[Enregistrement électronique]
Le mardi 4 juin 1996
[Français]
Le co-président (M. Gagnon): Encore une fois, bienvenue, monsieur le commissaire. Je suis très heureux de constater que nous avons obtenu le quorum dans un délai d'une minute. C'est bien par rapport à l'autre jour. Monsieur le commissaire, je vous invite à poursuivre votre témoignage et j'inviterai ensuite les députés et sénateurs à vous interroger.
M. Victor C. Goldbloom (commissaire aux langues officielles): Monsieur le président, puisqu'il s'agit de la suite de nos discussions, je ne pensais pas offrir une déclaration liminaire cette fois-ci, mais entamer immédiatement le dialogue avec les membres du comité.
Le co-président (M. Gagnon): Est-ce aussi le désir du représentant de l'Opposition officielle?
M. Marchand (Québec-Est): Oui.
Le co-président (M. Gagnon): Je vous donne une période de dix minutes pour poser des questions.
Le co-président (le sénateur Roux): À utiliser sagement.
M. Marchand: Bonjour, monsieur Goldbloom.
J'aimerais aujourd'hui, si vous me le permettez, vous poser des questions sur le rôle de chacun des ministères clés dont vous parlez dans votre rapport de février 1996.
À la page 8, vous parlez d'un certain nombre de ministères qui ont une responsabilité en ce qui a trait à la mise en oeuvre de la Partie VII. Personnellement, peut-être comme plusieurs autres, je suis confus en ce qui a trait au rôle que chacun doit jouer dans l'application et la mise en oeuvre de la Partie VII.
Compte tenu de la discussion qui a eu lieu la semaine dernière au comité sur le leadership ou le manque de leadership pour la mise en oeuvre... Je sais que c'est un terrain vaste et j'aimerais pouvoir obtenir autant de précisions que possible là-dessus.
Par exemple, je sais que le Conseil du Trésor a un rôle à jouer, de même que le ministère du Patrimoine canadien et plusieurs autres ministères. Mais commençons par le Conseil privé. Comment voyez-vous le rôle du Conseil privé dans la mise en oeuvre de la Partie VII?
M. Goldbloom: Nous avons commencé une certaine discussion sur ce sujet la semaine dernière, et j'ai rappelé que dans mon rapport annuel d'il y a deux ans, j'avais suggéré que le Conseil privé joue un rôle de coordination et même d'autorité pour la mise en application de la Partie VII.
Je m'empresse de dire que les autres parties de la Loi sur les langues officielles ont des responsables assez bien identifiés. C'est la Partie VII qui constitue un terrain vague. Une responsabilité de coordination est attribuée à l'ancien Secrétariat d'État, qui est aujourd'hui le ministère du Patrimoine canadien, mais, comme l'ont fait quelques membres de ce comité, j'ai souligné le fait que ce ministère n'a pas d'autorité et qu'il existe des relations plutôt horizontales entre ministères, plus spécifiquement entre celui du Patrimoine canadien et les autres.
Pour cette raison, j'avais mis de l'avant, il y a déjà deux ans, cette suggestion qui n'a pas été retenue. Comme elle n'avait pas été retenue, j'ai offert, dans le rapport que vous avez étudié, une solution alternative, soit la constitution d'un sous-comité du Conseil des ministres qui pourrait assumer cette responsabilité. Les deux formules sont possibles.
Je demeure convaincu qu'en l'absence d'une autorité, la mise en oeuvre de la Partie VII continuera d'être très variable et on risquera de ne pas atteindre les résultats escomptés par les communautés en question.
M. Marchand: Comme vous venez de le dire, le Conseil privé a un rôle de coordination et d'autorité. Ce rôle de coordination est, pour ainsi dire, partagé avec le ministère du Patrimoine Canadien. L'autorité, encore une fois, n'est pas claire, non pas parce que vous n'êtes pas vous-même clair, mais parce que la situation elle-même est ambiguë par rapport à l'organisme qui doit assumer ce leadership. Ce n'est pas clair actuellement, parce qu'on ne sait pas si ce sera le Conseil privé ou un sous-comité du Conseil des ministres, ou peut-être même le premier ministre lui-même. Ce sont donc des choses que nous aurons à clarifier.
Il y a effectivement un manque de leadership là-dedans. Quelqu'un ou un ministère doit assumer le leadership dans l'application de la Partie VII; sinon, cela ne portera pas fruit.
Vous dites que le problème n'est pas tant de définir le rôle de chacun des ministères, qui sera défini une fois que le leadership sera clarifié, que de clarifier ce que veut dire la Partie VII. C'est là que les choses sont vraiment vagues.
À qui peut-on s'adresser pour préciser la signification et l'application de la Partie VII?
M. Goldbloom: Je pense, modestement, que le rapport que j'ai rendu public en février et celui qui est plus récent, qui porte sur les plans d'action des diverses institutions fédérales, se voulaient des contributions constructives à une meilleure compréhension de la Partie VII de la loi et des obligations des institutions pour une mise en oeuvre satisfaisante.
La discussion qui a eu lieu la semaine dernière au sein de ce comité pourra amener une plus grande clarté et une meilleure compréhension si une autorité est reconnue.
Troisièmement, il est évident que le ministère du Patrimoine canadien a déjà une responsabilité et manifeste, je dois le dire, une bonne mesure de bonne volonté pour que cela réussisse. C'est après tout ce ministre qui a annoncé la nouvelle politique gouvernementale et qui a fait en sorte que les27 organismes identifiés produisent un plan d'action.
Ces plans d'action étant de qualité variable et dans bien des cas insatisfaisante, il faudra que nous travaillions tous ensemble pour que la deuxième génération de plans d'action présente une nette amélioration par rapport à la première.
M. Marchand: Pouvez-vous en ce moment définir aussi précisément que possible le rôle du Conseil privé dans la mise en application de la Partie VII et dire quelle a été la collaboration de ce ministère dans cette mise en oeuvre? Avez-vous établi des liens avec le Conseil privé? Qu'ont-ils fait à ce jour et quel devrait être leur rôle dans la mise en oeuvre?
M. Goldbloom: Permettez-moi d'abord de souligner que le commissaire, en vertu de ses fonctions, doit rester à une certaine distance des institutions fédérales qu'il est appelé à évaluer et même à critiquer. Donc, je ne poursuis pas de consultations régulières avec les divers organismes. Il m'arrive de temps en temps d'avoir à discuter de quelque chose avec le Conseil privé. Je trouve là de l'ouverture d'esprit.
M. Marchand me demande une définition du rôle que devrait assumer le Conseil privé. Il me semble, à prime abord, que cela dépasse un peu mes attributions. Je suis allé jusqu'à faire la proposition que le Conseil privé assume une responsabilité. Comment agencer l'exercice de cette responsabilité? Il me semble que c'est au Conseil privé lui-même, avec le premier ministre qui dirige cet organisme, d'en décider.
Le co-président (M. Gagnon): Merci, monsieur le commissaire et monsieur Marchand.
Monsieur Serré.
M. Serré (Timiskaming - French River): Nous avons tous eu la chance d'étudier le rapport que vous avez fait sur la Partie VII et sur les plans d'action. J'ai deux petites questions très simples à vous poser.
Premièrement, avez-vous eu des réactions des différentes institutions ou ministères et, si oui, quelles étaient-elles? Le moins qu'on puisse dire est qu'ils ont eu peut-être un C+ ou un B-. Quant à moi, je leur donnerais à peu près un C.
J'aimerais savoir quelles ont été les réactions des différentes institutions. Allez-vous assurer un suivi à court terme, dans les six prochains mois, ou bien allez-vous attendre une année complète avant de réévaluer la soi-disant deuxième génération de plans d'action?
M. Goldbloom: Selon l'esprit de la Loi sur les langues officielles, lorsque nous avons des recommandations à adresser à une institution fédérale, que ce soit à la suite du dépôt d'une plainte par un citoyen ou d'une étude entreprise par le commissaire de sa propre initiative, nous produisons une ébauche de rapport et invitons l'institution à offrir ses commentaires. Lorsqu'il s'agit d'un plaignant, nous offrons au plaignant la même possibilité de commenter avant que nous ne rédigions le rapport définitif.
Nous avons agi de cette façon et nous avons reçu un certain nombre de commentaires de la part des institutions fédérales. Nous avons voulu en obtenir au moins une majorité avant de rédiger le rapport définitif, ce qui a nécessité un certain temps.
Depuis le dépôt de ce rapport, nous n'avons pas eu d'autres réactions. Il y a seulement une semaine que le rapport a été rendu public.
La deuxième partie de votre question, monsieur Serré, est un peu plus compliquée, parce que nous avons entrepris cette évaluation des plans d'action des 27 institutions. Nous l'avons fait à la demande expresse de ce comité, constatant que personne d'autre n'était en train de le faire.
Il y a, nous l'espérons bien, une deuxième génération de plans d'action qui sont déjà en préparation. Est-ce que nous allons recevoir, de la part du comité, la même demande de faire l'évaluation de cette deuxième génération? Je ne le sais pas encore, mais je dois dire que nous avons dû retenir les services d'un expert de l'extérieur. En effet, étant donné les coupures budgétaires que nous avons subies, notre personnel est moins nombreux qu'autrefois et pour faire l'évaluation d'une deuxième génération, qui pourrait être plus nombreuse que la première, parce que nous avons parlé de l'écart entre les 27 organismes visés ici et les 58 qui avaient été visés par notre étude générale de l'application de la Partie VII, je ne suis pas certain que nous aurons les ressources humaines et financières nécessaires pour effectuer ce travail. C'est une de nos préoccupations actuelles, et nous en discutons au sein de notre équipe.
M. Serré: Dans l'élaboration de votre rapport, avez-vous impliqué les minorités, des groupes comme la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada ou Alliance Québec? Je pense qu'ils auraient aimé contribuer à cette évaluation.
M. Goldbloom: Nous avons, notamment pour la préparation de notre instrument d'analyse, consulté les organismes nationaux, provinciaux et territoriaux.
Nous avons voulu nous assurer que notre appréciation des plans d'action correspondait aux besoins et aux visées des communautés en question. Nous n'avons pas associé les communautés à l'évaluation précise des plans d'action. C'est un travail que nous avons effectué nous-mêmes. Nous voulions nous assurer que nous serions sur la bonne piste au vu des communautés.
Je constate que j'ai omis de répondre à une partie de votre question qui portait sur le délai recommandable. Il me semble - et je le dis tout spontanément à brûle-pourpoint - qu'une année est une longue période, d'autant plus que nous avons l'impression que la deuxième génération des plans d'action devrait déjà être en préparation. Si ce n'était pas le cas, ce serait regrettable.
Donc, j'aimerais mieux penser en fonction de six mois qu'en fonction de 12 mois.
M. Serré: Je suis complètement d'accord avec le commissaire. À l'automne, j'aimerais voir une ébauche de rapport ou un compte rendu sur les différentes institutions pour ce qui est de la deuxième génération des plans d'action.
Le co-président (M. Gagnon): Sénateur Rivest.
Le sénateur Rivest (Stadacona): Monsieur le commissaire, ma question s'adresse plutôt à la présidence. D'abord, tout le monde au comité a constaté que, sur la Partie VII, ce n'était pas très brillant. Mon collègue, M. Serré, parle d'un C. M. Marchand n'était pas loin d'un Z. C'est peut-être quelque part entre les deux. Ce n'est pas une performance brillante de la part de l'administration compte tenu des besoins des communautés minoritaires.
J'insiste - et vous l'avez déjà évoqué - sur le fait que le rôle du commissaire est ce qu'il est, soit de recueillir et d'évaluer. Il n'est pas le vrai décideur et l'administration publique fédérale ne le prend manifestement pas au sérieux. Il peut le dire et le reconnaître tout simplement.
En ce qui a trait à la mise en oeuvre des différents programmes au niveau de la Partie VII, on a vu Alliance Québec et la Fédération des communautés francophones et acadienne nous montrer leur insatisfaction. Tout le monde le dit. On revient au point où on était la semaine dernière. Il n'y a pas de leadership politique là-dedans. Il y a bien la déclaration du mois d'août du premier ministre au Congrès des Acadiens, mais il ne semble pas y avoir autre chose.
On est encore pris avec notre problème de la semaine dernière. Qui le dira à l'administration? Vous le dites en tant que commissaire mais, sur le plan politique, on n'a rien. Je ne sais pas si vous avez posé des questions à la Chambre des communes, mais il faudrait qu'un ministre dise que c'est grave, que les choses ne vont pas bien, etc.
Ma question s'adresse plutôt à la présidence du comité. On avait parlé, en tant que membres du Comité mixte permanent sur les langues officielles, de faire une déclaration là-dessus. Est-ce en voie de préparation? Va-t-on nous soumettre un texte? Le commissaire était bien d'accord sur cette démarche, et j'espère qu'il va hausser un peu le volume, sans trop d'égards aux susceptibilités politiques, et signaler qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne vraiment pas. Est-ce en cours?
Le co-président (M. Gagnon): Le sous-comité s'est réuni ce matin. On a parlé un peu du dépôt d'un rapport sur les paramètres de la Partie VII. On a l'intention de soulever cette proposition et de faire pression auprès du gouvernement pour qu'on nous donne quelques réponses sur les questions soulevées par le commissaire il y a déjà quelque temps. Le comité doit se pencher sur cette question d'ici les prochaines semaines.
Le sénateur Rivest: D'accord. Il ne faudrait pas que ce soit un rapport parlementaire comme il en existe, qui prennent les chemins de la Chambre des communes.
Le co-président (M. Gagnon): En effet, c'est pour cela qu'on vote en tant que comité.
Le sénateur Rivest: Il faudra prévoir une diffusion et un plan quelconque de communication pour alerter l'opinion publique sur le sérieux des difficultés que l'on rencontre.
Le co-président (M. Gagnon): On abordera cette question au moment prévu.
Le co-président (le sénateur Roux): J'en profite, monsieur le sénateur Rivest, pour vous offrir mes excuses. Vous n'étiez pas présent ce matin au sous-comité par ma faute, parce que je devais vous demander d'en faire partie la semaine dernière.
Pour vous rassurer, dans les épithètes qui ont été utilisées ce matin, on a parlé d'un rapport bref et percutant.
M. Marchand: Il avait aussi été question d'une lettre au premier ministre pour l'inviter.
Le co-président (M. Gagnon): Je préférerais qu'on s'en tienne aux questions au commissaire. Avez-vous d'autres questions, sénateur Rivest?
Le sénateur Rivest: Non, pas pour l'instant.
Le co-président (M. Gagnon): Monsieur Godfrey, s'il vous plaît.
[Traduction]
M. Godfrey (Don Valley-Ouest): Pour revenir sur les questions dont on vient tout juste de discuter et sur les questions posées par M. Serré, je suis frappé par cette recommandation que vous avez faite en 1993, c'est-à-dire d'établir un centre de responsabilités au Bureau du Conseil privé. Je vous ai entendu dire en réponse à une question que vous a posée M. Serré, que c'est tout ce que vous pouviez faire étant donné le rôle que vous jouez et le rôle de ce bureau.
Je n'ai peut-être pas entendu - peut-être ne l'avez-vous pas dit - , mais qu'elle a été la réaction? Avez-vous vraiment demandé au Bureau du Conseil privé qu'elle était sa réaction en 1993, ou était-ce tout simplement quelque chose que vous avez suggéré? Y a-t-il eu des entretiens informels sur cette question? Où en est-on dans toute cette affaire? Est-elle quelque part dans le cyberespace?
M. Goldbloom: À l'époque, il y a eu une réaction. Je ne me rappelle pas exactement comment on m'en a fait part, mais j'ai été informé que cette suggestion ne serait pas acceptée et qu'on n'y donnerait pas suite. C'est l'une des raisons pour lesquelles, au cours du présent exercice, j'ai proposé une solution de rechange, c'est-à-dire qu'un sous-comité du Cabinet examine la question.
Ma préoccupation se limite aux résultats. À mon avis, ce n'est ni mon rôle ni ma responsabilité d'indiquer comment on doit arriver à ces résultats. Ce n'est pas à moi de m'immiscer dans l'administration interne d'une institution fédérale et de lui dicter comment elle doit faire les choses. Cependant, si les résultats ne sont pas atteints et si les collectivités reviennent me voir pour dire qu'elles sont toujours dans une situation désavantageuse parce que la Partie VII n'est pas prise en compte, n'est pas reconnue, n'est pas respectée par les institutions fédérales qui doivent le faire, alors je dois en alerter l'opinion publique et le Parlement, par l'intermédiaire de votre comité.
M. Godfrey: Vous êtes en train de vous remémorer ce qui s'est passé, mais est-ce que vous vous rappelez pourquoi ils pensaient à l'époque qu'ils n'avaient pas à assumer une certaine responsabilité directe à cet égard?
M. Goldbloom: Non, on ne m'a pas donné d'explications détaillées, mais je pense - et il s'agit d'une interprétation subjective - qu'à l'époque on estimait que l'ancien ministère du Secrétariat d'État qui est devenu le ministère du Patrimoine canadien devait avoir la possibilité de faire quelque chose à ce sujet. Par la suite, on a annoncé en août 1994 que le gouvernement prendrait des mesures à cet égard.
Cette prise de position était encourageante. Entre l'encouragement que moi-même et d'autres avons ressenti à l'époque, et l'évaluation des plans d'action que nous avons aujourd'hui devant nous, je pense qu'il y a une marge considérable qui porte à croire que cette insatisfaction face aux plans d'action a donné une nouvelle vie au débat du comité entourant un centre de responsabilités pour s'assurer qu'il y aurait effectivement une mise en oeuvre.
Le co-président (M. Gagnon): J'ai quelques questions au sujet de votre rôle concernant la Partie VII de la Loi sur les langues officielles. Étant donné que vous êtes en quelque sorte le chien de garde qui doit s'assurer que les divers ministères respectent les langues officielles au Canada, quel sera votre rôle, étant donné que le gouvernement a l'intention de transférer une partie considérable de ses responsabilités en matière de ressources humaines? Par exemple, cette semaine la ministre Robillard a annoncé que certains programmes qui étaient auparavant administrés par le gouvernement fédéral seraient transférés au Québec, au Nouveau-Brunswick et à d'autres provinces.
Qu'est-ce qui garantit que lorsque ces services seront transférés aux provinces, ces dernières respecteront les droits des minorités? Quel sera votre rôle? Allez-vous participer aux négociations entre le gouvernement fédéral et les provinces? Quel rôle prévoyez-vous jouer, étant donné vos ressources plutôt limitées? Comment allez-vous faire un suivi de ce que j'appelle essentiellement le bradage des services gouvernementaux fédéraux aux provinces, car vous devrez alors vous multiplier par dix.
Comment allez-vous suivre ce qui se passe au Québec, au Nouveau-Brunswick, dans les Maritimes et dans les dix provinces canadiennes? Selon vous, comment votre rôle va-t-il évoluer au cours des mois à venir - par rapport à cette initiative fédérale?
M. Goldbloom: Tout d'abord, à ma connaissance, jamais depuis les 25 ans d'existence du poste de commissaire ce dernier n'a participé directement à des négociations fédérales-provinciales. Je n'y ai certainement pas participé. D'un autre côté, de façon générale j'ai créé des rapports cordiaux et ouverts avec les gouvernements provinciaux et les administrations territoriales et, sauf dans quelques rares cas exceptionnels, je n'ai jamais eu de difficulté à parler avec les autorités provinciales et territoriales des préoccupations des minorités francophones ou anglophones.
Deux aspects me semblent ici être importants. D'abord, dans les cas où le Parlement du Canada a adopté certaines lois et les a appliquées à l'administration fédérale, et où l'administration fédérale décide ensuite de privatiser ou de transférer à un autre palier d'administration publique certaines responsabilités, il me semble que les obligations inhérentes aux lois fédérales devraient être transmises à l'autre palier de responsabilité - c'est le cas donc pour ce qui est de la privatisation des aéroports et, à mon avis, pour ce qui est du transfert des responsabilités du fédéral au provincial. C'est une chose sur laquelle j'ai beaucoup insisté lors de mes comparutions devant les comités du Parlement.
Le deuxième aspect important est le suivant: en matière de développement et de formation des ressources humaines, nous avons constaté qu'il y avait des déséquilibres entre les ressources et les cours offerts aux communautés minoritaires et majoritaires. Le cas le plus évident - et le plus important, pour ce qui est du nombre - se trouve en Ontario. À la suite d'une plainte déposée par l'ACFO, nous avons entrepris une évaluation des programmes de formation des ressources humaines offerts en Ontario et nous avons constaté, comme vous le savez - car ce document, avec l'autorisation de l'ACFO, est public - qu'il y avait des différences quantitatives et qualitatives considérables entre les cours offerts en français et les cours offerts en anglais en Ontario.
Il me semble donc que ce que l'on devrait négocier, c'est que des cours de formation des ressources humaines soient offerts de façon juste et équitable aux deux groupes linguistiques dans chaque province qui devient responsable à la suite du retrait du gouvernement fédéral de ce domaine.
Le co-président (M. Gagnon): Cela étant dit,
[Français]
quelle évaluation faites-vous du Transfert social canadien? Si je comprends bien, l'an dernier a été la première expérience puisque nous avons transféré un bloc de 11 milliards de dollars au Québec et laissé la province, comme les autres provinces, décider de la façon dont elle disposerait de ce montant.
Ce transfert massif de fonds vers les provinces a sûrement touché quelques-uns de vos services ou vous a sûrement poussé à revoir votre évaluation des services gouvernementaux canadiens. Il s'agit quand même d'un montant considérable, si l'on ne tient compte que du Québec.
M. Goldbloom: Si l'on regarde l'histoire du Canada, nous devons regretter certaines situations où diverses provinces n'ont pas perçu leurs responsabilités à l'endroit de leurs minorités de langue officielle de la même façon que le Parlement du Canada.
Récemment, il y a eu des signes de progrès. J'ai déjà souligné l'avènement de la gestion scolaire dans quatre provinces et un territoire depuis mon arrivée en poste, il y a bientôt cinq ans. Et si nous pouvons faire aujourd'hui une discussion mutuellement respectueuse, ouverte et loyale, nous n'avons pas le droit de présumer que le transfert de responsabilités du palier fédéral au palier provincial sera défavorable aux minorités de langue officielle.
Tel est mon souhait. Il est évident que, comme principal interlocuteur des communautés en question, j'en entendrai parler et je serai obligé, dans l'exercice de mes responsabilités, de faire état, dans mes rapports annuels, de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas, des satisfactions et des insatisfactions des communautés en question.
[Traduction]
Le co-président (M. Gagnon): Merci, monsieur le commissaire. Avant de donner la parole à M. Marchand, je tiens à dire que j'attends avec impatience de lire dans vos rapports de 1996 ce que vous aurez pensé de vos échanges avec les autorités provinciales.
Monsieur Marchand.
[Français]
Le sénateur Rivest: J'ai un petit commentaire.
Le co-président (M. Gagnon): Je vous en prie.
Le sénateur Rivest: Dans le transfert de la main-d'oeuvre, le gouvernement fédéral s'est réservé la possibilité d'émettre des lignes directrices, comme il l'a fait dans l'harmonisation de la TPS, pour laquelle on n'a pas encore été payé par le gouvernement fédéral. Le commissaire pourrait prendre prétexte de ces lignes directrices pour demander à M. Young qu'une des lignes directrices soit le respect des langues officielles. C'est très important, surtout dans les communautés à l'extérieur du Québec.
Le co-président (M. Gagnon): Monsieur Marchand, s'il vous plaît.
M. Marchand: C'est peut-être la réponse à la question que je voulais lui poser parce que, dans le fond, je voulais poursuivre la pensée du président.
Cependant, j'aimerais d'abord souligner que ce matin, on s'est entendus pour faire un rapport bref et percutant sur la mise en oeuvre de la Partie VII.
De plus, nous avions décidé d'envoyer une invitation au premier ministre pour qu'il se présente au comité, peut-être à l'automne, pour aider à établir du leadership dans le dossier de la mise en oeuvre.
Le co-président (M. Gagnon): Monsieur Marchand, il a été entendu que le point que vous avez soulevé fera l'objet d'une discussion en comité, et je crois qu'on en arrivera sûrement à un consensus. Je ne veux pas présumer que la décision a été prise en l'absence de quelques sénateurs réputés. Donc, je crois qu'on va s'en tenir à vos nombreuses questions.
M. Marchand: J'aimerais poursuivre là-dessus parce que la dévolution des pouvoirs vers les provinces est vraiment un sujet de grande importance. Vous avez parlé longuement de ce sujet et vous avez soulevé le cas de l'Ontario en ce qui a trait au rapport sur la formation de la main d'oeuvre. Vous savez qu'il n'y a pas grand-chose qui s'est fait à cet égard.
Il se peut que le sénateur Rivest ait indiqué une piste de solution. Quelle suggestion pourriez-vous faire au gouvernement fédéral pour faire en sorte que les minorités francophones, par exemple en Ontario, puissent être assurées d'avoir une partie de l'enveloppe transférée aux provinces ainsi qu'une partie des pouvoirs? Quel mécanisme pourrait assurer que les minorités ne soient pas balayées de côté, comme c'est actuellement le cas dans toutes les provinces sauf au Québec?
M. Goldbloom: Pour moi, l'esprit de la Loi sur les langues officielles, et plus précisément de sa Partie VII, est clair. Il devrait inspirer les négociateurs qui concluront les ententes requises pour le transfert des responsabilités. Actuellement, il n'y a pas, dans l'exercice des responsabilités des institutions fédérales, des 27 dont nous parlons depuis le début de cette discussion, une prise de responsabilité claire pour la distribution équitable des ressources.
C'est une occasion en or, quant à moi, de définir les besoins et le partage équitable des ressources et cela devrait faire partie de la négociation et de l'entente qui sera conclue.
M. Marchand: J'aimerais revenir aux plans d'action. Il semble que, dans la mise en oeuvre de la Partie VII, les plans d'action des ministères vous seront remis à la fin du mois de juin de cette année. Je croyais que la deuxième génération de plans d'action devait vous être soumise à la fin de ce mois-ci. Vrai ou faux?
M. Goldbloom: Je vais vérifier le calendrier. Il est clair que ces plans d'action doivent être remis au ministère du Patrimoine canadien. Est-ce que je les recevrai? C'est possible, mais laissez-moi d'abord vérifier cette question de calendrier.
Monsieur le président, j'aimerais confirmer que la date visée est justement le 30 juin. Il est prévu que, par courtoisie à tout le moins, nous recevrons les plans d'action à notre bureau.
M. Marchand: Pourquoi sommes-nous maintenant réduits à 27 ministères et agences au lieu des quelque 150 ministères ou agences du gouvernement qui devraient, à toutes fins pratiques, préparer certains rapports en ce qui a trait à la mise en oeuvre de la Partie VII?
M. Goldbloom: Monsieur Marchand, dans notre rapport, nous avons essayé de mesurer l'impact de chacun des 27 organismes sur la mise en application de la Partie VII et nous avons constaté qu'il y avait là des variations considérables, que certains ministères avaient un impact important et d'autres un impact moindre. Si nous étendions cette exigence de production d'un plan d'action à 150 ou 160 institutions fédérales, nous toucherions un nombre important d'organismes qui n'ont vraiment pas d'impact.
Je reviens, comme l'ont fait divers membres de ce comité, à l'écart entre les 27 qui ont été choisis par le ministère du Patrimoine canadien et les 58 que nous avions visés dans notre évaluation de la mise en oeuvre de la Partie VII. Je suis convaincu qu'il faut élargir le champ de travail pour que tous les organismes qui devraient être associés à cet effort le soient.
M. Marchand: Plus tôt, vous avez dit que le rôle des ministères restait à préciser en fonction du leadership qui reste à déterminer. Ensuite, le développement des plans d'action se fera par secteur. Je crois qu'il y a trois secteurs. Qui va clarifier ces secteurs, par exemple celui de la formation de la main-d'oeuvre? Qui va clarifier le barème, le schéma ou la cote qu'on peut établir? Est-ce que ce sera vous? À quoi peut-on s'attendre de Développement des ressources humaines Canada dans la formation de la main-d'oeuvre? Qui décidera pour ce secteur, pour la culture, pour l'éducation, etc.? Dans le domaine de la formation de la main-d'oeuvre, comment établit-on le barème?
M. Goldbloom: Lorsque le ministère du Développement des ressources humaines a pris connaissance de mon rapport en ce qui a trait à la plainte de l'ACFO, sa réaction a été plutôt positive. Le ministère a reconnu l'iniquité qui existe et a commencé à chercher des moyens pour corriger cette situation.
Le processus est engagé. J'ai voulu que ce rapport soit un coup de barre pour que les institutions réfléchissent à leurs responsabilités, non seulement en principe, mais en examinant leurs actions afin que ces actions répondent aux exigences de la Partie VII de la loi. Ce processus devra se poursuivre de façon sectorielle.
C'est un peu compliqué parce qu'un ministère donné peut avoir des impacts dans plus d'un secteur. Comment diviser cela ou comment jauger cela? J'ai tendance à prendre les choses par l'autre bout, c'est-à-dire le bout des résultats, à examiner les résultats et à dire: «Les résultats ne sont pas là, et il faudra donc faire mieux».
Comme je le disais en réponse à une question antérieure, je n'essaie pas de mettre mon nez dans la régie interne d'un ministère et de dire: «C'est comme ça que vous devriez faire les choses plutôt que d'une autre façon». Mais je tiens à dire: «Il faut que vous obteniez des résultats et que les bénéfices pour les communautés soient réels».
M. Marchand: Donc, les résultats ne sont pas là et on veut s'assurer d'avoir des résultats par secteur.
Je vous ai envoyé une lettre vendredi dernier pour vous demander si vous aviez fait d'autres analyses en ce qui a trait aux plans d'action pour la mise en oeuvre de la Partie VII, des analyses par secteur ou une analyse globale. J'avais l'impression, en lisant ce que vous avez déposé, que dans certaines sections, vous ouvriez la porte à d'autres analyses, des analyses par secteur ou une analyse globale du gouvernement.
M. Goldbloom: Nous n'avons pas effectué d'autres études plus poussées. Spécifiquement, nous n'avons pas effectué les études sectorielles que vous auriez souhaitées, monsieur Marchand.
Il y a diverses raisons à cela, la première étant - et je l'ai souligné dans nos discussions antérieures - que le processus était quelque peu déphasé. Le ministère du Patrimoine canadien avait publié un guide qui devait servir aux autres institutions pour la préparation de leurs plans d'action.
Nous avons produit notre instrument d'analyse, que nous avons fini par partager avec les institutions, mais les plans d'action étaient déjà préparés et les organismes ne pouvaient plus tenir compte de notre instrument. Donc, il serait plus juste et plus valable de faire un tel exercice avec la deuxième génération.
Il y a un autre facteur, et je le souligne avec regret. Permettez-moi d'attirer votre attention à la page 10 du rapport. Vous y trouverez un petit tableau intitulé «Indicateurs de suffisance des plans d'action». Les indicateurs sont assez bas, le meilleur étant à 20,86 et le pire à 9,21. Il nous semblait qu'il n'y avait pas grand espoir qu'une étude sectorielle produise un portrait plus reluisant que ce que vous avez devant les yeux. C'est pour ces raisons que nous ne l'avons pas fait.
M. Marchand: Puis-je poser une autre question?
Le co-président (M. Gagnon): Allez-y, monsieur Marchand. Je prends le temps de réfléchir.
M. Marchand: Cette fois-ci, monsieur le commissaire, je reviens à votre rapport de février 1996 et plus particulièrement à la 21e des 56 recommandations de ce rapport. Il y a beaucoup de choses là-dedans et il y en a plusieurs qui sont fort intéressantes. Cependant, il y en a une que je trouve fascinante.
M. Goldbloom: Et elle se trouve à quelle page, s'il vous plaît, monsieur?
M. Marchand: On la trouve à la page 41 et je vais en faire la lecture. J'aimerais que vous puissiez la qualifier, car je la trouve tout à fait fascinante. Vous dites:
- Le ministère du Patrimoine canadien devrait considérer le Programme des langues officielles
dans l'enseignement, composante de son Programme d'appui aux langues officielles
récemment restructuré (en partie), comme un outil essentiel permettant de réaliser pleinement
l'esprit et la lettre de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Partie VII
de la Loi sur les langues officielles; à cet égard, il devrait prendre les moyens voulus au moment
de renouveler les actuelles ententes multilatérales et bilatérales pour faire de ces dernières des
instruments plus efficaces en vue de la pleine réalisation des deux engagements formulés à
l'article 41 de la Loi.
- Il y a là beaucoup de choses. Est-ce que vous pourriez expliquer cette recommandation-là?
Les deux sont importantes. À mon sens, l'avenir de chaque communauté en situation minoritaire dépend de la qualité de l'éducation qui est fournie dans la langue de cette communauté. C'est pour cela d'ailleurs que j'ai insisté à tant de reprises sur l'importance de l'éducation préscolaire, de commencer l'éducation de l'enfant avant même l'école élémentaire dans sa langue maternelle, dans la langue de la communauté.
J'espère que l'on utilisera ce programme pour renforcer la vie de la communauté en question.
M. Marchand: Quand on parle de la langue seconde, on ne parle plus des communautés minoritaires.
M. Goldbloom: On parle nettement de la communauté majoritaire.
M. Marchand: C'est cela. La mise en oeuvre de la Partie VII vise très clairement les communautés minoritaires. Je n'arrive pas à voir le lien entre les deux. Je ne comprends pas.
M. Goldbloom: C'est pour cela que j'ai mis l'accent sur l'éducation dans la langue de la communauté minoritaire. Je suis un enthousiaste de l'enseignement des langues ainsi que de l'augmentation de la capacité des Canadiens de parler au moins nos deux langues et d'autres langues aussi. Ce serait avantageux sur le plan individuel. C'est la vie de la communauté qui me préoccupe et c'est donc l'emploi du Programme des langues officielles dans l'enseignement dans le but de renforcer la communauté qui est ma préoccupation ici.
M. Marchand: C'est peut-être moi qui ne comprend pas. Je comprends qu'au fond, le gouvernement fédéral contribue la plus grande partie des fonds consacrés aux programmes de langue seconde et pour l'enseignement de la langue minoritaire. Si je comprends bien, vous êtes en train de dire qu'il y a un lien entre l'application de l'article 23 de la Charte et l'application de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles.
M. Goldbloom: Puisque l'article 23 concerne la gestion scolaire, ce sont des choses liées. Je dois toutefois souligner que l'argent en question, qui est rendu disponible par le gouvernement fédéral en vertu du Programme des langues officielles dans l'enseignement, est transféré aux provinces qui s'en servent essentiellement à leur guise. Le but est de répondre à ces deux objectifs: l'enseignement de la langue de la minorité et l'enseignement de la langue seconde.
Il est difficile d'obtenir une comptabilité claire de l'utilisation de cet argent dans diverses provinces. Donc, je ne suis pas en mesure de fournir cette comptabilité ou cette ventilation des chiffres, et je dois en rester aux principes et renouveler mon insistance sur l'importance de l'éducation dans la langue de la communauté minoritaire.
Le co-président (M. Gagnon): Monsieur le commissaire, hier, on a adopté un amendement constitutionnel en ce qui a trait à Terre-Neuve. Croyez-vous que l'amendement en question aura une incidence quelconque sur l'enseignement du français en tant que langue seconde ou un impact quelconque en ce qui a trait aux écoles françaises qu'on retrouve dans cette province?
Croyez-vous que vous devrez jouer un rôle accru en termes de surveillance, de suivi et de recommandations auprès de ce gouvernement ou encore auprès de celui-ci?
M. Goldbloom: Si je comprends bien, monsieur Gagnon, votre question porte spécifiquement sur Terre-Neuve.
Le co-président (M. Gagnon): Sur Terre-Neuve.
M. Goldbloom: D'accord.
Le co-président (M. Gagnon): Est-ce qu'on s'est penché sur cette question?
M. Goldbloom: Oui. Je suis en communication assez régulière avec la communauté francophone de Terre-Neuve et du Labrador. C'est l'une des trois provinces qui n'ont pas encore créé un régime de gestion scolaire pour leur communauté francophone.
Il semblait, aux yeux du gouvernement provincial, que le régime existant, en vertu de la Constitution, était un obstacle jusqu'à hier. Il me semblait, parce que nous travaillons beaucoup sur ce dossier, qu'il y avait quand même moyen d'aller de l'avant avec la gestion scolaire.
Le gouvernement de Terre-Neuve affirme que l'adoption de cet amendement débloquera la restructuration globale du système scolaire dans cette province et permettra la création d'un organisme de gestion pour la communauté francophone.
Ce qui n'est pas clair en ce moment, c'est la forme que pourra prendre ce régime de gestion scolaire. Puisque l'article 23 de la Charte est clair, d'autant plus clair que son interprétation a été deux fois confirmée par la Cour suprême du Canada, j'ai le devoir de suivre ce dossier de très près afin de juger si ce qui sera éventuellement proposé sera conforme aux exigences de l'article 23.
Le co-président (M. Gagnon): Vous dites que vous allez suivre de très près l'évolution du régime scolaire terre-neuvien et l'application du principe de «là où le nombre le justifie». Qu'attendez-vous du gouvernement de Terre-Neuve à la suite de l'adoption de cet amendement constitutionnel?
M. Goldbloom: En ce moment, les parents francophones ont engagé un processus qui devra les mener devant les tribunaux afin de résoudre la question, afin d'obtenir d'un tribunal un jugement confirmant l'application de l'article 23.
Le gouvernement provincial, par la bouche du ministre de l'Éducation, a dit publiquement qu'il préférerait négocier une solution satisfaisante pour la communauté francophone et respectueuse de l'article 23 plutôt que d'aller devant les tribunaux.
Comme je l'ai fait dans d'autres provinces, notamment en Nouvelle-Écosse, j'ai offert l'expertise que nous avons accumulée en suivant de nombreux dossiers et en constatant les différences entre un régime et un autre. Nous avons la possibilité d'offrir un avis, que je voudrais utile, sur la conformité ou la non-conformité d'une formule quelconque avec l'article 23.
Si un tel service peut être perçu comme utile par le gouvernement - et j'ose croire qu'il le serait de toute façon par la communauté - , j'en serai ravi. Ce n'est pas par manque de respect pour le système judiciaire que je le dis, mais aller devant les tribunaux prend du temps et coûte cher, et il serait préférable de résoudre le problème par une consultation. Et si je peux contribuer d'une façon quelconque à cette consultation, je serai des plus heureux.
Le co-président (M. Gagnon): Je tiens à vous remercier de ces précisions. Si j'ai bien compris, vous jouerez possiblement un rôle de médiateur entre ces parents francophones et le gouvernement terre-neuvien.
M. Goldbloom: Je pense que le mot «médiateur» est un peu fort pour le rôle que je peux jouer. Ce serait reconnaître un pouvoir que je n'ai pas. Mais je voudrais offrir mes bons offices et j'espère contribuer à une solution.
Le co-président (M. Gagnon): Sénateur Robichaud, s'il vous plaît.
Le sénateur Robichaud (L'Acadie): Monsieur le président, je n'avais pas l'intention d'ouvrir la bouche aujourd'hui.
Le co-président (M. Gagnon): C'est la place pour le faire.
Le sénateur Robichaud: Je suis passablement scandalisé que la francophonie de Terre-Neuve soit obligée de s'adresser aux tribunaux plutôt qu'aux forces politiques de Terre-Neuve pour la reconnaissance de ses droits. Êtes-vous d'accord avec moi que les voies politiques devraient suffire et qu'on ne devrait être obligé de faire ces dépenses et de subir l'humiliation de s'adresser aux tribunaux parce que les gouvernants de Terre-Neuve ne sont pas capables de reconnaître que la Loi sur les langues officielles s'applique à Terre-Neuve aussi bien que dans le reste du pays?
M. Goldbloom: Monsieur le sénateur, après deux jugements de la Cour suprême du Canada, il me semble déraisonnable qu'une communauté minoritaire soit obligée de s'adresser aux tribunaux pour obtenir la confirmation de ce qui a déjà été confirmé deux fois.
Pour cette raison, je prends acte de l'expression de bonne volonté de la part du ministre de l'Éducation de Terre-Neuve qui a dit: «J'aimerais éviter le recours aux tribunaux; j'aimerais pouvoir arriver à une solution en discutant avec la communauté». Cela me donne de l'espoir.
Le co-président (M. Gagnon): Monsieur le commissaire, les membres du comité ont bien l'intention de suivre de près l'évolution de cette nouvelle réalité constitutionnelle à Terre-Neuve.
Monsieur Marchand.
M. Marchand: Pour faire une parenthèse en ce qui a trait au cas de Terre-Neuve, on sait queM. Wells, lorsqu'il était premier ministre de la province, avait lui aussi fait des promesses à la Fédération des parents francophones de Terre-Neuve et du Labrador. Eux aussi, en 1988, comme vous le savez, avaient poursuivi une cause en Cour suprême de Terre-Neuve et, après les promesses de M. Wells, ils avaient retiré leur cause. Par la suite, le Rapport Norman a été publié. Cependant, ils n'ont pas eu accès à ce rapport avant deux ans et demi, monsieur Robichaud. Ils n'ont pas eu accès à ce rapport qui recommandait que les francophones de Terre-Neuve et du Labrador aient le droit de gérer leurs propres écoles.
Ils doivent reprendre le processus judiciaire en Cour suprême de Terre-Neuve pour faire valoir leurs droits. C'est scandaleux et je suis parfaitement d'accord avec vous là-dessus, d'autant plus qu'il y a eu des jugements de la Cour suprême du Canada, entre autres le jugement Mahé.
C'est vrai que c'est scandaleux, mais ne pensez-vous pas, monsieur le commissaire, que le premier ministre du Canada aurait pu facilement avoir un échange avec M. Tobin et lui dire: «Monsieur Tobin, je vais m'organiser pour qu'on passe votre amendement, mais engagez-vous...
Le co-président (M. Gagnon): Monsieur Marchand, il faut faire attention. Si c'est une...
M. Marchand: Je lui pose la question.
Le co-président (M. Gagnon): ...question d'actualité, ça va, mais je ne crois pas que le commissaire soit en mesure de juger la pensée politique ou de justifier les prises de position de...
M. Marchand: C'est un grand monsieur et il est capable de répondre. Ne pensez-vous pas, monsieur le commissaire, qu'il y avait là une occasion pour que des pressions soient exercées par le fédéral pour s'assurer que M. Tobin s'engage formellement à le faire, en noir et blanc, de façon concrète, par écrit, plutôt que de laisser les choses en l'air comme c'est le cas actuellement?
Le co-président (M. Gagnon): Vous n'êtes pas tenu de répondre à cette question.
M. Goldbloom: Monsieur le président, vous avez raison de dire que la question deM. Marchand m'entraîne sur un terrain glissant de nature politique.
J'aimerais dire qu'au cours des premières années de mon mandat, ayant rencontré divers gouvernements provinciaux et ayant entendu l'un et l'autre dire: «Nous voulons donner la gestion scolaire à notre communauté francophone, mais nous n'avons pas les ressources monétaires qui nous permettraient de le faire», j'ai travaillé auprès du gouvernement fédéral du temps pour obtenir le dégagement d'une certaine somme de 112 millions de dollars, afin de contourner cette objection de diverses provinces. D'après ce que je sais, ces sommes sont encore disponibles pour les provinces qui n'ont pas encore donné la gestion scolaire à leurs communautés francophones.
Mon expérience du gouvernement terre-neuvien a été un peu différente. J'ai rencontré le premier ministre du temps, M. Wells. Il a parlé du problème constitutionnel qui vient d'être résolu. Il a dit aussi: «J'ai fait un engagement prioritaire: celui de construire une route dans la péninsule Port-au-Port afin de relier deux communautés francophones qui doivent faire un long périple pour se rejoindre». Il a aussi dit: «C'est un engagement que j'ai pris et je vais le respecter». Effectivement, cette route a été construite.
S'il y a eu un obstacle constitutionnel ou des blocages, je suis maintenant en mesure de nourrir l'espoir qu'une solution est à notre portée.
M. Marchand: Nous allons suivre cela. J'aimerais revenir à ce que vous étiez en train de dire en ce qui a trait à la recommandation de la page 41 de votre texte de février 1996.
C'est tout simplement pour que vous précisiez ce que vous étiez en train de dire. Si je comprends bien, vous êtes en train de dire que le fédéral transfère des sommes d'argent aux provinces et que ces dernières n'utilisent pas nécessairement ces sommes pour les besoins de la minorité francophone. Une partie de ces sommes va à l'éducation, à l'enseignement. C'est la même chose avec les transferts sociaux.
Le co-président (M. Gagnon): Cela comprend toutes les provinces, y compris le Québec.
M. Marchand: Oui. Vous êtes en train d'indiquer qu'il y aurait moyen de faire en sorte que le gouvernement fédéral, avec le transfert de sommes vers les provinces, puisse contribuer à l'évolution de l'application de l'article 23 et de la Partie VII. C'est bien cela?
Quelle est la prochaine étape pour faire en sorte que le gouvernement puisse voir plus clair là-dedans? Quel mécanisme envisage-t-on pour s'assurer que les communautés francophones - je ne parle pas des anglophones au Québec - aient un certain contrôle sur l'enveloppe budgétaire et les pouvoirs?
M. Goldbloom: Le fait de créer la gestion scolaire donne à la communauté un contrôle budgétaire qui n'existe pas sans cela.
Deuxièmement, les communautés disent que l'argent est transféré du fédéral aux provinces en vertu du Programme des langues officielles dans l'enseignement mais que les résultats ne sont pas tout à fait ce qu'ils devraient être.
Donc, ma recommandation est qu'avec l'arrivée à échéance de chacune de ces ententes, la nouvelle négociation porte sur une assurance plus explicite que les ressources fournies par le fédéral soient utilisées pour le bénéfice de la communauté minoritaire.
M. Marchand: Comme dans le cas...
Le co-président (M. Gagnon): C'est votre dernière question, monsieur Marchand.
M. Marchand: On a tout le temps, monsieur le président.
Le co-président (M. Gagnon): On a un quart d'heure pour discuter. Je tiens à vous rappeler que le sous-comité a un programme fort intéressant et qu'on doit se pencher sur d'autres questions.
M. Marchand: Dans ce cas-ci, cette recommandation s'adresse particulièrement au ministère du Patrimoine canadien.
M. Goldbloom: Oui.
M. Marchand: Donc, dans ce cas-là, le ministère est clairement en mesure de s'assurer qu'une partie des sommes d'argent qu'il transfère à telle ou telle province soit attribuée à une minorité de cette province-là. Le ministère a-t-il le pouvoir de le faire?
M. Goldbloom: Le ministère a évidemment une certaine influence et lorsqu'on négocie, on peut arriver à une compréhension réciproque de ce qui doit être entendu de part et d'autre.
Mais ce qui complique ce dossier-ci, c'est le fait que l'éducation est une responsabilité provinciale. Donc, il y a une limite à ce que le gouvernement fédéral, un ministère fédéral, peut dire à un gouvernement provincial. Négocier est une chose et donner des directives en est une autre. C'est par négociation que cela peut se résoudre.
M. Marchand: À la page 59 de votre rapport, en ce qui a trait à la formation de la main-d'oeuvre, c'est la même chose. Vous dites que des investissements de plus de 3 milliards de dollars par année ont été faits et qu'aucune somme n'a été utilisée spécifiquement pour la minorité francophone.
Dans ce domaine-là, le fédéral pourrait encore une fois négocier et s'assurer qu'une partie des sommes qui sont transférées aux provinces aille aux besoins de la minorité francophone.
M. Goldbloom: Il me semble...
Le co-président (M. Gagnon): À mon avis, cette question devrait plutôt être adressée au ministre du Développement des ressources humaines du Canada. Comment pouvez-vous évaluer où les sommes sont dépensées quand votre rôle est d'évaluer les services linguistiques aux minorités?
M. Goldbloom: Je n'ai justement pas le droit d'entrer dans la comptabilité provinciale et d'examiner la façon dont l'argent est utilisé.
M. Marchand: Dans le domaine de la culture, vous savez que Radio-Canada est très, très important. J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.
Vous savez qu'il y a une iniquité dans les sommes d'argent versées à la Société Radio-Canada par rapport à la CBC même si les coûts sont semblables et que, dans le fond, un rapport dit que, pour s'assurer que les minorités francophone et acadienne soient bien desservies par Radio-Canada, il faudrait octroyer 80 millions de dollars à Radio-Canada.
Mais le gouvernement fédéral ne cesse de réduire les sommes qu'il accorde à Radio-Canada. Quelle est votre impression de tout cela?
Le co-président (M. Gagnon): Je peux vous fournir quelques chiffres, monsieur Goldbloom. Je tiens à vous rappeler que 40 p. 100 des budgets de Téléfilm Canada et du Conseil des arts sont versés au Québec et que Québec - la proportion francophone - touche, si je ne m'abuse, 35 p. 100 des budgets.
Pouvez-vous conclure en commentant ces points?
M. Goldbloom: En ce qui concerne le partage des ressources financières de la Société Radio-Canada entre le secteur d'expression anglaise et le secteur d'expression française, c'est un vieux débat, un débat complexe, et là aussi je suis obligé de me concentrer sur les résultats.
Nous avons poursuivi, notamment devant ce comité, un débat important concernant le RDI, le Réseau de l'information, qui n'est pas encore disponible dans tous les coins du pays où se trouvent des concentrations de gens d'expression française.
J'avais souhaité que la diffusion du RDI soit rendue obligatoire dans tous les marchés, pas simplement dans les marchés dits francophones, mais aussi dans les marchés dits anglophones ayant une importante population d'expression française.
Cette recommandation n'a pas été retenue, et le CRTC et Radio-Canada ont préféré le volontariat et ont voulu voir comment la diffusion se ferait par la volonté des câblodistributeurs notamment.
Nous avons souligné divers problèmes, notamment l'absence totale de la diffusion du RDI à l'Île-du-Prince-Édouard et la non-disponibilité du signal dans d'importants coins du pays.
La réaction du CRTC et celle de Radio-Canada ne sont pas encore de vouloir rendre cette diffusion obligatoire dans tous les marchés. L'on insiste plutôt sur les nouveaux développements technologiques qui, d'ici relativement peu de temps - mais je ne sais pas combien de temps cela veut dire - , permettront la diffusion directe dans chaque foyer, indépendamment du lieu de ce foyer.
Il me semble que c'est un avenir plus intéressant qui est en vue, mais que nous avons encore aujourd'hui des problèmes. Par exemple, les câblodistributeurs qui, de temps en temps, changent la localisation des canaux, situent parfois le RDI sur un canal au-delà du no 50, ce qui oblige l'abonné à acheter un appareil spécial pour avoir accès à ce canal.
Je suis intervenu à plus d'une reprise au sujet d'une telle décision, comme j'étais intervenu à un moment où, afin de diffuser le RDI - et c'est un troc qui n'avait pas été annoncé auparavant - , on avait retranché TV5, Musique Plus et le réseau de la météo. Il y a eu une perte en échange d'un gain, et cela n'avait pas été discuté à l'avance. Je me suis élevé contre cela, et certains correctifs ont été apportés.
Donc, c'est un dossier que je suis de près, toujours en fonction des résultats obtenus et de la disponibilité réelle d'une programmation valable en français et en anglais, selon les concentrations de population.
Le co-président (M. Gagnon): Merci, monsieur Marchand, et merci à tous les membres du comité.
Nous allons poursuivre une discussion sur un rapport du sous-comité du programme et de la procédure du Comité mixte permanent sur les langues officielles. Ce rapport du sous-comité sera déposé à l'instant même.
Merci, monsieur le commissaire. On a bien l'intention de suivre de près les projets que vous allez suivre d'ici les prochains mois.
M. Goldbloom: Merci.
Le co-président (le sénateur Roux): Merci de votre disponibilité, monsieur le commissaire. C'est fort apprécié.
Le co-président (M. Gagnon): Excusez-moi, mais j'ai le regret de vous informer que la suite de la séance sera à huis clos. Donc, seuls les membres du comité seront présents et je ne vois pas l'utilité d'enregistrer cette séance à huis clos. Le comité est-il d'accord?
[La séance se poursuit à huis clos]