[Enregistrement électronique]
Le mercredi 11 décembre 1996
[Traduction]
La présidente: Nous sommes de retour, et c'est notre dernière séance avant Noël.
Nous allons examiner le projet de loi C-55, Loi modifiant le Code criminel à l'égard des délinquants présentant un risque élevé de récidive, ainsi que d'autres lois. En outre, nous allons examiner le projet de loi C-254, qui est le projet de loi d'initiative parlementaire de Mme Meredith, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et le Code criminel.
Avant de souhaiter la bienvenue à nos témoins, je vous avise que j'ai reçu une lettre de l'honorable Herb Gray, le solliciteur général, nous demandant de déposer les rapports de recherche R-39 et R-45, en date de janvier 1995 et de juillet 1996 respectivement, ainsi que le rapport sur l'étude des dispositions relatives à la détention de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, en date d'octobre 1995.
Le Service correctionnel du Canada et la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui sont tous les deux représentés ici aujourd'hui, ont préparé le rapport d'octobre 1995 pour nous aider à arrêter le cadre de notre examen de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Quant au Service correctionnel, il a préparé à notre intention les rapports R-39 et R-45. J'en ai des exemplaires ici, et nous allons considérer qu'ils ont été déposés.
Je souhaite maintenant la bienvenue à M. Willie Gibbs, président de la Commission nationale des libérations conditionnelles, ainsi qu'à M. Ole Ingstrup, commissaire du Service correctionnel du Canada.
Je crois savoir que vous avez tous deux un exposé à nous faire. Ensuite, nous passerons aux questions.
M. Ole Ingstrup (commissaire, Service correctionnel du Canada): Je vous remercie, madame la présidente. Je suis heureux de me trouver ici aujourd'hui avec vous et les membres du comité, pour parler du projet de loi C-55. M. Gibbs et moi-même ferons un court exposé, après quoi, nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
Je vous présente Lynn Cuddington, du SCC, qui prendra en note les questions nécessitant un suivi.
À titre de commissaire du Service correctionnel du Canada, je souhaite examiner aujourd'hui les dispositions du projet de loi qui auront une incidence sur le travail du Service correctionnel du Canada. J'ai donc limité le champ de mon exposé à ce domaine. Tout d'abord, je tiens à parler des délinquants dangereux.
Les dispositions législatives relatives aux délinquants dangereux sont entrées en vigueur en 1977 et n'ont pratiquement pas changé depuis. Elles avaient remplacé les dispositions portant sur les récidivistes et les délinquants sexuels dangereux et étaient jugées comme une mesure extraordinaire visant les délinquants les plus dangereux.
Pour être déclaré délinquant dangereux, une personne doit avoir été condamnée pour une infraction qui comporte des sévices graves à la personne. La Couronne peut ensuite présenter une demande en vue de faire déclarer cette personne délinquant dangereux si certains critères sont remplis. Parmi ces critères, il faut démontrer l'incapacité du délinquant à contrôler ses impulsions sexuelles ou qu'il constitue un danger pour la vie, la sécurité ou le bien-être physique ou mental d'autres personnes.
Que savons-nous des délinquant dangereux?
[Français]
Tout d'abord, madame la présidente, nous savons qu'ils comptent pour environ 0,5 p. 100 de la population carcérale fédérale.
De 1977 à 1995, 181 délinquants dangereux ont été placés sous la responsabilité du Service correctionnel du Canada. De ce nombre, 12 sont décédés en détention, un a été mis en liberté conditionnelle pour expulsion et cinq ont atteint la date d'expiration de leur mandat.
Des 163 délinquants dangereux actuellement sous la responsabilité des services correctionnels fédéraux, 159 sont incarcérés et quatre sont en liberté sous condition. Le nombre de délinquants dangereux augmente de façon constante depuis 15 ans, à raison de dix nouvelles admissions en moyenne par année.
Le nombre d'admissions annuelles continue d'augmenter, étant passé d'une moyenne de sept par année de 1981 à 1985 à 13 par année de 1991 à 1995. C'est presque une augmentation de 100 p. 100. Le nombre de délinquants dangereux mis en liberté est resté constant à une personne par année. À la suite de la révocation de leur liberté conditionnelle, un certain nombre de ces délinquants ont été réincarcérés. Par conséquent, comme je le disais précédemment, seulement quatre d'entre eux sont actuellement en liberté sous condition.
Lors du prononcé de la sentence, la moyenne d'âge de ces délinquants est de 42 ans. Ils sont donc déjà assez avancés dans leur carrière de criminel. Le groupe ne compte qu'une seule femme. Quatre-vingt-dix pour cent de ces délinquants dangereux ont commis des infractions sexuelles. Les 10 p. 100 qui restent comptent parmi leurs antécédents une forme d'agression, des crimes d'incendie, des tentatives de meurtre et même des introductions par effraction ayant donné lieu à la perpétration d'une infraction criminelle.
[Traduction]
Selon les dispositions législatives actuelles, un délinquant dangereux peut se voir imposer une peine d'emprisonnement ordinaire ou d'une durée indéterminée. En vertu du projet de loi C-55, seule une peine d'emprisonnement d'une durée indéterminée pourra être imposée.
La loi actuelle fixe à trois ans, la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle totale pour les délinquants dangereux. En fait, les délinquants dangereux sont, en moyenne, libérés au bout de 14 ans. Le projet de loi C-55 fera passer à sept ans la période d'inadmissibilité du délinquant à la libération conditionnelle.
Le projet de loi modifie également le processus de déclaration de délinquant dangereux, de telle sorte que seulement un psychiatre sera appelé à témoigner au lieu de deux. Il prévoit également qu'une demande visant à faire déclarer une personne délinquant dangereux pourra être présentée dans les six mois suivant la déclaration de culpabilité dans les cas où de nouvelles preuves auront été recueillies.
Aucun des changements apportés n'est susceptible de faire augmenter considérablement le nombre de délinquants dangereux. Ils forment un petit groupe et cela ne changera pas. Cela dit, ils représentent un défi considérable pour le système carcéral fédéral. Le projet de loi C-55 nous amènera à repenser certaines de nos méthodes de gestion à leur égard.
J'aimerais maintenant parler un peu des délinquants incontrôlés et du régime de surveillance de longue durée.
Les nouvelles dispositions législatives obligeront le SCC à surveiller les délinquants déclarés délinquants incontrôlés pendant une période maximale de dix ans une fois leur peine d'emprisonnement purgée y compris la période de libération conditionnelle. Il s'agit là d'un nouveau rôle pour le Service correctionnel du Canada et d'un nouvel outil pour le système de justice pénale. L'objectif est d'accroître la capacité de gérer certains délinquants sexuels à risque élevé afin de mieux protéger le public.
En vertu du projet de loi, la Commission nationale des libérations conditionnelles sera habilitée à imposer des conditions en fonction du risque présenté par le délinquant au moment de sa mise en liberté. De telles conditions pourront être imposées lors de la mise en liberté conditionnelle, de la mise en liberté d'office ou à l'expiration du mandat, au moment de l'entrée en vigueur de l'ordonnance de surveillance de longue durée.
Dans la mesure du possible, il faudrait avoir recours aux programmes de mise en liberté existants, de telle sorte que les délinquants ne passent pas directement d'un pénitencier à sécurité maximale à la rue.
Dix ans, c'est long comme période de surveillance, mais le SCC a déjà une expérience en la matière. Il s'inspirera de son expérience dans la gestion d'autres longues périodes de surveillance, comme dans le cas des condamnés à perpétuité et de certains récidivistes.
Je sais que la question du coût d'une telle initiative a été soulevée à plusieurs reprises. Actuellement, il en coûte en moyenne 9 000 $ par année pour assurer la surveillance de délinquants dans la collectivité. Nous avons aussi des programmes perfectionnés de traitement des délinquants sexuels, dont un en particulier à Vancouver qui coûte près de 17 000 $ par année.
Mais il s'agit là d'extrêmes. Nous prévoyons que le coût de la surveillance de ces délinquants, étant donné qu'il s'agit de délinquants sexuels, se situera quelque part entre ces deux chiffres, selon le profil du délinquant et les normes de surveillance.
[Français]
Troisièmement, j'aimerais me pencher sur la question de la semi-liberté anticipée dans les cas où s'applique la procédure d'examen expéditif.
Lors de sa comparution devant le comité, la semaine dernière, le ministre de la Justice, l'honorable M. Rock, a déclaré qu'il fallait axer les minces ressources correctionnelles sur les cas qui nécessitent l'incarcération tout en gérant les délinquants à faible risque dans la collectivité.
La présente proposition va justement dans ce sens. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui est entrée en vigueur en novembre 1992, prévoit des dispositions sur la procédure d'examen expéditif de manière à ce qu'on examine le dossier des délinquants qui y sont admissibles et à ce qu'on les mette en liberté conditionnelle totale sans délai.
Pour qu'un délinquant soit admissible à la procédure d'examen expéditif au tiers de sa peine, il doit en être à sa première peine d'emprisonnement dans un pénitencier fédéral. Deuxièmement, il doit purger une peine pour une infraction non violente. Troisièmement, la Commission nationale des libérations conditionnelles doit être convaincue dans ces cas-là que, selon toute vraisemblance, le délinquant ne commettra pas une infraction avec violence avant la fin de sa peine.
Quelque 1 700 délinquants sont admissibles à la procédure d'examen expéditif, ce qui représente environ 12 p. 100 de la population carcérale fédérale actuelle.
[Traduction]
Depuis 1992, plus de 80 p. 100 des délinquants admissibles ont été mis en liberté en vertu des dispositions relatives à la procédure d'examen expéditif. En 1995-1996, seulement 1,1 p. 100 de ces délinquants ont commis une nouvelle infraction accompagnée de violence, et 13,4 p. 100 ont commis une nouvelle infraction non violente. Le taux de réussite est donc de 85,5 p. 100. Ce pourcentage comprend les délinquants réincarcérés pour violation de leurs conditions de mise en liberté, mais qui n'ont pas enfreint la loi.
Nous incluons ces cas dans le pourcentage de réussite, car par le biais de la réincarcération et de l'intervention de la Commission des libérations conditionnelles, nous avons réussi à les empêcher de commettre un nouveau crime.
Les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition relatives à la procédure d'examen expéditif ne s'appliquent qu'aux cas de libération conditionnelle totale. Le projet de loi C-55, quant à lui, permettra aux délinquants qui remplissent les critères appropriés d'être admissibles à l'examen expéditif de leur dossier en vue de la semi- liberté.
Le projet de loi ramène également la date d'admissibilité à la semi-liberté au sixième de la peine ou à six mois, la période la plus longue étant retenue. C'est ainsi qu'était calculée, dans tous les cas, la date d'admissibilité à la semi-liberté avant 1992. La proposition législative ramène donc la loi en arrière, mais seulement dans le cas des délinquants à faible risque et non violents dont je viens de parler. Il s'agit donc d'un retour en arrière limité, et non pas intégral.
Madame la présidente, voilà qui conclut mes observations. Je répondrai volontiers à vos questions aussitôt que mon collègue, M. Gibbs, aura terminé son exposé.
Merci beaucoup.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur Ingstrup.
Nous allons maintenant entendre M. Gibbs.
[Français]
M. Willie Gibbs (président, Commission nationale des libérations conditionnelles): Moi aussi, j'apprécie l'occasion qui m'est donnée de prononcer quelques mots avant de répondre à vos questions.
Le projet de loi C-55 renferme des dispositions qui auront une incidence sur le rôle de la Commission en ajoutant une nouvelle facette au processus décisionnel. En effet, les dispositions nous donneront de nouveaux moyens pour gérer les délinquants à risque élevé et les délinquants à faible risque à certains moments pendant et après leur période d'incarcération.
Pour la Commission, l'effet des nouvelles dispositions se fera surtout sentir sur deux plans. En premier lieu, la création proposée de la catégorie des délinquants de longue durée entraînera des conséquences pour nous.
À cause de cette nouvelle désignation, la Commission devra prendre des décisions avant et après la date d'expiration du mandat. Actuellement, la mise en liberté sous condition peut être octroyée à un moment ou à un autre au cours de la peine à des délinquants dont le risque peut être géré dans la société. Notre rôle prend alors fin à l'expiration du mandat.
Or, en vertu des nouvelles dispositions, la Commission pourra imposer des conditions supplémentaires qui s'appliqueront à la période de surveillance de longue durée. La Commission pourra aussi procéder à des examens au cours de cette période sur renvoi du cas par le Service correctionnel afin de décider si un délinquant qui viole les conditions qui lui ont été imposées peut demeurer au sein de la collectivité.
Lorsqu'un délinquant violera les conditions de sa surveillance de longue durée, la Commission pourra recommander le dépôt d'une dénonciation imputant au délinquant une infraction à l'ordre de surveillance de longue durée.
[Traduction]
Comme pour le SCC, l'incidence sur les ressources dépendra de la mesure dans laquelle les tribunaux auront recours aux nouvelles dispositions. À notre avis, l'incidence ne devrait pas être trop importante pour la Commission nationale des libérations conditionnelles. En réalité, les effets ne se feront sentir que dans quelques années, lorsque les délinquants appartenant à la catégorie visée atteindront la date d'expiration de leur mandat.
Les dispositions proposées relatives aux délinquants à faible risque entraîneront des répercussions, comme l'a fait remarquer mon collègue. Celles-ci modifieront le moment où, dans certains cas, la commission prendra des décisions quant à la semi-liberté. Pour les délinquants dans cette catégorie, l'examen en vue de la semi- liberté aura lieu au sixième de la peine ou après six mois, la plus longue période étant retenue. Dans certains cas, l'examen aura donc lieu plus tôt que ce qui est prévu dans les dispositions actuelles, soit six mois avant la date d'admissibilité à la libération conditionnelle totale.
Je crois que ces dispositions contribueront à rehausser la valeur de la semi-liberté. Ces dernières années, le nombre de délinquants mis en semi-liberté a diminué, à la suite de l'entrée en vigueur de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, ainsi que pour plusieurs raisons. J'ai bon espoir que ces nouvelles dispositions changeront la situation, car, à mon avis, la semi-liberté est un outil utile dans la réinsertion sociale des délinquants sous responsabilité fédérale.
Les dispositions du projet de loi C-55 sont conformes à la nécessité d'axer les ressources prévues pour l'incarcération sur les délinquants à risque élevé et de gérer en toute sécurité les délinquants à faible risque dans la collectivité, sous surveillance et au moyen de mesures de contrôle. Je peux vous assurer que nous appliquerons les dispositions législatives en étroite collaboration avec nos partenaires du SCC, et ce, dans le respect dans notre rôle qui consiste à contribuer à la sécurité du public.
Je vous remercie. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.
[Français]
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci beaucoup. Monsieur Langlois, vous avez dix minutes.
M. Langlois (Bellechasse): Vous venez de dire que vous alliez prendre les mesures nécessaires pour l'application de la loi. Je vais poser ma question dans le cadre général des remarques que le vérificateur général a faites, à savoir que le Service correctionnel était en manque de fonds.
On me dit qu'au Québec, de moins en moins de délinquants dangereux qui auraient besoin de traitements, par exemple des gens à haut risque au niveau sexuel, seraient transférés à l'Institut Pinel, où ils peuvent recevoir des soins adéquats, et qu'on se contente de les enfermer pour la durée de la peine à laquelle ils ont été condamnés. Avez-vous des chiffres, des statistiques, des commentaires sur cette affirmation qu'on entend de temps à autre sur ce qui se passe au Québec?
M. Ingstrup: La situation des délinquants ayant des problèmes mentaux dans la région de Québec fait actuellement l'objet de discussions par un groupe d'experts de l'Institut Pinel et d'employés du Service correctionnel du Canada.
Personnellement, j'ai eu une rencontre avec la direction de l'Institut Pinel qui pensait qu'on avait besoin de plus de services. Évidemment, ils sont des experts. On est en train de discuter de leurs besoins afin de trouver une solution acceptable aux deux.
M. Langlois: Donc, je vous disais que l'Institut Pinel avait peut-être moins de ressources que par le passé et vous me dites que vous y travaillez, mais a-t-on constaté sur le terrain qu'il y avait une diminution de ressources à Pinel?
M. Ingstrup: Monsieur, pour les services qu'on reçoit de l'Institut Pinel, on paie tant par détenu, par mois ou par jour. On identifie les détenus qui ont besoin de ces services et, s'ils sont envoyés à l'Institut Philippe-Pinel, on paye ces services. Si on n'y envoyait pas de détenus, évidemment, on n'aurait pas à payer.
M. Langlois: Parlons des délinquants à risque élevé en matière sexuelle. Prenons le cas des pédophiles qui ont une pulsion sexuelle à la vue ou au toucher d'un enfant. Si on les isole pendant trois, quatre ou cinq ans, lorsqu'ils sortiront, ils auront gardé la même pulsion sexuelle; ils seront encore attirés par un enfant s'ils n'ont pas eu de traitement.
Êtes-vous en mesure de diriger tous ces pédophiles vers des centres de traitement comme Pinel après leur sentence?
M. Ingstrup: Je ne peux pas dire que tous les pédophiles iront à l'Institut Pinel, parce qu'on vient tout juste de décider que l'Établissement Archambault serait l'institution pour les délinquants souffrant de problèmes mentaux à l'intérieur du Service correctionnel du Canada. Je ne peux vous dire si on est capable de traiter certains groupes de pédophiles à l'Établissement Archambault.
Cependant, on travaille de façon étroite avec les experts à l'Institut Philippe-Pinel et on a aussi établi des programmes dans la communauté pour faire face à une libération conditionnelle potentielle.
Il y a aussi des ressources dans la communauté. Très souvent, la Commission impose, comme condition à la libération conditionnelle, que le délinquant participe à des programmes de traitement pour délinquants sexuels.
M. Langlois: Mis à part les traitements assez draconiens comme la castration chimique ou naturelle, quelles sont les pistes de traitement pour les pédophiles à un endroit comme Pinel ou Archambault? Que va-t-on faire en pratique? Y a-t-il un mode de traitement standard ou si une individualisation du traitement est faite selon les détenus et, si oui, en quel sens?
M. Ingstrup: Je ne suis pas personnellement un expert des programmes de traitement pour les délinquants sexuels, mais c'est un domaine qu'on a beaucoup perfectionné au cours des dernières années. À l'heure actuelle, on a presque 100 programmes différents au Canada et on essaie d'identifier les programmes qui sont les meilleurs pour certains individus. Donc, les normes ne sont pas les mêmes partout, pour tous les délinquants sexuels. On est en train d'établir des normes pour les pédophiles et pour différents autres groupes.
Si vous le désirez, on peut vous offrir les services de nos experts dans le domaine du traitement des délinquants sexuels.
M. Langlois: Si vous pouviez faire suivre cela auprès de notre greffier, Me Dupuis, je l'apprécierais beaucoup.
De ce que vous dites, je retiens une chose. Essentiellement, ce n'est pas un discours alarmiste que je veux tenir. C'est que le délinquant sexuel dangereux, particulièrement auprès d'enfants, risque fort de servir sa peine au complet et de ne jamais être repéré dans le système. Lorsqu'il en sortira, la récidive va survenir presque automatiquement.
M. Ingstrup: Non, ce n'est pas normal du tout. Je ne peux dire que cela ne pourrait pas arriver, parce que je ne connais pas tous les cas, mais règle générale, les besoins en matière de traitement sont établis très tôt après le commencement de l'incarcération et on les mette dans des programmes adéquats.
M. Langlois: Je reviendrai au deuxième tour, madame la présidente.
M. Ingstrup: On a eu une augmentation absolument extraordinaire du nombre de places pour les délinquants sexuels. En 1985, on avait environ 200 places pour les détenus sexuels. Aujourd'hui, on en a plus de 2 000. Donc, c'est une augmentation extraordinaire, beaucoup plus importante que dans les autres domaines de traitement.
M. Langlois: Diriez-vous que c'est parce que les gens ont été identifiés et qu'il y a moyen de les traiter, ou parce qu'en 1985, ces gens-là n'étaient pas repérés mais existaient quand même dans la société? Trouvez-vous que la société, aujourd'hui, est plus à risque ou plus consciente de ces choses?
M. Ingstrup: On a eu une grande augmentation du nombre de détenus dans ce domaine-là, mais on a aussi acquis une connaissance beaucoup plus raffinée qu'il y a 10 ou 12 ans.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Gibbs, vous n'avez rien à ajouter?
M. Gibbs: La question était adressée au Service correctionnel. Lorsqu'une question sera posée à la Commission, j'y répondrai. Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Hanger.
[Traduction]
M. Hanger (Calgary-Nord-Est): Merci, madame la présidente.
Ma première question s'adresse au commissaire, à qui je demanderai une précision. Vous dites à la page 4 que 90 p. 100 des délinquants dangereux ont déjà commis des infractions sexuelles. Parlez-vous des délinquants qui sont actuellement dans la catégorie délinquant dangereux?
M. Ingstrup: Oui. Je parle des délinquants incarcérés à l'heure actuelle, qui sont au nombre de 159.
M. Hanger: Au sujet des changements proposés dans le projet de loi C-55, cette catégorie, sous sa forme actuelle, englobe-t-elle les mêmes infractions qui sont prévues dans les dispositions législatives concernant les délinquants dangereux.
M. Ingstrup: Je le crois.
M. Hanger: Vous le croyez? Si je pose cette question, c'est que cela ne semble pas être le cas.
Vous dites que pour être déclaré délinquant dangereux, une personne doit avoir été condamnée pour une infraction qui comporte des sévices graves à la personne, entre autres infractions, et pourtant lorsqu'il est question des délinquants à contrôler, vous semblez dire qu'il s'agit surtout de délinquants sexuels.
M. Ingstrup: C'est exact, mais ce n'est pas la même chose. Les dispositions législatives concernant les délinquants dangereux visent essentiellement les mêmes délinquants dont nous parlons. Mais pour ce qui est des délinquants à contrôler, ils feront l'objet d'une surveillance à long terme. Les dispositions en question visent exclusivement les délinquants sexuels.
M. Hanger: Considérez-vous les délinquants sexuels, prédateurs et autres, comme des délinquants dangereux?
M. Ingstrup: Il y a une annexe détaillée dans la loi qui...
M. Hanger: Je sais qu'il y a...
La vice-présidente (Mme Torsney): Étant donné que les interruptions compliquent la tâche des interprètes, pourriez-vous laisser M. Ingstrup finir avant d'intervenir de nouveau? Cela faciliterait les choses.
M. Hanger: Je sais qu'il existe une liste des sévices graves à la personne pour déterminer si un délinquant entre dans la catégorie des délinquants dangereux, mais on n'y fait pas référence aux infractions que commettent de nombreux prédateurs sexuels.
M. Ingstrup: Les infractions causant des sévices graves à la personne englobent des infractions de nature sexuelle.
M. Hanger: J'aimerais vous signaler de multiples infractions sexuelles qu'on ne retrouve pas sous la rubrique «sévices graves à la personne».
M. Ingstrup: Madame la présidente, je pense qu'il s'agit là d'une question qu'il vaudrait mieux poser aux experts du ministère de la Justice. J'hésite à interpréter moi-même ces dispositions.
M. Hanger: Je le comprends. Je pense qu'il y a toute une différence, mais la liste n'englobe pas un grand nombre d'infractions sexuelles commises par les prédateurs, je le signale.
Dans son rapport de novembre 1996, le vérificateur général affirme que la sécurité de la population est en péril en raison de lacunes graves dans les programmes fédéraux de mise en liberté des délinquants dans la collectivité. Il ajoute que l'un des facteurs qui contribuent à la piètre qualité des décisions concernant la mise en liberté est le caractère imprécis, inexact, incomplet et dépassé de l'information relative aux détenus. D'aucun jette carrément le blâme sur le système de gestion des détenus.
D'après ce que je sais du système de gestion des détenus, c'est le système dont on se sert pour surveiller les allées et venues des délinquants dangereux ou à contrôler aux termes du projet de loi C-55. N'est-ce pas le cas?
M. Ingstrup: Le SGD suivra à la trace tous les délinquants, et il est évident que dès que l'un d'eux sera réincarcéré, le SGD l'inscrira à son tour.
M. Hanger: Voici ce que je voudrais savoir: même si le SGD existe depuis déjà 11 ans et représente une dépense de 100 millions de dollars, comment se fait-il que, d'après le vérificateur général et d'autres encore, le système soit incapable de fournir de l'information de façon opportune, exacte et fiable. Comment le Service correctionnel du Canada peut-il affirmer être prêt à gérer l'information sur les délinquants dangereux et sur les détenus purgeant une peine de longue durée, alors qu'il n'est même pas capable de gérer le système SGD actuellement?
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Ingstrup?
M. Ingstrup: Madame la présidente, M. Hanger devrait savoir que le système SGD est énorme du point de vue technique. Bien sûr, il est déficient à certains égards, cela ne fait pas de doute. Mais l'un dans l'autre, c'est l'un des programmes les plus perfectionnés qui soient. Des gens du monde entier viennent nous voir pour copier le SGD.
La difficulté réside notamment non pas tant dans le SGD lui- même, mais plutôt dans la façon d'y injecter de l'information. Le SGD n'est qu'un système informatisé, rien de plus. À moins que nous ne puissions y injecter de l'information, il ne nous donnera rien. Il ne pose pas lui-même de questions. Le vérificateur général a souligné notamment que nous avons parfois des difficultés - pas tout le temps, parfois seulement - à obtenir de l'information de la police, les motifs des juges qui ont présidé à un jugement, et parfois même les dossiers de la Couronne.
Ce qui est intéressant du point de vue législatif, c'est que la Loi sur les services correctionnels nous oblige à aller chercher cette information, mais n'impose pas en même temps ni aux provinces ni à qui que ce soit d'autre de nous fournir cette information. Nous avons ouvert des négociations avec les provinces et les corps policiers, représentants de la Couronne et juges des provinces, pour trouver une façon plus rapide d'aller chercher de l'information qui nous intéresse.
Madame la présidente, mon ministre considère cela comme une de nos premières priorités, et c'est le cas pour moi aussi. Nous faisons de notre mieux pour améliorer la situation.
Ce n'est pas tant que nous mettions des gens en liberté sans avoir reçu l'information sur eux, ce n'est évidemment pas le cas. Nous colligeons de l'information sur tous les délinquants qui sont inscrits au système. Mais il se peut qu'il nous manque certains renseignements et certaines données dans des documents que nous n'avons pas, et c'est ce qu'a signalé le vérificateur général.
Nous avons pris cette remarque très au sérieux, et nous faisons de notre mieux pour corriger la situation. J'ai demandé à quelqu'un de se pencher sur l'ensemble du système SGD et sur toute la question de la technologie, pour que nous puissions apporter les modifications voulues, si c'est possible.
La vice-présidente (Mme Torsney): Il vous reste trois minutes.
M. Hanger: Toujours dans le rapport du vérificateur général, je remarque que ce dernier se préoccupe de la charge de travail, des activités des gestionnaires de cas ou de leurs responsabilités dans la préparation des rapports qui sont envoyés à l'Office des libérations conditionnelles. Étant donné que bon nombre des gestionnaires de cas et de ceux qui évaluent les détenus doivent consacrer leur temps à effectuer d'autres tâches que pourraient assumer les gens des services correctionnels, comme les gardiens ou d'autres encore, ne diriez-vous pas qu'il y a une pénurie de main- d'oeuvre dans le réseau des établissements carcéraux, pénurie qui a pour conséquence que les gestionnaires de cas ont moins de temps de recherche pour évaluer les détenus?
M. Ingstrup: Non, cela peut peut-être vous surprendre d'entendre un gestionnaire dire cela dans la conjoncture actuelle, mais je ne me plains d'une pénurie de ressources.
Il faut plutôt nous demander si nous utilisons nos ressources de façon optimale. Le vérificateur général nous a demandé si nous ne pouvions pas mieux les utiliser. Il est évident qu'aucun ne refuserait un personnel accru, mais là n'est pas la question.
Madame la présidente et monsieur Hanger, il y a deux ou trois mois, nous avons mis sur pied, au Service correctionnel, un groupe d'étude qui doit se pencher sur l'ensemble du processus de réinsertion. Si vous prenez le dernier rapport du vérificateur général ainsi que les trois qui l'ont précédé, vous constaterez qu'il nous faut nous pencher sur le bon déroulement de tout le processus de réinsertion. Voilà pourquoi le ministre et moi-même avons mis sur pied ce groupe d'étude.
Nous allons nous pencher sur la question de façon très systématique, à partir du moment où les détenus sont inscrits dans le système et jusqu'au moment où le mandat expire, et nous allons nous demander en cours de route si nous suivons toujours la bonne démarche, si nous avons les bonnes ressources et les bons documents et si nous fonctionnons de façon opportune. C'est en janvier prochain que le rapport paraîtra, madame la présidente. Sachez que nous travaillons de concert avec l'Office national des délibérations conditionnelles, car sans son approbation, les choses n'avanceront guère.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Hanger, il vous reste 30 secondes. Voulez-vous les garder pour le prochain tour de questions?
M. Hanger: Je les garderai pour le prochain tour.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Maloney.
M. Maloney (Erie): Merci.
À la page 6 de votre mémoire vous affirmer que les nouvelles dispositions législatives vous obligeront à surveiller les délinquants déclarés délinquants à contrôler pendant une période maximale de dix ans et qu'il s'agit là d'un nouveau rôle pour vous; Vous dites que vous prendrez les mesures nécessaires pour vous permettre de remplir votre rôle.
Je me reporte à nouveau au rapport du vérificateur général là où il reprend un thème qu'il a déjà invoqué. Je le cite:
- Dans le chapitre sur les services correctionnels communautaires du rapport de novembre 1994,
nous avons indiqué qu'il n'y pas de méthodes professionnelles normalisées et acceptées de
gestion des cas de délinquants mis en liberté. Par exemple, les «délinquants sexuels assistent à
trois entretiens par semaine dans une région, mais à un seul par mois dans une autre». Il n'y avait
pas de «mesures à l'échelle du district ou de la région pour déterminer l'efficacité des
différentes méthodes de gestion des groupes de délinquants à risque élevé... ou d'évaluation
fiable des tendances de ces groupes avec le temps». La vérification a permis de constater que le
Service correctionnel avait des difficultés à apporter des améliorations au rendement
opérationnel. Enfin, nous avons observé que, même s'il y avait «beaucoup de bonnes méthodes
de gestion pour assurer une surveillance de qualité supérieure», le service «ne réussissait pas
efficacement à déterminer les bonnes méthodes et à les appliquer à l'échelle nationale au
besoin». La vérification a permis de conclure que le Service correctionnel «mettait l'accent sur
les établissements», ce qui l'amenait à «faire passer au second rang» la gestion des activités de
réinsertion sociale.
Étant donné ces commentaires, comment puis-je croire que vous allez préparer convenablement et surveiller comme il se doit ces délinquants sexuels? Quelles mesures entendez-vous prendre à l'égard de ces délinquants à risque élevé pour mieux protéger les Canadiens?
M. Ingstrup: Madame la présidente, je crois que le vérificateur général signalait là les divergences qui existent d'une région à l'autre. Le ministre et moi-même sommes d'avis que ces divergences sont trop grandes. Il est illusoire d'espérer offrir exactement la même chose d'un océan à l'autre, mais il faut néanmoins respecter certaines normes.
Le groupe d'étude sur la réintégration que j'ai mentionné à M. Hanger doit également se pencher sur les normes de surveillance. Même si l'on sait que les normes et la quantité de surveillance ne sont pas nécessairement les mêmes d'un océan à l'autre, vous pouvez être assurés que la surveillance, même si ce n'est qu'un minimum de surveillance, est d'une très grande qualité.
Mais tout est perfectible. Nous pouvons vraiment faire mieux, et les groupes d'étude sont là pour trouver de meilleures façons de faire. Nous avons également besoin de mieux partager l'information d'un océan à l'autre. Mais sachez toutefois que la surveillance au Service correctionnel du Canada est, de façon générale, très poussée.
Je sais que l'un de vos témoins disait l'autre jour que nous avions de 50 à 60 délinquants sous notre surveillance. Madame la présidente, le Service correctionnel a sans doute le plus petit nombre de délinquants à surveiller qui soit, si on nous compare à nos homologues du reste du monde. En effet, chaque surveillant s'occupe en moyenne d'à peine 20 délinquants. Tout cela a commencé à l'époque de ma comparution précédente, et cette démarche s'est poursuivie avec l'aide des ministres et du commissaire qui a été nommé entre-temps.
En dépit des divergences qui existent et des faiblesses du système, faiblesses que nous prenons très au sérieux et que nous allons tenter de corriger, vous pouvez être assurés que la qualité y est de façon générale.
M. Maloney: Je préférerais savoir ce que ces... Vous parlez d'un groupe d'étude sur la réintégration. Attendez-vous les conclusions de ce groupe d'étude avant d'agir, ou avez-vous déjà des éléments en main qui me permettraient d'avoir un peu plus confiance dans votre capacité à exercer la surveillance?
M. Ingstrup: Nous avons fixé un minimum aux normes régissant les contacts que nous devons avoir avec toute la gamme des détenus, en fonction du risque et des besoins, lesquelles s'appliquent en partant de celui qui présente les risques les moins élevés et qui le moins de besoins, jusqu'à celui qui présente les risques les plus élevés et a le plus de besoin, en passant par tous les autres. Dans la grande majorité des cas, vous pouvez être assuré que nous exerçons ce minimum de surveillance. Nous voyons les délinquants de façon régulière comme l'exige le système de gestion des cas, et chaque surveillance correspond au degré de risque du délinquant. Par conséquent, je puis vous affirmer qu'en général, le service correctionnel surveille comme il se doit les délinquants qui lui sont confiés.
Vous pouvez d'ailleurs le constater à la lumière des relations que nous entretenons avec l'Office des libérations conditionnelles, et vous admettrez que les rapports que nous écrivons à l'intention de l'Office ne peuvent avoir été rédigés par des gens qui n'auraient aucun contact avec les délinquants.
M. Maloney: Quelle différence faites-vous dans votre évaluation entre les délinquants à risque élevé et les délinquants à faible risque?
M. Ingstrup: Il y a à peine quelques années, il semblait impossible de faire la différence entre les deux. Mais le Service correctionnel du Canada, et certains de nos collègues du milieu universitaire, ont travaillé avec acharnement pour trouver des façons de nous aider à identifier les délinquants à risque élevé par rapport à ceux qui en présentent moins.
Nous avons mis sur pied plusieurs systèmes qui se fondent tous sur un modèle de base. Au risque de sembler trop simpliste, je vais tenter de vous l'expliquer de la façon suivante, madame la présidente. Nous considérons qu'il y a au fond deux séries de facteurs de risque. Il y a d'abord ceux sur lesquels nous ne pouvons plus rien, qui sont stables et immuables: ce sont l'enfance, les incarcérations précédentes, les habitudes antérieures de criminalité, et quelques autres encore. Puis, il y a les autres variables sur lesquelles nous pouvons agir, telles que la capacité à briser le cycle, les programmes pédagogiques, les aptitudes cognitives, et d'autres aussi.
Chaque fois que le Service correctionnel évalue le risque, il tient compte de tous ces facteurs. Il identifie les domaines en regard desquels il est possible d'agir en offrant au détenu certains programmes correspondants à ses besoins, en vue d'éliminer le risque découlant de ces facteurs variables. Malheureusement, nous ne pouvons rien faire dans le cas des facteurs immuables.
Voilà l'information qui est transmise ensuite à l'Office des libérations conditionnelles et qui est également utilisée dans l'évaluation des détenus à nos propres fins de surveillance.
M. Maloney: Vous avez parlé des facteurs stables. N'y a-t-il vraiment rien que vous puissiez faire pour les neutraliser?
M. Ingstrup: Non, et c'est ainsi que nous les avons définis. Les facteurs immuables sont ceux sur lesquels vous ne pouvez plus rien; ce sont le faible degré de scolarisation du détenu, une éducation déficiente pendant l'enfance, des antécédents criminels, notamment. Nous ne pouvons rien là-dessus.
M. Maloney: Dans votre rapport, vous mentionnez également les délinquants présentant de faibles risques. Pouvez-vous nous expliquer plus en détail quelles sont les mesures qui s'adressent à ce type de détenus? Que leur offrez-vous et que proposez-vous de faire de ces détenus?
M. Ingstrup: Dans le projet de loi, les délinquants présentant peu de risques pour la société sont ceux qui se trouvent pour la première fois dans un établissement carcéral, pour avoir commis une infraction non violente; dans leur cas, le service correctionnel et l'Office des libérations conditionnelles concluent que ces délinquants peuvent être mis en liberté sans qu'ils risquent de commettre une infraction violente avant l'expiration de leur mandat. Voilà comment la loi les définit.
Ce sont des gens qui peuvent être mis en liberté sous diverses conditions qui dépendent de leurs besoins et, en dernière analyse, de la décision de l'Office des libérations conditionnelles. Ce sont des gens qui restent soumis à notre surveillance, même en liberté. Nous leur donnons accès à des programmes, dans la mesure où ils existent là où ils sont en liberté, et je dois dire qu'il y en a de plus en plus dans la collectivité. Nous offrons des programmes de prévention des récidives en vue de nous assurer qu'ils pourront vivre désormais sans commettre de crimes.
Dans le projet de loi C-55, on prend pour hypothèse de base que ce type de délinquant peut plus facilement être surveillé et vivre dans la société sans présenter de risque, et on applique à cette catégorie de délinquant ce que M. Gibbs appelait son programme de mise en liberté sous condition, qui est au fond le programme de semi-liberté. Autrement dit, au lieu de limiter ces délinquants à la pleine libération conditionnelle, nous voudrions les intégrer au programme de semi-liberté.
Une fois dans la collectivité, ils seront traités comme n'importe quel autre délinquant. Si notre évaluation du risque qu'ils présentent change en cours de route, nous agirons évidemment.
M. Maloney: Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Langlois.
[Français]
M. Langlois: On nous a dit, et les médias en ont fait grand état, que dans le cas du meurtre de la jeune Isabelle Bolduc, dans la région de Sherbrooke, son meurtrier, qui était préalablement détenu, aurait été remis en liberté parce que l'agent du Service correctionnel canadien qui devait monter un dossier sur son évaluation comme détenu aurait modifié ce dossier à son avantage parce qu'il aurait eu des rapports sexuels avec le meurtrier. Avez-vous fait enquête là-dessus?
M. Ingstrup: Nous enquêtons actuellement. L'enquête est presque terminée. C'est évidemment un cas qu'on traite de façon très, très sérieuse.
On a institué une enquête menée par des gens très expérimentés du Service correctionnel. Le rapport me sera soumis très bientôt, de même qu'au président de la Commission nationale de libérations conditionnelles. On l'attend vers la fin du mois de décembre ou très tôt en janvier. Je ne peux pas faire de commentaires sur les détails à ce moment-ci, parce que je n'ai le lire le rapport.
M. Langlois: Êtes-vous en mesure à ce stade-ci, puisque l'enquête est en cours, de nous rassurer à tout le moins en nous disant que ce ne sont pas des agents du Service correctionnel qui sont en train de faire une enquête sur leurs propres collègues, ce qui ne correspondrait pas aux normes d'éthique? Pouvez-vous nous dire que ces gens sont de l'extérieur du Service et que, s'ils rendent une opinion défavorable, ils n'auront pas à craindre pour leur sécurité physique ou autre?
M. Ingstrup: On essaie d'être aussi objectifs que possible. Ce ne sont pas des collègues qui font... Le président de l'enquête est une personne qui est actuellement directeur général au bureau national. Il a travaillé dans le domaine de la surveillance et il est actuellement directeur général de la Direction des programmes. En d'autres mots, c'est une personne très expérimentée dans ce domaine-là.
Si je me rappelle bien, il y a une personne de l'extérieur du Service qui participe à cette enquête, mais je ne me rappelle plus son nom. On pourrait vous fournir l'information, si vous le voulez.
M. Langlois: Est-ce que vous avez ciblé d'autres cas semblables à celui-là, où des rapports qui devaient être fournis à la Commission nationale des libérations conditionnelles auraient été volontairement altérés parce que les agents du Service correctionnel entretenaient des relations très privilégiées avec des détenus qui faisaient une demande de libération?
M. Ingstrup: Je ne peux faire de commentaires là-dessus car je ne connais pas les faits.
M. Langlois: Vous dites que vous ne pouvez faire de commentaires. Est-ce parce que vous ne le savez pas?
M. Ingstrup: Je préfère attendre les données fournies par le groupe d'enquête. À ce moment-ci, il serait irresponsable d'entrer dans une discussion de cette nature.
M. Langlois: Je crois comprendre que le groupe de travail dont vous parlez n'enquête pas uniquement sur le cas Bolduc, mais aussi sur d'autres cas.
M. Ingstrup: C'est seulement sur le cas Bolduc.
M. Langlois: Il n'y a pas d'autres cas, à votre connaissance personnelle?
M. Ingstrup: Non, je n'en connais pas.
M. Langlois: La Commission nationale des libérations conditionnelles est-elle du même avis? Y a-t-il des enquêtes qui sont menées sur des dossiers qui auraient été volontairement falsifiés de manière à rendre plus favorables des rapports des agents du Service correctionnel lorsque des détenus font une demande de libération?
M. Gibbs: Je ne suis pas au courant de cela, monsieur.
M. Langlois: Vous n'êtes pas au courant. Si cela se passait, normalement, devriez-vous être au courant?
M. Gibbs: Si cela sort dans le rapport d'enquête, on sera au courant, mais jusqu'à présent, comme mon collègue l'a dit, l'enquête se poursuit. Nous n'avons pas pris connaissance des données et des recommandations.
M. Langlois: Dans un tout autre ordre d'idées, j'aimerais que vous me donniez le nombre de détenus, au Québec, qui sont visés par des ordonnances de peine indéterminée. Ensuite, lorsque l'ordonnance a été rendue, où sont-ils localisés au Canada? Se peut-il que les chiffres pour le Québec apparaissent démesurément élevés, alors qu'à d'autres endroits au Canada, ils peuvent paraître bas, tout simplement parce que le lieu de détention varie et que ce n'est pas l'origine du délinquant qui est prise en compte à ce moment-là?
M. Ingstrup: Si on veut faire une comparaison entre les différentes régions du Canada, les chiffres sont pas mal différents. Il est très clair qu'historiquement, la région du Québec a utilisé très peu les dispositions sur les délinquants dangereux. Par contre, la région de l'Ontario et la région du Pacifique utilisent plus ces dispositions.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Telegdi, cinq minutes.
[Traduction]
M. Telegdi (Waterloo): Monsieur Ingstrup, quelle incidence cela aura-t-il sur votre budget?
M. Ingstrup: Je répète que nous ne nous attendons pas à une grande différence, à cause de l'introduction de la disposition sur les délinquants dangereux. Par conséquent, nous n'avons pas pris de dispositions financières particulières.
Pour ce qui est de la surveillance de longue durée, nous n'avons pas de chiffres exacts et je ne crois pas qu'il soit nécessaire pour l'heure de les avoir. Nous aurons deux ans pour réagir avant de ressentir l'incidence que pourra avoir cette disposition, étant donné que la sentence la plus courte qui puisse mener à une surveillance de longue durée est de deux ans.
De plus, le financement du Service correctionnel dépend du nombre de détenus mis en liberté dans la collectivité et du nombre de détenus gardés dans nos établissements. La population carcérale fait, quant à elle, l'objet d'un budget quasi-automatique. Il est presque impossible d'évaluer à l'heure qu'il est le nombre de détenus que nous aurons plus tard. Cela dépend entièrement de la façon dont les procureurs et les juges utiliseront ces dispositions.
M. Telegdi: J'imagine que les délinquants à faibles risques représentent pour vous des économies, puisqu'ils ne seront pas incarcérés mais qu'ils feront l'objet d'une surveillance dans la collectivité. Est-ce bien cela?
M. Ingstrup: Tout à fait. Et dans leur cas, notre budget dépendra du nombre de détenus qui seront mis en liberté et qui ne feront donc plus partie de la population carcérale.
M. Telegdi: Vous avez dit que vous aviez moins de 20 clients par surveillant.
M. Ingstrup: Dans chaque établissement.
M. Telegdi: Est-ce une moyenne?
M. Ingstrup: Oui.
M. Telegdi: Combien de détenus-clients ont les surveillants qui s'occupent de délinquants à risque élevé?
M. Ingstrup: Je ne saurais le dire. En fait, nous avons dans divers établissements un genre de surveillance que nous appelons de la surveillance intensive: Pour chaque charge de 24 délinquants, nous avons deux agents de libération conditionnelle, de façon à ce qu'il y ait un agent de libération conditionnelle en fonction pour cette charge donnée. Par conséquent, dans les cas de surveillance intensive, nous avons toujours deux agents responsables de 24 cas.
M. Telegdi: Ce qui veut dire un agent par 12 détenus.
M. Ingstrup: C'est exact. Mais je parle de la surveillance intensive. Il se peut qu'à certains moments, lorsque les cas sont à ce point difficiles, les agents de libération conditionnelle en aient encore moins. Dans le cas de certains détenus, nous déployons beaucoup d'énergie pour savoir ce qu'ils font et comment ils se comportent. Nous sommes en mesure de le faire.
M. Telegdi: Si l'on prend votre chiffre moyen de 20 délinquants sous la surveillance d'un agent, et que l'on sait que chacun vous coûte en moyenne 9 000 $, cela donne un chiffre de 190 000 $ par surveillant.
M. Ingstrup: Oui.
M. Telegdi: Cela semble assez élevé.
M. Ingstrup: S'il s'agissait de son salaire, j'en conviendrais avec vous. Mais il ne s'agit pas là d'un salaire, puisque ce chiffre comprend également les frais généraux administratifs qui s'appliquent à bon nombre de programmes. Ce chiffre ne dépend pas du nombre des agents chargés de la libération conditionnelle; il se fonde sur le coût établi pour la mise en liberté d'un délinquant dans la collectivité. Ces délinquants participent à des programmes tels que le programme de traitement des délinquants sexuels et le programme de prévention de la récidive. Le chiffre de 9 000 $ représente la totalité des coûts.
M. Telegdi: J'ai aussi remarqué dans vos données que l'âge moyen d'un délinquant dangereux est de 42 ans...
M. Ingstrup: Au moment du prononcé de la sentence, oui.
M. Telegdi: Oui. L'âge moyen de ce type de détenus est de 42 ans au moment du prononcé de la sentence. S'il est donc incarcéré pendant 14 ans, il aura 56 ans au moment de sa délibération sous surveillance, et passera 10 ans sous surveillance, ce qui veut dire...
M. Ingstrup: Non, ici la situation est différente. Lorsque le délinquant dangereux est libéré, et si lors du prononcé de la sentence il a déjà été décidé qu'il ferait l'objet d'une surveillance ultérieure, alors nous le surveillerons...
Une voix: Indéfiniment.
M. Ingstrup: ...la surveillance de 10 ans s'applique à des délinquants sexuels que le juge a décidé de mettre sous surveillance prolongée à l'expiration de leur peine. Cette disposition est différente de celle qui concerne les délinquants dangereux. Cela dit, il y a des délinquants dangereux que nous pouvons surveiller pendant 10 ans ou plus, c'est le moment où on les libère. Si j'ai fourni ce chiffre c'est pour indiquer qu'il y a resserrement, mais déjà le système est assez strict. Les délinquants dangereux passent déjà beaucoup de temps derrière les barreaux.
M. Telegdi: Dans quelle mesure le coefficient de risque diminue-t-il au fur et à mesure que ces délinquants passent le cap des 65 ans?
La vice-présidente (Mme Torsney): Je suis désolée, monsieur Telegdi, mais votre temps de parole est écoulé. Il y aura quelques autres tours mais pour le moment la parole est à Mme Meredith.
Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): Merci, madame la présidente.
Monsieur Gibbs, lorsque nous nous sommes penchés sur un autre projet de loi présenté pendant la première session de cette législature, vous et l'ancien commissaire de Service correctionnel avez parlé de malaise que vous ressentez à devoir parfois libérer des détenus en sachant fort bien qu'ils étaient jugés dangereux donc qui présentaient un risque élevé de récidive. Vous saviez donc que ces derniers pouvaient de nouveau causer des blessures ou même la mort d'un citoyen après leur élargissement mais vous ne disposiez d'aucun mécanisme législatif vous permettant de les garder en prison. Est-ce que le projet de loi C-55 modifiera la situation? Devrez-vous encore libérer des détenus à risque élevé notoires qui pourraient causer des blessures graves ou même entraîner la mort de quelqu'un?
M. Gibbs: Ces détenus devront être libérés à l'expiration du mandat. Toutefois, ce sur quoi nous insistions alors c'était notre impossibilité à assurer une surveillance plus longue. Quand je dis, nous, j'entends par là le personnel du Service correctionnel ou de la Commission des délibérations conditionnelles. Or d'après moi, le projet de loi C-55 tient compte de cela car il prévoit une période de surveillance jusqu'à 10 ans assortie de conditions.
Mme Meredith: Ces conditions peuvent-elles intervenir dans le cas de détenus qui ont déjà été condamnés à une peine donnée, qui sont déjà intégrés au système, ou est-ce que ces conditions ne peuvent être imposées qu'au moment du prononcé de la sentence?
M. Gibbs: D'abord, la désignation d'un délinquant à contrôler se fera de la même façon que lorsqu'on désigne un délinquant dangereux.
Mme Meredith: Au moment du prononcé de la sentence.
M. Gibbs: Ou pendant une période de six mois dont il est question ici.
Une fois que ces détenus sont identifiés, le moment venu de les libérer, soit sans conditions soit d'office, ou encore à l'expiration du mandat, le personnel du Service correctionnel du Canada nous présentera ou même nous recommandera, à nous de la Commission, les conditions qui lui paraissent indiquées pour mieux contrôler le détenu en question.
Mme Meredith: Cela veut donc dire que les détenus actuels qui n'ont pas été déclarés délinquants dangereux ne pourront pas faire l'objet d'une période de surveillance prolongée après qu'ils auront fini de purger leur peine même une fois le projet de loi C-55 adopté.
M. Gibbs: Ça me paraît juste. À moins que le Service correctionnel ne les considère comme une menace pour la société lors de leur élargissement d'office, ce qui voudrait dire qu'ils seraient susceptibles de commettre un crime grave, pouvant même entraîner la mort, ceux qui sont présentement incarcérés peuvent s'adresser à nous ou à la Commission des délibérations conditionnelles pour demander certaines conditions. Une fois leur peine purgée, ils ne seront pas affectés par la mise en oeuvre de la nouvelle loi.
Mme Meredith: Le comité est également saisi d'un projet de loi d'initiative privée, le projet de loi C-254, qui est essentiellement un calque d'un projet du gouvernement précédent et qui portait sur les délinquants dangereux. Ce texte législatif avait été élaboré avec la participation du Service correctionnel, de la Commission des délibérations conditionnelles et d'autres organismes gouvernementaux. Compte tenu de cela, pourquoi les hauts fonctionnaires du ministère ont-ils rejeté la détention postérieure à la peine, laquelle protégerait la société contre les délinquants dangereux notoires mais non désignés aux termes de la catégorie des délinquants dangereux; je parle ici de criminels présentement derrière les barreaux et dont on sait qu'ils présentent un risque élevé? Lorsque vous vous êtes penché sur le projet de loi C-55, pourquoi avez-vous esquivé cette question?
M. Gibbs: Madame la présidente, je ne pense pas avoir esquivé la question. Cela dit, bien que je ne sois pas avocat j'aimerais rappeler qu'il y aurait double incrimination en l'occurrence. Il serait extrêmement difficile de condamner quelqu'un, déjà reconnu coupable et condamné à une peine donnée, à dix ans de réclusion de plus parce que nous l'estimons dangereux. À mon avis, la Charte des droits et libertés ne l'autorisait pas. D'ailleurs, nos experts juristes sont d'avis que même la possibilité de prolonger la peine pendant six mois après l'expiration de la peine initiale est exagérée.
Mme Meredith: Hier, un des témoins, d'ailleurs avocat, estimait que même les dispositions du projet de loi C-55 pourraient être contestées en vertu de la Charte. Cela dit, devrions-nous abstenir d'agir parce que notre initiative pourrait prêter le flanc à une action en justice en vertu de la Charte, ou devrions-nous plutôt essayer de résoudre un problème, en l'occurrence celui que posent les délinquants à risque élevé lorsqu'ils seront remis en liberté à l'expiration de leur mandat? N'oublions pas que le projet de loi C-55 n'empêche nullement ce genre de remise en liberté. Cela veut donc dire qu'en tant que président de la Commission des libérations conditionnelles vous devrez permettre l'élargissement de personnes dont vous savez qu'elles seront susceptibles de blesser ou même de tuer des citoyens à l'expiration du mandat.
M. Gibbs: Monsieur Ingstrup a peut-être ses propres idées là- dessus mais pour ma part, les dispositions figurant dans le projet de loi C-55 sont déjà assez strictes, en ce sens que la prolongation et les conditions qui y sont assorties peuvent durer dix ans. Comme le disait M. Ingstrup, il est généralement reconnu que cette catégorie de délinquant nécessitera une surveillance poussée. S'il y a la moindre transgression de l'une de ces conditions, alors le dossier du détenu libéré sera renvoyé à la Commission, où il sera loisible de porter la cause devant les tribunaux. Un juge peut alors imposer une peine allant jusqu'à dix ans de réclusion.
La vice-présidente (Mme Torsney): Ne serait-il pas possible aussi de recourir à la surveillance électronique, qui est prévue à la troisième partie du projet de loi C-55, toujours dans le cas de quelqu'un qui semble encore présenter un risque?
M. Ingstrup: La surveillance électronique intervient surtout dans les cas où il y a eu engagement à ne pas troubler l'ordre public. Déjà, certaines provinces ont eu recours à ce moyen électronique et elles en savent beaucoup plus que nous là-dessus. Au Service correctionnel, notre population carcérale est en général constituée de détenus à long terme qui ont besoin de contacts personnels très suivis, de programmes et de ce genre de service. Nous n'avons donc pas utilisé la surveillance électronique à grande échelle bien que nous ayons mis en oeuvre un programme de cette nature en Colombie-Britannique. Je crois que pour le moment, un ou deux détenus en font partie.
Les détenus qui relèvent de nous sont un groupe très caractéristique et la surveillance électronique conviendrait beaucoup plus aux populations carcérales qui relèvent d'habitude des provinces. D'ailleurs, ce sont ces dernières qui vont s'occuper des cas où il y a obligation de ne pas troubler la paix publique.
En fait, rien dans la loi ne nous empêche de recourir à la surveillance électronique mais nous avons davantage eu recours à la surveillance personnelle directe et avons observé que cela donnait de bons résultats.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Discepola.
M. Discepola (Vaudreuil): J'aimerais vous interroger sur deux aspects. Le premier porte sur la catégorie entraînant la surveillance à long terme.
Votre mémoire là-dessus n'était pas très clair mais après avoir entendu vos propos, je me rends compte que cette prolongation n'interviendra qu'une fois la peine entièrement purgée. Cependant, dans les cas où quelqu'un est libéré sous condition, par exemple, fournissez-vous des programmes spéciaux ou des services de counselling, ou vous contentez-vous d'une forme de surveillance assortie peut-être de certaines contraintes relatives à la résidence?
M. Gibbs: La surveillance relève du Service correctionnel du Canada. Nous sommes un organisme quasi judiciaire. C'est à nous qu'il revient de prendre la décision de surveiller un détenu libéré.
M. Discepola: Oui, mais pendant cette période, fournissez-vous des services de counselling, d'autres programmes, ou votre intervention se borne-t-elle à de strictes activités de surveillance?
M. Ingstrup: Non, nous assurons une surveillance semblable à celle qui régit la sortie de tous les autres contrevenants. Nous ne nous contentons pas de savoir où se trouve le délinquant à tel moment. Si nous observons qu'il a certains besoins et que des programmes existants ou que nous pourrions élaborer pourraient y répondre, alors nous y recourons afin de réduire le risque de récidive.
M. Discepola: Ce qui me préoccupe, c'est la période intervenant entre la libération d'office et la libération conditionnelle totale. J'ai entendu beaucoup de gestionnaires chargés des dossiers de détenus me dire qu'on peut prévoir d'avance si un contrevenant va récidiver lors de son élargissement.
Or, il me semble que les dispositions relatives à la libération d'office sont très généreuses. Elles ne vous donnent pas suffisamment de marge de manoeuvre pour garder quelqu'un derrière les barreaux même lorsque l'on sait fort bien qu'il va récidiver une fois libéré. Vous aurez beau imposer des conditions très strictes d'assignation à résidence ou des traitements obligatoires, est-ce que les dispositions relatives à la libération d'office telles qu'elles figurent dans le Projet de loi C-55 vous donneront suffisamment de latitude pour déceler d'avance les récidivistes?
M. Ingstrup: Monsieur Discepola, je ne veux pas mettre en doute la capacité de mon personnel à prévoir le comportement des ex-détenus, mais il est parfois beaucoup plus facile de se prononcer sur le comportement des gens a posteriori. On entend des gens dire qu'ils savaient que M. Untel allait récidiver; il n'empêche que dans bien des situations où on avait aussi prédit cela, il n'y a pas eu de récidive. Je trouve même très étonnant et réconfortant d'apprendre que cinq ex-détenus sur six à avoir été libérés d'office ne récidivent pas pendant leur période de surveillance. Je précise qu'il s'agit ici non de la libération conditionnelle mais de la libération d'office.
M. Discepola: C'est toujours du sixième que nous entendons parler.
M. Ingstrup: Vous avez raison, c'est tout à fait cela.
Vous me demandez si les dispositions suffisent, mais je pense qu'un tel jugement est de nature politique. Je puis toutefois vous dire qu'à mon avis le Service correctionnel du Canada ainsi que la Commission des libérations conditionnelles disposent d'un grand nombre de mécanismes pouvant limiter les risques de récidive.
La libération d'office peut être limitée par les dispositions relatives à l'incarcération. N'oublions jamais qu'à tous les ans, il y a quelque 400 personnes qui purgent leur peine presque intégralement, notamment parce que les dispositions relatives à la détention ont été élargies. Elles sont présentement très vastes et peuvent donc être invoquées dans toutes sortes de circonstances graves.
Sur le plan professionnel, je ne dirais donc pas que nous manquons de moyens correctionnels. Il est toujours très risqué de faire des prédictions, il n'est jamais possible de tomber juste dans tous les cas mais nous disposons des mécanismes les plus efficaces possibles.
M. Discepola: Cependant, pendant votre exposé, je crois bien vous avoir entendu dire qu'il fallait que nous échangions davantage de renseignements partout dans notre pays. Or, cela fait bien des organismes qui nous disent la même chose.
Dans la réponse que vous avez donnée à la question de M. Maloney au sujet de l'évaluation du risque et des profils des détenus, vous avez affirmé que vous teniez compte des antécédents d'incarcération antérieure et, ce qui me paraît encore plus important, de leur comportement pendant leur enfance. Cependant, il nous faut attendre un an et demi pour obtenir les réponses des procureurs généraux des provinces à nos demandes sur les antécédents lorsqu'il y a eu incarcération dans les établissements provinciaux. Que pouvons-nous faire pour faire comprendre aux provinces qu'elles doivent nous fournir les renseignements demandés dans des délais beaucoup plus brefs afin de mieux servir la population?
M. Ingstrup: À cela j'aimerais répondre deux choses. Premièrement, la question nous préoccupe, et nous travaillons donc à ce dossier à bien des égards. Bon nombre de corps policiers nous ont été très utiles. Beaucoup d'organismes nous fournissent beaucoup de renseignements. Cela dit, dans certains domaines, ça ne fonctionne pas si bien que cela.
Je puis quand même vous dire que mon ministre est tout à fait résolu à résoudre ces problèmes et c'est pourquoi lui et nous travaillons à ce dossier. Je ne crois pas que ce soit par mauvaise volonté qu'il reste encore des difficultés à surmonter, cela tient au fait que lorsqu'on doit obtenir la collaboration de divers pouvoirs, on se heurte toujours à quelques difficultés.
Une des choses que nous envisageons de faire par l'entremise des ministères est d'obtenir l'accès aux banques de données pour nous renseigner, cela nous éviterait de devoir interroger les personnes. Or, à cet égard, nous avons réalisé certains progrès.
À la lecture du rapport du vérificateur général, on aura peut- être l'impression que cela représente quelque chose de considérable. Ça ne me semble pas être le cas et de toute façon ça n'a pas été conçu pour être ainsi. Quoi qu'il en soit, dans bien des cas, nous disposons déjà des renseignements; dans d'autres cas où ces données nous manquaient, le fait de les avoir en main n'aurait rien changé. Cela dit, j'admets qu'il nous reste toujours un petit doute, on peut se demander comment nous aurions réagi si nous en avions su un peu plus. Eh bien, c'est à cela que nous nous occupons, c'est-à-dire à obtenir les renseignements les plus complets possibles.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur Ingstrup. Merci, monsieur Discepola.
Monsieur Langlois, pour cinq minutes.
[Français]
M. Langlois: Monsieur Gibbs, lorsque je vous ai interrogé plus tôt au sujet du cas du meurtrier de la jeune Isabelle Bolduc, vous m'avez répondu de façon claire qu'il s'agissait du seul cas qui faisait l'objet d'une enquête. Par ailleurs, selon mes renseignements, au pénitencier de Cowansville, il y aurait au moins deux autres cas où des contrats d'agents du Service correctionnel auraient été rompus pour ce motif. Des agents du Service auraient entretenu des relations très privilégiées, particulièrement au point de vue sexuel, avec des détenus. Êtes-vous en mesure de me dire si votre déclaration de tout à l'heure mérite quelques nuances, ou si vous persistez à dire qu'il n'y a aucun cas autre que celui du meurtrier de la jeune Isabelle Bolduc?
M. Gibbs: La gérance des agents de gestion de cas à Cowansville relève du Service correctionnel. Si j'ai bien compris votre question, vous me demandiez si, dans le cas Bolduc ou le cas Blanchette, il y avait des renseignements qui concernaient d'autres gens.
Le rapport n'est pas encore terminé. Je n'ai pas ces renseignements. Ce qui se passe a Cowansville n'est pas de mon domaine.
M. Langlois: Le Service correctionnel est-il en mesure de répondre?
M. Ingstrup: C'est la première fois que j'entends parler de cela, mais si vous avez de l'information qui indique qu'il y a des problèmes, j'aimerais bien la connaître pour enquêter sur la situation. C'est la première fois que j'entends parler de cela.
M. Langlois: Merci. C'est tout.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Torsney): Mme Cohen.
Mme Cohen (Windsor - Sainte-Claire): Pour ce qui est de la surveillance électronique, je crois savoir que l'article 810 fera relever cela des provinces. Ce sont donc les procureurs généraux des provinces qui y auront recours. Cela étant dit, est-il probable que la Commission des libérations conditionnelles ou le Service correctionnel du Canada s'en serve pour surveiller les détenus en semi-liberté? Je sais que vous avez parlé de la mise en oeuvre d'un projet de ce genre dans la région du Pacifique, mais comptez-vous l'étendre de façon générale?
M. Gibbs: Lorsqu'un détenu est en semi-liberté, il doit rentrer tous les soirs dans un établissement, qu'il s'agisse d'une prison ou d'un centre résidentiel communautaire. Or, si j'ai bien compris la surveillance électronique, on s'en sert pour suivre quelqu'un à distance surtout pendant ses heures de loisir, mais nous ne nous en sommes jamais servi pendant que j'étais au Service correctionnel même jusqu'à ce jour. Ce moyen permet de savoir où se trouve un détenu pendant ses heures de loisir. Pour le moment, nous savons où se trouve ce genre de détenu-là, qu'il soit incarcéré dans une prison ou dans un centre résidentiel communautaire. Nous prenons donc des moyens beaucoup plus contraignants que la surveillance électronique.
Mme Cohen: Ce à quoi je songe ne s'applique peut-être pas en l'occurrence, mais je pensais que la surveillance électronique ou les dispositions de l'article 810.2 pourrait servir à suivre des détenus actuels qui ne font l'objet d'aucun contrôle spécial et qui ne pourraient pas être déclarés des délinquants à contrôler en raison des règles concernant la double incrimination et le reste. J'ai peut-être raté des choses car j'ai dû sortir de la salle en raison d'une toux très bruyante et tenace, mais il me semble que ce moyen nous sera très utile. Nous pourrons dorénavant connaître les allées et venues de certains détenus dont l'élargissement devrait nous inquiéter mais que nous devons les remettre en liberté parce qu'ils ont fini de purger leur peine. L'article 810.2, tel qu'il est proposé avec la surveillance électronique et toutes les conditions qui l'accompagnent, me paraît donc un moyen fort utile pour limiter les risques que nous pourrions courir n'est-ce-pas? C'est tout au moins mon impression.
M. Gibbs: Je le pense. On a tenté l'expérience de cette nouvelle forme de surveillance à Terre-Neuve et les résultats sont très encourageants. On a même déjà accordé le contrat de surveillance électronique provincial à la John Howard Society. Toutefois, plutôt que d'utiliser ce moyen avec ceux qui vont aller en prison, on s'en sert pour éviter l'incarcération et on surveille les personnes visées, pour l'essentiel des contrevenants à très faible risque, d'une façon différente.
La vice-présidente (Mme Torsney): Bien entendu, le projet de loi envisage ce moyen dans le cas de contrevenants n'ayant pas commis d'autres crimes mais pour lesquels on estime qu'une surveillance électronique est justifiée étant donné que certains antécédents ou certaines conditions peuvent laisser présager certaines choses.
M. Ingstrup: Madame la présidente, les ex-détenus que nous surveillerons ultérieurement pendant dix ans auront besoin de contacts personnels et pas seulement d'une surveillance électronique. Je ne m'en remettrais pas uniquement à la surveillance électronique pour ce groupe de détenus; il est possible cependant que la surveillance et les contacts personnels conjugués soient la bonne solution.
La vice-présidente (Mme Torsney): Mais pour ceux qui sont en prison à l'heure actuelle, ceux qui ne sont pas des délinquants dangereux, ceux qui ne présentent pas un risque élevé de récidive, ceux contre qui nous n'avons plus rien, ceux qui ont purgé toute leur sentence, ceux qui nous posent énormément de préoccupations, pour ceux-là, nous pourrions faire une demande en vertu des dispositions de l'article 810.2 pour les faire mettre sous surveillance pendant une période pouvant aller jusqu'à un an.
M. Ingstrup: C'est exact.
Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, madame, en pareil cas, s'il s'agit du genre de gens que vous venez de nommer, je serais plus rasséréné si, à la surveillance électronique, on ajoutait l'oeil humain. Mais tout dépend de l'individu et des divers outils que nous avons à notre disposition. La surveillance électronique est un de ces outils.
La vice-présidente (Mme Torsney): Madame Meredith, avez-vous des questions à poser?
Mme Meredith: M. Hanger en a.
La vice-présidente (Mme Torsney): Oh, désolée, monsieur Hanger.
M. Hanger: À écouter ce débat cet après-midi, j'ai appris bien des choses. Outre les dispositions concernant la surveillance judiciaire et peut-être autre chose concernant la question autochtone, là où il y a une certaine communication au sein de la communauté - et je crois que cela devrait s'appliquer partout au pays à chaque communauté, par opposition à la seule communauté autochtone - tout ce qu'on rajoute vraiment au présent projet de loi, c'est cette fenêtre de six mois qui nous permet de présenter des arguments concernant cette extension pour les délinquants dangereux et ceux qui présentent un risque à long terme. À part cela, la Commission des libérations conditionnelles fonctionnera de la même façon que dans tous les autres cas, nonobstant la nature de l'infraction, à moins qu'on ne déclare que ces gens sont dangereux ou autrement. C'est bien cela?
M. Gibbs: Pas exactement.
M. Hanger: Quelle est la différence?
M. Gibbs: Les délinquants dangereux.
M. Hanger: C'est ce que je dis. À part cet argument, il sera maintenant permis, en cour, de demander qu'on déclare quelqu'un délinquant dangereux ou de décréter qu'il représente un danger à long terme.
M. Gibbs: C'est exact.
M. Hanger: Allez-vous fonctionner de la même façon que vous le faisiez auparavant dans le cas de toute autre infraction ou sentence?
M. Gibbs: Oui, je crois bien que si.
M. Hanger: Encore une fois, rien n'a vraiment changé énormément. En réalité, on permet à nos sommités du monde juridique, de se prévaloir de quelques arguments de plus pour étoffer l'argumentation d'une cause qui, de toute façon, ne donnera peut-être aucun résultat puisqu'il n'y a aucune garantie. Même après la commission d'une seconde infraction et même après que l'individu a été élargi par rapport à l'une ou l'autre de ces infractions, la personne ne se voit toujours pas déclarée d'emblée délinquant dangereux ou délinquant représentant un risque à long terme si elle commet encore un autre crime. Il faudra quand même porter tous ces arguments devant les tribunaux encore une fois.
M. Gibbs: Oui, c'est vrai.
M. Hanger: Voilà la mince nouveauté introduite grâce à ce projet de loi. Les gens dangereux pourront toujours être remis en liberté.
M. Gibbs: Nous espérons quand même que ce ne sera pas grâce à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Notre métier n'est pas de relâcher les délinquants violents et dangereux et je crois que je...
M. Hanger: Je vous comprends bien, mais...
M. Gibbs: ...vous ai montré des statistiques le printemps dernier selon lesquelles le nombre de délinquants auxquels on a accordé une libération conditionnelle, y compris la libération d'office, accuse une diminution d'un tiers par rapport à l'an dernier. La tendance se poursuit cette année. À la fin de l'année financière, nous vous montrerons à nouveau des statistiques. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une simple question de chance. Ce n'est pas l'un des attributs de notre métier.
Voici la situation telle que je la vois: oui, avec le présent système il y aura toujours des gens sur qui nous aurons d'énormes doutes, dont la sentence expire et qui ont été détenus. Et c'est à peu près tout ce que nous pouvons y faire. Mais je crois que cette disposition d'une loi du Parlement nous donnera l'occasion de faire les choses différemment à l'avenir.
C'est comme M. Ingstrup qui nous parle des facteurs de risque immuables. Il n'y a pas grand-chose à faire au sujet des lois qui existaient dans le passé, tout comme on ne peut pas faire grand- chose à propos de quelqu'un qui a commis cinq vols à main armée et qui a fait de la prison trois fois. C'est du passé. Mais on peut envisager une solution pour l'avenir.
M. Hanger: Mais il n'y a aucune garantie que même si cette personne a commis cinq vols à main armée, elle va aboutir sur la liste des délinquants dangereux ou sur la liste des délinquants à contrôler. Peut-être que oui, mais le risque est là... Et ce sont là des incertitudes auxquelles vous ne pouvez donner réponse - ni moi non plus - au sujet de ce projet de loi, parce que ça ne garantit pas qu'une personne qui commettrait une série d'actes violents, l'un après l'autre, et qui aurait purgé sa peine pour chacun, figurera un jour sur cette liste... pas plus qu'aujourd'hui.
La vice-présidente (Mme Torsney): M. Ingstrup veut intervenir aussi.
M. Ingstrup: Je n'ai que deux choses à dire pour compléter la pensée de M. Gibbs. D'abord, comme nous l'avons dit, je crois, le système d'alerte aux délinquants dangereux a été mis en place de telle sorte que nous voyons maintenant apparaître sur nos écrans les noms des gens qui sont en liberté et qui ont commis des crimes très graves.
Mais de manière plus générale, j'aimerais dire - je ne peux m'en empêcher - que chaque fois qu'il y a des êtres humains en cause, il y a des risques. On ne peut jamais gérer une entreprise humaine sans le moindre risque. Ça ne voit nulle part au monde.
Nous avons examiné la situation dans divers pays pour voir comment nous pourrions améliorer notre système, et je ne veux pas quitter cette pièce, madame la présidente, sans dire que des gens de partout dans le monde viennent chez nous pour voir ce qui se fait au Canada parce qu'ils croient que nous avons le meilleur système qui soit. Ce n'est pas comme si la sécurité était très supérieure dans tous les autres pays du monde.
Ce que nous disons aujourd'hui, c'est que le gouvernement, et chose certaine, ses fonctionnaires, aspirent constamment à améliorer un système qui, après tout, est composé d'êtres humains.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci beaucoup, messieurs Ingstrup et Gibbs. Nous avons dépassé notre horaire de presque une minute, je vous ai donc donné tout le temps que je pouvais. Je vous remercie vivement pour vos exposés complets. La séance est maintenant terminée.
Je dois dire cependant que nous avons été très bons envers vous, M. Gibbs.
La séance est levée.