[Enregistrement électronique]
Le mercredi 5 février 1997
[Traduction]
La présidente: Nous voilà de retour. Nous sommes mercredi. Nous étudions le projet de loi C-55 et le projet de loi d'initiative parlementaire de Mme Meredith, le C-254.
Nous recevons aujourd'hui un témoin qui représente l'African Canadian Legal Clinic, Michelle Williams, qui s'est déjà présentée devant nous auparavant. Je vous souhaite la bienvenue. Michelle est recherchiste et analyste des politiques pour l'African Canadian Legal Clinic qui, je crois, est installée à Toronto, n'est-ce pas, Michelle?
Mme Michelle Williams (recherchiste et analyste des politiques, African Canadian Legal Clinic): Oui.
La présidente: De Vancouver, nous entendrons également par vidéo-téléconférence, le directeur général de la B.C. Civil Liberties Association, John Westwood, et sa présidente, Kay Stockholder, ainsi que Steven Mainprize, sociologue au collège Douglas de Vancouver.
Je souhaiterai la bienvenue à tout le monde. Nous allons d'abord entendre les témoins de la Colombie-Britannique. Nous commencerons par écouter les exposés de chacun et nous passerons ensuite aux questions.
Mme Kay Stockholder (présidente, British Columbia Civil Liberties Association): Je voudrais d'abord vous remercier vivement de nous permettre de vous présenter cet exposé.
Je m'appelle Kay Stockholder et je suis présidente de la British Columbia Civil Liberties Association. Je suis accompagnée de John Westwood, notre directeur général, et de Steven Mainprize, qui enseigne la sociologie au collège Douglas à Vancouver.
La présidente: Puis-je vous interrompre pendant une minute? Pouvez-vous tourner à nouveau la caméra vers John Westwood, s'il vous plaît?
John, je suis Shaughn Murray, j'étais à l'Université de Windsor en 1966. Comment allez-vous? Je suis contente de vous voir.
M. John Westwood (directeur général, British Columbia Civil Liberties Association): Je me demandais si vous alliez vous souvenir de moi ou non.
Des voix: Oh, oh!
La présidente: Nous pouvons nous remettre au travail maintenant.
Mme Stockholder: La British Columbia Civil Liberties Association existe depuis 35 ans; nous en sommes à notre 35e année. Nous avons été la première association de défense des libertés civiles au Canada. Nous somme une association de Colombie- Britannique, mais nous nous sommes penchés sur diverses questions de nature fédérale qui, bien entendu, ont également des répercussions sur la Colombie-Britannique ainsi que sur toutes les autres provinces.
Ces dernières années, nous sommes intervenus à plusieurs reprises devant le Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, dont une fois à propos de la protection des victimes de viol. Nous avons fait un exposé devant un comité spécial du Sénat au sujet de l'aide au suicide et un autre devant la commission fédérale qui étudiait la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous avons également participé à l'élaboration d'une procédure de traitement des plaintes pour la police de Vancouver.
Comme ce bref résumé de nos activités le montre, nous sommes très préoccupés depuis quelques années par la fermeté croissante dont on fait preuve à l'égard de la criminalité. Paradoxalement, cela se produit au moment même où le taux de criminalité violente diminue. En conséquence, on impose des peines plus longues qui se traduisent par un surpeuplement des prisons et les problèmes découlant de l'entassement des détenus dans les cellules, problème à propos duquel nous avons également présenté un exposé. Cela a donné lieu à des politiques plus strictes en matière de libération conditionnelle et à des modifications de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Ces réactions se produisent souvent sans tenir compte ou sans se soucier des atteintes aux libertés civiles, surtout au droit des citoyens à l'application régulière de la loi. Cette évolution nous préoccupe donc.
Nous craignons également que ces attitudes ne soient dues à une réaction exagérée des médias face à des événements isolés, ce qui fait que les décisions prises répondent à des considérations politiques sans accorder l'attention requise à leurs conséquences sociales et économiques et à celles qui concernent les droits démocratiques de tous les citoyens.
Quand on voit que la population est de plus en plus consciente de la criminalité et y porte plus attention alors qu'au même moment, le nombre d'actes de violence criminelle diminue, on se demande si on ne brandit pas le spectre de la criminalité pour que les gens prêtent moins attention aux problèmes sociaux qui apparaissent lorsque les riches s'enrichissent et que les pauvres s'appauvrissent.
Voilà tout ce que je dirai de façon générale. Je vais maintenant donner la parole à John Westwood, notre directeur général, qui parlera de nos recommandations spécifiques concernant le projet de loi C-55.
M. Westwood: Merci, Kay.
Je voudrais passer rapidement en revue les idées et les recommandations de la B.C. Civil Liberties Association au sujet de certaines dispositions du projet de loi C-55.
Avant tout, pour ce qui est des modifications apportées aux dispositions concernant les délinquants dangereux, notre association s'oppose à la suppression du recours obligatoire à un psychiatre nommé par la défense. Le fait d'être déclaré délinquant dangereux est l'une des peines les plus sévères prévues par la loi, et les évaluations psychologiques des délinquants ne sont certainement pas infaillibles. À notre avis, l'application régulière de la loi exige au minimum que les personnes susceptibles d'être déclarées délinquants dangereux soient autorisées à choisir un psychiatre pour déposer lors de l'audience relative à la demande de déclaration de délinquant dangereux et qu'elles soient même, en fait, tenues de le faire.
Par contre, nous ne nous opposons pas à une autre recommandation proposée: que la Couronne puisse demander la tenue d'une telle audience dans les six mois suivant l'imposition d'une peine déterminée.
Nous avons eu des discussions avec le ministère de la Justice à propos de la raison d'être de cette proposition. À notre connaissance, il n'existe aucun problème particulier à cet égard, c'est-à-dire que rien ne montre que les procureurs de la Couronne de l'ensemble du pays aient eu des problèmes du fait qu'ils n'avaient pas demandé une déclaration de délinquant dangereux et ont ensuite obtenu des renseignements qui les auraient incités à le faire s'ils en avaient disposé au moment voulu.
Indépendamment du fait que le système ne semble pas mal fonctionner, il serait, à notre avis, dans l'intérêt de la population qu'une telle audience se tienne s'il advenait que la Couronne obtienne, dans les six mois suivant l'imposition d'une peine déterminée, des renseignements qui l'auraient incitée à demander la tenue d'une telle audience. Nous ne nous opposons donc pas à cette modification.
Nous ne nous opposons pas non plus à ce que l'examen d'une demande de libération conditionnelle se fasse au bout de sept ans au lieu de trois. Actuellement, la Commission de libération conditionnelle doit tenir une audience dans les trois ans suivant la déclaration de délinquant dangereux. Nous avons établi que, sur 176 personnes qui avaient été déclarées délinquants dangereux et qui sont des délinquants dangereux depuis sept ans, aucune n'avait bénéficié d'une libération conditionnelle avant un délai de sept ans. Il paraît donc raisonnable que cette période soit fixée à sept ans et non pas à trois, ne serait-ce que pour économiser des ressources précieuses.
Le deuxième élément du projet de loi C-55 que nous aimerions commenter est la clause créant une nouvelle catégorie de délinquants, qu'on appelle les «délinquants à contrôler». Notre association ne s'oppose pas, en principe, à la création de cette catégorie. Nous nous rendons compte qu'elle concerne particulièrement les auteurs d'infractions sexuelles, surtout, en fait celles qui sont commises contre des enfants. Nos recherches montrent que c'est aux auteurs d'infractions sexuelles contre des enfants que la surveillance dans la collectivité et les programmes de longue durée de traitement et de prévention de la récidive réussissent le mieux.
Dans ces conditions, il paraît raisonnable de penser que, pour les personnes qui répondent aux critères en vertu desquels on peut déclarer que quelqu'un est un délinquant à contrôler - et ces critères nous paraissent assez stricts, tout au moins de notre point de vue - , une disposition prévoyant une surveillance dans la collectivité jusque dix ans après l'expiration de leur peine ou de leur mandat pourrait être efficace.
Nous sommes moins sûrs qu'elle sera très efficace pour les autres auteurs d'infractions sexuelles, surtout les violeurs. D'après les renseignements issus de nos recherches, on dispose de peu d'éléments indiquant que la surveillance dans la collectivité et les programmes de traitement ou de prévention de la récidive ont le moindre effet sur les violeurs.
Néanmoins, quand la Couronne demande que quelqu'un soit déclaré délinquant à contrôler, elle doit prouver qu'il existe une possibilité raisonnable que le risque que le délinquant pose pour la société puisse être maîtrisé, ce qui nous rassure un peu si, en fait, les tribunaux appliquent rigoureusement cette exigence et font obligation à la Couronne de démontrer, dans les cas de ce type, qu'il existe une possibilité raisonnable de parvenir finalement à maîtriser ce risque.
Nous ferons toutefois une mise en garde: cela peut paraître très bien sur le papier, mais ne pourra pas être efficace et ne nous aidera pas à protéger la société si on ne dispose pas des ressources nécessaires pour assurer une surveillance et un traitement efficaces des gens qui sont déclarés délinquants à contrôler et qui seront placés sous surveillance dans la collectivité.
Ce qui, je pense, nous a finalement convaincus est le fait que bien des gens qui, d'après les nouvelles dispositions, seraient considérés comme des délinquants à contrôler sont précisément ceux à propos desquels la population veut être avertie s'ils sont libérés sans surveillance. Dans la mesure où la déclaration de délinquant dangereux réduirait la nécessité d'avertir la population, cela constitue, au moins à notre avis, un bon point pour elle.
Nous avons plusieurs recommandations spécifiques.
Nous pensons qu'il ne faudrait pas citer l'exhibitionnisme comme l'une des infractions criminelles pouvant justifier l'application de cet article. Il ne devrait pas en être question ici.
Nous ajoutons à nouveau qu'il faudrait qu'un psychiatre soit nommé par la défense. Cela me paraîtrait une exigence minimale en matière d'application régulière de la loi pour les gens qui risquent fondamentalement de voir leur peine prolongée de dix ans.
Nous aimerions également que la loi accorde aux personnes considérées comme des délinquants dangereux le droit de demander à la Commission des libérations conditionnelles de modifier les conditions de leur surveillance dans la collectivité; la loi devrait également exiger que la Commission des libérations conditionnelles impose le moins de restrictions possible compte tenu de la nécessité de protéger la collectivité.
Enfin, la troisième disposition que nous commenterons est le paragraphe 810.2, qui traite des nouvelles procédures de contrainte judiciaire. Notre association se méfie beaucoup de toute procédure de contrainte judiciaire qui est fondée non pas sur ce qu'a fait une personne, mais sur ce qu'on craint ou qu'on pense qu'elle risque de faire. À notre avis, les critères présidant à l'application de ce paragraphe sont peu rigoureux. C'est bien le cas de l'exigence «qu'il existe des motifs raisonnables de craindre que les personnes seront victimes de sévices graves à la personne». Cela ne veut pas dire, comme certains commentateurs semblent le penser, que la personne visée va vraisemblablement faire subir des sévices graves à quelqu'un. Il suffit que quelqu'un en ait peur et que cette peur ne soit pas déraisonnable. Pour vous donner un exemple, j'ai peut-être une peur raisonnable de voir augmenter les taux d'intérêt, mais cela ne veut pas du tout dire qu'une augmentation des taux d'intérêt est nécessairement vraisemblable.
Malgré ces préoccupations, notre association a, en fin de compte, décidé de ne pas s'opposer aux nouvelles procédures relatives à la contrainte judiciaire, mais seulement si les conditions que peut imposer un juge ne portent que légèrement atteinte aux libertés civiles et à la vie privée. Les conditions qui peuvent être imposées en vertu de l'article 810 et du paragraphe 810.1 - ne pas troubler l'ordre public, remettre, le cas échéant, les autorisations d'acquisition d'armes à feu, les armes à feu ou les explosifs que l'on possède; ne pas entrer en communication avec des enfants de moins de 14 ans; etc. - nous paraissent constituer des restrictions relativement modérées de la liberté, étant donné les circonstances ou les facteurs particuliers qui pourraient être présentés au tribunal relativement à l'affaire concernée.
Nous sommes toutefois absolument contre le fait d'exiger que quelqu'un se présente devant la police ou un agent de libération conditionnelle à moins que cela ne soit simplement pour signaler son changement d'adresse à la police. S'il s'agit de quoi que ce soit d'autre, par exemple si la personne concernée doit se présenter régulièrement devant un agent de libération conditionnelle comme si elle était placée sous surveillance dans la collectivité ou qu'elle doit se présenter régulièrement devant la police pour une raison ou une autre - nous ne voyons pas très bien quelle pourrait être cette raison - , nous nous y opposerions. Si le Parlement veut simplement que cette personne informe la police d'un changement éventuel d'adresse, c'est ce que devrait stipuler la recommandation ou le paragraphe, mais tel n'est pas le cas.
Pour finir, il n'y a, à notre avis, absolument rien qui justifie que la surveillance électronique puisse être l'une des conditions imposées par un juge en vertu du paragraphe 810.2. Avec la technologie actuelle, la surveillance électronique représente une forme d'assignation à résidence. Elle porte extrêmement atteinte à la liberté et à la vie privée d'une personne. En outre, absolument rien ne prouve - et je pense que Steve Mainprize en parlera - que le fait d'assigner quelqu'un à résidence l'empêche de perpétrer de graves sévices contre quelqu'un si telle est son intention. En fait, dans les conditions actuelles, on n'utilise précisément pas la surveillance électronique pour les gens dangereux ou potentiellement violents parce qu'elle n'empêche personne de commettre des actes de violence. Notre association est en faveur d'amender ce projet de loi pour interdire expressément à un juge d'imposer la surveillance électronique comme l'une des conditions prévues au paragraphe 810.2.
Je vais donner la parole à Steve Mainprize.
M. Steven Mainprize (Département de sociologie, collège Douglas, Vancouver): Merci, John.
Je ferai seulement quelques brèves observations à propos de la surveillance électronique. Je connais bien cette question parce que j'ai rédigé une thèse de doctorat au sujet du projet pilote qui a été réalisé dans ce domaine de 1980 à 1989 en Colombie-Britannique et je me tiens également au courant de la littérature et des publications universitaires correspondantes.
Je parlerais d'abord des aspects pratiques de la surveillance électronique - de ce qu'elle peut et de ce qu'elle ne peut pas faire - parce que je pense qu'il est important que les membres de votre comité comprennent clairement la situation. Les médias diffusent beaucoup de renseignements erronés qui ne reflètent pas de façon adéquate la façon dont fonctionnent les systèmes actuels de surveillance électronique.
Certains proposent l'utilisation de systèmes de deuxième génération qui permettraient de suivre les déplacements des délinquants. Par ailleurs, à ma connaissance, le National Institute of Justice des États-Unis a chargé la société Westinghouse, de Pittsburgh, en Ohio, de créer un prototype d'un tel système. Ce prototype n'existe pas encore et il faudra probablement attendre deux ou cinq ans avant que l'on puisse véritablement suivre les déplacements de la population carcérale ou des délinquants.
Comme l'a dit John, la technologie actuelle de première génération sert presque exclusivement au contrôle des assignations à résidence. On utilise généralement ce qu'on appelle un système à signalisation continue qui se compose de trois éléments - un émetteur radio alimenté par une petite pile est fixé à la cheville, au bras ou autour du cou. Cet appareil émet un signal radio codé et le récepteur qui est branché sur le téléphone de la résidence du délinquant contrôle constamment l'émission de ce signal, que le délinquant soit sur place ou non. Quand ce dernier quitte son domicile pour participer à une activité approuvée, par exemple pour travailler ou suivre une thérapie, il se retrouve en dehors du rayon d'action de l'appareil, qui peut varier d'un cas à l'autre en fonction de certaines caractéristiques géographiques, mais qui se situe approximativement entre 200 et 500 pieds.
Quand le délinquant quitte la zone couverte par cet appareil, il échappe à toute surveillance. Si les services correctionnels veulent vérifier s'il s'est rendu à son travail ou est allé à l'hôpital rendre visite à un parent âgé, etc. - ce qui constituerait des activités approuvées - , cela doit être vérifié directement par quelqu'un qui s'assure que tel a été réellement le cas.
Le système actuel envoie un signal au récepteur qui enregistre l'information et la transmet régulièrement par téléphone à l'ordinateur central qui est le troisième élément du système. Il y a donc deux niveaux de surveillance. Il y a d'abord la surveillance constante de la présence ou non du signal dans le domicile. Le deuxième niveau correspond à la transmission téléphonique des renseignements codés et stockés par le récepteur.
Cette surveillance permet seulement de savoir si le délinquant est ou non chez lui. C'est tout. Elle ne peut pas faire plus que cela avec le système à signalisation continue de première génération comportant trois éléments. On peut seulement confirmer ou vérifier la présence du délinquant à son domicile ou son absence, mais pas suivre ses déplacements en ville. Le système ne peut pas dire si le délinquant qui est chez lui se livre à des activités illégales telles que consommer des drogues ou commettre une infraction sexuelle. Il ne peut rien dire quand cette personne est hors de portée du récepteur. Tout ce qu'il peut dire est qu'elle se trouve à moins de 200 à 500 pieds du récepteur et ne peut donc rien faire de plus que vérifier que le délinquant se trouve à l'intérieur du rayon d'action de l'appareil. On ne s'en sert pas actuellement pour les délinquants plus violents, comme l'a dit John, et il ne peut pas contrôler le comportement, tout au moins avec la technologie actuelle.
Comme je l'ai laissé entendre, il faudra attendre encore entre deux et cinq ans avant de pouvoir utiliser les systèmes de deuxième génération. On a actuellement du mal à construire une pile assez petite pour être placée sur la cheville et assez puissante pour fournir le volume supérieur d'énergie requis par les procédures d'émission et de transmission qui feraient partie intégrante d'un système de surveillance constante des déplacements dans la collectivité. L'intensité du signal diminue également avec certains systèmes lorsque la personne surveillée entre dans un édifice. Il y a donc des problèmes à régler avant de pouvoir suivre vraiment les déplacements de quelqu'un.
Il y a beaucoup de malentendus au sujet des capacités de cette technologie, et j'essaie ici simplement de démystifier, en quelque sorte, certaines de ces illusions.
Pour que cela soit bien clair, j'ajouterai que la plupart des programmes actuellement en place aux États-Unis et au Canada, à quelques exceptions près, excluent spécifiquement les délinquants violents. On insiste beaucoup dans la littérature sur le fait que cette technologie doit être utilisée seulement pour les délinquants non violents et c'est sur ce principe qu'est fondée la légitimité de ces programmes. Comme l'a dit John, ce système n'empêchera pas quelqu'un de faire ce qu'il a envie de faire.
À ma connaissance, on utilise parfois le système de première génération en sens contraire aux États-Unis. C'est ce qu'on appelle la surveillance électronique inversée. On l'utilise à très petite échelle dans quelques régions et les gens qui s'occupent de la supervision individuelle surveillent son application de très près. Avec ce système, le délinquant porte l'émetteur et on donne le récepteur à la victime potentielle du harcèlement pour qu'elle le place chez elle. Il s'agit le plus souvent d'une femme, mais cela pourrait aussi être un homme.
Il me semble qu'une installation de ce type pourrait toutefois permettre à un délinquant de commettre éventuellement une infraction; il pourrait partir en voiture à 3 h du matin, couper le signal et aller dans une boîte de nuit et la police irait alors le chercher chez lui. Avec les problèmes techniques que continue de poser cette technologie, on ne pourrait pas être sûr si le délinquant a commis une infraction ou s'il y a eu un problème technique. Il peut donc y avoir parfois des risques de ce genre avec la surveillance électronique inversée.
Quoi qu'il en soit, je n'en dirai pas plus au sujet de la technologie et je serais heureux de répondre à toute question que les membres du comité pourraient vouloir me poser pour préciser certaines choses.
La présidente: Merci.
Pendant que la Colombie-Britannique reste en attente, nous allons donner la parole à Michelle Williams, qui travaille comme recherchiste et analyste des politiques pour l'African Canadian Legal Clinic de Toronto.
Mme Williams: Merci, madame la présidente et membres du Comité permanent. L'African Canadian Legal Clinic est très heureuse de se présenter devant vous aujourd'hui pour intervenir au sujet du projet de loi C-55.
Vous avez devant vous un mémoire écrit préparé au nom de notre organisme. Je vous signalerai que les pages 5 et 6 ont été interverties, ce dont vous pourrez prendre note si vous voulez consulter le document en m'écoutant.
Je voudrais souligner les points saillants du mémoire. Je ne vais pas le passer en revue entièrement. Je parlerai principalement de trois questions. Je vous présenterai d'abord brièvement notre organisme, puis je ferai un court commentaire au sujet des dispositions relatives aux délinquants dangereux et aux délinquants à contrôler et, enfin, j'examinerai de façon plus détaillée les dispositions proposées relativement à la contrainte judiciaire.
L'African Canadian Legal Clinic, l'ACLC, et ses activités sont décrites dans la préface de notre mémoire. Nous sommes une clinique juridique à but non lucratif constituée en société en vertu des lois de l'Ontario et notre organisation a été créée pour lutter contre le racisme anti-noir et d'autres formes de discrimination existant dans le système judiciaire, l'éducation, l'emploi, le logement, la santé et d'autres secteurs de la société canadienne.
La principale stratégie que nous utilisons dans notre travail consiste à présenter des causes types mais nous sommes également un organisme juridique communautaire qui examine les politiques et les lois gouvernementales susceptibles d'avoir des répercussions sur les Canadiens d'origine africaine et d'autres communautés raciales.
Nous signalons également dans notre mémoire certaines des activités que nous avons réalisées jusqu'à présent. Nous nous sommes présentés devant le comité l'automne dernier pour parler du projet de loi C-27. Nous sommes également reconnus officiellement par la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie, c'est-à-dire l'enquête sur la Somalie. Depuis la dernière fois que nous nous sommes présentés devant vous, nous avons été admis en tant qu'intervenants dans deux affaires qui seront entendues au printemps par la Cour suprême.
Je vous présenterai maintenant des commentaires de nature assez générale au sujet des dispositions relatives aux délinquants dangereux et aux délinquants à contrôler. Elles correspondent d'une certaine façon aux commentaires présentés par la B.C. Civil Liberties Association dans le sens où nous voulons mettre le gouvernement en garde contre un zèle excessif en faveur du maintien de l'ordre aux dépens des droits constitutionnels et des libertés civiles des Canadiens.
Il nous paraîtrait certainement souhaitable que, chaque fois qu'une initiative est prise, on l'étudie à fond et qu'on y réfléchisse à deux fois. Les législateurs devraient également tenir compte du contexte social très réel au sein duquel va s'appliquer une loi et examiner si l'adoption de mesures de plus en plus répressives va réellement prévenir la criminalité ou la réduire.
L'obsession du maintien de l'ordre risque d'entraîner une dégradation des libertés civiles si le gouvernement n'y prête pas attention. Nous l'encouragerions certainement à examiner certaines des causes sociales de la criminalité et à envisager des mesures de prévention. À cet égard, nous sommes heureux que le gouvernement se soit rendu compte de l'importance d'envisager des mesures de remplacement et d'autres programmes à l'intention des délinquants non violents.
Je voudrais passer directement aux dispositions relatives à la contrainte judiciaire figurant dans le paragraphe 810.2 proposé. Ceci nous paraît constituer, de loin, l'aspect le plus troublant du projet de loi C-55. À notre avis, sous sa forme actuelle, cette disposition est vraisemblablement contraire à la constitution; elle porte atteinte aux libertés civiles et elle risque également d'avoir des répercussions discriminatoires sur les Canadiens d'origine africaine et les autres groupes raciaux. Je donnerai plus de détails là-dessus tout à l'heure.
Les pouvoirs conférés par le paragraphe 810.2 proposés portent atteinte à la liberté individuelle, contreviennent à la présomption d'innocence et ne sont pas conformes aux principes d'une société libre et démocratique. Il est impossible de justifier qu'on puisse priver une personne de sa liberté sans même qu'elle ait été accusée d'un délit.
En fait, cela m'a incitée à me demander pourquoi le gouvernement a proposé une telle mesure. En y réfléchissant et en parcourant certains autres mémoires qui ont été présentés, par exemple celui de l'Association canadienne des policiers, j'ai constaté que cette disposition était décrite comme une ordonnance d'intervention postpénale ce qui incite de toute évidence, à se demander si cela ne constitue pas une forme de double incrimination.
Même si les suggestions qu'a faites le ministre de la Justice, M. Rock, quant aux modifications qui pourraient être apportées à cette loi sont retenues, le danger de double incrimination subsistera. Je pense plus particulièrement à la possibilité de limiter l'application de cette disposition aux personnes qui ont été antérieurement condamnées pour un acte criminel violent ou qui ont des antécédents de comportement violent ou à la création d'une liste de facteurs incluant les considérations de cette nature.
Quelle que soit la solution choisie, on se retrouvera face à un problème de ce genre dans la mesure où les gens risqueraient fort d'être punis deux fois.
Je veux également parler un peu de l'affaire qui est la plus directement reliée à cette question et dont vous avez probablement entendu parler; il s'agit de Budreo c. la Reine, procès actuellement instruit par la Cour d'appel de l'Ontario. Ce tribunal s'est penché sur le paragraphe 810.1 et a établi que la norme de preuve applicable en vertu de ce paragraphe dans le cas d'une demande est la prépondérance des probabilités.
Le raisonnement sur lequel s'appuie cette décision a été repris par le ministre de la Justice qui a dit, et je cite:
- C'est une obligation civile parce que la personne concernée n'encourt pas le risque d'être
incarcérée ou punie. À cet égard, la liberté du sujet n'est pas danger.
De nombreux Canadiens considéreraient que la limitation de leur liberté de communiquer avec certaines personnes ou d'aller à certains endroits et le fait d'être assujetti à une surveillance électronique constituent une sanction d'une extrême gravité. En outre, comme vous le savez, vous vous exposez à un risque très réel d'incarcération si vous refusez de contracter cet engagement. Si vous n'en respectez pas les termes, vous êtes passible d'une peine d'incarcération pouvant aller jusqu'à deux ans. La liberté du sujet est donc en danger, quelle que soit la façon dont on l'interprète, et la norme appropriée face à cette disposition telle qu'elle est proposée ne serait pas la prépondérance des probabilités.
Je ferai une remarque générale en me référant à nouveau à l'affaire Boudreo; le tribunal a déclaré que le paragraphe 810.1, qui est semblable au paragraphe 810.2 proposé, ne contrevenait pas à la présomption d'innocence dont il est question à l'alinéa 11d) de la Charte parce que la personne concernée n'avait pas été formellement accusée d'un délit. Il ne paraît pas logique que, si vous n'êtes pas accusé d'un délit, on puisse limiter votre liberté en vertu de critères moins stricts que si vous étiez accusé. Je voudrais simplement demander au gouvernement d'examiner également cet argument.
Je voudrais parler brièvement de la surveillance électronique. M. Mainprize, de B.C. Civil Liberties, a déjà donné un très bon aperçu de cette question.
Il est clair que l'une des conditions qui pourraient être imposées quand une demande présentée en vertu du paragraphe 810.2 a été acceptée serait que le défendeur se soumette à la surveillance électronique. Celle-ci constitue une forme extrême d'intervention. Elle porte potentiellement atteinte au droit de contrôler son propre corps, au droit au respect de la vie privée et à la liberté de déplacement. Cette atteinte à la liberté devient encore plus grave du fait qu'on peut imposer cette surveillance à quelqu'un qui n'a pas été accusé ou n'a pas été reconnu coupable d'un délit.
M. Rock a laissé entendre qu'il y aurait au moins deux méthodes qui pourraient atténuer les préoccupations concernant la surveillance électronique. L'une d'elles était de limiter son utilisation aux cas les plus graves et la deuxième était de limiter cette surveillance à certains types d'interventions électroniques. Toutefois, pour le moment, on ne sait évidemment pas très bien en quoi consisteraient ces types d'intervention.
L'ACLC est d'avis que, puisqu'on ne sait pas très bien en quoi consiste cette technologie, il serait actuellement irresponsable d'inclure la surveillance électronique dans cette disposition pour voir, en quelque sorte, ce qu'elle va donner, ou de laisser au juge le soin de décider d'y avoir recours en se fondant sur la technologie éventuellement disponible à l'avenir. Il nous est même très difficile de porter le moindre jugement sur ce que cela pourrait donner, puisqu'on ne sait pas quelle forme pourrait prendre la surveillance électronique mentionnée dans cette disposition.
Pour finir, je voudrais attirer votre attention sur les répercussions potentiellement discriminatoires de la disposition relative à la contrainte judiciaire. Le gouvernement fédéral doit examiner les répercussions potentielles d'un projet de loi en fonction du droit constitutionnel à l'égalité garanti par l'article 15 de la Charte et du principe de la préservation et du renforcement du patrimoine multiculturel des Canadiens dont il est question à l'article 27 de la Charte.
L'ACLC est particulièrement préoccupée par les répercussions potentiellement discriminatoires d'une disposition de ce type sur les Canadiens d'origine africaine, et nos préoccupations sont dues à trois choses. Il y a d'abord les vastes pouvoirs discrétionnaires dont les procureurs généraux et, en leur nom, les procureurs de la Couronne, pourraient se prévaloir en vertu de cette disposition. Deuxièmement, il y a le fait qu'on a pu constater que d'autres pouvoirs de prévention existant actuellement dans le droit criminel ont des répercussions négatives démesurées sur les Canadiens d'origine africaine.
Enfin, notre troisième préoccupation concerne les garanties proposées en matière de procédure dans cette disposition. Vu l'extrême diminution des sommes disponibles pour l'aide juridique, par exemple, on ne sait pas très bien, même si ces garanties de procédures existaient, si quelqu'un pourrait être représenté correctement, surtout si on ne l'accusait d'aucun délit. Il est déjà difficile d'être représenté par un avocat quand on a été accusé d'un délit et essayer d'obtenir de l'aide juridique pour une audience comme celle-ci pourrait être encore plus difficile.
Je voudrais aborder brièvement la question des effets discriminatoires des autres pouvoirs de prévention sur les Canadiens d'origine africaine. Je pense en particulier au rapport récemment publié par la commission sur le racisme systémique dans le système de justice criminelle de l'Ontario, que j'appellerai le rapport de la commission.
On peut lire à la page 9 la décision rendue par le juge Then dans l'affaire Boudreo:
- Les pouvoirs de prévention qui exigent que l'on évalue le risque qu'un individu représente pour
la société entrent à jeu de trois façons... à l'occasion d'une demande de déclaration de
délinquant dangereux... dans le cadre des motifs secondaires lors d'une audition de
cautionnement... à propos des dispositions concernant l'engagement de garder la paix.
Les dispositions préventives entrent en jeu dans le cadre des motifs secondaires lors d'une audience de cautionnement. Le juge examine si la détention est nécessaire avant le procès pour des raisons d'intérêt public - même si cela a été rejeté par les tribunaux - , pour la protection de la société et du public, compte tenu de toutes les circonstances. Le juge essaie de déterminer si un risque existe et s'il devrait laisser cette personne en liberté avant le procès.
D'après les constatations de la commission, les Noirs, les Asiatiques, les Asiatiques du Sud et les Arabes sont incarcérés dans des proportions beaucoup plus élevées avant le procès qu'après une condamnation, alors que les Blancs et les Autochtones sont incarcérés avant le procès à peu près dans les mêmes proportions qu'après leur condamnation.
On constate donc qu'il y a plus de gens issus des minorités raciales qui sont détenus en vertu de ces sortes de dispositions préventives sur le cautionnement qu'il n'y a de Blancs et d'Autochtones. Quand on applique ces dispositions, il se passe quelque chose qui a un effet disproportionné sur les collectivités raciales. Il ne faut pas non plus oublier que, même si plus de gens sont détenus avant leur procès, cela ne veut pas dire que tous seront condamnés en fin de compte. C'est ce que nous expliquons à la page 9 et c'est expliqué aussi avec pas de mal de détails dans le rapport de la commission.
Ce rapport et les constatations concernant les auditions de cautionnement sont particulièrement pertinents ici parce que, dans cette disposition relative à la contrainte judiciaire, on trouve le même type de critère préventif que pour le cautionnement. Nous craignons fortement qu'il en résulte que ces types de dispositions, surtout si elles restent aussi générales qu'elles le sont actuellement - je parle bien sûr des dispositions relatives à la contrainte judiciaire - pourraient avoir des effets disproportionnés sur les Canadiens d'origine africaine et les autres minorités raciales.
Cette situation est encore considérablement aggravée par le fait que de nombreux accusés sont forcés, même pour le cautionnement, de se passer des services d'un avocat, à moins qu'ils ne soient représentés à ce moment-là par un avocat commis d'office surmené. La commission a dit clairement qu'une représentation de grande qualité devrait être fournie pour le cautionnement et qu'il faudrait renforcer les programmes relatifs au cautionnement. La réaction du gouvernement de l'Ontario a été d'annuler le programme de cautionnement et les accusés ne reçoivent plus l'assistance d'un avocat lors des auditions de cautionnement.
Là encore, les garanties de procédure ne seront vraisemblablement pas offertes aux gens dans le cadre de l'application de cette disposition sur la contrainte judiciaire.
Cela me ramène à ce que je disais au début: il faut vraiment tenir compte du contexte social dans lequel ces dispositions seront appliquées. Le fait qu'elles pourraient avoir des effets discriminatoires, le fait que, vu l'insuffisance des critères, on risque de tomber sous le coup d'une de ces dispositions, le fait que les gens qui n'ont pas d'argent ne seront vraisemblablement pas représentés correctement par un avocat et qu'ils ne pourront donc pas bénéficier convenablement des garanties de procédure, à quoi s'ajoutent les vices fondamentaux de cette disposition, c'est-à- dire la mesure extrême consistant à priver quelqu'un de sa liberté alors qu'il n'est même pas accusé d'un délit... tout cela a amené l'African Canadian Legal Clinic à conclure que la disposition relative à la contrainte judiciaire sous sa forme actuelle devrait être retirée du projet de loi C-55.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par le Bloc québécois.
[Français]
M. Langlois (Bellechasse): Je ne traiterai pas beaucoup des dispositions sur lesquelles je suis d'accord, mais pour me mettre dans le vif du sujet, je reviendrai sur les quelques remarques que faisaient les représentants de la B.C. Civil Liberties Association au sujet de la détermination d'une sentence indéterminée qui pourrait désormais se faire au cours des six mois suivant le verdict.
À la lecture du projet de loi C-55, je crois comprendre qu'après le verdict de culpabilité, on ne prononcerait pas immédiatement la sentence, mais que le procureur de la Couronne pourrait demander au tribunal jusqu'à six mois pour préparer son argumentation aux fins de représentation sur sentence, l'accusé ayant de toute façon été déclaré coupable d'une offense ou d'un crime entraînant un emprisonnement d'au moins six moins.
Croyez-vous aussi comprendre qu'on aurait une période maximale de six mois pendant laquelle la personne ayant été déclarée coupable serait un petit peu dans les limbes au niveau juridique, alors que ce ne serait qu'après l'expiration d'un délai maximal de six mois qu'on saurait les intentions de la Couronne quant à la sentence, ou s'il devrait y avoir une première sentence déterminée et un retour ultérieur devant le tribunal?
[Traduction]
M. Westwood: Il y a peut-être un malentendu. Je n'en sais rien. D'après la façon dont je comprends le projet de loi sous sa forme actuelle, si la Couronne a fait part de son intention de demander une déclaration de délinquant dangereux, mais ne le fait pas par manque de preuve, par exemple, le juge impose une peine déterminée.
Il y a une période de six mois pendant laquelle, si des preuves sont présentées - et notre association voudrait dire avec force à ce sujet que ces preuves devraient concerner non pas des activités ou un comportement observés au cours de ces six mois, mais avant l'accusation initiale - comme des rapports de police, par exemple, qu'on a mit trop longtemps à faire parvenir à la Couronne ou si un témoin se présente alors qu'on ne s'y attendait pas ou qu'il était à l'étranger et vient de revenir, et si ces preuves sont suffisantes, la Couronne peut décider d'aller de l'avant en ce qui concerne l'audition de la demande de déclaration de délinquant dangereux; il me semble que c'est cela qui serait la portée juridique de la modification qui figure dans le projet de loi C-55.
[Français]
M. Langlois: Jusqu'à ce moment-ci, j'avais cru comprendre que la sentence qui pouvait être fixée jusqu'à six mois après le prononcé du verdict était une sentence réservée. En ce sens, la Couronne réservait pour plus tard ses représentations sur sentence. Il n'est toujours pas clair s'il doit y avoir une première représentation sur sentence et si la Couronne, jugeant de la globalité du dossier, pourrait ensuite revenir pour une demande de détention indéterminée.
Est-ce qu'on se retrouverait dans un processus où on aurait nécessairement deux sentences: une sentence déterminée et une sentence indéterminée rendue quatre, cinq ou six mois plus tard sur requête de la Couronne, ou si la Couronne n'aurait tout simplement qu'à informer le tribunal, après le verdict de culpabilité, du fait qu'elle désire réserver ses représentations sur sentence?
Ce serait un peu comme ce qui existe depuis plusieurs années en matière de demande de libération sous caution. La Couronne peut, de façon péremptoire, informer le tribunal du fait qu'elle désire prendre trois jours pour faire ses représentations. Le juge ne peut ajourner que pour trois jours et doit ensuite prendre en considération la demande de remise en liberté. J'avais compris que c'était le même mécanisme, mais je me trompe peut-être royalement.
[Traduction]
M. Westwood: Je me trompe peut-être aussi. Tout ce que je peux vous dire est ce que j'ai compris à la lecture du projet de loi. J'ai compris que, si la Couronne exprime l'intention de demander que quelqu'un soit déclaré un délinquant dangereux mais ne le fait pas et si une peine déterminée est prononcée, la Couronne a six mois pour réactiver sa demande d'audience à cet effet si surviennent des preuves dont elle ne disposait pas auparavant et qui l'inciteraient à penser qu'une déclaration de délinquant dangereux constituerait une réaction appropriée pour ce qui est de cette personne et du délit qu'elle a commis.
Le mieux que je peux faire est de me répéter. Je me pencherai peut-être sur le projet de loi de plus près quand j'en aurai le temps.
[Français]
M. Langlois: Je me pencherai moi aussi à nouveau sur le projet de loi parce que j'ai un sérieux problème de compréhension.
Ma deuxième question porte sur l'article 810.2, que j'estime difficilement acceptable. Il chatouille passablement mon esprit juridique et la compréhension que j'ai toujours eue du droit criminel. À l'article 810.2, on se retrouve en présence d'une personne qui n'a été trouvée coupable d'aucune offense criminelle, un citoyen ou une citoyenne ordinaire contre lequel ou laquelle on désire que soit prononcé l'équivalent d'un mandat de paix amélioré. Or, cette personne n'a commis aucune offense. Elle n'est accusée de rien. Tout ce qu'on peut avoir, ce sont des soupçons sur sa conduite future. Mais on peut avoir des soupçons sur la conduite future de n'importe qui dans la société. Est-ce qu'on peut avoir des soupçons en raison de la façon dont une personne est habillée, de la couleur de sa peau, de l'endroit où elle réside ou des gens qu'elle fréquente? On peut avoir des soupçons sur bien des gens.
Ce que je trouve difficilement acceptable, pour ne pas dire carrément inacceptable, c'est qu'on transgresse une règle qui paraissait cardinale dans notre droit criminel. À l'époque où je l'ai étudiée, on nous disait toujours qu'une tonne de soupçons n'équivaut pas à une once de preuve. Mais à ce moment-ci, l'article à 810.2 semble nous faire revenir en arrière et détruire tranquillement, comme d'autres projets de loi l'ont fait au cours de cette législature, des pierres angulaires du système de droit criminel, en particulier le système de présomption d'innocence qui, à certains endroits, est joyeusement battu en brèche.
Dans ce cas-ci, en vertu d'une simple prépondérance de preuve contre des personnes qui n'ont commis aucun acte criminel mais qu'on soupçonne, on pourra les amener devant les tribunaux et obtenir des ordonnances qui porteront sur la restriction de leur mobilité; on leur interdira de prendre contact avec certaines personnes ou de visiter certains endroits. Puisque le mandat de paix a existé de façon coutumière pendant très longtemps, cette ordonnance prévue à l'article 810.2 semble introduire de façon statutaire une notion selon laquelle une personne qui, à la limite, pourrait être trouvée non coupable se verrait quand même imposer des conditions.
Je vous présente un scénario. Une personne est accusée de tentative d'agression sexuelle et opte pour être jugée devant un juge seul. Elle se présente donc devant le juge chez vous, en Colombie-Britannique. Le juge l'acquitte en disant qu'hors de tout doute raisonnable, on ne lui a pas fait la preuve de la culpabilité de l'accusé. Mais le même juge, siégeant par exemple l'après-midi, est saisi d'une requête en vertu de l'article 810.2 et de consentement des procureurs, pourrait dire qu'il accepte que la preuve qui a été versée au procès criminel serve pour une ordonnance en vertu de l'article 810.2, qu'il n'a pas été convaincu hors de tout doute raisonnable, mais que sur une prépondérance de preuve, il pense que la personne qui était devant lui comme accusée et qui est maintenant devant lui comme intimée a commis l'offense. Il ne pouvait pas la trouver coupable, mais puisqu'il se base maintenant sur un autre critère d'évaluation, soit la prépondérance de preuve, il décide d'émettre l'ordonnance.
Ça me fatigue un peu que, dans notre société, on restreigne la mobilité de gens qui ont été acquittés d'une accusation criminelle. Soit que l'on est coupable, soit que l'on est innocent. Même si on n'a pas tenu un débat très approfondi sur cette question, la présomption d'innocence me semble être sérieusement attaquée par l'article 810.2. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet puisqu'en principe, vous semblez appuyer l'article 810.2.
[Traduction]
M. Westwood: Je pense avoir dit au début de mes commentaires au sujet du paragraphe 810.2 que notre association est extrêmement gênée par des dispositions relatives à une contrainte judiciaire de cette nature; or, l'article 810 et le paragraphe 810.1 représentent, si vous voulez, la même sorte de chose.
Je conviens que le cas hypothétique que vous avez exposé constitue un scénario très inquiétant.
L'une des préoccupations que notre association a depuis le début au sujet du paragraphe 810.2 proposé est le vaste potentiel d'abus de la contrainte judiciaire - en partie, je pense, à cause des critères prévus. Vous avez parlé de la prépondérance des probabilités. D'après le texte actuel, on pourrait raisonnablement craindre que ce critère ne soit encore moins strict, mais c'est apparemment aux tribunaux qu'il appartient maintenant de se prononcer à ce sujet. Quoi qu'il en soit, il est certainement moins exigeant que la norme criminelle en matière de preuves.
Notre autre préoccupation est que, si les conséquences potentielles d'une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 810.2 proposé - ou, d'ailleurs, du paragraphe 810.1 de l'article 810 - étaient telles que la liberté de quelqu'un était gravement limitée, je pense que notre association s'opposerait à cette proposition.
Il existe toutefois, je pense, une tradition ancienne dans notre société, à laquelle notre association n'est pas opposée, qui exige que quelqu'un contracte un engagement de ne pas troubler l'ordre public - ce qui permet, par exemple, à une femme de demander une injonction - sur la base d'une évaluation raisonnable de la probabilité que quelqu'un commette des méfaits.
Nous disons, à propos du paragraphe 810.2 proposé, que nous ne nous y opposerons pas seulement si on n'impose que de légères limitations à la liberté, tout simplement parce que, dans certaines situations - et je vais vous en exposer une - , lorsque quelqu'un a été, par exemple, reconnu coupable d'infractions sexuelles contre des enfants à plusieurs reprises, que son mandat est arrivé à expiration, et qu'il est en liberté, qu'on l'a vu tourner en voiture autour des cours d'école et des terrains de jeu, etc., quand on a la preuve que cette personne a recommencé à boire et que son dossier indique que c'est quand il a bu qu'il a tendance à commettre des délits. Dans une telle situation, il n'est pas déraisonnable que la société essaie d'assujettir le comportement de cette personne à certaines contraintes adaptées au type de préjudice qu'elle risquerait de causer.
Nous pouvons essayer de faire la part des choses entre les scénarios de ce genre et celui que vous nous avez exposé. Je pense, et je pense que c'est aussi ce que notre association pense, que la seule façon de procéder est d'imposer seulement des limitations tout à fait minimales de la liberté. C'est la raison pour laquelle nous nous opposerions à ce que l'une des conditions prévues soit la surveillance électronique. Il paraît inacceptable d'exiger qu'une personne se présente constamment devant la police. Nous nous en tiendrions aux types de conditions qui figurent déjà à l'article 810 et au paragraphe 810.1.
La présidente: Madame Meredith, vous avez dix minutes.
Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): Merci, madame la présidente.
Ma première question sera adressée à la B.C. Civil Liberties Association. Après votre exposé, on ne sait pas très bien si vous êtes ou non en faveur du projet de loi C-55. J'ai l'impression que vous êtes d'accord avec certains de ces éléments, mais qu'il y en a d'autres que vous préféreriez en voir retirer. Ai-je raison de dire cela?
M. Westwood: Oui.
Mme Meredith: En parcourant votre mémoire, j'ai l'impression que vous n'avez rien contre la durée de six mois proposée pour la disposition concernant la détermination de la peine pour les délinquants dangereux. J'ai l'impression que vous ne vous opposez pas à ce que l'on passe de trois ans à sept ans pour l'admissibilité à la libération conditionnelle. Je ne voudrais pas vous présenter comme des adversaires de votre association de l'est du Canada, mais les associations qui défendent les libertés civiles ne semblent pas être du même avis. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi?
M. Westwood: Je peux vous dire que la B.C. Civil Liberties Associations n'est pas la même chose que l'Association canadienne des libertés civiles. Il n'y a pas, au Canada, d'organisation monolithique comme l'ACLU aux États-Unis. Il y a un grand nombre d'associations de taille plus ou moins grande qui défendent les libertés civiles au Canada; chacune d'entre elles a un conseil d'administration qui détermine ses politiques, et les gens ont parfois des opinions différentes, comme c'est le cas dans d'autres sortes de groupes.
Je peux très bien comprendre qu'une autre association de défense des libertés civiles puisse être d'un avis différent en ce qui concerne les deux articles que vous avez mentionnés. Il nous a paru justifié que, lorsqu'on a déclaré que quelqu'un est un délinquant dangereux, on fasse en sorte qu'il soit pratiquement impossible qu'une commission des libérations conditionnelles le libère avant qu'il ait purgé sept années de sa peine.
Sur les 176 personnes que nous connaissons qui avaient purgé sept années de leur peine, aucune n'avait été libérée. Or, la Commission des libérations conditionnelles était tenue, avec les frais que cela implique, d'examiner leur cas au bout de trois et de cinq ans. Il nous a semblé que cela constituait un gaspillage inutile et que cette exigence ne semble pas aller à l'encontre des droits à l'application régulière de la loi dont jouit une personne considérée comme un délinquant dangereux. Voilà pourquoi nous avons pris cette décision.
Je ne peux pas vous dire ce qui s'est passé au conseil d'administration de l'Association canadienne des libertés civiles, ni ce qu'en pense Alan Borovoy, mais c'était notre point de vue sur cette question.
Mme Meredith: Merci.
Pensez-vous que la déclaration de délinquant dangereux est une mesure appropriée en ce qui concerne les délinquants de ce genre qu'il faut empêcher de retourner dans la société? Pensez-vous que la méthode utilisée actuellement pour désigner ces 176 personnes est la bonne façon de procéder?
M. Westwood: Quand nous avons examiné le projet de loi C-55, nous n'avons pas examiné l'ensemble des dispositions relatives aux délinquants dangereux, ce que le projet de loi ne fait pas non plus, bien entendu, et nous n'avons, en fait, pas pris cela en considération. Notre association ne s'oppose pas en principe à la déclaration de délinquant dangereux. C'est la meilleure réponse que je peux vous donner pour le moment. Je ne peux pas entrer dans le détail de tout ce qui existe là en matière de protections en vertu du principe de l'application régulière de la loi.
Kay, vouliez-vous dire quelque chose?
Mme Stockholder: Seulement à propos des preuves présentées après la période de six mois. Nous voulons qu'il soit très clair que les preuves admissibles au cours de la période qui fait suite à la condamnation concernent le comportement du délinquant au moment de celle-ci ou antérieurement, mais pas un comportement ultérieur.
Mme Meredith: Votre association ne craint-elle pas que les libertés d'autres personnes soient menacées lorsque la société libère, en toute connaissance de cause, des personnes qui constituent une menace particulièrement pour les enfants et les femmes qui se promènent dans la rue? N'êtes-vous pas préoccupés par le fait qu'il y a des enfants qu'on ne laisse plus aller à l'école à pied, ni jouer dans un terrain de jeu sans la surveillance d'un adulte - si bien que leur liberté de mouvement est fortement limitée à cause de la menace potentielle que représentent des individus que, dans certains cas, on laisse réintégrer la société en toute connaissance de cause, en sachant qu'ils vont vraisemblablement faire de nouvelles victimes?
Comment faites-vous la part des choses entre les droits de ces personnes, ces jeunes gens, dont on limite la liberté de mouvement, et ceux de cette personne dont le comportement représente une menace à l'endroit de ces jeunes gens?
Mme Stockholder: Je ne sais pas vraiment de quelle question vous parlez, de quelle proposition législative précise. Nous ne nous étions pas opposés au projet de loi sur les délinquants dangereux précisément parce qu'il est conforme aux intérêts de la société tout en préservant les protections juridiques fondamentales qui constituent et doivent constituer un élément essentiel du Code criminel du Canada. Nous ne nous sommes pas non plus opposés à ce que l'on crée une catégorie spéciale de délinquants à contrôler, compte tenu là encore de ses implications sociales et des dispositions concernant l'application régulière de la loi.
Donc, si vous voulez dire que les préoccupations que nous avons notamment au sujet des enfants devraient justifier que l'on ne tienne pas compte des préoccupations relatives aux droits civils des citoyens et à l'application régulière de la loi, je pense que ce que nous aurions alors tous à craindre de notre gouvernement serait au moins équivalent à ce que les enfants ont à craindre de la part de ces gens potentiellement dangereux.
John, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Westwood: J'ajouterai simplement, à propos du fait que nous ne nous opposons pas aux dispositions relatives aux délinquants à contrôler, qu'à mon avis, le gouvernement essaie de régler le problème des gens dont sait, parce qu'on dispose de preuves solides, qu'ils présentent un risque élevé de récidive et que, s'ils récidivaient, ils menaceraient la sécurité des enfants et des femmes ou des autres membres de la société; vous devez toutefois régler cette question en tenant compte du risque que représentent ces gens-là sans vous contenter de les mettre en prison, de les réincarcérer à la fin de leur mandat et de les garder indéfiniment en prison. C'est dans ces conditions que l'on peut prouver que certains types de surveillance et de traitements dont ils pourraient bénéficier dans la collectivité pourraient réduire les risques qu'ils représentent et que c'est une solution qui pourrait marcher. Il s'agit d'une période de surveillance qui prend fin à un moment déterminé et c'est une façon de réagir en tenant compte de la nature du risque que représente cette personne.
Si, par contre, ce que vous souhaitez est que l'on essaie d'éliminer les personnes dangereuses de la collectivité, je suis désolé, on ne peut tout simplement pas faire cela dans notre société. À notre avis, le fait de déclarer que quelqu'un est un délinquant à contrôler est une façon par laquelle le Parlement a essayé de régler ce problème, et, comme je l'ai dit, nous ne nous y opposons pas.
Mme Meredith: Je soulève cette question parce que nous étudions également mon projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-254, qui concerne la détention postpénale des délinquants dangereux et qui permet de présenter une demande d'évaluation du danger que représente quelqu'un qui est déjà incarcéré.
Je soulève cette question parce que, quand on oppose les droits des délinquants à ceux de la société ou aux droits des femmes et des enfants relativement à la sécurité de la personne, les droits de chaque Canadien ou de la société dans son ensemble passent après ceux des délinquants. Ce que vous me dites, en fait, si je comprends bien, c'est que le risque justifie que les droits des délinquants passent après ceux de la société et que, vu ce risque, il vaut mieux les maintenir en prison.
M. Westwood: Je ne crois pas avoir dit cela du tout. Ce que j'ai dit est que, à moins d'emprisonner toute personne dont on suppose ou croit, pour des motifs raisonnables ou en vertu de n'importe quel autre critère que vous voulez appliquer, qu'elle est susceptible de commettre des actes de violence si elle est en liberté - à moins de construire 10, 20 ou peut-être 100 fois plus de prisons que nous n'en avons pour pouvoir les y enfermer pendant tout le reste de leur vie - la meilleure solution face au risque que certaines personnes représentent pour la collectivité est d'essayer de réduire ce risque sans pour autant aller tout simplement jusqu'à les enfermer et jeter la clef sans accorder aucune protection à leurs propres droits.
Mme Meredith: Je ne pense pas que qui que ce soit dise - et ce n'est certainement pas ce que je dis dans mon projet de loi d'initiative parlementaire - qu'ils ne devraient pas passer par une procédure juridique qui assurerait la protection ou la défense de leurs droits.
Vous nous avez cité le chiffre de 176 personnes, me semble-t- il. Cela ne fait pas énormément de gens. Le nombre de gens qui pourraient être déclarés délinquants dangereux est très faible par rapport à celui de ceux qui passent devant nos tribunaux.
Je ne veux pas que les gens aient l'impression que nous parlons d'enfermer tous les gens que nous n'aimons pas et de jeter la clef. Nous parlons, en fait, de ces individus extrêmement dangereux qui sont des prédateurs, qui sont à la recherche de victimes et qui sont très peu nombreux.
La présidente: Merci, madame Meredith.
Avez-vous un commentaire à ce sujet?
Mme Stockholder: Eh bien, nous avons déjà dit que nous ne nous opposions pas à la Loi sur les délinquants dangereux, même si nous pensons qu'il serait beaucoup plus conforme aux principes de la justice de désigner quelqu'un comme «délinquants dangereux» au moment où sa peine est prononcée plutôt que de faire cela après coup quand il a déjà purgé sa peine.
C'est-à-dire que, si une peine déterminée a été imposée et si c'est après l'avoir purgée qu'on déclare qu'il s'agit d'un délinquant dangereux, cette personne est punie à nouveau pour un délit qui a donné lieu à une peine qu'elle a déjà purgée. C'est peut-être nécessaire dans certaines circonstances inhabituelles, mais il est certainement préférable de déclarer que quelqu'un est un «délinquant dangereux» au moment où on détermine sa culpabilité et sa peine.
La présidente: Monsieur Telegdi, vous disposez de dix minutes.
M. Telegdi (Waterloo): Merci, madame la présidente.
Monsieur Mainprize, combien coûte la surveillance électronique par jour?
M. Mainprize: Les chiffres varient. D'après les plus récents que j'ai vus, il y a une sorte d'économie d'échelle: plus on surveille de gens, moins cela coûte cher. Je crois que cela revient à environ 35 ou 40 $ par personne et par jour. C'est ce qu'il en coûte pour la location ou l'achat de l'équipement, pour les agents des services correctionnels, etc.
M. Telegdi: D'accord. D'après les renseignements que vous avez fournis, vous avez dit qu'on atteignait fondamentalement une fiabilité de 95 p. 100. Est-ce bien 95 p. 100?
M. Mainprize: Pensez-vous aux problèmes techniques qui pourraient compromettre la fiabilité de l'équipement?
M. Telegdi: C'est sur la dernière page du mémoire que j'ai. Vous dites que le système a une fiabilité assez élevée, environ 95 p. 100, mais qu'il n'est pas infaillible.
M. Mainprize: C'est exact. Dans certains cas, il y a... Je pourrais peut-être vous citer une ou deux brèves anecdotes à propos des recherches que j'ai faites au sujet du programme de surveillance électronique utilisé ici, en Colombie-Britannique, quand il était encore en phase expérimentale.
On a constaté, par exemple, qu'une délinquante déclenchait une fausse alarme chaque fois qu'elle prenait un bain et que c'était le matériau dont était faite la baignoire qui semblait déclencher cette fausse alarme.
Pour un autre délinquant, certains papiers peints contiennent une sorte spéciale de substance métallique qui semble empêcher l'émission du signal.
Il y a parfois des gens qui dorment en position foetale, ce qui empêche temporairement l'émission du signal.
Lorsque quelqu'un se trouve assigné à résidence, il peut, de toute évidence, se produire des anomalies et des problèmes techniques et la conséquence en est que les gens qui s'occupent de ces programmes doivent aller contrôler en personne ce qui se passe pour vérifier les informations que leur fournit l'équipement électronique.
M. Telegdi: Si l'équipement électronique indique que la personne n'est pas chez elle après une certaine heure, par exemple, envoie-t-on immédiatement un agent de probation ou un gardien de sécurité contrôler sur place si cette personne n'est pas là?
M. Mainprize: En général - mais les modalités prévues varient d'un programme à l'autre - , je sais que, pour le programme de Colombie-Britannique qui est appliqué dans l'ensemble de la province et dans le cadre duquel il y a chaque jour entre 350 et 400 délinquants qui sont surveillés, la réaction automatique ou par défaut serait d'effectuer une vérification.
Si, par exemple l'heure limite de 5 h, le récepteur d'une personne surveillée ne perçoit plus le signal, il communique cette information par téléphone au poste de contrôle, au centre de contrôle informatique de la direction des services correctionnels; on téléphone alors au délinquant ou on se rend à son lieu de résidence pour vérifier s'il s'agissait ou non d'une indication fiable et si ce n'est pas à cause d'une anomalie électronique qu'une infraction a été signalée.
M. Telegdi: Merci.
Madame Williams, c'est à vous que je voudrais poser ma prochaine question qui porte plus particulièrement sur ce que vous dites à la page 9 au sujet des programmes de cautionnement de l'Ontario et du fait qu'ils ne reçoivent plus de financement.
Je vous signalerais que nous avons entendu hier les représentants de l'Association du Barreau canadien. Ils nous ont notamment dit que nous ferions bien d'être prudents en ce qui concerne l'utilisation de ressources limitées afin de pouvoir consacrer un peu d'argent aux programmes de prévention. Il me semble que, pour toutes sortes de raisons, les programmes de cautionnement donnent d'excellents résultats aussi bien du point de vue financier - je crois qu'ils coûtent 4 $ par jour - que parce qu'ils contribuent à régler certains problèmes sociaux ou problèmes raciaux ainsi que d'autres problèmes auxquels quelqu'un peut se trouver confronté, ce qui risquerait de l'inciter à enfreindre la loi ou de l'empêcher de respecter les conditions prévues par manque de ressources.
Sur la base de votre expérience, pouvez-vous nous expliquer quelles pourraient être les conséquences à long terme de l'interruption des programmes qui permettent à des gens de bien fonctionner à l'intérieur de la collectivité et d'améliorer la sécurité publique?
Mme Williams: J'ai cité le programme de cautionnement comme exemple de ce qui est à craindre en ce qui concerne les pouvoirs de prévention.
Pour ce qui est du programme de cautionnement et de la représentation juridique pour les gens qui doivent se présenter à une audience de cautionnement, ce qui est tout aussi important, sinon plus puisque, bien entendu, si vous n'êtes pas représenté par un avocat, il est très difficile de prouver au juge que vous serez en fait capable de vivre au sein de la collectivité sans poser de risque jusqu'à votre procès. Si vous êtes incarcéré après avoir été accusé d'un délit du fait que vous n'avez pas été représenté correctement ou que vous n'avez pas pu faire venir votre employeur au procès pour dire «oui, il a un emploi», ou d'autres choses de ce genre, il est évident que cela aggrave encore tous vos problèmes. Vous êtes en prison et, dans de nombreux cas, vous y êtes pour longtemps.
Comme le montre le rapport de la commission, un nombre disproportionné de Canadiens d'origine africaine passent longtemps en prison avant d'être finalement acquittés. Des programmes comme ceux que vous avez mentionnés - notamment le programme de cautionnement, mais aussi des programmes comme ceux des mesures de rechange, que, je le sais, le gouvernement étudie de près, et d'autres programmes qui aident les gens à remédier aux problèmes sociaux qui sont à l'origine de la petite délinquance en leur offrant des programmes de formation qui les aident à trouver un emploi et à ne pas faire de bêtise, ainsi que d'autres choses comme cela - coûtent moins cher que de garder en prison quelqu'un qui, pendant ce temps-là, ne peut pas contribuer à la société.
À long terme, l'annulation de tous ces programmes coûtera extrêmement cher, aussi bien pour ce qui est des coûts financiers à proprement parler que des coûts pour la société, car on sait que les gens qui sont en prison ne sont pas nécessairement exposés à une influence très positive pour ce qui est de leur développement. Si on peut les maintenir hors de la prison et leur offrir des programmes positifs, il y a moins de chances qu'ils récidivent.
Je ne sais pas si cela répond à votre question.
M. Telegdi: Serait-il juste de dire que, en croyant erronément réaliser des économies à court terme, l'Ontario, du fait de cette décision, crée un problème qui s'avérera très coûteux à long terme? Comme vous l'avez mentionné, des gens peuvent se retrouver en prison pour la simple raison qu'ils ont des ressources financières insuffisantes. Ils sont alors exposés à de mauvaises influences et participent à des activités criminelles à leur sortie. On dit souvent que les prisons sont en quelque sorte l'université des délinquants.
Mme Williams: Oui. Je ne veux pas dire que toute personne qui est emprisonnée à la suite d'une audience de cautionnement va nécessairement acquérir de mauvaises habitudes. Toutefois, certaines études montrent que l'un des facteurs qui déterminent si vous allez être reconnu coupable et quelle peine vous sera infligée est la mesure dans laquelle vous avez dû passer un certain temps en prison avant votre procès. C'est-à-dire que, au moment de la détermination de la peine, vous ferez meilleure impression si vous n'avez pas été incarcéré avant le procès, si vous avez pu conserver votre emploi, montrer que vous pouvez fonctionner dans la société, etc. Donc, en fait, l'incarcération préalable peut également influencer la durée de la peine qui vous sera imposée.
Pour en revenir à ce que vous disiez au début, il est certainement possible de prendre davantage de mesures préventives et de permettre une participation plus grande de la collectivité à la réinsertion sociale, surtout pour les délits peu violents ou non violents. Sans me prononcer trop ouvertement du point de vue politique, je dirais que c'est la position de l'African Canadian Legal Clinic et je crois pouvoir dire que, si l'on investit de l'argent pour construire des superprisons qui vont éloigner les gens davantage encore de l'endroit d'où ils viennent et créer peut- être des milieux encore plus brutaux, comme ceux que l'on voit dans les grandes prisons des États-Unis, cela ne nous permettra pas nécessairement de mieux régler, en fin de compte, le problème de la criminalité au Canada.
La présidente: Merci, monsieur Telegdi.
Nous arrivons à la fin de la séance et je voudrais donc remercier Mme Williams et les gens de Colombie-Britannique, plus particulièrement un diplômé de l'Université de Windsor, John Westwood. J'ai été contente de vous revoir.
Mme Torsney (Burlington): Encore de la publicité pour l'Université de Windsor en Ontario.
La présidente: Merci. Au revoir.
M. Westwood: Au revoir.
La présidente: La séance est levée.