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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 22 octobre 1996

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[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte.

Nous sommes très heureux d'accueillir une diplômée de l'Université de Windsor. Comment se fait-il que Windsor semble diriger le système judiciaire dans notre pays? C'est un secret très bien gardé, mais tôt ou tard les meilleurs semblent tous se retrouver à Windsor.

Silja Seppi est avocate et présidente du Comité du droit de la famille de l'Advocates' Society. Nous sommes ici pour étudier le projet de loi C-41. Je crois savoir que l'Advocates' Society a un exposé à nous présenter. Nous aurons ensuite des tas de questions à vous poser. Je vous remercie et vous souhaite la bienvenue.

Mme Silja Seppi (avocate, présidente du Comité du droit de la famille, Advocates' Society): Merci. Bonjour, mesdames et messieurs, membres du Comité permanent de la justice et des questions juridiques.

Je représente l'Advocates' Society et, à ce titre, j'aimerais vous donner quelques renseignements préliminaires sur cette association en particulier qui a été créée en Ontario dans les années 60. Depuis, la société s'est muée en une association professionnelle reconnue dans l'ensemble de la profession juridique pour ses succès dans les domaines de la défense d'intérêts, de l'éducation et de la réforme du droit.

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Les membres de la société agissent comme avocats devant les tribunaux, les tribunaux administratifs, le gouvernement et d'autres tribunes afin de résoudre des différends. On retrouve parmi eux des membres de cabinets de petite et de grande tailles, de même que des praticiens qui travaillent seuls et des avocats au service du gouvernement et de l'industrie.

Ils représentent tous les secteurs du contentieux, du droit administratif, commercial et familial au droit autochtone, en passant par le droit du divertissement. Ils oeuvrent également dans toutes les régions de la province de l'Ontario. Pour être admis, les membres en titre doivent appartenir au barreau de l'Ontario depuis au moins cinq ans. La société compte également un grand nombre de membres intermédiaires admis au Barreau depuis moins de cinq ans, mais qui entendent faire de la défense d'intérêts leur occupation principale. Parmi les membres, on retrouve également des défenseurs d'intérêts ayant accédé à la magistrature.

Dans le cadre de ses activités, la société s'emploie sans cesse à jouer un rôle actif au chapitre du façonnement du monde judiciaire ainsi que de la préservation et du maintien des droits de nos clients, c'est-à-dire les citoyens. Notre société présente régulièrement des documents et des mémoires pour faire valoir ses vues et lancer les réformes du système judiciaire qui s'imposent.

Le Comité du droit de la famille, qui est le comité qu'intéresse particulièrement le projet de loi C-41, se compose d'avocats de tout l'Ontario, qui pratiquent tous activement le droit de la famille. Le comité prolonge les activités de l'Advocates' Society à titre d'organisation qui fait la promotion des questions touchant la justice et se prononce sur elles, relativement aux enjeux et aux préoccupations des personnes mêlées à des litiges concernant le droit de la famille.

J'ai préparé pour vous, à la page 2 de mon mémoire, une liste des membres actuels du comité. Comme vous pouvez le constater, ils sont de tous les coins de l'Ontario, et, dans presque tous les cas, ce sont des avocats qui ont une longue expérience du droit de la famille et dont la pratique est surtout consacrée au droit de la famille.

Le troisième point de notre mémoire porte sur l'initiative du Comité du droit de la famille relativement à la réforme fédérale des pensions alimentaires.

À la suite de la publication du rapport et de la recommandation du Comité fédéral-provincial-territorial du droit de la famille sur les pensions alimentaires en janvier 1995, le Comité du droit de la famille de l'Advocates' Society a préparé une réaction écrite qui a été présentée au gouvernement au printemps 1995. Dans notre réponse, l'essentiel des préoccupations du comité concernant les propositions du rapport était résumé comme suit:

Depuis longtemps, la société est convaincue de la nécessité de lignes directrices en matière de pensions alimentaires. Historiquement, les décisions concernant les pensions alimentaires ont été inadéquates, inconstantes et imprévisibles. Pour les plaideurs, il en est résulté des coûts accrus.

La société a également adopté un point de vue selon lequel les principes de la certitude et de la prévisibilité ne peuvent pas supplanter celui de l'équité. Nous nous sommes donc opposés à l'adoption d'une formule rigide de détermination des pensions alimentaires. La situation des familles varie énormément. Il est impossible de prévoir ou d'encadrer dans une «formule» toute la portée de ces écarts. Selon notre expérience, il arrive qu'une décision inéquitable soit plus difficile à faire appliquer. Par conséquent, nous commençons nos remarques sur le rapport en question en affirmant clairement que nous sommes favorables à l'adoption de lignes directrices relatives aux pensions alimentaires - lignes directrices dont on pourra s'écarter lorsque leur application donnera lieu à une situation injuste ou inéquitable.

Telle est la position que nous continuons de défendre. Nous espérons que l'introduction des mesures législatives qui rendent maintenant obligatoire l'application des ordonnances alimentaires «conformément aux lignes directrices applicables» n'a pas pour effet d'éliminer la protection que constitue le pouvoir discrétionnaire judiciaire, le moment venu d'établir les obligations des parents relatives au soutien des enfants.

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Voici quelques-uns des sujets de préoccupation que je tiens à souligner.

En premier lieu, les dépenses extraordinaires ou spéciales pour un enfant. Dans notre réponse, nous avons défini comme suit les dépenses extraordinaires ou spéciales: «les frais de garde, les importantes dépenses liées à la santé non remboursées par un régime d'assurance, les dépenses liées aux soins d'orthodontistes, les frais liés à la fréquentation d'une école privée, le coût de l'éducation postsecondaire, les frais liés à la fréquentation d'une école spéciale, à un tuteur ou à un service de counselling et d'autres dépenses inhabituelles associées aux soins ou à l'éducation des enfants. Dans certaines circonstances, on doit également inclure dans cette catégorie les dépenses importantes associées à certaines manifestations religieuses ou culturelles».

Nous sommes donc favorables à la disposition des lignes directrices qui prévoit les catégories de dépenses spéciales liées aux enfants pouvant être ajoutées à la somme prévue dans les barèmes, à condition que de telles dépenses spéciales soient raisonnables et nécessaires, compte tenu des besoins de l'enfant et des moyens des parents.

Deuxièmement les coûts de l'accès. De la façon dont elle est présentée dans le premier rapport, la formule ne tient pas compte de l'accès ou du coût d'une résidence secondaire, à moins que le parent secondaire n'ayant pas la garde de l'enfant ait accès à ce dernier 40 p. 100 du temps. À l'égard de cette recommandation, la préoccupation du comité, exprimée dans notre réponse, comprenait deux volets:

Les lignes directrices que contiennent les mesures législatives limitent maintenant les dépenses de cette nature que doivent assumer les parents en cas de «contrainte excessive», qui peuvent comprendre les importantes dépenses liées à l'accès, par exemple les frais de déplacement ou d'hébergement.

Nous sommes favorables à la souplesse, de même qu'à l'élimination d'une norme fixe qui établit un accès à 40 p. 100. Toutefois, nous continuons de nourrir des préoccupations quant à l'application éventuellement restrictive de l'expression «contrainte excessive».

Troisièmement, le critère de la «contrainte excessive». L'aspect des dispositions législatives qui limite tout écart par rapport aux barèmes contenus dans les lignes directrices aux seuls cas de «contrainte excessive» demeure préoccupant. Comme nous l'avons déclaré dans notre deuxième mémoire, déposé en janvier 1996 en réponse aux modifications proposées,

Cette préoccupation découle de l'application limitée que, historiquement, le pouvoir judiciaire a faite du critère de la «contrainte excessive». Cette limitation se fait tout particulièrement sentir en Ontario, puisqu'elle a trait au caractère «déraisonnable» plutôt qu'au caractère «injuste», la première occurrence étant celle qu'on retrouve dans la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario, le moment venu d'établir les écarts autorisés par rapport au régime de répartition des biens prévu par la loi en cas de dissolution du mariage.

L'expérience commune des avocats ontariens est que les tribunaux s'écartent très rarement de la «formule» de répartition lorsqu'on a affaire au caractère «déraisonnable» plutôt qu'au caractère «injuste». Nous pensons que c'est ce qui se produira également à propos de l'applicabilité du critère de la «contrainte excessive» qui doit être satisfait pour que les tribunaux s'écartent des barèmes de soutien contenus dans les lignes directrices.

Même s'il est impossible de tenir parfaitement compte, dans un texte de loi, du caractère imprévisible des circonstances particulières influant sur la détermination de la pension alimentaire des enfants, il demeure important de permettre l'exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire comme moyen de corriger toute injustice possible. Notre comité craint que l'utilisation des mots «contrainte excessive» ne restreigne et ne limite gravement l'application du pouvoir discrétionnaire judiciaire par des tribunaux tenus de s'adapter aux circonstances. L'application des lignes directrices relatives aux pensions alimentaires imposée par le projet de loi C-41 est donc en soi inéquitable.

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Le projet de loi C-41 et, en particulier, les paragraphes 15.1(5) et 17(6.2) de la Loi sur le divorce modifiée exigent premièrement qu'on ne peut s'écarter des lignes directrices prévues dans la loi que s'il existe des dispositions spéciales d'un jugement, d'une ordonnance ou d'une entente écrite antérieur à l'entrée en vigueur des mesures législatives qui ont été prises pour accorder un avantage à un enfant et que le même phénomène s'applique lorsque le montant déterminé conformément aux lignes directrices applicables serait inéquitable eu égard à ces dispositions.

Nous pensons qu'une telle directive législative aura également pour effet de limiter les écarts par rapport aux lignes directrices à des situations extrêmement restrictives. Elle ne tient pas compte de la préoccupation relative à l'iniquité inhérente potentielle découlant de l'application de lignes directrices obligatoires imposées par le texte de loi ni, à notre avis, du critère de la contrainte excessive qui fait partie des lignes directrices.

Pour ce qui est des importants écarts de revenu, voici un autre sujet de préoccupation exprimé par notre comité dans le rapport initial présenté en 1995:

Si le parent primaire qui a la garde des enfants gagne beaucoup plus que le parent secondaire n'ayant pas la garde de ces derniers, le parent secondaire risque de se trouver dans l'impossibilité d'assumer ses propres dépenses en raison des lignes directrices sur les pensions alimentaires, tandis que le parent primaire bénéficie d'un revenu excédentaire aux fins des dépenses de son propre foyer. Si, par ailleurs, le parent primaire qui a la garde des enfants n'a aucun revenu et que le parent secondaire jouit d'un revenu important, les lignes directrices pourraient procurer au parent secondaire un niveau de vie nettement supérieur à celui du parent primaire.

À titre d'exemple, imaginons un parent qui gagne 100 000 $ par année et qui a deux enfants dont il assume la garde primaire environ 60 ou 65 p. 100 du temps. L'autre parent, qui a les enfants avec lui environ 35 ou 40 p. 100 du temps, gagne 30 000 $ par année. Si les lignes directrices sont appliquées à la lettre, le parent qui gagne 30 000 $ par année sera tenu de verser au parent qui gagne davantage la somme prévue par les lignes directrices relatives aux pensions alimentaires pour enfants, soit, en Ontario, environ 457 $ non imposables par mois pour deux enfants.

Voilà qui, dans les faits, fait passer 457 $ du foyer du parent secondaire à celui du parent primaire. Il pourrait en résulter une iniquité ou une contrainte pour les enfants lorsqu'ils se trouvent avec le parent secondaire, qui, de toute évidence, ne sera pas en mesure de leur assurer le même niveau de vie.

Voilà qui, à notre avis, est contraire aux objectifs avoués des dispositions législatives, c'est-à-dire, selon ce que nous comprenons, attribuer la responsabilité du soutien financier des enfants selon les moyens de chacun des parents.

Enfin, il y a l'application des ordonnances alimentaires. La perception des pensions alimentaires et l'application des ordonnances les concernant, qui relèvent principalement de la responsabilité d'organismes provinciaux, exigent la coopération du gouvernement fédéral aux fins du repérage des débiteurs défaillants et de la saisie des paiements fédéraux à ces derniers. Le Comité du droit de la famille de l'Advocates' Society est favorable à l'adoption de mesures conçues pour permettre l'application efficace des obligations alimentaires.

Lorsque la pension à verser a été établie en vertu d'une entente ou d'une ordonnance d'un tribunal, la somme a, dans la plupart des cas, été fixée en fonction des moyens respectifs des parents, de la capacité du parent débiteur et de l'importance des obligations qu'il a vis-à-vis de ses enfants. Les tribunaux exigent des états financiers; avant d'émettre les ordonnances, ils exigent des témoignages sous serment concernant la capacité financière.

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Ainsi, lorsqu'un débiteur fait défaut à ses obligations, on tient pour acquis, dans la plupart des cas, qu'il s'agit d'une défaillance délibérée et que le parent utilise ses moyens financiers à d'autres fins, privant ainsi la famille du soutien dont elle a besoin. Souvent, le parent qui reçoit ne prend pas de mesures pour faire appliquer l'ordonnance alimentaire, faute de pouvoir assumer les frais judiciaires associés à une telle démarche.

En Ontario, on a établi le Régime des obligations alimentaires envers la famille et un organisme compétent afin d'aider à la perception des pensions alimentaires, sans que le parent qui reçoit la pension ait à faire des déboursés. Nous appuyons donc les initiatives du gouvernement fédéral qui visent à donner à l'organisme et aux parents concernés les outils nécessaires pour percevoir les pensions alimentaires et poursuivre les débiteurs défaillants. Par ailleurs, les membres du Comité du droit de la famille de la société savent par expérience que, dans de nombreux cas, les arriérés s'accumulent en raison d'une situation malheureuse, par exemple une perte d'emploi. Voilà pourquoi nous insistons sur le fait qu'il importe de maintenir des garanties mettant les particuliers à l'abri de mesures d'exécution applicables automatiquement, sans que le parent payeur ait été avisé, qu'il ait eu une occasion raisonnable d'invoquer des circonstances atténuantes pour expliquer la défaillance et, enfin, qu'il puisse obtenir un certain soulagement grâce à l'abaissement de ses obligations à un niveau conforme à sa capacité financière réduite.

Les dispositions concernant les avis que contient le projet de loi C-41 semblent justes et réalistes. Toutefois, vous devez tenir compte des mémoires que vous recevrez d'organisations ou de personnes représentant de tels débiteurs.

Je vais m'éloigner un peu de mon texte pour attirer votre attention sur une disposition du projet de loi C-41 concernant les mesures d'application qui, dans mon mémoire, semble ne pas comporter les garde-fous nécessaires pour protéger contre les actes arbitraires. Il s'agit de l'article 72 proposé dans la partie III, concernant l'interruption de la demande de refus d'autorisation, que la loi assujettit entièrement au pouvoir discrétionnaire de l'autorité provinciale - par exemple, pour que cette autorité provinciale décide que le débiteur «ne peut acquitter» - alinéa 72(1)a)(iii) - ou que le débiteur se conforme «à l'accord en matière de paiement qu'elle juge acceptable» - alinéa 72(1)a)(ii).

J'aimerais attirer votre attention sur la possibilité de ce problème, car, en Ontario, nous avons eu des difficultés avec l'autorité provinciale, c'est-à-dire avec le Régime des obligations alimentaires. Certaines difficultés ont été si graves que les paiements ont été perdus dans ce qu'on appelle «des pannes informatiques», qui empêchent souvent d'enregistrer des transactions.

Les dispositions proposées semblent donner carte blanche aux fonctionnaires, ce qui, à mon avis, pourrait amener les fonctionnaires à prendre des mesures et des décisions arbitraires tant pour le bénéficiaire que pour le payeur. En plus de l'article 77, qui exonère les autorités gouvernementales de toute responsabilité découlant de tels actes, même si ce sont des erreurs, du moment qu'elles démontrent qu'elles ont fait preuve de bonne foi dans l'application des dispositions relatives à la suspension des autorisations, cela pourrait, à notre avis, donner lieu à un abus d'autorité impuni de la part d'organismes gouvernementaux trop zélés. Cela pourrait avoir de graves répercussions en cas d'erreur.

On ignore encore comment les règlements seront établis, mais nous voulons attirer votre attention sur ce phénomène, surtout en raison du fait qu'il faut préserver les voies de droit régulières même dans vos dispositions relatives à l'application.

Voilà ce que j'avais à dire en guise d'introduction. Je suis maintenant disposée à répondre à vos questions.

La présidente: Merci. Monsieur Langlois.

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[Français]

M. Langlois (Bellechasse): Merci de votre présentation bien préparée, bien fouillée et bien livrée. Je partage plusieurs des questions et commentaires que vous avez soulevés, entre autres relativement aux dépenses extraordinaires et aux critères de contraintes excessives. Je préfère effectivement les références au principe de justice ou d'équité qui sont plus faciles à déterminer et qui sont à un seuil moins élevé.

D'autre part, ce qui me plaît dans le projet de loi C-41, c'est la façon dont on pourra retracer plus facilement les débiteurs de pension alimentaire et le fait que les sommes dues seront payées. C'est un aspect très positif.

Quant à l'aspect des grilles, il me plaît plus ou moins. Si elles sont trop bétonnées, elles ne donneront pas suffisamment de latitude.

J'ai pratiqué en droit de la famille pendant un peu plus de 20 ans. Je suis d'avis que les grilles, ça vaut ce que ça vaut. Vous savez vous-même que lorsqu'on présente des requêtes en matière de divorce et qu'on doit annexer une liste de revenus et dépenses, on constate, en faisant le total des dépenses pour les enfants du requérant et ensuite de celles de l'intimé, que l'enfant a probablement besoin d'environ 235 ou 238 p. 100 de ses dépenses habituelles. Le divorce va donc amener un appauvrissement de la cellule familiale.

J'ai toujours dit à mes clients de ne pas penser s'enrichir avec un divorce. Ils vont probablement vivre une faillite sur deux plans: premièrement, au plan émotif et deuxièmement, au plan pécuniaire. Font évidemment exception les cas où l'on ne peut faire autrement. Je pense à des cas de violence conjugale où, quant à moi, le degré de tolérance est zéro. Personne ne devrait être tenté de suggérer que des unions doivent durer lorsqu'il devient évident que des gens abusent physiquement des autres. Il y aussi des paroles qui sont souvent plus violentes qu'une gifle qui peut être donnée à une occasion précise. Dans de tels climats, il vaut mieux que les couples se séparent.

Ce qui manque le plus dans le projet de loi C-41, et peut-être dans notre approche générale, et qui n'est pas particulièrement lié au gouvernement actuel, ce sont des mesures préventives.

Pour faire la moindre chose dans ce pays, il nous faut une licence ou un permis. Nous parlions plus tôt de permis de conduire. Il nous faut un passeport pour entrer à l'étranger, un permis de travail dans une province et un permis de travail dans l'autre.

Pour se marier, il n'est pas nécessaire de suivre de cours de préparation au mariage. Les gens peuvent tout simplement décider de contracter union et le font. Pour entreprendre des procédures de divorce, il n'est pas nécessaire de passer par un processus de médiation. Bien sûr, la Loi sur le divorce adoptée en 1985 prévoit que le procureur est obligé de dire à ses clients qu'il existe un service de médiation, mais le procureur qui réussit à vendre cette idée à son client ou à sa cliente vient de perdre un client ou une cliente. Si la médiation fonctionne, il n'y a plus de judiciarisation. Ce n'est pas très fort.

Je ne sais pas ce que vous pensez de l'approche qu'ont adoptée certains États américains d'imposer des rencontres obligatoires avec des travailleurs sociaux ou des psychologues pour essayer de voir s'il n'y a pas de terrain d'entente possible. Dans ces cas, on tient une première rencontre non pas quant au partage ou à la garde des enfants, mais quant à la sauvegarde de l'union elle-même. Chaque fois qu'on réussit à sauvegarder une union - lorsque c'est possible de le faire, car il y a des cas où ce n'est pas possible - , c'est le meilleur service qu'on puisse rendre aux enfants. On leur ménage un couple stable qui est capable de résoudre ses différends.

On est dans une société qui, très souvent, a des approches manichéennes et on retrouve au sein des couples très peu de place pour le compromis. L'un dit blanc, l'autre dit noir. Les gens ont perdu le sens du compromis traditionnel. Il y a peut-être une rééducation à faire. J'aimerais vous entendre à cet égard. J'ai livré mon point de vue de façon globale et j'aimerais entendre le vôtre sur une médiation obligatoire préalable.

Deuxièmement, il y aura toujours des procureurs qui vont prétendre, sans doute à bon droit, que leur cas ou leur dossier est extraordinaire ou spécial. C'est comme quand on se présente en cour et qu'on veut faire fixer une cause par préférence devant le juge en chef: on prétend toujours que notre cause est plus urgente que celle de l'avocat voisin qui, lui, peut attendre.

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Je me demande si ce projet de loi ne va pas tout simplement se traduire par un niveau égal de judiciarisation et si on ne passe pas vraiment à côté de l'objectif, qui est de sortir un peu des cours de justice les questions de droit de la famille pour éviter d'en faire payer le prix aux enfants.

Que des adultes consentants veuillent se chicaner, c'est très bien, mais pas quand ce sont des petits bonshommes et des petites bonnes femmes qui deviendront des adolescents, des drop-ins ou des drop-outs ou des enfants équilibrés qui vont en payer le prix.

Ce sont mes observations générales. J'appuie votre position sur l'article 77, à savoir que la responsabilité des agences de la Couronne ne devrait pas être liée à la question de la bonne ou de la mauvaise foi. Les gens qui font des erreurs dans l'accomplissement de leurs fonctions doivent être responsables de leurs actes, qu'ils les aient posés de bonne ou de mauvaise foi, et encore plus de mauvaise foi. La bonne foi n'est pas une excuse dans ce domaine.

J'aimerais vous entendre si vous avez des commentaires à faire. Si vous n'en avez point, la présidente donnera sans doute la parole à ma collègue de Mission - Coquitlam.

[Traduction]

Mme Seppi: Merci. Excusez-moi, mais je répondrai en anglais.

Si j'ai bien compris, vous êtes très préoccupé par certains aspects de la loi - et peut-être encore plus par la pratique du droit de la famille. Votre préoccupation porte sur le fait que les avocats spécialisés en droit de la famille ne suggèrent pas assez souvent à leurs clients de tenter la réconciliation, et si cela ne fonctionne pas, d'essayer de régler leurs problèmes par la négociation ou la médiation, au lieu d'intenter un procès.

Vous m'avez demandé ce que j'en pense. Avant de répondre, je signale qu'en Ontario, si je comprends bien, le gouvernement est en train d'examiner en profondeur toute la procédure judiciaire en matière civile. Il envisage d'imposer la médiation avant le recours aux tribunaux, non seulement dans les poursuites civiles, mais aussi dans les affaires relevant du droit familial et touchant les enfants. De toute évidence, la médiation, si elle fonctionne, est un moyen préférable de régler les questions relatives à la garde et au soutien.

Ma seule réserve en ce qui touche la médiation et le droit de la famille concerne ce que nous appelons l'inégalité du pouvoir de négociation. Vous avez mentionné des cas de violence familiale. Dans certaines situations, il pourrait être impossible de demander au couple de s'asseoir et de régler le problème avec le médiateur. Un conjoint pourrait se sentir totalement accablé et contrôlé par l'autre, même si souvent un médiateur habile est capable de rétablir l'équilibre du pouvoir.

Pour répondre à votre question sur la réconciliation, je dirais naturellement que ce serait la meilleure solution. Toutefois, comme vous l'avez noté dans votre pratique du droit familial, la plupart des gens vont voir leur avocat quand il est déjà trop tard. En vertu de la Loi sur le divorce telle qu'elle existe maintenant, avant d'engager la procédure au nom de notre client, nous avons assurément l'obligation de discuter avec lui des possibilités de counselling, de médiation et d'autres méthodes de règlement des différends. Malheureusement, c'est tout ce que nous pouvons faire. En tant qu'avocate, je pense que nous devons prendre du recul et dire aux conjoints que s'ils sont capables de se réconcilier, qu'ils fassent tout leur possible pour régler les problèmes et qu'ils ne recourent aux tribunaux qu'en dernier ressort.

Dans le même ordre d'idées, je dirais que ces lignes directrices ne sont pas parfaites quand on les regarde de près. Comme je l'ai indiqué, on craint qu'il reste aux tribunaux très peu de latitude pour trancher dans des circonstances spéciales. Néanmoins, le fait d'avoir des lignes directrices est encore un pas dans la bonne direction, car, par le passé, bien des cas finissaient devant les tribunaux, et la bataille était amère et coûteuse.

.1610

Maintenant que nous n'avons pas de lignes directrices, les gens ne savent toujours pas ce qu'un juge pourrait ordonner comme pension alimentaire, et, dans certains cas, les montants semblent varier énormément. Les avocats ont du mal à conseiller leurs clients quant au montant de la pension, car cela dépend souvent du juge. Je pense que les lignes directrices constituent un pas dans la bonne direction, car elles rendront le système plus cohérent et plus prévisible. Je sais aussi qu'en adoptant ce projet de loi le gouvernement vise à éliminer ou, au moins, à réduire le nombre de procès relatifs à la pension alimentaire.

La présidente: Merci.

Madame Jennings, vous avez dix minutes.

Mme Jennings (Mission - Coquitlam): Merci.

Bonjour. Votre exposé était très clair et très bien expliqué. Je comprends la position de l'Advocates' Society, car tout votre témoignage est fondé sur le principe d'équité. Vous reconnaissez qu'il y en a de nombreuses variantes. Je suis heureuse que vous l'ayez affirmé, car c'est un principe que l'on perd de vue en discutant avec certains témoins. Il y a beaucoup de variations. Même si le projet de loi C-41 porte sur les arriérés, ceux-ci comportent également des variantes. Comme vous l'avez souligné, certains arriérés sont volontaires et d'autres ne le sont pas. Il faut reconnaître que les pensions injustes sont difficiles à appliquer. En tant que législateurs, c'est à ce niveau que nous devons faire très attention. Peu importe la loi, nous devons d'abord nous assurer qu'elle est réaliste et applicable.

Je le dis depuis le matin, et c'est un principe que je juge fondamental, parce que beaucoup de mes électeurs sont concernés. Involontairement, peut-être à contrecoeur, et pour diverses raisons, ils vivent dans une situation financière difficile. Ils ne sont pas tous malhonnêtes. Nous reconnaissons qu'il y a de très mauvais exemples. Ce matin, nous avons certainement entendu parler d'une personne qui est assurément une fripouille qui mérite une punition comme celle-ci et peut-être même une sanction plus sévère. Mais nous devons reconnaître qu'il y a également des personnes honnêtes.

Compte tenu de ce qui précède et de ce que vous avez dit, connaissez-vous bien la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant? Elle a été adoptée, et elle stipule qu'un enfant a le droit d'accès à sa famille. Même si le gouvernement Mulroney ne l'a pas ratifiée en 1991, nous l'avons signée.

Vous comprenez donc ma position. Il s'agit de prévention. J'ai passé ma vie avec des enfants, et c'est pour cela que je m'inquiète. Il est très important que les enfants puissent réaliser leur plein potentiel. À cet égard, l'Alberta a adopté une loi qui prévoit des programmes obligatoires. Cette loi est entrée en vigueur en février de cette année. Elle prévoit que les parents vont s'asseoir ensemble et discuter de l'accès et de la garde. S'ils ne le font pas, ils risquent qu'on leur impose des lignes directrices, mais elles ne sont pas réalistes. Comme vous le savez, il y a divers niveaux de vie, et, tout comme notre pays évolue, les niveaux de vie changent à l'avenant.

Permettez-moi de faire quelques suggestions. Je sais que vous connaissez très bien les dispositions du projet de loi C-41. Je voudrais que l'on fasse une ou deux choses. Je voudrais que figurent dans le projet de loi les besoins de l'enfant qui fait l'objet d'une ordonnance et la capacité du parent visé de respecter cette ordonnance. Ces montants seraient fixés par l'ordonnance. Ensuite, on peut toujours avoir recours aux lignes directrices.

J'ai proposé cela ce matin. Qu'on se penche sur les besoins de l'enfant et sur la capacité du payeur de payer. J'en ai parlé quand le ministre a comparu. Il m'a répondu que si deux parents n'arrivaient pas à s'entendre, il était tout à fait probable qu'on aurait recours aux lignes directrices. Mais ce n'est pas ce qui figure dans le projet de loi. Le projet de loi dit précisément que dans le cas des pensions alimentaires au profit de l'enfant et du conjoint, le juge peut tenir compte des ententes conclues entre les parties, de la capacité de payer et de questions se rapportant au bien-être des enfants, mais il doit tout d'abord appliquer le barème des lignes directrices.

Voyons un peu ce que pourrait dire le projet de loi. Qu'on laisse la possibilité de parvenir à une entente d'abord, qu'on tienne compte de la capacité de payer et des besoins de l'enfant avant tout. Si la solution n'est pas pratique, il en résultera des difficultés plus tard. Nous nous inquiétons des enfants et des conjoints également.

Pensez-vous que ces éléments sont assez importants pour qu'on les fasse figurer dans le projet de loi? Les deux choses que j'ai citées?

En outre, on essaie de nous dire qu'une partie peut exercer des pressions sur l'autre au moment de la négociation d'une entente. Je reconnais que c'est là tout à fait possible et que cela s'est vu, mais ce n'est pas toujours le cas. Je dirais qu'il s'agit là de moins de 50 p. 100 des cas. Je pense qu'il faudrait réfléchir longuement à cette question et proposer des amendements au projet de loi qui rendraient la chose possible dans les deux cas.

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Pouvez-vous me dire ce que vous pensez de ces deux propositions? Envisageriez-vous qu'on fasse figurer dans le projet de loi les besoins de l'enfant et la capacité de payer?

La présidente: Avant de donner la parole au témoin, pouvez-vous nous dire à quel article du projet de loi on dit que le tribunal doit...? Pouvez-vous nous donner le numéro de l'article?

Mme Jennings: Madame la présidente, je vous prie de m'excuser. L'article 2 du projet de loi modifie l'article 15 de la Loi sur le divorce et reconnaît qu'un juge qui doit trancher lorsqu'il s'agit des aliments d'un enfant ou d'un conjoint...

La présidente: Pouvez-vous me donner le numéro du paragraphe de l'article 2...

Mme Jennings: Excusez-moi, je ne l'ai pas sous la main.

La présidente: L'article 2 remplace l'article 15 de la loi actuelle et dispose que... Je veux tout simplement que vous me disiez de quel paragraphe il s'agit. J'ai arrêté le chronomètre. Je ne vous vole pas de temps. Je veux juste tirer les choses au clair. Je ne pense pas être d'accord avec vous quant à l'interprétation, mais je ne voudrais pas que vous entraîniez notre témoin sur une tangente.

Mme Jennings: Excusez-moi. Je ne peux pas vous dire de quel paragraphe il s'agit. Il me faudrait fouiller dans tous mes papiers. Quand j'ai posé la question au ministre Rock, il a reconnu que c'était le cas...

La présidente: Arrêtons-nous un instant...

Mme Jennings: ...et il a dit...

La présidente: Arrêtons-nous un instant pour trouver cet article. Si vous l'avez trouvé, je suis sûre que vous pourrez le retrouver. Vous parlez peut-être du paragraphe 15(1)(3) proposé, n'est-ce pas?

Mme Jennings: En effet. Plus précisément le paragraphe 15(1)(5), que j'ai sous les yeux actuellement.

La présidente: Permettez-moi de citer le paragraphe 15(1)(3) proposé:

Mais je ne vois rien là-dedans qui empêche... Vous dites que vous songez plutôt au paragraphe 15(1)(5) proposé. Rien dans cet article n'empêche un juge de confirmer une entente, quelle qu'elle soit. Je ne pense pas que cet article dispose que si les parties se mettent d'accord le juge doit imposer quand même les lignes directrices.

Mme Seppi: Je pense que vous avez raison, madame la présidente. Le projet de loi permet aux parties de conclure leurs propres ententes. Rien n'empêche le tribunal de confirmer une ordonnance par consentement.

La présidente: En effet, au tribunal... Au bout du compte, le juge doit rendre une ordonnance en tenant compte des lignes directrices. Est-ce que...

Mme Seppi: C'est cela. L'ordonnance doit tenir compte des lignes directrices.

Mme Jennings: Tout à l'heure, je disais que si le juge a recours tout d'abord aux lignes directrices - car il n'est pas forcé d'y avoir recours - c'est plus facile... Il y a toujours la possibilité d'interjeter appel, ce qui n'est souhaité par personne.

Mme Seppi: Je pense que je peux donner une réponse d'ordre général à votre question. La loi prévoit déjà cela. En d'autres termes, vous demandez qu'on tienne compte des besoins de l'enfant. C'est ce que la jurisprudence a amené les tribunaux à faire par le passé, mais la législation semble indiquer qu'il y a eu renversement de la vapeur. D'abord tenir compte de la capacité de payer et ensuite, si je comprends les explications données par le ministre... Le gouvernement a fouillé la question avant d'établir ces lignes directrices, ce barème, et il en a conclu que les pourcentages qui seront appliqués correspondront aux besoins de la famille, suivant le nombre d'enfants.

Il est vrai que le projet de loi ne demande pas qu'on se penche sur les besoins de l'enfant, mais, si je comprends bien, le gouvernement nous dit que ces lignes directrices correspondant aux besoins de la famille ont été élaborées après une étude sérieuse. Pour nous, en Ontario, nous ne pensons pas qu'il y ait de chiffres magiques. Certains vous diront que ce qui est proposé est trop bas et d'autres trop élevé.

Comme je l'ai dit, le problème vient du fait qu'il n'y a pas de pouvoir discrétionnaire judiciaire pour apprécier... On pourrait dire que c'est la difficulté excessive qui tient compte de cela, mais je pense que les juges ne s'en serviront pas beaucoup, car ils se diront que c'est là une notion qui doit servir quand quelqu'un est sur la paille, et si quelqu'un n'est pas sur la paille, ce ne sera pas une difficulté excessive, de sorte qu'ils auront recours aux lignes directrices. C'est cela qui nous inquiète. Les circonstances particulières que nous, avocats, et vous, législateurs, ne pouvons pas prévoir ne seront peut-être pas prises en compte, étant donné le pouvoir discrétionnaire judiciaire limité qui existe.

.1620

Nous ne nous opposons pas aux lignes directrices. Je pense qu'on a fait une recherche intensive pour arrêter les montants, et si le projet de loi contient également une disposition d'examen pour en vérifier l'application d'ici quatre ou cinq ans, c'est fort bon. Mais il manque le pouvoir discrétionnaire. Si je comprends bien, madame, c'est aussi ce qui vous inquiète, n'est-ce pas?

Mme Jennings: Oui. Je pense qu'il est très important que ce soit juste et équitable.

Il y a une autre chose qui ne se trouve pas dans le projet de loi et qui m'inquiète, et c'est la question de l'accès. Le ministre Rock a dit qu'il s'agissait effectivement d'une composante distincte dont on ne devrait pas parler ici. Qu'en pensez-vous?

Mme Seppi: C'est une composante distincte, mais il faut bien dire que l'exécution des ordonnances attributives de droits de visite pose des problèmes. Il n'y a pas de textes législatifs qui nous viennent en aide, aucune loi provinciale ou fédérale.

Les juges sont très compétents à cet égard. Quand on se présente au tribunal pour essayer de faire exécuter ou pour obtenir une ordonnance d'accès, on constate en Ontario que les juges comprennent très bien l'importance de l'accès, tant et si bien qu'il va presque de soi qu'il y aura accès, à moins de circonstances tout à fait extraordinaires. Je le répète, il faut que les gens pour cela aillent au tribunal, et je ne sais pas comment on peut y échapper, en tout cas dans les conditions actuelles.

Mme Jennings: Nous entendons dire un peu partout que l'accès cause des problèmes très sérieux, des problèmes très réels. Je peux comprendre la difficulté d'inclure cette question dans ces nouvelles dispositions, mais il reste que c'est un problème incontournable, et j'espère que nous essaierons d'y trouver une solution.

Mme Seppi: Exactement. C'est dans la Loi sur le divorce. Mon expérience me montre que les juges n'hésitent pas à rendre des ordonnances d'accès et comprennent l'importance de l'accès. C'est seulement dans les cas où certaines parties causent des difficultés qu'il n'y a pas de loi qui permette de faire respecter ces ordonnances.

Mme Jennings: Merci beaucoup.

La présidente: Monsieur DeVillers, vous aviez une question?

M. DeVillers (Simcoe-Nord): Oui. Merci, madame la présidente.

Simplement une petite précision. Votre association estime que cette mesure législative est trop restrictive quand elle n'autorise les juges à s'écarter des lignes directrices que dans les cas de contrainte excessive.

Mme Seppi: Nous craignons que l'expression «contrainte excessive» n'incite que très rarement les juges à s'écarter des lignes directrices, même dans des cas apparemment injustes pour tout le monde. Les juges auront tendance à dire: «Ce n'est peut-être pas juste, mais il n'y a pas contrainte excessive, et je ne peux m'écarter des lignes directrices. La loi stipule que je dois rendre mon ordonnance conformément aux lignes directrices, à moins de contrainte excessive. Ce n'est peut-être pas juste, mais, en l'absence de contrainte excessive, c'est ainsi que je dois rendre mon ordonnance.» C'est ce que nous craignons.

M. DeVillers: Avez-vous une autre solution?

Mme Seppi: On pourrait peut-être évoquer des notions d'injustice, d'iniquité. Nous croyons que la combinaison de notions de ce genre aiderait le juge à faire la part des choses entre ce qui constitue une contrainte excessive et ce qui n'en constitue pas une.

M. DeVillers: Très bien. Mon autre question concerne l'application des ordonnances. Le projet de loi autorise Revenu Canada à communiquer des renseignements contenus dans les déclarations de revenus. Votre société estime-t-elle que c'est une atteinte à la vie privée? Émet-elle des craintes à ce sujet?

Mme Seppi: À l'heure actuelle, il y a d'autres organismes et d'autres administrations gouvernementales qui sont requis de communiquer ces renseignements et de fournir les données nécessaires pour retrouver les mauvais payeurs; nous ne voyons donc pas d'objection à ce que Revenu Canada soit ajouté à cette liste.

M. DeVillers: Cela ne vous pose pas de gros problème. Très bien. Merci.

La présidente: Monsieur Maloney.

M. Maloney (Erie): Pensez-vous, tout compte fait, que cette mesure législative réduira les litiges?

Mme Seppi: Tout compte fait, oui.

M. Maloney: C'est une bonne chose?

Mme Seppi: Oui. Je crois que plus il y aura de gens qui pourront régler leurs différends à moindres frais, obtenir des ordonnances alimentaires à moindres frais, mieux la population s'en portera. En général sous réserve de ce que j'ai dit.

M. Maloney: Pour revenir à votre suggestion, utiliser des termes comme «inéquitable» ou «carrément injuste», ou quelque chose de ce genre, n'est-ce pas ouvrir la porte à une multiplication des litiges?

.1625

Mme Seppi: Oui et non. Les contestataires contesteront au nom de la contrainte excessive. En d'autres termes, ils saisiront les tribunaux, et il y aura une période d'ajustement, de manière générale, avec la nouvelle loi, pendant laquelle les gens essaieront de démontrer qu'ils sont victimes d'une contrainte excessive. Dans certains cas s'écarter des lignes directrices semblera justifié, et les juges ne se sentiront pas limités. Dans d'autres cas s'écarter des lignes directrices ne semblera pas justifié, et les juges pourront dire à juste titre qu'il n'y a aucune raison de s'écarter des lignes directrices.

Je ne peux donc pas être certaine. Il est possible que plus de gens pourraient estimer que leur cas est particulier si on utilisait le terme «injuste», mais notre objectif est de préserver le pouvoir discrétionnaire judiciaire dans les cas qui le justifient. Quand on rédige et adopte une loi il est impossible de prévoir toutes les situations pouvant prêter à des injustices dont un juge peut être saisi. Nous ne voudrions pas que les juges soient dans l'impossibilité de s'écarter des lignes directrices dans les cas qui le justifient, pour être justes et équitables.

M. Maloney: Nous avons ici les barèmes qu'on propose pour divers problèmes et niveaux.

Mme Seppi: C'est exact.

M. Maloney: N'êtes-vous pas préoccupés par le fait que les barèmes s'appliquent aux provinces, quelles que soient les circonstances, et que l'on ne fait pas de distinction entre le Canada rural et une région urbaine comme celle de Toronto? N'êtes-vous pas préoccupés par le fait que le coût de la vie est plus élevé dans un grand centre urbain que dans une petite ville?

Mme Seppi: Cela nous préoccupe jusqu'à un certain point, oui, mais si je comprends bien - et nous acceptons la solution qu'on propose ici - , c'est fondé sur le revenu du conjoint payeur. Donc, si vous vivez dans un village de l'Ontario et gagnez 100 000 $ par année et si vous vivez avec le même salaire dans cette grande ville qu'est Toronto, vous êtes obligé d'offrir le même soutien à vos enfants, qui sont habitués au niveau de vie du village ou de la ville.

Et j'imagine qu'il serait difficile d'établir des lignes directrices selon la démographie de chaque localité. Nous comprenons pourquoi on a établi ces barèmes-ci, mais, chose certaine, il se peut qu'il y ait des situations où l'ordonnance sera trop élevée ou trop basse. Mais étant donné que c'est fondé sur le revenu du payeur, j'imagine qu'on veut ainsi apaiser cette préoccupation.

M. Maloney: Dans votre exposé, au sujet des droits de visite, vous mentionnez votre préoccupation concernant la norme de 40 p. 100. Selon ce que vous voyez dans votre pratique, dans quelle mesure les parents qui n'ont pas la garde exercent-ils leur droit de visite au-delà des 40 p. 100, ou près des 40 p. 100?

Mme Seppi: Pas si souvent que ça; peut-être dans 25 p. 100 des cas, peut-être moins. Cela dépend. Les personnes qui divorcent étant de plus en plus jeunes, on voit plus souvent les deux parents consacrer davantage de temps aux enfants, et ils demandent normalement plus de temps, qu'il s'agisse du parent qui a la garde ou du parent qui a des droits de visite, ou qu'il s'agisse d'une garde partagée. C'est peut-être parce qu'il y a plus de mères qui travaillent et plus de pères qui tiennent à jouer leur rôle de parent.

La présidente: Monsieur Bellehumeur.

[Français]

M. Bellehumeur (Berthier - Montcalm): Ma première question a trait à l'ébauche des lignes directrices élaborées par le gouvernement fédéral.

On y apprend que la table applicable sera celle de la province où réside le payeur. Dans un cas où il y aurait contradiction entre la table du Québec et celle de la province où la personne réside, on utilisera la table de la province où réside le payeur. Est-ce que vous me suivez?

[Traduction]

Mme Seppi: Il y a une différence entre les provinces, je sais, oui.

[Français]

M. Bellehumeur: Oui, oui.

Dans le cas d'une différence entre deux provinces, le fédéral privilégiera la table de la province où réside le payeur.

.1630

Je suis d'avis qu'on devrait utiliser la table de la province où réside l'enfant. Quelle est votre opinion? Quelle table devrait-on privilégier en cas de conflit, la table de la province où réside l'enfant, c'est-à-dire celle de la personne qui va bénéficier de la pension alimentaire, ou celle de la province du payeur?

[Traduction]

Mme Seppi: Si je comprends bien, on a établi le tableau en tenant compte des différences dans la fiscalité des provinces et d'autres facteurs liés au revenu du payeur.

Je comprends pourquoi vous dites que l'enfant doit recevoir un soutien conforme à ce que reçoivent les autres enfants dans sa province, de son père ou de sa mère, de celui ou de celle qui paie.

Si on me demandait de choisir, et je crois comprendre que c'est ce que vous me demandez...

[Français]

M. Bellehumeur: Oui.

[Traduction]

Mme Seppi: ...et encore là, je n'en ai pas discuté avec les membres de notre comité, et vous me demandez mon avis - selon ma pratique du droit de la famille et ma compréhension de la loi, je dois dire que la façon dont on procède est conforme, dans la mesure où toutes ces lignes directrices sont fondées sur le revenu du payeur.

Encore là, comme je l'ai dit en réponse à la question de votre collègue concernant l'écart entre le village et la grande ville, cette décision de s'éloigner des lignes directrices - par exemple, si l'enfant réside dans une province différente, on utilise le tableau de la province où l'enfant réside, et c'est alors fondé sur l'enfant, et non pas sur le payeur, ce qui est le cas à l'heure actuelle - pourrait créer des problèmes qui compliqueraient la mise en oeuvre de cette loi.

Donc, s'il doit y avoir des lignes directrices, je dirais que la façon dont on procède maintenant est probablement préférable, connaissant la façon dont les lignes directrices ont été établies. À mon avis, il faudrait repenser toutes les lignes directrices si l'on épousait votre argument, qui est à mon avis un argument valide.

[Français]

M. Bellehumeur: Dans un autre ordre d'idées, à la suite des témoignages que j'ai entendus, je vais vous demander votre opinion à titre de praticienne, bien que vous ne vous soyez probablement pas penchée sur le sujet. La Loi de l'impôt sur le revenu prévoit qu'une personne qui ne paie pas ses impôts peut se voir imposer des pénalités administratives. On sait également, pour donner l'exemple de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, qu'en vertu de l'article 49, on peut demander à la cour des dommages exemplaires si on a porté atteinte à nos droits.

Croyez-vous que le projet de loi C-41 devrait prévoir que le créancier alimentaire puisse demander des dommages ou des aliments exemplaires de la part d'un payeur fautif? Nous parlions plus tôt d'une personne en défaut délibéré qui, de façon répétitive, faisait exprès pour ne pas remplir ses obligations alimentaires. La loi devrait-elle préciser un certain mécanisme selon lequel, après tant de fois ou après que certains critères seraient atteints, une personne ayant droit à une pension alimentaire pourrait demander des dommages exemplaires pour donner finalement une leçon au mauvais payeur répétitif?

[Traduction]

Mme Seppi: C'est une question difficile. Je ne crois pas qu'on puisse y répondre dans cette loi-ci. Cela devient presque une question de pouvoir législatif, etc. Mais vous avez tout à fait raison, et je partage absolument votre préoccupation.

Je n'avais jamais vraiment pensé à inclure cela dans le projet de loi C-41, mais cela pourrait figurer dans une loi. Peut-être pas dans le C-41, par contre. Avez-vous songé à une disposition de la loi où cela pourrait figurer? Cela pourrait être dans la partie relative à l'exécution, mais les dispositions qu'on y trouve ne semblent que porter sur la consultation des fichiers et les refus d'autorisation.

.1635

[Français]

M. Bellehumeur: J'aimerais entendre votre opinion sur une possibilité que le projet de loi C-41 ne prévoit absolument pas. Cette question est vraiment hors du champs du projet de loi C-41. Je la pose après avoir entendu les points de vue qu'exprimaient aujourd'hui, la semaine dernière et il y a quelque temps, lorsque nous préparions le dossier, des personnes qui ont vécu des expériences très négatives en matière de perception de pension alimentaire. Le mari ou la femme faisait tout en son possible pour ne pas remplir ses obligations alimentaires.

Au lieu de criminaliser cette action fautive comme on nous l'a déjà demandé, ne devrait-on pas plutôt permettre l'imposition de dommages exemplaires? Quand on touche au porte-monnaie d'un individu, il comprend aussi bien que si on lui accole une étiquette de criminel pour ne pas avoir payé de pension alimentaire.

Vous l'avez bien dit, le projet de loi C-41 ne renferme aucune disposition en ce sens. Croyez-vous que pour faire avancer la cause et atteindre les objectifs que nous visons, nous devrions avoir la possibilité de demander des dommages exemplaires?

[Traduction]

Mme Seppi: Bien sûr, l'exécution relève davantage des provinces. Quant à savoir s'il devrait y avoir des dommages-intérêts exemplaires, les tribunaux jouissent de certains pouvoirs lorsque des dommages-intérêts punitifs sont réclamés, en cas de délit civil par exemple.

Il y a bien sûr des dispositions en droit, distinctes de la réforme actuelle, qui sont rarement invoquées parce que la preuve est difficile à trouver. C'est un problème qu'il faudra traiter un jour. Mais j'imagine que les provinces étudient cela plus sérieusement que le gouvernement fédéral, puisque l'exécution relève essentiellement des provinces.

La présidente: Monsieur Maloney.

M. Maloney: Un témoin a proposé de faire une infraction criminelle du manquement délibéré de verser la pension alimentaire pour enfant. Vous qui pratiquez le droit de la famille et qui voyez les deux côtés de la médaille, qu'en pensez-vous? Est-ce une bonne ou une mauvaise idée? Quelles seraient vos réserves?

Mme Seppi: Tout d'abord, je ne crois pas que cela relève du droit pénal. Ce ne devrait pas être une infraction au code pénal, mais c'est évidemment une des façons dont le gouvernement fédéral pourrait contourner le problème de la compétence législative.

Je pense qu'on va un peu trop loin. C'est mon avis à moi. Par contre, je n'ai pas entendu les arguments du témoin et je ne sais pas exactement quel est son raisonnement.

M. Maloney: C'était un exposé très détaillé, mais je voulais savoir ce que vous pensiez de l'idée de l'exécution - il y a une loi semblable aux États-Unis. Pensez-vous que cela serait efficace, parce qu'aujourd'hui nous avons d'énormes difficultés d'exécution? Ce serait une solution plutôt radicale, mais au moins ce serait une solution.

Mme Seppi: Peut-être, mais cela va beaucoup plus loin que ce qui existe dans la loi aujourd'hui.

M. Maloney: Merci.

La présidente: Madame Jennings, vous avez cinq minutes.

Mme Jennings: J'aimerais revenir sur quelque chose que vous avez dit. Je n'ai pas très bien compris si vous pensez qu'il y a une différence entre... D'après le tableau, dans le cas d'une pension pour deux enfants, à l'Île-du-Prince-Édouard, en Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve, au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique, il n'y a pas beaucoup d'écarts malgré la différence du coût de la vie. Je crois vous avoir entendu dire que cela ne causait pas trop de difficultés.

À l'Île-du-Prince-Édouard, le conjoint qui verse la pension pour deux enfants paierait 565 $, même chose en Nouvelle-Écosse, et ce serait 567 $ en Ontario. Il n'y a que deux dollars de différence; pourtant le loyer et les produits de première nécessité coûtent beaucoup plus cher.

.1640

N'est-ce pas une grosse lacune de ne pas avoir tenu compte de ces écarts à la grandeur du pays?

Mme Seppi: Oui, je crois que c'est grave. La question est de savoir quel objectif le gouvernement poursuit grâce à ces lignes directrices.

L'une des difficultés, c'est qu'il y travaille depuis trop longtemps. Il a effectué ses recherches et examiné différentes méthodes de calcul, etc. Les citoyens et les avocats en droit de la famille attendent ces lignes directrices depuis longtemps. Il y a longtemps qu'elles ont été promises.

Dans sa sagesse, le gouvernement a aussi créé un comité sur le droit de la famille, ce qui fait que l'avant-projet de loi a fait l'objet d'un examen par beaucoup de gens au pays.

C'est une question qui a été soulevée, l'uniformité d'application. Cela touche également l'autre question du député concernant l'application des lignes directrices de sorte que l'enfant qui a déménagé dans une autre province reçoive ce dont il a besoin dans la nouvelle province.

Je reconnais que ce sont tous des arguments valables. En revanche, faut-il consacrer encore deux ans d'étude au problème? C'est pourquoi je pense qu'il vaut mieux adopter les lignes directrices, quitte à les revoir plus tard pour déterminer ce qui existe comme disparités à la grandeur du pays. Mais vous avez tout à fait raison: l'application ne sera pas la même partout.

Mme Jennings: C'est précisément ce que je pense, et c'est pourquoi je pense qu'une entente conclue au préalable entre les conjoints est une question importante. Si c'est une solution qui convient, retenons-la, et n'invoquons cette disposition-ci qu'en cas d'urgence, parce que cela ne règle pas le problème.

Mme Seppi: C'est en quelque sorte ce qui va se passer, sauf que ces lignes directrices vont devenir un jeton de marchandage au moment des négociations, en ce sens que l'un des deux attendra pour obtenir le montant prévu aux lignes directrices ou l'autre refusera d'aller au-delà du montant prévu, même s'ils négocient une entente où ils pourraient aller au-delà de ce qui est prévu.

Mais, dans d'autres cas, les intéressés seront tout à fait disposés à s'entendre. Ils pourraient très bien régler toutes ces questions, mais seulement au moyen d'une entente. Or, ces ententes seront plus difficiles à obtenir lorsque les lignes directrices auront été votées.

Mme Jennings: C'est vrai. Merci.

La présidente: Je ne crois pas qu'il y ait d'autres questions.

Je vous remercie beaucoup d'être venue ici et d'avoir montré une fois encore l'excellence de l'Université de Windsor. Voilà, c'est dit. On le dit souvent, remarquez. Ne pensez surtout pas que c'est la première fois que je fais l'éloge de l'Université de Windsor.

Des voix: Oh, oh!

La présidente: Merci beaucoup.

Nous allons lever la séance. Nous allons revenir à 19 heures, salle 371, pour une soirée très intéressante.

La séance est levée.

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