[Enregistrement électronique]
Le mercredi 25 septembre 1996
[Traduction]
La présidente: Nous revoici dans notre salle du sous-sol.
Je souhaite la bienvenue au professeur Jean Trépanier, avocat et professeur à l'École de criminologie de l'Université de Montréal.
Nous avons très hâte de vous entendre, monsieur. Je crois que vous avez un mémoire. Nous l'entendrons, puis nous vous poserons des questions.
Merci.
[Français]
Me Jean Trépanier (professeur, École de criminologie, Université de Montréal): Merci, madame la présidente. Je remercie les membres du comité de me recevoir à une heure aussi matinale. J'espère que je saurai vous garder bien éveillés.
[Traduction]
La présidente: Vous mettez la barre bien haute. Nous avons eu une dure journée hier, une journée très longue.
[Français]
Me Trépanier: Vous avez déjà reçu mon mémoire, que j'ai envoyé il y a déjà presque un an, soit au mois d'octobre de l'an dernier. J'aimerais commencer par certains rappels. J'ai vérifié, pour ce qui est des données statistiques qui y sont incluses, dans quelle mesure celles qui sont sorties depuis un an auraient pu modifier la tendance exposée dans le rapport. Je dois dire que celles-ci n'ont, dans l'ensemble, pas du tout modifié cette tendance.
La première question qui à mes yeux se pose est: quel est le problème? Pourquoi sommes-nous ici aujourd'hui à nous demander si la Loi sur les jeunes contrevenants devrait être modifiée? C'est un fait que bon nombre de personnes au Canada se disent que la délinquance des jeunes est en augmentation constante. Ce sentiment est très largement répandu chez beaucoup de nos concitoyens et concitoyennes.
Que nous disent les statistiques officielles là-dessus? Les statistiques officielles, celles des services de police, nous indiquent qu'au Canada, le taux de criminalité est en baisse pour une quatrième année consécutive; que les infractions violentes notamment sont en baisse également; qu'en ce qui concerne les jeunes contrevenants eux-mêmes, le taux de jeunes qui sont accusés par la police a encore une fois baissé pour une quatrième année consécutive. Cette dernière année, celle de 1995, la baisse a été tout à fait minime mais néanmoins il y a eu baisse.
Donc, on peut se demander s'il y a péril en la demeure. Est-ce qu'il est absolument nécessaire de légiférer en nous disant que nous avons sur les bras un problème majeur? Soyons bien clairs. C'est évident que la délinquance des jeunes constitue un problème et je ne veux surtout pas le minimiser. C'est très important. Cependant, on peut se demander s'il y a une augmentation telle qu'il soit nécessaire que le Parlement intervienne tout particulièrement ou spécialement.
Évidemment, on peut toujours se demander si les statistiques officielles représentent fidèlement le phénomène de la délinquance. On sait très bien que la réponse à cette question est non, tout d'abord pour la bonne raison que beaucoup de victimes ne portent pas plainte auprès de la police; deuxièmement, parce que dans sept cas sur dix sur lesquels la police fait enquête, elle ne réussit pas à identifier l'auteur de l'infraction.
Cela veut dire que les statistiques officielles sur la délinquance des jeunes brossent un tableau duquel sont éliminées toutes les affaires pour lesquelles les victimes n'ont pas porté plainte ainsi que toutes celles que la police n'a pas éclaircies, donc toutes celles dont nous ne savons pas si l'infraction a été commise par un jeune ou un adulte, de sorte qu'il se fait une sélection très importante dont les statistiques officielles sont le résultat.
On peut donc se demander si d'autres moyens nous permettraient d'avoir un portrait plus juste de l'état actuel de la délinquance. Je dirais que les sondages sur le nombre de victimes sont probablement la technique la plus adéquate pour obtenir un portrait plus représentatif de la réalité.
Un sondage sur le nombre de victimes, c'est très simple. De la même façon qu'on fait des sondages d'opinion publique sur les intentions de vote ou sur le type de savon consommé ou sur l'écoute de télévision, on demande à un échantillon représentatif de la population: avez-vous été victime de tel type d'infraction au cours des 12 derniers mois?
Ce que les sondages de victimisation nous révèlent au Canada, c'est qu'au cours des quelques années où de tels sondages ont été faits - on peut comparer par exemple les sondages faits au Canada en 1988 et 1993 - , il y a eu non pas une augmentation mais une diminution du taux de victimisation. Nos concitoyens et concitoyennes se disent moins souvent victimes d'actes criminels qu'auparavant.
Aux États-Unis, si on demandait aux gens s'ils estiment que la criminalité est en hausse aux États-Unis, la quasi-totalité des gens, je pense, diraient évidemment que la criminalité est en hausse aux États-Unis. Or, que nous disent les sondages de victimisation qui ont été faits pour le compte du ministère fédéral de la Justice américain? Sur une période de 20 ans, de 1973 à 1992, les sondages de victimisation aux États-Unis montrent une diminution, non pas une augmentation, mais une diminution du taux de victimisation chez la population américaine pour l'ensemble des infractions sauf dans une catégorie, les vols d'automobile.
Ces sondages nous donnent donc une image totalement différente de la perception que l'ensemble des citoyens ont et totalement différente aussi, il faut le dire, de certaines statistiques officielles. Alors, on peut se demander d'où vient cette perception qu'ont bon nombre de personnes que la délinquance augmente sans cesse et qu'une action du Parlement est nécessaire.
Je dirais que le problème est dans une large mesure attribuable aux médias. Je ne veux pas accuser les médias. Ce n'est pas du tout une mise en accusation. Mais une constatation s'impose. Il est certain que la médiatisation plus poussée de certains événements, de certains crimes particulièrement choquants - il y a effectivement des crimes qui sont très choquants - , leur donne beaucoup plus de visibilité qu'auparavant.
Je me souviens, à titre d'exemple, d'un meurtre qui avait été commis, il y a un an ou deux, dans une petite épicerie ici, à Montréal. Une caméra vidéo avait filmé le meurtre du propriétaire. Ce meurtre avait été montré je ne sais combien de fois à la télévision. Il va de soi qu'on utilise des moyens techniques qui n'existaient pas auparavant, avec le résultat que nous voyons dans notre salon des choses qui pouvaient se passer auparavant, mais dont nous avions une connaissance très limitée.
Nos perceptions sont fondées essentiellement sur la visibilité des événements, de sorte que ceux que nous voyons plus qu'auparavant nous semblent plus importants. Il ne faut pas oublier, non plus, que la course aux cotes d'écoute pour la télévision et de la radio, et aux tirages plus élevés pour les journaux, fait qu'on reproduit le plus possible de choses qui vont attirer les lecteurs ou les téléspectateurs. Évidemment, dans ce contexte, beaucoup de gens ont l'impression non fondée, mais l'impression, néanmoins, que la délinquance est en augmentation.
Quand survient une campagne électorale, que font les citoyens et les citoyennes? Ils demandent aux divers candidats ce qu'ils entendent faire pour les protéger. Les différents candidats se disent qu'il faut donner à leurs concitoyens et à leurs concitoyennes le sentiment qu'ils prennent leurs responsabilités. Je pense que ce phénomène s'est produit notamment lors de la dernière campagne électorale du gouvernement fédéral, où la Loi sur les jeunes contrevenants est devenue un enjeu politique réel, avec le résultat que divers partis ont pris des engagements à l'endroit de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Alors la question se pose: si le problème n'en est pas un d'augmentation de la délinquance, le Parlement devrait-il intervenir pour modifier la Loi sur les jeunes contrevenants dans ce contexte? Ma réponse serait non. Je crois qu'on ne doit pas modifier la Loi sur les jeunes contrevenants et je vous dirai dans un instant l'évaluation qui en a été faite dans son ensemble par le comité Jasmin au Québec.
Je ne veux pas parler de modifications techniques sur un point ou l'autre, mais en modifiant la Loi sur les jeunes contrevenants d'une manière qui la durcirait de façon marquée, le Parlement, très malheureusement, confirmerait l'impression erronée qu'ont beaucoup de citoyens que la situation est dramatique. L'intervention même du Parlement confirmerait cette impression, alors qu'il me semble qu'on ne doit pas confirmer une impression erronée.
C'est une des raisons pour lesquelles il me semble que nous ne devrions pas changer les orientations de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Maintenant, un point a souvent été évoqué: comment se fait-il qu'au Québec on semble plus satisfait de la Loi sur les jeunes contrevenants qu'ailleurs? C'est un fait que dans les médias, on a entendu, au cours des années, beaucoup moins de récriminations à l'endroit de la Loi sur les jeunes contrevenants au Québec qu'ailleurs.
Soyons bien clairs. La différence ne se situe pas entre anglophones et francophones mais plutôt entre le Québec et l'extérieur. Regardons, par exemple, les positions prises par le quotidienThe Gazette relativement à la Loi sur les jeunes contrevenants: elles sont totalement en accord avec les positions généralement entendues au Québec.
J'ai eu le privilège d'être associé de près au groupe de travail qui a été mandaté par le gouvernement du Québec pour étudier l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants au Québec, groupe de travail qui était présidé par M. le juge Jasmin. En fait, j'ai été le rédacteur du rapport. J'ai été frappé, comme tous les membres du groupe de travail, lors de toutes les audiences que nous avons tenues, de voir jusqu'à quel point un consensus existait ici, au Québec, à savoir que la Loi sur les jeunes contrevenants était une bonne loi.
Alors, comment se fait-il que tant d'insatisfaction soit exprimée ailleurs au Canada?
J'ai évoqué la question des médias tout à l'heure. Je pense que parmi les raisons, il en est une qu'on a peu tendance à évoquer et qu'il ne faudrait pas oublier: c'est le changement de l'âge de la majorité pénale survenu en 1985. Jusqu'à cette date, l'âge de la majorité pénale était fixé à 16 ans dans six provinces canadiennes, à 17 ans dans deux provinces et à 18 ans au Québec et au Manitoba. Pour un grand nombre de provinces, l'âge de la majorité est passé de 16 à 18 ans en 1985, ce qui a eu, entre autres, deux conséquences.
La première, évidemment, c'est qu'il fallait trouver de nouvelles ressources pour s'occuper des jeunes de 16 et 17 ans qui, auparavant, étaient considérés comme des adultes aux yeux de la loi.
Mais il y a encore davantage. La représentation mentale de beaucoup de gens, parmi la population, était qu'une personne de 17 ans qui commet un crime est un criminel adulte et non pas un jeune délinquant. En conséquence, la réaction était qu'il fallait l'envoyer en prison, devant un tribunal pour adultes, parce que ce quelqu'un qui est perçu comme un criminel adulte devait être traité comme un criminel adulte.
Lorsque les journaux rapportent des crimes choquants, comme des tentatives de meurtre, commis par un jeune de 16 ou 17 ans aujourd'hui, la population se demande comment il se fait que ce jeune comparaît devant un tribunal pour mineurs. L'idée qu'on se fait d'un jeune de 17 ans est encore colorée, dans une certaine mesure, par le fait qu'on le perçoit toujours comme un criminel adulte.
Les études qui sont faites sur les représentations mentales disent qu'il faut un certain nombre d'années avant que ces dernières se modifient de façon marquée. De ce point de vue, je dirais que le changement majeur intervenu par rapport au seuil d'âge de la majorité pénale ne peut être absorbé par la population au cours d'une période de temps trop courte.
Au Québec, cet âge de la majorité pénale est fixé à 18 ans depuis 1942. La population du Québec a donc eu plus de 50 ans pour s'habituer à cette perception que les 16 et 17 ans ne sont pas des criminels adultes mais des jeunes contrevenants. Ces 50 années ont également permis de développer un réseau de ressources avec une tradition d'intervention et de formation du personnel, avec le résultat que dans nos centres de réadaptation pour les jeunes, une majorité d'éducateurs ont aujourd'hui une formation universitaire.
Je pense que de tels éléments sont importants pour bien saisir le degré de satisfaction qui existe à l'endroit des interventions et à l'endroit de la Loi sur les jeunes contrevenants ici, au Québec.
Est-ce que cela veut dire qu'il n'y a aucun problème relativement à la Loi sur les jeunes contrevenants? Je ne dirais certainement pas qu'il n'y a aucun problème. Ce que je vous dirais, c'est que les problèmes les plus significatifs, les problèmes les plus sérieux sont ceux qui relèvent de l'application de cette loi plutôt que ceux portant sur le contenu de la loi elle-même.
En voici quelques exemples. Il y a les délais d'intervention. Dans une étude que nous avons faite dans trois villes au Québec, Valleyfield, Joliette et Montréal, nous avons constaté que le délai qui s'écoulait entre le jour où l'infraction est commise et le jour où le juge rend une décision sur la mesure à prendre variait selon les villes. Le délai moyen - je dis bien moyen, ce qui veut dire qu'il y en a des plus courts mais aussi des plus longs - variait entre cinq et neuf mois selon les villes.
Quand de tels délais existent et qu'on réalise qu'un adolescent perçoit la durée différemment d'un adulte, on peut se demander quel peut être l'impact réel d'une mesure qui sera imposée à un jeune neuf mois après qu'il ait commis l'infraction. Le temps aura fait son oeuvre. Fort malheureusement, l'adolescent aura eu le temps de rationaliser son geste et ainsi de suite, de sorte que c'est la signification et l'efficacité de l'intervention et de la sanction imposée par le juge qui sont mises en cause.
Deuxièmement, dans cette même étude, nous avons constaté que lors des audiences du tribunal, dans un cas sur deux, ni le père ni la mère n'étaient présents, que ce soit au moment où le procès se tient ou au moment très important où le juge annonce au jeune quelle mesure il va lui imposer.
Dans un contexte où il faut voir les parents comme étant les premiers responsables de l'éducation de leurs enfants et où, comme l'a bien indiqué le comité Jasmin, il faut faire de ces parents des partenaires dans les interventions, il y a des pratiques et des attitudes à changer.
Autre facteur: les victimes. On s'aperçoit, à l'examen des données statistiques, que les mesures qui sont imposées aux jeunes sont très rarement centrées sur les victimes. Par ailleurs, quand nous rencontrons des victimes, nous nous apercevons qu'elles se disent entre autres mal informées, de sorte que bon nombre d'entre elles ont le sentiment que leur contact avec la justice est souvent l'occasion d'être victime une seconde fois.
Je ne voudrais surtout pas dire qu'en punissant davantage les délinquants, nous réglerions les problèmes des victimes. Bien au contraire, je crois qu'il faut davantage responsabiliser les jeunes en les amenant à rencontrer les victimes et à leur offrir une sorte de réparation. Une telle approche aurait une plus grande portée et une dimension éducative bien supérieure à un accroissement de punition qui, comme nous l'indiquent les études, n'a pas d'effet dissuasif.
Vous savez encore mieux que moi, puisque des pressions plus ou moins publiques sont exercées sur vous, que bon nombre de personnes croient que la loi devrait être plus punitive, que l'on devrait punir davantage les jeunes, que l'on devrait augmenter les peines.
J'aimerais relever deux points à ce sujet. D'une part, certains travaux de recherche démontrent que nos concitoyens et concitoyennes qui réclament des peines plus sévères sont dans l'ensemble très ignorants des peines qui sont effectivement imposées par les tribunaux et que lorsqu'on les informe de la nature réelle des peines, ils se montrent généralement en accord avec les peines qui sont infligées.
D'autre part, les études dont nous disposons jettent des doutes considérables sur les répercussions possibles de la dissuasion. Les jeunes pensent peut-être aux probabilités d'être arrêtés par la police, mais les probabilités d'écoper d'une peine plus considérable, plus forte semblent échapper à leur perception. Précisons que, de toute façon, les décisions qui sont rendues sont dans l'ensemble peu connues. Comment des décisions peu connues peuvent-elles dissuader?
En termes de dissuasion, il faut se mettre dans la peau des jeunes. Nous ne devons pas nous demander comment nous serions dissuadés, mais plutôt comment ces jeunes seraient dissuadés.
En fin de compte, nous constatons qu'au moment où le jeune se demande s'il va ou non poser tel geste, il a tendance à sous-évaluer la probabilité de se faire prendre. Il se dit que, de toute façon, même si les tribunaux peuvent imposer des peines sévères, elles ne s'appliqueront pas à lui parce qu'il ne se fera pas prendre.
Et même si les jeunes évaluaient justement les probabilités de se faire prendre, nous sommes tous conscients que bon nombre de victimes ne portent pas plainte à la police et que, dans 7 cas sur 10, les affaires ne sont pas éclaircies par la police. Un jeune qui examine ces données de recherche et les statistiques officielles peut très bien conclure que les probabilités semblent indiquer qu'il ne se fera pas prendre.
Je terminerai en vous disant qu'il m'apparaît moins essentiel et crucial de changer la loi elle-même que d'examiner son application. Je crois comprendre que vous avez en main le Rapport Jasmin, un rapport de plus de 200 pages qui examine toute une série de problèmes qui se posent quant à l'application de la loi. Il me semble que c'est davantage de ce côté-là qu'il y aurait lieu de nous orienter.
Évidemment, l'application de la loi est de compétence provinciale. Ainsi, me semble-t-il, le rôle que pourrait jouer le gouvernement fédéral en serait un de facilitateur et d'initiateur. Il pourrait amener les provinces à se mettre ensemble, à examiner les problèmes qu'elles rencontrent dans l'application de cette loi et à mettre en commun les bonnes solutions trouvées ici et là.
Je recommanderais que l'on mette davantage l'accent sur la réparation pour les victimes et qu'on en fasse peut-être mention dans la déclaration de principe à l'article 3 de la loi. Finalement, il serait essentiel que l'on s'assure que le public soit bien informé sur les données statistiques relatives à la délinquance.
Par ailleurs, le Centre canadien de la statistique juridique a bien précisé cette préoccupation lors de la publication des dernières statistiques sur la criminalité en 1995. Statistique Canada a clairement indiqué espérer que ces données seraient bien connues du public et que ce dernier prendrait conscience d'une situation dont nos concitoyens et concitoyennes ont malheureusement une perception erronée.
Je m'arrête ici pour l'instant, madame la présidente, pour vous donner l'occasion d'aborder les questions que vous souhaitez.
[Traduction]
La présidente: Merci, professeur Trépanier.
Monsieur St-Laurent, dix minutes.
[Français]
M. St-Laurent (Manicouagan): Je vous remercie de cet exposé plus qu'intéressant. J'aimerais connaître votre opinion sur une approche un peu holistique, une approche qui précéderait la comparution du jeune devant le tribunal. Cette approche agresseur-agressé, cette rencontre où les deux parties prendraient le temps de discuter de la réparation, pourrait-elle régler une des préoccupations soulevées dans votre énoncé et que nous partageons aussi?
En présence du consentement de toutes les parties, comment envisagez-vous la possibilité qu'un jeune contrevenant prenne part à un tel processus? Il va sans dire que cette approche serait très difficile dans certains cas comme un viol et serait peut-être alors à éviter. On parle plutôt de crimes contre le matériel, comme un vol de voiture ou un bris de vitrine dans un dépanneur, mais non pas d'agression à main armée. Si les parties le désiraient, pourquoi pas? J'aimerais que vous nous parliez de l'ouverture qui pourrait être créée et des conséquences qui pourraient en découler.
Me Trépanier: Je suis tout à fait favorable à une telle approche. Il y a d'ailleurs eu ici, au Québec, dans une certaine mesure, des tentatives de cet ordre qui ont été faites dans le cadre du programme de mesures de rechange, dans des cas où aucun processus judiciaire n'avait pas été entamé, où le jeune n'avait pas amené devant le tribunal. Toutefois, cette pratique n'a pas été suffisamment fréquente, les considérations financières n'y étant peut-être pas étrangères. C'est malheureux.
Je pense que cela s'inscrit tout à fait dans la lignée de ce que je recommandais il y a un instant, à savoir qu'on devrait mettre beaucoup plus l'accent sur les mesures de réparation à l'endroit des victimes.
Je suis d'accord avec vous qu'il faut bien distinguer entre les cas qui s'y prêtent bien et ceux qui ne s'y prêtent pas. Il ne faut pas faire de harcèlement à l'endroit des victimes qui ne veulent pas se prêter à une rencontre avec le jeune, mais il ne faut pas nécessairement prendre un non pour un non.
Pour ce type d'intervention, il est important d'avoir des personnes qui sont bien formées à la médiation et qui sont capables d'assurer à une victime qui dit préférer ne pas rencontrer le jeune qu'on va respecter sa décision si elle la maintient, mais qui lui diront que dans bon nombre de cas, des victimes ont été finalement heureuses, en fin de ligne, du règlement qui est intervenu. Oui, ce peut être excellent.
Il peut y avoir une mesure très éducative pour les jeunes. Il y a des jeunes contrevenants qui vous diront qu'ils aimeraient bien mieux faire quelques jours de détention punitive que d'avoir à rencontrer la victime. On peut avoir intérêt à explorer davantage ce chemin-là. Les études de criminologie semblent indiquer qu'il y a là une piste intéressante qui est insuffisamment explorée.
Le Rapport Jasmin a d'ailleurs clairement recommandé, tant dans le cadre des mesures de rechange, ce qui est l'approche que vous semblez privilégier, que dans le cadre de mesures ordonnées par le tribunal, qu'on s'oriente beaucoup plus vers ces formules de réparation. Particulièrement dans le cadre des mesures de rechange, il faut viser une réparation, lorsqu'elle peut se faire, qui s'accompagne d'une forme de réconciliation, dans la mesure du possible, entre la victime et l'auteur de l'agression.
M. St-Laurent: Je crois comprendre que le jeune contrevenant sous-évalue les répercussions de son acte et les possibilités de se faire prendre. Est-ce que les écoles, vers la fin du primaire et au début du secondaire, devraient jouer un rôle plus actif au niveau de l'information qu'elles donnent aux jeunes afin de leur permettre de mieux évaluer les sentences possibles et les conséquences de leurs actes?
Me Trépanier: Le rôle des écoles est délicat. Il y a bien des écoles qui nous disent qu'on attend tout d'elles et qu'elles ne peuvent pas jouer tous les rôles dans la société.
Cela dit, je pense que oui, il y a des choses qui pourraient se faire dans le cadre des écoles. À un certain moment, je sais que dans certains milieux, des policiers éducateurs allaient dans des écoles, rencontraient les élèves classe par classe et leur donnaient de l'information. C'est une formule qui présente sans aucun doute beaucoup d'intérêt.
Je pense cependant que le rôle de l'école devrait aller nettement plus loin, mais à un tout autre niveau. Par exemple, il y a des codes de conduite qui doivent exister, me semble-t-il, à l'intérieur d'une école, où on passe des messages clairs aux élèves. Par exemple, on dit qu'aucune violence ne sera tolérée à l'intérieur de l'école.
Je me souviens d'un jeune qui me racontait comment les choses se passaient dans son cours d'éducation physique où il devait jouer au football ou au hockey. Le professeur non seulement tolérait des mises en échec très rudes où des jeunes se faisaient mal, mais quand un jeune venait se plaindre à lui en disant qu'il ne devrait pas tolérer ça, le professeur lui répondait de faire un homme de lui. Je trouve que c'est un message indécent de la part d'un professeur qui devrait, au contraire, ne pas tolérer de tels comportements.
Il y a plusieurs choses auxquelles les écoles devraient être invitées à faire particulièrement attention. Je ne veux pas dire que les écoles ne le font jamais, mais elles le font à des degrés divers. Je pense que les écoles doivent jouer un rôle social très important.
M. St-Laurent: Vous avez fait allusion tout à l'heure à la perception du temps d'un jeune contrevenant ou de toute autre personne qui n'est pas adulte. On a parlé du temps écoulé entre l'infraction et le prononcé de la sentence. C'est ce dont nous devons parler puisque nous en sommes rendus à des délais de cinq à neuf mois.
Hier, nous avons rencontré des gens très intéressants. Entre autres, dans un établissement, les députés de notre comité et nos accompagnateurs ont pris le temps de discuter avec cinq personnes ayant commis des crimes graves, soit trois meurtres et deux viols. C'est donc assez lourd. Ces gens ont émis une préoccupation presque similaire à la vôtre. Ils ont mentionné que pour un jeune délinquant, une sentence de deux ans pouvait équivaloir à huit ans pour un adulte. Quelle est votre opinion à ce sujet, même si vous avez peut-être déjà commencé à répondre à cette question dans la première partie de votre énoncé?
Me Trépanier: Je ne connais pas d'études évaluant les proportions de façon mathématique, mais ça me semble tout à fait plausible. La notion du temps chez les jeunes est effectivement tout à fait différente. Évidemment, ce n'est pas la question que vous posez.
Si toutefois vous cherchez implicitement à savoir quels devraient être les plafonds, la durée maximale des sentences imposées par la Loi sur les jeunes contrevenants, vous devez vous poser en même temps la question des objectifs et des mesures, n'est-ce pas? L'option qui a été retenue ici, au Québec, a été de mettre l'accent d'abord et avant tout sur la réadaptation des jeunes. À cet égard, on peut aussi se demander si ce qu'il est impossible de faire en deux ou trois ans au maximum pourrait se faire en plus de temps. La réponse est non.
Nous devons aussi nous demander ce qui arrivera si nous allongeons trop la durée des sentences. Au Canada, dans un cas sur deux, les jeunes qui comparaissent devant les tribunaux pour mineurs sont des jeunes de 16 ou 17 ans. Certains ont même déjà atteint 18 ans, ayant commis l'infraction juste avant d'avoir atteint cet âge. Les centres de réadaptation qui reçoivent des jeunes de 17 ans, par exemple, ont des programmes qui sont conçus pour s'occuper d'eux alors qu'ils ont 17 et 18 ans, parfois 19 ans et exceptionnellement 20 ans.
Si on prolonge la durée des séjours, les mêmes centres de réadaptation vont dire qu'ils ne pourront garder le jeune qui leur arrive à 17 ou 18 ans jusqu'à 21 ou 22 ans, parce que leurs programmes ne sont pas conçus en fonction de cela. La répercussion la plus plausible sera que les centres se diront que le jeune devra à un moment ou l'autre être transféré dans des installations de détention pour adultes. Il ne faut pas oublier qu'il y a des listes d'attente à l'heure actuelle dans les centres de réadaptation au Québec. Les centres en question vont se dire - la question a déjà été soulevée dans le Rapport Jasmin - que lorsque le jeune sera transféré dans un établissement de détention pour adultes, cette détention va ruiner l'impact des efforts qu'ils ont faits au centre de réadaptation. Nous devons en conclure que, puisqu'ils ont des listes d'attente, ils donneront la priorité à des jeunes qui ne seront pas éventuellement transférés, des jeunes dont la durée de la détention sera moins longue. Dès lors, les jeunes qui auront atteint l'âge de 18 ans au cours de leur longue période de détention seront immédiatement transférés en prison.
Cela serait une répercussion non désirée, vraiment pas souhaitable, mais néanmoins prévisible d'un prolongement considérable de la durée de la détention. Au lieu de tenter de faire un travail humain, positif et éducatif à l'endroit de ces jeunes, on les enverrait dans des milieux carcéraux qui ne sont rien d'autre que des lieux d'apprentissage de la criminalité, des lieux d'introduction dans les réseaux criminels.
M. St-Laurent: Effectivement.
[Traduction]
La présidente: Merci, monsieur St-Laurent.
Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes.
M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente, et merci, monsieur, de votre exposé de ce matin.
Vous avez demandé quel est le problème et pourquoi nous sommes ici. Vous avez ensuite donné des explications assez détaillées pour tenter de démontrer que le taux de criminalité juvénile n'est pas ce que nous croyons. Certains de vos propos m'ont laissé un peu perplexe. Je voudrais seulement faire une observation à ce sujet.
Nous ne disposons que de dix minutes, alors je vais vous poser quelques questions. À propos justement du taux de criminalité, si nous suivons votre conseil et faisons un sondage pour voir combien de personnes ont été victimes d'un acte criminel afin de déterminer le taux de criminalité juvénile, il est évident que nous ne tiendrons pas compte des infractions relatives à la consommation de drogue ainsi qu'au trafic de la drogue. Nous avons rendu visite hier à un institut qui s'occupe exclusivement des jeunes ayant eu des démêlés avec la justice à cause de la drogue ou de l'alcool. Ces aspects ne ressortiraient pas. Des experts qui nous ont envoyé des mémoires indiquent aussi, si je ne m'abuse, qu'ils ont interrogé ces jeunes et ont constaté que les jeunes délinquants commettent20 infractions avant de finir par être incarcérés pour l'une d'entre elles.
Alors, de mon point de vue tout au moins, nous recevons de l'information contradictoire à ce sujet, et je ne pense pas que votre exposé de ce matin m'a beaucoup aidé à y voir clair. Je suis tout aussi mêlé qu'avant. Vous voudrez peut-être me dire ce que vous en pensez.
La question que je veux vous poser est la suivante. Je la pose à cause de votre formation juridique et du respect que nous avons pour votre savoir de légiste. Qu'y a-t-il de mal à ce que le gouvernement fédéral réaffirme son autorité bien établie auprès des enfants de moins de 12 ans?
[Français]
Me Trépanier: Je vais aborder les premières questions que vous avez soulevées pour ensuite aborder la question du seuil d'âge inférieur.
Tout d'abord, vous soulignez, et c'est tout à fait exact, que les sondages de victimisation ne touchent pas aux questions de consommation de drogue. Vous avez parfaitement raison, pour la bonne raison qu'il s'agit de ce qu'on appelle souvent des crimes sans victime.
Cependant, certaines infractions sont commises en lien avec la drogue, comme dans le cas de la personne qui va commettre un cambriolage pour financer sa consommation de drogue. Cette délinquance associée à la drogue, comme le cambriolage, sera prise en compte dans le sondage de victimisation. Mais il est tout à fait exact que les questions de drogue n'apparaissent pas dans les sondages de victimisation.
Il faut aussi voir que dans les statistiques officielles, les infractions liées à la drogue ne comptent que pour une portion tout à fait minime. Quand on regarde les statistiques des tribunaux pour mineurs au Canada, on voit qu'il y a une proportion très minime d'infractions à Loi sur les stupéfiants ou à la Loi sur les aliments et drogues.
D'autre part, pour ce qui est des jeunes qui ont été interviewés et disent qu'ils ont peut-être été condamnés pour quelques infractions, mais que cela n'est rien à côté de tout ce qu'ils ont fait, nous pouvons voir cela, non pas dans des sondages de victimisation, mais dans des sondages de délinquance autorévélée, où on interviewe non pas des victimes, mais des jeunes. On prend un échantillon de jeunes dans différentes écoles et on leur demande quelles infractions ils ont commises au cours des 12 derniers mois.
Un de mes collègues à l'Université de Montréal, le professeur Marc LeBlanc, a ainsi fait ici, dans la région de Montréal, au cours des années, des sondages de délinquance autorévélée auprès de jeunes dans les écoles. Il en est venu à la conclusion que depuis les années 1970, depuis qu'il fait de tels sondages, il y a peut-être eu des changements mineurs quant à la nature de certaines infractions, mais quant au volume global d'infractions, il n'y a pas eu d'accroissement qui mérite d'être noté.
Donc, là encore, les sondages de délinquance autorévélée menés auprès des jeunes confirment ce que, par ailleurs, les sondages de victimisation nous indiquent comme conclusion.
Maintenant, j'en viens à la question principale que vous avez posée: Qu'est-ce qui empêcherait le Parlement fédéral de réaffirmer son autorité auprès des jeunes de moins de 12 ans?
À cela je dirais...
[Traduction]
M. Ramsay: Je suis désolé, mais ce n'était malheureusement pas ma question. Ma question est la suivante: À votre avis, quel mal y a-t-il à ce que le gouvernement réaffirme son autorité en matière de droit pénal auprès enfants de moins de 12 ans?
[Français]
Me Trépanier: Si vous me posez la question: Qu'est-ce qui est mal? What is wrong?», je dirai qu'il y a peut-être d'autres moyens qui peuvent être préférables. Il y a certaines situations de comportements graves dans lesquelles des jeunes de 10 ou 11 ans sont impliqués où il est très important de pouvoir intervenir. Ça, ça m'apparaît essentiel.
Par exemple, il y a quelques mois, des jeunes avaient été arrêtés pour agression sexuelle à Toronto, je crois, et l'affaire avait été très médiatisée parce qu'un jeune aurait dit, semble-t-il, à un policier: «Je n'ai pas encore 12 ans, vous ne pouvez rien faire contre moi.»
Si ce jeune-là avait été arrêté à Montréal, le policier aurait pu répliquer au jeune: «Tu te trompes tout à fait, parce que la Loi de la protection de la jeunesse nous permet d'intervenir. Je vais faire un signalement au directeur de la Protection de le jeunesse.» La Loi provinciale sur la protection de la jeunesse permet d'intervenir dans un cas où un jeune manifeste des troubles de comportement sérieux, et toutes les mesures nécessaires peuvent être prises.
Pour l'essentiel, dans le cas des plus jeunes, des mesures de protection de la jeunesse sérieuses peuvent être souvent préférables. On a peut-être tendance à s'imaginer que toute réaction à une infraction doit nécessairement être une réaction de nature pénale. Or, je ne pense pas que toute réaction doive nécessairement être à caractère pénal pour être appropriée. Ce qu'il faut, cependant, c'est pouvoir intervenir.
[Traduction]
M. Ramsay: J'ajouterais simplement qu'un système judiciaire est aussi un système d'éducation. Tous les jeunes contrevenants que nous avons vus dans les établissements où nous nous sommes rendus hier ont eu 10 ou 11 ans à un moment donné. Ils ne sont pas devenus des jeunes contrevenants du jour au lendemain. Lorsque le gouvernement fédéral a changé ou laissé tomber - et j'emploie délibérément le terme «laissé tomber» - les enfants de moins de 12 ans en 1984, il a aussi laissé tomber la société. C'est le sentiment, la perception qu'on ne cesse de nous exprimer.
Au Québec, il y a la Loi sur la protection de la jeunesse, mais elle n'a pas été établie ni autorisée en vertu du droit criminel. Alors, dans la mesure où le gouvernement fédéral a abandonné l'ancienne responsabilité qu'il avait en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants et qui visait également les enfants de moins de 12 ans, ce qu'il a fait c'est de laisser les parents sans ce système d'éducation qui fait partie du système judiciaire, celui par lequel nous disons à nos enfants, à partir du moment où ils deviennent raisonnables - vers 7 ou 8 ans - voici la loi et comment elle les touche. Nous avons privé les parents de ce droit.
La présidente: Votre temps est presque écoulé, monsieur Ramsay. De fait, il l'est déjà.
M. Ramsay: Merci. Je terminerai en disant qu'une seule province a fait ce qu'a fait le Québec. On nous dit que les provinces attendent que le gouvernement fédéral fixe une norme nationale qui remplira le vide rempli par la Loi sur la protection de la jeunesse au Québec, en partie tout au moins.
Vous avez peut-être des remarques à ce sujet.
[Français]
Me Trépanier: Je pense que nous serons tous d'accord pour dire que des interventions sont nécessaires dans des cas comme celui-là.
La question est de savoir s'il est nécessaire que ces interventions soient à caractère pénal ou si des interventions plus centrées sur la protection de l'enfance, comme on en fait au Québec, peuvent être adéquates.
Ici, au Québec, jusqu'à maintenant, il y a une satisfaction manifeste à l'endroit de la manière dont nous avons procédé. Cela pourrait se faire également dans d'autres provinces. Lorsque nous intervenons dans la protection de la jeunesse, nous savons dire au jeune que, s'il a des problèmes de comportement, des troubles de comportement, une des manifestations de ces problèmes est le fait qu'il viole la loi. Le fait que la loi fédérale s'applique à compter de l'âge de 12 ans ne dispense pas les jeunes de moins de 12 ans de bien respecter le Code criminel. Nous passons clairement ce message aux jeunes.
[Traduction]
M. Ramsay: Et cela vaut pour le Québec seulement.
[Français]
Me Trépanier: Oui, c'est ça.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Ramsay, vous pourriez peut-être adresser certaines de vos observations au procureur général de l'Alberta.
Monsieur Allmand.
M. Ramsay: Et de l'Ontario.
La présidente: De l'Alberta. Je vous remettrai les documents. Vous pouvez les lire. Vous serez plus renseigné ensuite.
Allez-y, monsieur Allmand.
M. Allmand (Notre-Dame-de-Grâce): Merci, professeur Trépanier. Vous avez fait valoir avec beaucoup de conviction qu'il n'est pas nécessaire de modifier en profondeur la Loi sur les jeunes contrevenants et vous avez aussi soutenu avec conviction que, peu importe la gravité de la criminalité juvénile, elle n'est pas imputable à des lacunes de la Loi sur les jeunes contrevenants, mais à d'autres facteurs.
Mais notre mandat ne porte pas uniquement sur la loi. Notre mandat porte sur l'ensemble du système judiciaire pour les jeunes et sur l'application de la loi. Les recommandations musclées du comité s'expliquent peut-être.
Ainsi, ici même à Montréal, on a mis sur pied il y a quelques années des corps de policiers jeunesse, puis, soudainement, on leur a coupé les vivres. D'ailleurs, je ne sais même pas s'ils existent encore. Je me souviens qu'il y en avait un très efficace dans mon secteur de Notre-Dame-de-Grâce. Il y avait quatre ou cinq policiers spécialement formés pour s'occuper des jeunes et pour faire beaucoup de travail préventif avec les jeunes dans la rue. Puis, il y a eu des coupures.
Nous pourrions affecter plus de ressources dans les écoles, afin de faire face aux crises, aux problèmes, aux adolescents problèmes, pas seulement au Québec, mais aussi ailleurs au Canada.
Nous pourrions utiliser plus efficacement les interventions en cas de crise au sein de la famille, ce qui arrive souvent avec l'éclatement continu de la famille traditionnelle. Les familles monoparentales, les mères qui travaillent, ont beaucoup de fil à retordre avec leurs adolescents. Les aider davantage ne ferait pas de mal. Il pourrait y avoir des répercussions sur la criminalité et sur les jeunes qui sont confus et qui commettent des infractions.
Autrement dit, même si vous vous opposez à des modifications en profondeur de la loi, vous ne croyez pas qu'il existe de solides motifs nous permettant de faire des recommandations sur d'autres aspects du système judiciaire, sur l'application de la justice, sur des mesures préventives, sur certains aspects que j'ai évoqués, des corps policiers spécialisés, des agents de probation plus nombreux et mieux formés, une intervention en cas de crise au sein de la famille, des conseillers spéciaux dans les écoles pour s'occuper des jeunes dont ont parlé M. St-Laurent et M. Ramsay, afin de veiller à abaisser encore davantage les taux de criminalité?
Vous faites remarquer que les taux diminuent depuis quatre années consécutives. C'est vrai, mais il y a encore trop de criminalité juvénile.
Qu'en pensez-vous? Je le répète, notre mandat ne se limite pas à modifier les articles de la loi; il porte sur l'ensemble du système judiciaire pour les jeunes et sur les causes de la criminalité juvénile.
[Français]
Me Trépanier: Merci, monsieur Allmand, pour cette question.
Je pense qu'il y a place pour un grand nombre de recommandations, mais à cause du temps limité qui m'est alloué, nous n'aurons sans doute pas la possibilité de les examiner toutes. Je pourrais tout simplement commenter deux ou trois d'entre elles, mais vous pouvez prendre connaissance du Rapport Jasmin, dont les recommandations très nombreuses et très diverses pourraient peut-être vous inspirer.
Parmi ces recommandations, on trouve des questions de formation du personnel qui sont absolument essentielles. En effet, il faut du personnel mieux formé à tous les niveaux. Vous parliez par exemple des corps policiers. Je voudrais citer l'exemple d'une arrestation qui s'est faite dans de mauvaises conditions récemment parce que les policiers s'étaient énervés et n'avaient pas su garder leur sang-froid. Il faut donc une formation plus sérieuse du personnel et pas seulement chez les policiers.
Je pense également que la création du corps de policiers jeunesse est une excellente idée. Certains travaux de recherche nous ont démontré que les décisions prises par ces policiers, lorsqu'ils se trouvent devant des jeunes en difficulté, sont appropriées. En effet, au lieu de punir, ils ont recours à des mesures moins formelles comme un avertissement aux parents, ce qui est souvent une bonne chose.
Pour qu'un avertissement puisse être pris au sérieux par un jeune, il n'est pas toujours nécessaire que cet avertissement soit donné par un juge. Un avertissement donné par un policier peut avoir, s'il est bien fait, une valeur éducative aussi bonne que s'il a été donné par un juge.
En matière de prévention, je pense qu'on touche une question extrêmement importante. Trop souvent, les programmes de prévention n'ont pas les résultats escomptés. Certains programmes ont cependant souvent été cités comme des programmes à succès. Je pense par exemple au Perry Preschool Project, un programme américain dont l'objectif premier n'était pas la prévention de la délinquance.
Ce type de programme s'inscrivait dans le cadre des programmes de lutte contre la pauvreté qui ont été créés aux États-Unis dans les années 1960 et 1970 et dont le but était d'assurer de meilleures chances dans la vie à des jeunes qui venaient de milieux défavorisés. Avec ce programme, on amenait les enfants à l'école avant l'âge de la première année, et c'est pourquoi on parle de Perry Preschool Project. Ils arrivaient donc à l'école à l'âge de trois ou quatre ans, étaient encadrés et recevaient une formation de maternelle qui leur permettait d'être mieux armés pour aborder l'école et, par la suite, d'éviter les échecs scolaires ou le décrochage.
Il y avait donc un encadrement des enfants et également un encadrement des parents auxquels on apprenait à s'occuper adéquatement de leurs enfants.
Lors de la conclusion de ce programme, des années plus tard - ces enfants ont maintenant30 ans et plus - , des évaluations ont été faites et ont démontré son succès. En effet, même si l'objectif initial était d'abord et avant tout la lutte contre la pauvreté par une meilleure formation scolaire, il faut savoir que les jeunes qui ont bénéficié de ce programme sont moins souvent chômeurs et ont une activité économique qui rapporte à l'État beaucoup plus que les sommes investies dans ce programme.
Il faut aussi noter que ces jeunes, dans l'ensemble, ont été beaucoup moins engagés dans la délinquance, aussi bien dans leur jeune âge qu'à l'âge adulte, et qu'au total, ils ont coûté moins cher à l'État que bien d'autres jeunes et ont rapporté à la société beaucoup plus que d'autres, de sorte que le Perry Preschool Project est un exemple classique de ces programmes à succès dont on dit souvent qu'il faut s'inspirer.
Il est certain qu'en ces périodes de compressions budgétaires, il n'est pas toujours facile de trouver les fonds nécessaires pour investir. Mais il faut penser que c'est un investissement pour le futur, et un investissement pour le futur exige que l'on mette de l'argent aujourd'hui. Nous savons tous, bien sûr, que ce sont des programmes qui coûtent relativement cher même si, à long terme, ils sont rentables.
M. Allmand: Merci.
Me Trépanier: Je vous en prie.
[Traduction]
La présidente: Je tiens à clarifier quelque chose que nous avons peut-être mal compris depuis quelques jours. Je crois comprendre - et corrigez-moi si j'ai tort - que la Loi sur la protection de la jeunesse au Québec fixe l'âge de la majorité pénale à 18 ans, plutôt qu'à 16 ans, comme c'est le cas en Ontario et, je crois, dans la plupart des autres provinces. Est-ce exact?
M. Trépanier: C'est exact.
La présidente: Je crois comprendre également qu'en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, la personne chargée de l'administration de la loi dans la province de Québec est aussi chargée de l'administration de la Loi sur les jeunes contrevenants dans la province. Autrement dit, il y a un responsable, pas deux.
[Français]
Me Trépanier: Je répondrai en disant que le directeur de la Protection de la jeunesse, responsable de l'application des interventions sociales sous la loi provinciale, est également désigné comme directeur provincial au sens de la Loi sur les jeunes contrevenants. Il porte donc, si l'on peut dire, les deux chapeaux.
Cela dit, en ce qui concerne l'organisation des services, c'est différent selon les endroits. Dans les endroits où la densité de la population ne permet pas la spécialisation des tâches, les intervenants de première ligne cumulent les deux fonctions. Dans des endroits à forte densité de population comme Montréal, par exemple, certains intervenants sont spécialisés dans la protection de l'enfance tandis que d'autres sont spécialisés dans le domaine des jeunes contrevenants.
Je voudrais mentionner cependant que, souvent, on a eu tendance à utiliser les intervenants responsables des jeunes contrevenants pour d'autres tâches comme la probation, les évaluations ou la protection de jeunes ayant des troubles de comportement sérieux.
[Traduction]
La présidente: Les deux systèmes sont liés d'une certaine façon.
M. Trépanier: Exactement.
[Français]
Et je crois qu'il est très important que des passerelles existent entre les deux régimes.
[Traduction]
La présidente: Je connais mieux la Loi sur les services à l'enfance et à la famille de l'Ontario, parce que je l'ai fait appliquer. Elle donne à la Société d'aide à l'enfance ou à d'autres organismes de protection de l'enfance le pouvoir d'intervenir dans la vie d'un enfant ou de déterminer qu'un enfant a besoin de protection s'il a un grave problème de comportement, s'il a accès à des établissements ou des services et si les parents sont disposés à corriger la situation.
Je n'avais pas compris, avant de prendre connaissance d'un document, que la tâche est essentiellement identique au Québec. Si je comprends bien, on peut considérer qu'un enfant a besoin de protection s'il a un grave problème de comportement et si les parents ne font rien pour le régler.
M. Trépanier: Exactement.
La présidente: Mais la deuxième condition s'applique aussi.
M. Trépanier: Si les parents ne veulent pas ou ne peuvent pas le faire, plus ou moins. Il en est question à l'article 38 de la Loi sur la protection de la jeunesse.
La présidente: À l'intention de mon ami, M. Ramsay, je ferai remarquer qu'en Alberta, la province n'est pas autorisée à intervenir s'il y a uniquement d'un grave problème de comportement. La loi stipule que l'enfant a besoin de protection non pas à cause de son comportement mais parce qu'il manque de soins ou qu'il y a des abus. Cela clarifie peut-être notre petite dispute.
Monsieur Trépanier, je vous remercie. Nous avions très hâte de vous entendre ici aujourd'hui. Vous avez été très utile.
[Français]
Me Trépanier: C'est moi qui vous remercie, madame la présidente et messieurs les membres du comité, d'avoir accepté de me recevoir à cette heure matinale. Je vous remercie.
[Traduction]
La présidente: Nous entendrons maintenant Claudine Laurin, membre du conseil administratif du Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec. Mme Laurin est accompagnée de Sylvie Gagnon, secrétaire administrative, et de Jacques Pector, expert-conseil.
Bienvenue. Vous voudrez sans doute faire une déclaration. Nous vous interrogerons ensuite.
[Français]
Mme Sylvie Gagnon (secrétaire administrative, Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec): Bonjour. Je m'appelle Sylvie Gagnon et je travaille au ROCAJQ. Le ROCAJQ est le Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec. Dans notre regroupement, il y a 26 organismes membres dans10 régions du Québec. Il a été mis sur pied en 1991. Cette année, c'était notre cinquième anniversaire. La fin de semaine dernière, nous avons réuni 140 jeunes intervenants et délégués des organismes au Regroupement pour toute une série d'activités thématiques. Notre regroupement rejoint des adolescents, des jeunes adultes et des jeunes de cinq à douze ans.
Les pratiques sont variées. Il y a, par exemple, le soutien aux initiatives des jeunes exclus du marché du travail, des activités issues des projets des jeunes, comme un local de musique, un journal de jeunes et un projet de bande dessinée. Il y a aussi un volet important, qui est le travail de rue pour rejoindre ceux et celles qui ne font pas affaire avec les ressources institutionnelles. Au quotidien, les intervenants et les intervenantes ont affaire à des jeunes qui sont pris en charge par la Loi sur les jeunes contrevenants ou encore des jeunes qui ont fait des séjours en centre d'accueil. Notre activité est donc très diversifiée et colle aux réalités des jeunes.
Au Regroupement, par ailleurs, on s'occupe des dossiers que les organismes ont décidé de mettre en commun. Cette année, un des dossiers prioritaires a été celui de la Loi sur les jeunes contrevenants. Si vous voulez plus d'information sur notre travail, vous avez nos coordonnées sur notre mémoire.
Les personnes qui vont maintenant intervenir sont Jacques Pector, qui participe au conseil d'administration d'un organisme membre de Montréal qui s'appelle l'Entre-Gens, et Claudine Laurin, qui est déléguée d'un autre organisme qui s'appelle le Bureau de Consultation Jeunesse. Ils vont vous faire part tour à tour du coeur de notre argumentation. Ensuite, je vous donnerai les recommandations de notre regroupement sur cette question.
M. Jacques Pector (expert-conseil, Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec): Bonjour. Je vais essayer de vous faire part de l'essentiel de notre mémoire. Nous ne sommes pas des juristes, mais plutôt des intervenants sociaux de première ligne. Nous travaillons donc essentiellement avec des jeunes délinquants ou des jeunes en situation de protection. Quand on parle de jeunes, on parle essentiellement d'adolescents.
Ce qui nous frappe dans les différentes réformes des lois, c'est le non-statut juridique de l'adolescence. On parle des enfants de la rue sans distinguer la réalité sociale des jeunes adolescents de la réalité sociale de l'enfance. Notre mémoire commence par un constat qui est commun dans l'ensemble des sociétés occidentales, à savoir que la criminalité délinquante juvénile n'est pas en augmentation dans nos sociétés. Il y a évidemment parfois des passages à des actes plus violents, des parricides ou des crimes contre la personne qui font sensation dans les médias, mais globalement, toutes les recherches, en Belgique, en France ou au Québec, démontrent que la délinquance juvénile n'est pas en augmentation.
D'autre part, la réalité socio-psychologique de l'adolescence est la confrontation à la limite, à la transgression et, comme le soulignait Marc LeBlanc de l'École de criminologie de Montréal dans un de ses rapports de l'année dernière au Conseil permanent de la jeunesse, la petite délinquance juvénile est une délinquance que nous, comme praticiens, côtoyons régulièrement.
Ce qui nous apparaît important, c'est de travailler aux processus de socialisation particulièrement spécifiques aux adolescents. On pourrait prendre tout ce qui touche le phénomène des gangs. On parle souvent du phénomène des gangs, mais on dit peu souvent que 2 p. 100 seulement de ces gangs sont criminalisés. On oublie de dire que le processus de socialisation chez l'adolescent se fait par agrégation sociale et que toute cette agrégation n'est pas forcément criminelle, loin de là.
On pourrait toucher, à partir de là, à toute la question du harcèlement policier qui a été soulevée au cours d'une enquête sur les enfants de la rue par le solliciteur général du Canada, autant à Montréal et Toronto que dans les autres villes, mais aussi dans les campagnes. Toutes les manifestations d'agrégation sociale des jeunes sont immédiatement victimes de harcèlement policier. L'intervenant précédent a d'ailleurs beaucoup parlé de la formation.
Il est important de constater, au niveau de la réalité des adolescents dans notre société, qu'il y a, d'une part, une désinstitutionnalisation massive d'un nombre important de jeunes qui se traduit dans des statistiques sur la fugue, le décrochage scolaire et la petite délinquance. Ces jeunes sont dans un processus extrêmement significatif pour nous, qui est la non-place de ces jeunes dans la société, le manque d'espace de socialisation où ils peuvent expérimenter un certain nombre de choses qui ne sont pas forcément reprises dans les différentes institutions de traitement du crime.
Nous parlons dans notre mémoire de ce passage de l'adolescence qui est le passage du monde de l'enfance vers le monde de l'adulte. C'est une tension dialectique qui se répercute entre l'aide à la jeunesse et la protection judiciaire. Ce rapport, cet équilibre à établir entre l'aide, l'éducation et la protection, et la sanction par rapport au délit n'est pas facile à établir.
Ce sont des débats qui touchent l'ensemble des sociétés occidentales. Est-ce qu'il faut renforcer la prévention et l'aide sociale auprès de ces jeunes ou s'il faut renforcer les mesures répressives? Il nous paraît important de réfléchir sur toute cette question en fonction, notamment, des conventions de l'ONU qui demandent à chaque société de s'impliquer au niveau de l'éducation et de la socialisation dans une perspective d'émancipation et d'autonomie du jeune.
Donc, l'esprit de notre mémoire est d'insister sur le vide juridique, le non-statut juridique de l'adolescence en contradiction avec toutes les sciences de la psychologie, de l'éducation, de la sociopsychanalyse ou la psychosocialité. C'est la négation même d'un certain nombre de développements de connaissances qui ont été largement élaborés par de nombreux auteurs psychanalistes et sociopsychanalistes et qu'on ne retrouve pas.
Il y aurait donc là, à notre point de vue, un vide juridique qui a des conséquences certaines. J'ai entendu l'intervenant précédent qui parlait de programmes de prévention de la délinquance chez les enfants souligner la dynamique très particulière de l'adolescent dans notre société, où la ritualisation collective ne fonctionne plus. Par conséquent, les adolescents doivent, à leurs risques et périls, parfois dans des attitudes très dépressives, essayer de grandir pour devenir des adultes responsables.
On n'éduque pas par la contrainte. L'éducation, la transformation du comportement se font de manière volontaire. Parce que nous constatons que toute la gestion par programmes développée depuis quelques années au niveau de la protection de la jeunesse pose des problèmes, nous revendiquons plus une approche holistique globale auprès des jeunes qu'une action par programme dont les conséquences et les effets sont assez limités.
Mme Claudine Laurin (membre du conseil administratif, Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec): Je veux vous entretenir des mesures répressives par opposition à un renforcement des mesures préventives.
On devrait peut-être aussi prendre en considération la crédibilité des institutions à l'égard même de la jeunesse, la représentation de la valeur de l'institution. Qu'importe le renforcement de la loi, le fait qu'il y ait un vide juridique contribue à ne pas donner d'espace de droit au jeune lorsqu'il est en centre d'accueil.
En 1989, on avait fait un dossier noir sur les droits des jeunes en centre d'accueil - dont j'ai apporté des copies - et en 1996, on peut constater que l'état des droits des jeunes en centre d'accueil est à peu près le même. C'est la méthode d'approche comportementaliste, lorsque l'institution même ne respecte pas un code de vie, qui fait que tout le système de sanctions à l'intérieur n'est pas compris. Si les règles du jeu ne sont pas établies au préalable, il est difficile pour un jeune, après son passage dans ces institutions-là, de comprendre les règles d'une société quand à l'intérieur même de l'institution où il vient de vivre, on n'a respecté aucune règle.
Les mesures sont souvent très aléatoires selon le contact qu'un jeune peut avoir. Dans un premier temps, il faudrait peut-être se pencher sur la crédibilité des tribunaux. En tant que femme, je peux vous dire que j'ai de sérieux doutes sur la crédibilité du système judiciaire. Le jeune a la même vision médiatique que celle que je peux avoir en tant qu'adulte. Il y aurait peut-être lieu d'essayer de renforcer certains droits, certaines règles du jeu dans nos mesures avant de les imposer de l'autre côté.
Il y a aussi la question de la visibilité de la police au niveau du harcèlement. Il est certain que ça met en cause la crédibilité d'une intervention policière. Il y a des policiers jeunesse à Montréal. Je pense que c'est une bonne initiative, mais encore faudrait-il que les rôles soient bien définis.
Il faudrait que l'intervention des policiers jeunesse soit définie, parce que le policier jeunesse ne sait même pas lui-même s'il doit agir comme un policier normal qui fait affaire avec l'ensemble de la communauté, avec toutes les obligations que cela comporte, ou si, en tant que policier jeunesse, il peut aller jusqu'à la médiation. Cela dépend beaucoup de l'individu qui, selon ses connaissances et sa formation, ira ou non jusqu'à la médiation.
Les policiers jeunesse, cependant, ne sont pas tous des policiers qui prennent des moyens moins formels pour agir parce que ce n'est pas défini dans le cadre de leur intervention. Si on ne définit pas mieux leur rôle, qui doit être différent de celui du policier traditionnel, on risque bien de faire échouer cette belle initiative.
À ce niveau-là, nous aurions intérêt à refaire un système de droit, du moins pour les jeunes, et à voir à ce que les règles du jeu soient respectées dans les institutions qui hébergent les jeunes contrevenants. On disait dans le dossier noir qu'il n'y avait aucun mécanisme de surveillance pour les institutions. Il faudrait qu'il y ait des mécanismes de surveillance qui permettraient de rappeler à l'ordre certains milieux.
Nous arrivons maintenant à nos recommandations. Nous nous opposons à un durcissement de la Loi sur les jeunes contrevenants parce que nous voulons mettre l'accent sur la crise pubertaire de l'adolescence qui, on le voit bien, relève de la responsabilité collective.
Nos recommandations sont les suivantes:
Premièrement, face à la tendance profonde d'une augmentation de la répression et du contrôle, face à l'état catastrophique de la situation actuelle des jeunes dans son ensemble, nous conseillons vivement de ne pas sous-estimer la portée générale de l'augmentation de toute mesure répressive qui renforcerait l'image sociale négative du jeune qui sert alors de bouc émissaire. Cela se fait à bon compte politique, étant donné son statut politique de non-citoyen. Par exemple, il n'a pas le droit de vote. En recherchant une soi-disant exemplarité des peines, d'ailleurs inefficace, on risque de se retrouver plutôt avec des effets négatifs non désirés.
Deuxièmement, il faudrait améliorer l'accessibilité des services juridiques et sociaux. Par exemple, il faudrait réduire les délais d'intervention et soutenir les projets d'intégration dans la collectivité.
Troisièmement, il faudrait bien distinguer la place du juridique et la place du social. Le partenariat entre les deux est nécessaire et souhaitable dans un processus dialectique entre deux cultures qui s'affrontent et se confrontent, mais qui n'ont pas à se fusionner consensuellement.
Quatrièmement, il faudrait soutenir le développement communautaire dans l'information juridique sur les droits des jeunes et renforcer le rôle des avocats de la défense et des médiations juridiques familiales tout en départageant clairement les spécificités de chacun; le juge, véritable clé de voûte du système, s'affirmerait comme le garant des droits des jeunes en ayant toujours en tête sa fonction pédagogique.
Cinquièmement, il faut soutenir les intervenants jeunesse qui travaillent dans une perspective d'éducation au sens des procédures judiciaires, en amont et en aval des interventions sanctionnantes. Les organismes communautaires jeunesse doivent faire le lien jeune-avocat-tribunal en construisant des relations de confiance avec les jeunes sans toutefois les infantiliser. Il est important de comprendre le sens de la sanction: beaucoup de jeunes en centre d'accueil ne comprennent pas pourquoi ils y sont.
Sixièmement, il faut veiller à ce que les institutions qui s'occupent des jeunes respectent elles-mêmes la loi en vigueur. Beaucoup reste à faire, surtout s'assurer que les jeunes ont droit la parole dans l'ensemble du processus, notamment au moment de la sanction.
Septièmement, comme il n'y a pas de liberté individuelle de défense de l'individu sans une réflexion sur les procédures, nous recommandons la création de comités consultatifs qui réuniraient des jeunes, des avocats, des travailleurs sociaux et des intervenants communautaires. Ces comités consultatifs étudieraient les procédures concrètes et les usages de l'ensemble des lois concernant les mineurs.
Huitièmement, il faut lutter contre toutes les formes d'infantilisation du jeune qui représentent des droits sans garanties ni responsabilités.
En neuvième lieu,, étant donné les taux actuels élevés de récidive, nous recommandons l'évaluation des placements institutionnels. Ceux-ci sont en crise à cause de leurs modes de fonctionnement: non-respect des lois, prolongement indu des placements, non-écoute de la parole du jeune, confusion droit-social et obscurité de leur mission éducative.
Dixièmement, nous recommandons le soutien des espaces de socialisation qui permettent aux jeunes de se réapproprier la notion de responsabilité à partir de leurs projets. De nombreux chercheurs et praticiens remarquent actuellement que les jeunes n'intériorisent pas la loi, c'est-à-dire les interdits et les limites, comme une obligation morale. C'est ce que certaines personnes appellent la fin de la culpabilité.
De nombreux juges, avocats et intervenants rapportent avoir affaire de plus en plus à des jeunes, et parfois à de très jeunes, qui donnent l'impression d'être au-dessus de leurs affaires et sans crainte devant les sanctions. S'ils sont appelés à élaborer des règles, ils vont comprendre plus facilement la nécessité de ces règles.
Dans le même ordre d'idées, il nous semble important de renforcer la personnalité sociale du jeune contre l'égoïsme et le repli individualiste. Il s'agit de contrer un fort sentiment d'impuissance et de dépression à l'adolescence qui amène souvent des passages à l'acte régressif.
Merci de votre attention.
[Traduction]
La présidente: Merci beaucoup.
Monsieur St-Laurent.
[Français]
M. St-Laurent: Merci pour votre exposé très intéressant.
Avant de vous poser une question, je voudrais vous relater quelques petites choses. Hier, nous sommes allés au Portage. Vous connaissez sans doute l'endroit. On en a profité, en dînant avec les clients de la boîte, pour «abuser» gentiment de jeunes délinquants qui sont là pour toutes sortes de raisons, que vous connaissez sans doute mieux que nous.
Mon attention a été attirée par une petite jeune fille qui était arrivée là après avoir fait de la prostitution. Je lui ai donc posé quelques questions sur la façon dont elle était arrivée là. Elle m'a dit qu'elle avait 18 ans mais qu'elle était là depuis le mois de juin dernier. Elle m'a raconté que, jusqu'à l'âge de 17 ans environ, sa mère et son père ne lui avaient jamais refusé quoi que ce soit. Elle admettait qu'ils étaient des parents parfaits. Mais à un moment donné, ils ont commencé à dire non, et cela n'a plus marché. Petit à petit, elle a commencé à commettre quelques petits délits puis est venue à la drogue et à la prostitution pour arriver finalement au Portage.
Je lui ai demandé alors ce qui se serait passé si ses parents avaient continué à dire oui, et elle m'a répondu qu'elle en aurait demandé plus pour en arriver là. Et je peux vous dire qu'elle en est convaincue.
J'ai travaillé pendant cinq années comme agent des services correctionnels en milieu carcéral au centre provincial de détention de Sept-îles. J'ai constaté sur place que la clientèle d'un centre de détention est composée à 80 p. 100 de gens qui ont mal contrôlé leur hyperactivité. Nous en avons d'ailleurs parlé avec les clients de la boîte et nous sommes tous convaincus de cela.
J'entends cela partout où je vais. Comme je suis critique en matière de services correctionnels, je vais dans beaucoup de pénitenciers au pays. Dans beaucoup de cas, c'est la même situation. Les20 p. 100 qui restent constituent ce que j'appelle «les irrécupérables». Ce sont nos cas à l'heure actuelle.
Monsieur Pector, vous mentionnez qu'un des gros problèmes actuels dans la société est le manque de place qu'on fait aux jeunes. Soyons honnêtes: on manque aussi de place pour les adultes. Il manque de place pour tout le monde à l'heure actuelle.
Quelle est votre position face à la théorie que j'avance sur l'hyperactivité, sur le besoin quasi inévitable, dirais-je, qui existe chez certaines personnes d'agir en délinquants et face à votre affirmation qu'il existe un manque de place?
M. Pector: Vous parlez du milieu familial, qui est le milieu du lien du sang. On parle de l'absence d'un espace de socialisation pour les jeunes. Les jeunes ont besoin expérimenter des formes de socialisation hors de la famille, au-delà de la dynamique familiale, quelle qu'elle soit.
L'adolescence, c'est grandir, c'est croître. C'est aussi la transgression et l'expérimentation de la limite de l'interdit. C'est aussi se construire une personnalité sociale, ce qui se fait généralement en dehors de la famille.
Donc, la référence à l'entre-deux social, à l'entre-deux identitaire du jeune, c'est la référence à des espaces sociaux où le jeune peut expérimenter hors de sa famille un certain nombre de pratiques de socialisation qu'il ne peut pas faire dans les autres institutions d'éducation comme l'école où, évidemment, le système organisationnel impose déjà des règles.
Cela est en lien avec toute une série de réflexions de plusieurs psychologues et psychanalystes sur la crise de l'autorité dans notre société. S'il y a crise d'autorité, il n'y a plus intériorisation de la règle, de l'interdit. Donc, il y a des passages à des actes radicaux comme la prostitution et la toxicomanie, qui sont des symptômes de ces crises de l'autorité.
Pour limiter les dégâts, il faut permettre à ces jeunes de trouver des espaces de délibération et de construction de projets dont ils sont responsables, qui sont porteurs d'un sens et qui encouragent l'intériorisation de la règle. C'est cela que j'incluais dans la notion d'absence de place de socialisation.
M. St-Laurent: D'accord.
Mme Laurin: Je veux ajouter quelque chose à votre intervention. On dit que dans 80 p. 100 des cas, c'est de l'hyperactivité mal contrôlée. Je voudrais qu'on regarde cela spécifiquement en fonction des jeunes. Toutes les études, y compris celles faites par les établissements, démontrent une surreprésentation des communautés culturelles chez les jeunes dans tout le système de l'appareil judiciaire. Je pense qu'il y a donc quelque chose de plus que de l'hyperactivité mal contrôlée. Il y aurait peut-être lieu de voir pourquoi il y a surreprésentation des communautés culturelles.
Je voulais seulement ouvrir le volet de cette surreprésentation.
M. St-Laurent: C'est bon que vous le souligniez. C'est un point de vue intéressant. Il y a des communautés culturelles qui ne sont carrément pas adaptées à notre système judiciaire et il n'y en a pas de plus bel exemple que celui que je vais vous mentionner.
Là où je travaillais, à Sept-Îles, plus de 80 p. 100 de la population carcérale était autochtone. Pourtant, ce ne sont pas des gens plus criminels. Ils n'étaient pas nécessairement incarcérés pour des meurtres. Quand on examine le taux de criminalité, on voit que ce ne sont pas les autochtones qui commettent le plus de meurtres ou de crimes graves. Soyons honnêtes.
Ce que vous notez est intéressant parce que c'est un fait. Chez nous, parce que je ne connais quand même pas parfaitement tout ce qui se passe ailleurs, les gangs sont souvent ethniques; pas toujours, mais souvent.
Vous avez parlé l'approche holistique globale. Quelle distinction faites-vous entre l'approche holistique et celle avec laquelle nous sommes habitués à travailler, que j'appellerais l'approche globale standard? Qu'est-ce que vous voulez dire par holistique globale? Est-ce que vous voulez inclure dans cela la société, le système judiciaire, etc. Comment voyez-vous cela?
M. Pector: Bien souvent, je faisais allusion à la gestion par programme. La gestion par programme vise la limite des conséquences de certains méfaits très catégorisés. L'approche globale, c'est essayer, non pas de concevoir la délinquance comme une faille dans la personnalité ou des troubles de comportement, mais de la voir dans une relation conflictuelle avec un contexte, un milieu familial, un milieu social. C'est une question de conceptualisation de la délinquance à l'adolescence.
On précise bien qu'on ne parle pas des gangs criminalisés, qui ne constituent que 2 p. 100 de l'ensemble des groupes. On parle plutôt d'essayer de travailler avec la globalité du jeune, c'est-à-dire le remettre dans un contexte et essayer de travailler à la responsabilité des différents acteurs qui travaillent avec le jeune, qui sont en relation avec lui et qui sont en rapport avec les instituts sociaux, la famille, l'école et la police, mais aussi des groupes de pairage dans l'environnement socioculturel immédiat. Cela passe par l'expression culturelle, la musique, la créativité, enfin tout ce qui est en rapport direct avec sa réalité sociale.
M. St-Laurent: Le système judiciaire, à l'heure actuelle, est bâti d'abord pour les adultes. On a par la suite créé un petit appartement à côté de la maison dans lequel on a voulu établir un système pour les jeunes, etc. Dans les normes pour les adultes, il y en a qui ne correspondent pas nécessairement aux besoins des jeunes.
Des témoins sont passés ici, entre autres Me Bastien, dont le point de vue était particulièrement intéressant. Il disait entre autres que le système actuel n'était pas bien adapté aux jeunes parce qu'il était un peu trop rapide dans certains cas, et il se mêlait à cela le besoin de vivre des avocats. Je donne un exemple. Si, dès le départ, on plaide coupable, il faut un mandat de l'aide juridique dans la majorité des cas, ce qui paie davantage. Si on plaide non coupable, le dossier est fermé et le montant versé est inférieur. En somme, il y a l'intérêt financier du professionnel et l'intérêt du contrevenant.
Le jeune qui est incarcéré doit, dans les 24 heures, comme la loi l'exige, se présenter devant un tribunal et choisir entre les deux options. Comme le soutenait M. Bastien, c'est peut-être un peu trop rapide pour un jeune. En 24 heures, sa vie vient d'être chamboulée. Il fait face à un monstre qu'il ne connaît pas du tout, dans des termes qu'il n'a jamais même imaginés, qu'il a peut-être entendus à la télévision. Il y a donc un paquet de choses qu'il doit assimiler en quelques minutes.
Quelqu'un vient lui expliquer cela. Le gars n'a plus confiance en ses parents ni en personne d'autre. Là arrive un parfait inconnu qui, en trois ou quatre minutes, doit le convaincre de choisir autre chose que ce qu'il est prêt à avouer, parce que souvent il s'est fait prendre en flagrant délit. On s'aperçoit que dans 90 p. 100 des cas, il finit par plaider coupable un peu plus tard.
En fonction de tous ces aspects et des exemples que je viens de vous mentionner, seriez-vous d'avis qu'il y a nécessité d'accorder une période de réflexion, de consultation, non pas simplement avec des travailleurs sociaux, mais avec des gens plus spécialisés dans les relations avec les jeunes contrevenants avant que le jeune soit obligé de choisir de plaider coupable ou non coupable, même avec l'aide de son avocat? N'y aurait-il pas lieu d'accorder un délai supérieur à 24 heures pour que le jeune puisse être rencontré par des gens plus proches de son idéologie?
M. Pector: Oui, c'est vrai. Vous avez tout à fait raison de dire qu'une fois qu'il est happé par le système, il est submergé et ne comprend pas tellement les enjeux qui lui tombent dessus. C'est vrai que pour avoir accès à des informations contradictoires et pour faire un choix, 24 heures, c'est très court.
Les avocat sont généralement submergés de dossiers. Ils ont dix causes le matin au tribunal. Il y a toute une dynamique qui submerge complètement le jeune et qui ne l'aide pas à comprendre la sanction qui va lui tomber dessus de toute façon.
À propos des délais, c'est plutôt la question du soutien qui est accordé qu'il faut étudier à travers tout ça. Comme travailleurs sociaux de rue, on intervient généralement à ce niveau-là en termes de médiation. On établit la relation entre le jeune et l'avocat en fonction de la connaissance que l'on a de sa situation. On essaie généralement de calmer l'avocat afin qu'il prenne le temps d'expliquer au jeune les règles, le type de sanction et les conséquences, ce qui prend plus de deux ou trois minutes.
Généralement, notre travail est justement d'établir ce type de médiation. Est-ce que le prolongement du délai serait indiqué? Cela reste à débattre, à mon avis.
[Traduction]
La présidente: Merci, monsieur St-Laurent. Je sais que c'est difficile. Vous vous laissez emporter par le fil de vos pensées, puis la fée Carabosse de l'Ouest vient vous rappeler que votre temps est écoulé.
Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Ces travaux sont parfois très frustrants pour les membres du comité - ils le sont certainement pour moi - parce que vous venez ici et vous consacrez beaucoup de temps à ces travaux, mais nous n'avons pas réellement la possibilité de profiter de votre expérience. J'ai dix minutes à vous consacrer - j'en ai eu autant pour le professeur Trépanier - dix minutes pour examiner l'équilibre entre la protection de la société, l'effet dissuasif de nos lois et la question de la réhabilitation; dix minutes pour voir s'il existe un bon équilibre et étudier le sujet. J'ai peut-être le temps de poser deux questions et le témoin prend le reste du temps. C'est tout ce à quoi j'ai droit pour profiter de votre sagesse, de votre compréhension et votre connaissance de la situation. C'est donc très frustrant parfois, mais je suppose que nous devons faire de notre mieux dans les dix minutes qui nous sont imparties, en tant que membres du comité, pour découvrir vos préoccupations et profiter des connaissances et des lumières que vous apportez sur toute cette question.
Vous avez indiqué dans votre exposé au comité ce matin que nous devrions tenir compte de la crédibilité des institutions ainsi que de la crédibilité des tribunaux et du système judiciaire. Je pense que c'est une observation de bon aloi et que nous ne devrions pas dire simplement que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et que le taux de criminalité, même s'il augmente depuis des années, est en train de se stabiliser et que nous pouvons relâcher nos efforts.
Nous sommes allés dans les établissements et nous avons vu pourquoi nous ne devons pas relâcher nos efforts et pourquoi nous devons rester toujours à l'affût et faire de notre mieux pour parvenir à un meilleur équilibre entre les objectifs du système judiciaire, qui consistent à protéger la société et à instaurer des mesures dissuasives si c'est possible et, bien sûr, à réhabiliter nos jeunes.
Quand nous sommes allés dans les Maritimes, un professeur a comparu devant nous et nous a laissé ce message: tant que les parents ne commenceront pas à enseigner les valeurs et la morale, ainsi que la discipline à la maison, tant que ces valeurs ne seront pas enseignées à la maison et renforcées aux divers paliers de notre société, nous n'aboutirons à rien.
J'en ai entendu un écho dans votre exposé de ce matin, alors j'aimerais que vous me donniez votre opinion à ce sujet. Cette observation a été faite par le professeur Carrigan, de la Nouvelle-Écosse, si je ne m'abuse. Qu'en pensez-vous?
Deuxièmement, vous vous occupez des jeunes de 5 à 12 ans, peut-être même d'adolescents un peu plus âgés. Pensez-vous avoir l'autorité nécessaire pour intervenir auprès des parents, qui jouent un rôle clé dans ce domaine? Pensez-vous avoir l'autorité nécessaire pour intervenir lorsque les signes indiquent qu'une intervention est justifiée?
[Français]
M. Pector: Il faudrait vous préciser que nous travaillons essentiellement avec les jeunes de 12 à 25 ans. Il nous arrive de travailler avec des plus jeunes, mais nous travaillons surtout avec des jeunes en crise d'adolescence.
La crise de l'adolescence est reliée à la transmission des valeurs et plus précisément, comme nous l'indique le mot «crise», à un renversement des valeurs. Cette notion de crise est fondamentale.
Le jeune vit une relation conflictuelle avec sa famille et avec l'ensemble de l'idéologie et des valeurs qu'elle essaie de lui transmettre. On travaille avec des jeunes qui viennent de tous les milieux sociaux. Je ne voudrais pas sous-estimer toute la problématique de la pauvreté qui entre en ligne de compte, mais on travaille aussi avec des jeunes de la classe moyenne et de la classe aisée qui sont en crise d'adolescence. J'aurais tendance à dire que dans notre société, un jeune sur deux vit une crise d'adolescence radicale.
L'adolescence est marquée par le radicalisme de la révolte qui est passagère, qui se situe dans un temps bien précis et qui n'est pas l'expression d'une structuration délinquante.
La médiation familiale est essentielle, quelle que que soit la problématique à laquelle le jeune est confronté, parce qu'elle lui permet d'exprimer un certain nombre de points de vue et, ce qui est important, de prendre la parole sur sa propre réalité.
Notre intervention se fait sur une base volontaire. On considère que tout processus éducationnel et de socialisation ne peut se faire sous la contrainte. C'est pourquoi nous intervenons en amont du judiciaire et aussi en aval.
Notre intervention se fait en amont pour essayer de recréer un espace de dialogue avec la famille et permettre aux jeunes de se situer par rapport à ses droits et responsabilités face à la famille.
Notre travail consiste aussi à aider les parents qui sont souvent démunis face à ce phénomène auquel ils doivent faire face. Il ne faut pas oublier que dans notre société la famille est confrontée et que le jeune a des sources d'information autres que la famille.
Ce n'est plus la famille d'il y a 50 ou 60 ans. Les mass media, les écoles et les copains ont beaucoup plus d'importance à l'adolescence que la famille même. Il y a comme un écart qui se crée, et notre travail consiste à travailler pour essayer de combler cet écart avec le jeune.
Il ne rejette pas toutes les valeurs que lui a transmises sa famille parce qu'il le fait dans la confusion, dans la révolte contre toute forme d'autorité et, en même temps, il jette le bébé avec l'eau du bain, comme on dit.
[Traduction]
M. Ramsay: Pensez-vous que le Québec a une autorité assez forte pour intervenir correctement auprès des parents lorsque les signes et les preuves justifient cette intervention?
[Français]
Mme Laurin: Je ne pense pas qu'il soit question d'avoir une autorité assez forte ou pas, puisque nous travaillons avec les parents. On n'a pas besoin d'une autorité. Les parents eux-mêmes, comme le disait mon collègue, sont souvent dépourvus face à la crise. Ils vont eux-mêmes venir chercher leur appui. Ce n'est pas une question d'avoir l'autorité, ni strictement une question de valeurs et de discipline. Comme je le soulignais plus tôt, dans les milieux carcéraux, les gens des communautés culturelles sont surreprésentés.
Je ne pense pas que ce soit strictement relié à un système de valeurs et de discipline. Tout le système souffre d'incompréhension lorsqu'il s'agit de travailler avec les problèmes de l'adolescence et cette crise de l'adolescence.
Il ne s'agit pas de rejeter le blâme ou la responsabilité sur la famille, ce qui serait peut-être un peu trop facile et qui ferait abstraction de tout autre facteur. Si on revenait à l'approche holistique, il nous faudrait justement tenir compte de tout l'ensemble de ces facteurs.
[Traduction]
M. Ramsay: Ma femme et moi avons quatre enfants. Si quelqu'un frappait à ma porte et me disait qu'un de mes enfants a un problème et me le décrivait, je pourrais lui répondre que je vais m'occuper de mes propres problèmes et lui fermer la porte au nez même si mon enfant a besoin d'aide et que j'ai besoin d'aide moi aussi pour corriger la situation.
Ce que j'essaie de faire valoir, c'est que de nombreux parents demandent de l'aide. Tous les parents consciencieux cherchent de l'information et demandent de l'aide auprès des organismes dans l'intérêt de leurs enfants. Mais il y en a de nombreux autres qui ne le font pas, et ils ne veulent pas que quelqu'un se mette le nez dans leurs affaires familiales, dans leur vie privée. Dans ces cas-là, pensez-vous avoir l'autorité suffisante pour intervenir auprès des parents et leur dire de ne pas vous fermer la porte au nez, parce que vous avez le droit et le pouvoir d'être là, vu que le gouvernement se préoccupe de leur enfant, puis leur donner les preuves démontrant que leur enfant a besoin d'aide? Ma question est-elle claire?
La présidente: Monsieur Ramsay, je peux peut-être préciser que ce groupe de témoins représente une organisation non gouvernementale. Elle n'a aucun pouvoir légal de faire quoi que ce soit.
M. Ramsay: Oui, j'en suis conscient.
La présidente: À l'intention des témoins, disons que M. Ramsay veut probablement votre opinion sur la Loi sur la protection de la jeunesse et veut savoir si elle donne au gouvernement le pouvoir d'intervenir lorsqu'il le faut absolument. J'ai arrêté le chronomètre, pour que vous puissiez répondre à cette question.
[Français]
M. Pector: On travaille sur une base volontaire. Lorsqu'on a affaire à des situations de danger ou lorsque le développement de jeunes est en danger, on travaille avec les services sociaux gouvernementaux.
Notre travail se fait aussi en collaboration avec les autorités en place, dans certains cas aux termes de la Loi sur la protection de la jeunesse. Le processus de signalement et de renvoi à la DPJ se fait régulièrement si on constate que le jeune est en danger et qu'une intervention autoritaire d'une institution sociale est nécessaire. On peut le faire. On le fait dans des situations telles que celles que vous mentionnez.
Notre travail ne se limite pas uniquement à ce domaine. Comme je le mentionnais tout à l'heure, il s'étend à bien d'autres domaines. Il est évident que si nous avons connaissance qu'un jeune est en danger, nous le renvoyons au service ayant l'autorité en la matière. Il existe au Québec tout un processus.
L'avantage que nous avons comparativement au citoyen moyen, c'est que nous pouvons passer au-delà des listes d'attentes. C'est un réel avantage. On peut juger de l'urgence de la situation. Puisque nous bénéficions généralement de rapports personnalisés dans les services sociaux, nous savons qui appeler, comment appeler, comment travailler avec des avocats ou des intervenants dans les institutions. Les renvois se font très rapidement. Quelque chose se passe sans tarder; il n'est point besoin d'attendre six mois. Ça se passe rapidement. C'est un avantage dans un travail comme le nôtre.
[Traduction]
La présidente: Je crains d'avoir laissé les deux partis dépasser le temps alloué, mais vous avez une question, monsieur Gallaway?
M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Parce que nous sommes à Montréal et que j'ai beaucoup de culot, je vais peut-être même m'aventurer à poser une question en français.
[Français]
Vous avez constaté que deux aspects interviennent: l'aspect juridique et l'aspect social. La cour est la pierre angulaire de l'aspect juridique.
Je voudrais savoir quelles dispositions nous devrions prévoir dans la loi pour y inclure un système intégrant ces deux aspects. Nous n'avons toujours pas fini notre étude. Nous avons entendu le ministre de la Justice de l'Ontario nous parler de sa philosophie qui vise à punir les jeunes contrevenants et nous dire que la loi devrait être plus dure envers les jeunes. Comment pouvons-nous inscrire ces deux aspects dans la nouvelle loi?
M. Pector: Il y a un équilibre à trouver dans tout le système de la protection. Un renforcement des peines et des sanctions prononcées à l'endroit des jeunes délinquants donnerait l'impression que la société envoie un message aux jeunes. Ce message renforcerait symboliquement leur exclusion de la société; ils auraient le sentiment que c'est encore sur eux qu'on tombe, alors qu'ils sont conscients qu'ils ont un certain nombre de difficultés et que ce n'est pas par la répression que la société peut les aider. Je peux en témoigner.
J'ai travaillé pendant 15 ans dans les rues du centre-ville de Montréal auprès des jeunes prostitués. J'ai beaucoup travaillé avec des jeunes en fugue des institutions. Ils ont le sentiment que ce type de service répressif les enfonce plus que ne les aide. Lancer un tel message équivaudrait à confirmer que la société n'est pas là pour les aider.
[Traduction]
La présidente: Je vous remercie d'avoir comparu devant le comité aujourd'hui et de nous faire profiter de votre expérience et de vos points de vue.
Nous interromprons nos travaux pour quelques minutes, le temps que le groupe suivant prenne place. Je rappelle à tout le monde que nous poursuivrons nos travaux à huis clos puisque nous entendrons des juges.
[Les travaux se poursuivent à huis clos]