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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 3 décembre 1996

.0940

[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte.

M. Ramsay a une motion à proposer.

M. Ramsay (Crowfoot): Madame la présidente, dans la mesure où le contenu de cette motion pourrait être abordé à la Chambre dans le cadre de l'examen de la motion M-17, qui est une motion d'initiative parlementaire, je serais prêt à retirer ma motion en attendant de voir ce qui va être fait à la Chambre à ce sujet. Je suis donc disposé à retirer la motion ce matin.

La présidente: Nous abordons donc le projet de loi C-27.

M. Discepola (Vaudreuil): N'avez-vous pas besoin du consentement unanime des membres?

La présidente: Voulez-vous débattre la question? Y en a-t-il qui sont contre le retrait de cette motion?

Très bien. Nous procédons donc tout de suite à l'étude article par article, d'abord du projet de loi C-27, et ensuite du projet de loi C-235.

Article 1

La présidente: Y a-t-il des amendements?

Mme Torsney (Burlington): Je voudrais proposer l'amendement G-1 du parti ministériel. Bon nombre de groupes ont abordé cette question, mais disons que cet amendement aurait pour effet de supprimer du projet de loi l'expression «moyennant rétribution». Peut-être que les fonctionnaires voudraient faire des remarques à ce sujet.

La présidente: Je voudrais simplement préciser que si l'amendement G-1 est adopté, l'amendement BQ-1 ne pourra être proposé.

.0945

Les témoins désirent-ils intervenir?

M. Yvan Roy (avocat-conseil général, Droit pénal, ministère de la Justice): Madame la présidente, je ne sais pas si vous voulez que j'explique au comité l'effet de cette motion. Est-ce cela que vous désirez?

La présidente: Oui.

M. Roy: On propose ici un amendement en vue d'étendre la compétence des tribunaux canadiens à des infractions commises à l'extérieur du Canada. Le projet de loi C-27 inclut déjà une disposition concernant ce qu'on appelle le «tourisme sexuel». L'amendement en question élargit cette disposition du projet de loi afin d'englober les infractions commises à l'égard des enfants par des Canadiens à l'étranger. Donc, les infractions en question sont énumérées dans le nouveau projet de paragraphe 4.2. Il s'agit d'infractions typiques commises contre les enfants et d'infractions d'ordre sexuel.

De plus, il obligerait l'État étranger où l'infraction a été commise à demander au Canada d'intenter des poursuites ici. Le mécanisme prévu est la présentation d'une demande, par l'État étranger, au ministre de la Justice, puisque c'est la procédure normalement suivie pour les cas d'extradition, par exemple. Une fois que ces mesures auraient été prises, le ministre de la Justice renverrait l'affaire devant les autorités provinciales où les poursuites seraient entamées, encore une fois parce qu'il s'agit d'infractions en vertu du Code, et dans ce cas, c'est le procureur général de la province qui doit intenter des poursuites. Si le procureur général de la province concernée donnait son consentement, des poursuites seraient intentées au Canada pour l'infraction commise à l'étranger. Bon nombre de témoins ont fait cette demande expresse, et voilà donc le mécanisme que nous proposons pour vous permettre d'accéder à la demande de Mme Prober, entre autres.

La présidente: Monsieur Bellehumeur.

[Français]

M. Bellehumeur (Berthier - Montcalm): Monsieur Roy, je relis l'amendement G-1 que vous venez d'expliquer et je suis heureux de voir qu'encore une fois, nous avons vu juste. J'aimerais que vous m'expliquiez la différence, s'il y en a une, entre l'amendement que le Bloc québécois propose et l'amendement G-1. N'est-ce pas pratiquement la même chose?

M. Roy: Monsieur Bellehumeur, c'est pratiquement la même chose, sauf peut-être en ce qui concerne une infraction qui est retirée de la liste présentée dans votre amendement BQ-1, et certaines autres qui ont été ajoutées dans la liste du gouvernement. La proposition du gouvernement, l'amendement G-1, prévoit un mécanisme particulier qui n'est pas couvert dans la proposition de votre parti.

M. Bellehumeur: C'est ce que nous avions vu au cours des échanges que nous avions eus avec le parti ministériel, qui ne voulait rien savoir de cette modification, ce pourquoi nous l'avions limitée à sa plus simple expression. Mais nous sommes d'accord sur la modification ministérielle, compte tenu qu'elle va en plein dans le sens de nos revendications.

De plus, je vois ici - je prends un peu d'avance - , qu'il en va de même pour l'amendement BQ-2 et votre amendement. Encore là, le mécanisme prévu est peut-être plus complet, mais c'est sans doute parce que vous avez mis la main à la pâte. De notre côté, nous pensions que le gouvernement n'entendrait pas nos arguments. Une fois de plus, nous remercions le gouvernement de la bonne écoute qu'il a accordée vis-à-vis des arguments du Bloc québécois.

M. Roy: Il ne faut jamais présumer des intentions du ministre de la Justice.

M. Bellehumeur: Non, en effet. Je ne le fais pas non plus.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Madame la présidente, j'aimerais demander à nos fonctionnaires... Cet amendement semble proposer un changement important du point de vue de la personne qui porte plainte, puisque le nouveau projet de paragraphe (4.2) indique que:

a) tout fonctionnaire consulaire ou agent diplomatique accrédité auprès du Canada par l'État sur le territoire duquel l'infraction a été commise;

b) tout ministre de cet État communiquant avec lui par l'intermédiaire des agents diplomatiques de Sa Majesté dans cet État.»

.0950

Ne pensez-vous pas que ce libellé va limiter les possibilités en ce qui concerne les infractions qui peuvent faire l'objet d'une plainte et d'une enquête? S'agit-il en fait d'un nouvel article? Est-ce que cet amendement aurait pour effet de limiter les conditions dans lesquelles on pourrait porter plainte à l'égard d'une infraction commise par un Canadien à l'étranger?

M. Roy: Oui et non. À l'heure actuelle, il n'est pas possible de poursuivre des Canadiens pour des infractions commises à l'extérieur du Canada, et donc dans ce sens-là, l'amendement élargit la compétence des tribunaux canadiens.

Cependant, pour éviter que le mécanisme mis en place soit trop difficile à administrer, il est proposé dans cet amendement que l'initiative soit prise par l'État étranger.

Vous avez raison de dire que l'État étranger doit absolument - c'est une condition sine qua non - indiquer au ministre de la Justice du Canada qu'il voudrait que nous intentions des poursuites à l'égard de l'infraction en question. À la suite de cette demande, le Canada déciderait ou non d'exercer sa compétence et d'intenter des poursuites au Canada, plutôt que de laisser à l'État étranger le soin de le faire, comme c'est la coutume.

Pour reprendre l'exemple cité par la présidente quand nous avons comparu il y a quelque temps, mettons que l'infraction ait été commise à Detroit, et les personnes qui ont commis l'infraction vivent à Windsor, en Ontario. Ce serait aux autorités de l'État du Michigan de demander au ministre de la Justice d'intenter une action. Le ministre de la Justice dirait alors aux autorités ontariennes: «Normalement vous faites passer en justice les auteurs de ces infractions. Êtes-vous prêtes à assumer la responsabilité de cette affaire?»

Cela donne une plus grande souplesse en permettant que des poursuites soient intentées au Canada, plutôt que d'attendre que l'État étranger demande l'extradition de l'accusé - demande qui ne serait peut-être pas faite - pour que l'accusé soit poursuivi à Detroit. Donc, cet amendement élargit le champ de compétence, mais pas au point de n'y prévoir aucune restriction.

M. Ramsay: Ce qui m'inquiète, c'est l'idée qu'il incombera à des fonctionnaires en Thaïlande ou un autre pays étranger de porter plainte contre un citoyen canadien qui a eu des rapports sexuels avec un enfant dans leur pays. Est-ce bien cela la restriction qu'impose cet amendement?

M. Roy: C'est-à-dire que le Canada ne pourrait pas, de sa propre initiative, reconnaître sa compétence dans l'affaire en disant: «nous allons intenter des poursuites même si nous n'avons pas reçu de demande de l'État étranger».

M. Ramsay: Il faudrait donc qu'il y ait une plainte...

M. Roy: Oui, absolument. Mais cela pourrait se faire de différentes façons. On pourrait porter plainte au Canada par l'intermédiaire des Affaires étrangères ou du ministère de la Justice.

Nos fonctionnaires se mettraient alors en rapport avec leurs homologues au pays étranger concerné en leur disant: «Nous avons entendu parler de tel et tel événement. Veuillez nous renseigner.» L'administration étrangère nous dirait ensuite soit qu'elle a suffisamment de preuves pour intenter des poursuites là-bas - de sorte qu'une demande d'extradition serait transmise au Canada - soit qu'elle souhaite que nous intentions des poursuites dans notre pays, et le Canada serait alors à même de prendre l'affaire en mains.

M. Ramsay: Très bien. Juste pour conclure la discussion à ce sujet, j'avais déjà un certain nombre de préoccupations concernant la capacité ou l'incapacité du gouvernement d'appliquer ces nouveaux règlements ou ces nouvelles lois, et maintenant je constate que j'ai encore plus de raisons d'être inquiet puisque nous allons imposer une autre restriction, à savoir que la demande doit passer par les fonctionnaires de l'autre État. À mon avis, il sera plus difficile d'attaquer le problème du tourisme sexuel si nous adoptons cet amendement.

Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que l'application de cette loi sera plus difficile si nous adoptons cet amendement?

M. Roy: Sans vouloir vous contredire, je croyais sincèrement, monsieur Ramsay, que votre préoccupation concernait l'éventuel problème de son application à l'étranger, étant donné qu'il sera difficile au Canada de recueillir des preuves. Le mécanisme que nous nous proposons d'établir, par l'intermédiaire de cet amendement, donnerait au Canada une plus grande marge de manoeuvre... C'est-à-dire qu'il pourrait entamer des poursuites à l'égard d'un plus grand nombre d'infractions grâce à cet amendement.

.0955

Encore une fois, il permet au Canada d'exercer un minimum de contrôle sur tout le processus en prévoyant que le ministre de la Justice doit d'abord recevoir la demande du pays étranger.

En vertu du régime actuel, une demande d'extradition serait normalement présentée par la Thaïlande ou les États-Unis ou l'Argentine au Canada, et ce serait au Canada d'arrêter l'intéressé ici et de le renvoyer dans l'autre pays. Mais au lieu de faire cela pour ces infractions-ci, étant donné ce qu'on vous a déjà dit concernant la possibilité que les pays étrangers ne veuillent pas présenter une demande d'extradition, le Canada engagerait le processus judiciaire dans des affaires de ce genre.

Il faut tenir compte du fait que ce sont des États étrangers souverains. Nous devons être en mesure d'aller sur place et de recueillir les preuves dont nous avons besoin pour intenter une action. Si nous n'avons pas reçu de demande de la part de l'État étranger, nous n'avons pas le droit d'y aller ni de lui dire que nous assumons la responsabilité des poursuites à l'égard d'une infraction commise dans ce pays et que nous voulons aller sur place pour recueillir des preuves.

M. Ramsay: C'était justement la grande faiblesse de ce projet de loi au départ, et maintenant nous disons qu'il ne peut être engagé de procédures relativement à une infraction à ces articles que si une demande est présentée au ministre de la Justice du Canada.

La présidente: Peut-être pourrais-je aider à tirer les choses au clair. Le projet de paragraphe 212(4) n'est pas visé par ce mécanisme.

M. Roy: C'est exact.

La présidente: Le projet de paragraphe 212(4) est justement le paragraphe dont vous parlez, monsieur Ramsay, et si vous regardez bien l'amendement, vous allez voir que ce paragraphe n'est pas visé par cet amendement. Nous pouvons cependant intenter des poursuites en vertu du projet de paragraphe 212(4) - c'est-à-dire celui où l'on retrouve l'expression «moyennant rétribution», de notre propre chef, sans demander l'aide d'un gouvernement étranger; par contre, dans le cas des autres articles, l'assistance du gouvernement étranger est requise.

M. Roy: Cette motion ne vise pas le mécanisme prévu au projet de paragraphe 212(4), qui concerne le tourisme sexuel. C'est-à-dire que les poursuites peuvent à ce moment-là être intentées par le Canada. Nous avons d'ailleurs déjà parlé du consensus qui se dégage sur la scène internationale à cet égard. Si le Canada veut assumer la responsabilité d'intenter une action dans de telles affaires, il existe déjà des assises solides en droit international sur lesquelles il peut s'appuyer.

Le mécanisme dont je parle ne s'applique qu'aux infractions énumérées dans l'amendement G-1, c'est-à-dire les articles 151, 152, 153, 155, 159, etc. etc. Ce mécanisme ne s'applique qu'à ces articles-là, et il prévoit que l'État étranger demande au Canada d'engager des procédures à sa place. Autrement dit, l'État étranger nous dirait: Écoutez, nous sommes un État souverain, mais nous vous demandons d'intenter des poursuites relativement à un acte commis dans notre pays. Le mécanisme prévu est celui que j'ai décrit tout à l'heure.

En ce qui concerne le tourisme sexuel, rien n'a changé; nous nous contentons simplement d'élargir notre champ de compétence sans pour autant rien enlever aux dispositions actuelles du projet de loi C-27.

La présidente: Merci.

Madame Torsney.

Mme Torsney: Dans l'exemple cité par la présidente de deux familles différentes qui vont à Detroit où un membre d'une des familles commet un crime contre un enfant de cette ville, faut-il qu'il s'adresse aux autorités américaines pour que ces dernières demandent que nous intentions des poursuites au Canada? Si les deux familles sont canadiennes y a-t-il moyen de faire quelque chose sans qu'elles nous demandent de le faire?

M. Roy: Aux termes de l'amendement G-1, une condition préalable en common law serait que l'État étranger présente une demande au Canada pour que ce dernier engage une procédure ici. Donc, dans l'exemple que vous citez, peu importe que la victime et le prétendu auteur de l'infraction soient tous les deux Canadiens, en fin de compte, c'est à l'État étranger souverain de prendre la décision. Le crime a été commis sur son territoire et il doit donc demander au Canada d'intenter des poursuites, même s'il pourrait demander l'extradition du contrevenant. Dans ce cas-là, le Canada assumerait la responsabilité des poursuites et engagerait une procédure ici, au lieu de renvoyer l'accusé au pays en question.

Mme Torsney: C'est beaucoup moins astreignant pour l'autre pays s'il peut demander au Canada de s'en charger. Mais que se passe-t-il si les Bahamas ou un autre pays ont une loi de prescription pour ces crimes? Est-ce que cela fait une différence?

M. Roy: Vous allez voir que l'amendement G-1 n'exige pas la double criminalité, c'est-à-dire que l'infraction commise à l'étranger est une infraction non seulement dans ce pays mais au Canada. Dans l'exemple que vous citez, il me semble qu'on pourrait peut-être soulever cet argument devant un tribunal canadien, mais il n'existe pas pour le moment aucune disposition législative prévoyant qu'un crime visé par une loi de prescription aux Bahamas ne puisse pas faire l'objet de poursuites ici au Canada. La double criminalité n'est pas une exigence. Ainsi le Canada pourrait exercer sa compétence pour juger l'affaire.

.1000

Mettons qu'un Canadien ait commis un crime qui serait un crime au Canada et que les Bahamas nous demandent d'assumer la responsabilité des poursuites. À ce moment-là, nous allons le faire, et nous pouvons intenter une action au Canada.

Mme Torsney: Est-ce que...

M. Roy: Autrement dit, je sais fort bien qu'on va avancer cet argument.

Mme Torsney: Très bien. Cela veut dire également que peu importe que l'âge requis pour consentir soit inférieur au nôtre; si c'est un crime au Canada, cela suffit, et la personne pourrait à ce moment-là demander à l'autre gouvernement de permettre que le Canada intente une action ici.

M. Roy: C'est exact.

Mme Torsney: La dernière question que je voudrais poser concerne le fait que l'amendement du gouvernement - en fait c'est mon amendement maintenant - énumère quatre infractions de plus que celui du Bloc québécois. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi il y en a quatre de plus? Il est beaucoup plus large.

M. Roy: Je pourrais peut-être demander à Mme Anger ou à Mme Morency de vous répondre.

Mme Carole Morency (conseillère juridique, Politique en matière du droit de la famille et des adolescents, ministère de la Justice): Nous voulions simplement être conséquents en ce qui concerne notre façon de traiter les infractions sexuelles criminelles à l'égard des enfants dans d'autres secteurs. Par exemple, si vous prenez l'article 273.3 du Code criminel, vous allez y voir les mêmes infractions d'ordre sexuel à l'égard des enfants.

Mme Torsney: Merci.

La présidente: L'amendement G-1 est-il adopté?

[Français]

M. Bellehumeur: Non. Il va falloir en reparler.

[Traduction]

La présidente: Excusez-moi; vous voulez dire quelque chose? Allez-y.

[Français]

M. Bellehumeur: Oui. Je passerai la parole à Christiane, mais auparavant, je voudrais rappeler le fait suivant: un jeune homme avait été abusé sexuellement aux Bahamas, par un ami ou un voisin; de retour au Canada, ses parents ont voulu porter plainte. Dois-je comprendre que l'amendement G-1 obligerait les parents à exercer des pressions auprès d'un diplomate, d'un fonctionnaire de consulat ou de toute autre personne canadienne accréditée auprès de l'État sur le territoire duquel l'acte a été commis? Ensuite, cet État porterait plainte auprès des autorités canadiennes pour que celles-ci prennent action contre le Canadien qui a commis un tel acte aux Bahamas. Doit-on le comprendre ainsi?

M. Roy: Il y aurait plusieurs façons de procéder. Ce que l'amendement dit - et je reviendrai au cas particulier dont vous parlez - , c'est d'abord qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait double criminalité, c'est-à-dire que l'acte soit considéré comme une infraction et au Canada et dans l'autre pays. L'amendement dit aussi que c'est une condition sine qua non pour que le Canada puisse avoir juridiction sur les infractions dont parlent les articles 151 et 152. Il n'est pas question de l'article 212.

Mais, en ce qui a trait aux nouvelles infractions qui sont ici énumérées, il faut absolument que le pays où l'infraction a été commise et qui a, en droit international, première juridiction en la matière, fasse la demande au Canada de prendre juridiction. C'est une condition sine qua non.

Cela voudrait dire, par exemple dans le cas que vous présentez, qu'une personne agressée en pays étranger pourrait s'adresser aux autorités dudit pays pour leur demander l'extradition ou bien le transfert de juridiction au Canada. Elle pourrait encore s'adresser aux autorités canadiennes pour leur demander de prendre juridiction en la réclamant auprès des autorités bahamiennes selon la nouvelle disposition du Code criminel qui permet de le faire. Elle aurait au moins ces deux possibilités.

J'insiste pour dire, monsieur Bellehumeur, que le pays étranger doit en faire la demande et que cela constitue une condition sine qua non. Cette exigence repose essentiellement sur le principe de la souveraineté. Il y a aussi, vous dirai-je, des questions qui ont trait aux contraintes qui existent au Canada en matière de droit d'extradition.

M. Bellehumeur: Pourtant, il s'agit ici d'un Canadien. Le Canadien revient avec le jeune qu'il avait amené en voyage, parce que c'était un ami de la famille ou pour toute autre raison. Il y a eu des contacts sexuels ou on a incité le jeune à en avoir, comme il est dit aux articles 151 ou 152 touchés par l'amendement. C'est un Canadien qui est sur place, contre qui les parents portent plainte. Cela ne serait pas suffisant. Il faudrait que le pays qui les a reçus en vacances ou un fonctionnaire de consulat ou un agent diplomatique demande au gouvernement fédéral de porter plainte pour des événements qui se sont produits là-bas.

.1005

Je trouve que c'est beaucoup demander à des parents dont l'enfant a été victime d'abus sexuel. Je pense que je me suis réjoui trop rapidement. J'aurais dû attendre vos explications. Je pense qu'on n'aide pas vraiment. Ce ne sont pas ces modifications qui feront dire à nos témoins: «Mission accomplie». Je pense entre autres à ce jeune dont on avait abusé à l'étranger; je ne crois pas qu'il se dise qu'il a bien fait de venir témoigner devant le comité. Je ne pense pas que ces modifications répondent à ses revendications.

Le jeune qui revient d'une telle expérience, alors qu'il a 14 ou 15 ans, ou peut-être même 12 ans, se sent complètement démuni. C'est déjà très dur pour lui d'avoir à convaincre ses parents, parce que le drame se joue souvent à l'intérieur des familles. Dorénavant, les parents devront entreprendre une guérilla pour convaincre les agents consulaires ou diplomatiques de porter plainte auprès du gouvernement. Cela n'a aucun sens.

M. Roy: Je ne suis pas convaincu qu'il faille parler d'une guérilla consulaire ou diplomatique et que ce soit nécessairement ce qui se produira. Ce serait plutôt le contraire.

Je pense que ce que l'amendement G-1 procure, c'est la souplesse requise pour qu'on puisse traiter ces cas, en premier lieu selon les principes du droit international public et en second lieu de manière à donner aux autorités canadiennes, aux tribunaux canadiens, juridiction pour en traiter ici, au Canada.

Le principe de base en droit international public, et c'est aussi le cas au Canada, c'est qu'on peut poursuivre pour des infractions qui sont commises ici. Le fait que la victime soit un Canadien n'est généralement pas reconnu, en droit international public, comme un argument juridique solide. C'est, au contraire, considéré comme un argument plutôt mince.

Dans ce cas bien particulier, ne vous y trompez pas: la victime n'a pas besoin d'être canadienne. La victime peut être un enfant ou qui que ce soit d'autre. Pour prendre juridiction au Canada, on se fonde sur le fait que la personne accusée de l'infraction est un citoyen canadien. Nous allons donc au-delà de ce que le droit international public permet traditionnellement, soit de prendre juridiction pour un crime commis ailleurs.

Vous prétendez, parce que la victime est canadienne et que l'infraction a été commise par un Canadien, que ce devrait être plus facile. À mon humble avis, cela ne change rien quant aux principes de droit international public, à savoir que le crime a été commis ailleurs. Le pays où le crime a été commis doit choisir entre deux options: ou bien demander l'extradition de l'individu, ce que la plupart des pays vont faire et qui est le mécanisme reconnu en droit international public, en particulier dans les pays de common law, ou bien demander au Canada, qui s'en est accordé la souplesse, de s'occuper de la cause chez lui, étant donné - dans l'exemple que vous donnez - que la victime et l'accusé sont tous deux canadiens et qu'il n'y a pas de témoins. Ce n'est pas plus compliqué. Donc, soutenir qu'il va falloir mener une guérilla...

M. Bellehumeur: S'il s'agit d'un homme qui fait des affaires à Cuba ou dans une république de bananes et qui est capable d'acheter les hauts fonctionnaires de là-bas, c'est fini. Il n'y a pas d'issue pour les parents du jeune et le coupable s'en lave les mains. Le Canada s'en lave les mains. Cela revient à peu près à ça.

M. Roy: Vous savez, des scénarios comme ceux-là sont possibles dans le cas de toute infraction, quelle qu'elle soit. Il pourrait s'agir d'un meurtre ou d'une fraude monumentale. Que je sache, on n'a pas demandé que le Canada fasse la police partout dans le monde où se trouvent ses ressortissants.

Il y a des juridictions où c'est ainsi que les choses se passent. L'Allemagne, par exemple, a une exception constitutionnelle par laquelle elle refuse que ses nationaux soient extradés. Ce n'est pas notre cas ici et c'est toute la différence du monde. L'Allemagne poursuit ses nationaux à l'intérieur pour ce qu'ils ont fait à l'extérieur. Ce n'est pas la situation au Canada. Ce n'est pas la situation dans l'immense majorité des pays du monde.

L'amendement proposé ici ouvre largement les portes au changement parce que, comme je me plais à le répéter, il s'applique à tout enfant et non pas seulement aux enfants canadiens. Il ouvre également les portes à un changement, parce que le Canada prendrait juridiction pour un crime commis ailleurs, ce qui n'est pas la façon habituelle de procéder.

.1010

M. Bellehumeur: J'aurai autre chose à dire, mais vas-y.

Mme Gagnon (Québec): Ne pensez-vous pas qu'en adoptant l'amendement proposé, le Canada pourrait transférer sa responsabilité à l'autre pays concerné, ce qui ferait en sorte que personne ne se sente vraiment responsable?

De plus, des organismes qui aident les personnes abusées sexuellement, comme ECPAT et les ONG, dans bien des cas ne pourraient pas porter plainte pour l'enfant qui se trouve souvent démuni. Donc, ce serait limitatif. Est-ce que le projet de loi n'irait pas un peu à l'encontre du droit international pour la défense des droits des enfants parce qu'il est limitatif?

M. Roy: Madame Gagnon, la première responsabilité en ces matières revient à l'État où l'infraction a été commise.

Deuxièmement, dans à peu près tous les cas dont on parle, il devra y avoir enquête. Les enquêtes devront avoir lieu là où l'infraction a été commise dans une bonne mesure. Je n'ai jamais vu une cause où on n'ait pas été obligé d'aller sur les lieux du crime, de recueillir le témoignage d'autres personnes qui peuvent avoir été impliquées d'une manière ou d'une autre, pour corroborer les dires de l'enfant, par exemple.

Dans les cas dont on parle, tout s'est passé à l'étranger et je vous dis, parce que j'ai été impliqué moi-même dans ce genre d'affaires, que l'État étranger doit vous donner la permission de venir.

Or, selon le scénario que vous avez à l'esprit et si le mécanisme proposé n'était pas mis en place, une accusation pourrait être portée ici et le pays étranger dont nous parlait votre collègue, M. Bellehumeur, et où existerait une corruption considérable, pourrait dire au Canada qu'il n'est pas le bienvenu pour mener son enquête. Le Canada n'irait pas alors enquêter sur cette affaire dans ce pays.

Pour ce qui est de qui a la responsabilité, il faut franchement reconnaître l'un vis-à-vis de l'autre que la responsabilité première revient au pays étranger et, deuxièmement, que ce pays devra nous donner la permission d'aller chez lui pour enquêter, ramener la preuve et tenir la cause ici.

Le mécanisme proposé reconnaît qu'une question de souveraineté se pose, laquelle exige que l'État étranger demande au Canada de prendre juridiction, alors que, règle générale, le mécanisme employé serait une demande d'extradition faite par le Canada au moyen de mécanismes existants. La même chose serait aussi vraie s'il s'agissait d'un enfant canadien et d'un coupable canadien. Il faudrait informer l'État étranger qu'une infraction a été commise chez lui et lui demander l'extradition de cet individu en lui montrant la preuve.

Ce n'est pas seulement ce que l'amendement permet. Il donne une souplesse beaucoup plus grande qui permet de dire à l'État étranger: Plutôt que de faire revenir le coupable chez nous, nous allons demander au Canada de prendre juridiction en la matière, cela dans la reconnaissance du principe de la souveraineté des États et de la nécessité qui existera toujours d'aller sur place faire l'enquête une fois la permission accordée par cet État étranger.

Il est bien évident que l'État étranger qui nous a demandé de prendre juridiction va aussi, sur la base d'un traité d'entente mutuelle avec le Canada, nous permettre de faire l'enquête. Cela va de soi.

Tout cela se tient. D'une part, il y a la possibilité d'extradition; d'autre part, il y aura dorénavant la possibilité d'intenter des poursuites pour ces crimes ici même. Il y a aussi nécessité en droit que nous puissions aller là-bas faire enquête. Qu'en bout de ligne, on nous demande de prendre juridiction ne m'apparaît pas comme une difficulté telle qui empêcherait le Canada de faire ce qui doit être fait dans ces cas-là, bien au contraire.

Je sais fort bien, pour en avoir discuté régulièrement avec les provinces, que dans les cas qui l'exigeront, une personne pourra s'adresser à la police locale et expliquer ce qui s'est passé pour que celle-ci communique avec nous et que ce dialogue s'engage avec l'État étranger.

M. Bellehumeur: Oui, mais entre ce que vous dites et ce qui est écrit là, il y a une différence.

M. Roy: Je ne suis pas certain de vous suivre.

.1015

M. Bellehumeur: Si on interprète l'article de façon linéaire, il faut vraiment que la demande soit présentée au ministre de la Justice du Canada avec force.

M. Roy: Oui.

M. Bellehumeur: Si cela ne vient pas du pays étranger, le ministre de la Justice n'initiera pas les enquêtes dont vous me parlez. Si on suit le texte de l'article, ce n'est pas ce que vous exposez.

Si c'est l'inverse, si à la suite d'une plainte portée par un Canadien auprès du ministre de la Justice, celui-ci entame des pourparlers avec des fonctionnaires consulaires, agents diplomatiques ou autres, pour obtenir les diverses permissions que vous avez mentionnées, cela serait bien différent de ce qui est écrit là.

Ce qui est écrit là ne nous donne pas l'assurance que le gouvernement fédéral va investir de l'argent ou fera quoi que ce soit pour enquêter ou obtenir les autorisations requises. De la façon dont le texte est rédigé, monsieur Roy, il faut que toute action vienne d'un fonctionnaire consulaire ou agent diplomatique accrédité auprès du Canada. Il y a une différence. Il y a une distinction entre vos propos et le libellé de l'article.

M. Roy: Je ne pense pas qu'il y ait une différence entre ce que je dis et ce que le texte de loi permet. Le texte de loi dit que c'est une condition préalable, une condition sine qua non, que demande soit faite par l'État étranger. C'est tout ce que le texte de loi dit.

Cette demande faite par l'État étranger peut suivre différentes tractations qui auront eu lieu.

M. Bellehumeur: C'est là le danger. C'est là, je vous le dis, monsieur Roy, qu'il y a un danger.

L'amendement devrait comporter l'obligation pour le gouvernement fédéral d'obtenir la condition sine qua non lui permettant de poursuivre. Ce serait là la garantie. Sinon, il va y avoir la guérilla diplomatique et consulaire dont j'ai parlé. C'est là la difficulté.

M. Roy: Avec le respect que je vous dois, monsieur Bellehumeur, je vois mal comment le Canada pourrait, dans un texte de loi, forcer un État étranger à faire une demande.

M. Bellehumeur: Non. Que le Canada soit forcé lui-même de faire enquête et d'obtenir la condition sine qua non.

M. Roy: C'est exactement mon propos. Le Canada ne peut pas faire enquête sur une infraction commise ailleurs sans avoir, au préalable, l'autorisation du pays étranger.

M. Bellehumeur: Pour vous, il est entendu que le gouvernement va essayer de remplir la condition sine qua non. Cela va de soi. Tout ce que vous dites repose sur la bonne foi du gouvernement fédéral. À partir du dépôt de la plainte, le gouvernement entreprendra des démarches pour obtenir la permission de... etc., sans aucune obligation de sa part. Nous avons un ministre bien vigilant actuellement et je ne suis pas inquiet; s'il y a des plaintes fondées, il fera le travail. Mais demain matin, il peut s'en trouver un bien plus mou.

On ne fait pas un projet de loi pour deux ans. Je crois donc qu'on devrait imposer l'obligation d'obtenir cette condition sine qua non. Je reconnais la souveraineté du pays étranger et la validité de tout ce que vous avez dit, monsieur Roy. Je suis juriste, moi aussi, et je comprends tout cela. Mais je vais vous dire que c'est une chance que vous m'ayez fourni l'explication que vous en avez donnée, parce que je n'avais pas compris l'article de cette façon. De la façon dont vous l'expliquez, il y a divergence complète avec le texte de loi. Je ne peux donc pas voter pour un projet de loi en me fondant sur les explications que vous donnez.

M. Roy: Écoutez, je suis un tenant, et je continuerai de l'être, de ce qui était, dans le temps, l'article 2202 du Code civil, à savoir qu'il faut présumer de la bonne foi.

On ne peut pas avoir, dans un texte de loi - et je n'ai vu nulle part, ni dans le Code criminel ni dans les autres lois fédérales dont j'ai la responsabilité - , une obligation faite au gouvernement du Canada ou à un de ses ministres d'obtenir qu'une demande soit faite par un État étranger. À mon sens, il s'agit là d'une condition impossible à remplir. Ce que vous pouvez inclure dans un texte de loi, c'est l'exigence d'adresser une demande à un État étranger avant que le Canada puisse prendre juridiction.

Ce qui va se faire pour obtenir cette demande fait partie des obligations d'un gouvernement, desquelles il est responsable devant les élus.

Si un cas méritait qu'une demande soit adressée à un pays étranger et que le gouvernement du moment ne prenne pas les dispositions pour le faire, je suis certain qu'à 14 h 15, lundi, mardi, mercredi ou jeudi, ou 11 h 15 un vendredi matin, des questions pourraient être posées à cet égard. C'est comme cela, je pense, qu'un texte de loi doit être développé, tout en respectant l'opinion contraire.

M. Bellehumeur: Avec tout le respect que je vous dois, je vais vous donner un exemple concret en ce qui a trait aux questions de 14 h 15 les lundi, mardi, mercredi et jeudi et de 11 h 15 le vendredi. C'est l'exemple de la Loi sur l'accès à l'information.

.1020

La commission Krever voulait obtenir des documents antérieurs. Que s'est-il passé? On a utilisé à la lettre la réglementation pour dire que non, on ne donnerait pas la documentation parce que le président du Conseil privé en avait décidé ainsi. Et la loi lui donnait raison.

Aujourd'hui, c'est la même situation. Même si on questionne le ministre, il peut soutenir qu'il n'y a pas eu de demande du pays étranger. Et si on lui rétorque qu'il n'a pas fait un pouce d'effort pour remplir la condition sine qua non, le ministre va se dérober en invoquant l'article de loi et nous n'aurons rien à dire même si on l'interroge tous les jours que le Bon Dieu amène. Cela ne se tient pas.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Certains Canadiens vont à l'étranger et ont des rapports sexuels avec des enfants là-bas. Ce projet de loi vise à prévenir ou à décourager ce genre de chose. Si l'on n'attire pas l'attention de l'agent diplomatique, dont il est question à l'alinéa a), ou du ministre de l'État concerné, mentionné à l'alinéa b), sur ces infractions, aucune action ne peut être intentée aux termes de ce projet de loi. Autrement dit, on ne porte pas plainte à l'égard de l'infraction. Si l'une des deux personnes, c'est-à-dire l'agent diplomatique dont il est question à l'alinéa a) ou le ministre mentionné à l'alinéa b), décide de ne pas y donner suite, rien ne va se faire.

Si telle est la restriction qu'impose le projet de loi, très bien - à condition que ce soit bien compris. On ne peut pas aller au-delà de certaines limites. Mais il faut bien comprendre la restriction qu'impose ce projet de loi.

Ai-je donc bien compris la situation? Dois-je comprendre que si un Canadien va à l'étranger et commet une infraction à l'égard d'un enfant dans cet autre pays, c'est à l'agent diplomatique mentionné à l'alinéa a) ou au ministre de l'État concerné, comme le prévoit l'alinéa b), de porter plainte?

M. Roy: C'est exact. J'aurais juste une petite mise au point à faire. Le libellé que vous voyez au projet d'alinéas (4.2) a) et b) est le libellé qu'on emploie normalement dans un projet de loi pour indiquer que la demande est faite par un État étranger. Cela signifie simplement que ça passe par la voie diplomatique, comme nous le disons dans notre jargon. C'est tout. Il faut que ce soit un représentant de l'État étranger qui fasse la demande, demande qui va nous être transmise par la voie diplomatique, soit au Canada, soit à l'étranger.

Voilà donc la raison d'être des alinéas a) et b). La demande peut être faite par quelqu'un travaillant à leur ambassade au Canada. Cette personne s'adressera au ministère de la Justice, ou au ministre, pour lui transmettre la demande du pays en question. L'autre possibilité, ce serait que ce représentant s'adresse à notre ambassadeur dans la capitale en lui disant: «Voilà notre demande; nous vous invitons à exercer votre compétence dans cette affaire».

Mais vous avez tout à fait raison de dire qu'il s'agit là d'une restriction.

M. Ramsay: Je me dois donc de vous poser la question que voici: Puisque tous les témoins ont déjà comparu devant le comité pour nous parler du projet de loi, pourquoi n'avez-vous pas songé à incorporer cela dans le projet de loi dès le départ? Il ne sera plus possible de demander à nos témoins de réagir à ce changement important au projet de loi.

M. Roy: À mon avis, monsieur Ramsay, cet amendement a pour effet d'élargir considérablement la compétence du Canada dans de telles affaires. Selon la tradition canadienne, nous intentons des poursuites contre quiconque commet un crime dans ce pays. Il peut s'agir d'un Allemand, d'un Canadien, d'un Américain, d'un Anglais ou d'un Français; peu importe. Si vous commettez un crime au Canada, nous allons vous poursuivre en justice, et si vous allez à l'étranger, nous allons vous suivre et vous attraper, et nous présenterons une demande d'extradition au pays concerné pour qu'on vous renvoie au Canada.

Nos lois prévoient également que lorsqu'un crime est commis à l'extérieur du Canada, nous ne pouvons intenter des poursuites. Au fil des ans, il y a eu de rares exceptions à ce principe, pour ce qu'on appelle en droit international... Excusez-moi, je cherche le bon terme. Cela s'applique à un certain nombre d'infractions en droit international - par exemple, le crime de piraterie. Il est reconnu que tout pays peut reconnaître sa compétence pour juger une affaire de piraterie.

.1025

Excusez-moi, j'ai eu un trou de mémoire. Mais il existe le principe selon lequel on peut poursuivre en justice les auteurs de ces crimes où qu'ils aient été commis. Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité sont les meilleurs exemples que je puisse vous donner. Le Canada a donc élargi son champ de compétence pour lui permettre d'assumer la responsabilité...

Juridiction universelle - voilà le terme que je cherchais. C'est ce principe-là du droit international qui s'applique dans le cas de certains crimes. Lorsqu'un crime est reconnu par la communauté internationale, chaque pays devrait avoir le droit d'exercer sa compétence à l'égard du crime concerné, où qu'il ait été commis. Ce que nous voyons au projet de paragraphe 212(4)... c'est-à-dire qu'en droit international nous voyons se dégager un consensus, à savoir que chaque pays devrait pouvoir exercer sa compétence pour intenter une action pour des crimes commis à l'étranger, lorsque ces crimes sont liés au tourisme sexuel visant les enfants. L'amendement proposé va même au-delà.

Il n'y a pas de véritable consensus en droit international à cet égard, mais vu les pressions exercées par les témoins que vous avez reçus pendant plusieurs jours, le ministre estime qu'il serait peut-être temps que le Canada élargisse son champ de compétence pour viser ce genre d'infractions. Nous affirmons que nous avons besoin de protéger les enfants - que ce soit des enfants canadiens ou d'autres - et que lorsque les Canadiens vont à l'étranger et commettent ce genre de crimes, le Canada devrait avoir la souplesse nécessaire pour assumer la responsabilité des poursuites. Mais il faut bien comprendre que cela va au-delà des motifs qu'on peut normalement invoquer afin d'exercer sa compétence à l'égard de crimes commis à l'étranger. C'est la raison pour laquelle nous ne l'avons pas inclus au départ, mais ce droit est maintenant assorti d'une condition préalable, à savoir que l'État étranger en fasse la demande.

La présidente: Madame Torsney, je vous demanderais d'être brève, et ensuite nous mettrons la question aux voix.

Mme Torsney: Très brièvement, cette question a été soulevée au départ en raison de certains témoignages et des pressions exercées par certaines personnes; donc, ce que vous dites est tout à fait juste.

Dans l'affaire Prober, le gouvernement bahamien aurait été ravi de nous demander d'intenter des poursuites. La réponse qu'il a donnée à la famille Prober, c'était que la famille devait se débrouiller toute seule; ils étaient tous les deux Canadiens, et par conséquent, ce problème ne relevait pas des autorités bahamiennes. Ils ont donc dû porter plainte, engager des avocats - ils ont dû faire toutes sortes de choses. Le gouvernement des Bahamas aurait été tout à fait ravi de transmettre une telle demande, soit par l'entremise de leur agent diplomatique ici au Canada ou du ministre de la Justice là-bas.

Prétendre qu'ils vont devoir attirer l'attention de ces personnes... C'est-à-dire que si vous n'attirez pas l'attention d'un procureur de la Couronne sur une affaire, on ne va pas non plus y donner suite. En Ontario, c'est la même chose; ce n'est donc pas si étrange. À mon sens, il sera plus facile d'engager des procédures grâce à ces changements, et les gouvernements concernés seront très contents de nous laisser régler ce qu'ils considèrent comme nos problèmes. Deuxièmement, cela va aider les enfants bahamiens. Dans ce cas-ci, lorsque les autorités canadiennes feraient leur enquête, elles découvriraient probablement que bon nombre d'autres enfants bahamiens ont également été maltraités, et elles pourraient donc prendre les mesures prévues ici.

Le gouvernement a décidé d'aller de l'avant parce que même si c'est une dérogation à la position que nous avons prise sur la scène internationale, en ce sens que nous nous reconnaissons une compétence extraterritoriale dans de telles affaires, et même s'il n'y a pas de consensus international à cet égard, le Canada prend position dans ce projet de loi et affirme que les enfants sont importants et que ce genre d'acte est inadmissible. Nous affirmons dans cette mesure que nous allons prendre certaines mesures pour protéger nos enfants, et nous voulons justement incorporer ce changement pour être en mesure de poursuivre tout Canadien qui maltraite un enfant à l'étranger.

J'insiste aussi sur le fait que cela va nous aider quand nous n'aurons pas de traité d'extradition avec certains pays. Je ne trouve pas d'exemples pour le moment, mais si vous en aviez à me fournir, ce serait utile. Plutôt que le pays qui n'a pas de... Le Brésil, vous dites? Nous n'avons pas de traité d'extradition...?

M. Roy: Le Japon.

Mme Torsney: Le Japon. Bon; donc, si un acte est commis au Japon, le gouvernement japonais ne serait pas en mesure de nous demander d'extrader un Canadien. Eh bien, maintenant ils n'ont pas besoin de ce mécanisme. Il suffit que leur diplomate ici au Canada dise au ministre qu'ils voudraient nous transmettre le dossier d'un certain Canadien. S'il nous était impossible d'exercer des pressions politiques ou d'autres pressions par l'intermédiaire du procureur de la Couronne - cela rejoint le dernier point soulevé par le Bloc, si je ne m'abuse - ce serait tout à fait inadmissible.

Je pense que les gens ont au contraire manifesté leur bonne volonté. La population nous dit - et le gouvernement canadien s'éloigne beaucoup de sa position traditionnelle en affirmant cela - que ce sont les enfants qui sont victimes de ces crimes et qu'il convient que nous prenions des mesures pour les protéger. C'est un écart important par rapport à sa position traditionnelle, et je pense que c'est grâce aux pressions exercées par bon nombre de témoins et de députés ordinaires, qui ont décidé que cela ne cela suffit. Je pense qu'il faut y voir une réalisation très importante, car maintenant les enfants auront une chance de s'en sortir.

.1030

La présidente: Très bien. L'amendement G-1 est-il...

[Français]

Mme Gagnon: J'ai une question.

La présidente: All right.

Mme Gagnon: Pourquoi faites-vous une distinction dans les cas d'abus sexuel quand on sait que dans le cas d'autres infractions, le gouvernement va de l'avant avec l'extradition? Vous semblez faire une distinction dans les cas d'abus sexuel chez les enfants et je pense que vous allez un peu à l'encontre des conventions de l'ONU sur les droits de l'enfant à ce chapitre. Vous faites une distinction entre rétribution et abus sexuel. J'ai l'impression que vous ne voulez pas englober tous les abus sexuels.

M. Roy: Vous avez raison, la proposition traite d'infractions à caractère sexuel commises contre des enfants. C'est essentiellement dans la foulée de ce que disait Mme Torsney. Le Canada va plus loin que bien d'autres pays en la matière. On cherche à protéger les enfants qui subissent ce type d'agressions de la part de Canadiens. On n'élargit pas le champ au point de couvrir toute infraction qui aurait pu être commise contre un enfant à l'étranger, que ce soit des voies de fait ordinaires ou d'autres types d'infractions du genre. Il s'agit d'une ouverture où le Canada tente de faire plus que les autres pays, affirmant que face à ce type d'infractions, il y a lieu que nous prenions action.

[Traduction]

La présidente: Nous sommes prêts à mettre la question aux voix. Nous en discutons depuis 45 minutes.

L'amendement G-1 est-il adopté?

Des voix: Adopté.

M. Bellehumeur: Non.

La présidente: À la majorité des voix.

M. Ramsay: J'invoque le Règlement, madame la présidente. Je voudrais savoir si on a l'intention d'empêcher les membres de poser des questions ou d'exprimer leurs préoccupations concernant chacun des amendements. Normalement - du moins depuis que je suis membre du comité - la dernière question que pose le président ou la présidente est la suivante: «Y a-t-il d'autres remarques?» Je voudrais donc savoir si vous avez l'intention de limiter la discussion sur chacun des amendements.

La présidente: Avez-vous d'autres remarques, monsieur Ramsay?

M. Ramsay: Oui, et M. Bellehumeur aussi.

La présidente: Je vous accorde à chacun, monsieur Bellehumeur et monsieur Ramsay, un dernier tour, et après nous allons mettre la question aux voix. Nous attendons un témoin à 11 heures.

Monsieur Bellehumeur.

[Français]

M. Bellehumeur: Je ne veux pas vous contredire, madame la présidente, mais j'estime que nous avons le droit d'avoir des réponses à nos questions. Jusqu'à maintenant, je crois que les questions ont très légitimes. Nous avons le droit de nous exprimer ici.

Monsieur Roy, la modification du gouvernement G-1 semble se présenter en deux parties. La première partie se lit ainsi: «a) par substitution à la ligne 11, page 3, de ce qui suit:».

Si on décidait d'adopter cette partie et non pas la deuxième, serait-il possible de le faire? Sont-elles interreliées?

M. Roy: Interreliées... C'est la proposition qui est faite par le gouvernement.

M. Bellehumeur: Oui, je comprends.

M. Roy: Autrement, vous faites fi des considérations que j'ai présentées quant à la souveraineté et à la nécessité de passer par les canaux diplomatiques.

M. Bellehumeur: Prenons par exemple le cas d'un meurtre. Deux Canadiens vont en Floride. Un Canadien tue l'autre Canadien. Le tueur revient au Canada, on porte plainte, etc.

N'est-il pas implicite que le Canada ira demander la collaboration des États-Unis ou de tout autre pays où le crime a été commis? N'est-il pas implicite que pour aller faire enquête et prendre des photos sur place, nous aurions recours à l'aide de ceux qui auraient trouvé le cadavre, etc.?

M. Roy: Votre meurtre est commis à l'étranger?

M. Bellehumeur: Oui.

M. Roy: Un Canadien tue une autre Canadien?

M. Bellehumeur: Oui.

M. Roy: Le Canada n'a aucune juridiction pour agir dans cette cause.

M. Bellehumeur: Aucune juridiction.

M. Roy: Il existe même une cause qui a fait l'objet d'une décision de la part du ministre de la Justice, soit l'affaire Hurley qui impliquait deux Canadiens au Mexique. On avait demandé au ministre si on devait extrader cet individu au Mexique pour le meurtre commis. La victime est canadienne et le meurtrier est canadien et de retour ici. Le ministre a choisi l'extradition. Le Canada n'a aucune juridiction pour intervenir dans ces cas-là.

M. Bellehumeur: D'accord.

.1035

Supposons que le meurtre se soit produit dans une république de bananes où on ne voudrait pas entreprendre de procédures ou quoi que soit et que nous sachions qui est le meurtrier et qu'il se trouve au Canada. Le Canada ne pourrait rien faire. Y a-t-il d'autres infractions de ce genre?

M. Roy: Toutes.

M. Bellehumeur: Toutes les infractions.

M. Roy: Toutes les infractions, sauf celles qui font l'objet d'une exception, dont celles qui figurent à l'amendement G-1, ainsi que les infractions de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Le paragraphe 212(4) ferait l'objet d'un régime particulier. C'est essentiellement cela.

M. Bellehumeur: Je n'ai pas d'autres questions.

[Traduction]

La présidente: Merci.

M. Ramsay: Merci, madame la présidente, pour votre indulgence.

Je suppose que ce qui m'inquiète... Ce projet de loi est meilleur que ce qui existait précédemment. Cela ne fait aucun doute. Mais je me demande s'il va être vraiment efficace. Est-ce qu'il va vraiment changer la situation de façon concrète, où est-ce que ce serait juste des mots écrits dans un projet de loi?

Je trouve malheureux que cet amendement que propose le gouvernement n'ait pas fait partie du projet de loi au moment où certains de nos témoins ont comparu devant le comité et avaient l'occasion de l'examiner. Nous avons l'intention d'appuyer ce projet de loi. Mon caucus l'appuie. Mais ce que je vois dans cet amendement, c'est que la possibilité pour les gens de la base, l'enfant à l'étranger, ses amis et sa famille, de porter plainte auprès de la police ou aux autorités judiciaires sera à ce point limitée qu'elle va devoir être transmise par ces deux uniques sources à notre ministre de la Justice. À mon sens, cela va compromettre l'efficacité de ce projet de loi du point de vue de son effet concret sur le problème du tourisme sexuel à l'égard des enfants.

Je ne pense pas que la question de l'extradition du contrevenant pose problème, puisque ce dernier aura été là-bas en vacance et va forcément revenir. Il va revenir après avoir commis l'infraction en question. C'est plutôt le fait que la plainte au sujet du crime doit passer par certaines personnes qui pose problème. L'effet de cet amendement est d'expliciter la procédure à suivre pour que cette plainte soit transmise aux autorités canadiennes, c'est-à-dire au ministre de la Justice du Canada.

Je voulais simplement vous faire part de mes préoccupations relativement à l'applicabilité du projet de loi. Son champ d'application est plus étroit qu'il devrait l'être à l'origine, à cause de cet amendement.

Merci, madame la présidente.

La présidente: L'amendement G-1 est-il adopté?

[Français]

M. Bellehumeur: Je demande un vote par appel nominal.

[Traduction]

L'amendement est adopté par cinq voix contre trois [Voir Procès-verbaux]

La présidente: L'amendement BQ-1 est donc superflu.

Qui voudrait nous présenter l'amendement BQ-2?

[Français]

Madame Gagnon.

Mme Gagnon: L'amendement BQ-2 a trait à l'immunité de la cour martiale. Nous voudrions que les membres des Forces armées canadiennes soient traités au même titre que les citoyens et citoyennes. Je pense que les témoins se sont entendus à cet égard et ont convenu que des cas d'abus sexuel d'enfants relèvent, non pas de la cour martiale, mais bien d'un tribunal qui entend les causes de tout citoyen. C'est ce que nous ont demandé à plusieurs reprises les témoins.

.1040

Je crois qu'il est justifié d'inclure les membres des Forces armées canadiennes qui accomplissent une mission à l'étranger auprès de l'organisation des Nations unies.

[Traduction]

La présidente: Avons-nous des commentaires? Madame Torsney.

Mme Torsney: J'étais prête à appuyer cet amendement jusqu'à ce que j'apprenne que les diplomates canadiens et les membres des Forces armées canadiennes en poste à l'étranger sont les deux seules catégories de Canadiens qui sont toujours visées par le Code criminel du Canada. Cet amendement est donc superflu puisque c'est déjà prévu. Ce n'est peut-être pas connu de grand monde, et il faudrait peut-être songer justement à en faire l'objet d'un plan de communication, mais le fait est que ces personnes sont déjà visées par le Code criminel du Canada lorsqu'elles sont à l'étranger, à moins que quelqu'un ne veuille me contredire.

[Français]

M. Bellehumeur: Nous pourrions peut-être demander à M. Roy d'intervenir.

[Traduction]

La présidente: Peut-être pourriez-vous attendre qu'on vous accorde la parole. Une personne à la fois.

Avez-vous terminé, madame Torsney?

Mme Torsney: Oui, merci.

La présidente: Monsieur Bellehumeur.

[Français]

M. Bellehumeur: Elle avait dit qu'elle avait fini.

[Traduction]

Mme Torsney: Mais il allait dire quelque chose.

La présidente: C'est M. Roy qui allait dire quelque chose.

[Français]

M. Roy: Je désirais simplement confirmer que c'est aussi ce que je comprends. Les amendements dont il est ici question traitent de citoyens canadiens. Leur appartenance, que ce soit à titre de diplomates, à titre de membres des Forces armées ou à titre de voyageurs touristes, n'a aucune espèce d'importance. Ils sont couverts par cette disposition. J'ai toujours peur de ces redondances parce qu'on semble indiquer, lorsqu'on fait de telles précisions dans un texte de loi, que ça ne s'appliquerait pas à eux ailleurs, ce qui n'est pas le cas. Ce type d'amendement me fait vraiment peur.

M. Bellehumeur: Je voudrais savoir si les membres des Forces canadiennes qui sont ou qui ont été en mission auprès de l'Organisation des nations unies et se sont livrés à des actes que le projet de loi condamne sont passibles d'être poursuivis devant les tribunaux de droit commun ou civils.

M. Roy: C'est une autre question. Je ne suis pas certain de pouvoir y répondre avant d'avoir fait des vérifications supplémentaires.

M. Bellehumeur: Mme Torsney semblait dire qu'ils étaient déjà couverts. Quel article du Code criminel couvre ces cas?

[Traduction]

La présidente: Peut-être pourrais-je vous aider à cet égard? L'amendement proposé n'aurait pas pour résultat de faire en sorte que les membres des Forces armées ne puissent pas être jugés par un tribunal militaire. Lorsqu'ils commettent une infraction en vertu du Code criminel, ils passent devant une cour martiale, et non devant un tribunal civil, quand ils sont de service. Donc, à mon avis, cet amendement ne va pas vous permettre de réaliser l'objectif que vous vous êtes fixé.

Monsieur Roy, voulez-vous intervenir?

M. Roy: Il me semble qu'on parle de deux situations différentes. L'amendement, tel qu'il est actuellement libellé, donne au tribunal canadien le pouvoir de faire des choses qu'il ne serait pas en mesure de faire autrement. Le fait que ce soit un soldat qui agit au nom du Canada ou qui est en mission auprès de l'Organisation des Nations Unies ne change pas le fait que cette personne est citoyen canadien, et puisque c'est ce critère-là qui compte, cette dernière serait forcément visée par ces amendements.

L'autre question est celle de savoir si ces personnes qui auraient commis certaines infractions pourraient faire l'objet d'une poursuite au Canada; cela rejoint justement ce que disait Mme Torsney, c'est-à-dire que ces personnes sont toujours considérées avoir un lien avec le Canada lorsqu'elles sont en mission et par conséquent, elles peuvent faire l'objet d'une action intentée par leur propre organisation et passer devant une cour martiale.

La troisième question est la suivante: Feraient-elles l'objet de poursuites devant un tribunal canadien, en raison du champ de compétence élargi de celui-ci, ou passeraient-elles devant une cour martiale? J'ignore la réponse à cette question. Je ne connais pas assez bien le fonctionnement d'une cour martiale pour pouvoir vous donner une réponse satisfaisante. Il faudrait que je vérifie. C'est tout ce que je peux vous dire.

La présidente: Monsieur Bellehumeur.

[Français]

M. Bellehumeur: Voici ce que je comprends de votre témoignage, monsieur Roy. Prenons l'exemple d'un membre des Forces canadiennes en mission sous l'égide des Nations unies qui commet une infraction en vertu de l'article 151 en ayant un contact sexuel avec un jeune de moins de 14 ans. Au Canada, si le pays donnait son autorisation et ainsi de suite, parce que là ça va s'appliquer également, il ne se retrouverait pas devant la cour, qu'il soit Québécois ou quoi que ce soit, ni devant la chambre criminelle d'un tribunal ordinaire, mais devant la cour martiale.

.1045

M. Roy: Je disais, monsieur Bellehumeur, qu'il y a deux possibilités. Notre code n'exclut pas, d'une manière ou d'une autre, les militaires, mais les militaires sont gérés par un régime indépendant qui est celui des cours martiales. Il est cependant tout à fait possible, et je ne pourrais pas vous en dire plus là-dessus parce que je n'en sais pas suffisamment, qu'un militaire qui commettrait ce genre d'infraction fasse l'objet d'une accusation en cour martiale. C'est ce que je pense, mais je ne pourrais pas vous en dire plus. Mais ils ne sont pas exclus, d'une manière ou d'une autre, de l'application du texte de loi, si bien que votre motion BQ-2 est tout à fait redondante.

M. Bellehumeur: Peut-être pas, parce que si vous n'avez pas la réponse au complet, elle n'est peut-être pas redondante.

M. Roy: Elle est redondante dans la mesure où ils ne sont pas exclus de l'application des amendements qui sont devant vous. Ce n'est pas parce que la personne est un soldat que le Code ne s'appliquera pas. Ce que nous avons, c'est bien davantage un régime qui va s'appliquer selon que le tribunal est civil ou criminel. L'amendement n'ajoute rien.

M. Bellehumeur: Mais il me semble que vous ne pouvez pas me donner l'assurance qu'un soldat qui a un contact sexuel avec un enfant de moins de 14 ans va être traité sur le même pied qu'un citoyen ordinaire, au Canada. Je peux vous dire que la population en a soupé des cours martiales et des affaires qui se font en catimini. Il me semble que vous auriez dû arriver avec des réponses complètes relativement à notre amendement. Je voudrais être certain que nous sommes dans le champ de l'amendement. Vous ne nous le dites pas clairement. Vous dites ga se peut que, mon instinct me dit que», mais quelle est la réponse claire?

[Traduction]

La présidente: Je pense que M. MacLellan connaît la réponse, alors je lui cède tout de suite la parole.

M. MacLellan (Cap-Breton - The Sydneys): Madame la présidente, un soldat ou un membre des Forces armées qui commettrait ce genre de crime recevrait exactement le même traitement, mais serait jugé par un tribunal différent. Ce serait un tribunal militaire. La question est de savoir si le tribunal militaire jugerait ce crime de la même manière qu'un tribunal civil. On ne peut pas savoir comment le tribunal réagirait, selon la situation, parce que ce sont des militaires et non des civils.

Je voulais également vous dire que c'est toujours un tribunal militaire qui les juge. Nous avons eu un cas récemment au Cap- Breton où un jeune caporal a reçu une balle dans la tête pendant qu'il participait à un exercice de maniement des grenades en Alberta. Le major responsable, ainsi que d'autres, vont passer devant un tribunal militaire.

J'ai la même inquiétude que M. Roy en ce qui concerne l'adjonction de ce bout de phrase «il demeure entendu que...». Étant donné que les membres des Forces armées sont déjà visés par la loi, si l'on dit: «il demeure entendu que»... j'ai l'impression que nous allons peut-être affaiblir d'autres dispositions législatives qui visent les membres des Forces armées, si on le précise ici mais non dans d'autres lois. À mon avis, cela pourrait compromettre notre capacité d'appliquer les lois actuelles aux membres des Forces armées.

La présidente: Madame Gagnon.

[Français]

Mme Gagnon: Les chances de poursuivre un militaire, dans un pays comme le Rwanda, sont nulles. J'essaie de trouver, dans les témoignages, le nom de la dame qui a demandé que cette précision soit mise dans la loi. Cette dame ne pouvait pas nommer des cas précis, mais disait - et nous le savons très bien - qu'il y avait des cas d'abus sexuels pour lesquels il n'y avait aucune poursuite, car les soldats ont une certaine immunité, particulièrement si ce sont des soldats de l'ONU.

À mon avis, même si vous pensez qu'ils sont inclus dans votre projet de loi, il vaut mieux faire préciser ce genre de choses, de sorte que des poursuites contre un soldat de l'ONU pourraient avoir lieu à l'extérieur du pays où le crime s'est passé si ce pays ne veut pas le poursuivre. Cela encouragerait certaines poursuites.

[Traduction]

Mme Torsney: J'invoque le Règlement. Il faut que les choses soient claires. Aucun témoin n'a jamais dit qu'on avait porté plainte contre des Canadiens. Des plaintes ont cependant été déposées contre d'autres pays. Il faut donc faire attention et éviter de laisser entendre que certains Canadiens font actuellement l'objet d'allégations.

.1050

À l'heure actuelle, sans même qu'on adopte le projet de loi C-27, un soldat canadien qui a soumis un enfant à des abus sexuels, que ce soit moyennant rétribution ou non, serait déjà visé par le Code criminel et peut donc faire l'objet de poursuite au Canada.

L'autre problème que pose votre amendement concerne les diplomates. Ça aussi, c'est une préoccupation pour la communauté internationale. Les diplomates et les membres des Forces armées canadiennes peuvent déjà faire l'objet de poursuites en vertu de toutes les dispositions du Code criminel, non pas seulement celles qui concernent les enfants et pas seulement après l'adoption de ce projet de loi. Cette possibilité existe déjà.

La présidente: Si l'objet de cet amendement est de faire en sorte que les soldats puissent être jugés par une cour civile ordinaire, plutôt que par un tribunal militaire, à mon sens, le libellé actuel ne va pas permettre d'obtenir ce résultat. Ai-je raison, monsieur Roy?

M. Roy: Oui, c'est ce que j'ai cru comprendre. Tout ce qu'on dit ici, c'est que les amendements élargissent la compétence du Canada pour qu'elle vise également les membres des Forces armées. Mais c'est déjà le cas. Nous n'avons donc pas besoin de le préciser, parce que la question préliminaire est celle de savoir si la personne concernée est citoyen canadien ou non, qu'elle porte un uniforme ou non. Donc, cette précision n'est pas nécessaire. Si la motion proposée avait un autre objectif, eh bien, le libellé qu'on y retrouve actuellement ne va pas permettre de réaliser cet objectif.

La présidente: Nous allons mettre la question aux voix dans quelques instants, mais je voudrais tout d'abord vous dire qu'à mon avis, nous n'allons certainement pas arriver à terminer l'étude article par article aujourd'hui. Nous allons devoir la continuer demain. Si j'ai raison, et si l'objet de votre amendement est de soustraire les soldats à la compétence d'un tribunal militaire, eh bien, vous avez 24 heures pour reformuler votre amendement. Vous avez encore le temps de le faire. Nous allons devoir nous réunir demain pour poursuivre notre étude.

[Français]

M. Bellehumeur: Dans ce cas, je voudrais m'expliquer. Ça fait je ne sais combien de semaines qu'on parle du projet de loi C-27 parce qu'on veut une loi spéciale pour mieux protéger les enfants. On veut faire ceci au niveau du tourisme sexuel et on veut faire cela, et on est plein de bonnes intentions. Mais il y a encore des messages à envoyer, aussi bien au niveau du consentement qu'à celui de l'excision ou autre. Je pense qu'il y a un message global à envoyer.

Si on mettait les soldats sur le même pied que le commun des citoyens pour certaines infractions exceptionnelles, ce serait un début. Le procès de la Somalie n'est rassurant pour personne.

Mme Torsney: [Inaudible - La rédactrice]

M. Bellehumeur: Quand vous avez parlé, madame Torsney, je vous ai écoutée. Je vous aime beaucoup et je voudrais rester poli avec vous; alors, ne m'interrompez pas. Merci beaucoup.

Je me demande, monsieur Roy, si on ne devrait pas commencer par faire une exception pour ce genre d'infraction. Vous pouvez nous dire que c'est impossible, que les soldats ont un statut particulier, que c'est impossible car ce n'est pas constitutionnel, pas légal, pas je ne sais trop quoi. Je suis sûr que vous allez nous trouver des explications très crédibles. Je veux bien vous croire, mais les explications que vous me donnez ne me satisfont pas. Toutes ces raisons ne sont pas de bonnes raisons. On voit ce qui se passe en cour martiale.

La cour martiale, c'est la cour martiale. Ce sont des pairs qui se jugent entre eux, pour des infractions qui sont extrêmement importantes, comme celles dont on a parlé spécifiquement aux articles 151, 152 et suivants.

Cet article n'est peut-être pas bien formulé, mais si on s'entend sur le principe, je suis sûr et certain que l'on va arriver à quelque chose. Nous ne sommes pas loin de nous entendre sur cette question de mettre les soldats sur le même pied tout autre citoyen et de les traiter devant les tribunaux de droit commun. Je parle d'infraction criminelle et de l'application du Code criminel.

Au Québec, c'est la Chambre criminelle de la Cour supérieure. Si un soldat commet un crime à l'étranger alors qu'il est en mission de paix, ce n'est déjà pas très valorisant. On a entendu bien des choses écoeurantes au sujet de ces missions de paix. Je suis sûr et certain qu'il est possible, si quelqu'un porte plainte selon l'article 151 pour contact sexuel, que le soldat responsable réponde de son crime devant la Chambre criminelle de la Cour du Québec, comme n'importe quel citoyen ordinaire.

Est-ce qu'une telle disposition est pensable et réalisable juridiquement? Je me fous que ce ne soit pas la coutume. Est-ce que ça se fait légalement, monsieur Roy?

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Si vous n'êtes pas capable de me répondre aujourd'hui, parce que ça commence à ressembler à une cour martiale, nous pouvons peut-être passer par-dessus cette question. Nous n'aurons de toute façon pas le temps d'adopter tout le projet de loi aujourd'hui. Vous aurez le temps de faire la vérification et de revenir avec une réponse.

Je pense que nous avons une obligation à titre de députés siégeant au Comité permanent de la justice et ayant suivi avec beaucoup d'intérêt le débat, les questions et les témoignages. Je n'ai peut-être pas assisté à tout, mais j'ai suivi les travaux grâce aux rapports, les bleus comme on dit dans le jargon des députés. Nous pourrions nous pencher sur cette question et en arriver à une réponse plus claire. À l'heure actuelle, vous ne me convainquez pas au niveau des soldats, tout comme vous ne m'avez pas convaincu pour l'autre amendement, et c'est pourquoi nous avons voté contre.

M. Roy: Monsieur Bellehumeur, tout ce que je peux faire, c'est vous donner ce que je crois être les éléments de droit qui s'appliquent.

Lorsque vous présentez la motion BQ-2, tout ce que je puis vous dire, c'est que cette motion n'accomplit pas ce que vous me dites vouloir faire. Lorsque cette motion est présentée, elle est redondante. Vous voulez pour votre part changer le forum où les militaires canadiens seraient poursuivis pour des infractions qui seraient commises. Cette question ne relève tout simplement pas de moi et je ne suis pas certain qu'elle entre même dans le cadre du projet de loi C-27. Vous voulez que des cas qui méritent d'être poursuivis le soient devant les tribunaux ordinaires plutôt que devant la cour martiale. Je pense que telle est votre position.

M. Bellehumeur: Je veux qu'un soldat...

[Traduction]

La présidente: Monsieur Bellehumeur, auriez-vous l'obligeance d'attendre que je vous donne la parole et de permettre à M. Roy de finir?

[Français]

M. Bellehumeur: C'est parce qu'il me pose des questions.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Bellehumeur, ayez donc l'obligeance d'attendre que la présidente vous donne la parole.

Monsieur Roy, voulez-vous finir?

[Français]

M. Roy: Si tel est le cas et que c'est une motion qui peut être recevable dans le cadre du projet de loi C-27, je pense que ce sera à votre côté de la table de faire une telle motion. Je ne peux pour ma part aller plus loin que de vous dire que ça implique des questions de cour martiale pour lesquelles je ne suis pas habilité à vous répondre et pour lesquelles je n'ai aucun mandat de la part du ministre de la Justice. De fait, je doute que le ministre de la Justice ait quelque chose à voir avec cette question; elle relève davantage du ministre de la Défense nationale. C'est tout ce que je peux vous dire.

[Traduction]

La présidente: C'est exact.

Monsieur Bellehumeur.

[Français]

M. Bellehumeur: Monsieur Roy, vous n'avez pas complètement répondu à ma question. Vous avez répondu quelque peu à la question que je posais plus tôt, c'est-à-dire que l'argumentaire que vous donniez ne reflétait pas l'article qui était devant moi. Vous semblez me dire la même chose, soit que l'article que nous proposons dans l'amendement BQ-2 ne répond pas à ce que nous disons au niveau du changement de forum, etc. Vous ne m'avez pas dit clairement s'il était possible de faire cette exclusion, de faire en sorte que les soldats soient traités sur le même pied que les citoyens ordinaires pour avoir commis certaines infractions.

Est-ce oui ou non, selon vous? Vous êtes quand même un haut fonctionnaire au ministère de la Justice, monsieur Roy. On a souvent discuté ensemble. Je sais que vous avez une pensée juridique très approfondie et très pointue. Je sais que vous avez de l'expérience au ministère de la Justice et je sais que vous avez la réponse. Je ne me surprends pas que le ministre ne vous ait pas donné ce mandat, mais je m'étonne que vous ne soyez pas capable de me donner la réponse clairement parce que vous ne me la donnez pas.

Est-il possible que le projet de loi C-27 renferme un article faisant en sorte qu'on traite les soldats canadiens en mission de paix à l'étranger sur le même pied que tout autre citoyen canadien ayant commis des infractions précises, comme on le disait plus tôt relativement à l'article précédent?

M. Roy: Je vais essayer de répondre le plus précisément possible, monsieur Bellehumeur, parce que votre deuxième question comporte deux aspects. D'une part, vous me demandez si on peut le faire dans le cadre du projet de loi C-27. Je ne suis pas en mesure de vous répondre quant à la recevabilité de votre proposition. C'est à la présidente de votre comité qu'il revient de prendre ces décisions.

Quant à savoir si ça peut se faire en termes juridiques plus larges, tout ce que je puis vous dire, c'est que moi, je suis un avocat et je défends devant vous le mandat qui m'est donné par mon client. Mon client, c'est le ministre de la Justice. Je n'ai pas le mandat d'aller plus loin à cet égard ce matin. Je ne peux vraiment pas faire mieux que ça. Je m'en excuse.

M. Bellehumeur: Madame la présidente...

[Traduction]

La présidente: Non. Nous allons maintenant suspendre la séance pendant quelques minutes. Nous pourrons reprendre la discussion demain après-midi à 15 h 15 ou à 15 h 30, quand nous nous réunirons de nouveau.

Nous allons simplement faire une pause de quelques minutes pour permettre au ministre de se joindre à nous.

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