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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 23 septembre 1996

.1359

[Traduction]

La présidente: Nous reprenons la séance.

Nous accueillons Arlene Gaudreault, présidente de l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes Inc. Je vous souhaite la bienvenue; j'imagine que vous avez une déclaration à faire, après quoi, nous poserons des questions. Prenez autant de temps que nécessaire pour votre déclaration.

[Français]

Mme Arlene Gaudreault (présidente, Association québécoise Plaidoyer-Victimes inc.): D'abord, je vous remercie pour l'invitation qui nous a été faite de participer aux travaux de votre comité.

.1400

Avant de me lancer dans mon exposé liminaire, j'aimerais vous demander de combien de temps je dispose.

[Traduction]

La présidente: Nous disposons en tout d'une heure environ.

[Français]

Mme Gaudreault: Une quinzaine de minutes pour l'exposé et et le reste pour des discussions? D'accord.

J'aimerais tout d'abord vous présenter l'organisme que je représente et que la plupart d'entre vous ne connaissent probablement pas; j'ai apporté quelques documents d'information pour les membres du comité.

L'Association québécoise Plaidoyer-Victimes est un groupe de défense des droits et des intérêts des victimes d'actes criminels. Nous existons et sommes constitués en société depuis 1984. L'Association est un organisme sans but lucratif qui regroupe 250 intervenants et personnes préoccupés par la question des victimes d'actes criminels. Ce sont donc des victimes à titre individuel mais aussi, dans la majorité des cas, des intervenants qui travaillent auprès des victimes dans les maisons d'hébergement ou les centres d'aide aux victimes. Les membres sont aussi des policiers, des gens des libérations conditionnelles ou des services sociaux et des éducateurs auprès des jeunes délinquants.

Notre groupe diffère un peu de ceux que vous avez probablement rencontrés dans d'autres provinces, où on trouve surtout des associations de victimes, c'est-à-dire de parents ou de proches de victimes.

Nous travaillons beaucoup au niveau de la promotion des droits et nous sommes souvent appelés à réagir à des projets de loi. Je dirais que notre ministre de la Justice fédéral a été très prolifique à cet égard ces derniers temps. Nous avons été consultés sur les questions de la révision judiciaire et des délinquants sexuels dangereux. Nous n'étions pas là à l'étape 1, parce qu'il nous arrive de ne pas pouvoir répondre à toutes les demandes qui nous sont adressées. Comme beaucoup d'organismes qui travaillent auprès des victimes, nous avons un très petit budget. Il nous arrive d'être essoufflés et de ne pas pouvoir représenter le point de vue des victimes comme nous souhaiterions le faire.

À l'étape 2 de l'étude de la Loi sur les jeunes contrevenants, nous avons tenu à faire quelques représentations qui porteront essentiellement sur l'effet de la loi et son application. Il n'est pas question de modifications, puisqu'elles ont été faites. Nous aimerions apporter le point de vue des victimes, eu égard au respect de leurs droits dans l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Nous voudrions faire un lien avec d'autres lois ou déclarations qui pour nous sont importantes, par exemple la reconnaissance des droits qui a été définie dans la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir de l'Organisation des Nations Unies, à laquelle le Canada a travaillé, à laquelle notre organisme a contribué et qui a été adoptée en 1985.

Je voudrais aussi vous rappeler que le gouvernement canadien a adopté en 1989 une Déclaration de principe relative aux victimes de crimes, et notre province, comme d'autres, a adopté une Loi sur l'aide et l'indemnisation des victimes d'actes criminels qui reconnaît des droits.

J'aimerais faire l'exercice suivant avec vous aujourd'hui. Comment ces droits-là sont-ils actuellement appliqués dans la Loi sur les jeunes contrevenants? Quelles sont les lacunes? Quelles améliorations faudrait-il apporter pour améliorer le sort des victimes d'actes criminels et des témoins?

Est-ce que cette orientation convient au comité, madame la présidente?

[Traduction]

La présidente: Oui, bien sûr.

[Français]

Mme Gaudreault: Il y avait tellement de thèmes dans l'étude du comité que je ne savais plus si nos propos cadraient avec les préoccupations du comité.

J'aimerais parler d'un certain nombre de besoins qui sont importants pour les victimes et voir avec vous comment la Loi sur les jeunes contrevenants y répond, ainsi que vous entretenir de ce qu'on déplore à l'heure actuelle.

Un des besoins les plus importants des victimes d'actes criminels est celui d'être informées. Deux études très importantes du ministère de la Justice du Canada, datant malgré tout d'une dizaine d'années, reflètent encore bien, ne serait-ce qu'en partie, la situation actuelle.

Nous nous sommes adressés en Alberta à des répondants qui étaient des victimes et à des témoins qui avaient eu affaire au système de justice et nous leur avons demandé s'ils avaient obtenu l'information dont ils avaient besoin par rapport au système de justice.

.1405

Soixante-seize pour cent des personnes interviewées nous ont dit qu'elles n'avaient pas cherché à obtenir de l'information, ne sachant pas comment s'y prendre ni où trouver cette aide. Ces personnes nous ont dit qu'elles étaient désillusionnées à l'égard du système.

Une autre étude réalisée dans sept villes canadiennes a démontré que plus de 80 p. 100 des 888 répondants n'avaient pas demandé d'aide. De 44 à 50 p. 100 des personnes interviewées ont dit qu'elles ne s'attendaient pas à recevoir de l'aide; elles n'avaient pas d'attentes favorables, elles ne savaient pas comment s'y prendre et elles ne savaient pas où trouver cette information.

Ces résultats parlent beaucoup d'eux-mêmes. Si on s'est efforcé d'informer davantage les victimes, les mécanismes de transmission de l'information à tous ces niveaux sont insuffisants et, dans certains cas, inexistants. Je le sais parce que je travaille souvent avec les gens des libérations conditionnelles, la police et les services correctionnels.

Quand on regarde la Loi sur les jeunes contrevenants, on trouve la situation encore plus dramatique à cause de l'obligation à la confidentialité. La réponse que reçoivent les victimes quand elles demandent de l'information est encore beaucoup plus mince. À l'heure actuelle, personne - je parle ici des intervenants sociaux à qui j'ai parlé - ne se sent en droit officiellement de transmettre aux victimes d'actes criminels quelque renseignement que ce soit concernant l'auteur du délit. Qu'arrive-t-il au jeune? Est-il pris en charge? Y a-t-il des poursuites, des remises, des mesures? Est-ce qu'il est en liberté? Est-ce qu'il aura des conditions à respecter? Est-ce qu'il y a un renvoi? Dans la majorité des cas, ces questions demeurent sans réponse.

Les décisions prises par la police, le directeur provincial et le tribunal sont rarement communiquées. Pourquoi? Parce qu'il n'y a aucun document, aucune politique, aucun mécanisme de mis en place pour répondre minimalement à ces besoins d'information. Je comparerais cela au Service correctionnel du Canada, que je connais assez bien parce que je travaille régulièrement avec ces gens, et à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Ils se sont dotés d'une politique qui permet de communiquer certains renseignements aux victimes. Ils se sont dotés - je parle ici du Québec notamment, connaissant moins la situation dans les autres provinces - d'un personnel qui répond aux demandes des victimes qui veulent savoir si l'agresseur a été remis en liberté, s'il va l'être, s'il a des conditions à respecter.

Ce genre de mécanisme, qui témoigne d'une considération pour la victime, pour ses besoins et pour sa sécurité, n'existe pas du tout dans notre province. Le Québec, à l'heure actuelle, n'a pas de mécanisme pour transmettre l'information dont les victimes ont besoin.

Même si notre loi québécoise dit que les victimes ont droit à l'information à toutes les étapes de la procédure judiciaire, je dirais qu'au moment de faire affaire avec le système de justice juvénile, les victimes sont moins bien traitées ici, au Québec, que dans le système adulte, parce que celui-ci s'est doté d'un programme d'information à quatre étapes du processus judiciaire appelé INFOVAC. Il est administré par le ministère de la Justice du Québec et, depuis l'intervention policière jusqu'à la fin des procédures, permet aux victimes et aux témoins de recevoir de l'information, notamment la déclaration de la victime. Pourquoi les victimes dont l'agresseur est un juvénile sont-elles traitées différemment? Pourquoi le système juvénile ne met-il pas en place un tel programme?

Autre lacune importante: les cours de justice dans le réseau juvénile. À l'heure actuelle, elles n'offrent aucun service pour accueillir les victimes et les témoins. Il n'y a pas de salle d'attente qui permette de les isoler de l'agresseur et les victimes ne connaissent pas la marche à suivre. La Loi sur les jeunes contrevenants est une loi particulière. Elle peut avoir son décorum, ses façons de faire, et les mesures sont différentes. Ce genre d'information n'est pas transmis aux victimes et celles-ci, dans le système juvénile, ne sont ni guidées ni accompagnées.

.1410

Le hasard a fait que ce matin, une intervenante du Centre de protection de l'enfance et de la jeunesse m'a téléphoné et dit: «J'aimerais réactiver le projet que je voulais mettre sur place il y a quatre ou cinq ans, celui d'ouvrir un centre d'accueil pour les victimes et témoins au Tribunal de la jeunesse, comme si c'était au Palais de justice pour les adultes.» Ils tiendront bientôt un colloque et elle voulait en faire la promotion. Je le sais très bien puisque je vais soulever le problème cet après-midi devant le comité.

Ce problème n'a pas été constaté seulement à Montréal, mais partout dans la province. Cela a un impact très important. Le fait de laisser les victimes et les témoins dans l'ignorance traduit notre manque d'égards pour des personnes qui sont concernées au premier chef. On leur donne l'impression que le système ne les prend pas en considération et qu'elles ont peu à attendre.

Je voudrais signaler par ailleurs que le gouvernement fédéral a joué un rôle très important au milieu des années 1980. J'ai été la coordonnatrice du premier centre d'aide aux victimes d'actes criminels. À cette époque-là, le gouvernement fédéral était très impliqué dans les services aux victimes. Il a financé des services aux victimes dans beaucoup de provinces, de même que des projets-pilotes de services d'accueil aux victimes et aux témoins dans les palais de justice.

Pourquoi ce leadership qui a été assumé par le gouvernement fédéral ne serait-il pas réactivé dans le réseau juvénile, qui est actuellement très pauvre en termes de services pour les victimes? Pourquoi le gouvernement fédéral ne s'associerait-il pas au gouvernement provincial pour financer des projets-pilotes répondant à ces besoins-là?

Le besoin d'être traité avec respect et considération est souvent exprimé par les victimes. Je pense que plusieurs intervenants vous ont fait part des problèmes que rencontraient les victimes au niveau des délais et des remises. Vous connaissez aussi le Rapport Jasmin qui a fait état de ce problème-là, qui a parlé de la multiplication des procédures et d'une mauvaise planification des opérations.

Je voudrais signaler aussi qu'il y a d'excellentes dispositions dans le Code criminel qui éviteraient des déplacements et des frais inutiles aux victimes et aux témoins. Il s'agit de l'affidavit du droit de propriété et de la preuve photographique. Ces dispositions ne sont à peu près pas utilisées et même méconnues dans le réseau juvénile.

Je voudrais parler d'un autre besoin et de la façon d'y répondre dans le système juvénile: c'est le besoin pour les victimes d'être entendues. Le Code criminel permet la déclaration de la victime au tribunal. Cette disposition est en vigueur depuis 1989, et nous la connaissons très bien, puisque notre association a implanté, expérimenté et évalué la déclaration de la victime au tribunal. Je pense que vous connaissez tous les mérites de cette disposition qui permet aux victimes de faire entendre leur point de vue et surtout de parler des conséquences du crime au juge au moment du prononcé de la sentence.

Cette disposition intéressante n'est pas mise en application dans le système de justice pour les adultes. À notre sens, c'est fort dommage, parce qu'on se prive ici d'un moyen de permettre aux victimes de faire entendre leur point de vue. Même le Rapport Jasmin a été timide dans ses recommandations sur la déclaration de la victime. En fait, il n'a pas suggéré que ce programme, qui est en vigueur au Québec depuis 1995 dans l'ensemble des districts judiciaires, puisse être mis en application dans le système juvénile, probablement à cause des coûts. Il nous semble que cette mesure devrait être mise de l'avant et pourrait être très profitable aux victimes.

Le Rapport Jasmin, pour ceux qui l'ont consulté, se contente de nous suggérer que les victimes qui souhaitent se faire entendre puissent avoir l'occasion de le faire au moment de l'audience dans les cas où cela convient. Cela laisse beaucoup de latitude aux intervenants, juges y compris, pour décider des situations où la victime peut être invitée à s'adresser aux tribunaux.

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Dans la plupart des cas, les victimes ignorent que cette disposition existe et, très souvent, les intervenants n'ont pas l'idée d'inviter les victimes à s'adresser aux juges.

Quand on formule cela à la façon du Rapport Jasmin, il nous semble que ce sont des intentions plutôt vagues et qu'on devrait aller beaucoup plus loin en faisant la promotion de programmes concrets.

Je croyais qu'au Québec, on implanterait un programme de déclaration de la victime au tribunal. On en parle depuis quelques mois, mais en ce moment, il n'y a pas vraiment de progrès en ce sens à cause des coupures dans l'ensemble du réseau.

La Loi sur les jeunes contrevenants prévoit aussi que dans le rapport prédécisionnel, on peut inclure - mais on dit bien «s'il y a lieu et autant que possible» - le résultat d'une entrevue avec la victime.

Il s'agit, pour les intervenants qui le font, d'une excellente occasion de faire sentir aux victimes qu'on se préoccupe de ce qui leur arrive, d'explorer les possibilités de réparations, de transmettre de l'information et d'être en contact avec elles pour les diriger vers des ressources.

Même s'il est dit qu'on encourage cette pratique, il faut reconnaître qu'elle est encore peu présente chez les délégués à la jeunesse, du moins chez nous. Le Rapport Jasmin souligne que seulement 50 p. 100 des intervenants ont déclaré consulter la victime toujours ou fréquemment. Cela constitue, de l'avis du comité, un indice de la place qui est faite à la victime dans la solution des problèmes posés par l'infraction.

Il est quand même étonnant de voir que le milieu juvénile reste à la remorque d'autres réseaux qui ont emboîté le pas beaucoup plus rapidement dans la reconnaissance des torts causés aux victimes. Je pense aux intervenants du Service correctionnel fédéral qui maintenant, dans leur enquête communautaire devant leur représentation, devant la Commission des libérations conditionnelles et dans leur évaluation, tiennent compte davantage de l'impact du crime. Il y a eu aussi beaucoup de formation des intervenants dans ce sens-là.

Tout cela me faire dire - et c'est la conclusion que je tire des contacts que j'ai avec les intervenants de ce réseau - que quand on aborde le dossier des victimes, les intervenants sont assez mal à l'aise. Je ne sais pas si c'est la même chose dans les autres provinces.

Il y a une sensibilisation à la question des victimes, mais les gens nous disent qu'ils manquent de temps et de ressources, que leur mandat est orienté vers les jeunes et non pas vers les victimes, qu'ils n'ont pas la formation voulue pour s'occuper des victimes et qu'ils ne se sentent pas en sécurité si les victimes deviennent vindicatives.

Vous savez que je rencontre les intervenants sur cette question depuis 1986 au moins et que notre association a fait aussi un colloque provincial sur toute la question de la place de la victime dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Je participerai aussi à un atelier avec eux le 24 octobre. Comme nous l'avons souligné à maintes reprises, les intervenants sur le terrain me disent souvent qu'il y a un manque de leadership et de soutien institutionnel aux initiatives qu'ils souhaiteraient prendre. Ils reconnaissent que le dossier des victimes dans le réseau juvénile n'en est qu'à l'état des balbutiements. Ce sont des initiatives isolées et il n'y a pas de directives ni de politiques claires. Je pense aussi qu'il y a un facteur dont on doit tenir compte, à savoir tous les changements et bouleversements que le réseau a connus.

Je ne sais pas si c'est la même chose dans les autres provinces, mais ici, au niveau administratif, au niveau des structures, il y a des réformes importantes depuis deux ou trois ans et nous sommes encore là-dedans. Cette vague-là n'est pas encore passée, et je me demande dans quelle mesure le dossier des victimes pourra occuper une place de premier plan dans le contexte actuel des ressources budgétaires.

Je pense que le malaise des intervenants et le peu de présence du dossier des victimes dans le réseau juvénile ne peuvent trouver des solutions qu'à la condition qu'on investisse dans la formation et le perfectionnement des intervenants. Je pense que c'est la pierre angulaire.

Si nous voulons changer les attitudes, développer des attitudes pro-victimes chez les intervenants et nous mettre à l'heure des victimes, nous devons mettre sur pied des programmes de formation et de sensibilisation à l'intention des intervenants.

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Ça s'est beaucoup fait dans le domaine de la violence conjugale, mais pas beaucoup par rapport à d'autres formes de victimisation.

Notre association a eu l'occasion, au cours des deux dernières années, de faire une très vaste formation auprès de tous les policiers de la Communauté urbaine de Montréal. Nous avons formé 4 500 policiers. Depuis trois ans, nous avons aussi rencontré tous les intervenants du Service correctionnel du Canada. Dans certains milieux, il y a une réceptivité plus grande, ou du moins il y a des budgets plus importants qui ont été alloués. Je pense que sans un leadership dans ce réseau, sans des budgets concentrés, sans un examen concerté fédéral-provincial de ces questions et sans mettre sur pied des programmes de formation, la situation ne peut pas progresser rapidement.

Le dernier besoin dont je voudrais parler, c'est celui d'obtenir réparation. Je pense que la Loi sur les jeunes contrevenants, qui s'appelait autrement auparavant, a été la première loi canadienne à reconnaître ce besoin de réparation. Ici au Québec, au niveau du besoin de réparation - je sais que le comité a rencontré le regroupement des organismes orienteurs - nous avons, dans le réseau juvénile, un programme de rechange qui est unique, qui est bien organisé et qui fait preuve de dynamisme et de créativité. Le Québec est la province qui a le moins recours aux mesures judiciaires. On judiciarise ici trois fois moins de jeunes que dans le reste du Canada et je pense qu'on peut se réjouir de cet état de choses.

Les mesures de rechange peuvent être orientées vers les victimes. Elles ont de multiples vertus que vous connaissez: une valeur éducative et une valeur de reconnaissance du tort causé aux victimes. C'est une façon de ne pas répondre à la violence par la violence. Les victimes qui collaborent sont généralement contentes et satisfaites de le faire. Ça leur donne l'occasion de s'exprimer. Très souvent, on remarque qu'elles se montrent compréhensives par rapport au geste posé par le jeune. Évidemment, ça pose certains problèmes de solvabilité pour le jeune et de disponibilité des ressources.

Un des problèmes qui nous inquiètent dans le contexte actuel, c'est justement cette disponibilité des ressources de la collectivité. De nouvelles dispositions concernant la détermination de la peine viennent d'être adoptées par le biais du projet de loi C-41. Ces mesures permettent de mettre en place des mesures de rechange pour les adultes. Nous ne sommes pas contre de telles mesures, au contraire, mais ce qui nous inquiète actuellement, c'est le fait que ces nouvelles dispositions vont entraîner une demande croissante des services de santé communautaires. Elles vont engendrer des coûts importants. Les ressources de la collectivité risquent d'être surutilisées et on se demande dans quelle mesure, entre les travaux communautaires adultes, les travaux communautaires jeunesse et les travaux compensatoires, on sera capable d'offrir des services de qualité et un bon encadrement et comment ces mesures vont demeurer crédibles aux yeux des citoyens qui, finalement, risquent de se demander si ce ne sont pas des mesures à rabais.

Dans le contexte actuel, nous avons ici, au Québec, un programme de mesures de rechange qui fonctionne bien et qui aurait besoin d'être évalué. Le rapport du comité Jasmin l'a très bien fait ressortir, parce que même s'il y a beaucoup de mesures orientées vers les travaux communautaires, les mesures orientées vers les victimes, par contre, sont plutôt rares. On parle d'une mesure sur 50 orientée vers les victimes et le Rapport Jasmin dit clairement qu'il faut davantage de mesures qui visent une réparation directe pour les victimes.

Je suis bien consciente que les problèmes que j'ai soulevés relèvent davantage de l'application de la loi elle-même que de son contenu et je sais que ce sont les provinces qui sont les premières responsables des changements à apporter et des virages à entreprendre pour améliorer le sort des victimes et des témoins dans le système de justice juvénile.

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Cependant, nous attendons du gouvernement fédéral qu'il assume un leadership plus important en ce qui concerne les dossiers des victimes. Au tournant des années 1980, ce leadership a été très important, et il a été notamment assumé par le ministère du Solliciteur général du Canada. Je trouve curieux que le ministère qui s'occupe du Service correctionnel soit aussi celui qui est le plus impliqué dans le dossier des victimes, mais je pense qu'on doit beaucoup à ce ministère au niveau des services qui ont été implantés dans la communauté et des recherches qui ont été entreprises par Justice Canada.

À partir du milieu des années 1980, on a senti un net retrait du gouvernement fédéral, notamment dans les programmes d'indemnisation et dans son implication dans les subventions pour des projets-pilotes. Nous souhaitons que le gouvernement fédéral travaille davantage en concertation avec ses partenaires provinciaux et territoriaux, qu'il favorise le financement des projets pilotes, qu'il voie à l'évaluation et au partage de l'information sur les évaluations des différents programmes ou les modifications législatives qui sont apportées, notamment dans le cas de criminels canadiens, qu'il appuie les projets de recherche et de formation et qu'il soit un interlocuteur plus proactif et plus présent, non seulement dans des mesures répressives, mais aussi dans des programmes où on sent qu'il se préoccupe aussi d'améliorer le sort quotidien des victimes d'actes criminels.

Voilà l'essentiel de notre message. Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Monsieur St-Laurent, dix minutes.

[Français]

M. St-Laurent (Manicouagan): Merci beaucoup, madame. Votre exposé a été très clair. Vous avez parlé, entre autres, du besoin urgent d'informer les victimes des différents moyens dont elles disposent pour trouver des solutions à leurs problèmes.

Ne croyez-vous pas que les victimes ne cherchent à s'informer que lorsqu'il leur arrive quelque chose, ce qui est une réaction très humaine? Que voulez-vous donc dire par informer davantage les gens? Serait-ce les informer des services qu'ils peuvent trouver auprès de nous s'ils deviennent des victimes un jour ou l'autre?

Mme Gaudreault: Il y a différents niveaux d'information. Quand on parle des victimes, il faut aussi parler des citoyens parce qu'on peut tous devenir des victimes un jour. Il est probable que plusieurs d'entre nous l'ont déjà été.

Il faut informer les citoyens canadiens de toutes les parties du Canada sur la délinquance des jeunes, sur la violence des jeunes, sur les programmes qui sont mis à leur disposition et sur les résultats de ces programmes. Dans les études qui ont été faites à ce sujet, on voit très souvent qu'une part du crime est surtout entretenue par les médias, qui en font des événements à sensation.

Il y a aussi beaucoup de désinformation. Il faut donc donner une véritable information sur la criminalité des jeunes. Est-ce qu'elle est dangereuse? Quels sont les résultats des programmes qui ont été mis en place et auxquels on contribue? Voilà ce que j'appelle un niveau d'information.

L'autre niveau d'information concerne les rapports avec le système de la justice quand on a été soi-même victime. Comment fonctionne ce système de justice? À quoi peut-on s'attendre de la part de ce système de justice? Quels sont nos droits et recours? Quels sont nos recours en terme d'indemnisation?

Actuellement, il y a seulement 5 p. 100 des victimes de crimes contre la personne qui reçoivent une indemnisation. Cela veut dire que 95 p. 100 des gens n'en ont pas demandé et, parmi ces gens-là, il y en a certainement une bonne proportion qui n'étaient pas informés. Chaque année, il y a de 10 à 15 p. 100 des gens qui se voient refuser une demande d'indemnisation parce qu'ils n'ont pas été informés à temps du fait que ce recours existait.

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Donc, l'information consiste à faire savoir comment fonctionne ce système, ce à quoi on doit s'attendre et quels sont les droits ou les recours possibles.

Or, ce type d'information n'existe pas du tout dans le système juvénile. Il suffirait de fournir un dépliant qui donne aux gens des renseignements sur les principales dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants et sur les recours possible quand on se trouve être une victime. Par exemple, vous pourriez faire connaître votre point de vue dans le rapport prédécisionnel ou au moment où la sentence est prononcée et vous pourriez être indemnisé sous cette forme-là. C'est de ce genre d'information qu'on parle.

M. St-Laurent: Vous venez de donner une statistique un peu inquiétante. Apparemment, sur 100 victimes, il n'y en a que 5 qui sont indemnisées, alors que les 95 autres pourraient l'être aussi, selon vous, si elles savaient qu'elles peuvent en faire la demande. C'est bien ce que vous venez de dire?

Mme Gaudreault: Ce sont des statistiques qui ont été présentées lors du Sommet de la justice au Québec en 1992. Il y a peut-être eu une légère amélioration depuis, étant donné que l'IVAC a fourni un peu d'information à la police, aux services d'urgence et à un service de santé.

Tout ceci est vrai pour le Québec et certainement aussi pour d'autres provinces où les victimes ne peuvent pas se prévaloir de leurs droits parce qu'elles n'ont pas l'information nécessaire. C'est pourquoi nous insistons beaucoup sur la formation des 4 500 policiers, qui doivent savoir à quoi servent les services d'indemnisation, qui peut y prétendre et quelles sont les conséquences du manque d'information pour les victimes. Je pense que cela aidera à changer les attitudes et à rendre des services. Je vous répète que cette infrastructure n'existe pas au niveau juvénile.

En ce qui concerne cette information dont je parle et dont les groupes qui travaillent auprès des victimes disposent, nous ne pouvons pas la transmettre, parce qu'actuellement, il n'y a pas de mécanisme ni de volonté d'organiser des séances d'information. Ce sont toujours de petites initiatives très ponctuelles dans le cadre d'un colloque ou d'un atelier, et ce n'est pas suffisant.

Mon expérience date de trois ans, si ce n'est quatre. J'ai rencontré tous les intervenants de tous les pénitenciers et de tous les bureaux des libérations conditionnelles du Québec. Nous avons donné deux jours de formation à ces intervenants. Nous avons eu le temps d'aborder les besoins des victimes par rapport aux services correctionnels, de parler des attitudes pro-victimes dans ce secteur et du genre d'information dont les victimes avaient besoin. On devrait avoir les mêmes préoccupations en ce qui concerne le réseau juvénile et il faudrait mettre en place des programmes semblables au niveau de la formation, de la sensibilisation et de l'information. C'est la seule chose que je demande.

M. St-Laurent: J'ai été appelé à quelques reprises à travailler à des dossiers d'indemnisation ou des requêtes en indemnisation. Une chose m'a paru curieuse et vous me direz si c'est habituel d'agir comme ça. Il semble qu'il soit plus facile, par exemple, d'obtenir le remboursement pour le changement d'une voiture trouée par des balles que de s'occuper de la personne qui était dans la voiture et qui a peut-être été atteinte par les balles. C'est une chose que j'ai pu constater par moi-même.

Mme Gaudreault: Je vais parler de la loi québécoise parce que je ne connais pas les autres lois. Dans la loi québécoise, il n'y a qu'une disposition qui permet aux victimes d'être remboursées pour des dommages matériels, et c'est lorsqu'on a tenté d'aider à l'arrestation de l'auteur d'un délit, qu'on a été blessé et qu'il y a des dommages matériels. C'est le seul cas. Sinon, on est indemnisé pour la perte de revenus, pour les problèmes d'assistance médicale ou de réadaptation, qu'on appelle aussi la réadaptation sociale ou au travail. Il n'y a donc que cette exception dans la loi québécoise que je connais très bien.

Mais vous soulevez un problème très sérieux. Il est vrai qu'il est souvent difficile pour les victimes d'obtenir une pleine réparation, car il y a de nombreux obstacles. C'est un processus qui, très souvent, fait que les victimes se sentent encore plus victimes. On parle de victimisation secondaire. On n'a cependant pas de statistiques concernant les victimes dont l'agresseur est un jeune contrevenant, ce qui ne nous permet pas de savoir combien de ces victimes s'adressent aux services d'indemnisation. Actuellement, il n'y a pas vraiment de relais, au niveau de l'information, entre les intervenants juvéniles et les services d'indemnisation, mais je sais qu'il y a plus de difficultés quand l'auteur du délit est un jeune.

.1435

M. St-Laurent: Est-il possible qu'il y ait un peu de lourdeur administrative dans le processus?

Mme Gaudreault: Même s'il y a des améliorations, il y a des lourdeurs administratives parce que c'est un processus compliqué. En effet, il y a beaucoup de délais à cause des processus de révision et d'appel, ce qui n'est pas simple. Il est important que les victimes aient accès à cette information et sachent que ces services existent. Je sais aussi que dans le système juvénile, beaucoup d'intervenants sociaux ne connaissent pas bien le régime d'indemnisation et, par conséquent, n'envoient pas les victimes à temps aux services concernés. Il est évident que lorsqu'on intervient plus tôt, les victimes sont prises en charge plus rapidement et les préjudices sont moins importants.

M. St-Laurent: Qu'est-ce que vous suggérez concrètement pour informer davantage et plus efficacement les victimes? Vous en avez parlé un peu tout à l'heure, mais je voudrais savoir ce qu'il en est concrètement. Est-ce que vous avez bien dit qu'il fallait investir plus d'argent dans la formation de personnel, par exemple?

Mme Gaudreault: Concrètement, oui. Il faut effectivement investir un peu plus d'argent, faire l'inventaire des besoins et surtout travailler en concertation. Je dois vous dire que dans notre organisme, le réseau juvénile est le maillon le plus faible comparé à d'autres types d'intervenants. Je pense que nous avons une bonne collaboration avec d'autres réseaux comme les services correctionnels dans les milieux adultes en général, mais il est souvent difficile de rejoindre le réseau juvénile. Je pense aussi, concrètement, que certains programmes ont besoin d'être évalués.

Cette évaluation doit se faire conjointement avec le fédéral et le provincial. Il y a des dispositions qui sont intéressantes dans le Code criminel. Je pense à la preuve photographique et à l'affidavit du droit de propriété. On a l'impression qu'il y a beaucoup de choses dans le Code criminel qui ne sont pas mises en application par les provinces et qu'ensuite, il n'y a pas d'évaluation ni de mesures incitatives qui permettent aux victimes d'en profiter.

Personnellement, je suis impliquée dans le dossier des victimes depuis 1984 et je sens un retrait et un manque de leadership du gouvernement fédéral dans ce dossier. En effet, il n'y a pas de porte d'entrée et on n'a pas d'interlocuteurs dans le dossier des victimes. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'initiative ou d'intérêt, mais je pense qu'il est très difficile de savoir à qui on s'adresse, qui a un leadership dans ce dossier, qui s'en occupe, qui le suit de près et qui est capable de voir si telle mesure peut être mise en application et comment on peut travailler avec les provinces.

Cela me semble aussi très inégal d'une province à l'autre. On parle beaucoup plus du dossier des victimes, ce qui fait très bien dans le discours politique, mais en réalité, peu de choses se font concrètement. Beaucoup de choses restent dans le discours.

M. St-Laurent: Merci beaucoup, madame.

[Traduction]

La présidente: Merci.

À titre d'information seulement et pour ne pas retirer à mes collègues une partie du temps dont ils disposent, ai-je bien compris qu'au Québec, du fait que l'indemnisation des victimes est régie par des lois provinciales, la victime dont l'agresseur est un jeune contrevenant est traitée différemment de la victime dont l'agresseur est un adulte?

[Français]

Mme Gaudreault: Non. Du point de vue juridique, non. Je me suis peut-être mal exprimée, mais je voulais dire que j'avais le sentiment, bien que je ne puisse m'appuyer sur des statistiques, qu'il y avait moins de références à l'indemnisation dans le cas d'un jeune contrevenant que dans celui d'un adulte, pour la simple raison que, dans le réseau juvénile, les intervenants connaissent moins le régime d'indemnisation.

Il y a un autre problème que je n'ai pas soulevé. Je ne sais pas si d'autres groupes l'ont soulevé, mais il nous inquiète beaucoup. Je n'ai pas de statistiques et je n'ai pas eu le temps de beaucoup me documenter, mais il s'agit du problème des victimes, car ce sont souvent de jeunes victimes. En d'autres termes, ce sont des jeunes comme d'autres jeunes.

On se rend compte actuellement, dans les services d'aide aux victimes, que ces jeunes-là ne viennent pas demander d'aide. Il y a beaucoup de chiffres non officiels au niveau de cette forme de criminalité, car ces jeunes victimes ne portent pas toujours plainte. Je vous donnerai comme exemple une vidéocassette que l'Association Plaidoyer-Victimes a faite sur les conséquences de la victimisation. Nous avons eu toutes les peines du monde à trouver un jeune qui acceptait de venir témoigner dans la vidéocassette sur le problème de l'extorsion, qui est tout de même assez courant chez les jeunes. Nous avons constaté que les jeunes qui sont les victimes d'autres jeunes ne veulent pas en parler et hésitent même à demander de l'aide. Évidemment, ils ne vont pas non plus vers les services pour adultes. En disant cela, je suis consciente de soulever encore un problème plutôt que d'apporter une solution.

.1440

Je parlais de recherche tantôt. Je pense qu'il faudrait faire de la recherche et se documenter sur cet aspect. Qu'est-ce qui arrive à ces jeunes-là? Qui s'en occupe? Je pense tout particulièrement aux jeunes victimes qui ont des familles qui les aident et qui ne sont pas pris en charge, par exemple, par la Loi sur la protection de la jeunesse.

On dit à ces familles qu'elles sont capables d'aider le jeune à s'en sortir car il se trouve dans un bon milieu. J'ai parlé à des parents qui se trouvaient dans une situation où l'enfant avait été abusé par un adolescent. Plusieurs familles qui étaient dans cette situation s'étaient adressées à notre système de protection de la jeunesse et on leur avait dit qu'elles n'avaient pas besoin de ce service car elles constituaient un bon milieu pour l'enfant. Mais ces familles avaient besoin d'aide et elles ont dû se débrouiller par elles-mêmes pour trouver des ressources, aussi bien pour elles que pour les enfants, car il s'agissait tout de même d'abus sexuels.

Actuellement, on n'a pas beaucoup de réponses et on n'a pas assez de connaissances sur ce phénomène. C'est un problème qui nous préoccupe beaucoup et il faudrait faire des recherches sur la victimisation des jeunes par d'autres jeunes et sur les réponses qu'on leur apporte actuellement.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Monsieur Ramsay, dix minutes.

M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.

J'aimerais vous remercier pour votre exposé. La question des droits des victimes fait vraiment partie de la protection de la société dont l'État devrait se préoccuper et dont il devrait prendre la responsabilité. De nombreux témoins ont comparu devant notre comité, non seulement dans le cadre de l'examen de la LJC, mais aussi pour d'autres projets de loi. Tous ont défendu les droits du contrevenant en matière de réadaptation, etc. Ces groupes ont complètement passé sous silence les droits des victimes.

En fait, au chapitre de la divulgation, ils vont même jusqu'à se demander si le nom d'un délinquant violent devrait être rendu public. Ils militent en faveur de la protection des droits du contrevenant, de manière que ce dernier soit mis à l'abri de toute stigmatisation possible. Ils ont raison sur ce point. Il peut y avoir stigmatisation, mais bien des gens ressentent les conséquences directes des actes du jeune contrevenant.

Il y a des gens qui vont militer en faveur de la protection des droits du contrevenant. Ce faisant, ils retirent à la victime les droits qu'elle pourrait avoir. Dans presque tous les cas, on assiste à une dégradation des droits des victimes.

Je pense que vous pouvez trouver des signes d'encouragement de plusieurs sources. Randy White, député du caucus du Parti réformiste, a présenté la déclaration des droits des victimes. Le ministre de la Justice ne l'a pas écartée d'emblée, soulignant qu'elle est valable à certains égards.

Par ailleurs, dans le mémoire qu'elle nous a présenté, l'Association des centres de jeunesse du Québec se déclare fortement en faveur de la Loi sur les jeunes contrevenants, telle qu'elle existe actuellement. Sous la rubrique «La place des victimes», on peut lire ceci:

Si je pense que vous allez finir par réussir à faire reconnaître les droits des victimes, c'est parce que nous sommes tous des victimes potentielles. Dans sa grande majorité, le public est d'accord sur ce point.

En tant que législateurs, il nous reste maintenant à assurer un équilibre; en d'autres termes, qu'est-ce qui est juste pour le contrevenant? En même temps, qu'est-ce qui est raisonnable en matière d'indemnisation ou d'information - dont vous avez fait mention - , au chapitre du traitement réservé aux victimes? Qui est la victime? Est-ce simplement la personne qui a été agressée, ou est-ce la mère et le père de cet enfant? S'agit-il des frères et soeurs? Des amis et des parents? Ou est-ce la société dans son ensemble?

.1445

[Traduction]

Nous pourrions dire qu'il s'agit d'un crime contre la société. Bien sûr, il y a effet de vague si l'on part de la victime et que l'on arrive aux familles, à la parenté, aux amis et au-delà. Le crime touche l'ensemble de la société. Ainsi qu'en témoigne le mémoire que je viens juste de citer, il semble que la plupart des gens sont d'avis que l'on n'accorde pas suffisamment d'attention aux victimes d'actes criminels.

Ceci étant dit, j'ai noté une ou deux questions. Que pensez- vous de la divulgation, notamment celle qui vise les récidivistes violents? Il ne faut pas oublier que si le nom du jeune contrevenant est rendu public, il en sera stigmatisé, jusqu'à un certain point.

Ce jeune aura plus de mal à trouver un emploi. Peut-être cela aura-t-il un effet négatif sur l'image et l'estime qu'il a de lui- même. Pensez-vous que la loi devrait favoriser le jeune contrevenant ou la société et les victimes éventuelles? Quel est votre sentiment? Notre comité est divisé sur ce point, de même que les témoins qui ont comparu. Quel est votre sentiment à ce sujet?

[Français]

Mme Gaudreault: C'est une bonne question. Ma réponse serait probablement différente s'il s'agissait d'un adulte. En ce qui concerne les jeunes, j'aurais tendance à dire qu'il faut éviter la stigmatisation. J'ai conscience qu'il y a des répercussions importantes dans les cas de crimes violents, mais je ne suis pas certaine que le fait de donner le nom de l'agresseur dans les médias apporte quelque chose de plus aux victimes. De toute manière, il est certain que les victimes n'ont pas la garantie d'être mieux protégées de cette façon.

Je vous dirai aussi que je suis sensible, tout comme mon organisation, à la situation particulière des jeunes contrevenants. Il y a un principe dans la loi qui parle davantage de la réhabilitation que de la punition et je pense que même si on doit toujours garder à l'esprit la protection de la société, il faut éviter de surpénaliser. Dans le cas des délinquants juvéniles, je ne vois pas la nécessité de divulguer leur identité dans les médias.

[Traduction]

M. Ramsey: Merci de votre réponse. Je pense en particulier à des cas de trafic de drogue, à des cas d'infractions sexuelles à répétition et aux parents qui cherchent toujours le meilleur moyen de protéger leurs enfants de l'influence de groupes de pairs qui pourraient les amener à commettre des actes criminels. S'ils ne savent pas qui dans leur quartier s'adonne à ce genre d'activités illégales et criminelles, ils ne disposent pas de l'information nécessaire pour empêcher que leurs enfants ne soient attirés dans ce milieu.

Nous avons donc un problème. Les avantages, pourriez-vous dire, que représente le maintien des lois actuelles sur la divulgation, doivent être bien pesés afin de pouvoir déterminer si l'on veut qu'ils favorisent le jeune contrevenant ou si les parents d'autres enfants ou d'autres membres de la société ont le droit de bénéficier de la protection que leur fournirait cette information, indépendamment de la forme que pourrait revêtir cette protection. Telle est la décision qu'il faut prendre et l'équilibre auquel il faut parvenir.

[Français]

Mme Gaudreault: Je pense que d'autres questions sont aussi importantes. Je travaille également, depuis 10 ans maintenant, comme commissaire communautaire à la Commission québécoise des libérations conditionnelles et je siège dans des établissements de détention provinciaux. C'est évidemment un travail occasionnel, mais je suis toujours très perplexe devant le fonctionnement de notre système.

.1450

Il m'est arrivé d'avoir des dossiers que je qualifierais d'incomplets, pour le moins, car il n'y a aucune information provenant du secteur juvénile et très peu d'information provenant du secteur fédéral. En général, on réussit à obtenir quelques renseignements quand on pose directement les questions à la personne qui est devant soi. On doit lui demander si elle a des antécédents de délinquance juvénile ou si elle est déjà allée en centre d'accueil, car on n'a pas ces renseignements dans le dossier.

Si on devait travailler à la protection de la société, je pense qu'il faudrait qu'il y ait une cohérence dans les systèmes et qu'on sache, par exemple en ce qui concerne les mesures de rechange pour adultes, si ces mesures de rechange ont déjà été appliquées. Quand la personne s'est trouvée dans le secteur juvénile, est-ce qu'elle en a tiré profit? Est-ce que cela a été bénéfique?

On recommence tout le processus quand on passe d'un système à l'autre, et il est étonnant de voir comment, d'un système à l'autre - je parle du juvénile, du provincial et du fédéral - , il n'y a aucune transmission d'information, ce qui fait que, finalement, le filet est extrêmement grand.

J'ai participé aussi l'an dernier à un comité d'enquête concernant un ex-détenu en libération conditionnelle.

[Traduction]

M. Ramsay: J'ai une autre question.

[Français]

Mme Gaudreault: Excusez-moi, je vais interrompre ma présentation. J'avais perdu la notion du temps.

[Traduction]

M. Ramsay: Désolé, j'aurais dû poser cette question plus tôt.

La présidente: Monsieur Ramsay, vous avez parlé plus de dix minutes.

Madame Torsney, avez-vous...

M. Ramsay: Pas d'après ma montre; cela fait exactement dix minutes.

La présidente: Oui, dix minutes et 22 secondes.

Mme Torsney (Burlington): Tout d'abord, je voulais simplement rétablir les faits, puisque vous vous intéressez aux victimes. La motion présentée à la Chambre a été adoptée à la quasi-unanimité, sinon à l'unanimité, et le ministre de la Justice s'est engagé à présenter une déclaration des droits des victimes. Cette déclaration doit nous être présentée au cours de l'année.

Par ailleurs, j'aimerais que vous précisiez - certains ont enlevé leurs écouteurs avant la fin de l'interprétation - ce que vous pensez en fait de la publication des noms.

[Français]

Mme Gaudreault: Je ne suis pas favorable à la divulgation du nom quand il s'agit d'un adolescent.

[Traduction]

Mme Torsney: Merci.

Certains nous ont dit que beaucoup de jeunes gens ne comprennent pas la loi actuelle, la Loi sur les jeunes contrevenants. D'autres nous ont dit au contraire que les jeunes sont au courant de tout ce qu'ils doivent savoir à propos de la loi; ils s'en moquent et c'est délibérément qu'ils ne respectent pas les lois.

D'après vous, comment les enfants et les jeunes contrevenants que vous avez rencontrés dans le cadre de votre travail comprennent-ils la loi au Québec?

[Français]

Mme Gaudreault: Vous parlez des jeunes contrevenants?

Mme Torsney: Oui.

Mme Gaudreault: Je pense que les jeunes, en général, ne connaissent pas beaucoup les dispositions de cette loi. Mais je pense que les jeunes contrevenants, par contre, connaissent l'ensemble de la loi bien que ce ne soit pas une de leurs préoccupations principales. Ce n'est pas la connaissance de la loi qui va avoir une très grande influence sur leur comportement.

On peut cependant avoir une connaissance globale de la loi. Je dirais même que les intervenants qui ne travaillent pas directement dans le réseau juvénile, ont une connaissance bien partielle de la loi parce que cela reste quand même une loi assez complexe qui a fait l'objet de plusieurs amendements au fil des années. On ne peut donc pas espérer que des jeunes et même des jeunes contrevenants connaissent bien la loi.

Je voudrais vous donner l'exemple des dispositions concernant l'alcool au volant au sujet desquelles il y a eu d'importantes modifications en 1985. Selon une étude récente du ministère de la Justice du Canada auprès des citoyens, les gens ne connaissent pas les dispositions du Code criminel qui s'appliquent à l'alcool au volant. Par conséquent, je ne pense pas qu'on puisse s'attendre à ce que des adolescents connaissent bien les dispositions de cette loi, son articulation et son impact.

.1455

[Traduction]

Mme Torsney: Je peux vous dire qu'il y a des gens, peut-être même certains autour de cette table, qui pensent que les jeunes connaissent parfaitement la loi, sont au courant des limites imposées et savent qu'ils peuvent s'en sortir facilement; si les peines étaient plus sévères, ils le sauraient et ne commettraient donc pas d'actes criminels. Ils ne victimiseraient pas les autres.

[Français]

Mme Gaudreault: Je pense que le sentiment d'impunité ne dépend pas directement de la connaissance de la loi; c'est plutôt le profit ou le plaisir que l'on peut tirer du délit qui est pris en compte. Quand on décide de commettre un délit, on ne pense pas nécessairement à la peine qui nous attend. Si les gens qui se préparent à commettre un homicide pensaient à la sentence qui les attend et qu'ils connaissent, il y aurait certainement moins d'homicides. Je ne pense donc pas que cet élément puisse nous permettre d'expliquer la conduite des délinquants et je suis sûre qu'il y a beaucoup d'autres facteurs qui sont beaucoup plus complexes que celui-ci.

Les jeunes qui se retrouvent avec des problèmes de délinquance sont, en général, des jeunes qui ont des problèmes sociaux, des problèmes familiaux. Il faut dire aussi que notre société n'investit pas beaucoup dans la prévention parce que cela coûte très cher et que notre action se situe plus dans les traitements curatifs.

Il y a eu toutes sortes d'études, au Québec, dont un rapport extraordinaire qui s'appelle le Rapport Bouchard et qui parle de l'aide qu'on devrait donner aux familles monoparentales, aux adolescentes enceintes et aux clientèles à risque, car on sait qu'une petite catégorie de délinquants sont de gros producteurs de la délinquance. C'est sur eux qu'il faut se polariser.

La question de la criminalité et de la délinquance juvénile est très complexe et ne s'analyse pas juste à partir d'un facteur ou d'une réponse. On ne peut pas reprocher aux jeunes de ne pas connaître les dispositions de la loi. D'ailleurs, si vous me demandiez quelles sont les dispositions de la loi avec toutes leurs nuances, même à mon âge avancé et avec les connaissances que j'ai dans le domaine, je n'aurais peut-être pas une bonne note.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Maloney.

M. Maloney (Erie): Si vous permettez, je vais prendre le temps que Mme Torsney n'a pas utilisé.

Vous avez dit que selon vous, les victimes devraient être informées de l'évolution du procès d'un jeune contrevenant à quatre étapes différentes. Quelles sont ces quatre étapes et qui devrait avoir une telle responsabilité - la police, la poursuite, l'avocat de la Couronne, un administrateur du tribunal? Qui devrait assumer cette responsabilité?

[Français]

Mme Gaudreault: Chaque niveau a la responsabilité de donner de l'information. Actuellement, je peux dire que la police, par exemple, n'a pas de politique et de directives pour donner de l'information aux victimes. Seuls quelques corps policiers ont des dépliants qu'ils peuvent remettre aux victimes. Il y a eu à un moment donné, dans certains corps policiers de l'Ouest, des directives très claires et des programmes. Mais ici, au Québec, cela n'existe dans aucun corps policier.

Je pense que tous les niveaux sont imputables de l'informations qu'ils doivent donner, autant au niveau du plea bargaining qu'au niveau de la libération d'un accusé. Je pense que chaque sous-système est responsable du type d'information qu'il doit donner et de la façon dont il va donner cette information.

Je trouve que le Service correctionnel a fait un petit progrès dans ce sens, même si c'est loin d'être parfait. Il y a, en tout cas, une politique: des gens sont là pour répondre aux victimes, les victimes peuvent assister aux audiences, etc. Je répète donc qu'il y a un minimum de choses à faire pour que, dans le réseau juvénile, quand on est victime, on sache ce qui nous attend en cour et quels sont les droits et recours que cette loi-là va nous donner.

Deux personnes ici ont parlé d'une charte des droits des victimes. Ce serait peut-être une belle initiative de la part de M. Rock, mais je mettrais plus ou moins d'espoir dans une mesure comme celle-là. En effet, on a déjà la Déclaration de l'ONU, le Parlement canadien a déjà adopté la déclaration de principe et on a la Loi sur l'aide et l'indemnisation des victimes d'actes criminels.

Ce sont des lois déclaratoires, un énoncé de principe. Ce sont des voeux pieux. Tant et aussi longtemps que ça ne se traduit pas dans des recours concrets et qu'il n'y a pas d'obligations de crées pour la police, pour les services correctionnels, pour les procureurs et pour les avocats qui négocient des sentences entre eux, on continue à faire du vent. C'est mon opinion personnelle sur une charte des droits des victimes.

L'idée de faire une charte des droits des victimes n'est pas nouvelle. On en parle depuis le milieu des années 1970. Je me demande ce que cette charte canadienne va donner de plus que la Charte de l'ONU à laquelle on a adhéré et travaillé. De plus, je pense que le fait de produire des documents qui ne sont que des promesses en l'air montre que l'on ne respecte pas beaucoup les victimes.

Il faut passer à l'action en investissant dans des programmes concrets, des programmes de soutien, des programmes de formation, des programmes d'évaluation et des programmes de recherche là où il y a des besoins. Depuis les dix années que je travaille bénévolement dans ce réseau-là, je suis fermement convaincue qu'il faut agir en ce sens.

.1500

[Traduction]

M. Maloney: La question de la responsabilité parentale survient de temps à autre. Comment envisagez-vous la responsabilité parentale vis-à-vis les victimes? Pensez-vous que ce soit une bonne ou une mauvaise chose et comment rendons-nous les parents plus responsables? Pouvons-nous rendre les parents responsables des actes de leur enfant?

[Français]

Mme Gaudreault: Je pense que les parents doivent assumer une part de responsabilité pour les actes qui sont posés par les jeunes contrevenants, mais qu'il faut voir ces parents davantage comme des parents ayant besoin d'aide.

Il y a une chose qui m'a surprise dans le Rapport Jasmin, quand on parle de la façon dont le système juvénile traite les parents. On a peu de considération pour eux et on les blâme. Les parents sont en fait des victimes. J'ai trouvé une très grande similitude entre la façon dont on traitait les parents et celle dont on traitait les victimes. Dans le fond, on les rend coupables, responsables. Alors, ils se sentent blâmés, laissés à l'écart. Ils ne savent pas comment ça marche, eux non plus.

Je me dis que si on veut responsabiliser les parents, il faut avoir une attitude de respect et d'ouverture. Je pense que le blâme et le coup de poing ne sont pas de bonnes attitudes pour faire débloquer les choses. C'est un peu ce que nous ressentons. Cela peut surprendre parce que nous disons souvent que notre groupe est de tendance modérée et que nous avons une position nuancée.

Nous nous voyons comme des gens qui travaillent au sein d'un système de justice où il faut concilier les droits et non pas les opposer. Il faut organiser un système qui soit plus humain. Il faut que les victimes aient plus de place, plus de droits, plus de considération, mais ce n'est pas une question mathématique. Ce n'est pas en enlevant des droits aux victimes qu'on va en donner aux détenus et vice-versa.

[Traduction]

La présidente: Je tiens à vous remercier pour votre intervention qui a été fort utile.

Nous allons maintenant lever la séance pour quelques minutes afin de donner à nos prochains témoins le temps de s'installer autour de la table.

.1502

.1510

La présidente: Nous reprenons maintenant la séance officiellement.

Nous souhaitons la bienvenue à M. Rose qui vient témoigner à titre particulier.

Monsieur Rose, habituellement, nous donnons au témoin le temps de faire une déclaration, s'il le souhaite. Ensuite, nous posons des questions.

M. Maurice Rose (à titre particulier): La seule déclaration que j'ai à faire figure ici dans les deux langues officielles, le français et l'anglais: je me présente, je dis ce qui est arrivé à mon fils, ce qui est arrivé aux jeunes en cause et ce que j'ai fait depuis.

J'ai comparu devant de nombreux comités... y compris pour la phase I du projet de loi C-37, le projet de loi C-12, ainsi que pour tous les changements dont vous êtes saisis au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants. J'ai pris la parole au Sénat et à la Chambre.

Comme je l'ai dit plus tôt, je ne vois aucun changement. Je vais être franc avec vous. Aucun changement ne sera utile dans mon cas, en tant que victime, ainsi que dans le cas des victimes auxquelles j'ai parlé...

La présidente: Est-ce votre déclaration liminaire?

M. Rose: Oui, madame. Je suis simplement une victime de la Loi sur les jeunes contrevenants. Je milite contre la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est ainsi que je vois les choses.

La présidente: Merci.

Monsieur St-Laurent, avez-vous des questions?

[Français]

M. St-Laurent: C'est plutôt court comme déclaration. Plusieurs témoins ont parlé de toutes sortes d'hypothèses. Vous avez pu en entendre quelques-uns. Que pensez-vous du principe du rapprochement victime-agresseur pour essayer d'empêcher à long terme que se propage cette tendance à la violence?

Dans un cas comme le vôtre, il s'agit d'un meurtre. C'est très délicat, mais il faut quand même penser à plus tard. Selon vous, où se trouvent les solutions? Jusqu'où pourrait-on aller pour trouver des solutions afin de diminuer le taux de criminalité chez les jeunes délinquants?

[Traduction]

M. Rose: Monsieur St-Laurent, je répondrai à votre question en disant que la solution que je préconise, c'est que l'on prévoit des sentences plus sévères, ainsi que je l'ai dit plus tôt. Je ne dis pas qu'il faille enfermer un jeune pendant 25 ans; je n'en suis pas encore là. Je pense toutefois que vous devriez examiner ce qui se passe. Si les sentences étaient plus sévères, tout cela cesserait.

.1515

Je veux parler de ce qui s'est passé à Beaconsfield, dans le cas de Mme Ida Rudy, par exemple. Je connais plusieurs autres cas où le jeune s'est présenté au tribunal et s'en est sorti avec trois ans, en vertu de l'ancienne - c'était trois ans à l'époque. C'est une plaisanterie.

Les victimes n'avaient pas voix au chapitre. J'ai été une victime et je n'ai pas eu voix au chapitre non plus.

Je pense qu'il faudrait essayer d'aider ces jeunes et faciliter leur réadaptation. En effet, il faudrait davantage s'efforcer de les aider au lieu de dire que l'on ne peut rien pour eux.

Pour répondre à votre question d'une autre façon, je vais vous donner un exemple précis de ce qui s'est passé l'année dernière dans une de nos écoles. Un jeune s'est mis à tout démolir dans l'école. Il était très violent. La police est venue, lui a passé les menottes et l'a emmené. Puis elle a déclaré qu'elle ne pouvait pas l'aider avant le mois d'octobre de l'année suivante. Il ne pouvait pas obtenir de rendez-vous avant le mois d'octobre de l'année suivante.

Je pense tout simplement qu'il faudrait en faire davantage. Nous n'en faisons pas assez pour ces jeunes aujourd'hui.

[Français]

M. St-Laurent: Selon vous, monsieur Rose, les victimes devraient-elles être consultées avant que la sentence soit rendue ou durant le processus judiciaire? Vous semblez vouloir être consulté comme victime à un moment donné. À quel moment devriez-vous être consulté, et pourquoi? Vouloir être consulté, c'est une chose, mais il faut que ce soit justifié au niveau judiciaire.

[Traduction]

M. Rose: Je ne crois pas que les juges soient consultés. Je crois que l'effet de la déclaration d'une victime sur un jeune contrevenant... J'étais au tribunal pour le procès de mon fils. J'ai assisté à la comparution des quatre jeunes. Pour l'un d'entre eux, le travailleur social avait un énorme dossier. Le juge a déclaré qu'il n'avait pas le temps de s'en occuper et a condamné ce jeune à trois mois.

Il s'agit du jeune accusé du meurtre au premier degré de mon fils... J'en ai la preuve. J'ai la preuve que le procureur de la Couronne s'est adressé à l'avocat du jeune et lui a dit: «Assurez- vous que ce jeune récolte trois ans; nous rabaisserons le chef d'accusation à la catégorie d'homicide involontaire». Cela a pratiquement gâché la cause de l'adulte...

Nous devrions être consultés. Je le répète, je condamne parfois la loi, mais il m'arrive aussi de condamner le procureur de la Couronne et les juges.

[Français]

M. St-Laurent: Seriez-vous d'accord qu'on publie les noms des agresseurs? Je ne parle pas de celui dont c'est le premier délit, mais de celui, comme vous dites, dont le dossier est tellement chargé que la personne ne peut le porter seule. Êtes-vous d'accord sur ces principes-là? Pensez-vous que c'est une façon d'intervenir pour dissuader un peu les jeunes contrevenants?

[Traduction]

M. Rose: Oui. Le fait de rendre leur nom public serait une mesure de dissuasion. J'ai des preuves... si le nom de ces jeunes avait été rendu public, nous n'aurions pas de tels problèmes. À partir du moment où on rend le nom public, les parents...

Je ne dis pas que c'est toujours la faute des parents. Je ne peux pas prendre au sérieux ceux qui représentent des organisations et qui déclarent devant vous que le jeune en question vient d'un foyer brisé, etc. C'est la plus grosse excuse que l'on puisse trouver. Je pense que vous êtes d'accord.

Si le nom de ces jeunes était rendu public, cela diminuerait le nombre des actes criminels. C'est l'objet de ma première pétition. J'aimerais que le nom de ceux qui commettent des actes criminels violents, des agressions sexuelles, soit rendu public.

Je peux vous donner des preuves... Je vis dans un duplex à Lachine. Trois maisons plus loin, je sais qu'il y a un jeune dont le casier judiciaire est assez volumineux. Combien de gens de ma rue le savent?

Je suis d'accord, cela ne devrait pas viser les délinquants primaires. Je ne dis pas qu'aujourd'hui un jeune, un délinquant primaire, va nécessairement cambrioler un magasin, etc. Je ne suis pas en train de dire qu'il faut le mettre au pilori.

.1520

Il est possible de changer le comportement des jeunes. Peu importe qui vous êtes. Je m'occupe beaucoup de hockey. Je suis entraîneur qualifié. Au base-ball, j'entraîne des tout-petits. J'entraîne ma petite-fille en ce moment.

On pourrait publier le nom de celui qui commet un acte criminel pour la troisième ou la quatrième fois. Si ses parents ne sont pas d'accord, c'est leur problème. Publier le nom du jeune. Cela le fera peut-être réfléchir.

Tant que nous ne prendrons pas de mesures, je ne pourrai pas souscrire à cette loi. Je suis désolé. Je veux préserver ma santé. En 1989, 1990, 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995, j'ai essayé de faire bouger les choses; ce n'est pas à moi de le faire.

[Français]

M. St-Laurent: Décidément, vous êtes une personne plutôt énergique. J'aurais tendance à dire que vous êtes littéralement choqué. Je vous comprends et je ne vous juge pas là-dessus. Seriez-vous disposé à rencontrer les agresseurs qui ont tué votre fils?

[Traduction]

M. Rose: Pour répondre à votre question, franchement, je l'ai déjà fait au tribunal. Dans un cas particulier, au tribunal de la jeunesse à Saint-Denis et Bellechasse, le père est venu me tendre la main. Il m'a dit qu'il était désolé. Je lui ai tourné le dos. J'étais envahi par la colère. Je suis simplement parti. J'ai toutefois vu les trois enfants - à ce moment-là je les appelais des enfants - qui ont tué mon fils.

Est-ce que j'avais envie de les rencontrer? Non. Je les ai observés alors qu'ils allaient être accusés de meurtre. Au procès, ils avaient l'air de s'amuser et plaisantaient lorsque le juge parlait dans les deux langues. Pour eux, c'était de la blague.

J'ai travaillé au Cap-Breton mais je suis Québécois. J'ai vécu au Québec pendant plus de 38 ans. Non, je n'aurais pas la patience de rencontrer ces jeunes parce que j'aurais peur de mes propres réactions. Je tiens à être honnête avec vous.

Mais j'ai rencontré des jeunes depuis la mort de mon fils. J'ai aidé des jeunes au poste 13, au poste 11, et au poste 25 ici à Montréal. J'ai pris la parole dans les écoles. En fait, j'ai sans doute aidé deux jeunes au poste 13. J'ai parlé à deux policiers du poste 13 et je leur ai montré des documents que j'ai en ma possession qui indiquent ce qui arrive aux jeunes.

Vous m'avez fait comparaître aujourd'hui ici avec d'autres organisations. J'aimerais beaucoup que vous fassiez comparaître des policiers de n'importe où au Québec ou au Canada qui travaillent avec ces jeunes. Comprenez-vous ce que je veux dire? Chaque jour, 12 heures par jour, le policier se trouve avec des jeunes. Posez-lui les questions que vous posent ces gens et voyez si vous pensez pouvoir modifier leur comportement et si vous pensez que c'est la faute des parents.

Comme je l'ai déjà dit, on ne fait pas suffisamment de choses pour aider ces jeunes. D'après ce que j'ai constaté jusqu'à présent, c'est-à-dire depuis le premier procès en octobre 1989 lorsque j'ai commencé ma croisade, je n'ai jamais eu connaissance qu'on fasse quoi que ce soit pour aider ces jeunes. C'est la vérité.

Je suis Québécois, mais je ne parle pas simplement du Québec. Je parle de l'Ontario, de la Nouvelle-Écosse et de l'Ouest. M. Ramsay siège ici. Je parle de l'Ouest.

Nous devons nous asseoir ici aujourd'hui et faire adopter une loi pour déclarer... La question n'est pas de laisser un jeune qui a commis un meurtre en prison pendant 25 ans. Ce n'est pas ce que je veux. Je tiens à être clair là-dessus. Je déclare ici aujourd'hui que ce n'est pas ce que je veux. C'est ce que veulent bien des gens présents ici aujourd'hui mais pas moi. Je veux qu'on aide ces jeunes. Je ne veux pas que leur vie soit complètement gâchée.

Mais comprenez-moi bien. J'ai perdu mon fils à cause de trois jeunes qui l'ont assassiné. Je n'aurais rien aimé de mieux que d'entendre le juge leur imposer 25 ans de prison. Mais les bons sentiments l'ont emporté.

J'ai enseigné aux jeunes. Aujourd'hui, il faut faire quelque chose pour eux et leur montrer qu'ils comptent pour nous. C'est ce que nous devons faire aujourd'hui mais je ne crois pas que c'est ce que nous sommes en train de faire.

Je crois que les organisations n'essayent même pas. Certaines organisations qui comparaissent devant vous réclament des félicitations et des encouragements. Des organisations d'un peu partout au Canada m'ont demandé de me joindre à elles pour entreprendre une croisade pour les victimes. Je suis prêt à aider n'importe quelle victime. Je l'ai déjà fait. Je ne veux rien savoir des organisations. Comme vous pouvez le constater, je comparais en mon nom propre. Je ne fais partie d'aucune organisation. Je ne veux rien savoir d'une telle organisation parce que je ne crois pas aux organisations. Je pense que les organisations veulent des félicitations et des encouragements. Je pense que nous devons dire aux victimes qu'il faut aider ces jeunes, qu'il faut faire quelque chose pour eux.

.1525

Le Québec fait du bon travail jusqu'à un certain point mais à mon avis, ce n'est pas suffisant. Je n'ai rien contre eux. La situation en Ontario n'est pas meilleure. Je tiens à vous le dire ici même, monsieur, si vous voulez voir des cas documentés, je vous les montrerai. Vous pourrez alors constater que le Canada ne fait pas ce qu'il faut.

La présidente: Je vous remercie.

Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes.

M. Ramsay: Je vous remercie, monsieur Rose, de votre témoignage. J'ai un certain nombre de questions.

En ce qui concerne la déclaration de la victime devant le tribunal des jeunes contrevenants, êtes-vous d'accord pour que les victimes aient le droit de présenter une déclaration écrite en plus de comparaître en personne et de présenter leur témoignage de vive voix si elles décident de le faire, ou croyez-vous qu'il est préférable de s'en tenir aux déclarations écrites?

M. Rose: Il faut beaucoup de courage à une victime pour faire face à l'auteur du crime. Mais si elle en le courage, effectivement, je crois qu'une victime qui comparaît devant un juge peut inciter le juge à prêter davantage attention à sa déclaration, si elle est faite de vive voix. C'est ce que je pense. J'ai eu l'occasion de le constater... Je pense que le juge lui accorde peut-être plus de poids.

M. Ramsay: Comme vous l'avez dit, il est extrêmement difficile d'être confronté à ce genre d'émotions et la déclaration écrite de la victime est peut-être un moyen par lequel les tribunaux évitent d'y être confrontés. Je crois comprendre que le nouveau projet de loi permet à la victime de faire une déclaration mais elle doit être par écrit.

La situation est différente en ce qui concerne les conseils de détermination de la peine où non seulement le contrevenant est présent mais également la victime et la victime de la famille et où il n'y a aucune divulgation. Les membres de la collectivité peuvent être présents et participer.

Le juge de la Saskatchewan qui a comparu devant notre comité a indiqué qu'il s'agit parfois de deux ou trois heures pleines d'émotions intenses. Il a entendu certains contrevenants dire qu'ils préféreraient faire de la prison que de participer à ce processus. Pourtant, d'après les témoignages que nous avons entendus et d'autres renseignements que j'ai reçus, il semble que ce soit le début du processus de guérison de part et d'autre, non seulement pour la victime et la famille de la victime mais également pour les contrevenants.

Les trois jeunes qui ont tué votre fils ont sûrement été sérieusement marqués. Ils font peut-être semblant de rien au tribunal et peut-être sont-ils endurcis à ce point mais un jour ils se rendront compte du tort qu'ils se sont causés en tuant votre fils.

Nous allons examiner de près le fonctionnement des conseils de détermination de la peine lorsque nous irons dans l'Ouest où ils sont utilisés, particulièrement au Yukon. Ces conseils visent à confronter le contrevenant avec sa victime bien que ce ne soit pas la panacée puisque dans la majorité des cas, il faut obtenir au préalable le consentement de la victime.

Dans un cas comme le vôtre, si vous refusiez - il m'étonnerait d'ailleurs qu'on tienne des conseils de détermination de la peine en cas de meurtre mais s'il s'agissait d'un crime moins grave - de participer, il faudrait alors se demander si la tenue d'un conseil de détermination de la peine convient dans un tel cas.

Avez-vous déjà entendu parler des conseils de la détermination de la peine et de certains de ces mécanismes communautaires de traitement des infractions? Dans l'affirmative, qu'en pensez-vous?

M. Rose: J'en ai un peu entendu parler lorsque j'ai discuté avec M. Rock de certains éléments des nouveaux projets de loi.

J'aimerais revenir à une question que vous m'avez posée lorsque vous avez mentionné les trois jeunes qui ont tué mon fils. Un jeune a reçu une peine de trois mois; il a passé un mois en détention. Un autre a reçu une peine de six mois; il a passé deux mois en détention. Le troisième a été condamné pour homicide involontaire; il a passé neuf mois en détention. Les trois jeunes qui ont tué mon fils ont été libérés et deux semaines après, ils étaient arrêtés de nouveau.

.1530

Pour revenir aux déclarations de la victime, elles existent en Ontario et dans l'Ouest mais pas au Québec.

M. Ramsay: D'après ce que j'ai lu, les déclarations de la victime doivent être uniquement par écrit. C'est donc là où on en est dans certaines régions.

M. Rose: Les déclarations écrites ne valent pas toujours grand chose, mais si la victime comparaît devant le juge, le juge accordera peut-être plus de poids à sa déclaration et les jeunes réfléchiront peut-être davantage à ce qu'ils ont fait.

J'étais présent lors du procès concernant les meurtres commis à Beaconsfield et il n'y a eu aucune déclaration de la victime.

M. Ramsay: Il n'y a pas eu de déclaration autre que ce qui a été présenté par l'avocat de la Couronne.

M. Rose: C'est exact. J'estime que l'avocat de la Couronne n'a pas fait son travail. Les trois accusés ont reçu une peine de trois ans.

M. Ramsay: Que pensez-vous alors des déclarations de la victime?

M. Rose: Je pense qu'elles devraient être utilisées partout au Canada et que ce devrait être la loi.

Mais comme vous l'avez déjà dit, et je crois que M. St-Laurent a dit la même chose, parfois les victimes n'en sont pas capables. On ne doit pas obliger une victime à aller en cour pour faire face à ceux qui ont peut-être tué un membre de sa famille. Ma femme, mon fils et ma fille ne m'ont jamais accompagné dans mes démarches et je ne crois pas qu'ils en seraient capables. Mais si la victime peut aller en cour et prendre la parole, cela fera peut-être réfléchir le jeune.

M. Ramsay: Vous avez indiqué que vous n'appartenez à aucun groupe de victimes. Pourquoi pas? Avez-vous été invité à en faire partie?

M. Rose: Oui, j'ai été invité par au moins 25 ou 30 organisations au Canada en raison de l'influence que j'ai eue. Je ne tiens pas à recevoir des félicitations pour ce que j'ai fait mais j'espère avoir eu une certaine influence et avoir contribué à faire modifier certaines lois. J'espère que je continuerai à avoir une influence. J'ai fait divulguer les noms mais je n'ai aucune intention de me joindre à une organisation parce que je trouve que beaucoup d'organisations veulent des félicitations et des encouragements.

M. Ramsay: Que voulez-vous dire par là?

M. Rose: Vous rappelez-vous l'année dernière, le 27 septembre, on a organisé une journée à l'intention des victimes sur la colline du Parlement?

M. Ramsay: Oui.

M. Rose: Stewart, un type de l'Ouest en était l'organisateur. Il est venu me demander de l'aider avec ce projet. Nous avons donc obtenu le permis pour tenir cet événement à l'intention des victimes partout au Canada. Quatre ou cinq organisations nous ont dit que nous n'avions aucun droit d'organiser un tel événement et à l'époque nous avions obtenu la participation de plein de monde d'un bout à l'autre du Canada, y compris le Québec. J'ai tout cela à la maison. Nous avons demandé aux organisations de venir aider les victimes. L'idée n'était pas de recevoir des félicitations. Quatre ou cinq organisations nous ont critiqués ce jour-là.

M. Rock est venu prendre la parole à l'occasion de cet événement, tout comme M. Gray. Votre propre chef était présent. M. Manning était présent. Beaucoup de gens étaient présents. Le Bloc Québécois est venu prendre la parole. On ne nous en a pas moins critiqués pour avoir essayé d'organiser cet événement.

Pourquoi vouloir faire partie d'une organisation de victimes lorsque ses membres n'arrivent même pas à s'entendre sur la voie à suivre?

Je m'occupais beaucoup de hockey et de baseball, comme je l'ai dit plutôt. J'étais président, vice-président, etc. J'ai constaté que si on veut faire quelque chose, il vaut mieux le faire soi- même, sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit. Il m'arrive d'avoir mon franc-parler. J'ai participé à des émissions de télévision au réseau national. J'ai pris la parole à l'assemblée législative de New York et à celle du Vermont. J'ai pris la parole en Floride à propos de la Loi canadienne sur les jeunes contrevenants et je ne l'ai jamais condamnée auprès de qui que ce soit lors de mon séjour aux États-Unis. On m'a demandé de participer à l'émission d'Oprah Winfrey. Au Canada, j'ai participé à une multitude de talk shows télévisés.

Je ne crois pas aux organisations.

M. Ramsay: Quels sont les changements qui selon vous devraient être apportés à la Loi sur les jeunes contrevenants. Avez-vous trois ou quatre recommandations à faire?

.1535

M. Rose: Oui, j'en ai trois.

La première, autoriser la publication des noms. C'est notre but premier.

La deuxième, porter la peine d'emprisonnement maximale à 25 ans, sans nécessairement imposer au jeune une peine de 25 ans. Nous y mettrons un terme.

Si j'ose, la troisième... Lorsqu'un jeune est ramassé par un policier, il est remis aux instances d'aide à la jeunesse qui l'amènent au tribunal. Je sais selon des cas documentés qu'après cette étape, on ignore ce que devient le jeune. Deux jours plus tard, le même policier peut ramasser ce jeune sans savoir ce qui lui est arrivé entre-temps. Nous n'avons aucune idée de ce qui se passe entre le moment où le policier le remet aux instances d'aide à la jeunesse jusqu'à la fois d'après où il le ramasse.

J'ai des documents pour le prouver. Un jeune a été amené au poste 11 et deux jours plus tard le même policier le ramasse pour introduction par effraction. Le policier n'avait aucune idée de ce qui se passait. Il a examiné son dossier et l'a remis aux services sociaux et au centre de détention juvénile.

Lorsqu'un jeune est accusé d'une introduction par effraction une première fois, il peut récidiver deux, trois ou quatre fois sans être traduit chaque fois devant les tribunaux. J'aimerais qu'une personne accusée trois fois d'introduction par effraction subisse un procès trois fois plutôt que d'être remise en liberté après un seul procès.

Cette notion de mesures de rechange est une vraie farce. Un jeune commet un vol et signe un registre. Il signe son nom - c'est ce que prévoit comme vous le savez la Loi sur les jeunes contrevenants - et plaide coupable. Il plaide coupable et on lui dit: «Tu as 30 jours de travail communautaire.» Le jeune ne prend même pas la peine de se présenter et personne ne le relance - personne.

La présidente: Je vous remercie.

Madame Torsney ou monsieur Maloney, avez-vous des questions?

Mme Torsney: J'aimerais obtenir certaines précisions. Vous venez de dire que vous vouliez entre autres qu'il soit possible d'imposer une peine d'emprisonnement de 25 ans. Quels sont les crimes que vous visez précisément par cette mesure?

M. Rose: Les crimes violents.

Mme Torsney: Tous les crimes violents?

M. Rose: Tous les crimes violents.

Mme Torsney: Savez-vous s'il existe une disposition prévoyant qu'un jeune, accusé d'un crime violent, peut être jugé par un tribunal pour adultes?

M. Rose: Oui. Je connais cette disposition. Ces jeunes peuvent être transférés mais combien de jeunes ont été transférés en vertu de l'ancienne loi?

Mme Torsney: Pour certains, beaucoup trop et pour d'autres pas assez.

M. Rose: Je considère pour ma part qu'il n'y en a pas eu assez.

Mme Torsney: Mais dans certains cas, il est possible d'imposer une peine de 25 ans.

M. Rose: Lorsqu'un jeune est transféré à un tribunal pour adultes, il reçoit une peine d'emprisonnement à perpétuité. Qu'est- ce que cela signifie? Combien d'années cela représente-t-il?

Mme Torsney: Il est condamné à perpétuité.

M. Rose: Qu'est-ce que cela représente, de façon concrète?

Mme Torsney: C'est une condamnation. Voulez-vous dire derrière les barreaux?

M. Rose: C'est exact.

Mme Torsney: Pour certains, cela signifie l'emprisonnement à perpétuité. D'autres ont la possibilité d'obtenir une libération conditionnelle après 25 ans. D'autres ont l'option de demander à un jury une libération après 15 ans, par exemple.

M. Rose: Pouvez-vous démontrer preuve en main qu'un jeune transféré à un tribunal pour adultes a reçu une peine d'emprisonnement à perpétuité et a été condamné à 25 ans d'emprisonnement?

Mme Torsney: Nous pourrions certainement vous trouver des cas de ce genre.

M. Rose: Pourriez-vous m'en fournir des preuves?

Mme Torsney: Dans les cas de meurtres au premier degré?

M. Rose: C'est exact.

Pourrais-je vous poser une question puisque vous m'en avez posé une?

La présidente: Je vous en prie, laissez Mme Torsney répondre.

Mme Torsney: Croyez-vous que le fait de juger un jeune devant l'un ou l'autre tribunal et de lui imposer une peine de 25 ans va permettre de changer quelque chose?

Voilà ce que je veux savoir. Je préférerais qu'il y ait moins de victimes, donc, moins d'incidents, moins de crimes. Comment pensez-vous que le fait de pouvoir imposer une peine de 25 ans pour un crime violent ou un meurtre au premier degré va mettre un terme à ce genre de crimes?

M. Rose: Un jeune va y réfléchir à deux fois avant de se servir d'un fusil ou d'un couteau pour commettre un crime s'il fait face à une peine de 25 ans, plutôt qu'à une peine de trois, de cinq ou de sept ans.

Mme Torsney: Je vais donc vous poser la question suivante. Le jeune qui a tué votre fils et qui a été jugé devant un tribunal pour adultes a été reconnu coupable de quel crime?

M. Rose: Il a été reconnu coupable d'homicide involontaire parce que le procureur de la couronne du tribunal pour la jeunesse en a décidé ainsi. Il ne pouvait donc pas être reconnu coupable de meurtre au premier degré. Il a obtenu une peine de sept ans, grâce aux efforts du procureur de la couronne.

Mme Torsney: Est-ce parce qu'il avait d'abord été reconnu coupable d'homicide involontaire devant le tribunal pour adolescents?

M. Rose: C'est parce que le procureur de la couronne, le juge et l'avocat du jeune délinquant s'étaient mis d'accord à ce sujet. Ils ont dit que si le jeune était reconnu coupable d'homicide involontaire, il obtiendrait trois ans de prison. Le procureur de la couronne ne pouvait pas accuser l'adulte de meurtre au premier degré. Il devait l'accuser d'homicide involontaire.

.1540

Mme Torsney: Un des avocats pourrait peut-être nous expliquer tout cela plus tard. Je ne suis pas spécialisée en droit.

Vous avez également dit que vous vouliez que les noms de tous les jeunes contrevenants accusés d'un crime ou reconnus coupables d'un crime soient publiés. Je ne me souviens plus très bien ce que vous avez proposé. J'aimerais avoir des précisions là-dessus.

Ensuite, comment cette démarche va-t-elle permettre aux gens de mieux se protéger. Par exemple, quelle attitude allez-vous adopter face au jeune contrevenant qui habite dans votre immeuble? Ou quelle attitude votre fils aurait-il adoptée face aux personnes qui l'ont tué s'il avait su qu'il s'agissait de jeunes contrevenants?

M. Rose: D'abord, mon fils est monté à bord d'un autobus, tout comme ces jeunes, donc je ne crois pas que cela aurait changé grand chose. Deuxièmement, si le nom de ces jeunes était publié, tout le monde s'en trouverait mieux.

Mme Torsney: Vous ne pensez pas que cela pourrait lui donner l'impression d'être quelqu'un d'important auprès de ces amis?

M. Rose: Eh bien, s'il pense être une personne importante... du moins, son nom est publié parce qu'il a commis un crime et les gens seront ainsi renseignés. Leur droit d'accès à l'information serait garanti.

Vous pouvez très bien avoir comme voisin un jeune qui n'est âgé que de 17 ans. Il peut avoir un casier judiciaire long comme son bras. Vous ne le savez pas et je ne le sais pas, sauf si l'on a accès à ces renseignements.

Mme Torsney: Évidemment, vous pourriez aussi avoir comme voisin un jeune de 17 ans qui n'a jamais été accusé ou reconnu coupable d'un crime et qui a fait exactement la même chose.

M. Rose: Je le sais.

Mme Torsney: Le fait de publier les noms ne donne pas grand chose.

M. Rose: Au contraire, je crois que c'est très utile.

M. St-Laurent a soulevé une très bonne question. Vous avez un jeune qui a été reconnu coupable à quatre reprises en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. Publier son nom et de même que les infractions qu'il a commises. Aux États-Unis, si un jeune commet une infraction en vertu de la loi sur les jeunes contrevenants et qu'il est arrêté après avoir obtenu ses 18 ans, son dossier se retrouve devant un juge. Tout est publié dans les journaux, y compris le fait que cette personne a des antécédents comme jeune contrevenant. Au Canada, nous ne pouvons pas faire cela.

Mme Torsney: Oui, vous pouvez le faire.

M. Rose: Je ne connais pas encore de cas où on l'a fait.

Mme Torsney: D'accord.

Je ne sais pas si vous avez d'autres questions, monsieur Maloney.

La présidente: Monsieur St. Laurent, avez-vous d'autres questions? Vous avez cinq minutes.

[Français]

M. St-Laurent: Monsieur Rose, avez-vous de la difficulté à obtenir de l'aide ou avez-vous bénéficié d'aide après l'acte qui a été commis contre votre fils?

[Traduction]

M. Rose: Je ne comprends pas votre question.

[Français]

M. St-Laurent: Certains témoins ont parlé plus tôt de l'aide aux victimes. Vous êtes une victime et votre fils est décédé. Avez-vous éprouvé des difficultés? Avez-vous demandé de l'aide? Saviez-vous qu'il existait de l'aide? Si vous en avez demandé, en avez-vous reçu?

[Traduction]

M. Rose: Après le meurtre de mon fils, la publication du rapport du coroner, ainsi de suite, j'ai reçu un chèque de 300 $ du gouvernement du Québec pour les frais funéraires. Nous n'avons reçu aucune autre forme d'assistance. Personne ne nous a offert de l'aide. Pas un seul travailleur social ou organisme n'a offert de l'aide à ma famille. C'est tout ce que nous avons reçu du gouvernement. Un chèque de 300 $. J'ai renvoyé le chèque au gouvernement. Je lui ai dit qu'il en avait plus besoin que moi. Ce n'était pas votre gouvernement qui était au pouvoir à l'époque.

[Français]

M. St-Laurent: [Inaudible - La rédactrice] ...réponse à une question.

[Traduction]

La présidente: Merci.

M. Rose: C'est tout ce que nous avons reçu à ce moment-là, monsieur St-Laurent. Personne ne nous a demandé, à moi ou à ma famille, si nous avions besoin d'aide. J'ai rencontré, depuis, trois ministres de la Justice du Québec. J'ai rencontré récemment M. Bégin et nous avons discuté ensemble de cette question. Je dois dire qu'il ne m'a pas été d'un grand soutien.

C'est une question que je soulève très souvent. Lorsque j'en discute avec d'autres victimes, c'est la même chose. Le problème, c'est que les gens que nous avons rencontrés n'ont pas vécu la même expérience. Ils étaient plutôt là pour se renseigner. Un jour, j'ai accompagné une personne à un rendez-vous. La dame posait des questions, et j'étais assis à côté de cet homme qui avait perdu sa fille. J'ai demandé à la dame si sa famille avait vécu une expérience similaire. Elle m'a répondu non, qu'elle était là uniquement pour se renseigner. Nous nous sommes levés tous les deux et nous sommes partis.

M. St. Laurent: Merci.

La présidente: Merci, monsieur St. Laurent.

Monsieur Ramsay, avez-vous d'autres questions?

.1545

M. Ramsay: Quelques questions très brèves.

Pour revenir à certains des mémoires qui nous ont été soumis, Jean Piaget, qui est cité à plusieurs reprises, déclare ce qui suit:

Êtes-vous d'accord avec ces conclusions? On laisse entendre ici qu'un jeune a atteint un stade de développement où il devient responsable. Il sait distinguer le bien du mal et devrait être tenu responsable de ses actes.

Notre parti est d'avis que les jeunes de 16 et de 17 ans qui commettent des crimes violents devraient automatiquement être jugés devant un tribunal pour adultes. L'âge devrait être ramené de 12 à 10 ans. La police devrait avoir le pouvoir d'intervenir dans un cas comme celui où un jeune de 11 ans a violé une fille de 13 ans. Qu'ils soient traduits devant un tribunal ou qu'ils fassent l'objet d'autres mesures, au moins, le système de justice pénale s'occuperait de ces cas.

Qu'en pensez-vous?

M. Rose: À l'heure actuelle, aucun parlementaire au Canada ne ferait l'objet de critiques s'il proposait qu'un jeune de 15, 16 ou 17 ans qui commet un crime violent soit jugé devant un tribunal pour adultes. Aucun parti ne s'opposerait à cela. Ni le Parti libéral, ni le Bloc québécois, ni le Parti réformiste ne refuseraient que ces jeunes soient ainsi transférés. Mais le fait de...

M. Ramsay: Mais il y en a qui vont s'y opposer.

M. Rose: Oui, mais j'ai vu un cas documenté d'un jeune âgé de 17 ans et demi qui n'a pas été transféré au tribunal pour adultes. Il a obtenu une peine de trois ans. Je peux vous fournir le nom des personnes visées, des jeunes.

M. Ramsay: Pour quel crime?

M. Rose: Pour meurtre. En fait, ce jeune a collaboré. Dans deux cas, les jeunes ont aidé la police à retrouver les victimes.

M. Ramsay: Et si on passe à l'autre extrême? Il y a...

M. Rose: Vous parlez du cas survenu à Toronto. J'ai tout un dossier à la maison sur ce garçon de 11 ans qui a violé une jeune fille de 13 ans.

Je suis ici en train de prêcher, de dire qu'il faut imposer des peines de 25 ans. Vous avez un jeune de 10 ans qui commet un meurtre. Il fait face à une peine de 25 ans, mais il s'agit d'une première infraction. Que doit-on faire? Comme je l'ai déjà demandé, que pouvons-nous faire?

Si nous parvenons à nous entendre sur les peines à imposer, nous allons peut-être réussir à enrayer bon nombre de ces actes. Je ne dis pas que nous allons les éliminer, mais les victimes comme moi-même - les autres au Canada, y compris au Québec - , ont assisté à des procès où un jeune obtenait une peine de trois ou cinq ans.

Je ne parle pas uniquement du Québec, mais aussi de l'Ontario où un jeune a été transféré au tribunal pour adultes. J'aimerais en même temps répondre à une autre question que vous m'avez posée plus tôt. Ce jeune a été transféré au tribunal pour adultes. Il a été condamné à perpétuité, c'est-à-dire onze ans. Il a été envoyé à un centre de détention pour jeunes à Toronto. Dès qu'il a eu 21 ans, il a présenté une demande de libération et a été relâché. Il vit à London, en Ontario. Il suit des cours au collège Fanshawe, aux frais du centre correctionnel.

Comment croyez-vous que se sentent les victimes lorsqu'elles apprennent que le jeune qui a été transféré devant un tribunal pour adultes et qui a obtenu une peine d'emprisonnement à perpétuité, n'a purgé que onze ans de sa peine et suit maintenant des cours au collège Fanshawe? Vous voulez des noms? Quelque'un a un télécopieur? Donnez-moi le numéro et je vais vous envoyer tous ces renseignements.

Il vient d'être remis en liberté. La commission des libérations conditionnelles du Québec est intervenue. Au lieu de l'enfermer dans un pénitencier pour adultes, ils l'ont placé dans un foyer de transition à London, en Ontario. Je reviens de London, où je me suis rendu au foyer de transition. Le jeune fréquente le collège Fanshawe, et ses cours sont tous payés par nos bons vieux centres correctionnels.

Comment croyez-vous que je me sens, comment croyez-vous que se sentent les autres victimes?

La présidente: J'aimerais rectifier quelque chose. Le Service correctionnel du Canada ne paie pas les cours universitaires.

M. Rose: Quelque'un au gouvernement le fait.

.1550

Mme Torsney: Vous pourriez nous fournir le nom et le donner au greffier.

M. Rose: Je l'ai chez moi. J'ai tout un dossier chez moi. Je peux vous dire comment s'appelait la jeune fille qui a été tuée à Toronto. Elle s'appelait Carrie Pinard, la fille de Bob Pinard. Le jeune a été transféré au tribunal pour adultes, qui l'a condamné à 11 ans de prison pour meurtre au premier degré.

Mme Torsney: A-t-il été condamné à perpétuité ou à 11 ans de prison?

M. Rose: C'était comme une peine d'emprisonnement à perpétuité, sauf qu'il n'a été condamné qu'à 11 ans de prison.

Le fils d'un homme de Calgary a été tué dans une cour d'école. Le jeune coupable a été condamné à perpétuité. Il s'appelle Stu Garrioch - je pense que vous le connaissez. Le jeune meurtrier a été condamné à perpétuité, mais il n'a purgé que sept ans de sa peine. Il a retrouvé sa liberté.

Donc, lorsqu'un jeune est transféré au tribunal pour adultes, la condamnation à perpétuité ne veut rien dire. C'est pourquoi je propose qu'elle soit fixée à 25 ans.

Mme Torsney: Derrière les barreaux?

M. Rose: Oui.

La présidente: Monsieur Rose, je tiens à clarifier deux choses. Vous avez utilisé l'expression «homicide involontaire», mais cette accusation n'existe pas et n'a jamais existé au Canada.

M. Rose: Dans le cas de mon fils, le jeune a été accusé d'homicide volontaire.

La présidente: Non. Cela n'existe pas. Je ne fais que vous expliquer, monsieur, que selon le Code criminel et autre texte de loi, la seule accusation possible serait l'homicide. Il peut être reconnu coupable d'homicide, mais il n'existe pas au Canada d'accusation d'homicide involontaire.

M. Rose: Eh bien, dans le cas de mon fils, il a été reconnu coupable d'homicide volontaire. C'est pour cette raison qu'il ne pouvait pas être accusé comme adulte.

Si vous voulez me donner votre numéro de télécopieur, je vais vous faire parvenir tous les documents que j'ai chez moi, des articles de la Gazette, du Journal de Montréal. Je vais vous envoyer ces renseignements, de même que le nom du juge.

La présidente: Le fait qu'on en parle dans les journaux ne veut rien dire, monsieur.

Je tiens tout simplement à clarifier ce point aux fins du compte rendu, pour éviter qu'il y ait des erreurs. Il est important que vous sachiez que lorsqu'une personne a des antécédents comme jeune contrevenant, si, à l'âge de 18 ans, elle est reconnue coupable d'un autre crime devant un tribunal pour adultes, ses antécédents sont pris en considération par le tribunal. Il serait malhonnête, pour un procureur de la Couronne, s'il a ces renseignements en main, de ne pas informer le tribunal de l'existence de ces antécédents au moment du prononcé de la sentence.

Je devrais peut-être dire «anormal».

Je tiens toutefois à vous dire que, dans les salles de tribunal où j'ai plaidé des causes, les antécédents d'un jeune contrevenant seraient pris en considération si son casier judiciaire était toujours actif.

M. Rose: Eh bien, à Montréal, il y a un jeune de 18 ans qui subit actuellement son procès. Il a des antécédents comme jeune délinquant et ceux-ci n'ont pas été pris en considération.

La présidente: Non, monsieur Rose, ils seront pris en considération au moment du prononcé de la sentence si le jeune est reconnu coupable. Comme le procès n'est pas terminé, il ne serait pas indiqué à ce moment-ci d'introduire ce casier.

M. Rose: J'ai assisté à de nombreux procès...

Je comprends très bien.

La présidente: J'essaie tout simplement de clarifier les choses pour vous.

M. Rose: Je ne suis pas venu ici pour exiger qu'on jette un jeune en prison. Comme je l'ai mentionné, j'ai déjà comparu devant votre comité et vous me connaissez. Je suis venu présenter le point de vue des victimes, pas celui d'une association.

La présidente: Monsieur Rose, je ne veux pas discuter avec vous. J'essaie tout simplement de clarifier ces deux points parce que je veux que le compte rendu soit très clair à ce sujet. Ce n'est que justice de le faire remarquer.

Merci beaucoup.

Nous allons prendre une pause de quelques minutes pour permettre aux témoins suivants de se préparer.

M. Rose: Merci beaucoup.

Mme Torsney: Merci.

.1554

.1605

La présidente: Nous sommes de retour.

Nous avons le plaisir d'accueillir, de l'Association des centres jeunesse du Québec, M. Claude Bilodeau, directeur général; Michael Godman, directeur de la protection de la jeunesse; et Lucie Delorme, coordonnatrice auprès des jeunes contrevenants.

Je vous souhaite la bienvenue. Vous pouvez présenter votre exposé, si vous en avez un, après quoi nous vous poserons des questions. C'est à vous d'organiser votre temps. Plus vos déclarations seront longues, moins nombreuses seront les questions. Nous aimons bien poser des questions, mais peut-être que vous, vous préférez faire des déclarations. À vous de décider.

[Français]

M. Claude Bilodeau (directeur général, Association des centres jeunesse du Québec): Nous représentons l'Association des centres jeunesse du Québec, qui regroupe les centres jeunesse de 16 régions du Québec. Ces centres dispensent des services dans les domaines de la protection de la jeunesse, des jeunes contrevenants et de la réadaptation, du placement d'enfants et de l'adoption. Tous ces 16 centres jeunesse sont regroupés sous un seul conseil d'administration au Québec.

Ce regroupement s'inscrit dans la logique qui voulait qu'au Québec, une seule personne cumule les responsabilités de directeur de la protection de la jeunesse et de directeur provincial, rôle qui est prévu à la Loi sur les jeunes contrevenants.

Par ce regroupement, le législateur visait deux objectifs. Il voulait d'abord affirmer une philosophie, à savoir que, quelle que soit la nature ou l'origine de leurs difficultés, les jeunes et leurs familles ont toujours besoin d'aide et de soutien. Deuxièmement, il voulait mettre en place un système intégré de services qui permettrait à tous les jeunes qui connaissent des difficultés, qu'ils aient besoin d'être protégés ou de faire face à leurs responsabilités, de profiter au maximum d'un bassin de compétences, d'expertise, de ressources et de services.

Dans ce modèle visant à responsabiliser les jeunes contrevenants qui a été mis en place au Québec, s'exprime une vision du traitement et de l'intervention. Mais il y a aussi un objectif de rationalisation, d'efficience et d'utilisation maximale des ressources disponibles.

Avant d'aborder ces aspects plus en détail, j'aimerais revenir très brièvement sur quelques orientations que nous proposions dans le mémoire que nous vous soumettions en septembre 1995 sur le deuxième volet de la consultation, à la suite du mémoire que nous soumettions en septembre 1994 sur le projet de loi C-37. Nous jugeons essentielles ces orientations et aimerions en réaffirmer les grandes lignes.

La Loi sur les jeunes contrevenants est une loi à l'équilibre fragile. C'est une bonne loi, une loi juste et équitable. Elle se fonde précisément sur l'équilibre de ces principes et de ces objectifs: d'une part, assurer la protection de la société et, d'autre part, reconnaître que le jeune contrevenant a des besoins particuliers, qu'il en est à une étape de son développement et qu'il lui est encore possible de changer et d'adopter des comportements sociaux acceptables.

Cet équilibre qui donne à la loi sa cohérence et sa force est extrêmement fragile. Modifier l'un des éléments peut apparaître complexe.

Sur ce point, notre message ne veut donc laisser aucune ambiguïté. Si vous voulez vraiment assurer, dans une perspective à long terme, une meilleure protection de la société et accroître l'efficacité du système de justice juvénile, ne touchez pas au format de la loi.

Si nous voulons corriger les lacunes actuelles du système, nous ne devons pas intervenir au niveau des principes, mais sur la façon de faire. En ce sens, nous voulons réitérer qu'il faut trouver des moyens pour réduire les délais qui se calculent en termes de mois, délais qui freinent chacune des étapes du processus judiciaire et qui minent la confiance tant des jeunes et des parents que des citoyens dans le système.

Assurons également une plus grande cohérence et une meilleure complémentarité entre les divers paliers, services et intervenants des domaines social, de la sécurité publique et de la justice.

À toutes les étapes du processus social et judiciaire, prenons la décision d'impliquer réellement les parents. Pour nous, c'est une décision à prendre plus qu'un aspect à favoriser. Lorsque la décision est prise, offrons-leur une place à toutes les étapes du processus et donnons-leur tout le soutien nécessaire pour qu'ils puissent reprendre et assumer leurs responsabilités auprès de leur enfant.

Fournissons aux intervenants sociaux et judiciaires les outils, la formation et le soutien dont ils ont besoin.

.1610

Sensibilisons la population à la nature et à l'ampleur réelles de la criminalité juvénile qui, faut-il le rappeler, n'a absolument rien d'apocalyptique, comme certains se plaisent à l'annoncer. Informons-les de la situation difficile et souvent intenable d'une proportion absolument inacceptable de jeunes. Et surtout, au lieu de gaspiller nos énergies et ressources dans une stratégie axée essentiellement sur la répression ou l'incarcération, investissons-les dans une stratégie globale de prévention, de réadaptation et de responsabilisation, une stratégie qui s'attaque aux racines du problèmes, la seule stratégie capable à long terme de diminuer la criminalité juvénile et d'accroître véritablement la sécurité de la population. La stratégie de répression a déjà été essayée et je pense qu'il est prouvé qu'elle ne fonctionne pas.

Nous prônons une stratégie de prévention, de réadaptation et de responsabilisation. Certains semblent se faire une drôle d'image de la réadaptation. Ils pensent qu'elle est incompatible avec la responsabilisation des jeunes contrevenants. Ils semblent confondre la réadaptation avec une démarche soft, où le jeune se la coulerait douce avec des éducateurs avant tout soucieux de le protéger, de le dorloter, comme on le fait avec un malade ou une victime. La démarche de réadaptation du jeune délinquant n'est pas orientée vers sa protection, même si elle doit parfois tenir compte du fait que la grande majorité des jeunes ont également connu des difficultés très graves dans leur vie affective, familiale et sociale.

Dans le cas des jeunes contrevenants, c'est une démarche axée essentiellement et prioritairement sur la responsabilisation, où le jeune est constamment placé face aux conséquences de son délit et plus généralement face au comportement qui l'a mené à commettre ce délit. C'est une démarche quotidienne et constante de remise en question et de transformation, d'acceptation de ses limites et de ses capacités. En réadaptation, si le jeune ne peut être tenu responsable des causes sociales ou familiales de ses problèmes, il doit par contre être tenu responsable de ses propres actes.

Lors de votre visite demain au Centre Jeunesse Montréal Cité des Prairies, vous saisirez peut-être mieux pourquoi certains jeunes, après avoir entrepris une démarche de réadaptation, demandent parfois au tribunal d'être transférés au système adulte où, pensent-ils, on leur fichera enfin la paix. La réadaptation du jeune contrevenant est donc essentiellement une démarche structurée, rigoureuse pour les éducateurs et difficile pour les jeunes.

À long terme, nous sommes convaincus que c'est la seule démarche qui puisse vraiment assurer la sécurité et la protection de la société. Mais comme je le disais, si elle veut être pertinente et efficace, cette démarche de responsabilisation, dans le cas de nombreux jeunes délinquants, doit être en mesure de dépasser le délit pour agir sur le comportement qui le provoque. Or, ce comportement et les délits ont été façonnés par des facteurs de toutes natures, tantôt d'ordre psychologique et affectif, tantôt découlant des relations entre le jeune et ses parents, et souvent transmis d'une génération à l'autre.

D'autres facteurs concernent les conditions sociales et économiques dans lesquelles vivent quotidiennement les jeunes et leur famille. Ce que nous voulons dire en somme, c'est que la criminalité relève souvent de plusieurs causes entremêlées, qui se renforcent les unes les autres. Il n'est donc pas farfelu de prétendre que pour réprimer la criminalité, c'est-à-dire non seulement punir ou châtier mais l'arrêter et l'empêcher de se reproduire, on doit aussi intervenir sur l'ensemble de ses causes. Si l'on veut éliminer la violence chez les jeunes, laquelle est souvent la principale crainte de la population, il serait peut-être temps qu'on commence à s'interroger sur les conditions à mettre en place pour que l'ensemble des jeunes puissent développer des comportements pacifiques.

Une approche efficace visant à responsabiliser les jeunes s'inscrit dans un système intégré, dans une démarche plus vaste de réadaptation et d'aide aux jeunes en difficultés et à leur famille. Nous devrions tendre vers une organisation qui garantira la complémentarité des compétences, des expertises, des interventions, des ressources et des services, bref, de l'ensemble des outils qui sont indispensables pour amener un jeune à changer.

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C'est uniquement en ayant accès à ce système d'aide global et intégré que la démarche de responsabilisation des jeunes contrevenants pourra s'attaquer avec quelque chance de succès à l'ensemble de la situation qui façonne et conditionne le comportement déviant du jeune.

Nous abordons un autre volet essentiel de la stratégie alternative dont nous parlons. À l'image d'une approche et d'une pratique maintenant courante dans le domaine de la santé, on peut dire qu'une intervention qui se veut autre chose qu'une solution à court terme des problèmes ne peut se limiter au curatif.

Pour nous, l'approche curative, tant dans le domaine du social que dans le domaine de la santé, ne réglera jamais les problèmes d'une collectivité. Il faut la poursuivre pour être capable, dans le cas à cas, de reculer les frontières de la connaissance, sauf que tous les chercheurs, tant dans la santé que dans les services sociaux, s'entendent pour dire que les démarches curatives à elles seules ne suffisent pas. La prévention consiste à intervenir à une autre échelle.

J'aimerais aller plus loin à ce niveau-là. Si on veut vraiment s'attaquer avec efficacité à la criminalité juvénile, il faut apprendre à distinguer l'arbre de la forêt, cesser de se braquer exclusivement sur les gestes de tel ou tel jeune délinquant et commencer à voir plus loin et plus large et à se soucier de son milieu et de ses conditions de vie. Bref, au-delà du jeune délinquant, il faut apprendre à voir la délinquance.

On y arrivera en poursuivant les recherches et les études évidemment, mais surtout en lançant des initiatives collectives pour agir sur les facteurs qui, dans tel quartier ou tel village, favorisent l'apparition et l'enracinement de la délinquance.

Cette intervention sur un milieu et par le milieu lui-même est nécessairement une action collective qui nécessite l'engagement de toute une communauté. Elle doit donc déborder le cercle habituel des partenaires sociaux et policiers qui interviennent directement auprès des jeunes délinquants pour inclure tous les acteurs sociaux qui se préoccupent du bien-être des jeunes. On pense notamment et principalement à l'école, qui a un rôle capital à jouer, aux organismes de loisirs, aux municipalités, aux groupes de parents, etc.

Ce genre d'action collective est loin d'être une utopie. Un peu partout, on assiste actuellement à l'éclosion de telles initiatives. Après avoir fait une lecture commune, les partenaires ensemble dans une situation, dans un village ou dans une ville donnée s'entendent sur une cible précise et mettent en place une stratégie pour l'atteindre.

La situation est peut-être le décrochage scolaire, la violence, le trafic de drogue ou l'appartenance à un gang de rue. La plupart du temps, la cible se limite à un territoire, une rue, un quartier ou un village. La stratégie fait plus souvent appel à plusieurs outils qui vont de la campagne publique d'information et de sensibilisation à des efforts précis de mobilisation contre un problème particulier.

En un mot, c'est toute une communauté qui se concerte et se mobilise, non pas pour punir les petits délinquants du coin mais pour créer des conditions et mettre en place des ressources qui offriront aux jeunes du coin des solutions de rechange plus attrayantes que la délinquance.

La criminalité, répétons-le, ça se fabrique, ça se façonne, ça s'entretient. L'inverse est également vrai. S'il existe des conditions qui favorisent l'apparition de la délinquance, des facteurs de risque, il existe aussi ce qu'on appelle des facteurs de protection, des conditions familiales et sociales qui contribuent au développement normal de l'enfant.

Nous avons affirmé tout à l'heure que la répression toute seule n'était pas une réponse adéquate. Nous avons affirmé que la réadaptation, si elle était nécessaire, n'était pas non plus suffisante et devait être complétée par l'approche préventive.

Ce que nous affirmons maintenant, c'est que cette réadaptation et cette prévention ne peuvent se limiter au cas par cas, à une intervention individuelle. Ces interventions individuelles doivent complétées par une intervention à plus grande échelle par des initiatives collectives, par l'action des communautés entières qui se mobilisent pour soutenir les parents et éliminer les causes de la délinquance.

On pourrait citer de nombreux exemples de ces actions en commençant par le programme «Connais-tu ma gang?» à Montréal, un programme qui intervient auprès des jeunes qui font partie des gangs de rues C'est une intervention qui, avec les forces policières, les forces sociales et tous les organismes concernés, a pu mobiliser et appuyer les parents pour contrer ce phénomène. Nous irons plus loin, dans un quartier de Saint-Jérôme dans les Laurentides, où une communauté a décider de s'attaquer au problème du décrochage scolaire, qui mène souvent à la délinquance.

Après avoir réfléchi ensemble à la question, les gens ont fait l'unanimité sur une analyse et la communauté en est venue à la conclusion que, pour régler ce problème, il fallait d'abord s'y attaquer dès le primaire et mettre tous les services en cause, parce que dès l'âge du primaire, on est capable de pointer les jeunes qui décrocheront au secondaire, qui auront des problèmes importants ou dont le mode de règlement des conflits est la violence.

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C'est précisément cette approche que nous vous proposons pour lutter contre la délinquance, soit de continuer de les responsabiliser et de leur venir en aide, mais aussi d'agir à l'origine du problème chez les enfants, d'identifier les tout petits dont la situation est décelable.

Ce n'est pas une lubie. Nous connaissons maintenant tous les facteurs qui, dès la petite enfance, posent des risques graves pour le développement de l'enfant; nous avons les outils cliniques pour les dépister. Ce qui est encore plus encourageant, c'est que nous disposons de moyens pour intervenir et corriger les effets des facteurs avant qu'ils ne s'enracinent chez l'enfant et l'adolescent.

La seule condition de leur efficacité est qu'il faut intervenir à temps, c'est-à-dire avant l'âge de six ou sept ans. Je le répète encore une fois, la délinquance et les problèmes de comportement se fabriquent. Chaque fois que nous tardons à intervenir, nous prêtons main forte à leur fabrication.

Il ne s'agit pas d'abandonner les mesures de type coercitif, l'intervention individuelle ou l'effort de réadaptation chez les adolescents. Notre coffre à outils doit inclure tous ces moyens sans exception. On dit souvent qu'un jeune délinquant de 15 ans est bien souvent un tout petit pour lequel on n'est pas intervenu à temps. Ce n'est pas une raison pour le laisser tomber, mais c'est certainement une incitation à s'intéresser à l'enfant.

Il faut agir immédiatement sur deux fronts. Nous avons dit qu'il fallait intervenir à temps, mais comment? Autrement dit, en terme d'actions, par où doit-on commencer? Il faut, selon nous, agir immédiatement sur deux fronts. Le premier front est celui de l'opinion publique. Il est devenu urgent de contrer les faussetés et les demi-vérités qu'on véhicule à tort et à travers sur l'ampleur et la gravité de la criminalité juvénile.

Au-delà des cas individuels, aussi graves soient-ils ou montés en épingle, il faut mettre en relief les tendances lourdes d'un phénomène qui n'a pas connu d'aggravation depuis longtemps. Une première façon de contrer ces préjugés serait peut-être de donner de la jeunesse un portrait plus équilibré, de montrer comment vit l'immense majorité des jeunes qui ne connaissent pas de difficultés graves ou qui ne commettent pas de délits.

Quand on sait que les jeunes contrevenants représentent 3 p. 100 de la jeunesse, cela ne devrait pas être trop difficile. D'autre part, nous avons le privilège de compter au Canada plusieurs chercheurs qui ont acquis une réputation internationale par leurs travaux sur la délinquance et sur les difficultés vécues par les enfants et les jeunes.

Il serait peut-être temps que les Trépanier, que vous entendrez jeudi, les Leblanc, les Tremblay, les Steinhauer, les Sigurdson, les Reid, les Glick et les Goldstein aient maintenant leur tour à la tribune. Il existe une information scientifique sur la délinquance et les difficultés des jeunes et pour une fois... Il est difficile de tout vous dire en 15 minutes et de laisser la traduction...

[Traduction]

La présidente: Nous avons quelques inquiétudes au sujet de l'interprétation. L'interprète parle trop rapidement.

[Français]

M. Bilodeau: Il existe une information scientifique sur la délinquance et, pour une fois, cette information fait l'objet d'un large consensus dans la communauté des chercheurs. Nous croyons qu'il vous revient, en tant que leaders, mesdames et messieurs de la Chambre des communes, de la faire connaître et d'en faire la promotion, même si pour cela il vous faudra peut-être aller à l'encontre de l'opinion publique dans certaines régions.

Le discours défendant les principes de la Loi sur les jeunes contrevenants n'est peut-être pas un discours populaire, mais c'est un discours qu'il faut avoir le courage de tenir quand on a à coeur de trouver des solutions réelles au phénomène de la délinquance juvénile.

Nous sommes conscients que la délinquance chez les jeunes n'est pas l'affaire exclusive du ministère de la Justice. Par les dimensions multiples qu'elle soulève, c'est toute la société et, par le fait même, l'État dans son ensemble qu'elle interpelle. On ne peut planifier d'action efficace en matière de criminalité juvénile sans penser à cette action en termes multisectoriels, sans y inclure l'apport des divers paliers du gouvernement et des différents ministères.

Cela dit, il ne fait aucun doute dans notre esprit que c'est bel et bien au ministère de la Justice, responsable de l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants, que revient la responsabilité d'initier les changements qui s'imposent en matière d'organisation des services aux jeunes contrevenants.

Le ministère de la Justice doit prendre le leadership et lancer cette stratégie multisectorielle, en comptant évidemment sur un soutien actif de notre part si ces initiatives vont dans le sens que nous avons indiqué.

Questions d'argent: Je sais que dans certains milieux, on dit que mettre en place un système de prévention, de réadaptation et de responsabilisation est coûteux. On rappellera seulement qu'au Québec, lors de l'avènement de la Loi sur la protection de la jeunesse et en 1984, lors de l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants, les services existants ont été transformés.

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Il n'y a pas eu, lors de l'introduction de la Loi sur la protection de la jeunesse au Québec, en 1979-1980, d'ajout massif de dollars. Il s'agissait de services existant déjà sur place qu'on a dû rationaliser et mettre en commun afin de faire plus ensemble. Dans ce contexte, nous pensons que ce n'est nullement une question d'argent.

De toute façon, du strict point de vue financier, qu'est-ce qui a le plus de bon sens? Ne rien faire? Tarder à agir en continuant d'investir dans un système répressif qui ne donne pas de résultats, sinon celui de grossir le déficit social? Ou bien investir cet argent dans une stratégie à long terme pour diminuer la criminalité? Continuer à fabriquer des problèmes ou s'attaquer enfin sérieusement à leurs solutions?

Nous croyons que la seule solution pour contrer la criminalité, c'est d'agir en amont des problèmes et d'une façon intersectorielle; deuxièmement, de continuer à traiter un à un les cas de jeunes en difficultés en prônant une stratégie de réadaptation qui s'allie bien à la responsabilisation des jeunes. Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Monsieur St-Laurent, vous avez une minute.

[Français]

M. St-Laurent: Vous avez déclaré, au début de votre énoncé: «Ne touchons pas à la Loi sur les jeunes contrevenants». C'est donc dire que vous avez des appréhensions quant au projet de loi que l'on étudie à l'heure actuelle. Avez-vous des suggestions à faire, des points à modifier?

M. Bilodeau: Essentiellement, lorsqu'on a apporté des changements à la Loi sur les jeunes contrevenants, nous nous sommes dit que les fondements de la loi étaient pertinents. Elle contient tout ce qu'il faut pour que nous puissions, d'une part, venir en aide à des jeunes qui peuvent bénéficier de réadaptation et, d'autre part, pour référer à des tribunaux adultes ceux que nous ne pouvons aider parce que la science n'est pas assez avancée pour nous permettre d'intervenir, alors que nous devons nous contenter purement et simplement d'assurer la protection de la société, nos connaissances n'allant pas assez loin. Nous ne souhaitions pas à proprement parler de changements importants à la Loi sur les jeunes contrevenants.

Nous souhaitions plutôt qu'on agisse davantage sur les modalités d'application. Sur le terrain, l'application de cette loi pose des problèmes importants de cohérence entre les secteurs de la sécurité publique, de la justice et du domaine social, à la fois pour les jeunes qui commettent un délit, dont ils n'entendent parler qu'après six mois, et pour les parents.

Je vous dirais qu'essentiellement, l'ensemble des centres de jeunesse, des directeurs provinciaux que nous représentons et des directeurs de la Protection de la jeunesse trouvaient que la loi telle qu'elle était donnait des outils suffisants pour qu'on soit capable de faire un travail important. Donc, on ne souhaitait pas nécessairement de changement.

M. St-Laurent: Sur ce plan, d'accord.

Vous dites:

Qu'est-ce que cela veut dire dans le concret et en termes clairs? Nous savons lire, mais donnez-nous des exemples.

M. Bilodeau: Cela veut dire deux choses. Par exemple, au cours de plusieurs campagnes de prévention de la violence, et nous organisons nous-mêmes des colloques sur la violence, la violence, prise au pied de la lettre, est un élément qui fatigue énormément de gens dans le monde des adultes. Nous nous disons qu'il vaudrait mieux retourner la question et se demander quelles conditions il faudrait mettre en place pour que l'ensemble des jeunes développent des comportements pacifiques.

Il y a un lien à faire avec la petite enfance et l'école. Les recherches ont démontré qu'on peut prédire, à partir des comportements des enfants à l'école maternelle et même dans les garderies, s'ils développeront des problèmes importants de personnalité menant à des comportements violents. C'est clair et c'est admis partout.

Il s'agirait donc, dès ce moment-là, d'intervenir auprès du jeune, auprès de son milieu familial, afin de l'aider, lui, en établissant les conditions nécessaires pour qu'il développe des façons de régler les conflits quotidiens autrement que par la violence, par des comportements pacifiques.

Habituellement, si l'enfant lui-même bénéficie du respect de son entourage, du respect de ses parents, qu'il n'est pas lui-même victime jusqu'à un certain point de certains éléments, il est très rare qu'il développe des troubles de comportement.

Au fond, au lieu d'intervenir une fois que le mal est fait, à 12, 13, 14 ou 15 ans... Il ne faut pas cesser d'intervenir, mais on sait maintenant que ces comportements se développent entre 0 et 3 ans, entre 0 et 5 ans et qu'à la limite, il faut que tout soit mis en oeuvre à l'école primaire pour intervenir.

C'est ce qu'on veut dire par là. Il y aura beaucoup moins de campagnes contre la violence si on s'attache plus à développer chez les jeunes des comportements pacifiques. Ça commence là.

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M. St-Laurent: D'accord. Ma question suivante devait porter sur votre intervention dans les écoles, mais vous venez tout juste de nous en entretenir.

J'aimerais que vous nous parliez des trois organisations que vous représentez ou chapeautez. On entend beaucoup parler des échecs, mais ce n'est pas ce dont je voudrais vous entendre parler aujourd'hui.

Comment pouvez-vous qualifier la réussite? Se chiffre-t-elle chez vous, cette réussite? Pouvez-vous dire que tant de personnes sont entrées dans vos trois organisations et que tant en sont ressorties en meilleur état?

On ne pourrait pas en dire autant d'une prison, par exemple. Dans un contexte plus adulte, la réintégration des gens qui ressortent d'une prison ne se traduit pas toujours par une réussite. Il y a souvent de la récidive. Y a-t-il un taux de récidive chez vous, et si oui, lequel?

M. Bilodeau: Nous accueillons plusieurs clientèles et il faudrait donc préciser celle dont on parle. Jusqu'à un certain point, nous sommes en mesure de qualifier certaines mesures d'efficacité de l'intervention pour les jeunes contrevenants qui font l'objet d'interventions du directeur provincial, qui sont mis sous garde fermée ou ouverte, en probation ou en mesure alternative.

Tout dépend des critères sur lesquels on se base. Si nous nous penchons uniquement sur le critère de la récidive, nous pourrons nous retrouver avec un jeune qui a été longtemps dans les centres et qui commettra à nouveau un vol; cette récidive ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu réussite selon d'autres critères.

Nous avons fait des recherches évaluatives dans le passé sous l'angle de la qualité. Nous avons aussi la capacité de mesurer l'efficacité de l'intervention et surtout les conditions qui doivent être en place pour qu'on puisse garantir une certaine efficacité du système.

Il est clair que plus on intervient tard dans le processus, plus le jeune est âgé et plus il a fait l'objet de toutes formes d'interventions sans qu'il y ait nécessairement concertation, plus l'incidence du succès est complexe et difficile. Plus on intervient tôt, plus c'est efficace.

Nous disposons d'éléments qui proviennent tantôt de recherches évaluatives, tantôt du domaine des statistiques, même si ce n'est pas toujours facile de cerner la récidive et tous ces autres éléments. Oui, nous avons des instruments nous permettant d'évaluer en quelque sorte notre taux de succès, les facteurs d'échec et les facteurs de succès.

M. St-Laurent: Nous sommes tous d'accord pour affirmer qu'il n'y a pas eu d'augmentation du taux de criminalité chez les jeunes. Cependant, du même souffle, à peu près tout le monde est d'avis que ceux qui sont commis sont plus graves à certains égards.

À quoi attribuez-vous cette augmentation de leur gravité?

M. Bilodeau: Comme nous le disions dans notre mémoire l'an passé, plusieurs causes entrent en jeu.

D'une part, oui, sous l'angle de la gravité des délits, il y a eu une recrudescence des crimes contre la personne par rapport aux crimes contre les biens. À Montréal, notamment, il s'agissait surtout de jeunes entre eux, qui ne commettaient pas nécessairement de crimes vis-à-vis de la société globale.

D'autres éléments entrent aussi en ligne de compte. Si on regarde ce que la société permettait à des jeunes à une époque donnée dans le cadre de ses lois, de ses méthodes d'éducation et de l'encadrement des adultes, on constate que son seuil de tolérance était beaucoup plus bas qu'il ne l'est aujourd'hui. Nous sommes plus permissifs à l'égard des jeunes.

Des comportements semblables existaient il y a 10, 15, ou 20 ans, mais dans les circonstances d'aujourd'hui, ils donnent certaines répercussions.

Oui, il y a eu recrudescence des délits contre la personne par rapport aux délits contre les biens. Il n'y a pas eu d'augmentation de leur nombre, mais une augmentation importante de la gravité et de la lourdeur de certaines situations, dont celle du jeune qui a besoin de protection, des enfants qui sont victimes de violence de la société. La pauvreté a également augmenté et influé sur le comportement des jeunes contrevenants à un moment donné et est allée plus loin dans le quotidien ou dans la réalité.

M. St-Laurent: Vous parliez plus tôt de faire participer les parents. Faisiez-vous uniquement allusion aux parents des victimes ou si vous parliez aussi des parents des délinquants ou agresseurs?

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M. Bilodeau: Les deux, mais surtout des parents des agresseurs. Dans des projets multiples comme «Connais-tu ma gang», dont je vous parlais, il faut décider de faire participer les parents. Il est très facile, pour une foule de raisons, de les oublier dans ce processus.

Il y a quelques années à peine, la présence du parent dans le décor n'était pas considérée importante. Nous disons maintenant qu'il est important de faire intervenir les parents. Toutefois, dans la réalité, souvent on ne s'organise pas pour le faire. On ne tient pas compte du fait que les parents ne sont peut-être pas disponibles le jour, par exemple. Comment adapter le système pour que le parent puisse être présent ou responsable? Il faut d'abord décider de le faire.

Deuxièmement, il faut qu'il participe à toutes les phases du processus: lors de l'arrestation, de la détention, de la décision et des étapes ultérieures.

Nous avons constaté, après avoir aidé plusieurs parents de jeunes contrevenants, que lorsque le parent était tout seul, il démissionnait parce qu'il n'était plus capable et ne savait plus que faire. Lorsqu'on réunit ces parents en groupe, qu'on leur redonne du pouvoir au sens positif du terme, en relation avec l'agir de leur jeune, avec la compréhension qu'ils en ont, même si leur jeune fait partie de gangs, on a des résultats spectaculaires et des parents qui se remobilisent et reprennent en main la situation.

Il faut donc décider de miser sur une participation importante de leur part, particulièrement dans le cas des pères qui sont souvent absents, dans toutes les problématiques sociales et dans toutes les étapes de la décision. Il est aussi important de bien les outiller et de les appuyer pour qu'ils reprennent leurs propres responsabilités que, bien souvent, ils n'ont pas voulu délaisser mais face auxquelles ils s'étaient sentis impuissants en raison des actes de leur jeune devant lesquels ils avaient simplement démissionné. Les parents se remobilisent et on a des expériences absolument fascinantes.

M. St-Laurent: Je vous remercie beaucoup.

Mme Lucie Delorme (coordonnatrice aux jeunes contrevenants, Association des centres jeunesse du Québec): J'aimerais aussi souligner la participation des parents des victimes dans certaines opérations de prévention que nous menons, dont l'opération «Taxage» ici, à Montréal. Nous intervenons dans les écoles secondaires où nous informons les jeunes et leurs parents de l'existence du taxage et l'identifions comme un crime.

Dans le cadre d'une telle opération, nous essayons de véhiculer que le fait de taxer d'autres personnes est un délit qui cause préjudice à des gens et qu'on doit intervenir. Si on veut mobiliser la communauté scolaire pour qu'elle intervienne et arrête ce phénomène, on sensibilisera les parents de victimes potentielles et les jeunes étudiants.

Ces opérations se soldent souvent par un nombre accru d'arrestations pour des délits de taxage dans une communauté donnée. Si les victimes potentielles ou les victimes réelles peuvent dénoncer ces crimes et avoir l'oreille des policiers, il y aura une augmentation des arrestations reliées à ces délits.

Un accompagnement est aussi offert à ce moment-là aux parents pour qu'ils sachent ce qui arrive à leurs enfants. Nous constatons que les parents des victimes ont souvent tendance à abrier le phénomène, de peur de ce qui pourrait arriver à leur enfant à la suite d'une dénonciation. Nous devons aussi sensibiliser les parents et l'ensemble de l'école à la nécessité d'agir, de reprendre en main le contrôle ou la qualité de vie dans leur secteur si on veut contrer ces phénomènes.

Il s'agit au fond de mesures préventives. Il faut mobiliser la majorité des gens autour de ces phénomènes.

Nous n'en sommes qu'à nos débuts au niveau des victimes. L'ensemble des actions porte davantage sur les parents des jeunes qui posent des problèmes, mais nous commençons à poser des pierres au niveau des victimes. C'est prometteur.

M. St-Laurent: Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci, monsieur St-Laurent.

Monsieur Ramsay, nous vous accordons dix minutes.

M. Ramsay: Merci, madame la présidente.

Je tiens à remercier nos témoins de comparaître devant nous aujourd'hui.

Les ressources que votre gouvernement place dans le dépistage et la prévention m'encouragent. Je crois que c'est là qu'elles devraient être investies.

Vous reconnaissez qu'il y a des exceptions. Dans le mémoire que vous avez fait parvenir au préalable au comité vous dites ce qui suit:

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Bien sûr, c'est la question qui nous préoccupe. Nous examinons les efforts qui sont déployés pour tenir les jeunes à l'écart du système judiciaire. Puis nous avons le petit nombre de ceux, entre 5 et 8 p. 100, qui sont dans l'engrenage du système judiciaire et pour qui la réadaptation ne semble pas réussir. Il faut alors les référer aux tribunaux pour adultes ou imposer des peines plus sévères.

Si un jeune contrevenant est condamné à la garde en milieu fermé parce qu'il a commis plusieurs infractions violentes, et qu'à la fin de la période de six mois, deux ans, ou que sais-je encore, on décide que le jeune continue de poser un risque élevé, que devrait faire selon vous le système judiciaire? Il y a deux solutions. Nous pouvons continuer de la garder en milieu fermé ou le relâcher en espérant qu'il ne s'attaquera pas à un innocent. Aimeriez-vous partager avec le comité quelques réflexions à ce sujet?

[Français]

M. Bilodeau: Dans un premier temps, oui. Je préciserais d'abord que la réadaptation est efficace, qu'elle soit effectuée auprès d'un jeune contrevenant cité en justice et condamné ou dans un autre contexte. Il y a certains jeunes pour lesquels notre science n'est pas assez avancée et qu'on ne pourra aider. Si nous le savons à l'avance et que des délits majeurs ont été commis, nous songerons à effectuer plus tôt une référence au système adulte parce que nous devrons malheureusement nous concentrer sur la protection de la société, sachant que nous ne sommes pas capables de faire autrement. C'est un premier volet.

Si, par exemple, au même titre qu'en protection, on pense qu'une loi efficace sur les jeunes contrevenants doit être accompagnée dans une société donnée d'un système de protection efficace, où les services sociaux et les services de toutes sortes peuvent intervenir avant qu'un enfant ou un jeune adolescent ne commette des délits, mais qu'on n'a pas un tel système, on a un problème important. Donc, ça doit exister avant, et je vous dirais que ça doit aussi exister après.

Si un jeune était placé dans un centre, que nous pensions ne pas avoir réussi sa réadaptation et que subsistaient des dangers importants, nous devrions, dans un cas où la sentence est terminée en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants la sentence, pouvoir continuer en protection de la jeunesse en invoquant le fait que le développement de ce jeune n'est pas terminé ou que la sécurité des autres n'est pas assurée. Peut-être serait-il possible de continuer à intervenir par un système de protection autre que celui prévu dans la Loi sur les jeunes contrevenants et d'obtenir les mêmes résultats en matière de protection de la société.

Une loi sur les jeunes contrevenants axée sur la réadaptation, la prévention et la responsabilisation sera efficace en autant que nous disposions d'un système de protection nous permettant d'intervenir auprès d'enfants difficiles avant qu'ils ne commettent des délits, comme c'est le cas au Québec en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse.

Si, après la perpétration de délits, une sentence plus ou moins longue est prononcée et que la réadaptation n'a pas donné les résultats attendus, la société devrait être capable de continuer à intervenir auprès de ce jeune en vertu d'une autre loi qui assurerait la protection ou le développement.

[Traduction]

M. Ramsay: Merci. À la page 9 du mémoire que vous nous avez fait parvenir au préalable vous dites ce qui suit:

Le professeur Bala a comparu devant notre comité et a recommandé que l'âge soit ramené à 10 ans dans la loi. Il a pour son dire que de la façon dont les choses évoluent, nous finirons par voir des jeunes de 10 et 11 ans commettre des meurtres. Ce point de vue est partagé par la personne responsable qui nous a breffés. Je crois que c'était à l'Institut Syl Apps en Ontario. Celle-ci a dit qu'un jour ou l'autre, de la façon dont les choses évoluent, nous aurons affaire à des contrevenants de plus en plus jeunes. Lorsque je lui ai demandé si elle pensait qu'un jour nous verrions des enfants de 10 et 11 ans commettre des crimes, elle a répondu dans l'affirmative.

.1645

Pourquoi souscririez-vous alors à une loi qui accorde à un meurtrier l'immunité en matière de poursuite judiciaire?

[Français]

M. Bilodeau: Les jeunes qui ont commis des meurtres avant l'âge de 12 ans, cela a déjà existé dans la société, mais c'est arrivé très peu souvent.

Dans notre mémoire, nous disons qu'il faut absolument intervenir auprès des jeunes qui commettent ces délits, mais on ne pense pas, notamment au Québec, que c'est par le biais de la Loi sur les jeunes contrevenants qu'on doit le faire. Avec la Loi sur la protection de la jeunesse, nous avons tous les outils de réadaptation, de détention et d'intervention nécessaires, et ce sont des outils plus complets.

Nous pensons qu'une société, quelle qu'elle soit, a le pouvoir et le devoir d'intervenir dans la situation des jeunes qui commettent des délits de ce type-là ou de tout autre type, mais pas nécessairement en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants.

On sait qu'en Ontario, récemment, il y a des jeunes de 10 ans qui ont dit au juge: «Ah! ah! ah! Vous ne pouvez rien faire contre nous.» Cela n'aurait pas été possible au Québec parce qu'en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, on a le mandat d'assurer la protection du jeune, mais dans le sens de dire: Il est dangereux pour lui-même ou pour les autres. Cela nous donne le loisir d'intervenir de façon beaucoup plus large qu'avec la Loi sur les jeunes contrevenants, dont les règles de jeu son différentes.

Il faut absolument se donner les moyens d'intervenir même chez les jeunes de 12 ans et moins, mais pas nécessairement par la Loi sur les jeunes contrevenants, même dans le cas d'un homicide.

[Traduction]

M. Ramsay: Pourriez-vous dire au comité quel processus s'enclencherait si un jeune de moins de 12 ans commettait un meurtre au Québec? Que se passerait-il?

[Français]

M. Bilodeau: Premièrement, cette situation serait signalée au directeur de la Protection de la jeunesse. Évidemment, un meurtre, c'est un geste spectaculaire et donc, par définition, la situation serait signalée au directeur de la Protection de la Jeunesse qui ferait automatiquement retirer le jeune de son milieu pour le placer dans un centre de réadaptation, en garde fermée s'il le fallait, pour qu'on puisse procéder à l'ensemble des évaluations.

Quelle est la dynamique du jeune? Qu'est-ce qui a amené cette situation? Quels sont les besoins en relation avec cette situation? Quelle est la meilleure solution? Durant tout ce temps, le jeune est détenu, mais en termes de protection de la jeunesse. On dit qu'il est placé ou hébergé et non pas mis sous garde.

Il est souvent placé dans un centre de réadaptation du même type pour qu'on puisse le protéger, lui, protéger les autres, procéder aux évaluations nécessaires et ensuite établir le plan de service à moyen et long terme dont ce jeune a besoin à cause des problèmes particuliers qu'il présente.

L'intervention est immédiate. Le jeune est retiré de la société et placé. L'intervention est à peu près la même, mais elle se fait en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, qui a des règles différentes de celles de la Loi sur les jeunes contrevenants.

En vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, une société a des moyens plus importants pour intervenir au niveau fondamental des besoins qu'en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants.

[Traduction]

M. Ramsay: Pendant combien de temps pourriez-vous garder le jeune contrevenant?

[Français]

M. Bilodeau: Jusqu'à 18 ans,

[Traduction]

s'il a 10 ans.

[Français]

Nous pourrions le garder aussi longtemps qu'il aurait besoin de l'intervention de réadaptation. Cela pourrait durer jusqu'à ce qu'il ait 18 ans, à la limite. Il y a des jeunes qui peuvent rester placés, pas nécessairement parce qu'ils ont commis des délits, mais parce que leurs besoins font en sorte que...

Dans le domaine social, il y a ce qu'on pourrait appeler des jeunes cas chroniques. Cela existe au plan social comme au plan de la santé physique. Il pourrait arriver qu'un jeune puisse bénéficier des services de protection et de prise en charge de l'État jusqu'à sa majorité.

.1650

[Traduction]

La présidente: Monsieur Maloney, avez-vous des questions?

M. Maloney: Avant de me lancer dans une série de questions, qu'arriverait-il à cet enfant qui a commis un meurtre à l'âge de dix ans lorsqu'il atteint l'âge de 18 ans et qu'il continue d'avoir besoin d'aide et de réadaptation?

[Français]

M. Bilodeau: Au moment où nous nous parlons, nous n'avons pas vu fréquemment de cas de jeunes qui ont été placés à l'âge de 10 ans, qui ont atteint l'âge de 18 ans, qui ont encore besoin d'aide et qui sont considérés dangereux pour la société. En principe, à 18 ans, la loi s'arrête et c'est terminé. Il existe des cas où on peut aller devant le tribunal pour défendre certains éléments. Il est arrivé que des prolongations soient accordées. Nous avons rarement vu qu'après sept, huit ou neuf ans, un jeune ait encore des problèmes importants et soit dangereux. Il est possible qu'ils aient parfois encore besoin d'aide ou qu'ils rencontrent des problèmes. Nous n'avons pas souvent vu un jeune qui soit entré dans nos centres dans le cadre d'une intervention à 10 ans et qui soit encore dangereux à 18 ans. Ce serait un cas exceptionnel.

Mme Delorme: S'il fallait recourir à des soins psychiatriques ou mettre un jeune en tutelle, d'autres lois du Québec, notamment la Loi sur la protection du malade mental, s'appliqueraient. Nous devrions alors avoir recours aux règles qui s'appliquent pour l'ensemble de la population et demander à un tribunal d'ordonner une cure fermée pour un jeune ou un adulte qui aurait besoin de soins psychiatriques.

J'aimerais ajouter à la réponse de M. Bilodeau que cette question de l'accès aux services psychiatriques et du placement nous semble plus facile en dehors de la Loi sur les jeunes contrevenants qu'à l'intérieur de ses paramètres. Lorsqu'on procède à une évaluation et qu'on pose certains diagnostics d'ordre psychiatrique dans le cas de jeunes contrevenants, il me semble qu'aux termes de la loi, on perd l'accès à des services psychiatriques en milieu interne.

[Traduction]

M. Maloney: Pour ce qui est des criminels adultes, le ministre de la Justice lance un nouveau programme - pour les contrevenants à risque élevé - pour ceux qui ont peut-être besoin d'aide; ils sont censés continuer à poser un danger pour eux-mêmes ou pour les autres. Voyez-vous une application du même genre aux termes de la Loi sur les jeunes contrevenants?

[Français]

M. Bilodeau: Une société devrait être en mesure de se donner d'abord les moyens d'intervenir dans des situations où des personnes posent un danger pour elles-mêmes ou pour les autres et aussi de se donner les moyens d'assurer leur protection et celle de la société au-delà des sentences avec des délits. Oui, il y aurait des mesures qui s'appliqueraient dans les cas où on ne pourrait faire autrement.

Si, à la lumière d'expertises et de témoignages d'experts, nous convenons tous qu'il existe 95 p. 100 de chances que cette personne commette à nouveau des délits majeurs lorsqu'elle réintégrera la société, nous devrions être capables comme société de prendre des dispositions, tout en respectant les droits et libertés prévus dans la Charte. Oui, nous devrions être capables de prendre des dispositions qui garantiront à la fois à cette personne et à la société qu'elle ne commettra pas à nouveau de délits.

Quelle autre solution aurions-nous? Elle varierait selon qu'on parle de jeunes de moins de 18 ans ou de 25 ans. Elle dépendrait également des mesures que l'on met en place. Nous avons entendu des propositions récemment. Nous n'irions pas nécessairement en ce sens, mais je crois qu'une société devrait se donner des moyens.

[Traduction]

M. Maloney: Avant de laisser de côté la question de l'âge, certaines personnes estiment que celui-ci devrait être abaissé à 15 ans et moins. Qu'avez-vous à dire à ce sujet pour ce qui est de l'application de la loi?

M. Michael Godman (directeur, Protection de la jeunesse, Association des centres jeunesse du Québec): Nous sommes toujours d'avis que l'âge prévu à l'heure actuelle dans la loi convient.

.1655

Comme l'a dit plus tôt M. Bilodeau, nous croyons que pour les enfants plus jeunes - dix ou onze ans - nous disposons des moyens, surtout au Québec avec la Loi sur la protection de la jeunesse, tant de protéger la société que de fournir les interventions appropriées pour un jeune contrevenant de ce genre aux termes de la loi. Nous sommes donc d'avis que l'âge prévu à l'heure actuelle dans la Loi sur les jeunes contrevenants est justifié.

M. Maloney: Vous n'êtes probablement pas en mesure de faire des commentaires, mais en quoi la loi québécoise sur la protection de la jeunesse diffère-t-elle de lois semblables en vigueur ailleurs, en Ontario ou en Alberta, par exemple?

M. Godman: Je connais les lois de quelques autres provinces. Je dirais que la Loi sur la protection de la jeunesse au Québec a probablement une base plus large d'application.

Par exemple, M. Bilodeau parlait d'un jeune de dix ans. La loi renferme un article qui porte sur le cas d'un enfant ayant un grave problème de comportement - qui aurait une tendance suicidaire ou meurtrière - et qui nous autoriserait à intervenir.

D'après ce que je sais de certaines des autres lois, elles s'attachent probablement davantage exclusivement à l'abus, à la négligence, à l'abandon et ainsi de suite.

On parle donc d'une interprétation plus large de ce qui constitue un risque pour un jeune.

M. Maloney: Je n'ai pas d'autres questions.

La présidente: C'est très clair en Ontario, par exemple. La loi sur la protection de l'enfant met l'accent sur les mauvais traitements et la négligence et définit un enfant qui a besoin de protection par rapport à cela plutôt que par rapport à des questions de comportement.

M. Godman: Nous sommes même allés dans notre loi jusqu'à tenir compte, même si ce n'est pas nécessairement tout le temps, de jeunes gens qui ne fréquentent pas l'école. Si l'école et les parents estiment qu'ils ont fait tout ce qu'ils peuvent, nous pouvons recourir à notre loi sur la protection de la jeunesse pour garantir les services nécessaires à ces jeunes gens.

La présidente: Ce fut très intéressant. Merci beaucoup d'être venus. Vous nous par exemple avez aidé à comprendre un peu mieux le genre de lien qui pourrait être établi entre les différentes compétences provinciales et fédérales, ce qui pose un grand problème pour nous.

[Français]

M. Bilodeau: Merci.

.1658

.1705

[Traduction]

La présidente: Nous avons avec nous du Barreau du Québec, M. Claude Masse, M. Claude Boies et Mme Carole Brosseau. Bienvenue. Je suis convaincue que vous avez une vaste expérience devant des comités législatifs, mais nous vous demandons de faire un bref compte rendu de votre mémoire et de répondre ensuite à quelques questions.

[Français]

Me Claude Masse (bâtonnier, Barreau du Québec): Merci, madame la présidente. Avant de répondre à vos questions, nous avons une brève présentation préliminaire à vous faire.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, en tant que bâtonnier du Barreau du Québec, je suis heureux de prendre aujourd'hui la parole pour vous adresser mes commentaires sur une loi qui ne nous apparaît pas désuète et qui, selon toute apparence, répond toujours aux objectifs qu'on s'était alors fixés, à savoir que les adolescents doivent être tenus responsables de leur conduite, mais à des degrés limités puisqu'ils ne sont pas encore des adultes et peuvent dépendre d'autres personnes.

En second lieu, la société a le droit d'être protégée contre toute conduite illégale, même si elle est le fait d'un mineur. Enfin, les adolescents doivent jouir des mêmes droits que les adultes à l'égard de la loi, de la justice naturelle et de l'égalité des traitements, et ces droits doivent être garantis.

Avant de continuer sur les principes et sur l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants, j'aimerais vous indiquer que le Barreau du Québec regroupe plus de 17 000 membres, qui sont des avocates et des avocats inscrits au tableau de l'Ordre.

Afin de remplir son mandat de voir aux intérêts du public, le Barreau s'entoure de comités consultatifs comme le Comité permanent en droit criminel qui, de par sa nature, regroupe des procureurs tant de la défense que de la Couronne.

À ce groupe se sont ajoutés deux experts, Me Nancy Moreau, substitut en chef du procureur général à la Chambre de la jeunesse au ministère de la Justice du Québec, et Me Claude Boies, qui m'accompagne aujourd'hui, qui était jusqu'à tout récemment avocat permanent de l'aide juridique, division jeunesse. Me Boies est maintenant avocat à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Je suis également accompagné de Me Carole Brosseau, avocate permanente au Barreau du Québec et spécialiste notamment en droit criminel.

Depuis 1984, le Barreau a développé toute une structure, un système permettant le juste équilibre entre, d'une part, l'objectif de la protection publique et, d'autre part, celui non moins louable de la réhabilitation de ces jeunes contrevenants.

Pour y parvenir, le Québec a fait le choix d'appliquer les deux lois en corrélation. On croit alors être en mesure de mieux identifier le problème de l'adolescent et de l'aider en conséquence. Cette complicité amène par ailleurs une meilleure compréhension des deux systèmes, à savoir l'aide à l'enfance au Québec et le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants.

.1710

Au niveau social, le directeur provincial et la Direction de la protection de la jeunesse sont en fait une seule et même personne. On a développé au Québec une politique jeunesse et l'application des deux lois doit s'y amarrer.

Cependant, le Québec s'est fait un point d'honneur de toujours respecter les règles dans chacun des domaines et, même s'il y a une meilleure communication et un traitement équivalent, il n'y a pas cohabitation des deux systèmes.

Il ne faut pas oublier que le jeune est en processus d'apprentissage et qu'une intervention en bas âge aura plus d'effet sur l'adhésion du jeune au pacte social, assurant la société d'une meilleure intégration du jeune à ses règles.

D'ailleurs, cette cohabitation a porté fruit, puisque lorsque l'on compare la situation de la criminalité ou de la violence au Québec à celle qui a cours dans d'autres provinces ou d'autres pays, on constate que le Québec est l'une des sociétés les moins violentes du monde.

Les statistiques policières, appuyées par les données des enquêtes de victimisation, montrent que le Québec et les provinces Maritimes enregistrent moins de crimes de violence que l'Ontario et les provinces de l'Ouest.

Statistique Canada révèle qu'en 1995, le taux de criminalité au Québec est stable et qu'à l'égard des crimes de violence, alors qu'il a diminué de 4,1 p. 100 à l'échelle nationale, il a augmenté en Saskatchewan de plus de 5,8 p. 100, pendant que le Québec enregistrait à la même époque une baisse de l'ordre de 7,5 p. 100.

Comme nous l'avons déjà dit, le régime québécois d'application de la Loi sur les jeunes contrevenants est fort différent de celui qu'on trouve ailleurs au Canada. Une application adéquate de la loi fait appel à l'adaptation des mesures et des interventions à la réalité de l'adolescent.

Il faut cependant envoyer un message clair au jeune, à savoir que certains comportements ne sont pas admissibles. Il faut aussi agir avec célérité puisque le facteur temps est primordial chez le jeune dans le respect des droits de chacun.

Le Québec a exploité et tient à continuer à exploiter les filons de la réhabilitation et de la rééducation. Nous ne croyons pas que la répression soit la solution la plus adéquate. Nous croyons même qu'à long terme elle aura l'effet contraire et nous préconisons, pour répondre aux besoins présents et futurs, tant des citoyens que des jeunes contrevenants, de maintenir le système actuel.

Comme nous le disions dans notre mémoire, nous ne pouvons et ne devons pas céder au chantage et au courant qui requiert une plus grand répression. Par ailleurs, quelle que soit la répression qu'on voudrait exercer chez nos jeunes, on ne pourra jamais complètement éliminer les cas extrêmes et odieux.

Cependant, d'un autre côté, nous ne devons pas prendre en otage plusieurs jeunes qui, dans le système actuel, trouveraient probablement leur voie. Si les travaux de votre comité aboutissent à des moyens nouveaux d'améliorer le système actuel, le Barreau du Québec ne pourra pas s'opposer à de telles alternatives. Il est toujours ouvert à des propositions en ce sens.

Toutefois, nous ne croyons pas que la situation actuelle de la criminalité, particulièrement au Québec, puisse justifier des modifications à la loi elle-même. Au contraire, on songerait plutôt à exporter notre façon de faire les choses qui, jusqu'à maintenant, a fait ses preuves à l'extérieur du Québec.

Afin d'éclaircir plus précisément certains points qui avaient été portés à notre attention lors de la consultation populaire, je cède la parole à Me Claude Boies qui, tout comme moi, tentera de vous convaincre du bien-fondé de la loi et de la façon dont le Québec l'applique.

Maître Boies.

Me Claude Boies (avocat, Barreau du Québec): Messieurs et madame les membres du Comité permanent de la Justice, comme M. le bâtonnier Masse vient de vous le dire, je vais tenter en quelques mots de vous convaincre du bien-fondé de la loi actuelle, telle qu'elle est. Elle a été modifiée au cours des dernières années indépendamment des intentions du Barreau.

Vous vous souviendrez sûrement que le Barreau du Québec n'était pas d'accord sur l'adoption du projet de loi C-37. On avait demandé le retrait pur et simple de ce projet de loi. Malheureusement ou heureusement, comme certains diront, le projet de loi a été adopté avec quelques modifications et cela a amené plusieurs modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants.

Fondamentalement, le Barreau croit que ce n'est pas tellement dans la loi elle-même que se situe le problème, mais plutôt dans son application. À cet égard, nous avons fait nos leçons, au Québec, et nous avons remis en question notre façon d'appliquer la loi de façon à la rendre le plus efficace possible.

.1715

De façon un petit peu ironique, je dirais que c'est comme un magnétoscope. Tout le monde a un magnétoscope chez lui. Malheureusement, bien peu de personnes savent l'utiliser à son maximum. Les gens s'en servent pour faire la lecture d'une vidéocassette louée au club vidéo et cela s'arrête là. Bien peu de personnes lisent le mode d'emploi pour savoir ce qu'elles peuvent tirer de leur magnétoscope.

La Loi sur les jeunes contrevenants, ce n'est pas vraiment plus compliqué que cela. On a l'impression qu'on n'en tire pas vraiment tous les avantages et tous les bénéfices. On a tenté au Québec, par l'entremise de différents comités, d'évaluer de façon approfondie chacune des dispositions de cette loi et d'en tirer le maximum. La preuve en est qu'on en tire, croyons-nous, un maximum.

Par l'entremise d'un groupe de travail que vous connaissez sûrement, on a produit deux rapports, l'un à la suite de l'évaluation de la Loi sur la protection de la jeunesse, une loi provinciale, et l'autre à la suite de l'évaluation d'une loi fédérale, la Loi sur les jeunes contrevenants. Ce fut une évaluation de l'application de cette loi dont les conclusions ont été elles-mêmes évaluées et analysées par chacun des différents intervenants.

J'en prends pour exemple un document qui s'appelle Plan d'action ministériel pour le secteur des jeunes contrevenants. À la suite du Rapport Jasmin, les gens du ministère des Services de santé et des Services sociaux ont pris en considération chacune des recommandations pour faire eux-mêmes leurs leçons et réévaluer le processus par lequel on va appliquer les dispositions relatives aux mesures de rechange, entre autres pour réduire les délais à leur minimum et à leur plus simple expression. Comme M. le bâtonnier l'a dit plus tôt, le temps est un élément important chez les jeunes.

À la suite de la parution du premier rapport du comité Jasmin, on avait fait état des difficultés de la représentation des enfants et du rôle de l'avocat. Le Barreau a créé un comité spécial sur l'évaluation du rôle de l'avocat, tant en matière de protection de la jeunesse qu'en matière de jeunes contrevenants, pour en arriver à adopter une résolution qui a amené chacun des avocats travaillant dans le milieu de la jeunesse à réévaluer lui-même son intervention auprès d'un jeune client faisant l'objet de poursuites en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Je vais vous entretenir, à ce stade-ci, de deux points. Comme le temps est important pour vous et pour nous aussi, je vais appuyer mes propos sur deux points. La première question est celle des mesures de rechange.

En 1993, près de 50 p. 100 des dossiers soumis au procureur général, au Québec, étaient renvoyés au directeur provincial pour l'application de mesures de rechange. Ultimement, on a appris, toujours en 1993, qu'environ 35 p. 100 des demandes d'intenter des procédures retenues par le procureur général avaient fait l'objet de mesures de rechange et que seulement 3 p. 100 de celles-ci s'étaient terminées avec une mention «échec». Que dire de plus concernant l'importance de cette réussite et l'impact de telles mesures?

Les mesures vont du remboursement des victimes aux rencontres pour améliorer les aptitudes sociales de l'adolescent et aux travaux communautaires. Dans ce genre de mesures, on trouve beaucoup plus que la simple responsabilisation de l'adolescent; on trouve aussi l'implication de la collectivité, le développement de certaines aptitudes, la valorisation de l'adolescent et la socialisation de l'adolescent.

On peut aussi sentir l'impact de ce programme au niveau des dossiers judiciarisés. Plus il y a de dossiers qui passent par le programme des mesures de rechange, moins il y a de dossiers qui sont judiciarisés et plus on a de temps à accorder aux dossiers judiciarisés, ce qui fait que les délais sont plus courts pour les dossiers judiciarisés.

Je peux même vous dire qu'au Québec, les résultats du programme des mesures de rechange sont si positifs que depuis peu de temps, ce programme a son pendant pour les adultes. On a créé un programme semblable de mesures de rechange pour les adultes.

Voilà un bon exemple de la non-utilisation des moyens qu'offrent la LJC dans d'autres provinces, où on a décidé unilatéralement de ne pas faire appel à cette possibilité qu'offre la Loi sur les jeunes contrevenants.

La Cour suprême dit dire que, sur le plan juridique, l'absence d'un tel programme est constitutionnelle, mais nous pensons que la loi est un ensemble, un tout, et que sa philosophie doit être interprétée ou évaluée en fonction de toutes et chacune de ses dispositions.

.1720

Le programme des mesures de rechange est sans doute l'un des principaux piliers des résultats positifs obtenus en regard du taux de criminalité juvénile au Québec. L'intervention rapide et responsabilisante au maximum de ce programme permet d'atteindre l'adolescent promptement et de cibler correctement le type de mesures qui aura un effet dissuasif immédiat. En d'autres termes, on n'attend pas le troisième, le quatrième ou le cinquième délit pour intervenir sur le plan judiciaire. Dès le départ, par une intervention aussi prompte et minimale que celle des mesures de rechange, on atteint la cible assez rapidement.

Il est évident que ce processus alourdit à certains moments le déroulement d'un dossier en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. Comme je vous le disais plus tôt, on a tenté, par un plan d'action, d'évaluer chacun des moments de l'intervention pour minimiser autant que possible le temps au cours duquel on va intervenir auprès du jeune, pour faire en sorte que si jamais cette étape des mesures de rechange n'a pas les effets escomptés, on pourra le plus rapidement possible faire appel au système judiciaire.

Le deuxième point dont j'aimerais vous entretenir a trait au bien-fondé des âges minimum et maximum établis pour la responsabilité criminelle.

Nos propos ne seront pas sans rappeler la position traditionnelle du Barreau, je dirais même la position traditionnelle du Québec, sans impliquer nécessairement tous les intervenants. En résumé, je pourrais vous dire simplement: Ne touchez surtout pas aux âges d'application de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Notre position ne repose pas sur un entêtement, mais plutôt sur la connaissance que les hommes ont de leur développement ainsi que sur l'aspect pratique de l'application d'une loi de nature pénale auprès des enfants.

Au Québec, l'âge d'application était de 14 ans avant l'avènement de la Loi sur les jeunes contrevenants. En vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, le législateur provincial avait établi que 14 ans serait l'âge de la responsabilité criminelle.

L'avènement de la Loi sur les jeunes contrevenants, en 1984, malgré certains grincements de la part des intervenants au Québec, nous obligeait à effectuer certaines adaptations, notamment réévaluer l'âge, et à conclure qu'en fonction de la mise en vigueur de la Loi sur les jeunes contrevenants et de la connaissances des différentes étapes du développement des enfants, il était peut-être adéquat d'abaisser l'âge à 12 ans. On a effectué des modifications quant aux ressources qu'on offrait aux enfants et on s'est adaptés à ces modifications qui abaissaient l'âge.

Aujourd'hui, encore une fois, on veut abaisser l'âge minimum d'application de la Loi sur les jeunes contrevenants. Selon nous, c'est faire fi d'un certain nombre de facteurs que nous considérons des plus importants.

Pareil à l'enfant de moins de trois ans à qui l'on voudrait montrer à faire de la bicyclette alors qu'il en est physiquement incapable - n'importe quel pédiatre va vous expliquer pourquoi un enfant ne peut pas faire ce mouvement-là avec ses jambes avant l'âge minimal de trois ans - , l'enfant de moins de 12 ans n'est pas en mesure de saisir la portée du système judiciaire et de comprendre les concepts juridiques qui pourraient être en cause dans son dossier. Ce parallèle est facile à faire. On pourra tenter de faire en sorte qu'un enfant de moins de 12 ans saisisse cette subtilité et tous ces concepts, mais cet objectif sera impossible à atteindre. C'est du moins ce que croit le Barreau.

Des études démontrent que la compréhension du système judiciaire croît avec l'âge, d'où le fait qu'il y a différentes distinctions entre l'étape... Par exemple, à l'âge de 14 ans, on va pouvoir présenter une motion de renvoi à l'égard d'une jeune contrevenant.

Naturellement, le fait d'abaisser l'âge à 10 ans ne fera pas en sorte qu'on va régler éventuellement le cas d'un enfant de huit ans qui va commettre un meurtre. Éventuellement, aussi particulier que cela puisse sembler, on fera peut-être face à la situation d'un enfant de huit ou neuf ans qui a commis un meurtre. On ne règle pas le problème en abaissant l'âge à 10 ans.

Pour les fins de la discussion, supposons qu'un enfant de 10 ou 11 ans commet un délit au Québec. On ne laissera pas cet enfant en plan en termes d'interventions responsabilisantes ou rééducatives parce que la Loi sur les jeunes contrevenants établit l'âge minimal à 12 ans.

Cet enfant et sa famille pourront recevoir des services sociaux, et la situation de l'enfant pourra éventuellement être soumis à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec si l'on croit nécessaire d'intervenir, craignant que son développement ou sa sécurité ne soit mis en péril.

.1725

La Loi sur la protection de la jeunesse permet ce type d'intervention avec plus d'adéquacité pour un enfant de cet âge que ne le permet la Loi sur les jeunes contrevenants. Par exemple, l'intervention d'aide est soumise régulièrement à un processus continu de réévaluation et on lui fournit des soins adéquats jusqu'à l'âge de 18 ans. Il s'agit donc là d'une loi complémentaire.

Pour vous convaincre de sa complémentarité, je vous dirai que le directeur provincial, en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, et le directeur de la Protection de la jeunesse, en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, qui sont deux personnages importants dans l'application de ces deux lois au Québec, sont la même personne. C'est la même personne qui joue les rôles de ces deux personnages clés dans l'application de ces deux textes législatifs.

Donc, il ne s'agit pas d'une mixité de clientèle. On ne mêle pas les enfants victimes et les enfants agresseurs. On passe d'une loi à une autre, selon la problématique rencontrée dans le développement d'un enfant à problèmes. Au Québec, la situation des enfants de 12 à 13 ans est demeurée tout de même particulière, malgré l'abaissement de l'âge à 12 ans en 1984. À preuve, l'invitation insistante, dans le cadre de notre programme des mesures de rechange, faite au procureur général de consulter le directeur provincial avant de judiciariser un dossier.

Quant à l'âge maximum actuel, déjà on a fait une brèche lors des derniers amendements en édictant ce que j'appellerais le renvoi automatique des adolescents de 16 et 17 ans accusés de certains délits graves à des juridictions normalement compétentes, laissant reposer sur leurs épaules le fardeau de démontrer qu'ils doivent être renvoyés devant un tribunal pour adolescents. On était en désaccord sur cela au moment de la présentation de notre dernier mémoire à votre comité.

Nous croyons toujours qu'il ne s'agit pas là d'une réponse à la criminalité juvénile. En effet, l'absence de ressources adéquates pour la rééducation des adolescents de 16 ans et 17 ans en est sans doute la conséquence première. Nous croyons toujours que, dans la majeure partie des cas, il est dans l'intérêt de la société, à court, moyen et long termes, que l'adolescent puisse bénéficier de mesures qui répondent à ses besoins afin d'en faire un citoyen positif et productif.

Encore une fois, le développement de l'individu, selon les études connues, ne milite pas en faveur de l'abaissement de l'âge. De plus, en termes d'une certaine cohérence, cela amènerait des modifications importantes au regard de plusieurs autres aspects. En effet, comment faire accepter que l'on considère une personne majeure lorsqu'elle commet un crime, mais comme un enfant lorsqu'il est temps de voter, de conduire, de sortir dans les discothèques et d'avoir un permis de port d'armes?

En terminant, je ne reviendrai pas sur les statistiques que vous a citées Me Masse plus tôt. Il suffit de lire la dernière parution de Juristat sur la criminalité juvénile pour se rendre compte ou ne pas se rendre compte de l'importance de modifier cette loi. Il y a ou bien maintien de la criminalité au même niveau, ou bien diminution, ou encore augmentation très peu significative pour militer en faveur d'une modification d'une loi qui semble porter fruit à plusieurs égards.

Je terminerai en disant que si des moyens sont encore à développer pour rendre plus efficient le système actuellement en vigueur, nous ne devons pas céder au chantage et au courant qui exige une plus grande répression. Par ailleurs, quelle que soit la répression qu'on voudrait exercer chez nos jeunes, nous ne pourrions jamais complètement éliminer les cas extrêmes et odieux. Nous ne pouvons pas non plus, d'un autre côté, prendre en otage plusieurs jeunes qui, dans le système actuel, trouveraient probablement leur voie. Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente: Merci. Monsieur St-Laurent vous avez dix minutes.

[Français]

M. St-Laurent: Les avocats au Québec, dans le cadre de leur formation, sont-ils préparés à faire face à un client de 12 ans?

Me Boies: C'est l'objet de l'étude d'un comité du Barreau et de différents comités des barreaux locaux. On s'est penchés sur un document produit par un comité qui a étudié de façon très approfondie, avec l'aide d'experts, tant sur le plan juridique que sur le plan de la psychologie de l'enfant, la façon d'intervenir et le rôle de l'avocat en matière d'intervention, tant en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse que de la Loi sur les jeunes contrevenants.

.1730

Il a été résolu qu'il y ait de la formation au niveau universitaire pour préparer ceux qui s'orientent vers la représentation des enfants. Il y a, dans la formation permanente du Barreau, différents cours qui portent sur la représentation des enfants. Le rôle d'un avocat est-il différent lorsqu'il est face à un enfant de 12 ans? À certains égards oui et à d'autres égards non.

Un avocat restera toujours un avocat. Il est certain que, dans son approche auprès de l'enfant, il y a des modulations à apporter, et le Barreau est sensible à cela.

M. St-Laurent: Ce matin, Me Normand Bastien nous disait entre autres qu'il avait demandé d'obtenir plus de temps de réflexion avant le premier plaidoyer. On amène un enfant; il y a un délai de 24 heures devant les tribunaux et il faut décider s'il est coupable ou non.

À ce moment-là, dans beaucoup de cas - et je l'ai vu dans des cas de jeunes de 16 et 17 ans - , les enfants sont carrément accaparés par le système judiciaire. Quand tu commets un acte criminel à 17 ans, tu ne penses pas, dans la grande majorité des cas, à ce qui va se passer. Quand tu es face à la musique, la seule personne qui peut vraiment te conseiller est un avocat, et l'avocat doit décider tout de suite de faire quelque chose, de rencontrer les parents, etc.

On aurait demandé, semble-t-il, qu'il y ait plus de temps pour déposer un plaidoyer. Le système judiciaire et la société s'en trouveraient un peu enrichis. Quelle est votre opinion là-dessus?

Me Boies: Certains commentaires du Barreau, dans son mémoire relativement aux délais, rejoignent un peu la position de Me Bastien, que je connais. Je connais les deux. La position de Me Bastien à cet égard et les commentaires du Barreau vont dans le même sens. Il est certain que, pour un enfant, le temps est fondamental. Donc, il ne faut pas prolonger l'intervention, qu'elle soit sociale ou judiciaire, pour que la décision soit le plus contemporaine possible au geste qui a été commis, sinon le lien sera difficile à faire pour l'enfant entre la sentence, la décision, et le geste commis.

Par ailleurs, aller trop vite résulte en ce que Me Bastien avance. Aller trop vite, ce n'est pas nécessairement mieux, car il est important que l'enfant intègre bien la décision. Pour bien intégrer et même accepter la décision, il doit comprendre les différentes étapes du processus judiciaire. Plus l'enfant se rapproche de l'âge de 12 ans, plus cette compréhension est difficile et parfois longue.

Avant d'enregistrer un plaidoyer, il est important que l'enfant saisisse bien ce que cela veut dire que de plaider coupable ou non coupable et ce que cela implique comme conséquences pour lui, pour la société et pour la victime. Comme vous l'avez si bien dit, tous ces éléments de compréhension ne s'absorbent pas en quelques minutes, en vitesse, le matin d'une comparution.

C'est une question d'équilibre, comme c'est souvent le cas quand on travaille avec des enfants. Il faut trouver l'équilibre entre aller vite et aller trop lentement. Le Barreau est quelque peu d'accord sur cet énoncé qui dit qu'à certaines étapes, on doit prendre le temps de bien expliquer les choses pour que la décision finale soit bien intégrée et acceptée par l'enfant.

M. St-Laurent: En plus des différents rôles qu'il a déjà, le Barreau pourrait-il se donner celui d'aller dans les écoles pour rencontrer les enfants de 13 ou 14 ans et leur expliquer certaines données fondamentales du processus judiciaire? Cela est-il possible?

.1735

Me Carole Brosseau (avocate, recherche et législation, Barreau du Québec): Actuellement, certains projets sont adaptés suivant la clientèle visée. Entre autres, au Barreau du Québec, on a différents comités consultatifs, comme ceux sur les communautés culturelles et sur les autochtones et on fait des formations adaptées tant pour les avocats que pour les jeunes. Il y a aussi les programmes itinérants.

On va dans différentes écoles où on explique le rôle de l'avocat et les lois qui s'appliquent. On a financé - cela devrait être disponible d'ici l'automne - une espèce de vidéo sur lequel on explique aux jeunes leurs droits ainsi que la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise. On y travaille depuis quelques années.

On a même fait des jeux dans certaines écoles. Il y a quelques années, on a constitué un jeu. On a expliqué le système judiciaire. C'était un petit peu comme un jeu de Monopoly sur lequel on retrouvait un outil pédagogique qui s'adressait à la très jeune clientèle, à des enfants du primaire.

Oui, à cet égard-là, les barreaux de section, le Barreau de Montréal et le Barreau du Québec, ont pris de telles initiatives. Cela se fait régulièrement et on adapte périodiquement les choses aux besoins. Cela s'adresse à la clientèle de très jeunes enfants du primaire de second cycle, c'est-à-dire des enfants de quatrième, cinquième et sixième années et à la clientèle du secondaire, où l'approche est un peu différente. Les choses sont beaucoup axées sur la prévention du crime au niveau de l'adolescent.

M. St-Laurent: C'est une très bonne initiative. Vous avez dit que la loi comme telle était bonne et qu'il ne fallait pas y toucher, mais vous avez aussi parlé des façons de faire. Vous avez également dit que, grosso modo, s'il y avait quelque chose à faire, ce serait au niveau des façons de faire. Pourriez-vous élaborer un peu là-dessus?

Me Masse: Je ne suis pas spécialiste dans le domaine de la délinquance juvénile, mais le message que je voulais, comme bâtonnier du Québec, vous transmettre cet après-midi, monsieur St-Laurent, c'est que quand quelque chose fonctionne quelque part, il ne faut pas y toucher. Nous voulons vous dire qu'il y a certainement d'autres ressources à mettre pour l'encadrement et qu'une implication plus grande du milieu et de certains parents est essentielle, mais que dans l'ensemble, pour ce qui est du cadre législatif - et je suis tout à fait d'accord avec Me Boies quant à ses remarques sur l'âge - , il est vraiment important de ne pas changer les règles du jeu actuelles. Au Québec, elles fonctionnent très bien.

Bien sûr, il y a encore de la délinquance et il y en aura toujours, mais pour l'essentiel, nous pensons que, sauf pour quelques cas spectaculaires, la situation est sous contrôle.

Me Brosseau: La Loi sur les jeunes contrevenants avait pour objectif de responsabiliser le jeune vis-à-vis de son geste. On constate que cela s'est fait quand on compare la situation actuelle et celle qui prévalait sous l'ancienne Loi sur les jeunes délinquants. Le Québec a voulu progressivement amener le jeune à être responsable. Il ne faut pas oublier que le jeune est toujours en processus d'apprentissage et que sa responsabilité vis-à-vis de ses gestes va évoluer avec l'âge. C'est ce qu'on tente de faire.

C'est à 12 ans que la responsabilité du jeune peut commencer. C'est un minimum, à notre avis. On poursuit dans ce sens-là, mais les ressources sont adaptées au fur et à mesure que le jeune avance en âge. C'est sûr qu'un jeune de 17 ne prendra pas ses responsabilités vis-à-vis d'un délit contre les biens qu'il a commis de la même manière qu'un jeune de 12 ans. Donc, on adapte les choses.

C'est très bien et je ne pense pas qu'il y ait lieu de modifier quoi que ce soit à l'heure actuelle. On peut améliorer l'application de la loi, mais je ne crois qu'il soit opportun de modifier les fondements et les objectifs de la loi, compte tenu de la situation actuelle au Québec.

.1740

[Traduction]

La présidente: Merci, monsieur St-Laurent.

Monsieur Ramsay, nous vous accordons dix minutes.

M. Ramsay: Merci, madame la présidente.

Je vous remercie de votre mémoire. Nous avons beaucoup de questions et peu de temps. J'aimerais simplement dire ceci. Je ne crois pas que l'on puisse qualifier de répressive l'attitude des Canadiens qui veulent une loi pour protéger la société contre des actes criminels commis par des enfants de moins de 12 ans.

L'ancienne Loi sur les jeunes délinquants pouvait s'occuper de n'importe quel acte criminel commis par des enfants de n'importe quel âge. J'ai appliqué cette loi pendant 14 ans. Lorsqu'on l'a remplacée, votre province a adopté la Loi sur la protection de la jeunesse, et il y a en place une loi pour s'occuper des enfants de moins de 12 ans. En Alberta nous avons des enfants de 10 et 11 ans qui passent leur temps à voler des voitures et tout ce que les corps policiers peuvent faire, c'est de les ramasser et de les ramener chez eux.

Les gens réclament à cor et à cri, du moins dans cette région du pays, que l'on fasse quelque chose au sujet de la loi, et se tournent vers la Loi sur les jeunes contrevenants. Ils veulent qu'on abaisse l'âge à dix ans. Il ne me semble pas que cela ait de l'importance que l'on abaisse l'âge en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants pour l'assujettir à une loi fédérale ou une loi provinciale.

En vertu de l'ancienne Loi sur les jeunes délinquants, les juges et les tribunaux étaient habilités non seulement à imposer la peine mais à offrir des options de traitement. Ces dernières ont toutefois été supprimées avec l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants. Je dis simplement cela en passant.

Je suis impressionné par la loi que vous avez ici. Elle comble le vide qui avait été créé lorsque nous sommes passés de la Loi sur les jeunes délinquants à la Loi sur les jeunes contrevenants. Vous avez en place une loi où...

La présidente: Monsieur Ramsay, simple précision, les options en ce qui a trait au traitement n'ont pas été supprimées. La Loi sur les jeunes contrevenants prévoit cette option et elle a été modifiée...

M. Ramsay: Par l'entremise des mesures de rechange, je suis d'accord.

La présidente: L'article 22 a été abrogé au dernier tour en vertu de l'article 37.

M. Ramsay: Oui. On a réglé le problème dans une certaine mesure. Mais en 1984, lorsqu'on a adopté la loi, il y avait un vide.

La présidente m'a interrompu et j'ai perdu le fil.

Vous dites ce qui suit dans votre mémoire:

Je ne suis pas d'accord avec cela parce que je croyais qu'elle faisait le contraire. Nous avions l'habitude de porter des accusations. Les jeunes avaient l'habitude de comparaître devant le tribunal avec leurs parents et de se voir imposer une amende.

Vous dites également:

Il en était peut-être ainsi dans certains cas, mais pour d'autres la loi les tenait très responsables des gestes qu'ils avaient posés. Il ne s'agit que d'observations.

J'aimerais vous demander ceci. Je suis tombé dans l'un des mémoires que nous avons ici sur le taux de suicide dans la province, surtout chez les jeunes. Avez-vous quelque chose à dire sur la cause de cela? Vous avez une très bonne loi de la protection de la jeunesse qui se charge du dépistage et de la prévention précoce des comportements déviants. Avez-vous quelque chose à sur le taux de suicide?

[Français]

Me Boies: Vous posez une question à laquelle des psychologues qui travaillent auprès des adolescents pourraient sûrement répondre. Il est dur pour nous, comme membres du Barreau, avec la formation que nous avons, d'expliquer le phénomène du suicide chez les adolescents.

.1745

Par ailleurs, votre commentaire est juste. Comment se fait-il, et on est en train de se questionner là-dessus, que dans une société où on tente de trouver la source même des problèmes des enfants, tel enfant passe à travers les mailles du filet qu'on tente de créer pour s'assurer que notre jeunesse atteigne l'âge adulte dans les meilleures conditions? Je ne peux pas vous répondre. Certaines études en cours nous apporteront peut-être des réponses plus spécifiques.

Serait-ce parce que nous sommes trop exigeants sur le plan scolaire avec nos enfants? Est-ce qu'on les incite trop à vouloir performer? Plusieurs des suicides sont le fait d'individus qui ne vivent pas nécessairement des problèmes d'ordre social, mais plutôt des problèmes d'ordre familial ou scolaire. Est-ce que c'est relié à ça? Je ne peux pas vous répondre. Votre question relève trop de la psychologie pour que je puisse avancer une réponse, quelle qu'elle soit.

[Traduction]

M. Ramsay: D'accord. Je comprends que peut-être il n'était pas juste que je pose cette question.

[Français]

Me Masse: J'ai vu un chiffre du taux de suicide chez les jeunes au Québec, monsieur Ramsay. Ce qui m'a frappé, c'est que le taux de suicide chez les jeunes autochtones est considérablement plus élevé que dans les autres populations. Donc, quand on parle du taux de suicide - j'émets simplement une hypothèse - , on devrait le ventiler autrement que sur une base provinciale.

La situation autochtone est clairement chronique et dramatique. Je n'avais que les statistiques du Québec et je me suis demandé si ces chiffres ne cachaient pas le phénomène autochtone, lequel mériterait une intervention tout à fait indépendante de toute problématique du sud ou urbaine.

[Traduction]

M. Ramsay: Je veux aborder une question qui a été soulevée par un témoin précédent qui a travaillé comme avocat auprès des jeunes délinquants. Il a dit que les avocats qui n'ont pas suffisamment de temps pour discuter de l'affaire avec les parents et ainsi de suite se retrouvent dans une situation où l'enfant a peut-être avoué à ses parents avoir commis l'acte pour lequel on l'accuse. Il peut arriver que des avocats le fassent plaider non coupable. Ce que je retiens de son témoignage, c'est que lorsque cela se produit, cela ne fait que renforcer dans l'esprit du contrevenant qu'il n'y a rien de mal à nier la vérité, qu'il n'y a rien de mal à nier devant le juge, devant le tribunal, qu'il a posé le geste et qu'il a déjà avoué sa faute à ses parents, qu'il a volé la bicyclette ou cassé le carreau.

Le témoin a déclaré que, simplement pour toucher ses honoraires et montrer qu'il est bon avocat, il se battra et discréditera la vérité qui vient de la police et des autres témoins. Il essaiera de mettre en doute les faits et la vérité.

Cela se fait peut-être dans un tribunal pour adultes, mais dans un tribunal pour adolescents, quel genre de message envoie-t- on au jeune contrevenant qui a admis qu'il a eu tort, mais se rend compte maintenant qu'il pourrait ne pas souffrir des conséquences de son geste, que même s'il a fait des aveux à ses parents, il peut échapper à l'accusation?

En tant que membres du Barreau, avez-vous des observations à faire?

[Français]

Me Boies: Ce que je disais tantôt à M. St-Laurent demeure exact. Il s'agit à l'occasion de savoir prendre plus de temps - vous faites des comparaisons avec le système adulte - avec un enfant qu'avec un adulte, ne serait-ce que pour lui parler des tenants et aboutissants du système judiciaire. Jusqu'à maintenant, on a voulu calquer la procédure du système judiciaire juvénile sur celle du système judiciaire adulte.

Ainsi, la première étape, comme vous l'avez dit et comme Me Bastien le disait ce matin, c'est la comparution, où on demande à l'accusé d'enregistrer un plaidoyer de culpabilité ou de non-culpabilité. Il est certain qu'à ce moment, l'avocat n'est pas nécessairement en mesure de bien renseigner son client sur les différentes options, ne serait-ce que parce que les policiers ou le procureur général n'ont pas nécessairement en main une preuve relativement aux accusations qui sont déposées contre son client. Donc, il va demander quelques jours, sinon quelques semaines, pour en prendre connaissance, revoir son client et contacter les parents à nouveau.

.1750

Peut-être est-ce incongru. Peut-être y a-t-il lieu de se pencher sur le fait qu'à la première occasion, il suffira tout simplement de reporter la comparution, que la preuve soit communiquée à l'avocat et que celui-ci puisse revoir son client avant même d'enregistrer un plaidoyer de culpabilité ou de non-culpabilité.

Naturellement, il y a aussi le cas où le jeune se croit coupable alors qu'il ne l'est pas. Il peut avoir avoué certains torts à ses parents sans être coupable légalement parce qu'il existe, dans son cas, un moyen de défense quelconque. Il se peut également qu'il ne soit pas coupable de l'infraction qui lui est reprochée dans la plainte portée contre lui.

En cours de pratique, j'ai déjà eu un client accusé de tentative de meurtre, accusation qui s'est soldée par un plaidoyer de culpabilité de voies de fait simple, alors que je n'avais vraiment pas eu grand-chose à faire. Les faits démontraient simplement qu'en fin de compte, il ne s'agissait pas du tout d'une tentative de meurtre de la part de mon client, même s'il reconnaissait certaines choses. Si, au départ, on lui avait dit qu'il était coupable et devait plaider coupable parce qu'il avait déjà dit à d'autres personnes qu'il avait commis un geste illégal, il aurait plaidé coupable pour un crime qu'il n'avait pas vraiment commis.

Tout cela pour dire qu'il y a des élément à revoir pour que, comme je le disais plus tôt, la décision soit bien intégrée, que ce soit celle d'un plaidoyer de culpabilité ou de non-culpabilité, ou que ce soit celle d'imposer une sentence si on plaide coupable. Il faut prendre le temps de le faire, et il faut peut-être déplacer certaines étapes pour les adapter aux jeunes contrevenants. Cela ne veut pas dire qu'il faille modifier la loi pour atteindre cet objectif. Telle qu'elle est, la loi permet facilement d'appliquer ces principes.

[Traduction]

La présidente: Madame Torsney.

Mme Torsney: J'ai deux questions à vous poser. Premièrement, un cas particulier m'a été soumis dans ma circonscription. Une jeune personne a signé l'abandon de ses droits aux agents de police et les agents demandent comment cela a pu se produire; comment a-t- il pu abandonner ses droits sans consulter qui que ce soit? Est-ce que vous avez ce même problème au Québec?

[Français]

Quel âge a-t-il? Je pense qu'il a 14 ou 15 ans.

Me Boies: Je peux vous dire qu'au Québec, ce n'est pas vraiment un problème. La plupart du temps, les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants, particulièrement l'article 56, sont respectées et, dans la mesure où elles ne le sont pas, les avocats vont faire en sorte que la déclaration ne soit pas admissible en preuve.

De plus, les différents corps policiers au Québec ont établi une procédure assez claire qui milite en faveur de l'implication des parents. Dès le moment où le jeune est arrêté, le premier appel téléphonique sera pour informer le parent que son enfant se trouve dans un poste de police, pour l'informer des motifs qui ont conduit à son arrestation et de la nécessité, si possible, de la présence d'un ou des parents.

Maintenant, avec les nouvelles dispositions à la Loi sur les jeunes contrevenants qui ont scindé le droit à la présence des parents, entre guillemets, et le droit à l'assistance d'un avocat, le deuxième appel se fait au bureau d'un avocat. Au Québec - peut-être Me Bastien vous en a-t-il parlé ce matin puisqu'il dirige un bureau d'avocats pour la jeunesse dans la région de Montréal - , il y a deux téléphones qui permettent de référer les cas soit à un bureau de l'Aide juridique, soit au Service du Barreau du Québec. Si un individu ne parle pas à un avocat à ce moment-là, c'est vraiment parce qu'il ne le veut pas, car tout est en place pour lui permettre d'avoir accès à un avocat.

Je reviens à l'appel aux parents. C'est une pratique coutumière dans la procédure. Naturellement, les policiers sont comme les avocats ou les députés: il y a en a de bons et de moins bons. À l'occasion, on omettra cet élément de la procédure mais, de façon générale, ce n'est pas un problème.

[Traduction]

Mme Torsney: J'imagine que ce jeune pensait comprendre ce qu'il en était et n'a pas fait les appels que la police... ou pensait que le système fonctionnait différemment. Il croyait peut- être que le policier était de son côté et essayait vraiment d'obtenir des renseignements pour l'aider plutôt que pour porter une accusation contre lui. C'est donc admissible, mais... Il n'a peut-être pas compris la portée de ses droits ou les conséquences de l'abandon de ses droits.

.1755

À l'annexe IV de votre mémoire, vous présentez un tableau comparatif. Je ne comprends pas très bien la différence entre deux titres de colonnes, celui sur le pourcentage des mineurs délinquants et celui sur le pourcentage des mineurs. J'aimerais que vous me l'expliquiez. Dans le cas des mineurs délinquants, le pourcentage diminue, restant à peu près le même la première et la deuxième années pour diminuer par la suite, mais le pourcentage des mineurs augmente d'année en année. Je ne sais pas...

[Français]

Me Brosseau: On peut dire en général que depuis l'application de la loi et jusqu'en 1994, le taux de criminalité est resté à peu près stable. Cela peut vous donner une indication des statistiques qui sont souvent embrouillantes. Depuis 1994-1995, il y a une augmentation d'environ 2,5 p. 100 des crimes violents, par rapport à 46 p. 100. Règle générale, les statistiques sont assez stables.

Ce qu'on voulait établir essentiellement, c'est que la délinquance juvénile n'a pas beaucoup augmenté; elle est restée stable, tandis que la délinquance adulte a beaucoup augmenté. Les statistiques que vous avez remontent à 1993, je pense. Je n'ai peut-être pas répondu à votre question. Je me suis trompée de tableau.

[Traduction]

Mme Torsney: D'accord.

[Français]

Je pense que vous avez la bonne réponse parce que le pourcentage de jeunes est inclus dans la population en général.

Me Brosseau: C'est ça.

Mme Torsney: Alors, ce chiffre augmente chaque année, mais le pourcentage de jeunes hors-la-loi est moindre.

Me Brosseau: Sur le tableau que vous avez ici, c'est le taux d'augmentation à chaque année. Ici, ce sont les adultes et en bas, ce sont les adolescents. C'est en milliers de personnes. Ici, ce sont les années. Ça va? C'est jusqu'en 1993.

[Traduction]

Mme Torsney: D'accord.

Ma deuxième question a trait au fait que certaines personnes disent que ce n'est pas tant le nombre d'incidents qui compte que la nature ou la gravité des incidents. Par exemple, quand des enfants frappent quelqu'un non pas une ou deux fois, mais 35 fois, on peut dire qu'ils ont alors vraiment perdu tout contrôle. Les conséquences sont beaucoup plus graves, même si le nombre d'incidents diminue. Est-ce ce que vous avez observé au cours des années, ou le meurtre Toope est-il une aberration?

[Français]

Me Masse: Si je saisis bien votre question, c'est qu'il faut s'arrêter à la qualité ou à la gravité du crime, plutôt qu'au nombre. Encore une fois, peu importe le nombre ou le crime commis, il nous semble qu'avec la jurisprudence relative à la Loi sur les jeunes contrevenants accumulée au cours des ans, la cour a le loisir de rendre des décisions choisies parmi un éventail assez large. Même si on fait face à un coupable d'une première offense, il n'en demeure pas moins que le principe directeur, qui est de répondre aux besoins tout en tenant compte du fait qu'il s'agit d'un délit, est toujours valable et qu'on va pouvoir intervenir et tenter de traiter le problème de façon très particulière.

Même si, comme M. Ramsay le disait plus tôt, on ne fait plus appel à la disposition qui parle de traitement, au Québec, dans le cadre même de la période de probation, on obligera des accusés à rencontrer certains professionnels en service social ou en santé mentale pour s'assurer que des comportements inadéquats ne se reproduisent plus.

Donc, il nous semble, du moins en interprétant les décisions rendues entre autres par la Cour suprême, que l'éventail est assez large. On va vraiment tenter, en respectant tous les autres critères et principes directeurs de la loi, de répondre de façon particulière aux besoins de chacun des individus qui comparaissent devant le tribunal pour adolescents. Je ne sais pas si je réponds à votre question.

.1800

[Traduction]

Mme Torsney: J'imagine que le problème c'est qu'on en parle encore après le crime; pour certains, ces enfants sont incontrôlables, il faut faire quelque chose, changer la loi, empêcher les jeunes d'attaquer et empêcher que des meurtres comme ceux survenus à Beaconsfield ne se produisent.

Que répondez-vous à cela?

[Français]

Me Brosseau: Il y a des cas extrêmes auxquels l'ensemble de la loi ne pourra pas répondre. Dans ces cas-là, les situations sont vraiment extrêmes. Nous le disons dans notre mémoire et je pense que ce fut dit aussi dans le Rapport Jasmin. Il existe dans la loi actuelle une procédure de renvoi qui pourrait être utilisée davantage. Il ne faut pas oublier que lorsque le système juvénile ne répond plus aux besoins du jeune - et ce peut être le cas - , le système adulte peut devenir la ressource adéquate et faire partie d'une solution. La loi prévoit le système de renvoi. C'est un peu à cela que notre mémoire faisait référence. Le cas que vous mentionnez est quand même exceptionnel.

Est-ce que c'est un ensemble? Il faut considérer la délinquance dans l'ensemble de la situation à laquelle nous faisons face. On peut dire qu'il y a augmentation des délits violents. C'est vrai, c'est constaté. Mais l'ensemble des délits sont souvent des délits contre les biens, ce qui est moins grave que des délits contre la personne. C'est un jugement de valeur que la société a toujours porté.

C'est un peu ce à quoi on faisait allusion. Nous le disons honnêtement. Je pense que la solution peut parfois être le renvoi au système adulte. Ce système peut constituer une ressource dans certains cas, et c'est pourquoi un système de renvoi est prévu.

Mme Torsney: Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente: Ma question est brève, mais la réponse ne l'est peut-être pas.

Très peu de policiers nous ont demandé de modifier l'article 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants, qui traite des déclarations admissibles, pour le rendre conforme à la Charte, en remplacement de la protection à assurer aux mineurs qui risquent la détention ou peuvent faire une déclaration. Peu nombreux sont ceux qui se sont prononcés sur l'article 56.

Je dois dire que l'Association canadienne des policiers ne propose pas de changement à ce sujet et, en tant que procureur et avocate de la défense, je trouve que l'article 56 cause problème seulement si le policier veut aller trop vite.

Je ne veux pas influencer votre réponse, mais c'est mon point de vue.

Pouvez-vous me dire si vous avez discuté de l'article 56, si le Barreau du Québec a déterminé si cette disposition doit être modifiée, renforcée, laissée telle quelle ou supprimée complètement?

[Français]

Me Boies: Dans le cadre du présent mémoire, on n'a pas touché à l'article 56, qui ne faisait pas l'objet d'une question avancée par le comité. On s'était déjà prononcés dans d'autres mémoires, où le maintien de l'article 56 était demandé.

Il est vrai qu'on reconnaissait que c'était plus exigeant. Encore une fois, c'est toujours le même principe fondamental. Un enfant n'a pas la maturité d'un adulte. Il a besoin d'une meilleure protection, surtout quand on intervient ou qu'on s'apprête à intervenir dans ses droits reconnus par la Constitution. Il semblait donc au Barreau que la protection assurée par l'article 56 était conforme à ce principe et ne causait pas vraiment un problème.

Je peux vous dire que la majeure partie de la jurisprudence rattachée à l'article 56 qu'on rapporte ne provient pas du Québec. Il semble donc que l'article ne crée pas vraiment de problèmes chez nous, que les formules sont mises de l'avant par les corps policiers, lesquels les respectent relativement bien. Au moment des procès, ça ne cause pas vraiment un problème; ou bien elles sont clairement inadmissibles, ou bien elles sont admissibles. Mais cet article ne suscite vraiment aucun débat ici, au Québec, et sûrement pas un débat de fond.

[Traduction]

M. Maloney: Vous signalez un taux d'échec de 30 p. 100 dans le cas des mesures de rechange, ce qui est assez remarquable. Qu'est-ce qu'un échec pour vous? Est-ce quand il y a récidive ou quand une autre accusation est portée?

.1805

[Français]

Me Boies: Effectivement, les chiffres que j'ai avancés sont disponibles, particulièrement dans le Rapport Jasmin. Je présume que vous en avez une copie. Je pense même qu'il a été traduit. Ce qui peut d'abord constituer un échec serait le fait qu'on ne remplisse pas le contrat; la conséquence en sera la judiciarisation du dossier. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

[Traduction]

M. Maloney: Avez-vous des chiffres sur les jeunes qui bénéficient de ces mesures de rechange, quels qu'ils soient, des statistiques sur les cas de récidive?

[Français]

Me Boies: Non, on n'en a pas. J'ai tenté d'avoir la réponse à la question que vous me posez. La semaine dernière, on était en train de croiser des statistiques afin d'obtenir ces chiffres. On m'a avancé un chiffre qui serait de l'ordre d'environ 10 p. 100 de jeunes qui, ayant fait l'objet de mesures de rechange, se retrouvent engagés dans le programme des mesures de rechange, parce qu'il arrive qu'un jeune bénéficie deux fois du programme des mesures de rechange, ou encore qui récidivent et font cette fois l'objet d'une poursuite devant la Chambre de la jeunesse. Je n'avance pas vraiment de chiffres, parce qu'on est en train de faire des vérifications pour appuyer un chiffre sur des données statistiques claires.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie. Votre participation nous a été très utile.

La séance est levée.

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