[Enregistrement électronique]
Le 1er novembre 1996
[Traduction]
La présidente: Bonjour.
Nous accueillons ce matin Nancy Kinsman, présidente de la Société pour l'enfance et la jeunesse de la Colombie-Britannique, Gary Manson, coordonnateur de la jeunesse pour municipalité de Burnaby, Bill McFarland, conseiller sur la législation et les services de la famille, et Valerie Fronczek, qui fait partie du personnel de la Société.
Bienvenue à tous. Vous avez la parole, après quoi nous aurons une période de questions.
Mme Nancy Kinsman (présidente, Comité de la justice pour les jeunes, Société pour l'enfance et la jeunesse de la Colombie-Britannique): Bonjour, madame la présidente.
Je suis présidente du Comité sur la justice des jeunes de la Société pour l'enfance et la jeunesse de la Colombie-Britannique.
La Société a été créée en 1974 et elle se consacre depuis lors à la défense des droits des enfants. Nous nous considérons comme un groupe multidisciplinaire dans la mesure où nous représentons plus d'une cinquantaine d'organisations différentes. Nous avons 300 bénévoles actifs dans toutes sortes de domaines reliés aux services sociaux.
En 1994, comme la presse s'intéressait énormément au problème de la violence des jeunes, notre conseil d'administration a décidé de mettre sur pied un comité dont le rôle serait en quelque sorte d'être le porte-parole des enfants. Nous avions en effet le sentiment que la presse, qui réagissait aux cas extrêmes de violence de jeunes, diffusait une image négative de toute la jeunesse.
Le comité a donc été constitué en 1994 et a continué son travail jusqu'en 1994. Cela l'a amené à préparer son Exposé de principe no 5, dernier document qu'il ait produit pour la Société. Je crois comprendre que vous en avez tous reçu un exemplaire; c'est le document à bande jaune qui porte sur la justice pour les jeunes.
Comme je sais que la lecture d'un long document peut être fort ennuyeuse, je vais me contenter d'en présenter les éléments essentiels.
Je tiens à préciser tout d'abord que nous estimons, à la Société, que la défense des droits des enfants peut prendre de très nombreuses formes, allant des recherches sur les besoins des enfants jusqu'aux campagnes d'éducation, aux programmes sociaux et aux analyses de politique.
Nous agissons aux deux paliers de gouvernement, provincial et fédéral, pour faire connaître notre position sur les textes de loi, comme la Loi sur la preuve au Canada, afin que les intérêts des enfants puissent être pris en considération par l'appareil judiciaire. Nous avons récemment participé activement aux modifications qui ont été apportées à la législation provinciale sur l'enfance et la famille, ainsi qu'à des changements concernant le bien-être des enfants.
Notre mémoire porte avant tout sur la prévention primaire, dont votre comité a déjà beaucoup entendu parler si je ne me trompe. Je lisais récemment que l'une des méthodes envisagées par notre province pour réduire ses dépenses consisterait à loger les détenus deux par cellule. À notre avis, cela ne saurait être une mesure positive.
Il suffit d'aller voir les établissements de détention locaux, comme notre Centre de détention des jeunes, pour voir quelle est déjà la situation actuelle. Cet établissement est surpeuplé et l'on y trouve de très jeunes enfants.
Allez au palais de justice - je vous le recommande vivement - pour voir l'âge d'enfants qui risquent d'être incarcérés. Vous y verrez des enfants qui peuvent avoir treize ans mais qui semblent n'en avoir que sept. La plupart d'entre eux n'ont rien d'effrayant, bien au contraire, ils sont terrifiés.
Voilà pourquoi nous mettons l'accent sur la prévention primaire. Nous considérons que la violence des jeunes est un problème mondial, et je crois que votre comité devrait adopter la même position. C'est un problème qui a de nombreuses causes auxquelles il faut s'attaquer directement si l'on veut aider les jeunes.
Évidemment, l'économie joue un rôle très important dans le développement des enfants. On constate aujourd'hui que la structure familiale change à cause de facteurs économiques. Voyez également le phénomène de la pression des pairs. Beaucoup d'études ont été consacrées aux conséquences des changements de la structure familiale, et l'on y retrouve encore une fois des facteurs économiques.
La Société ne veut pas mettre l'accent uniquement sur tel ou tel de ces facteurs en disant que c'est la seule cause de la violence des jeunes, et elle ne prétend pas non plus avoir toutes les solutions à un problème de portée mondiale. Cela dit, nous pensons que la bonne méthode ne consiste pas à changer les textes de loi morceau par morceau à cause des pressions exercées par divers groupes d'intérêts ou à cause de la peur qui règne dans la société, mais plutôt à adopter une approche holistique.
De fait, j'estime, et c'est sans doute aussi l'avis de la Société, que l'on aurait dû adopter cette démarche avant d'apporter des modifications quelconques à la Loi, afin de ne pas intervenir de manière ponctuelle dans la vie des enfants et des adolescents au sein d'un forum pour adultes qui n'a pas d'objectifs à long terme clairs.
Il nous faut des solutions axées sur les préoccupations particulières des jeunes, que l'on ne peut en aucun cas considérer comme des adultes. Ce n'en sont pas. Bien des études l'ont montré. Ils n'ont pas assez de maturité pour être traités comme des adultes. On ne peut donc les tenir responsables de leurs actes de la même manière qu'on le fait avec les adultes, surtout lorsqu'il s'agit de justice pénale.
Il faut par ailleurs comprendre que bon nombre de jeunes contrevenants ont eux-mêmes été victimes de violence, et bien des organismes de notre société se penchent sur cette question.
Je vais maintenant vous adresser les cinq recommandations que nous avons formulées à l'intention de votre comité, du gouvernement et de tous les secteurs de la société.
Premièrement, nous recommandons que tous les paliers de gouvernement redoublent d'efforts afin d'appuyer les familles ayant de jeunes enfants dans l'importante tâche d'élever ces enfants. Il est très important d'évaluer les effets à long terme des coupures budgétaires envisagées, surtout les effets sur la violence qui sont souvent à l'origine de la criminalité des jeunes.
Deuxièmement, nous recommandons que l'on fasse tout ce qui et possible pour encourager les collectivités à favoriser la participation des jeunes à la prise de décisions et pour contribuer à l'instauration d'un milieu social plus convivial et plus accessible. Notre Société se penche actuellement sur des solutions telles que des logements pour les enfants et divers mécanismes permettant d'exprimer les intérêts des enfants, notamment le recrutement d'enfants et d'adolescents au sein de notre personnel et de notre conseil.
Troisièmement, nous recommandons que l'on encourage la planification des programmes axée sur les quartiers, en prenant de préférence l'école comme élément central. Cela faciliterait l'intégration des services destinés aux enfants et augmenterait leur accessibilité. Je crois comprendre que le Québec peut être considéré comme un exemple en la matière.
Il faut que la représentation de la violence dans les médias soit limitée le plus possible. C'est là une question dont notre Société a beaucoup entendu parler, et c'est d'autant plus important à l'ère de l'informatique.
Finalement, nous souhaitons que des programmes scolaires de prévention de la violence soient mis en oeuvre et maintenus dans toutes les classes scolaires. Bien souvent, ces programmes sont lancés puis on les abandonne. On lance un programme de gestion des conflits, on tient une session et puis c'est tout.
C'est sur la prévention primaire que nous tenons avant tout à attirer l'attention du comité.
Quand on dit aujourd'hui qu'un enfant ou un adolescent a commis un crime, il faut bien comprendre que la notion de «crime» a changé au cours des années. Ce qui pouvait être autrefois considéré comme une sorte de chahutage est aujourd'hui jugé criminel, ce qui fait que des enfants se retrouvent devant les tribunaux à cause des réactions des adultes.
Le comité doit savoir par ailleurs que le Canada a besoin de programmes de réadaptation efficaces, fondés sur des recherches sérieuses afin de savoir pourquoi certains ont du succès et d'autres non, car ceux qui échouent produisent souvent des criminels endurcis. Je fais allusion ici aux adultes qui deviennent des criminels endurcis. Il est clair que, lorsqu'un enfant est étiqueté, il commet souvent d'autres infractions à l'âge adulte.
Je vous invite également à examiner les recommandations 6 à 10 que vous trouverez dans notre mémoire.
Il faut que le système de justice pour les jeunes continue d'être fondé sur l'idée que les jeunes contrevenants peuvent être réadaptés, ce qui n'est pas nécessairement le principe fondamental en ce qui concerne les criminels adultes.
Il faut que le ministère de la Justice fasse preuve de leadership en matière de création de partenariats entre les gouvernements, les employeurs et les collectivités locales, dans le but de favoriser l'élaboration d'un système exhaustif de programmes de justice pour les jeunes répondant à tout l'éventail de besoins des jeunes contrevenants. Il conviendrait par ailleurs de mettre l'accent sur les programmes destinés aux contrevenants ayant commis leur première infraction et qui peuvent être terrifiés. Il pourrait s'agir par exemple de programmes communautaires ou de programmes de déjudiciarisation, comme le programme Maple Ridge mis en oeuvre dans notre province. Mes collègues pourront vous donner des précisions là-dessus si vous voulez.
Huitièmement, il faut offrir un plus grand nombre de mesures de déjudiciarisation en mettant l'accent sur l'élaboration de divers programmes d'aide en résidence - en pleine nature, en milieu rural ou urbain, pour des groupes d'âge différents, pour les groupes culturels et pour les deux sexes. Je mentionne à titre d'exemple la Cariboo Action Training Society, au sujet de laquelle vous avez déjà des informations. C'est un programme qui connaît beaucoup de succès.
Il faudrait que les services récréatifs et les autres services communautaires soient plus étroitement intégrés aux programmes correctionnels, notamment en ce qui concerne les jeunes ayant commis leur première infraction, de façon à réduire les risques de récidive.
Il faudrait assurer l'intégration efficace des services de protection de l'enfance, des services de santé mentale et des services correctionnels pour les jeunes, afin de faciliter l'intervention précoce et d'assurer la continuité des programmes. Cette politique est appliquée au Québec, au Nouveau-Brunswick et par notre nouveau ministère de l'Enfance et de la famille, en Colombie-Britannique. Notre modèle n'est pas fondé sur l'idée qu'il faut résoudre tout en même temps mais plutôt commencer à petite échelle, avec quelque chose qui soit gérable, avant de passer à l'étape suivante.
Finalement, en ce qui concerne la Loi sur les jeunes contrevenants, nous ne recommandons pas de modification. Nous tenons cependant à souligner qu'il est urgent d'y intégrer tous les éléments de la Convention relative aux droits de l'enfant. Nous abordons dans notre mémoire les articles 37 et 40, et nous avons apporté avec nous des exemplaires de la Convention si vous en avez besoin. Cette Convention a été ratifiée en 1991 par 170 pays.
Les propositions qui ont été faites pour abaisser l'âge auquel une personne est considérée comme un enfant, en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, vont à l'encontre de la Convention des Nations Unies qui souligne qu'il faut faire une distinction très nette entre les enfants et adolescents et les adultes. Comme les enfants n'ont pas le même niveau de maturité que les adultes, il ne saurait être question de les traiter dans des établissements pour adultes. Il convient par ailleurs de les traiter avec dignité.
Notre Société se veut le porte-parole des enfants là où ils ne peuvent se faire entendre, ce qui est notamment le cas de l'appareil judiciaire. Ce sont souvent des adultes qui s'expriment pour les enfants, devant des juges adultes, et il n'est pas rare que les besoins des enfants soient laissés pour compte dans un système qui a été structuré et créé par des adultes.
Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Quelqu'un d'autre veut-il ajouter une remarque?
Sinon, nous allons ouvrir la période des questions en accordant d'abord dix minutes à M. Ramsay.
M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.
Je souhaite la bienvenue aux témoins de ce matin, en les remerciant d'être venus s'adresser au comité.
Vous savez que notre rôle est d'examiner les deux volets du problème. Il y a donc d'un côté le secteur qui vous préoccupe, c'est-à-dire les programmes de prévention qui empêcheraient les jeunes d'avoir des démêlés avec la justice, mais il y a aussi l'autre volet, qui est celui des établissements de détention. Nous en avons eu un exemple récemment en visitant l'établissement de détention d'Edmonton, où il y a près de 170 personnes dont 35 sont en quelque sorte des causes célèbres.
Je vais vous donner quatre, cinq, six ou sept exemples des raisons pour lesquelles ces personnes ont été incarcérées.
Les voici: meurtre dans un restaurant, commis par un jeune contrevenant; meurtre d'un chauffeur de taxi; meurtre, tout simplement, sans autre précision; meurtre d'un enfant de neuf ans commis par son frère nourricier; homicide pendant un vol par effraction, c'est-à-dire que le jeune contrevenant qui commettait ce vol a assassiné quelqu'un; autre homicide pendant un autre vol par effraction, puis encore un autre dans les mêmes circonstances; meurtre d'un chauffeur de taxi et de sa cliente; voies de fait commises contre le personnel d'un établissement de détention fermé et deux tentatives de prise d'otages auprès d'employés.
Si je comprends bien, notre rôle est d'adresser des recommandations au ministre de la Justice pour que l'on accorde plus d'attention et de ressources à l'identification précoce et à la prévention du crime. Nous nous sommes laissés dire que l'on peut repérer les signes d'agressivité dès l'âge de 18 à 30 mois.
Si nous décidions de consacrer à ces domaines une plus grande partie des 9 milliards de dollars que nous coûte l'appareil judiciaire, nous pourrions peut-être réduire le nombre de jeunes ayant des démêlés avec la justice. Cela dit, que devrions-nous faire des jeunes contrevenants qui passent dans les mailles du filet et qui commettent des crimes horribles de meurtre, de viol ou de voies de fait graves? Que faire de ces jeunes à la fin de leur incarcération s'ils n'ont pas profité des bons programmes de réadaptation qui sont mis à leur disposition?
Nous avons visité certains établissements de détention où nous avons trouvé d'excellents programmes. Nous avons demandé à certains jeunes contrevenants ce qu'ils pensaient de ces programmes et s'ils leur étaient utiles. Certains ont dit que oui mais d'autres ont affirmé que ça ne servait à rien. Leur attitude montre qu'ils n'ont aucunement l'intention de changer de comportement ni de chercher de l'aide à cette fin. Que pouvons-nous donc faire de ces jeunes contrevenants à la fin de leur période d'incarcération s'ils constituent encore un risque élevé pour la Société? Et je dois dire que le même problème se pose également pour certains adultes. Voilà le dilemme auquel nous sommes confrontés.
Il faut trouver un équilibre entre ces deux objectifs: assurer la réadaptation de ceux qui ont des démêlés avec la justice, ainsi que la prévention et l'identification précoce, mais sans oublier de chercher des solutions pour ceux qui n'ont pas été réadaptés et qui ont prouvé par leurs actes qu'ils constituent un danger pour nos enfants et pour les membres innocents de la société.
C'est précisément cet équilibre que je recherche, entre ces deux objectifs différents, de façon à faire preuve de justice envers nos enfants et aussi à garantir la sécurité de la société face à ces jeunes qui, pour des raisons variables, commettent des actes de violence.
Après avoir fait ces remarques, j'aimerais vous poser quelques questions car je n'ai que dix minutes. On voudrait toujours poursuivre les discussions avec les témoins mais, malheureusement, nous devons nous limiter à dix minutes.
Vous dites qu'il ne devrait pas y avoir de transfert automatique devant les tribunaux pour adultes. Êtes-vous donc en désaccord avec les dispositions du projet de loi C-37 qui permettent ce transfert?
Mme Kinsman: Oui. Notre position reflète les articles 37 et 40 de la Convention des Nations Unies.
M. Ramsay: Bien. Êtes-vous d'accord ou non avec les autres modifications apportées par le projet de loi C-37, à savoir l'alourdissement des peines en cas de meurtre?
M. Gary Manson (membre, Comité de la justice pour les jeunes, Société pour l'enfance et la jeunesse de la Colombie-Britannique): Je voudrais revenir sur votre présentation générale du problème. J'ai travaillé pendant un certain temps dans des établissements de détention ouverte et des établissements de détention fermée pour jeunes contrevenants. Je me suis également occupé de programmes communautaires pour des adolescents.
Lorsque j'ai été affecté à l'unité des grands délinquants, en Colombie-Britannique, je me suis occupé de gens qui avaient commis des meurtres et d'autres actes aussi graves. J'ai trouvé cela très intéressant. Parfois, je devais accueillir dans mon unité un jeune dont j'avais entendu parler le soir à la télévision ou dont des amis ou d'autres connaissances m'avaient relaté les actes horribles. Il est vrai que certains de ces crimes sont horribles, mais il y a beaucoup de choses au sujet de ces jeunes que le public ne connaît pas. Il y a tout un passé dont on tient rarement compte. Certains d'entre eux peuvent avoir de graves problèmes émotifs ou psychologiques qui ont contribué en partie à leur comportement. Il faut donc traiter chaque cas séparément.
Je dois dire aussi que je suis personnellement moins préoccupé par certains de ces jeunes que par d'autres que j'estime être des nuisances permanentes pour leur collectivité. Il y en a certains que je n'aborderais qu'avec beaucoup de prudence.
Il est vrai qu'il faudrait dans certains cas imposer des peines d'incarcération plus longues pour assurer la protection de la société, mais cela ne saurait être une politique générale à l'égard de tous les jeunes contrevenants. Je dis cela en me fondant sur l'expérience que j'ai acquise en travaillant de très près avec certains des jeunes contrevenants les plus dangereux de la Colombie-Britannique.
Mme Kinsman: C'est également notre position. Nos recherches ont montré que le nombre d'homicides commis par les jeunes n'augmente pas. Certes, il y a des cas tout à fait particuliers, il y a des causes célèbres, mais la situation générale ne change pas dans la population. C'est au chapitre de la criminalité contre les biens que les choses changent. Comme je le disais plus tôt, la définition des actes criminels change elle aussi. Par exemple, ce qui pouvait être considéré autrefois comme du simple vol à l'étalage, sur lequel on pouvait fermer les yeux, devient aujourd'hui un acte criminel pour lequel le jeune est traîné devant les tribunaux.
Vous avez parlé dans votre question des infractions qui sont commises à l'intérieur des centres de détention - et je sais que M. Manson pourrait lui aussi vous en parler. Cependant, si vous avez visité les centres de détention, il doit vous être facile de comprendre pourquoi les jeunes réagissent. Ces établissements sont surpeuplés, tout comme ceux des adultes. Cela engendre de nouveaux conflits et crée de nouveaux problèmes. Il arrive parfois qu'un jeune ayant commis une première infraction soit incarcéré avec des jeunes qui sont des criminels endurcis.
Vous nous avez présenté deux catégories de jeunes contrevenants. Certes, il y en a dont le cas est tout à fait unique, mais il y en a probablement d'autres dont nous serions tout à fait étonnés d'apprendre le passé et ce qu'ils ont subi. Et, bien sûr, il y a ceux qui commettent des infractions qui résultent du fait même qu'ils sont incarcérés.
Notre position est que l'incarcération engendre plus de problèmes, surtout si l'on applique le modèle des adultes. Nous savons parfaitement que ce modèle ne fonctionne pas. Nous disons qu'il faut libérer ces individus dans la société, et la société a peur des adultes.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci.
Monsieur Maloney, vous avez dix minutes.
M. Maloney (Erie): Merci.
J'aimerais revenir aux recommandations que vous avez faites. Dans la deuxième, vous recommandez que l'on fasse tout ce qui est possible pour encourager les collectivités à favoriser la participation des jeunes à la prise de décisions et à contribuer à l'instauration d'un milieu social plus convivial pour les jeunes et plus accessible.
Pourriez-vous préciser cette recommandation? Qu'entendez-vous précisément quand vous parlez de participation des jeunes à la prise de décisions, et de milieu social plus convivial?
M. Manson: Je vais vous répondre en vous parlant du travail que j'ai fait dans ma propre municipalité. Nous avons effectué beaucoup de recherches sur cette question précise. Je crois que beaucoup de gens qui s'occupent de programmes communautaires voudraient que cela soit un principe reconnu dans toutes nos collectivités. Les recherches montrent clairement que c'est là un élément clé des programmes couronnés de succès. Autrement dit, les programmes ont plus de chances de succès si les jeunes participent aux décisions qui les concernent. Il y a longtemps qu'on le sait.
Je peux en parler d'après mon expérience personnelle. En effet, j'ai constaté moi-même que les programmes dont je me suis occupé et pour lesquels les jeunes participaient vraiment à la prise de décisions, avec l'aide des adultes, connaissent beaucoup de succès. En outre, ce succès ne concerne pas que le produit final, qui est important pour la collectivité, mais aussi le processus même auquel participent les jeunes, parce qu'il est très constructif. En participant à la prise de décisions, les jeunes acquièrent quelque chose de plus qu'ils pourront utiliser pendant toute leur vie. Ils apprennent à prendre des décisions en faisant preuve d'un meilleur jugement.
M. Maloney: Vous parlez dans votre septième recommandation de la création de partenariats entre les différents paliers de gouvernement, les employeurs et les collectivités locales. En outre, vous évoquez particulièrement dans ce contexte les programmes communautaires de déjudiciarisation pour les jeunes ayant commis leur première infraction. Pourriez-vous nous donner des exemples de tels partenariats qui pourraient être souhaitables?
M. Bill McFarland (membre, Comité de la justice pour les jeunes, Société pour l'enfance et la jeunesse de la Colombie- Britannique): Je m'occupe de questions de criminalité des jeunes et d'auto-protection des jeunes contrevenants depuis 1949; j'ai donc une longue expérience de ce domaine. Depuis cinq ans, je suis le président d'un centre de traitement d'adolescents drogués ou alcooliques et je puis vous dire que nous avons un taux de succès de 60 p. 100 dans nos activités. Ce pourcentage correspond aux enfants qui ne retombent jamais dans leur assuétude, que ce soit à la drogue ou à l'alcool.
Le problème est que nous sommes presque totalement financés par le ministère de la Santé de la province et que nous n'avons pas assez de places. Nous avons actuellement une liste d'attente sur laquelle il y a 35 noms d'enfants qui ont besoin de traitement pour un problème d'alcool ou de drogue. Il est impensable que nous soyons obligés de leur dire que nous ne pourrons pas nous occuper d'eux avant mai prochain. Or, c'est ce que nous devons dire aujourd'hui aux adolescents qui se présentent à nous pour que nous les aidions à liquider leur problème de drogue ou d'alcool.
Je me suis occupé d'un programme qui s'appelait «Parents en crise» et qui était destiné à identifier les parents qui commençaient à se comporter de manière violente envers leurs enfants. Nous avons cinquante groupes répartis dans toute la province et je fais partie du conseil d'administration depuis une vingtaine d'années. Croyez-moi, les changements que nous constatons chez les parents qui bénéficient de l'aide de ce programme sont tout à fait remarquables. Je parle de parents qui se mettent à collaborer avec les autres et à travailler dans leur collectivité.
Lorsque des parents commencent à se comporter de manière violente envers leurs enfants, il n'est pas rare que ces derniers aboutissent dans la délinquance. Dans certains cas, nous avons réussi à intervenir avant cette étape. Lorsque des parents nous disent qu'ils commencent à mal se comporter et qu'ils ont besoin d'aide, nous leur donnons cette aide. Et nous avons beaucoup d'autres programmes de ce genre.
Celui dont je m'occupe le plus - puisque M. Ramsay avait donné un exemple de l'Alberta - concerne les adolescents qui commettent des crimes à caractère sexuel. Croyez-moi, beaucoup d'études ont été consacrées à ce problème. Selon des statistiques américaines, si l'on ne parvient pas à aider le contrevenant sexuel à l'âge de 14 ans ou de 15 ans, il va probablement molester au moins 30 enfants dans les années qui suivront. Cette question a fait l'objet d'études très précises aux États-Unis et au Canada. Cela veut dire qu'il faut commencer à traiter les contrevenants sexuels dès l'âge de 14 ans ou de 15 ans si l'on veut éviter qu'ils ne deviennent des pédophiles à l'âge adulte.
Il existe en Alberta trois programmes tout à fait excellents pour traiter ce genre d'enfant, et ils ont un taux de succès remarquable. Je sais qu'il y a aussi des programmes semblables au Manitoba et à Toronto. Celui de la Colombie-Britannique connaît beaucoup de succès. On va bientôt publier une étude portant sur six années de fonctionnement du programme de la Colombie- Britannique, et l'on y constatera que le pourcentage d'enfants qui ont été traités pendant cette période et qui ont commis ensuite des sévices sexuels contre de plus jeunes enfants est extrêmement faible. Les données de ce projet de recherche sont tout à fait remarquables.
Cela répond-il à votre question?
M. Maloney: Mme Kinsman a dit qu'il y a une cinquantaine de groupes différents au sein de votre organisation. M. McFarland en a mentionné quelques-uns mais j'aimerais avoir quelques précisions sur les autres. Je suis sûr qu'il y en a plusieurs qui sont excellents.
M. McFarland: Je fais aussi partie du conseil d'administration de la Société Elizabeth Fry, qui offre des programmes de traitement de l'alcoolisme et de l'usage de drogue dans des établissements de formation.
Nous avons également trois grands programmes d'intervention communautaire, dont un concernant les collectivités hindoues et chinoises, pour des parents qui ont des difficultés à élever leurs enfants et qui souhaitent obtenir de l'aide. Ces programmes sont exploités par la Société Elizabeth Fry de la Colombie-Britannique et connaissent eux aussi beaucoup de succès.
L'un des programmes les plus intéressants que vous pourriez examiner est celui de la Société d'aide à l'enfance de la région de Toronto dans le cadre duquel on suit attentivement les mères qui commencent à commettre des sévices envers leurs enfants presque dès la sortie de l'hôpital, après l'accouchement. La Société a mis sur pied un programme remarquable qui lui permet d'intervenir auprès de ces mères grâce aux informations fournies par des infirmières, avant que les choses ne dégénèrent. Ce programme est exceptionnel.
M. Maloney: Vous dites également que l'on ne devrait pas diffuser «largement» dans la presse l'identité des jeunes contrevenants. Que voulez-vous dire par «largement»? Voulez-vous dire que le nom ne doit jamais être diffusé ou que cela est parfois acceptable?
Mme Kinsman: Notre position est qu'on ne devrait jamais diffuser l'identité d'un jeune contrevenant. Donc, le mot «largement»...
M. Maloney: Devrait être rayé je suppose?
Mme Kinsman: ...devrait être éliminé de ce document.
Je sais bien qu'il y a un phénomène de peur individuelle ou sociale, mais ce n'est pas le seul facteur à prendre en considération. J'ai vu qu'un journal local de ma collectivité signale désormais une fois par semaine tous les vols par infraction qui ont été commis dans la région. Il publie une carte de la collectivité en indiquant le nombre de vols par infraction, d'incendies, d'accidents, etc. Ce genre de choses ne fait qu'accroître la peur collective.
D'après nous, les choses n'étaient sans doute pas très différentes il y a une vingtaine d'années. Par contre, en diffusant ce genre d'information, aujourd'hui, on contribue à la peur des collectivités locales. De ce fait, la société pense qu'elle doit réagir. La presse ne fait qu'entretenir la peur des citoyens au sujet des jeunes contrevenants.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Manson.
M. Manson: Je voudrais moi aussi mentionner plusieurs études, madame la présidente, en réponse à votre question sur la septième recommandation et sur ce que nous disions au sujet des programmes de prévention pour les adolescents ayant commis une première infraction. En effet, plusieurs études ont montré que le degré de risque et le taux de récidive des adolescents qui ont commis une première infraction diminue considérablement si l'on peut intervenir immédiatement avec des programmes constructifs plutôt qu'en prenant des mesures radicales. En revanche, il est vrai que certaines de ces études portent à croire que l'intervention plus radicale peut être nécessaire pour les jeunes contrevenants jugés les plus dangereux. C'est un peu le revers de la médaille. À mes yeux, en tout cas, cela souligne l'importance d'adopter des mesures positives dès la première infraction.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Merci, madame la présidente.
J'aimerais revenir sur ce que l'on disait au sujet de ne jamais divulguer les noms des jeunes contrevenants. Que pensez-vous des cercles sentenciels, où cette notion de non-divulgation disparaît complètement? Autrement dit, que pensez-vous de l'adoption de cette méthode dans les petites collectivités où quasiment tout le monde est au courant lorsqu'un jeune commet un crime?
Je sais qu'on ne peut pas adopter les mêmes mesures partout, du fait de la composition de notre pays. Nous sommes allés dans de toutes petites collectivités, surtout dans les régions du Nord, où tout le monde est au courant lorsqu'un crime est commis. Là-bas, si le jeune contrevenant est étiqueté, et si cela doit avoir des effets négatifs, c'est pratiquement inévitable, et ça n'a rien à voir avec les médias.
Que pensez-vous par ailleurs du jeune contrevenant qui est libéré et qui constitue encore une menace? Je songe au cas d'un contrevenant sexuel. Que pensez-vous de cette dame qui nous a dit qu'elle ne voudrait pas... C'est une dame qui faisait garder ses enfants par des jeunes de 15 à 16 ans. Comment peut-elle avoir l'assurance qu'elle ne va pas recruter un jeune contrevenant si elle ne sait pas qui a été condamné ou qui a commis des sévices sexuels dans sa collectivité?
D'aucuns ont recommandé au comité que l'on ne diffuse dans les médias que les noms de ces cas spéciaux, dans l'intérêt de la protection du public, ce qui irait à l'encontre des dispositions de non-divulgation de la Loi. Qu'en pensez-vous?
Mme Kinsman: Je vous dirais simplement ceci: que faites-vous dans le cas d'un adulte que vous recrutez? Autrement dit, l'âge de la personne n'a rien à voir à l'affaire. C'est un risque que nous prenons à titre de parent, en ayant la responsabilité de nous protéger le mieux possible. Je ne pense pas que diffuser les noms des enfants, ce qui ne ferait qu'aggraver leur stigmatisation sociale, va nous protéger ou va protéger cette mère. Cela aura seulement pour effet de stigmatiser les jeunes sans produire quoi que ce soit de positif du point de vue de la réadaptation.
Nous venons d'entendre des membres de comités qui ont fait des études auprès de jeunes de14 ans et de 15 ans et qui sont parvenus à la conclusion que la société se sentirait peut-être plus en sécurité si les jeunes contrevenants pouvaient continuer de bénéficier de programmes après avoir purgé leur peine.
M. Ramsay: Vous n'êtes donc pas d'accord avec ce qui se passe dans les cercles sentenciels, c'est-à-dire dans les collectivités autochtones, où la notion de non-divulgation des noms semble être abandonnée, au moins dans une certaine mesure?
Mme Kinsman: Mais, si je comprends bien, cela n'a rien à voir avec les médias.
M. Ramsay: Non, mais cela n'a aucune importance. Si j'ai cette information, je peux m'en servir pour protéger mes enfants.
Mme Kinsman: Nous ne prétendons certainement pas que les noms des contrevenants ne peuvent jamais être connus, que ce soit dans de petites ou dans de grandes collectivités, par toutes sortes de moyens que nous ne pouvons contrôler. Notre seule recommandation est que l'on ne diffuse pas les noms dans les journaux. Il est temps de comprendre que la diffusion des noms dans les journaux n'est pas un bon moyen pour protéger la société.
M. Ramsay: Merci, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur Ramsay.
Madame Cohen.
Mme Cohen (Windsor - Sainte-Claire): Avez-vous réfléchi à la limite d'âge, qui est 12 ans au minimum et 17 ans au maximum? D'aucuns pensent que l'on ne devrait fixer aucune limite de ce genre, l'application de la loi devant dépendre uniquement de la nature du crime, pas de l'âge du criminel. D'autres pensent que l'on devrait fixer un autre âge arbitraire, comme 10 ans au lieu de 12. Au Québec, je crois comprendre que l'on estime que la limite de 12 ans est beaucoup trop basse. Dans certaines régions de l'Ouest, on pense que l'âge maximum devrait être 16 ans.
Avez-vous réfléchi sérieusement à cela? Deuxièmement, que pensez-vous des relations existant entre l'appareil de justice pénale pour les jeunes et le système d'aide à l'enfance?
M. Manson: Je ne pense pas qu'il faille abaisser la limite d'âge. Quant à savoir s'il faudrait la relever, je n'y ai pas sérieusement réfléchi. Je ne sais pas si nous en avons beaucoup discuté au sein de la Société. Je crois cependant pouvoir dire, au nom de notre comité, qu'il ne faut pas abaisser la limite d'âge.
Vous savez, c'est une question extrêmement complexe. Ayant travaillé aussi bien avec des jeunes très dangereux qu'avec d'autres ne présentant pas de risque élevé, je parle d'expérience. Certes, on peut bien rencontrer un jour ou l'autre un enfant de 10 ans ou de 11 ans qui est beaucoup plus mûr que les autres mais, si notre objectif est d'assurer le bien-être des jeunes dans leur ensemble, je crois qu'il est préférable de ne pas les placer dans un tel environnement. Cela reviendrait à attribuer à l'appareil judiciaire des responsabilités qu'il est peut-être mal placé pour assumer et qui devraient peut-être rester des responsabilités de la famille, des parents, de l'État, des agences sociales ou des organismes de bien-être social.
Je pense que ce serait un dangereux précédent que de soumettre de jeunes enfants aux procédures de l'appareil de justice pénale. Je ne vois pas en quoi cela pourrait leur être bénéfique. Si nous ne sommes pas capables d'être plus efficaces avec eux à cet âge, en leur offrant de meilleures options, c'est que toute la société a un problème beaucoup plus grave que je ne le pensais.
M. McFarland: Les changements qui se produisent actuellement en Colombie-Britannique, au sujet du système correctionnel pour l'enfant et la famille, me semblent résoudre certains de ces problèmes.
Je crois toutefois que c'est le Québec qui a sans doute trouvé la meilleure solution. Depuis plusieurs années, dans cette province, les agents de protection de l'enfance travaillent en collaboration étroite avec les travailleurs sociaux oeuvrant auprès des jeunes. Lorsque le problème est d'ordre familial, le dossier est confié aux travailleurs de protection de l'enfance. Je crois qu'il vaudrait la peine d'étudier attentivement les résultats obtenus par le Québec, qui considère depuis plusieurs années que les problèmes de cet ordre ne sont pas des problèmes de justice pénale mais des problèmes d'harmonie familiale. La Colombie- Britannique ferait peut-être bien d'être aussi souple que le Québec en cette matière.
Mme Kinsman: Je travaille dans le système de bien-être à l'enfance. Moi aussi j'ai entendu parler de période d'attente de cinq mois pour un jeune voulant suivre un traitement contre l'alcoolisme. Et ce phénomène, concernant le traitement de l'alcoolisme ou de l'usage de drogues, vaut également dans les centres de traitement contre la violence sexuelle ou pour d'autres types de services. Il n'est pas rare qu'il faille attendre cinq à six mois pour avoir accès aux services des travailleurs sociaux de la province. Et ce sont les travailleurs sociaux qui sont tenus responsables de ces carences, alors qu'ils oeuvrent dans un système qui manque de fonds pour la prévention primaire et pour aider les enfants qui ont fait l'objet de sévices et qui risquent de commettre un délit.
Or, il ne faut par oublier que l'incarcération d'un enfant coûte également de l'argent. À mon avis, il serait bien préférable de consacrer cet argent à la prestation de services de soutien.
Mme Valerie Fronczek (directrice générale, Société pour l'enfance et la jeunesse de la Colombie-Britannique): Si vous le permettez, je voudrais vous expliquer mon rôle, qui est un peu relié à cela.
La Société pour l'enfance et la jeunesse de la Colombie- Britannique est un organisme de bénévolat. Comme l'a dit Nancy, nous avons plus de 300 bénévoles multidisciplinaire qui travaillent pour nous. Pour ma part, je suis simplement une employée. Dans des situations comme celle-ci, ce sont les bénévoles qui s'expriment au nom de l'organisation. Je tiens cependant à dire que la Société s'occupe d'un grand projet de promotion de la Convention relative aux droits de l'enfant.
Nous effectuons actuellement une analyse des lois provinciales et fédérales concernant les enfants et les adolescents. L'une d'entre elles est évidemment la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous analysons les lois en fonction d'un système de points. La première étape de ce projet s'achèvera à la fin de l'année mais j'ai déjà des informations préliminaires au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Hélas, elle n'est pas très bien classée dans notre système de points. Je rappelle cependant aux membres du comité que le Canada n'a pas seulement ratifié la Convention, il a également fait preuve de leadership pour la faire adopter. Or, à l'heure actuelle, la Loi sur les jeunes contrevenants est loin d'atteindre les objectifs fixés par la Convention, et je peux même dire qu'elle s'en éloigne de plus en plus à mesure qu'on la modifie.
Il est clairement indiqué dans l'article 3 de la Convention que les intérêts de l'enfant doivent être le facteur de décision primordial. Il ne faudrait jamais oublier ce principe.
La vice-présidente (Mme Torsney): Quand ce rapport doit-il être publié?
Mme Fronczek: Nous en aurons la première ébauche à la fin du mois. Pour l'instant, il y a encore beaucoup d'informations à disséquer et elles ne peuvent pas vraiment être publiées. Nous allons devoir mettre tout cela en langage de tous les jours, ce qui prendra encore quelques mois. De fait, il y aura en mars à Vancouver une tribune à l'occasion de laquelle Stephen Lewis prendra la parole. À ce moment-là, toutes les informations devraient être disponibles.
La vice-présidente (Mme Torsney): Je vous demande cela parce que nous allons bientôt commencer à rédiger notre propre rapport. Si nous pouvions obtenir les données préliminaires...
Mme Fronczek: Oui, je pourrais vous donner les informations immédiatement.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci beaucoup.
Monsieur Ramsay, avez-vous d'autres questions?
M. Ramsay: Oui, madame la présidente. Comme le député du Bloc n'est pas ici, nous avons un peu plus de temps.
Vous dites que le premier critère doit être l'intérêt de l'enfant. Je baisse la tête car je ne pense pas que nous respections ce principe à l'heure actuelle. Si c'était le cas, nous concentrerions notre action sur le trafic de drogues et sur l'alcoolisme, qui contribuent tellement non seulement à la criminalité générale mais aussi à la criminalité des jeunes.
Vous avez dit, monsieur McFarland, qu'il y a une longue liste d'attente de jeunes qui souhaitent profiter de votre programme. Or, celui-ci leur donnerait la possibilité de se débarrasser de l'assuétude qu'ils ont acquise parce que quelqu'un distribue de la drogue dans leur collectivité.
Nous visitions l'autre jour une petite collectivité de 400 habitants du Yukon qui connaît un grave problème d'abus de drogues et d'alcool, alors que tout le monde sait parfaitement qui distribue la drogue et qui vend de l'alcool au noir. Comment se fait-il qu'on ne puisse rien y faire? Croyez-vous que l'État devrait porter plus attention à la répression du trafic de drogues, voire alourdir les peines à ce sujet?
Si nous voulons vraiment éliminer la nécessité de ces programmes, pourquoi ne nous attaquons-nous pas directement aux facteurs qui sont à l'origine de l'abus de drogues, par exemple? Pourquoi ne faisons-nous pas le nécessaire pour chasser les trafiquants de drogues de nos collectivités? Seriez-vous en faveur de peines plus lourdes pour les trafiquants de drogues adultes?
M. McFarland: Certainement. Je crois que les deux choses vont ensemble. Quatre-vingt pour cent des adolescents que nous traitons pour l'alcoolisme ou pour l'abus de drogues ont fait l'objet de sévices sexuels. Autrement dit, s'il est vrai que nous gérons un programme destiné aux drogués et aux alcooliques, il s'agit en fait d'un programme de traitement d'adolescents ayant fait l'objet de sévices sexuels. Ce ne sont pas vraiment les drogues ou l'alcool qui sont le problème fondamental. Ces jeunes font usage de drogues et d'alcool pour échapper à leur passé. Il ne faut jamais l'oublier.
M. Ramsay: Il faudrait donc remonter plus haut dans la chaîne pour traiter les parents ou les adultes qui ont infligé des sévices à ces enfants. Cela dit, si nous faisions cela, je suppose que nous trouverions là aussi un problème d'alcoolisme ou de drogue.
M. McFarland: Très certainement.
Mme Kinsman: Et vous constateriez sans doute que ceux-là aussi ont été victimes de sévices sexuels ou de violence...
M. Ramsay: Certes.
Mme Kinsman: ...ce qui ne simplifie pas les choses. L'alcoolisme et l'abus de drogues sont l'une des causes de la violence des jeunes, mais la solution ne consiste pas simplement à infliger des peines plus lourdes aux trafiquants de drogues. Les jeunes trouveront d'autres manières de s'approvisionner.
Je suis donc favorable à votre recommandation, mais à condition qu'il soit bien clair que ce n'est qu'un facteur parmi beaucoup d'autres, très complexes, qui sont à l'origine de la violence des jeunes et de la violence dans notre société.
M. Ramsay: Là où je suis né, il n'y avait pas de problème de drogues parce qu'il n'y avait pas de drogues. Comme tout le monde ne cesse de répéter que l'abus d'alcool et de drogues est une cause tellement importante de la criminalité, de manière générale, et de celle des adolescents, en particulier, je vous demande à nouveau si notre objectif ne devrait pas être de lutter contre ces causes profondes au moyen de peines plus lourdes ou d'une meilleure éducation?
Nous voyons ce qui se passe aujourd'hui avec l'abus du tabac. Le gouvernement mène une campagne énorme pour informer le public sur les dangers du tabac. Sur le plan législatif, il est de plus en plus sévère, par exemple en ce qui concerne la publicité du tabac. Croyez-vous que nous devrions envisager ce genre de campagne massive sur ce que j'estime être les deux causes les plus importantes de la criminalité, notamment des jeunes: l'abus de drogues et l'abus d'alcool?
M. Manson: Avant de venir ici, j'ai discuté avec un groupe de jeunes dont certains sont des individus à risque très élevé et sont bien connus de la police. Je leur ai dit que nous venions ici aujourd'hui. Nous avons donc discuté de plusieurs choses, notamment des causes profondes de la criminalité. Je leur ai demandé ce qui aurait pu les empêcher de devenir des délinquants. Plusieurs des réponses concernaient l'obtention d'un emploi ou de quelque chose à faire.
Nous nous imaginons parfois que nous offrons beaucoup de possibilités d'action à nos jeunes mais il se peut que nous ne le fassions pas de manière très efficace. Je crois qu'il faudrait revenir là-dessus.
Nous avons dit au début que nous nous considérons comme les porte-parole des jeunes mais je pense que votre comité aurait tout intérêt à en rencontrer certains pour les interroger directement sur ce sujet.
Quoi qu'il en soit, plusieurs m'ont dit que l'obtention d'un emploi leur aurait probablement permis d'éviter de se droguer. Ils veulent être bien dans leur peau. Ils sont loin d'être bêtes et ils veulent comprendre ce qui leur arrive et contribuer à la société, mais cela peut leur être très difficile.
Mme Kinsman: Je pense également que l'alcoolisme et l'usage de drogues chez les adolescents sont une forme de traitement médical, c'est-à-dire une solution à laquelle ils ont recours pour se prémunir contre les difficultés économiques et les sévices qu'ils subissent dans leur famille. Les priver de drogue ne changera rien aux raisons profondes pour lesquelles ils tombent dans la délinquance. Il faut donc aller bien au-delà du simple problème d'alcoolisme et d'abus de drogues.
M. Ramsay: On doit donc laisser l'alcool et la drogue de côté?
Mme Kinsman: Ce n'est pas ce que j'ai dit, monsieur.
M. Ramsay: Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Mme Cohen souhaite poser une autre question.
Mme Cohen: Je veux plutôt faire une remarque.
Pour certaines personnes, la vie est très simple. Vous vous en prenez brutalement aux trafiquants de drogues mais la réalité est qu'on ne changera rien au problème si l'on ne parvient pas à avoir une économie saine, offrant des emplois.
M. Ramsay peut bien monter sur son cheval blanc pour aller ferrailler avec les trafiquants de drogues, ce n'est pas cela qui va créer des emplois. Les jeunes n'ont rien à faire - littéralement. Je ne parle pas du centre de Vancouver, je parle de collectivités où il n'y a pas même pas de centre communautaire pour les jeunes et où il faut faire une heure d'autobus pour aller à l'école. De ce fait, on transporte les enfants à Whitehorse à l'âge de 15 ans et on les enlève à leurs parents.
Quelle que soit la collectivité dont on parle, le problème est qu'il nous faut des communautés prospères sur le plan économique. Certaines personnes ne voient tout simplement pas les liens qui existent et cherchent des solutions miracles.
C'est juste une remarque que je voulais faire. Personne n'est obligé de répondre.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci beaucoup d'être venus vous adresser à notre comité. Nous apprécions beaucoup votre contribution et nous vous souhaitons beaucoup de succès dans le travail que vous faites au nom des enfants.
Nous allons faire une pause de quelques minutes avant d'accueillir le groupe suivant.
La présidente: Nous accueillons maintenant des représentants de la chambre de commerce de Vancouver. Il s'agit de Brian Smith, président du groupe de travail de la chambre de commerce de Vancouver sur la criminalité contre les biens; Dennis Farrell, membre du même groupe de travail; John Hansen, économiste en chef et directeur adjoint de la chambre de commerce; et Darcy Rezac, directeur général.
Je vous souhaite la bienvenue.
M. Darcy Rezac (directeur général, Vancouver Board of Trade): Merci beaucoup, madame la présidente. John Hansen sera là dans un instant.
Je suis très heureux de pouvoir comparaître devant le comité ce matin pour vous parler de la chambre de commerce de Vancouver et de ce qu'elle fait sur le problème dont vous êtes saisis.
Nous sommes ravis d'avoir au sein de notre comité les deux messieurs qui se trouvent à ma droite.
Si vous me le permettez, j'aimerais apporter une correction aux présentations. Dennis Farrell est membre du groupe de travail de la chambre de commerce sur la criminalité contre les biens, mais il est aussi ex-commissaire adjoint de la GRC qui a récemment pris sa retraite.
La chambre de commerce de Vancouver est une association commerciale qui existe depuis109 ans. Elle a été créée en 1986 pour contribuer à la reconstruction de la ville après l'incendie qui l'a rasée, et elle n'a cessé depuis lors de s'intéresser aux politiques publiques. Nous sommes particulièrement fiers de l'ouverture lundi de la nouvelle piste de l'aéroport international de Vancouver, la piste 26 droite, 08 gauche. C'est un projet qui nous tenait beaucoup à coeur et qui illustre bien le genre de travail que nous faisons. Nous nous efforçons d'influer sur les politiques publiques, au nom de nos membres, conformément à notre mission qui est de promouvoir, de favoriser et de faciliter le développement de cette région comme centre de commerce et de voyage de la côte du Pacifique. Nous voulons que notre région soit un lieu agréable où vivre, travailler et faire des affaires.
Nous faisons également partie de nombreuses organisations. Par exemple, nous faisons partie depuis 1989 du Forum économique mondial qui tient son assemblée annuelle à Davos, en Suisse, et qui publie un rapport annuel, dont je parlerai bientôt, contenant un indice de compétitivité mondiale. Dans la version de 1995, tous les pays sont classés en fonction de leur compétitivité internationale mesurée selon plusieurs facteurs, l'un d'entre eux étant le taux de criminalité grave.
John Hansen vient d'arriver, madame la présidente.
On a parfois l'impression que le Canada est un pays plus tranquille que la plupart des autres pays industrialisés. Selon ce rapport, ce n'est pas le cas. Les auteurs ont classé 45 pays en fonction d'un indice de criminalité grave fondé sur le nombre de meurtres, de crimes avec violence et de vols à main armée. L'indice correspond au nombre de crimes avec violence commis pour100 000 habitants. On trouve au bas de la liste - ce qui ne nous surprendra pas - les États-Unis, avec un indice de 272,5. C'est le 45e de la liste.
Le Canada se croit sans doute plus tranquille et plus calme que les États-Unis parce que son taux de criminalité violente est sensiblement moins élevé. Cela dit, nous ne sommes quand même que36e sur 45. Notre taux de criminalité violente, qui était de 122,3 en 1993, est 60 fois plus élevé que celui du Japon. Il est deux fois plus élevé que ceux du Chili et de l'Italie. Il est plus élevé que ceux de Taïwan, de la Grèce et du Portugal. Le taux de criminalité violente au Portugal est le dixième de celui du Canada. Nous savons également que notre taux de criminalité global a considérablement augmenté depuis la fin des années 1960.
Nous avons essayé d'établir des corrélations avec d'autres données. Ainsi, Prentice-Hall vient de publier un rapport sur les meilleures villes d'Amérique du Nord, selon des données de 1993. On y trouve un classement de 343 villes et Vancouver se situe seulement au 283e rang - résultat sur la criminalité dont nous n'avons aucune raison d'être fiers. Pour ce qui est de la qualité de vie, notre classement est beaucoup plus favorable puisque nous sommes dans l'une des villes où la qualité de vie est la plus élevée, à cause des autres facteurs. Il n'en reste pas moins que notre taux de criminalité est relativement élevé.
La chambre de commerce a donc conclu qu'elle devait s'intéresser à cette question, mais en s'efforçant d'apporter une contribution positive et concrète. Notre conclusion a été que c'est probablement dans le secteur de la criminalité contre les biens que le Canada se classe le plus mal, et c'est ce que nous avons pu confirmer. Sur ce plan, Vancouver est d'ailleurs l'une des pires villes d'Amérique du Nord. Je crois qu'il n'y a que six villes en Amérique du Nord qui ont un taux de criminalité contre les biens plus élevé que le nôtre. Et ce taux a augmenté de manière spectaculaire ces dernières années, ce qui nous inquiète profondément. Nous voudrions croire que Vancouver est une ville sécuritaire, et notre objectif est d'y contribuer.
Après avoir fait nos propres recherches, nous avons constaté que le taux de criminalité contre les biens est beaucoup plus élevé à Vancouver qu'à Toronto, Calgary ou Montréal, ce qui est très inquiétant. L'opinion que l'on a généralement de Vancouver n'est donc pas tout à fait exacte, ce qui est regrettable. Le nombre d'automobiles volées dans notre ville a connu une augmentation incroyable. Si vous le souhaitez, nous pouvons vous remettre les chiffres pertinents. Le nombre de vols par effraction ne cesse d'augmenter. Or, la police considère généralement qu'il ne s'agit pas là de crimes graves. Dans certains cas de vols par effraction, elle ne répond même pas.
Suite à une enquête que nous avons effectuée auprès des 4 500 membres de la chambre de commerce, nous avons constaté que 75 p. 100 d'entre eux ont été victimes d'un crime contre les biens au cours des deux dernières années. Le problème est extrêmement grave.
C'est pour cette raison que nous avons créé notre groupe de travail, et je puis vous dire que nous sommes ravis de la qualité de ses membres. Brian Smith, président de B.C. Hydro, est un ancien procureur général. De fait, il avait été nommé procureur général alors que la Loi sur les jeunes contrevenants venait tout juste d'être adoptée, à Ottawa, et il a fait des pressions pour qu'elle ne soit pas proclamée. Il pourra vous donner des précisions à ce sujet.
Dennis Farrell a beaucoup d'expérience dans le domaine qui nous intéresse puisqu'il vient récemment de prendre sa retraite comme commissaire adjoint de la GRC. Notre groupe de travail comprend également des avocats et d'anciens policiers.
Le 27 novembre, nous tiendrons à Vancouver un débat public au cours duquel nous dévoilerons les informations que nous avons obtenues et où nous recueillerons l'opinion de la population, après quoi nous réviserons notre rapport final, qui sera distribué à nos membres au début de l'année prochaine.
Je vous remercie très sincèrement de nous donner la possibilité de nous adresser à vous.
Brian.
M. Brian Smith (président, Groupe de travail sur la criminalité contre les biens, Vancouver Board of Trade): Madame la présidente, notre groupe de travail s'est penché attentivement sur la criminalité contre les biens et sur les mesures qu'il faudrait adopter pour la prévenir. Nous n'avons donc pas concentré toute notre attention sur les crimes violents mais, évidemment, nous n'avons pu éviter de les aborder en cours de route.
Les crimes contre les biens, les vols par effraction, les vols d'automobiles - toutes ces catégories de crimes sont en augmentation à Vancouver. Vous trouverez les statistiques pertinentes et des graphiques dans notre mémoire. Vancouver fait face à un problème très grave dans ce domaine. Certes, direz-vous, cela s'explique peut-être aussi par l'augmentation de la population dans notre région. Bien que cela ne soit pas inexact, je puis vous dire que les crimes contre les biens à Vancouver constituent à mon avis un problème encore plus grave que ne le révèlent les statistiques.
Quand un sondage effectué auprès des 4 400 membres de la chambre de commerce révèle que 75 p. 100 d'entre eux ont fait l'objet d'un crime contre les biens au cours des trois dernières années, il est grand temps de s'inquiéter. Que pourrions-nous donc vous dire qui puisse vous aider dans votre réflexion sur la criminalité des jeunes et sur les jeunes contrevenants?
Sur les 180 000 nouveaux crimes commis chaque année en Colombie-Britannique,20 000 - soit de 12 % à 14 % - le sont par des jeunes. Il s'agit ici de toute la gamme des actes criminels, allant des premiers actes commis par des adolescents un peu aventuriers jusqu'à ceux qui sont commis par des criminels particulièrement endurcis. J'y reviendrai dans un instant.
Suite à cette introduction, essayons de replacer la Loi sur les jeunes contrevenants dans un contexte plus général. Je dois dire que j'ai été ministre de la Justice de la province pendant plusieurs années et que j'ai donc eu l'occasion d'examiner cette Loi avant même qu'elle ne soit proclamée. J'ai aussi participé à une demi-douzaine de rencontres avec Robert Kaplan et avec d'autres procureurs généraux des provinces pour essayer de le convaincre de ne pas la proclamer avant d'avoir poussé un peu plus la réflexion sur ses éléments.
L'une des dispositions qui nous préoccupaient concernait la limite d'âge. Nous ne voulions pas que la limite d'âge supérieure soit relevée, et nous étions également préoccupés par la limite d'âge inférieure car nous nous demandions ce qui allait arriver aux jeunes en difficulté qui ne l'atteignaient pas.
De nombreuses critiques ayant été exprimées au sujet de la Loi après sa proclamation et on y a apporté des modifications. À mon avis, certaines des critiques se sont avérées tout à fait justifiées. Certes, il n'y a pas eu d'un seul coup une vague énorme au Canada de crimes du genre de la bande à Fagan - c'est-à-dire de bandes d'enfants de dix ans exploités par des adultes pour commettre des crimes graves. Il n'en reste pas moins qu'il y a toujours un problème de jeunes qui montrent tous les signes d'être des criminels endurcis avant même d'avoir atteint l'âge de 12 ans.
Cela dit, il y a probablement des problèmes encore plus fondamentaux avec la Loi sur les jeunes contrevenants. Je songe par exemple à la manière dont les jeunes contrevenants sont traités devant les tribunaux.
Comme j'étais autrefois un avocat pénal, j'ai eu l'occasion, pendant ma dernière année de pratique, d'intenter des poursuites dans une affaire relativement longue concernant une bande de jeunes criminels asiatiques. Je n'avais pas traité d'affaires de ce genre pendant 15 ans et cela a été une expérience très intéressante.
Il s'agissait d'une affaire relativement typique de cinq jeunes masqués qui s'étaient précipités dans un magasin à 5 h du soir et qui avaient terrorisé tout le monde à l'intérieur. Ils avaient menacé les femmes qui étaient employées dans le magasin, en les ligotant, en leur fermant la bouche avec du ruban autocollant et en menaçant de les tuer. Pour terroriser les personnes présentes, ils avaient immédiatement coupé toutes les lignes téléphoniques.
Ensuite, ils avaient vidé le magasin. Il s'agissait d'un magasin d'informatique et ils cherchaient des puces électroniques. Les puces sont très recherchées parce qu'elles peuvent être facilement revendues à très bon prix au marché noir. Cela dit, ils n'en ont pas trouvé et se sont emparés de produits sans intérêt, d'une valeur totale d'environ 500 $. Hélas, en sortant du magasin, ils sont tombés sur la police. C'est comme si ce vol avait été commis par une bande organisée par l'inspecteur Clouseau. Les cinq voleurs venaient d'être pris sur le fait et ils ont tous été appréhendés.
Tous ont plaidé coupable sans aucune difficulté. Le problème était de s'attaquer au palier suivant, c'est-à-dire aux gens qui avaient organisé le vol. C'est très difficile à faire parce que ces bandes sont organisées en cellules indépendantes dont les membres ne rencontrent jamais les organisateurs. De fait, ces voleurs n'avaient jamais rencontré la personne qui avait financé le coup et qui l'avait planifié. Ils avaient simplement rencontré la personne qui les avait recrutés. Ils ne pouvaient donc identifier personne, et ils n'avaient de toute façon l'intention d'identifier personne parce que, dans ce genre de situation, ces enfants n'ont généralement pas l'intention de témoigner. À tort ou à raison, ils craignent des mesures de rétorsion s'ils témoignent contre les personnes qui les ont recrutés.
Dans cette affaire, toutefois, la police avait obtenu une confession complète des deux niveaux supérieurs d'organisateurs, mais les confessions n'étaient pas admissibles devant le tribunal parce que ces enfants, qui n'étaient pas des néophytes, avaient fait des déclarations orales mais avaient refusé de signer des déclarations écrites. Nous avons donc dû les relâcher et n'avons pas pu les poursuivre.
À mon avis, il faudrait modifier la Loi sur les jeunes contrevenants pour que les jeunes se trouvant dans ce genre de situation ne puissent bénéficier d'une protection spéciale et ne reçoivent que la protection qui est accordée à toute autre personne du Canada en vertu de la Charte des droits et des règles sur la preuve. Il s'agit du droit de ne pas être condamné en vertu d'une déclaration qui n'aurait pas été faite librement et volontairement. Il ne devrait pas y avoir d'exigences bureaucratiques bien compliquées à ce sujet. À mon avis, il n'est pas très réaliste d'exiger que la déclaration soit lue à la personne et que celle-ci soit obligée de la signer pour que l'on puisse intenter des poursuites. Cela rend l'application de la loi très difficile. C'est là un problème concret de la Loi sur les jeunes contrevenants qui est beaucoup plus sérieux que celui des limites d'âge.
Je voudrais maintenant faire quelques remarques sur les conclusions de notre groupe de travail sur la criminalité des jeunes. En ce qui concerne le premier palier de contrevenants, ceux que l'on appelle les aventuriers ou ceux qui constituent simplement une nuisance, toutes les personnes que nous avons rencontrées nous ont dit qu'il convient de mettre plus l'accent sur le counselling, la déjudiciarisation, les services communautaires et la mise en place de très bons programmes correctionnels et de certains programmes de déjudiciarisation. Il n'y a jamais assez de ressources dans ce domaine, tant au palier provincial qu'au palier local.
En ce qui concerne les bandes qui constituent une nuisance, nous avons entendu parler de certains jeunes qui ont été recrutés pour commettre des actes criminels au profit d'autres personnes. Je viens de vous en donner un exemple il y a un instant.
On arrive ensuite aux criminels endurcis. Dans ce cas, nous estimons, et les opinions que nous avons recueillies à ce sujet sont quasi unanimes, qu'il faut appliquer dans toute sa rigueur la loi qui s'applique aux adultes. C'est évidemment ce qui se passe de plus en plus, suite aux amendements qui ont été apportés à la Loi.
Nos recommandations sont donc les suivantes: apporter plus de souplesse à la Loi sur les jeunes contrevenants; modifier les règles relatives à la preuve; et appliquer des peines beaucoup plus sévères aux personnes qui recrutent des jeunes criminels - en fait, des peines extrêmement sévères dans leur cas.
L'expérience nous a montré que la peine qui fait le plus peur à ces contrevenants est la déportation. Certes, ce n'est pas toujours possible, parce que certains sont des citoyens canadiens ou des immigrants reçus. Dans d'autres cas, ce n'est pas possible parce que le pays vers lequel ils pourraient être déportés ne les accepterait pas. C'est pourtant selon nous le seul vrai facteur de dissuasion.
Un autre problème relevant des autorités fédérales dont on nous a beaucoup parlé est celui des ordonnances de retour. Bien souvent, ces ordonnances ne sont pas exécutées dans les autres juridictions, et il semble que les criminels aient souvent tendance à venir dans l'Ouest, surtout en hiver. Ils arrivent donc ici avec une ordonnance de retour dans une autre province mais cette ordonnance ne peut être exécutée parce que, très franchement, ça coûterait trop cher. Ce sont donc des gens qui constituent un fardeau pour la province et qui coûtent cher.
Notre recommandation est que l'on établisse un système quelconque d'incitation ou de subvention interprovincial ou fédérale pour l'exécution de ce type d'ordonnance.
Je parlais tout à l'heure de la déportation des criminels endurcis qui recrutent des bandes de jeunes. Cela serait très salutaire. Plusieurs déportations auraient plus d'effet dissuasif que n'importe quelle peine de prison.
Nous affirmons dans notre mémoire que le gouvernement fédéral devrait participer à une équipe d'intervention spéciale, à Vancouver, pour mettre hors d'état de nuire les 100 principaux coupables de crimes contre les biens. Nous avons constaté que près de 75 p. 100 des vols par effraction commis à Vancouver le sont par un petit groupe de criminels endurcis. Dans la plupart des cas, il s'agit de crimes reliés aux drogues ou à l'alcool. Nous croyons qu'il faudrait lancer une campagne massive contre ces 100 à 600 personnes qui commettent tous ces crimes. C'est ce que nous allons recommander. La participation des autorités fédérales serait très saine, même si nous réalisons que ce problème relève essentiellement de la ville de Vancouver et de la province.
Constituer des groupes d'intervention spéciaux pour certaines catégories de crime s'est avéré très efficace dans le passé. La Colombie-Britannique l'a déjà fait au sujet des crimes commis par les jeunes, tout comme elle a mis sur pied des équipes spéciales de procureurs qui ont traité les dossiers de ces bandes de criminels du début jusqu'à la fin, c'est-à-dire de l'audience préliminaire jusqu'au procès. Cela s'est avéré très efficace. Nous pensons qu'il faudrait faire la même chose contre les pires des criminels de Vancouver qui commettent ces vols par effraction, et qui ne sont qu'un petit groupe.
Nous sommes également parvenus à la conclusion qu'il faudrait probablement étoffer l'escouade antidrogue. Certes, le nombre d'affaires reliées à la drogue a baissé au cours des cinq dernières années proportionnellement à la population, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu'il y a moins de trafic. Cela ne reflète peut-être qu'une réduction des activités policières à ce sujet.
Nous tiendrons le 27 novembre une réunion publique pour exposer nos principales constatations et pour obtenir la réaction de la population. Ensuite, nous publierons notre rapport, début 1997.
Nous vous sommes très reconnaissants d'être venus tenir des audiences chez nous. La plupart des membres du groupe de travail sont présents et, si vous avez des questions à nous poser, je suis sûr que nous pourrons y répondre. Les autres membres du comité se joindront à moi pour le faire.
La présidente: Merci, monsieur Smith.
Monsieur St-Laurent.
[Français]
M. St-Laurent (Manicouagan): Vous venez de dire que vous allez déposer la semaine prochaine un document qui contient les conclusions de votre travail. Je vais vous laisser ma carte et j'imagine que les autres feront de même. J'aimerais recevoir un exemplaire de ce document. Ce devrait être très intéressant.
Je note une chose. Au début, vous avez dit que, selon vos statistiques, le crime augmente en nombre, mais pas nécessairement en gravité. Les données avec lesquelles vous jouez ne sont pas tout à fait les mêmes que celles que nous avons. Je devrais même dire qu'elles sont contraire aux nôtres. Nos données nous démontrent qu'au pays, le nombre de crimes tend à diminuer, mais que la gravité de ces crimes augmente, entre autres en ce qui a trait aux crimes contre la personne. Chez vous, ce sont plutôt les crimes contre la propriété qui sont votre préoccupation principale et on comprend cela.
Je ne veux pas vous contredire, mais vous vivez des problèmes qu'on ne retrouve pas ailleurs. Vancouver se situe au 280e rang parmi les villes où les gens aimeraient bien s'installer. Donc, cela corrobore vos dires.
J'aimerais d'abord vous interroger sur vos suggestions. En réalité, je retiens que vous nous suggérez de renforcer un peu les moyens répressifs, c'est-à-dire renforcer l'équipe antidrogues - je ne dis pas que c'est mauvais, mais il faut regarder les deux côtés de la chose - et expulser du pays les gens qui récidivent trop souvent ou qui sont très ou trop connus. Ne voyez-vous pas une tendance à se rapprocher du jeune contrevenant plutôt qu'à s'attaquer au crime comme tel? Inévitablement, en se rapprochant du jeune contrevenant, on va régler le crime à sa base alors que dans ce que vous préconisez chez vous, en ne s'attaquant qu'aux crimes, on règle le problème aujourd'hui, mais il y en aura trois ou quatre qui vont recommencer demain. Quelle est votre opinion là-dessus?
[Traduction]
M. Smith: Je ne pense pas que nous ayons des positions contraires à ce sujet, monsieur St-Laurent. Il n'y aurait aucune modification à apporter à la Loi sur les jeunes contrevenants pour s'attaquer aux véritables trafiquants de drogues ou aux criminels qui recrutent des jeunes pour commettre des crimes en bande. Par contre, il faudrait y consacrer plus de ressources et adopterpeut- être une politique particulière sur le traitement de ces criminels une fois qu'ils auraient été condamnés.
Cela dit, nous estimons nous aussi que l'autre volet de l'équation est très important, c'est-à-dire qu'il faut essayer d'empêcher les jeunes contrevenants de devenir des criminels endurcis, en mettant des programmes à leur disposition et en y consacrant des ressources.
De fait, la seule recommandation de modification à la Loi que j'aie formulée concerne l'élimination des règles spéciales sur la preuve. À mon avis, cela n'a rien de répressif. J'estime qu'il s'agit simplement d'essayer de donner le sens des responsabilités aux jeunes contrevenants, pas seulement des privilèges.
M. Rezac: Je serais très heureux de vous remettre les deux rapports que j'ai cités, madame la présidente. Le fait est qu'il y a eu une augmentation importante du nombre de crimes contre les biens à Vancouver depuis 1990. En effet, le chiffre était de 12 373 cette année-là, il est aujourd'hui de15 202. Il a donc augmenté. Il y a d'ailleurs eu une hausse spectaculaire l'an dernier - où l'on a constaté une hausse de près de 20 p. 100 en ce qui concerne les véhicules automobiles.
Pour ce qui est de la criminalité grave, pour laquelle on a constaté des hausses spectaculaires dans le pays, je pense qu'il est important de tenir compte du fait que, si l'on enregistre une baisse de la criminalité dans certaines régions, ou d'un point de vue global - j'ai vu dans certains cas des taux d'augmentation relativement minimes - cela n'est pas adéquat pour mesurer notre taux de criminalité d'une année à l'autre. Quelle est notre situation dans un contexte mondial? Qu'est-ce qui serait raisonnable à l'échelle internationale?
Croyez-moi, le Canada est loin d'être en bonne position sur le plan de la criminalité violente. Selon le Forum économique mondial, nous étions 36e sur 45 en 1993. Notre taux de criminalité violente est considérablement plus élevé que celui des 35 pays qui nous précèdent.
[Français]
M. St-Laurent: Je vous comprends, monsieur. D'abord, il ne s'agissait pas d'une attaque en règle contre ce que vous veniez de dire, pas du tout. Je ne dis pas que quand on est au 36e rang, on est bien placé. Il y a beaucoup de travail à faire et il faut s'entendre là-dessus. Mais quand nos statistiques nous démontrent qu'au moins, le crime n'augmente plus, c'est déjà bon. Il faut quand même être un peu réaliste. Il y a beaucoup de travail à faire. Tant qu'il y aura un être humain sur la terre, il y aura du travail à faire, heureusement d'ailleurs.
Mon autre question porte sur votre organisation et les gens que vous représentez. C'est assez particulier. Lors de nos consultations, on parle avec les gens et les victimes, dont il faut tenir compte. Les victimes feront-elles partie du processus de correction du jeune contrevenant? Jusqu'à quel point peut-on intégrer la victime pour qu'elle puisse participer au processus, etc.?
Dans votre organisation, les victimes sont des gens qui sont victimes, non pas tant de crimes contre la personne, mais plutôt de crimes contre la propriété. Les gens de votre organisation sont-ils ouverts à participer à des programmes de réintégration des jeunes pris en flagrant délit de crime contre les biens? Seraient-ils prêts à consacrer un peu de temps à ces jeunes-là? Vous allez me dire que c'est paradoxal, parce que dans le fond, on n'a pas toujours le goût de s'impliquer, mais est-il un peu question, chez vous, de participer au processus qui amènerait le jeune à prendre conscience de l'ampleur et des conséquences de son crime?
Votre clientèle est tellement particulière qu'il serait intéressant de vous entendre là-dessus.
[Traduction]
M. Rezac: Je serai très heureux de répondre à cette question, madame la présidente.
La chambre de commerce de Vancouver comprend 4 400 membres dont beaucoup offrent bénévolement leurs services à leur collectivité, sous une forme ou une autre, que ce soit pour Centraide, pour l'Armée du Salut, pour une organisation religieuse ou autrement.
Je dois préciser par ailleurs que la chambre de commerce de Vancouver a contribué au lancement d'une organisation appelée Volunteer Vancouver, avec une autre organisation appelée Leadership Vancouver. L'objectif est de former au bénévolat un groupe de jeunes ou de gens qui sont au milieu de leur carrière au gouvernement ou dans une entreprise privée et qui ne font pas de bénévolat pour le moment.
Croyez bien que nous sommes prêts à copier tout programme qui aurait pu être lancé avec succès dans une autre ville pour assurer la réintégration des jeunes qui ont des démêlés avec la justice. Je suis sûr qu'il y a parmi les membres de la chambre de commerce de Vancouver des gens qui seraient tout à fait prêts à participer à de tels programmes, comme nous le faisons depuis 109 ans. Si ça marche, nous sommes prêts à l'adopter. Je dois vous dire aussi que, pour la première fois, des sondages d'opinion viennent de montrer que la criminalité est la deuxième préoccupation de la population de Vancouver.
J'inviterais également vos chercheurs - et je reviens ici à la remarque antérieure sur le déclin de la criminalité - à vérifier si la criminalité est statistiquement ou substantiellement en déclin. J'aimerais bien voir les chiffres. J'aimerais aussi voir des données temporelles car je suis porté à croire qu'il y a eu en fait une hausse spectaculaire de la criminalité globale depuis 1968, avec une hausse légère ou marginale seulement depuis quelques années. On me corrigera si je me trompe mais j'aimerais bien voir vos données. Je suis d'ailleurs tout à fait prêt à vous communiquer celles dont je dispose.
La présidente: À titre de précision, je dois vous dire qu'il y a parmi nous aujourd'hui un représentant du gouvernement provincial de la Colombie-Britannique - mais je ne veux pas le mettre sur la sellette - qui est coprésident d'un groupe de travail sur la Loi sur les jeunes contrevenants mis sur pied par les ministères de la Justice fédéral et provincial. Nous pourrions discuter fort longtemps de statistiques mais je pense que c'est ce groupe de travail qui détient les plus récentes. Nous avons également bénéficié des services de chercheurs et d'un représentant du ministère fédéral de la Justice.
Peut-être pourrions-nous maintenant revenir aux questions de fond.
Monsieur Ramsay, pour dix minutes.
M. Ramsay: À mon avis, les statistiques sont des questions de fond car ce sont elles qui nous disent vraiment quelle est la réalité. La question est de savoir les utiliser. Quoi qu'il en soit, comme on tient des statistiques sur la criminalité depuis le début des années 60, on sait bien qu'il y a eu une hausse de plus de 400 p. 100 en ce qui concerne la criminalité contre les biens. Certes, celle-ci s'est stabilisée ces dernières années mais, si l'on reprend les choses de beaucoup plus loin, la hausse a été très marquée.
Nous entendions hier des courtiers d'assurances nous dire qu'il y a certains quartiers de cette ville dont chaque maison a été vandalisée, parfois à plusieurs reprises. Ils nous ont dit aussi que près de 200 millions de dollars de voitures sont volées chaque année et que, selon eux, 75 p. 100 le sont par des jeunes.
Voici donc la question que je veux poser à M. Rezac. Vous avez donné des statistiques internationales qui m'inquiètent un peu. Du point de vue international - vous ne savez peut-être pas la réponse mais je vous pose quand même la question - considère-t-on que le Canada est laxiste en ce qui concerne la répression du crime?
M. Rezac: Il me paraît évident que l'on pense à l'étranger, et certainement aussi dans certains milieux canadiens, que notre pays est l'un des plus tranquilles et des plus sécuritaires. C'estpeut- être vrai si on le compare à la zone de combat du centre de Boston, mais il n'en reste pas moins que, selon ce rapport, notre taux de criminalité global est pire que celui de Seattle, par exemple, ou de Washington.
Certes, pour ce qui est des meurtres, le taux est plus élevé à Washington ou aux États-Unis. Je crois comprendre qu'il est au moins deux fois plus élevé qu'au Canada, si ce n'est beaucoup plus. Par contre, pour les autres types de crimes, dont les crimes contre les biens, les taux au Canada sont très élevés.
La collectivité internationale estime que le Canada fait preuve de laxisme à plusieurs égards, et Brian Smith voudra peut- être vous en parler. Il a participé au Forum économique mondial à plusieurs reprises.
À titre d'exemple, il est incontestable que la collectivité internationale pense que le Canada est un pays où il est très facile d'entrer comme réfugié.
Je ne pense pas que l'on estime à l'étranger que le Canada soit un pays dangereux. C'est d'ailleurs pourquoi ces chiffres sont tellement surprenants. Ils n'ont été publiés que très récemment.
M. Ramsay: Bien.
Lorsque nous étions à Montréal, nous avons visité un établissement où nous avons discuté avec une personne qui s'occupe de contrevenants adultes. Si je me souviens bien, elle nous a dit que ceux qui risquent le plus de récidiver à un niveau de criminalité plus grave ne sont pas les meurtriers mais ceux qui ont commis un crime contre les biens, un vol par effraction, etc. Et elle semblait savoir de quoi elle parlait.
Si tel est le cas, ce que vous me dites au sujet de Vancouver est très inquiétant. En effet, si des jeunes sont recrutés par des adultes pour commettre des actes criminels organisés par les adultes, comme M. Smith l'indiquait, cela augure fort mal de l'avenir de la ville.
Les jeunes des bandes dont vous nous parliez, monsieur Smith, ont-ils été jugés par un tribunal pour adultes ou par un tribunal de la jeunesse?
M. Smith: Le cas dont je vous parlais, monsieur Ramsay, concernait uniquement des jeunes qui venaient de commettre leur première infraction et il n'aurait donc pas été normal de les traîner devant un tribunal pour adultes. Cela dit, on a souvent l'impression que ces jeunes contrevenants qui viennent de commettre leur premier crime contre les biens ne sont généralement pas jugés très sévèrement. Dans mon cas, je puis vous dire qu'ils ont à mon avis été jugés de manière tout à fait adéquate. Le moins coupable des cinq, qui avait plaidé coupable de vol, a reçu six mois - et c'était le moins coupable - alors que le plus coupable a reçu un an, et l'adulte a reçu 18 mois, si je me souviens bien.
Cela dit, si vous discutiez de ces sentences avec quelqu'un de Taïwan, par exemple, votre interlocuteur jugerait probablement que ces peines étaient bien légères. Quoi qu'il en soit, si l'on compare aux peines traditionnelles qui étaient infligées en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants à des délinquants qui venaient de commettre leur première infraction et qui n'avaient donc absolument aucun casier judiciaire, qui étaient de bons étudiants, qui avaient de bons parents, l'époque est finie où les tribunaux de Vancouver leur infligeaient une peine de probation. Aujourd'hui, ils font de la prison.
Je ne suis donc pas du tout prêt à dire que notre système est laxiste. Je crois qu'il réagit de manière adéquate. Pour ce qui est de ceux qui les recrutent - et ce sont eux les vrais criminels - il s'agit d'adultes ou il peut s'agir de personnes entre 17 ans et 40 ans. Qu'ils soient adultes ou non n'a aucune importance.
D'après moi, on devrait les sanctionner de manière très différente. Dans l'affaire dont je vous ai parlé, nous n'avons pas pu les poursuivre parce que deux d'entre eux avaient fait des déclarations qui les inculpaient totalement et qui n'étaient donc pas recevables.
La présidente: M. Farrell a quelque chose à ajouter.
M. Dennis Farrell (membre, Groupe de travail sur les crimes contre les biens, Vancouver Board of Trade): Dans le genre de cas dont nous parlons, le fait est, comme l'a dit M. Ramsay, que la majeure partie de ceux qui sont incarcérés vont probablement récidiver. En effet, considérant la situation économique du pays, c'est pour avoir de l'argent que ces gens-là commettent des crimes.
Comme la région de Vancouver a un climat beaucoup plus doux que le reste du Canada, beaucoup de ces jeunes se retrouvent ici sans aucun moyen de survie. Certes, il pleut parfois dans notre région, je puis vous l'assurer, et il va pleuvoir dans les prochains jours, même si nous venons d'avoir plusieurs jours de soleil. Quoi qu'il en soit, la meilleure manière pour ces jeunes de trouver de l'argent est de voler.
Or, nos tribunaux sont pleins. En fait, ils sont débordés. Brian Smith disait tout à l'heure qu'il y a 180 000 nouvelles causes devant nos tribunaux chaque année. Heureusement, 80 p. 100 des responsables plaident coupables, ce qui en laisse 20 p. 100 pour les tribunaux. Sinon, le système serait complètement bloqué.
Qu'il s'agisse de la police, des tribunaux ou des services correctionnels, nous n'avons tout simplement pas les ressources nécessaires pour faire face au nombre de contrevenants qui semblent aboutir chez nous. Il faut donc changer quelque chose, et vous pouvez être certain que nous examinerons vos recommandations et conclusions avec beaucoup d'intérêt.
M. Ramsay: Je vous en remercie.
Nous nous sommes laissé dire également que, lorsque certains jeunes contrevenants arrivent à l'étape de la détention fermée, ils ont probablement déjà commis jusqu'à 20 actes criminels différents, dont beaucoup n'ont pas été traités selon la procédure officielle. Autrement dit, ils ne sont jamais passés en justice.
Dans le cas que vous avez mentionné, monsieur Smith, s'agissait-il de jeunes qui n'avaient vraiment jamais commis aucun autre acte criminel ou se peut-il qu'ils en aient déjà commis mais sans être jamais passés devant un tribunal?
M. Smith: Ce que vous dites vaut très certainement pour ceux qui les avaient recrutés. En ce qui concerne les cinq membres de la bande, c'était vraiment leur premier crime. Ils n'avaient jamais eu de démêlés avec la justice auparavant. De fait, ils avaient été recrutés dans leur école. Plusieurs avaient même été recrutés dans la cour de l'école, par des copains. Leur passé était absolument vierge.
Pendant longtemps, du fait de la Loi sur les jeunes contrevenants, ces jeunes n'étaient absolument pas incarcérés. Je crois cependant que le public et les tribunaux ont aujourd'hui une attitude beaucoup plus dure à cet égard.
On estime désormais que quiconque entre dans un magasin avec une arme et se met à terroriser les gens - dans le cas dont je vous parle, il s'agissait d'un pistolet magnum Oxford non chargé que ces jeunes avaient mis sur la tempe de plusieurs de leurs victimes - doit se faire infliger une peine de prison ferme.
La présidente: Merci. Madame Torsney.
Mme Torsney (Burlington): Merci.
Je dois dire que le genre de témoignage que vous venez de faire me préoccupe toujours parce que mon premier souci est de voir comment on peut empêcher que des crimes ne soient commis et que de nouvelles personnes ne deviennent victimes. J'ai du mal à accepter - mais je comprends bien que vous êtes tous des bénévoles - que vous tenez des réunions depuis le printemps, mais il n'en reste pas moins que vous avez sans doute une assez bonne idée de ce genre de criminalité.
Je constate que le titre de la page 4 de votre mémoire est «Préoccupations des jeunes», mais je ne vois rien dans ce chapitre qui porte sur le chômage des jeunes ni sur le nombre de jeunes qui vivent dans la rue, de prostitution, ce qui est la porte vers le trafic de drogues, par exemple. Je ne vois rien non plus sur les loisirs.
Certes, je vois des données sur la gravité de la situation, mais sans aucune analyse des facteurs qui, nous le savons bien, pourraient aider ces jeunes à ne pas entrer dans la criminalité. Je me demande ce que vous pouvez donc nous dire sur la situation de l'emploi.
Je plaisantais avec vous tout à l'heure, monsieur Smith, en disant que, lorsque nous sommes passés ici en janvier, Paul Martin avait mis la chambre de commerce au défi de produire des emplois et d'innover en la matière. À l'époque, je pensais aux adultes mais il est clair qu'il y a encore plus à faire pour les jeunes. S'ils s'ennuient, ils font des bêtises. Comme l'a dit M. Farrell, ce sont des jeunes qui n'ont pas beaucoup d'avenir économique.
On voit de plus en plus de jeunes qui prennent de plus en plus de retard sur le plan du travail, et il est incontestable qu'il nous faut l'intelligence et la créativité de gens comme ceux qui font partie de la chambre de commerce pour trouver des solutions.
Vous allez probablement me dire que beaucoup de ces choses seront examinées lors de votre conférence de novembre mais je suis quand même surprise de ne rien voir à ce sujet dans votre mémoire. Je n'y trouve rien non plus sur les jeunes autochtones, qui constituent un volet important du problème à Vancouver et en Colombie-Britannique. Il n'y a rien là-dessus.
Je sais bien, monsieur Smith, que vous avez fait carrière dans l'appareil judiciaire, mais nous savons tous aussi que le département des services sociaux a fait beaucoup de choses, et que votre nouveau ministère de l'Enfance et de la famille a été mis sur pied pour essayer de prévenir ce genre de difficulté, c'est-à-dire pour éviter que des jeunes n'aboutissent dans l'appareil judiciaire.
M. Rezac: Premièrement, ce que vous avez n'est pas notre rapport mais un simple résumé des constatations que nous avons faites jusqu'à présent. N'oubliez que nous ne sommes qu'un groupe de bénévoles et que nous n'avons ni budget ni personnel de recherche. C'est un exercice à budget zéro.
Il n'en reste pas moins que nous avons l'intention de formuler des recommandations. Notre initiative a suscité un intérêt considérable dans la presse parce qu'il y a eu beaucoup d'articles cet été sur le taux de criminalité à Vancouver et dans le reste du pays. Il semble que la situation soit pire à Vancouver.
Ce qui est important au sujet de notre comparution, c'est que cette question n'était même pas considérée comme un problème important à Vancouver il y a deux ans. Les crimes, c'était ailleurs qu'ils étaient commis. Certes, les statistiques nous montrent que cela n'était déjà pas vrai il y a deux ans, mais telle était l'impression générale de la population. Nous avons continué nos délibérations parce qu'elles suscitent de plus en plus d'intérêt.
Nous avons rencontré des juges et aussi des victimes.
Ce que nous cherchons maintenant, ce sont des solutions. Il est facile de dire qu'il faudrait plus de policiers, et c'est probablement vrai; on peut dire aussi qu'il faudrait cesser d'envoyer des policiers faire des constats sur les accrochages d'automobiles aux carrefours, qu'il faudrait qu'ils passent plus de temps à faire enquête sur les crimes graves plutôt qu'à remplir des formulaires dans leurs bureaux. Après tout, que font les pompiers? Peut-être devrait-on les utiliser pour faire enquête sur les accrochages? Je ne sais pas. Il y a peut-être d'autres solutions.
Cela dit, et c'est l'un des domaines que nous allons examiner de plus près, les services de police communautaires ont connu un succès remarquable.
Des programmes comme Échec au crime, Outward Bound, le genre de programmes recommandés plus tôt par M. St-Laurent, sont des choses que nous allons examiner attentivement. Comme notre initiative a suscité beaucoup d'intérêt, nous avons décidé de ne pas clore officiellement nos travaux. Nous voulons recueillir plus d'informations, de façon à produire le meilleur rapport possible.
Je puis cependant vous assurer que notre rapport ne sera pas exhaustif. Nous ne sommes pas en mesure de faire une étude globale du problème. Tout ce que nous pouvons faire, c'est apporter notre contribution à la recherche de solutions dans des domaines très précis. Nous n'avons certainement pas la prétention de pouvoir guérir le problème du chômage. Il y a d'autres éléments de la chambre de commerce dont c'est la préoccupation fondamentale; en outre, nous concentrons la majeure partie de nos efforts ces jours-ci sur le gouvernement provincial et nous n'avons pas pensé qu'il convenait d'en parler devant votre comité. Nous espérons apporter une contribution, même minime, à partir des discussions que nous avons eues avec beaucoup de gens, vous compris, et des données que nous pouvons recueillir.
M. Smith: Vous avez souligné le fait qu'il ne s'agit pas seulement d'un problème d'application de la loi ou de sanctions. Nous le savons bien mais je tiens à dire qu'il y a eu à Vancouver un groupe de travail appelé «Une ville plus sécuritaire», qui a été mis sur pied par la municipalité il y a environ un an. Ce groupe a rassemblé une masse considérable d'informations sociologiques, économiques et sur l'emploi. Nous savons que toutes ces informations sont pertinentes mais nous n'avons pas pensé qu'il fallait les présenter devant vous aujourd'hui. Cela dit, nous sommes tout à fait d'accord quand vous dites qu'il faut en tenir compte.
M. Farrell: Je voudrais également répondre à ce que vous avez dit au sujet des autochtones. La GRC et la Police de Vancouver gèrent un programme d'emploi d'été pour les étudiants. Si vous examinez l'organisation des services de police au palier provincial et au palier municipal, vous verrez que la GRC est la force de police prédominante dans la province, sauf dans 12 municipalités. L'an dernier, quand je dirigeais le détachement local, nous avions dans le programme d'emplois d'été 70 postes qui étaient presque tous occupés par des jeunes autochtones ou des jeunes de groupes minoritaires.
Ce que nous pouvons faire est cependant limité par nos ressources financières. Il faut6 000 $ pour recruter un jeune pendant cette période, et c'est ce qui a limité le nombre à 70. Dans bien des cas, ce sont les bandes autochtones elles-mêmes qui ont fourni les 6 000 $ qui servaient à rémunérer l'étudiant, la GRC fournissant quant à elle la formation professionnelle, le transport, l'uniforme, etc.
Et il y a beaucoup d'autres programmes de ce genre. La Police de Vancouver fait exactement la même chose avec des jeunes des groupes minoritaires.
Vous me direz peut-être que cela sert à recruter ces gens plus tard mais ce n'est pas vrai. Certes, nous serions heureux de les recruter si cela les intéressait, mais le fait est que ces programmes sont vus d'un oeil très favorable par beaucoup de réserves. De fait, nous faisons appel aux dirigeants des bandes indiennes ou des collectivités minoritaires pour identifier les candidats potentiels.
C'est un programme très efficace mais il coûte de l'argent.
Je suis sûr que vous avez d'ailleurs entendu parler d'initiatives semblables dans d'autres régions. Bon nombre de services de police essayent d'agir de la même manière. Par contre, on constate souvent que ce sont des programmes qui suscitent beaucoup d'enthousiasme pendant un an ou deux puis, d'un seul coup, il n'y a plus d'argent et l'intérêt s'effondre. La police ne peut pas tout faire elle-même, d'autant plus que sa première fonction reste bien de faire la police.
Croyez bien cependant que l'on fait beaucoup d'efforts dans ce domaine et que les exemples de succès sont très nombreux. Malheureusement, on ne peut pas tout faire.
Mme Torsney: Dans ce cas, je vais peut-être vous faire quelques suggestions.
Lancez des programmes d'enseignement coopératif entre tous vos membres et les écoles secondaires de votre ville, voire même dans des écoles primaires.
Appuyez les ONG qui offrent des options à la détention, comme Camp Trapping. Il n'y a pas assez de programmes de déjudiciarisation pour les jeunes dans cette province. Il n'y a pas non plus pour les filles de programme semblable à Camp Trapping. Pour six places disponibles à Camp Trapping, il y a 40 demandes. Ça ne suffit pas.
Mettez en place un système de copains pour les enfants. Appuyez le programme PLEA pour les enfants qui semblent sur le point de connaître des difficultés. Appliquez DARE dans toutes vos écoles. C'est un programme fantastique qu'a conçu la police.
Lancez parmi vos membres une campagne pour qu'ils cessent d'exploiter les prostituées adolescentes de cette ville. Nous savons fort bien, d'après le profil de ceux qui fréquentent les prostituées adolescentes, que certains clients correspondent au profil des membres de la chambre de commerce, malheureusement.
Veillez à ce que vos membres appuient plus de programmes récréatifs. Il est effrayant de voir que beaucoup de jeunes n'ont rien à faire au moment où vous recommandez que l'on remette sur pied l'économie de cette province, ce qui entraînera des coupures budgétaires dans certains domaines. Vous devriez plutôt dire au gouvernement provincial que les tickets modérateurs et les coupures budgétaires ne sont absolument pas la bonne méthode quand on parle de services récréatifs pour les enfants.
Donnez de la publicité à tous ceux de vos membres qui appuient déjà des programmes récréatifs et qui sont entraîneurs de hockey, entraîneurs de soccer ou chefs d'équipes de scout, car ce sont là les choses qui permettent aux enfants de s'en sortir.
Travaillez avec les services de police pour qu'ils fassent plus. C'est toujours un défi, comme vous le dites, monsieur Farrell, mais les services de police communautaires ont prouvé leur efficacité dans maintes collectivités et ils améliorent le climat social pour tout le monde.
Évidemment, le nombre croissant de bousculades dans les cours des écoles que l'on classe comme des voies de fait de premier niveau va vous donner des statistiques montrant qu'il y a une hausse de la criminalité, notamment violente, dans votre collectivité, mais c'est une fausse impression. Il y a des choses que vous avez sans doute tous faites dans votre cour d'école quand vous étiez enfant qui peuvent fort bien se retrouver dans les statistiques, aujourd'hui, puisque bon nombre de collectivités ont adopté des politiques de tolérance zéro.
Voyons, monsieur Rezac, pas même une seule bousculade dans la cour de l'école?
M. Rezac: En fait, les données que nous avons montrent qu'il y a de plus en plus de crimes qui ne sont même pas signalés parce qu'on ne peut pas y faire grand-chose.
L'an dernier, une succursale bancaire de cette ville a fait l'objet d'un vol à main armée. Je m'excuse, tout n'est pas aussi bénin que vous le dites.
Mme Torsney: Ce que nous avons entendu dire d'un bout à l'autre du pays, monsieur Rezac, c'est que la bousculade d'école qui est classée dans la catégorie des voies de fait de premier niveau amène l'enfant devant l'appareil judiciaire, ce qui lui donne un message très contradictoire car cela n'aboutit à aucune mesure rapide ou adéquate. Pour beaucoup de ces enfants, cela crée un autre problème. Et c'est ainsi que vous voyez d'un seul coup apparaître votre petit pilleur de banque qui vous cause toutes ces difficultés dans votre hausse de la criminalité contre les biens.
Il y a peut-être bien des manières de régler ces problèmes avant qu'ils n'éclatent mais, si vous n'avez pas recours à ces options, vous arriverez évidemment à demander des mesures plus répressives.
En ce qui concerne ce que vous avez dit sur le crime organisé, je suis parfaitement d'accord avec vous. C'est un problème grave et nous devons faire en sorte que les enfants ne tombent pas dans le filet de ces groupes. Peut-être la police pourrait-elle invoquer les dispositions du Code criminel pour réprimer ceux qui aident les auteurs d'actes criminels?
M. Farrell est prêt à répondre.
M. Farrell: Si vous me le permettez, je ne pense pas que les bousculades de cour d'école dont vous parlez servent à gonfler les statistiques. À ma connaissance, elles ne sont jamais traitées par l'appareil judiciaire, en Colombie-Britannique. Je ne sais pas ce qu'il en est dans les autres provinces.
Mme Torsney: Je dois dire que je serais surprise si on ne les... Les conseils scolaires de la région ont un programme de recouvrement des dégâts causés aux biens, et je serais donc surpris si tel n'était pas le cas. Ces choses vont généralement ensemble. S'ils veillent déjà à recouvrer ces biens, cela veut dire que les contrevenants sont traités très sévèrement. On peut me corriger si je me trompe mais sachez bien que nous l'avons entendu dire dans d'autres régions.
La présidente: Pour vous donner une idée de nos travaux, je peux préciser que nous en sommes à notre cinquième semaine de voyage. Je puis vous dire que les voies de fait de premier niveau représentent 60 p. 100 de ce qu'on appelle des crimes violents au Canada. Donc, en ce qui concerne les statistiques que vous nous avez données - je crois que c'était vous, monsieur Rezac - sur le classement du Canada par rapport aux autres pays, il faut tenir compte du fait que les voies de fait de premier niveau représentent la grande majorité des infractions dites violentes.
Je puis vous assurer par ailleurs qu'en Ontario, en tout cas, une bousculade dans la cour d'une école d'un conseil scolaire ayant une politique de tolérance zéro - et c'est le cas de la plupart d'entre eux - se retrouve devant les tribunaux. C'est quelque chose que l'on nous a révélé pendant nos audiences et qui fausse manifestement les chiffres. Personne ne nous a parlé de cette question précisément en Colombie-Britannique mais il nous serait difficile de croire que ce n'est pas contagieux.
M. Rezac: Notre objectif, madame la présidente, est d'examiner avant tout les crimes contre les biens. Je peux cependant vous relater une anecdote personnelle. Au cours de l'année dernière, mon épouse et moi-même avons subi quatre vols par effraction dans nos voitures. La dernière fois, ma femme n'a même pas signalé la chose à la police parce qu'elle aurait dû obtenir un rapport de la compagnie d'assurance et un constat de la police, ce qui est difficile parce que la police refuse de bouger. Quoi qu'il en soit, même quand vous obtenez un constat, vous devez ensuite aller voir la compagnie d'assurance puis aller faire réparer les dégâts dans un garage. Eh bien, ma femme a un emploi, elle est allée au garage elle-même, elle a payé les 400 $ et l'incident n'a jamais été signalé. Je peux même ajouter qu'il y a eu vol par effraction dans chaque automobile de notre immeuble. Sur l'ensemble, je crois que seulement deux ont été signalés. Il y a une vague de crimes dans notre région.
J'aimerais cependant savoir quelles sont les données sur les meurtres et sur les vols à main armée au Canada. Les avez-vous?
La présidente: Je peux vous les donner. J'ai les chiffres. Les meurtres commis par des jeunes sont restés constants au cours d'une période de douze ans; les homicides représentent...
Pardon?
M. Ramsay: Je marmonnais simplement qu'il est très rassurant de savoir que le nombre de meurtres commis par des jeunes est resté constant.
La présidente: Les homicides représentent 0,2 p. 100 de tous les crimes avec violence et leur nombre a sensiblement baissé pendant les quatre dernières années - autant pour les adultes que pour les jeunes. Une chose bizarre que l'on a constatée après le remplacement de la Loi sur les jeunes délinquants par la Loi sur les jeunes contrevenants - je ne devrais peut-être pas dire «bizarre» mais curieuse - est que, même si nous avons sensiblement changé de méthode en 1984, le nombre de la plupart des crimes graves est resté quasiment constant. Malgré des variations mineures à la hausse ou à la baisse, la tendance ne change pas, ce qui veut peut-être dire que ce mécanisme n'est pas adéquat pour lutter contre cette forme de criminalité.
M. Rezac: Vous venez de parler des quatre dernières années mais avez-vous des chiffres sur une période plus longue? Avez-vous des chiffres sur la situation depuis les années 60?
La présidente: Probablement. Il faudrait faire des recherches.
Mme Torsney: La dernière chose que je voudrais dire au sujet des vols d'automobiles est que les fabricants pourraient faire beaucoup pour lutter contre le problème. Je discutais l'autre jour avec des agents de police de ma collectivité qui me disaient quelle est la marque de voiture - que je ne mentionnerai pas ici car nous passerons peut-être à la radio plus tard - qui figure en tête de liste des voitures volées. Savez-vous pourquoi? Parce que sa colonne de direction en plastique est très facile à déverrouiller.
Bien que la police sache invariablement quelles marques de voiture seront volées, les fabricants ne semblent pas prêts... Ils préfèrent peut-être obtenir les 400 $ plutôt que de régler le problème au départ. Évidemment, il y a toutes les poursuites en automobile et tout le reste lorsqu'il y a un vol.
M. Smith: Il est peut-être rassurant de constater que le nombre d'homicides et de crimes graves reste stable. Il se peut bien que les statistiques actuelles soient relativement gonflées à cause des bousculades dans les cours d'école. Mais je peux vous dire que notre seul rôle était d'examiner les crimes contre les biens à Vancouver. C'est ce que nous avons fait et je vais vous donner les chiffres bruts. Ils sont éloquents.
En 1991, on a signalé 14 826 vols par effraction dans des logements privés ou des établissements commerciaux. En 1995, il y en a eu 18 510, soit une augmentation de 30 p. 100, et je ne parle pas de bousculades dans les cours d'école. Je parle de vrais crimes.
Mme Torsney: Veuillez m'excuser, monsieur Smith.
M. Smith: Sur ces 18 510, environ 10 p. 100 seulement aboutissent à une condamnation pénale, pour toutes sortes de raisons. Les forces de police n'ont pas le temps de suivre chaque dossier. Les gens ne veulent pas nécessairement suivre la procédure jusqu'au bout. Le système est embouteillé. Il y a la déjudiciarisation. Cela dit, malgré toutes ces bonnes raisons qui expliquent ce faible pourcentage, nous savons que la proportion est plus élevée dans d'autres provinces où elle atteint parfois 18 p. 100 à 20 p. 100.
Je ne dis pas qu'il s'agit là d'une responsabilité fédérale. Je vous communique simplement ce que nous avons constaté. Vous pouvez cependant être certains que nous allons communiquer ces données au procureur général. Il y a à Vancouver des problèmes de police qui sont différents de ceux des autres villes, nous le savons, mais ces statistiques sont déplorables et il est évident que nous ne faisons pas un bon travail. C'est tout ce que je voulais dire.
Mme Torsney: Vous avez parfaitement raison. J'estime moi aussi que c'est une question grave qu'il ne faut pas laisser de côté, pour deux raisons.
Premièrement, des gens comme votre épouse, monsieur Rezac, sont agressés et ne se sentent pas en sécurité. Deuxièmement, c'est une situation qui a souvent tendance à s'aggraver, ce qui est très inquiétant.
Ce que vous nous avez dit, monsieur Smith, au sujet d'un incident assez particulier m'a beaucoup frappé et m'inquiète. Nous essayons tous d'agir pour réduire la criminalité dans nos collectivités et pour que moins d'enfants aient des démêlés avec la justice. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons tous faire pour prévenir les actes criminels et, lorsqu'ils se produisent quand même, pour veiller à ce qu'ils soient jugés de manière adéquate. C'est ce que nous essayons de trouver au moyen de ces audiences publiques.
Je suis sûre que mes dix minutes sont écoulées.
La présidente: Oui, largement.
Je remercie les témoins qui nous ont présenté le problème d'un point de vue différent de celui auquel nous sommes habitués car je dois reconnaître qu'il est assez rare que nous ayons le point de vue des forces de l'ordre, si je puis m'exprimer ainsi. Je suis très heureuse que vous nous ayez donné ces informations sur la situation particulière de Vancouver.
Nous allons maintenant faire une pause de quelques minutes.
La présidente: Nous reprenons la séance.
Nous accueillons maintenant des représentants du Sparwood Youth Assistance Program, soit le sergent Jake Bouwman, chef du détachement de la GRC à Sparwood, et Glen Purdy, avocat et, je suppose, membre du conseil d'administration du programme.
M. Glen Purdy (cofondateur, Sparwood Youth Assistance Program): Nous n'avons pas encore de conseil d'administration, madame la présidente. Je suis simplement un avocat qui a un cabinet privé. Je vais vous donner des précisions en cours de route.
La présidente: Très bien. Nous vous écoutons.
M. Purdy: Madame la présidente, je suis avocat privé à Sparwood, en Colombie-Britannique, et le sergent Bouwman est chef du détachement de la GRC.
Sparwood est une petite collectivité d'environ 5 000 habitants dans les montagnes Rocheuses, de ce côté-ci du Pas du Nid-de-corbeau. Notre objectif aujourd'hui est de vous expliquer ce qui nous semblait en 1994 être le dilemme essentiel de l'appareil judiciaire concernant les jeunes. Je souligne que nous allons parler de «l'appareil» et pas de la «Loi».
Pour vous expliquer notre solution, le sergent Bouwman va vous donner des précisions sur le programme de Sparwood. Ensuite, je vous donnerai des informations anecdotiques sur le programme.
Notre première constatation au sujet de l'appareil judiciaire concernant les jeunes est que, pour la grande majorité des infractions, sauf les homicides, les agressions sexuelles graves, etc., l'appareil est très répressif. Je vais vous donner des chiffres de Statistique Canada que vous avez sans doute déjà entendus.
Le taux d'incarcération des adultes aux États-Unis est de 330 personnes pour100 000 habitants; au Royaume-Uni, en Espagne, en France et en Autriche, il est de 90 personnes pour 100 000 habitants. Je parle ici des adultes. En France, au Portugal et en Australie, il est de80 pour 100 000. En Finlande, en Belgique, en Suède et en Italie, il est de moins de 60 pour100 000. Au Canada, il est de 130 pour 100 000.
En ce qui concerne les jeunes, 25 160 ont reçu une peine de détention au Canada en 1994-1995. Le chiffre qui suit m'a été communiqué par le juge Lilles, du Yukon, avec qui je parlais hier. C'est un chiffre qui m'a beaucoup surpris mais je suppose que vous le connaissez aussi. Le taux au Canada est aujourd'hui de 1 040 pour 100 000, contre 500 pour 100 000 aux États-Unis.
En outre, 70 p. 100 des jeunes ont été condamnés pour des infractions contre les biens et18 p. 100 pour des crimes avec violence, catégorie qui comprend les bousculades de cour d'école dont vous avez entendu parler tout à l'heure. Sur ce nombre, 38 p. 100 des peines infligées se sont réparties de la manière suivante: 18 p. 100 en détention ouverte, 16 p. 100 en détention fermée,48 p. 100 en probation, 16 p. 100 d'amendes et 2 p. 100 de libération inconditionnelle. Toutes ces statistiques qui proviennent de Statistique Canada sont accessibles sur Internet.
La grande majorité des peines d'incarcération étaient de trois mois ou moins. Les juges pour enfants semblent préférer imposer des peines de détention courtes mais immédiates plutôt que d'infliger des peines axées sur la réadaptation. C'est ce qui ressort des chiffres.
En 1994-1995, 40 p. 100 des jeunes contrevenants passaient en justice pour avoir commis au moins une deuxième infraction dans l'année ayant suivi leur peine antérieure. Étant donné que le système canadien agit clairement de manière très répressive à l'égard des jeunes, dans la grande majorité des cas, ce taux de récidive est tout à fait surprenant. Il montre que le système ne fait rien pour prévenir la récidive.
En ce qui concerne la rapidité des décisions, je vais vous donner un exemple qui est assez typique dans notre région. Je vais commencer avec la date d'ouverture du dossier de la Couronne, c'est-à-dire la date à laquelle l'agent de police communique un rapport au procureur de la Couronne.
En règle générale, lorsque le rapport est transmis au procureur de la Couronne par le policier qui a fait l'enquête, il faut dans notre région de deux à quatre semaines pour que la Couronne commence à recueillir des informations sous serment et qu'elle lance le processus d'émission d'un mandat. Généralement, la première comparution intervient entre quatre et six semaines après l'émission du mandat. On a donc au minimum deux mois entre la date de communication du rapport au procureur de la Couronne et la première comparution de l'accusé. Cela suppose toutefois que toute la documentation est prête immédiatement après la conclusion de l'enquête. Or, il y a souvent un délai entre ce moment-là et la communication du rapport au procureur de la Couronne.
Généralement, il ne se passe rien lors de la première comparution. On se contente de désigner un avocat et de fixer une date pour une deuxième comparution, deux ou trois semaines plus tard, afin d'enregistrer le plaidoyer. Si l'accusé plaide coupable à cette occasion, trois à quatre mois se sont déjà écoulés, dans le meilleur des cas, depuis la transmission du dossier. Si l'accusé est un récidiviste, le juge ordonne généralement la préparation d'un rapport présentenciel. Dans notre région, cela prend de six à huit semaines.
Il faut donc généralement cinq à six mois pour qu'une décision soit prise dans le cas d'un récidiviste qui plaide coupable, ou d'un contrevenant ayant commis une infraction grave. Et il s'agit là de la procédure la plus rapide possible en cas de plaidoyer de culpabilité.
Généralement, une première infraction de moindre gravité débouche sur une peine d'au moins six mois de probation. Donc, dans la plupart des cas d'infractions mineures commises par un jeune dans notre région, il s'écoule au moins un an entre le début de l'affaire et la fin de la période de probation.
Si l'accusé ne plaide pas coupable et qu'il faut tenir un procès, celui-ci se tiendra dans le meilleur des cas au plus tôt huit mois depuis la date de transmission du dossier, à condition qu'il n'y ait pas d'ajournement. En règle générale, cependant, il y a au moins un ajournement de séance dans la plupart des cas parce que des témoins ne sont pas disponibles ou pour d'autres raisons. De fait, il faut souvent fixer deux à trois dates différentes avant que le procès ne se tienne vraiment. Et je parle ici d'un procès qui ne durera qu'une demi-journée - pas d'un procès d'une journée complète.
Généralement, la deuxième date du procès est fixée au moins quatre à six mois après la première comparution, pour un procès d'une demi-journée. Il n'est donc pas rare que le procès ne se tienne pas avant qu'une année au moins se soit écoulée depuis la date de transmission du dossier. Si l'infraction était mineure et que le procès est fixé pour six mois après la date de comparution, cela veut dire qu'une année et demie se sera écoulée avant qu'une décision soit rendue. Si l'affaire est grave, le juge infligera au minimum une peine d'une année de probation.
Réfléchissez donc à la situation. Si une peine d'incarcération doit être imposée, il faudra près de trois ans pour que toute l'affaire parvienne à sa conclusion. Cela constitue une période très longue dans la vie d'un adolescent. De fait, nous avons des jeunes qui passent la majeure partie de leur adolescence en contact l'appareil judiciaire, et c'est manifestement une expérience qu'ils ne sont pas prêts d'oublier. Autrement dit, notre système est incroyablement lent, je suppose qu'on vous l'a souvent dit.
Malheureusement, chaque parent sait bien que, lorsqu'un enfant commet un acte répréhensible, on ne doit pas attendre un an ou un an et demi avant d'imposer une sanction. Pour que celle-ci soit efficace, il faut l'imposer sur-le-champ. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que nous ayons des taux de récidive aussi élevés.
Songez maintenant aux sommes incroyables que tout cela coûte à la société. En Colombie-Britannique, le fonctionnement d'un tribunal coûte 800 $ l'heure - et je parle ici strictement du temps passé en tribunal.
M. Ramsay: Combien dites-vous?
M. Purdy: Huit cents dollars l'heure, sans compter la rémunération de l'avocat de la Couronne et de l'avocat de la défense. Je parle des coûts de justice, du shérif, du greffier et des installations. Ce chiffre vient de l'ex-juge en chef Diebolt de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique.
En outre, notre système, surtout pour la jeunesse, a pour effet d'exclure un acteur extrêmement important: la victime. Cette personne n'a généralement que peu à voir avec le processus, voire rien du tout. Bien souvent, lorsqu'une infraction est signalée à la police, la victime n'est même pas informée que le coupable a été appréhendé. Elle ne sait pas non plus ce qui se passe au tribunal. C'est seulement s'il y a un procès que la victime peut être appelée à intervenir. Au fond, la Couronne se sert de la victime comme témoin pour obtenir une condamnation. C'est le seul rôle que joue la victime. À part cela, elle est totalement exclue du processus.
La seule possibilité qu'ait la victime d'exprimer au contrevenant l'incidence qu'a pu avoir son acte est la rédaction d'une déclaration de la victime mais c'est une procédure qui est très rarement utilisée en Colombie-Britannique. Il est très rare qu'une victime puisse communiquer réellement l'incidence psychologique et pratique de l'acte criminel. De toute façon, elle ne peut communiquer cela directement au jeune concerné.
Fin 1994, nous avons reçu un exemplaire d'une communication préparée par le juge Lilles et intitulée Canada's Young Offenders Act: Some International Perspectives for Reform. Je crois comprendre que vous l'avez reçu aussi. En le lisant, nous y avons vu une esquisse de solution et c'est ce qui nous a amenés à lancer le programme Sparwood, en janvier 1995.
Notre programme est différent du programme Wagga Wagga, d'Australie, dans la mesure où c'est un programme de déjudiciarisation mis sur pied par la police. Par contre, l'intervenant est un membre de la collectivité locale, pour plusieurs raisons. Premièrement, nous voulions éviter de donner l'impression que la police était en train de mettre sur pied une sorte de chambre d'inquisition. Deuxièmement, en faisant appel à un intervenant de la collectivité, la GRC n'est pas directement impliquée, ou nous donnons en tout cas l'impression qu'il y a une participation communautaire au processus. Nous y reviendrons plus tard.
Notre programme est également différent de celui de la Nouvelle-Zélande dans la mesure où nous ne relevons d'aucune autorité législative directe. Nous n'acceptons aucun crédit public, nous n'en avons pas besoin et nous n'en voulons pas.
Jusqu'à présent, seize autres collectivités de la province ont adopté le modèle de Sparwood, avec des variantes locales. En outre, le programme est maintenant mis en application dans plusieurs collectivités du sud de l'Alberta. En Ontario, il a récemment été mis sur pied dans trois collectivités autochtones ou il est sur le point de l'être.
En 1994, avant la mise en oeuvre du programme, un total de 65 jeunes sont passés devant le tribunal pour la jeunesse de Sparwood. En 1996, 48 ont vu leur cas traité dans le cadre d'un processus de conférence de résolution. Jusqu'à présent, en 1996, un total de 17 sont passés par une conférence de résolution. Depuis la mise en oeuvre du programme, aucun jeune résident de Sparwood ou des collectivités environnantes n'est passé devant un tribunal.
L'un des chiffres les plus importants que je voudrais vous donner - les autres n'ont probablement pas beaucoup de sens puisque notre programme n'existe que depuis22 mois - concerne le taux de récidive. En 22 mois, nous avons eu un taux de récidive de 9 p. 100, alors que le taux national en un an est de 40 p. 100. Pour cette année, le taux est d'environ 5 p. 100.
Ce programme nous a permis de traiter des affaires d'infraction contre les biens. Nous avons également traité des affaires de voies de fait, de voies de fait avec blessures, de vols par effraction et d'agression sexuelle mineure, sur instruction de la Couronne. Par contre, nous n'envisageons pas de traiter dans ce contexte les affaires d'homicide ou d'agression sexuelle grave. Si nous étions saisis d'un cas de vol à main armée, je suppose que nous pourrions aussi nous en occuper. Nous sommes à certains égards une institution parallèle à l'appareil judiciaire et nous savons parfaitement que celui-ci reste nécessaire pour juger les infractions les plus graves. En fait, nous pensons que nos programmes sont complémentaires.
Le sergent Bouwman va maintenant vous donner des détails sur le fonctionnement du programme.
Le sergent Jake Bouwman (cofondateur, Sparwood Youth Assistance Program): Merci.
Notre programme est unique dans la mesure où c'est probablement le premier au Canada qui soit fondé sur un accord complet entre un avocat de la défense et un policier. À mon avis, cela est extrêmement positif pour l'avenir de la collectivité de Sparwood ainsi que pour toute autre collectivité qui pourrait s'inspirer de notre initiative.
Comme l'a dit Glen, nous avons inauguré le programme le 1er janvier 1995, ce qui veut dire que nous sommes encore très jeunes.
Sur le plan des enquêtes, ce que nous faisons ne diffère en rien de la procédure habituelle. Lorsque nous recevons une plainte, nous menons une enquête et, si nous avons de la chance, nous identifions le suspect. À ce moment-là, comme dans toutes les affaires de ce genre, même en dehors du programme, nous décidons d'adresser ou non un rapport au procureur de la Couronne pour recommander une accusation.
Si l'acte criminel était tout à fait mineur, par exemple s'il s'agissait d'une affaire de consommation d'alcool, nous allons discuter de l'affaire avec les parents. Si nous estimons que ceux-ci peuvent s'occuper de l'enfant de manière efficace, nous en restons là.
Si nous parvenons à la conclusion qu'il faut une intervention plus officielle et plus structurée, nous vérifions d'abord si l'enfant - et je parlerai toujours d'enfant plutôt que de coupable ou de contrevenant - réside dans la collectivité et s'il a un système de soutien, par exemple des parents nourriciers. Ensuite, nous lui offrons de participer au programme. S'il accepte l'offre, il doit accepter de dire tout ce qu'il sait au sujet de l'infraction et il doit accepter de participer volontairement à une conférence avec les personnes qui le soutiennent et de respecter toute décision sur laquelle lui-même et la victime s'entendront.
Le rôle de l'enquête dans tout ce contexte est parfaitement classique. Lorsqu'on estime que l'enfant pourrait bénéficier du programme, on appelle un intervenant. À Sparwood, ce rôle est assumé bénévolement par Glen et par un pasteur de l'église locale.
Quand un cas se présente, nous téléphonons à l'intervenant pour savoir s'il pourrait participer à une conférence dans les 10 à 14 jours suivants. Quand nous avons fixé une date, nous téléphonons à la victime pour lui expliquer ce que nous souhaitons faire et nous lui demandons de nous appuyer en participant elle aussi à la conférence. Ensuite, nous communiquons à l'enfant les détails de la conférence et nous lui indiquons qu'il pourra y participer avec autant de membres qu'il le veut de son groupe de soutien - son père, sa mère, ses frères, ses soeurs, ses professeurs, qui il veut.
Nous faisons la même chose pour la victime en l'encourageant à venir avec autant de personnes de soutien qu'elle le souhaite. Nous essayons d'organiser les conférences à une heure convenant à tout le monde, comme à 7 h du soir dans la semaine, ou le samedi ou le dimanche après-midi, afin de ne pas obliger la victime à s'absenter de son travail pendant la journée.
Nous faisons tout notre possible pour aider la victime. De même, dans ce but, nous nous organisons pour que certains policiers soient en poste en début de soirée, au moment où il y a un peu moins d'activité, ce qui me permet en outre d'économiser de l'argent au chapitre des heures supplémentaires.
Lorsque toutes les dispositions sont acceptées, nous tenons la conférence. L'intervenant explique à l'enfant quels sont ses droits en vertu de la Charte. Il s'assure que l'enfant a accepté de participer à la conférence et qu'il a rempli l'accord. Ensuite, il lui demande d'expliquer ce qui s'est passé et ce qu'il pensait à ce moment-là. Il pose des questions de ce genre.
Lorsqu'on a obtenu tous les détails sur l'acte lui-même, on demande à la victime de confirmer que tout est exact, ce qui veut dire que ce n'est plus le policier qui dit à l'enfant et à ses parents ce qui s'est passé. Les parents entendent l'enfant dire lui-même ce qu'il a fait. Ce n'est plus le méchant policier qui a fait peur au petit Johnny innocent en le ramenant à papa et à maman, c'est Johnny lui-même qui reconnaît ce qu'il a fait.
En règle générale, la victime apporte certaines précisions sur l'événement car il n'est pas rare qu'elle ait vu les choses différemment de l'enquêteur. Celui-ci est alors invité à confirmer les dires de la victime.
Lorsque tout cela est réglé, l'intervenant demande à l'enfant s'il est conscient des conséquences de son acte et des personnes qui ont été touchées. Il demande aussi aux personnes de soutien et à la victime quelle a été l'incidence du crime dans leur cas. Il ne s'agit donc pas simplement du fait qu'une fenêtre a été cassée, par exemple, mais peut-être aussi du fait que la victime a dû assumer des frais de chauffage plus élevés parce que sa fenêtre n'a pas pu être réparée avant deux semaines.
Au bout de trois quarts d'heure environ, nous faisons généralement une pause d'une dizaine de minutes pendant laquelle l'enfant est encouragé à chercher une solution avec son groupe de soutien. Et c'est la même chose pour la victime.
Nous insistons pour que la victime soit indemnisée. S'il y a eu 100 $ de dégât, ou si l'enfant a volé un vélo de 300 $, nous insistons pour que la victime soit remboursée.
Ensuite, nous mettons l'accent sur la réintégration sociale. Lorsque l'enfant a reconnu ce qu'il a fait et qu'il en a exprimé du remords - et croyez-moi qu'il baisse généralement la tête lorsque la victime s'adresse à lui - on lui donne la chance de réparer son acte. On peut par exemple envisager de le faire travailler un certain temps pour la victime, en guise de sanction. Si la victime estime que ce n'est pas satisfaisant, l'enfant peut proposer de faire du travail communautaire dans la région, par exemple pour le centre de ski ou pour le centre de camping.
Nous faisons alors une pause de dix minutes et, lorsque nous nous réunissons à nouveau, l'enfant accepte généralement de rembourser la victime, parce qu'il comprend vraiment maintenant le tort qu'il a causé. Ce n'est pas une grande entreprise anonyme qui a été volée, c'est une personne en chair et en os. L'enfant peut maintenant mettre un visage sur la personne qui a subi les conséquences de son crime.
Nous donnons ensuite à la victime la chance d'accepter ou de refuser les mesures qui ont été proposées. Dans près de 95 p. 100 des cas, nous constatons que lorsque l'enfant dit: «Voici le travail que je devrais faire pour me réintégrer dans la collectivité», la victime répond: «Maintenant que je te connais et que je comprends pourquoi tu as fait ça, je pense que c'est un peu trop sévère». Bien souvent, la victime propose une sentence - si je peux parler de sentence dans ce contexte - moins sévère.
Par exemple, si l'enfant a accepté de faire 1 000 heures de travail communautaire parce qu'il a vraiment honte de ce qu'il a fait, il n'est pas rare que la victime dise que c'est un peu trop et que 20 ou 30 heures suffiront sans doute. Voilà le genre d'accord auquel nous parvenons pendant nos conférences.
Lorsque l'accord est accepté et ratifié par toutes les parties, j'encourage mes membres à rencontrer la victime au moins une fois pendant la période d'exécution de la sanction, étant bien entendu que nous exigeons que la sanction soit exécutée au plus tard dans les six mois afin que l'enfant ait encore l'option de passer devant un tribunal s'il ne veut plus poursuivre le système de déjudiciarisation. Comme la plupart des infractions sont passibles d'une condamnation sur déclaration sommaire de culpabilité, nous avons une limite de six mois. Nous insistons donc pour que l'exécution de la sentence ou la résolution du problème soit complètement terminée en moins de six mois de la date de l'infraction, afin de pouvoir intervenir efficacement si l'enfant décide d'arrêter en cours de route ou refuse de faire ce qu'il a accepté.
Pendant cette période, mon agent va rencontrer la victime et l'enfant pour essayer d'établir non pas une amitié mais au moins une meilleure compréhension. L'enfant pourra ainsi mieux comprendre qui est le policier et, dans la plupart des cas, il aura une attitude différente au sujet de ce que voulait faire le policier qui l'a arrêté.
Si l'enfant n'exécute pas la sanction qui a été convenue, la victime nous informe et, dans certains cas, nous tenons une deuxième conférence de résolution. Jusqu'à présent, nous n'avons jamais eu à porter une affaire devant l'appareil judiciaire, parce que toutes les sanctions ont été exécutées.
À la fin du processus, nous rédigeons un rapport sur le degré de satisfaction de la victime, dont vous trouverez un exemplaire à la page 35 de notre document. Jusqu'à présent, nous avons eu un taux de satisfaction des victimes de 95 p. 100. C'est un taux très élevé, ce qui produit deux choses: cela donne immédiatement satisfaction à la victime et, deuxièmement, celle-ci apprécie ce qu'a fait la collectivité pour elle et elle est beaucoup plus prête à appuyer nos initiatives ainsi que le travail de la police. C'est donc une solution gagnant-gagnant pour moi-même, pour le détachement de la police et pour l'ensemble de la collectivité.
Au début, les participants doivent consacrer un peu plus de temps au processus afin de bien comprendre comme il fonctionne. Au bout de la deuxième conférence, cependant, ils constatent que les enquêtes vont beaucoup plus vite. Il y a beaucoup moins de paperasse, ils passent moins de temps au tribunal et ils ont donc plus de temps pour faire enquête sur les infractions les plus graves.
Pour ce qui est des coûts, comme je l'ai déjà dit, le programme ne coûte rien à la police. De fait, il permet d'économiser dans la mesure où il exige moins d'heures supplémentaires. En outre, le district de Sparwood fournit gratuitement les services du tribunal, le café, etc., et il nous appuie dans la mesure où il accepte que les enfants travaillent pour le Service des travaux publics si c'est la solution qui a été choisie. On constate donc que c'est toute la collectivité qui intervient pour sanctionner les infractions.
Selon nos estimations, le programme a permis d'économiser environ 100 000 $ du point de vue de l'utilisation des services judiciaires, et c'est une somme qui n'aurait pas été réinvestie dans la collectivité. Certes, on pourrait souhaiter que cette économie revienne dans la collectivité pour financer de meilleurs programmes mais il n'en reste pas moins que celui-ci permet aussi aux victimes de faire des économies indirectes dans la mesure où elles payent moins de taxes pour financer le système judiciaire.
Lorsque nous avons mis le programme sur pied, nous nous sommes adressés à tous les groupes constitués de la collectivité. Tous nous ont donné un appui remarquable, ce qui a d'ailleurs contribué au succès du programme dans la mesure où, si une personne était plus tard victime d'un acte criminel, elle connaissait déjà l'existence du programme. Ce n'était pas quelque chose de complètement nouveau. La personne n'allait pas avoir le sentiment qu'on venait mettre le programme à l'essai à ses dépens.
En ce qui concerne la réaction des membres au programme, plus ils sont âgés, mieux ils l'adoptent; plus ils sont jeunes, plus ils hésitent. Il n'est pas rare que des policiers estiment que ce programme ne correspond pas à leurs fonctions traditionnelles. Je me suis cependant laissé dire que le programme de formation des policiers a été modifié pour mieux intégrer ce type d'orientation.
Le policier qui a été le plus difficile à convaincre est celui qui n'avait que trois ou quatre années d'ancienneté. Par contre, celui qui en avait 22 et qui avait échoué deux fois à un concours de promotion s'est avéré être mon plus ardent supporter. Ne croyez donc pas ceux qui vous disent qu'on ne peut pas changer les gens.
Le facteur de succès le plus important est sans doute la rapidité avec laquelle on traite l'affaire, car cela permet à l'enfant de bien comprendre la gravité de ce qu'il a fait et les conséquences pour la collectivité. Le fait que nous ayons tellement peu de récidive témoigne bien de l'efficacité du programme et de l'appui de la collectivité. Je peux d'ailleurs vous dire que je recevais il y a trois semaines dans mon salon le pire récidiviste que nous ayons jamais eu, qui me disait combien il était heureux que nous ayons traité son cas de cette manière plutôt que selon la procédure judiciaire traditionnelle.
M. Purdy: Merci, Jake.
Je voudrais vous donner quelques exemples des cas dont nous nous sommes occupés. Vous en trouverez quelques-uns dans notre mémoire, ce qui vous permettra de mieux comprendre la manière dont nous travaillons et les résultats que nous obtenons.
Le premier concerne le vol d'une chemise de luxe dans un magasin de chaussures de Sparwood. Le propriétaire du magasin n'a pas signalé le vol pendant environ quatre mois. Puis, un jour, il a vu un jeune de la collectivité qui portait la chemise. À ce moment-là, il a signalé le vol à la police.
Au début, ce propriétaire de magasin, homme corpulent et entrepreneur avisé, ne voulait participer ni à la conférence de résolution ni au processus judiciaire. Il voulait simplement récupérer ses 100 $.
Le sergent Bouwman a fini par le convaincre de participer à la conférence de résolution. À ce moment-là, j'ai bien compris pourquoi il avait tellement hésité. Le vol, que beaucoup jugeraient probablement mineur, l'avait profondément affecté. Il croyait avoir une bonne relation de confiance avec les jeunes de Sparwood et ce vol l'avait profondément déçu. Ce commerçant solide et dynamique s'est effondré en larmes pendant la conférence. Croyez-moi, l'enfant a été très touché. Il a eu très honte de ce qu'il avait fait.
Après la conférence, il a été convenu que l'enfant rembourserait les 100 $ et qu'il fournirait 75 heures de travail au magasin de chaussures, soit sept heures et demie le samedi pendant dix semaines.
Il faut dire tout d'abord que 75 heures de service gratuit pour un premier vol mineur n'est pas une sanction qu'infligerait un tribunal car c'est un peu élevé. La position du commerçant fut cependant qu'il n'avait pas l'intention de lui demander simplement de déneiger son entrée ou de balayer son entrepôt mais plutôt de lui apprendre ce qu'est un commerce et comment on le gère, afin que l'enfant saisisse bien quel effet le vol peut avoir sur les commerçants.
L'enfant a donc fourni ses 75 heures de travail de manière satisfaisante puis il s'est mis à venir régulièrement au magasin en demandant s'il pouvait aider le commerçant. Au bout d'un certain temps, le commerçant s'est senti un peu gêné de le faire travailler gratuitement et il lui a offert un emploi à temps partiel, emploi que l'enfant occupe encore aujourd'hui.
Je vous raconte cette histoire parce qu'elle m'a beaucoup appris sur le phénomène de la victimisation. Comme je suis avocat de la défense, mon rôle est de couper les victimes en petits morceaux. Moi-même, je n'avais jamais réalisé qu'un vol aussi mineur pouvait produire un tel effet. Or, toute infraction a un effet de victimisation qu'il faut absolument régler, ce que le système actuel fait très mal.
En outre, cette histoire est tout à fait exemplaire. Lorsque la victime a réussi à surmonter sa colère, sa frustration et son émotion, ce qu'elle veut généralement, c'est aider le contrevenant à se réadapter. C'est exactement ce qui s'est produit ici. La victime a joué un rôle primordial pour veiller à ce que le jeune ne récidive pas. Cela arrive souvent.
Voici un deuxième exemple concernant un jeune qui a commis une deuxième infraction.
Au début du programme, à la fin de l'hiver de 1995, un jeune homme a été appréhendé pour avoir commis un crime contre les biens. Lors de la conférence de résolution, sa mère s'est présentée avec son ami du moment. La police la connaissait très bien car elle déposait souvent des plaintes assez douteuses au sujet des membres de la GRC, ce qui faisait perdre beaucoup de temps aux agents. En outre, elle avait elle-même un casier judiciaire assez chargé. La conférence de résolution s'est bien passée mais on pouvait voir que la mère manquait beaucoup de conviction, même si elle disait ce qu'il fallait. Le jeune homme a purgé sa peine de manière satisfaisante mais, quelques jour plus tard, il a commis une autre infraction.
Comme nous étions aux premiers jours du programme, nous avons eu de longues discussions pour savoir s'il fallait s'occuper une deuxième fois de ce jeune ou l'envoyer devant le tribunal. Nous avons décidé de nous en occuper à nouveau. Lors de la deuxième conférence, l'enquêteur a réussi à dénicher le père naturel de l'enfant, qui avait toujours payé une pension alimentaire à la mère mais qui ne s'était jamais occupé de l'enfant. L'enquêteur a aussi déniché un ex-beau-père de l'enfant et un oncle.
À la deuxième conférence, la mère ne s'est pas présentée. Les trois hommes étaient là. Bien qu'ils étaient loin d'être des amis, c'est le moins que l'on puisse dire, ils sont venus ensemble pour faire clairement comprendre à l'enfant que cette deuxième infraction devait absolument être la dernière et qu'ils allaient faire tout leur possible pour s'en assurer. À la fin de la conférence, il a été décidé que l'enfant irait vivre avec son oncle, et que son père naturel et son beau-père iraient le voir au moins une fois par semaine.
Nous avions donné à ces gens la possibilité de régler le problème eux-mêmes pendant la conférence et cela a bien marché.
Cet exemple vous montre qu'il y a des cas où nous n'avons pas grand-chose à faire. Nous mettons un processus en route mais ce sont les participants qui le prennent en main. Dans ce cas, le jeune homme en question n'a plus jamais eu maille à partir avec la police.
Le cas suivant concerne une bande de jeunes de septième année qui ont été appréhendés l'an dernier pour vol à l'étalage. L'enquête a révélé que ces enfants de septième année, qui se faisaient aussi accompagner d'enfants de sixième année et de cinquième année, faisaient une sorte de compétition de vol à l'étalage. L'un d'entre eux volait quelque chose dans un magasin, il venait raconter son exploit à ses amis et ceux-ci essayaient de faire mieux.
Il y en a eu treize en tout. Nous avons décidé de les convoquer tous à la même conférence de résolution, d'abord pour ne pas obliger les victimes à participer à de nombreuses conférences différentes, ce qui aurait pris beaucoup de temps, puis pour nous assurer que ces enfants seraient sanctionnés dans une atmosphère relativement calme.
Nous avons organisé la conférence dans le gymnase de l'école. Il y avait une soixantaine personnes, dont le directeur de l'école, mais aucun enseignant. Selon nos informations, ces derniers estimaient qu'il ne s'agissait pas vraiment d'un problème scolaire.
Quoi qu'il en soit, la conférence a commencé à cinq heures du soir et a continué sans interruption jusqu'à neuf heures. Certains des enfants n'avaient que dix ans. Nous leur avions expliqué qu'ils n'avaient strictement aucune obligation de participer au processus, qu'ils pouvaient partir à n'importe quel moment et que, s'ils partaient, rien d'autre ne leur arriverait. Ils devraient s'arranger avec leurs parents.
Le résultat de la conférence a été que chacun des treize enfants a dû rédiger un rapport sur son expérience de voleur à l'étalage. Ensuite, le directeur de l'école allait réunir tous les rapports dans un livret et organiser à l'école un programme de sensibilisation au vol à l'étalage.
C'est exactement ce qui s'est passé. Vous trouverez ces rapports en annexe à notre mémoire. Cet exemple montre comment nous avons pu traiter un nombre élevé de délinquants en même temps et obtenir des résultats sur le plan éducatif.
Nous avons constaté que le groupe idéal pour assurer le succès du programme est de huit à quinze personnes. Si le groupe est plus petit, il n'y a pas la même dynamique. S'il est plus grand, le processus peut quand même très bien fonctionner.
Voici maintenant un exemple d'indemnisation. L'appareil judiciaire fait un très mauvais travail sur le plan de l'indemnisation des victimes. Il est rare qu'une victime obtienne vraiment une indemnisation monétaire. En ce qui nous concerne, c'est la première chose que nous cherchons à obtenir à l'étape de décision de la conférence. Jusqu'à présent, nous avons eu près de 100 p. 100 de succès en matière d'indemnisation.
En voici un exemple. Un jeune de dix-sept ans qui avait consommé de l'alcool a décidé un soir de vandaliser des panneaux de signalisation et des panneaux de la chambre de commerce. Il s'est servi pour cela d'une scie à chaîne. Lors de la conférence de résolution, on a établi que les dégâts s'élevaient à environ 4 000 $.
La première décision a été qu'il aiderait la chambre de commerce et la municipalité de Sparwood à réinstaller les panneaux de signalisation. Ensuite, il allait donner aux autorités publiques une indemnité complète de 4 000 $, en six mois.
Ses parents étaient présents. Leur position était qu'il allait vendre sa voiture, sa chaîne stéréo, ses poids et haltères et tout ce qui était nécessaire pour obtenir la somme requise. De fait, c'est ce que l'enfant a fait. En trois mois, il avait tout vendu, sauf sa voiture. Il a réussi à la conserver. Il a cependant payé la somme au complet.
Le programme nous a appris que les parents, lorsqu'ils sont informés de ce qui s'est passé, hésitent parfois à croire que c'est leur enfant qui a pu commettre l'acte criminel. À la fin de la conférence, cependant, lorsqu'ils ont entendu l'enfant reconnaître les faits et la victime s'exprimer, ils décident souvent de jouer un rôle très actif pour veiller à ce que l'enfant indemnise la victime. Il n'est pas rare que les parents disent: «Tu as infligé cette perte à quelqu'un et tu vas donc subir une perte équivalente pour l'indemniser».
Nous insistons à chaque fois pour que ce soit l'enfant lui- même, pas les parents, qui indemnise la victime. Nous croyons en effet que l'enfant doit assumer la pleine responsabilité de cette indemnisation, et nous avons eu un taux de succès de 100 p. 100 à ce chapitre. Nous n'avons jamais eu de cas où l'indemnisation aurait été purement et simplement impossible. Je suis sûr cependant que cela nous arrivera un jour.
Mon dernier exemple concerne un cas de voies de fait ayant causé des blessures. Lors d'une danse organisée à l'école, deux jeunes filles avaient entendu dire qu'une troisième était venue avec un couteau et qu'elle avait l'intention de les attaquer. Au lieu d'attendre passivement l'attaque, elles ont déclenché une bagarre avec elle et l'ont violemment battue. La jeune fille s'est retrouvée avec un bras brisé en deux endroits et a dû être hospitalisée. Pendant son séjour à l'hôpital, l'une des deux attaquantes est allée la voir pour lui dire qu'elles allaient la tuer lorsqu'elle sortirait. Nous avions donc une affaire de voies de fait ayant causé des blessures et de menaces de mort, ce qui était très grave.
Avant la conférence de résolution, la mère de la victime a envoyé une lettre au journal local dans laquelle elle disait que la mère d'une des délinquantes ne s'était jamais bien occupée de sa fille et qu'elle l'avait élevée de manière pitoyable.
Nous avons décidé de traiter de cette question pendant la conférence de résolution. J'étais l'intervenant. Étant donné la publicité suscitée par cette affaire, je me demandais comment j'allais gérer la conférence. Il y avait une vingtaine de personnes présentes - des soeurs, des frères, des tantes, des oncles.
La conférence a révélé qu'une autre jeune fille était impliquée dans l'affaire. Elle avait répandu des rumeurs au sujet de la victime simplement pour essayer de créer un fossé entre les attaquantes et la victime. C'est elle qui avait dit aux attaquantes que la jeune fille était venue avec un couteau. Pendant la discussion, la victime et les attaquantes ont commencé à comprendre qu'elles n'avaient pas vraiment de problèmes entre elles et que le problème venait de quelqu'un d'autre.
La dynamique de cette conférence a été tout à fait particulière. Il y avait au début beaucoup d'hostilité entre les parents mais, pendant la pause - je ne l'ai pas vu moi-même, c'est le sergent Bouwman qui m'a raconté ce qui s'était passé - la mère qui avait envoyé la lettre au journal est allée s'excuser auprès de l'autre et elles se sont embrassées. Certes, nous n'avons peut-être pas réglé tous les problèmes qui existaient entre les jeunes filles mais il est certain que les familles, elles, avaient réglé leurs différences.
Certaines des conférences sont parfois très émotives. Nous encourageons les victimes à exprimer leurs émotions le plus clairement possible, afin que les délinquants comprennent bien ce qu'ils ont fait.
Je vais bientôt conclure parce que je sais que j'ai déjà dépassé mon temps de parole.
Sur le plan des délais de résolution des causes, notre moyenne entre la date de l'infraction et la prise de décision est de 74 jours. Lorsqu'il s'agit d'enfants de moins de douze ans, nous agissons avec le consentement des parents, étant bien entendu que les enfants n'ont aucune obligation de participer et qu'ils peuvent quitter le programme à n'importe quel moment sans aucune conséquence.
Pour ce qui est de la participation communautaire, il arrive qu'on ne puisse pas demander au délinquant de fournir des services gratuits à la victime parce que ce serait inapproprié ou parce que la victime ne le souhaite pas. Dans ce cas, le délinquant peut fournir des services à divers organismes locaux - des clubs sociaux, la municipalité, etc. Nous avons au terrain de camping une personne qui prend beaucoup de nos jeunes.
Je mentionne cela pour vous donner une idée de la participation de la communauté au processus de réintégration.
Cette personne est une femme extraordinaire qui adore les enfants. Nous lui avons confié un jour une jeune fille qui avait été souvent condamnée pour avoir commis des vols de sommes relativement mineures. C'était une jeune fille à qui il était difficile de faire confiance.
Un jour, la directrice du terrain de camping a dû la laisser seule au terrain parce qu'elle devait se rendre en ville. La jeune fille lui a dit qu'elle l'attendrait à l'extérieur du bureau. La directrice lui a dit que non, qu'elle tenait à ce qu'elle réponde aux besoins des clients et qu'elle encaisse l'argent qu'ils devaient. Elle m'a raconté plus tard que la jeune fille n'en revenait pas. Ce simple acte de confiance l'a complètement transformée. La police n'a plus jamais entendu parler d'elle. Je précise aussi que cette directrice du terrain de camping a parfois donné des emplois à certains de nos jeunes qui avaient travaillé pour elle dans le cadre du programme.
Voyez-vous, si l'on donne à la collectivité la possibilité de réagir elle-même à la criminalité des jeunes, elle le fait. Au fond, notre rôle est très minime, nous ne faisons qu'offrir à la collectivité un mécanisme pour qu'elle agisse elle-même.
Je voudrais conclure en formulant une recommandation. Une seule. Au fait, nous ne demandons d'argent à personne. Nous ne pensons pas qu'un programme comme celui-ci devrait avoir un budget. Si cela arrive, il y aura des conditions et nous n'en voulons pas. De toute façon, nous n'avons pas besoin d'argent.
Nous n'avons qu'une recommandation à formuler. Nous fonctionnons en vertu du principe de common law voulant que l'agent de police a le pouvoir de porter une accusation ou non. Cette opinion a été confirmée en 1989 par la Cour suprême du Canada.
Il est arrivé que des procureurs de la Couronne me contestent en disant que l'enfant accusé n'a pas la limite d'âge prévue dans la Loi sur les jeunes contrevenants et que la mesure envisagée est une mesure relevant de l'article 4 et n'est donc pas autorisée par le procureur général de la Colombie-Britannique. Dans ce cas, je réponds que c'est vrai mais que l'alinéa 3(1)d) nous donne implicitement l'autorisation d'appliquer un programme de déjudiciarisation comme le nôtre. Plusieurs procureurs de la Couronne ont prétendu que non. Je connais par contre plusieurs juges qui partagent notre avis, l'un d'entre eux étant le juge Lilles, du Yukon, et soyez certains que j'accepte son avis avant celui de n'importe qui d'autre lorsqu'il s'agit de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Notre seule recommandation est que l'on apporte à la Loi sur les jeunes contrevenants une modification autorisant explicitement l'application de programmes de déjudiciarisation avant accusation comme le nôtre. C'est tout.
Nous ne pensons pas que la Loi soit foncièrement viciée. C'est le système qui est foncièrement vicié. Pour le rendre efficace, il faut dépenser des sommes phénoménales - il faut obtenir des ressources, il faut payer un juge, il faut payer les avocats. Si l'on veut accélérer le système... Voyez-vous, comme c'est le procureur général qui recrute les juges des cours provinciales et qui finance les tribunaux, ça n'arrivera pas. Les changements que l'on pourrait apporter à la Loi sur les jeunes contrevenants ne changeront pas grand-chose dans la très grande majorité des cas. C'est le système lui-même qu'il faut revoir. Certes, ce serait une tâche énorme mais il vaudrait la peine de s'y attaquer.
Au fond, nous avons réussi à court-circuiter le système. Si le taux de criminalité des jeunes n'augmente pas, nous continuerons avec ce programme tant et aussi longtemps que nous aurons le sentiment que nous n'augmentons pas les taux de récidive. Nous avons peut-être eu de la chance jusqu'à présent mais nos taux de récidive ont baissé. Considérant le degré de satisfaction des victimes et de la police à l'égard du programme, et considérant les économies réalisées, nous avons d'excellentes raisons de continuer. Nous avons la ferme conviction que c'est dans la collectivité qu'il faut trouver la solution à la criminalité des jeunes. Donnez à la communauté la possibilité d'agir et elle le fera.
Merci.
La présidente: Merci.
Monsieur St-Laurent. Je précise que nous n'aurons que cinq minutes chacun.
[Français]
M. St-Laurent: Je serai assez bref, naturellement, parce que le temps nous presse.
Dans votre cercle de rencontres, acceptez-vous la présence d'inconnus à la cause, c'est-à-dire de gens qui n'ont aucun lien avec la cause et qui se disent à un moment donné: «Aujourd'hui, je vais aller faire un tour là au lieu d'écouter la télévision»? Acceptez-vous ces gens-là dans le cercle dont vous parlez?
[Traduction]
M. Purdy: Les conférences ne sont pas accessibles au public. Il arrive souvent que nous ayons des observateurs, comme des agents correctionnels ou d'autres personnes qui souhaitent lancer un programme semblable aux nôtres, mais il n'y a jamais de journalistes. Nous croyons en effet que la présence de journalistes empêcherait les participants d'être aussi francs que maintenant et d'exprimer librement leurs émotions.
Ce n'est pas parce que nous voulons cacher ce que nous faisons. En fait, il m'arrive souvent de discuter avec le rédacteur en chef du journal local pour lui donner des précisions sur des affaires dont nous nous sommes occupés. Nous avons souvent des discussions tout à fait franches à ce sujet, mais de manière officieuse.
Pour ce qui est de faire participer d'autres types d'intervenants aux conférences, je dois dire que nous avons déjà essayé d'avoir recours à des travailleurs sociaux mais que les choses ont alors évolué d'une manière tout à fait inadéquate. Ces travailleurs sociaux n'étaient pas directement affectés par l'acte criminel et ils n'avaient pas grand-chose à offrir au processus.
Par contre, nous faisons souvent appel aux ressources communautaires après les conférences, par exemple pour aider des jeunes à renoncer à l'alcool ou aux drogues, et nous avons aussi obtenu accès à un service de counselling de manière indirecte, par le truchement du ministère de la Santé. Pour ce qui est d'utiliser d'autres ressources, nous avons constaté que ce n'était pas productif. Les choses marchent quand ce sont les gens directement concernés qui interviennent. Il ne semble pas que les tierces parties aient beaucoup à contribuer au processus.
Je précise que notre rôle est de nous intéresser au comportement délinquant et non pas à toutes les circonstances connexes qui ont pu y contribuer, par exemple un problème d'alcoolisme dans la famille. Comme nous nous concentrons uniquement sur le comportement délinquant, d'autres parties n'auraient pas grand-chose à offrir dans la recherche de solutions.
[Français]
M. St-Laurent: Je n'ai peut-être pas bien saisi, mais demandez-vous aux victimes de crimes, non seulement contre la propriété, mais aussi contre la personne, de s'impliquer? Si oui, y a-t-il des crimes contre la personne, comme le viol ou le meurtre, sur lesquels vous ne travaillez pas en tant que groupe? C'est sûr que vous ne devez pas vous occuper de cela, mais jusqu'où allez-vous dans votre démarche?
[Traduction]
M. Purdy: Le rôle de la victime pendant la conférence de résolution est crucial puisqu'elle seule peut vraiment faire comprendre au délinquant quelles ont été les conséquences de son acte. En outre, la victime joue un rôle très actif pour structurer la décision.
Je dois vous dire que nous n'appliquerions jamais ce programme à un cas d'homicide. Pour les crimes les plus graves, il est évident que le système judiciaire reste indispensable.
Je peux vous dire aussi que nous tiendrons lundi soir notre première conférence concernant un jeune conducteur en état d'ivresse. Nous n'avons jamais été saisis d'un cas de ce genre. Il y aura là un expert de la compagnie d'assurances qui expliquera au délinquant les coûts que doit assumer la compagnie et ceux qu'aurait dû assumer la société si la cause était passée devant un tribunal. Il y aura également le chef des pompiers qui a malheureusement eu l'occasion, pendant sa longue carrière, d'intervenir dans beaucoup d'accidents particulièrement sanglants. Il expliquera aux jeunes le carnage qu'il aurait pu causer. Il y aura aussi une infirmière de salle d'urgence et, bien sûr, l'agent de police qui a mené l'enquête.
Il y aura aussi un agent de police qui était hors service et qui a presque été atteint par ce jeune avant qu'on ne l'arrête. Ce sera presque la victime dans cette affaire.
Quelle solution allons-nous proposer? Je n'en sais rien. C'est le groupe qui discutera. Il y aura une discussion de tout le groupe avec le jeune et avec son père. Peut-être devra-t-il renoncer à son permis de conduire pendant un an? Peut-être devra-t-il faire un don à un organisme de bénévolat? Je ne sais pas. Je peux vous dire que je commence souvent une conférence de résolution sans avoir aucune idée de ce qui en sortira. Les parties trouvent toujours des solutions tout à fait particulières auxquelles nous n'aurions pas pensé. Cela ne serait pas possible devant le tribunal. Je suis toujours frappé de voir que les gens finissent toujours par trouver une solution.
La présidente: Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Merci, madame la présidente. Je ne serai pas long. Je tiens simplement à remercier les témoins d'être venus nous parler et de faire preuve d'une telle confiance en leur collectivité. Je dois dire que c'est le message que nous avons reçu d'un bout à l'autre du pays - c'est-à-dire qu'il faut rendre aux collectivités elles-mêmes le pouvoir de régler ce genre de problème communautaire car ce n'est pas avec ce que nous pouvons faire au palier fédéral que nous allons trouver des solutions. Il faut que les solutions viennent des citoyens eux-mêmes.
Je voudrais poser quelques questions. Nous avons entendu dire qu'il ne faudrait pas faire honte aux jeunes qui commettent un acte criminel, alors que cela semble être un facteur important dans le succès de votre programme. Qu'en pensez-vous?
Vous vous occupez parfois d'enfants de moins de 12 ans mais croyez-vous que vous seriez capable de vous occuper d'enfants qui n'ont pas commis d'acte criminel mais qui montrent des signes de difficultés ou de problèmes risquant de déboucher sur un acte criminel, par exemple des enfants qui sont continuellement en difficulté à l'école? Je sais que cela vous amènerait à un palier plus bas dans le processus puisqu'il s'agirait de détection très précoce et de prévention des comportements agressifs.
En ce qui concerne les pouvoirs publics, je crains que les intérêts acquis de l'appareil judiciaire ne constituent des obstacles insurmontables. Vous en avez dit quelques mots quand vous avez parlé des discussions que vous avez eues avec des procureurs de la Couronne. Je suis heureux de voir que vous ne demandez pas d'argent car je ne pense pas que ce soit la bonne solution, même s'il est vrai que certaines collectivités en auraient peut-être besoin dans certains cas. Votre seule recommandation est que l'on modifie la Loi pour dire clairement que ce que vous faites est conforme à la structure juridique. J'espère que tous les membres du comité avaient les oreilles grandes ouvertes quand vous avez dit cela.
Une telle modification à la Loi vous donnerait la protection dont vous avez besoin pourpouvoir poursuivre votre programme et pour l'étendre, voire pour mettre certaines personnes au chômage - nos juges, par exemple - et fermer quelques tribunaux.
C'est tout ce que je voulais dire. J'attends vos réponses.
La présidente: Avant que M. Smith ne vous réponde, je voudrais préciser, monsieur Ramsay, que deux membres de ce que vous appelez l'industrie font actuellement le nécessaire pour se mettre au chômage.
M. Ramsay: C'est juste.
La présidente: Je voulais simplement le préciser. Nous avons accueilli l'autre jour un procureur de la Couronne qui nous a dit exactement la même chose. Tout le monde n'a donc pas nécessairement de mauvaises intentions.
M. Ramsay: Mais c'est trop souvent le cas.
La présidente: Sergent Bouwman.
Le sergent Bouwman: Je voudrais traiter de cette question de honte.
Croyez-moi, monsieur Ramsay, nous ne sommes pas prêts de tomber au chômage. Je crois qu'il y aura hélas toujours assez de crimes graves pour donner du travail à tous nos juges, jurys, greffiers, etc. Ce n'est pas un secteur où l'on va éliminer des postes.
Cela dit, j'estime que la honte est un facteur très important. Je tire cette conclusion non seulement parce que j'ai participé à des conférences mais aussi parce que j'ai vu les résultats des conférences.
Comme je le disais plus tôt, l'un des premiers jeunes délinquants dont nous nous sommes occupés se trouvait l'autre jour dans mon salon. C'est aujourd'hui le meilleur ami de mon fils. De fait, c'est probablement le plus ardent partisan de ce programme à Sparwood car il comprend très bien ce qu'il a fait et quel tort il a causé à la victime.
Il a réussi à rencontrer la victime plus tard et à discuter de ce qu'il avait fait. Croyez-moi, il ne se prend pas pour un héros. Ce n'est un héros pour personne. Il a bien réalisé toutes les ramifications de son acte en parlant à la victime...
Pour ce qui est de faire honte aux délinquants, je n'irais pas jusqu'à dire qu'il faut les ligoter à un poteau devant la mairie et leur lancer des tomates. Par contre, faire honte au délinquant est utile pour lui faire comprendre vraiment ce qu'il a fait et pour qu'il devienne un bien meilleur citoyen que s'il était passé dans l'appareil judiciaire.
M. Ramsay: Merci.
M. Purdy: Pour ce qui est des très jeunes enfants, nous avons rencontré il y a un an des conseils scolaires de notre région pour tenter de leur faire adopter notre système de conférences. De fait, j'ai avec moi un manuel australien qui explique comment ce système peut être utilisé dans les écoles.
Malheureusement, bien que les conseils scolaires et les directeurs des écoles soient favorables à cette idée, nous avons beaucoup de mal à la faire mettre en pratique. Cela pourrait se faire. L'Australie connaît beaucoup de succès à ce chapitre. Nous pourrions donc fort bien appliquer le processus des conférences aux enfants beaucoup plus jeunes, dans les écoles.
Pour ce qui est des obstacles insurmontables, je peux vous dire que le procureur de la Couronne de notre région nous donne personnellement un soutien extraordinaire, même s'il ne peut le faire officiellement. De fait, le représentant de la Couronne dans notre région est quelqu'un d'extrêmement compétent qui s'est occupé lui-même de la mise en oeuvre du programme à Cranbrook. Il s'est occupé de cela pendant son temps libre. Je ne peux que l'en féliciter.
Pour ce qui est du ministère du procureur général, son appui a été moins que tiède. Récemment encore... Vendredi dernier, en fait, je recevais le compte rendu de la réunion du conseil provincial de l'Association du barreau canadien à laquelle participait M. Ernie Quantz, haut fonctionnaire du ministère.
Ce compte rendu montre que la province semble prête à envisager d'appliquer en 1987 un protocole inspiré de notre programme. J'ai tenté de contacter M. Quantz toute la semaine pour avoir des précisions mais je n'ai pas réussi à lui parler. Je peux vous dire que je serais vraiment très heureux si la province se décidait à généraliser notre expérience. Il faut cependant que le programme soit tout à fait communautaire, c'est-à-dire que l'on risque fort de courir à l'échec si on essaye d'imposer une structure formelle de l'extérieur.
M. Ramsay: Je suis d'accord.
La présidente: Merci. Monsieur Maloney.
M. Maloney: Sparwood est une petite collectivité dont les gens se sentent probablement très proches. Croyez-vous que votre programme serait aussi efficace dans des collectivités de 25 000,50 000 ou 100 000 habitants, ou à Vancouver?
M. Purdy: Quand nous avons commencé, j'ai eu l'occasion d'en parler à un juge de Victoria qui m'a dit que mon idée fonctionnerait beaucoup mieux dans une grande ville. Hélas, je n'ai pas pu poursuivre le débat avec lui à ce sujet. Je peux vous dire que sa réflexion m'a beaucoup surpris.
Cela dit, nous avons fini par comprendre que, lorsqu'on traite de comportement délinquant, il y a d'office une collectivité qui se compose au minimum des amis du délinquant, de ses parents, de la victime et de ses proches.
Cette communauté ne change pas, quelle que soit la taille de la ville. Vous pouvez fort bien être un retraité qui vit à Vancouver au sein d'une communauté très petite. Pour ma part, j'ai un cabinet d'avocat dans une petite ville mais ma communauté est très vaste, du point de vue de la clientèle. Il faut donc définir la communauté en fonction des gens qui sont directement touchés par le problème. Dans ce cas, c'est la même chose que l'on soit à Vancouver ou à Sparwood.
De fait, je crois qu'il serait beaucoup plus facile de trouver des ressources communautaires à Vancouver qu'à Sparwood pou ce qui est des sanctions fondées sur du service gratuit. On aurait accès à beaucoup plus de groupes à Vancouver. Pour ce qui est du processus lui-même, il n'y aurait absolument aucune raison de le modifier.
Nous nous trouvions en juin à une conférence, à Regina, avec le surintendant de Burnaby qui s'efforce de faire appliquer ce programme dans sa collectivité. Nous ne savons pas s'il a réussi mais nous croyons comprendre que cela suscite beaucoup d'intérêt.
M. Maloney: Vous n'avez encore jamais eu de délinquant qui ait choisi le processus judiciaire après être passé par votre programme. En votre qualité d'avocat de la défense, avez-vous des inquiétudes quelconques au sujet de la divulgation d'informations et de l'acceptation des responsabilités, dans votre programme, par rapport au processus contradictoire de l'appareil judiciaire?
M. Purdy: Si je comprends bien votre question, vous me demandez de comparer notre processus au processus judiciaire. La première différence est que nous ne nous occupons de jeunes délinquants que s'ils reconnaissent avoir commis l'acte criminel. Sinon, nous ne pouvons rien faire. Pour ce qui est du processus contradictoire des tribunaux, j'exerce le métier d'avocat de la défense depuis une douzaine d'années et je puis vous dire que c'est un processus extrêmement artificiel en ce qui concerne les jeunes. Quand j'en défends un, je puis vous garantir qu'il ne dira pas un mot si c'est moi qui décide. Je m'exprimerai en son nom. C'est la condamnation qui nous préoccupe.
Voilà l'effet du processus contradictoire. On consacre très peu de ressources à l'établissement de la sentence, ce qui n'est pas la même chose au Yukon. En règle générale, nous concentrons toute notre énergie sur la condamnation. Nous invoquons la Charte et les règles de la preuve. Voilà ce qui nous préoccupe.
L'appareil judiciaire ne s'intéresse absolument pas à la modification du comportement. Il ne s'intéresse pas à l'indemnisation de la victime. Il est uniquement axé sur la culpabilité ou l'innocence. Si un jeune reconnaît avoir commis un acte criminel, je n'ai aucun problème moral à ce qu'il soit traité dans notre programme plutôt que dans le système contradictoire.
Je peux vous dire qu'il m'est arrivé de vérifier personnellement un dossier pendant une conférence de résolution pour m'assurer que nous avions confirmation de tous les éléments d'un acte criminel et qu'il n'y avait aucune possibilité évidente de défense non technique.
Nous avons dû nous occuper une fois d'une affaire de treize vols par effraction dans la petite collectivité d'Elkford. Or, il s'est avéré que, dans l'un des cas, l'intention criminelle requise ne pouvait être prouvée. J'ai dit à l'agent que nous n'allions pas nous occuper de ce cas-là, et il a été d'accord. Il m'est arrivé aussi à plusieurs reprises d'être sur le point d'arrêter une conférence parce que j'avais le sentiment que l'accusé avec une défense valide, mais elle s'est complètement évaporée en poursuivant l'interrogatoire. Je n'ai donc jamais eu à arrêter une conférence mais je le ferais si c'était nécessaire. Si tous les éléments requis pour prouver l'acte criminel ne sont pas présents, nous n'irons pas de l'avant.
Le danger d'un programme comme le nôtre est que l'on jette le filet trop loin. Autrement dit, que l'on attrape des gens qui ne soient pas vraiment coupables d'avoir commis une infraction. Je crois cependant que nous pouvons faire largement confiance à la GRC - c'est en tout cas ce que nous faisons - pour veiller à utiliser cet outil de manière adéquate et légitime.
Nous avons vu d'autres collectivités qui ont mis sur pied un processus identique mais en s'assurant de la présence d'un avocat qui peut être consulté sur les facteurs constitutifs de l'infraction. Le danger que vous évoquez existe, j'en conviens.
La présidente: Merci, monsieur Maloney.
Je vous remercie beaucoup de votre témoignage. Nous avions déjà entendu parler de Sparwood quand nous avons rencontré le juge Lilles, au Yukon, ainsi que d'autres personnes de la région, notamment un procureur de la Couronne, hier. Je suis très heureuse que vous soyez venus nous parler. Merci beaucoup de votre mémoire. Il est excellent et il nous sera très utile.
Nous allons maintenant faire une pause de quelques minutes pour donner au témoin suivant, Noreen Waters, le temps de s'avancer à la table des témoins.
La séance est levée.