeunes de mieux comprendre l'appareil de la justice et aide à démystifier et à faire tomber les tabous.

M. Charbonneau: Si vous voulez nous aider, il faut avoir le courage de le dire. Ce n'est pas une sentence sévère qui va réduire le phénomène.

Si vous le voulez, nous pouvons nous mettre à plusieurs pour vous convaincre que ce n'est pas l'avenue à privilégier. Il existe des études sur l'efficacité des programmes de médiation. Asseoir une victime et un jeune contrevenant ensemble, c'est une expérience qui est non pas traumatisante pour un jeune, mais très responsabilisante et éducative.

Ces expériences méritent d'être documentées et évaluées. Alors, donnez-nous la possibilité de le faire, d'en parler plus souvent, de publiciser ces façons de voir les choses. Ne pensons pas seulement à la simple sanction. Vous allez participer à une ouverture et vous aurez le courage politique de dire que les peines sévères ne réduiront pas le phénomène. De là à dire que la médiation n'est pas quelque chose de sévère... Il y a tout un discours à adapter. À notre avis, la mesure la plus responsabilisante pour la victime et pour le jeune demeure la médiation.

[Traduction]

La présidente: Merci, monsieur Maloney.

Je vous remercie tous beaucoup de votre apport très utile.

Je vais maintenant lever la séance. Un groupe a annulé sa comparution cet après-midi, si bien que nous allons reprendre à 14 heures.

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