[Enregistrement électronique]
Le mardi 10 décembre 1996
[Traduction]
Le président: Commençons. Bienvenue, monsieur le ministre. Nous sommes heureux que vous ayez pris le temps de venir nous rencontrer.
Comme je vous le disais tout à l'heure, nous étudions le transport, le commerce et le tourisme. Les changements ont été nombreux dans tous les modes de transport, et le comité a jugé important, d'en étudier la signification pour l'ensemble du système.
Au début de notre étude, le thème de préoccupations qui s'est dégagé est celui du réseau routier. Comme vous êtes responsable du tourisme, nous sommes très heureux que vous ayez pris le temps de venir nous parler du tourisme, et nous dire pourquoi il nécessite des réseaux de transport efficaces et efficients.
Nous vous écoutons.
L'honorable John Manley (ministre de l'Industrie): Merci, monsieur le président. Je suis heureux d'être de retour au Comité des transports, après une absence de plus de trois ans.
[Français]
Je suis heureux de me trouver ici aujourd'hui pour vous aider dans votre examen des rapports et de l'efficacité économique entre le transport, le commerce et le tourisme.
Je m'exprimerai aujourd'hui à la fois comme ministre de l'Industrie et comme ministre responsable de la Commission canadienne du tourisme, la CCT.
Je rappelle au comité que la CCT est l'expression d'un partenariat entre le secteur privé, les gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que le gouvernement du Canada.
La CCT, qui coordonne les efforts des divers intervenants de l'industrie du tourisme, a pour mandat de développer un programme national de commercialisation du Canada comme destination touristique et de fournir l'information pertinente à l'industrie.
[Traduction]
En 1995, le gouvernement fédéral a créé la Commission canadienne du tourisme, à laquelle il s'est engagé à verser 50 millions chaque année, soit une augmentation de 35 millions par rapport aux années précédentes. En créant la CCT, le premier ministre a mis l'industrie du tourisme au défi de verser la contrepartie du financement fédéral d'ici trois ans. L'industrie a relevé le défi un an avant l'échéance prévue et va verser à la Commission plus de 50 millions de dollars en 1996-1997.
J'en profite pour vous remettre des exemplaires du rapport annuel de la CCT pour 1995-1996. Ce rapport indique comment le partenariat de la CCT fonctionne pour aider à la construction de ce secteur de plus en plus important de l'économie canadienne.
Au Canada, le tourisme se place au 4e rang des secteurs d'activité exportateurs. L'année dernière, nous étions au 11e rang mondial en ce qui concerne les arrivées de touristes et au 12e quant au nombre de touristes accueillis.
L'année dernière, les touristes ont dépensé 41,8 milliards de dollars dans notre pays, soit une augmentation de 7,1 p. 100 par rapport à l'année précédente. Quand on sait que la croissance du PIB a été de 4 p. 100 en 1994, force est de constater la vigueur de ce secteur d'activité.
Les touristes étrangers ont dépensé 11 milliards de dollars au Canada l'année dernière, soit une augmentation de 14,7 p. 100. Le nombre de visiteurs au Canada a augmenté de 6 p. 100 l'année dernière pour atteindre 17 millions de voyages-personnes. Les Américains représentent les trois quarts des visiteurs étrangers accueillis au Canada. Les Canadiens voyageant dans leur pays y ont dépensé 30,8 milliards de dollars, soit une augmentation de 4,6 p. 100. L'augmentation des dépenses des touristes étrangers et Canadiens dans notre pays a fortement diminué notre déficit au poste «voyages».
Lorsque nous avons été élus en 1993, notre compte «tourisme» accusait un déficit de 7,9 milliards de dollars; en 1995, ce déficit n'était que d'un peu plus de 3 milliards de dollars. Notre objectif est évidemment de le diminuer encore, monsieur le président. Nous voulons inciter un plus grand nombre d'étrangers à visiter le Canada et nous voulons convaincre les Canadiens de consacrer leurs vacances à la découverte de leur pays.
Avant de quitter le thème de l'importance du tourisme pour l'économie, monsieur le président, je voudrais ajouter que sa valeur n'est pas simplement proportionnelle aux dépenses des touristes. Les activités liées au tourisme fournissent souvent aux jeunes Canadiens la possibilité d'avoir leur premier emploi. En fait, près d'un tiers de la main- d'oeuvre touristique est âgée de moins de 21 ans, alors que cette tranche d'âge ne représente que 17 p. 100 de l'ensemble de la main-d'oeuvre canadienne.
Je voudrais également ajouter qu'environ 80 300 années-personnes d'emploi, dans le secteur des transports, sont directement imputables au tourisme, ce qui représente environ 21 p. 100 de l'ensemble des emplois offerts par le secteur du tourisme.
[Français]
Quels sont donc les facteurs qui caractérisent une industrie touristique dynamique? Ce sont les attractions touristiques, la qualité de l'hébergement, le marketing, la facilité des formalités douanières et d'immigration et, naturellement, les transports, autrement dit ce qui nous intéresse ici.
À l'inverse d'autres industries, le tourisme doit amener le client jusqu'au produit. Le transport est l'un des éléments clés de l'infrastructure touristique. Si les touristes ont du mal à venir au Canada ou à y circuler, il est moins probable qu'ils tentent le déplacement.
Ce qu'il nous faut, ce sont des moyens de transport rapides, pratiques, confortables et à prix abordable. L'industrie est consciente de cette situation. Il ressort d'un sondage pancanadien réalisé plus tôt cette année auprès de 350 entreprises et autres organismes du secteur touristique que les transports figurent parmi les obstacles qui freinent la croissance du tourisme canadien.
Il est bon de souligner, alors que nous mettons en place le type d'infrastructure des transports qui contribuera à attirer plus de visiteurs au Canada, que le secteur des transports lui-même tire des recettes du tourisme.
Cela vaut tout particulièrement pour certains modes de transport où la majorité des passagers sont des touristes. Le tourisme représente 92 p. 10 des ventes de billets d'avion, 84 p. 100 des ventes de billets de train et 93 p. 100 des places à bord des bateaux.
[Traduction]
Les gens qui se déplacent en avion pour affaires entre Toronto et Winnipeg, ou qui prennent le train pour un voyage d'affaires d'Ottawa à Montréal, profitent d'un réseau de transport qui tire l'essentiel de ses revenus du tourisme. En fait, le secteur touristique a une incidence massive sur tous les modes de transport de passagers.
Si l'on ajoute les déplacements routiers, on constate que les voyages de loisirs représentent près de 84 p. 100 des voyages interurbains au Canada. Les chiffres de l'ensemble du transport touristique indiquent qu'en 1995, la demande touristique de transport de passagers au Canada a atteint 17,4 milliards de dollars, soit une augmentation de 7,5 p. 100 par rapport à l'année précédente. Ce chiffre représente également la moitié du total des dépenses touristiques au Canada.
Quel mode de transport empruntent les voyageurs? Le réseau routier est choisi par le plus grand nombre de touristes. Les Canadiens ont fait 76,4 millions de voyages de plus de 24 heures en 1994, dont 93 p. 100 par la route et 6 p. 100 par avion. Les Américains ont fait 13 millions de voyages de plus de 24 heures au Canada, dont 72 p. 100 par la route et 21 p. 100 par avion. Ainsi, les Américains et les Canadiens représentent l'essentiel de ce qu'on peut appeler le tourisme sur pneus, dont le succès dépend essentiellement de la commodité des transports routiers.
Le réseau routier joue donc manifestement un rôle déterminant dans le nombre des touristes qui viennent au Canada, mais on aurait tort de minimiser l'importance des autres modes de transport quant à leur pouvoir d'attraction pour le genre de touristes qui, une fois au Canada, vont y dépenser davantage d'argent.
À l'exclusion du prix du billet, les Américains qui viennent au Canada par avion, dépensent deux fois plus que leurs compatriotes qui viennent nous voir en voiture. Les passagers aériens japonais, pour qui il serait évidemment très difficile de venir au Canada en voiture, dépensent davantage par jour que les passagers aériens américains.
Pour certains de ces touristes, des services de transport exclusifs, comme les voyages en train, à travers les Rocheuses ou les traversiers dans les détroits de Colombie- Britannique, deviennent, au-delà du moyen de transport proprement dit, une attraction touristique en elle-même. En fait, la CCT a travaillé avec de nombreuses entreprises canadiennes de transport, pour promouvoir le tourisme.
Une récente campagne publicitaire, lancée avec Ford Canada, fait la promotion de notre brochure Rediscover Canada ou Le Canada: un pays à redécouvrir. Cette brochure invite les Canadiens à voyager en voiture dans notre pays pendant leurs vacances. Je n'en ai pas suffisamment d'exemplaires pour tous les membres du comité, mais je pourrais vous en faire parvenir plus tard.
Quelles sont les autres mesures prises par le gouvernement canadien pour que les transports bénéficient de l'apport du secteur du tourisme? Tout d'abord, il faut créer l'environnement propice qui permettra à un secteur des transports concurrentiel, de fournir aux touristes les services dont ils ont besoin.
À mon avis, nous y avons réussi dans le cas l'accord canado-américain sur les transports aériens. Depuis la signature de l'accord sur l'ouverture des espaces aériens en février 1995, 10 villes canadiennes sont désormais reliées par des vols sans escale à 60 nouvelles destinations aux États-Unis, dont 39 sont desservies par des transporteurs canadiens.
Toronto, Montréal, Vancouver et Calgary, reçoivent 68 p. 100 des nouveaux services transfrontaliers. Il y a eu également une forte augmentation de la desserte de certaines autres villes canadiennes, comme Halifax et Ottawa, où nous attendons l'ouverture d'un service douanier, qui devrait améliorer la desserte de cette ville.
L'ouverture des espaces aériens a eu un effet positif immédiat sur le secteur des transports. Le transport passager transfrontalier a augmenté de 15 p. 100 au cours du 2e semestre de 1995. Grâce à l'ouverture des espaces aériens, les voyageurs bénéficient de meilleurs horaires, d'une plus grande souplesse, d'un plus grand nombre de vols directs sans escale, et grâce au renforcement de la concurrence, ils vont profiter des pressions à la baisse sur les tarifs.
Monsieur le président, je voudrais maintenant vous parler du travail entrepris par la CCT pour renforcer le partenariat entre le tourisme et les transports. Le comité d'amélioration de la Commission canadienne du tourisme a remarqué que l'accès au transport faisait obstacle à la croissance du tourisme au Canada.
Le comité continue à étudier l'infrastructure des transports dans la perspective du tourisme. Cette étude comprend une analyse des moyens d'accès internationaux, de la capacité des différents modes de transport et de leur degré d'intégration.
En mai dernier, les membres de la Commission ont participé avec des représentants des secteurs du tourisme et du transport à un atelier sur le transport et le tourisme, parrainé par Transports Canada. Au cours de cet atelier, les représentants du secteur touristique ont exigé d'être consultés sur des politiques en matière de transport et sur des initiatives connexes. À l'issue de cet atelier, Transports Canada a distribué, pour consultation, un document de travail sur la participation du secteur touristique à l'élaboration des politiques de transport.
Transports Canada et la CCT vont également organiser conjointement une table ronde de spécialistes du transport et du tourisme au cours de l'hiver, dans le but de déterminer une nouvelle orientation des politiques des transports qui puisse mieux servir les intérêts du secteur touristique.
Au cours de l'atelier de mai dernier, on a également recommandé d'étudier une éventuelle expansion du marché grâce à l'amélioration du transfert intermodal dans le transport des passagers. L'objectif est un réseau de transport homogène qui permette, par exemple, aux voyageurs d'arriver par avion et d'accéder efficacement aux autres modes de transport.
L'étude du transport intermodal est en cours; elle devrait permettre de découvrir les meilleures formules de transport intermodal des passagers au Canada, aux États-Unis et en Europe, ainsi que leurs effets sur le trafic et sur les revenus qu'ils génèrent.
L'inforoute est une autre infrastructure canadienne très prometteuse pour le tourisme. On assure sur Internet la commercialisation dans le monde entier de milliers d'attractions touristiques et de services hôteliers canadiens. En outre, le réseau d'informations touristiques canadiennes, CTIN, donne des renseignements sur les programmes et services de la CCT et donne accès sur Internet à une multitude de sites concernant les voyages et le tourisme au Canada. Il a été créé pour répondre aux besoins de deux auditoires principaux, à savoir les voyageurs qui veulent se renseigner sur des destinations canadiennes, et les entreprises canadiennes de tourisme qui veulent aider leurs clients à prendre une décision.
Jusqu'à maintenant, j'ai parlé de la CCT et de la relation entre le tourisme et le transport. Cependant, je voudrais maintenant prendre un moment pour parler de la contribution des autres secteurs d'activité au réseau des transports. En décembre dernier, nous avons annoncé qu'un montant de 9,9 millions de dollars serait consacré dans le cadre du réseau des centres d'excellence, au lancement de l'Intelligent Sensing for Innovative Structures Network, à l'université du Manitoba. Ce réseau réunit des partenaires de l'industrie, du milieu universitaire et des gouvernements pour mettre au point des technologies novatrices de conception et de construction. Il devrait être une source de connaissances, de technologie et de personnel spécialisé susceptible de nous permettre de relever le défi du renouvellement de l'infrastructure canadienne de génie civil.
Par exemple, comme vous le savez peut-être, monsieur le président, le pont Headingley, près de Winnipeg, qualifié de pont le plus intelligent au monde, est actuellement en cours de construction grâce à l'aide de ce réseau. La moitié du pont sera faite de matériaux conventionnels, et l'autre moitié, de ciment plastique armé de fibres, le tout étant équipé de capteurs à fibres optiques qui vont surveiller la durabilité de cette nouvelle technique de construction. Un autre centre d'excellence, Concrete Canada, met au point et fournit des connaissances, des technologies et des matériaux nouveaux destinés aux grands projets de construction dans le monde entier, y compris le projet de lien fixe de l'Île-du-Prince-Édouard.
[Français]
Donc, pour finir, permettez-moi d'assurer aux membres du comité que nous comprenons les rapports entre le tourisme et le réseau de transport. Comme vous le voyez, le portefeuille de l'Industrie, y compris la CCT, vise à l'accroissement du tourisme au Canada et à faire en sorte que l'infrastructure des transports canadienne puisse absorber la croissance de ce secteur important de l'économie. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre. Nous avons déjà reçu des représentants du réseau ISIS Canada, et nous sommes évidemment très fiers d'avoir au Canada le pont le plus intelligent du monde, alors même que la concurrence est extrêmement vive.
[Français]
Monsieur Mercier.
M. Mercier (Blainville - Deux-Montagnes): Monsieur le ministre, j'ai écouté votre exposé avec intérêt. J'ai constaté, quand vous parliez des moyens de transport qu'utilisent les touristes américains et canadiens, qu'ils se partageaient entre l'avion et la route et qu'il n'y en a pratiquement pas qui viennent par train, bien que le train en soi puisse constituer une attraction.
Je comprends qu'on ne vienne pas des États-Unis en train à cause de la faible qualité des services d'Amtrak, mais je me rappelle que l'ancien maire de Montréal, M. Drapeau, avait à un certain moment fait la promotion d'un TGV qui relierait New York à Montréal. D'autre part, vous savez qu'il y a sur la table un projet de TGV qui relierait finalement Québec à Windsor.
Comment voyez-vous la possibilité de développer le tourisme par les deux lignes rapides que je viens de vous décrire et, deuxièmement, envisagez-vous la possibilité d'exploiter la capacité touristique du fleuve, par exemple en matière de croisières?
M. Manley: La question d'un TGV a été étudiée plusieurs fois à ce comité et même, dans l'ancienne législature, une étude avait été faite à laquelle participaient les actuels attachés de recherche de votre comité.
On discute de cela depuis longtemps. C'est simplement une question d'économie. S'il y avait un TGV entre New York et Montréal, il y aurait une augmentation du trafic touristique. C'est clair. La question est de savoir si l'augmentation serait suffisante pour payer les frais assez significatifs reliés à la création d'un TGV. Il y a non seulement l'équipement, mais aussi la nécessité d'avoir un terrain réservé exclusivement aux trains.
D'après les études qu'on a faites, c'est un projet qui coûterait très cher. C'est toujours une question d'économie. Je pense que le train à grande vitesse serait le concurrent des compagnies aériennes et non pas des automobiles. Les prix des billets se comparent à ceux de l'avion. Il y a certaines raisons d'appuyer un train à très grande vitesse. Les études qu'on a faites indiquent qu'il est nécessaire qu'il y ait une grande population dans le corridor qui sera utilisé afin de justifier les coûts.
Les économistes doivent déterminer si une route Montréal-New York ou Montréal-Toronto serait rentable. Aujourd'hui, je crois qu'il serait nécessaire d'obtenir d'assez grosses subventions des gouvernements.
En ce qui a trait aux fleuves, historiquement, ils continuent d'être une attraction touristique assez importante. Les grands fleuves du Canada, les canaux, les rivières, la voie navigable Montréal-Ottawa-Kingston par le canal Rideau et le Trent-Severn Waterway, en Ontario, sont des attractions importantes pour les touristes des États-Unis. Il est possible que nous puissions faire d'autres choses pour essayer d'augmenter le nombre de touristes dans ces systèmes. Il y a une augmentation du nombre d'utilisateurs de bateaux de plaisance. Nous attirons un groupe important de ces touristes ici.
Le président: Monsieur Crête.
M. Crête (Kamouraska - Rivière-du-Loup): J'aimerais savoir si vous êtes convaincu que la question de la réouverture des casinos sur les bateaux de croisières internationales ne devrait pas être réglée dans les plus brefs délais. Seriez-vous prêt à faire des représentations auprès du ministre de la Justice de façon à ce qu'on réponde à cette demande unanime de tous les utilisateurs touristiques du fleuve, des propriétaires de bateaux et des gens qui ont des activités touristiques à Québec, à Montréal ou le long du fleuve?
Ne serait-ce pas une façon concrète d'attirer les touristes internationaux? Cela fait déjà quelques années qu'il y a des demandes à cet égard. Êtes-vous prêt à faire des représentations auprès du ministre de la Justice en ce sens-là?
M. Manley: La Commission canadienne du tourisme ne possède pas d'études concluantes en ce qui a trait aux casinos sur le fleuve, sur les bateaux et dans les villes. Nous avons des chiffres impressionnants sur le casino de Windsor, qui est juste en face des États-Unis et près d'une grande ville où il n'y a pas de casino. Mais les études ne sont pas concluantes.
M. Crête: Ma question portait plus sur les bateaux de croisières internationales qui sont déjà dotés de casinos, mais qui sont obligés, quand ils arrivent dans le golfe Saint-Laurent, et cela nous a été souligné par des gens du port du Québec et des intervenants internationaux... C'est clair qu'on perd des croisières à cause de cela. Il y a des gens qui décident de ne pas y aller à cause de cela. Cela fait déjà plusieurs années que ce sujet est à l'ordre du jour et s'il vous faut des témoignages, on peut vous en fournir de gens qui s'y connaissent et qui disent que le fleuve, entre Québec et Montréal et vers les Grands Lacs, est moins attrayant à cause de cela.
M. Manley: Je n'ai pas reçu de représentations de ces groupes-là.
M. Crête: Je vais vous en faire parvenir. Si on vous convainc, ferez-vous des représentations auprès du ministre de la Justice?
M. Manley: Si on me convainc, oui.
[Traduction]
Le président: M. Crête a tout à fait raison, nous avons effectivement eu plusieurs interventions à ce sujet, que nous allons certainement aborder plus tard.
Je sais que M. Harris remplace M. Gouk, qui se trouve coincé à Castlegar. Monsieur Harris, avez-vous des questions à poser au ministre?
M. Harris (Prince George - Bulkley Valley): Oui, monsieur le président.
Bonjour, monsieur le ministre. Je voudrais vous interroger sur un sujet qui intéresse tous les automobilistes canadiens de même que l'industrie du camionnage, et qui n'est pas sans rapport avec l'industrie touristique. Il s'agit de la relation entre le montant des taxes sur l'essence perçues par le gouvernement chaque année et la partie de ces taxes qui est consacrée à l'entretien du réseau routier au Canada.
Comme vous le savez, on perçoit chaque année environ 5 milliards de dollars de taxes sur l'essence, alors qu'on ne consacre que 300 millions de dollars à l'entretien du réseau routier national, ce qui suscite de très nombreuses plaintes dans l'ensemble du pays. Je crois même qu'au Comité des transports du commerce et du tourisme, plus de 25 p. 100 des témoins représentant des groupes d'intérêt et des entreprises ont dit qu'il faudrait réparer le réseau routier canadien pour améliorer le tourisme dans notre pays et pour rentabiliser l'utilisation des voitures et des camions. Une façon efficace d'y parvenir serait de consacrer une plus grande partie des taxes sur l'essence au système routier.
Voilà donc la question que je voudrais vous poser. Pourquoi le gouvernement a-t-il toujours refusé d'augmenter la part des taxes sur l'essence consacrée au réseau routier?
M. Manley: Vous posez en fait une question concernant l'ensemble du budget. Dans tout processus budgétaire, il faut définir des priorités. Nous pourrions effectivement augmenter le budget du réseau routier, mais il faudrait réduire d'autres dépenses, augmenter les impôts ou emprunter de l'argent au Japon. C'est une réalité incontournable. Vous posez là une très vaste question concernant les priorités.
De façon générale, à l'exception de la contribution fédérale à la Transcanadienne, l'entretien des routes relève de la responsabilité des provinces.
M. Harris: Eh bien parlons de l'efficacité du fameux programme d'infrastructures. D'après sa définition, il concernait les infrastructures pour l'adduction d'eau, les égouts et les réseaux routiers. On a fait croire aux Canadiens que les dépenses allaient être consacrées à des infrastructures essentielles. Or, des millions de dollars ont été consacrés à des infrastructures qu'on ne peut considérer comme essentielles, notamment à des patinoires. Il a été question de salles de boxe, d'un temple de la renommée du canot et d'autres projets d'infrastructures qui sont loin d'être indispensables dans notre pays. Ce programme ne donnait-il pas l'occasion au gouvernement d'améliorer notre réseau routier et de résoudre certains des sérieux problèmes qu'il pose?
M. Manley: Le programme d'infrastructures aurait pu être orienté vers le réseau routier, c'est vrai, mais il a été conçu non pas en tant que programme fédéral-provincial, mais en tant que programme fédéral-provincial-municipal, ce qui a permis aux autorités locales de définir leurs priorités. L'équité vous oblige à considérer les 6 milliards de dollars consacrés à l'ensemble du programme aux trois paliers de gouvernement, et à reconnaître que les exemples que vous avez cités ne représentent qu'un assez faible pourcentage de l'ensemble. Nous reconnaîtrons entre nous qu'ils n'auraient pas été prioritaires si le choix nous avait été confié, mais par contre, c'était les priorités des autorités locales.
On pourrait adopter un ton paternaliste pour dire que les politiciens locaux ne savent pas ce qu'ils font lorsqu'ils choisissent de telles priorités, mais le programme a été conçu de façon différente, à savoir en tant que programme différentiel et à levier financier ce qui a eu pour conséquence que les municipalités ont choisi les projets qui leur semblaient les plus importants. Dans certains cas, il est bien difficile de prétendre que la construction d'une patinoire, qui fait partie de l'infrastructure sociale de la communauté... C'est une construction, d'acier, de briques et de ciment. Elle a une finalité durable. C'est un investissement à long terme. Qui peut se permettre de décréter qu'à Flin Flon ou ailleurs, on a eu tort de mettre de l'argent dans un tel projet?
M. Harris: Je vous comprends, monsieur le ministre, mais n'oublions pas une chose. Tout d'abord, ce programme est une initiative du gouvernement fédéral. Il a décidé de proposer aux municipalités et aux provinces de devenir ses partenaires. C'est très bien, mais comme c'était une initiative du gouvernement fédéral, il aurait dû se réserver le droit de fixer les paramètres du partenariat et de définir les projets admissibles.
Le bon sens aurait exigé que l'on consacre l'argent de ce programme à nos besoins essentiels. Il aurait fallu laisser de côté les besoins du moment pour ne retenir que l'indispensable, c'est-à-dire les infrastructures de base, comme le réseau routier, les réseaux d'égouts, les gazoducs et les réseaux d'adduction d'eau, qui se détériorent dans l'ensemble du pays. Voilà les infrastructures fondamentales dont nous avons besoin, et elles nécessitent d'importantes réparations. Ce programme donnait l'occasion de répondre à nos préoccupations concernant ces besoins en infrastructures essentielles.
M. Manley: Nous pourrions sans doute nous mettre d'accord sur d'autres projets.
Je trouve, quant à moi, que nous devrions améliorer nos infrastructures de recherche et de développement. Nous avons des besoins considérables. Je ne conteste pas votre point de vue, sinon pour dire, comme le proverbe, que qui paye les violons choisit la musique et, en l'occurrence, le programme était financé à raison d'un tiers par chaque niveau de gouvernement. Nous avons imposé des limites, mais elles laissaient néanmoins une certitude latitude aux autres niveaux de gouvernement pour ce qui est de l'emploi des fonds.
Nous avons atteint notre objectif essentiel qui, si on en revient à l'origine du programme d'infrastructures, était de sortir le pays du marasme économique et de stimuler la demande dans l'économie intérieure. Si vous regardez les chiffres de 1994 et de 1995, vous verrez que ce vaste objectif économique a été atteint. De façon générale, l'essentiel des 6 milliards de dollars a été consacré à des projets présentant une valeur durable pour le pays et susceptibles d'améliorer sa productivité et de rehausser la qualité de la vie dans les collectivités qui en ont fait le choix.
Évidemment, on aurait pu procéder différemment, et c'est sans doute ce qu'on fera si le programme est renouvelé, mais je ne classerai certainement pas ce programme dans la catégorie des occasions ratées ou des mauvaises priorités.
M. Harris: Bien. Donc je...
Le président: Vous avez droit à une courte question supplémentaire.
M. Harris: D'après votre réponse, et malgré les commentaires des témoins qui ont comparu devant le Comité des transports, du commerce et du tourisme, le gouvernement n'a donc pas l'intention de consacrer une plus grande partie des taxes sur l'essence à l'entretien du réseau routier. Est-ce bien le sens de votre réponse?
M. Manley: Je vous réponds qu'on ne peut pas affecter une recette à un emploi spécifique. La taxe d'accise sur l'alcool n'est pas consacrée à la construction de distilleries ou d'établissements de désintoxication. La taxe d'accise sur les bijoux n'est pas consacrée au contrôle de la qualité de l'or. L'impôt sur le revenu n'est pas perçu à des fins particulières. On s'exposerait à bien des ennuis si on commençait... Autrefois, j'ai pratiqué le droit fiscal. Le système est déjà bien assez complexe. Si on commençait à diriger chaque recette fiscale vers son secteur d'origine, on créerait une situation impossible à gérer.
Faudrait-il consacrer davantage de crédits aux réseaux routiers? On peut effectivement le prétendre. Si vous me posez cette question en ma qualité de ministre du Tourisme, je vous répondrai qu'effectivement, j'aimerais bien que l'on améliore le réseau routier. Oui, cela favoriserait l'accès aux destinations touristiques de notre pays. Oui, il en résulterait sans doute une augmentation du nombre des touristes canadiens et étrangers. C'est une vérité en soi, mais dans l'ensemble du contexte des priorités budgétaires, on peut difficilement prétendre qu'il y aurait lieu de retrancher des crédits du budget de la recherche et du développement pour les affecter à des travaux routiers.
En réalité, vous m'interrogez sur nos priorités, et le simple fait de demander dans l'abstrait que l'on consacre davantage d'argent au réseau routier sans préciser l'origine de cet argent ne nous permet guère de progresser.
Le président: Merci, monsieur le ministre. Merci, monsieur Harris.
Monsieur Cullen.
M. Cullen (Etobicoke-Nord): Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le ministre, d'être des nôtres aujourd'hui. J'aurais deux questions à vous poser. Commençons par la première, qui concerne ce que vous avez dit sur le tourisme.
Certains prétendent que nous devrions mettre davantage l'accent sur les possibilités du tourisme rural. Compte tenu des nouvelles tendances, comme les vacances à la ferme, l'écotourisme et les vacances écologiques, ne pensez-vous pas qu'il conviendrait effectivement de s'orienter dans cette direction, ce qui aurait des conséquences pour notre réseau routier?
M. Manley: Avec les augmentations dont je parlais tout à l'heure, nous sommes littéralement à la limite de l'offre touristique dans notre pays. C'est pourquoi nous préparons de nouvelles destinations, de nouvelles activités et de nouvelles attractions pour soutenir l'intérêt dont bénéficie le tourisme canadien. Des experts du tourisme japonais me disent que les statistiques pourraient doubler. Il suffirait de trouver des endroits pour loger tous ces touristes.
En un sens, nous sommes victimes de notre succès. À mon avis, la CCT est une réussite exceptionnelle. Elle a concentré les efforts du gouvernement fédéral. Nous avons supprimé un certain nombre de choses et décidé de mettre l'accent sur la demande, en augmentant l'effet de levier des ressources disponibles. Notre action a été si efficace que nous avons maintenant un problème du côté de l'offre.
Pour en revenir à votre question, le développement des destinations rurales et de l'écotourisme qui, par leur nature même, attirent assez peu de monde mais nécessitent souvent des investissements importants, est une solution clé pour compléter l'infrastructure touristique actuelle, surchargée dans les grandes villes et dans les endroits très fréquentés, comme Whistler et Mont-Tremblant, et pour satisfaire la demande croissante des touristes canadiens et étrangers. Oui, cette nouvelle forme de tourisme accentue la pression sur le réseau routier et nécessite manifestement l'aménagement de routes d'accès.
M. Cullen: Merci.
Monsieur le ministre, ma deuxième question concerne le financement du réseau routier national. Nous en venons presque tous à la conclusion qu'il n'est pas certain que l'affectation des recettes apporte une solution partielle, ou à plus forte raison totale, à ce problème de financement. Mais l'une des formules envisagées par le comité est la possibilité de recourir à des partenariats entre secteur public et secteur privé pour financer le renouvellement du réseau routier à moyen et à long terme. Dans cette perspective, auriez-vous une idée des attentes du secteur privé ou des mesures incitatives qui pourraient en faire un partenaire des autorités fédérales et provinciales dans le renouvellement des réseaux routiers?
M. Manley: C'est le profit - il faut concevoir ce partenariat de façon à ce qu'il soit effectivement attirant pour le secteur privé.
Plusieurs formules sont envisageables. Nous avons toujours pensé à un système spécifique de péage ou à quelque autre formule de privatisation de certaines routes. En fait, sauf erreur de ma part, la CCT a effectivement envisagé ces solutions pour la 407.
Certains pays appliquent d'autres solutions. Le Royaume-Uni, par exemple, a retenu la formule du partenariat entre secteur public et secteur privé pour certaines routes dont le contrat de construction comprend l'obligation, pour le participant, d'assurer l'entretien de la route pendant un certain temps, et les recettes du partenariat sont versées par l'état en fonction du niveau d'utilisation. L'entrepreneur a donc intérêt à construire une route durable qui devra être bien entretenue, car si elle nécessite des travaux constants d'entretien, il en résultera une diminution du trafic et, par conséquent, des revenus. Je crois que cette formule a été appliquée avec un certain succès au Royaume-Uni.
Il faut être prêt à considérer diverses possibilités. Nous envisageons de plus en plus de faire payer aux usagers le coût du réseau qu'ils utilisent, ce qui permet de financer les travaux nécessaires.
Par ailleurs, le réseau routier canadien a notamment pour objet de relier des régions à faible densité de population. Il faut que le secteur public prenne en charge l'essentiel, sinon la totalité des coûts du réseau si l'on veut maintenir la desserte de toutes ces régions.
Il n'est pas difficile de privatiser le réseau routier dans votre région, monsieur Cullen, mais cela sera peut-être un peu plus délicat pour M. Byrne.
M. Cullen: Personne ne nous le dit.
M. Byrne (Humber - St. Barbe - Baie Verte): J'ai l'impression que vous essayez de me dire quelque chose.
Le président: Monsieur Byrne, cela vous servira d'introduction.
M. Byrne: Monsieur le ministre, merci beaucoup de ces sages paroles. J'ai très bien compris ce que vous voulez dire et je vous remercie de vos observations.
Dans les régions à faible densité, il y a une chose, entre autres, qui m'a frappée: il y a dans notre pays des régions qui traditionnellement n'ont pas occupé une grande place sur le marché du tourisme, des régions éloignées qu'on n'a pas su mettre en valeur pour attirer les touristes.
La ville de Québec est magnifique; c'est là un des principaux points d'attraction du pays, comme l'a signalé mon collègue. Je soutiens que Corner Brook, à Terre-Neuve, est également une très belle ville, mais elle ne fait pas partie vraiment des circuits touristiques. Toutefois, compte tenu de l'évolution démographique récente de la société nord- américaine et des intérêts divers dans le secteur du tourisme, certaines régions éloignées de notre pays ont été ciblées en vue du développement touristique.
Je m'adresse à vous en tant que ministre responsable du tourisme: pourriez-vous nous dire quelle est la tendance de cet aspect précis de l'industrie?
M. Manley: C'est un secteur qui a connu une forte croissance, et nous constatons de plus en plus que, si on veut développer le tourisme, il faut offrir un produit complet et le mettre en marché convenablement. Nous n'en sommes plus à l'époque où les parents embarquent leurs enfants dans la voiture familiale et font route vers le nord. Les choses ne se passent plus ainsi. Le touriste est de plus en plus exigeant dans ses choix et, avant de partir en vacances, il veut avoir l'assurance qu'il trouvera tout ce qu'il recherche.
Cela nous a obligé, et c'est l'une des initiatives qu'a prises la Commission canadienne du tourisme par le biais de ses divers comités de travail, à adopter une stratégie en fonction des normes en matière de logement et de restauration, qui nous permettent d'offrir un ensemble d'activités aux touristes éventuels, de sorte que si l'on réussit à attirer les gens à Corner Brook, par exemple, ils sauront à quoi s'attendre. Ils voudront faire une visite guidée, mais ils voudront également savoir quels sont les autres centres d'attraction de la région. Ils voudront organiser toutes leurs activités au départ de façon à avoir un objectif à réaliser.
Les exigences varient selon les marchés. Si l'on veut vendre avec succès des voyages au Japon, il est essentiel de pouvoir offrir de la documentation en japonais ou des employés qui parlent la langue, et ne pas se contenter de normes très élevées en matière de logement. Ces éléments doivent être définis.
Ce que nous nous efforçons de faire avec la commission - et soit dit en passant, les représentants de toutes les provinces et des territoires siègent au conseil d'administration ainsi qu'à ses comités de travail, et ils ont conclu des partenariats avec les voyagistes locaux et nationaux - , c'est d'établir une sorte de base de données qui permettent aux organisateurs de voyage de savoir ce qu'on attend d'eux et de participer à l'organisation des activités pour que nous puissions leur offrir de nouveaux débouchés.
M. Byrne: Vous avez dit que les gens voyagent surtout par la route; il existe donc un lien très étroit entre l'automobile et le tourisme dans notre pays. Convenez-vous qu'il importe d'assurer la sécurité d'accès, pour permettre aux touristes, une fois l'engagement pris, par exemple dans le cas de Terre-Neuve ou d'endroits qui ne sont accessibles que par traversier... Chaque fois que c'est possible, il faut faire en sorte que le produit offert aux clients, aux touristes, correspond bien à leurs attentes?
Je dis cela parce que, dans les régions éloignées du pays, nous devons prendre des mesures en vue d'accroître le trafic touristique si nous voulons participer en tant que partenaires à part entière à ce marché qui nous est offert. Chaque fois que c'est possible, nous devrions être en mesure de garantir un accès régulier à des services de transport de qualité.
M. Manley: Oui, il est essentiel, à mon avis, de pouvoir offrir cette garantie si l'on veut attirer la clientèle de touristes. Je le répète, les touristes sont de plus en plus exigeants et les clients exigent plus de garanties que par le passé. Le client est prêt à payer le prix, mais il s'attend à des services de qualité.
M. Byrne: Merci de votre réponse, monsieur le ministre.
Le président: Monsieur Grose.
M. Grose (Oshawa): Merci, monsieur le président.
Je ne voudrais pas jouer les rabat-joie, mais malgré tout notre bel enthousiasme à l'égard du tourisme, il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un secteur d'activité cyclique. Lorsque les temps sont durs, les parents ne vont nulle part avec leurs enfants dans la voiture familiale. En fait, je me rappelle qu'il n'y a pas si longtemps à Toronto, les hôtels se vendaient pour une bouchée de pain. Les propriétaires s'en débarrassaient tant le taux de vacance était élevé. Aujourd'hui, bien entendu, il est impossible de trouver une chambre d'hôtel à Toronto.
Tant que nous n'oublierons pas cela et que nous comprendrons que les mégaprojets qui attirent les touristes sont généralement onéreux et restent inutilisés, lorsque la conjoncture économique est mauvaise... Il faut que les installations touristiques restent à un prix raisonnable, même quand tout va mal.
Pour ce qui est du réseau routier, il est effectivement important pour le tourisme; et je m'y connais un peu en routes. Je viens d'une région où se trouve le plus long terrain de stationnement relativement étroit du monde. Mais si l'on construit une autoroute à quatre voies pour desservir une montagne où il n'y a pas d'auberge pour accueillir les skieurs une fois rendus, elle ne servira à rien. C'est l'ensemble qui compte. Le réseau routier est un des éléments à prendre en compte, mais ce n'est pas toute la solution au problème.
Que pensez-vous de cet enthousiasme excessif dont on fait preuve à l'égard du tourisme?
M. Manley: D'après nos prévisions, au cours des cinquante prochaines années, le tourisme sera le secteur d'activité qui connaîtra l'expansion la plus rapide dans le monde. Je n'ai pas les chiffres sous la main, mais on peut vraiment établir un lien entre l'accroissement de l'activité touristique et celle de la prospérité.
Votre argument est pertinent: lorsque l'économie tourne au ralenti, le tourisme est à la baisse. Toutefois, une grande partie de la population mondiale, surtout en Asie, atteint des niveaux de revenus qui lui permettront de faire du tourisme. Les prévisions relatives à l'explosion du tourisme en Asie vers toutes les destinations - et nous comptons bien obtenir notre part de ce marché - portent à croire que ce secteur est en pleine expansion dans cette région du monde. L'économie intérieure est cyclique, mais dans l'ensemble la population de touristes éventuels dans le monde augmente de façon exponentielle et continuera de le faire. C'est un élément essentiel, à mon avis.
Par ailleurs, monsieur Grose, si l'on compare le Canada et nos taux de change actuels à pratiquement n'importe quel autre pays du monde, on constate que notre pays est très avantageux pour les touristes. Je peux vous dire, après avoir visité toute une série de pays ces deux derniers mois, qu'il n'y a pas un seul pays au monde où des hôtels de bon niveau sont aussi peu chers qu'au Canada. Les gens commencent à s'en rendre compte. Par exemple, nous accueillons un nombre croissant de skieurs en provenance d'Europe, tant au Mont-Tremblant que dans les Rocheuses, car ces personnes constatent qu'une semaine de ski, tous frais compris, leur coûte moins cher au Canada qu'en Europe, et cela inclut le prix du billet d'avion.
À mon avis, notre industrie touristique n'est pas entièrement liée à l'économie intérieure. Il nous sera possible d'améliorer nos résultats économiques si nous réussissons à attirer un nombre croissant de touristes du monde entier.
Cela dit, je dois avouer que nous avons décidé de créer la Commission canadienne du tourisme, entre autres, parce que nous avions remarqué que notre part du marché du tourisme international commençait à diminuer par rapport à d'autres pays comme l'Australie. Dans ce pays, le secteur public et le secteur privé ont décidé de joindre leurs efforts pour développer le tourisme bien avant que le Canada n'en fasse autant, et sa part du marché a commencé à augmenter. L'Australie offre un avantage essentiel: elle est beaucoup plus proche, en fuseaux horaires, de ce marché asiatique en pleine expansion dont j'ai parlé plus tôt, et elle réussit à attirer une bonne partie des touristes asiatiques.
Lorsque j'ai examiné pour la première fois la situation du Tourisme Canada, comme on l'appelait alors, j'ai constaté que notre budget pour le Japon ne nous permettait pas d'acheter une annonce dans un quotidien japonais une fois par an. Nous n'étions absolument pas présents sur ce marché.
Nous avons donc décidé de prendre des mesures concrètes pour gagner une part du marché du tourisme en Asie, en Europe et aux États-Unis. C'est l'un des éléments du commerce extérieur, cela fait partie de notre compte courant. Si nous continuons dans cette optique, les motels auront des hauts et des bas, mais dans l'ensemble le nombre de touristes qui viennent chez nous continuera d'augmenter parce que ce marché va prendre de l'expansion quelle que soit la conjoncture économique mondiale.
Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre.
J'ai trois brèves observations à faire. Premièrement, tous ces renseignements concernant la nature du marché du tourisme nous sont très utiles. C'est une question qui a continuellement été soulevée devant notre comité pendant l'automne, lorsqu'on a parlé des problèmes de capacité de notre réseau routier. Certaines personnes ont exprimé des inquiétudes en disant qu'il fallait absolument remettre en état notre réseau routier étant donné le nombre de touristes qui l'empruntent.
En second lieu, je tiens à signaler que vous avez parlé de Headingley, de Charleswood et de Flin Flon. Votre connaissance de la géographie du Manitoba est bonne et nous continuerons de vous instruire à ce sujet.
En troisième lieu, nous savons que l'une des denrées les plus précieuses à Ottawa est le temps des ministres, et nous vous savons gré de nous avoir accordé une partie du vôtre. Vos collaborateurs nous ont offert une aide extraordinaire pour organiser votre comparution. Nous espérons présenter notre rapport au début du mois de février. Le point central du premier rapport du comité sera le renouvellement du réseau routier national. Votre témoignage d'aujourd'hui nous sera très utile à cette fin.
M. Manley: Merci.
Le président: Je signale deux choses aux membres du comité. La cloche que vous entendez maintenant signale le début de la séance de la Chambre. Toutefois, on m'informe qu'il y aura un vote et que nous serons convoqués vers 10 h 30, ce qui nous laisse le temps d'entendre le témoignage du ministre Massé.
Nous faisons une pause en attendant l'arrivée du ministre.
Le président: Reprenons la séance. Je souhaite la bienvenue au président du Conseil du Trésor, M. Massé.
Nous vous savons gré d'avoir accepté notre invitation, monsieur le ministre. Comme nous en avons discuté en privé, le comité se penche sur la question générale du commerce, du tourisme et du transport. Dans le cadre de ce mandat, l'une des premières questions qui a été portée à l'attention de notre comité est le renouvellement du réseau routier national.
Alors que nous examinions les énormes dépenses liées à un tel projet et certaines possibilités de financement de ce renouvellement du réseau routier, plusieurs témoins ont abordé la question des partenariats entre les secteurs public et privé. Nous avons jugé bon de vous demander de venir nous parler de cette question, car si nous prenons un jour des mesures dans ce sens, il faudra que le gouvernement élabore des règles et des structures pour la conclusion de ces partenariats. Quelqu'un a signalé que le président du Conseil du Trésor tenait les cordons de la bourse et nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir aujourd'hui.
L'honorable M. Massé (président du Conseil du Trésor et ministre responsable de l'Infrastructure): Merci beaucoup, monsieur le président, et merci de m'avoir invité à vous rencontrer aujourd'hui.
Je crois comprendre que le Comité permanent des transports examine les liens qui existent entre les transports, le commerce et le tourisme, en mettant l'accent sur le renouvellement de notre réseau routier national. Je crois aussi comprendre que le comité étudiera différentes options relatives au financement de l'infrastructure publique.
Dans ce contexte, à titre de président du Conseil du Trésor et de ministre responsable de l'Infrastructure, je voudrais traiter de trois points: d'abord, je parlerai du financement de l'infrastructure des transports, ensuite, j'aborderai la question de la commercialisation et, enfin, je traiterai de la politique en matière de transport et du rôle du gouvernement. J'insisterai sur la collaboration fédérale-provinciale dans le secteur des transports.
[Français]
Mais d'abord, j'aimerais faire le point sur la diversification des modes de prestation des services. La diversification des modes de prestation des services
[Traduction]
- c'est la diversification des modes de prestation des services -
[Français]
consiste à trouver des moyens nouveaux et améliorés d'offrir aux Canadiens des services qu'ils nous demandent. Cela pourrait vouloir dire un partenariat avec les provinces sur l'inspection des aliments. Cela pourrait aussi vouloir dire la création d'une entreprise sans but lucratif dans le secteur public, comme ce fut le cas avec NAV CANADA. Cela pourrait aussi vouloir dire recourir à d'autres avenues comme la commercialisation ou l'établissement de partenariats entre les secteurs public et privé.
Transports Canada se situe à la fine pointe des changements et sa transition d'un ministère opérationnel de grande envergure à un ministère beaucoup plus petit, qui a recours davantage à l'établissement de politiques, est conforme aux objectifs de l'Examen des programmes.
[Traduction]
Au siècle dernier, la création d'une infrastructure nationale était cruciale pour l'identité canadienne. C'est pourquoi le gouvernement fédéral a lancé des projets comme la construction du chemin de fer national. Maintenant que notre infrastructure de transport a atteint un certain degré de maturité, il est plus efficace de la gérer au niveau local.
C'est pour cette raison que nous avons confié la gestion des aéroports aux administrations locales. Nous avons aussi commercialisé le système de navigation aérienne en faisant appel à une société privée sans but lucratif. Nous avons privatisé les activités des sociétés ferroviaires et nous sommes en voie de confier la gestion des ports aux administrations locales. On retrouve parmi ces initiatives de nombreux exemples de partenariats entre le secteur public et le secteur privé. Ces partenariats empruntent différentes formes, mais ils sont tous innovateurs à leur façon.
Il ressort clairement de tout cela que le gouvernement fédéral n'a pas nécessairement à fournir les services directement ni à être le propriétaire des immobilisations pour assurer sa participation. Les changements que nous traversons démontrent que le fédéral peut assurer sa présence et atteindre ses objectifs en matière de politiques et de règlements.
J'aimerais maintenant, monsieur le président, faire une brève digression en disant que lorsque nous avons examiné le ministère des Transports dans le cadre de l'examen des programmes, nous nous sommes posé la question suivante: quel genre de réseau de transport nous faudra-t-il au XXIe siècle et quel rôle le gouvernement devra-t-il jouer à cet égard?
Nous en sommes arrivés à la conclusion que les transports ont subi une transformation fondamentale. Au départ, lorsque le Canada a décidé de construire le chemin de fer, de toute évidence, personne d'autre n'avait alors les fonds nécessaires pour construire une voie ferrée d'un bout à l'autre du pays, pour exercer un monopole total comme c'était le cas alors et pour disposer des ressources nécessaires à l'exploitation de ce chemin de fer et combler les déficits éventuels de ce service public.
Or, si nous pouvons maintenant privatiser les chemins de fer, c'est évidemment parce que d'autres modes de transport ont vu le jour, de nouvelles technologies sont apparues grâce auxquelles le chemin de fer n'est plus qu'un seul moyen de transport parmi d'autres, et il existe une forte concurrence dans divers secteurs des transports, entre les divers modes. Il n'y a donc plus vraiment de monopole même si les chemins de fer en ont conservé certains aspects.
Nous avons donc conclu que, étant donné que les besoins des utilisateurs des réseaux de transport évoluent très rapidement, trop rapidement en fait pour une grosse organisation, qu'il s'agisse d'un gouvernement ou d'une entreprise publique monopolistique, il nous a fallu modifier tout le système. Nous avons dû laisser à des groupes locaux représentant les utilisateurs le soin de définir les changements à apporter pour que les services soient adaptés aux nouvelles technologies ou aux besoins, des groupes que la recherche de rentabilité incitait à être de plus en plus efficaces et à adopter des technologies nouvelles et plus rentables à mesure que celles-ci voyaient le jour.
C'est pourquoi nous avons modifié fondamentalement le système. Le rôle du gouvernement a changé également. Grâce à la technologie, le secteur privé est beaucoup mieux placé que le secteur public pour faire certaines choses. Les choses évoluent plus rapidement que par le passé. En conséquence, des structures lourdes et rigides comme celles du gouvernement ne conviennent plus aux nouveaux besoins.
C'est pourquoi nous avons adopté dans le domaine des transports un plan qui vise à réduire de 70 p. 100 sur une période de sept ans la taille du ministère des Transports. Nous en sommes déjà à la troisième année de l'examen des programmes et ce ministère a déjà été réduit de moitié, ce qui est un changement énorme.
Ce n'est toutefois pas un changement axé sur la réduction des années-personnes. C'est un changement où il nous a d'abord fallu modifier notre façon de concevoir le rôle du gouvernement dans le domaine des transports. Ce n'est qu'ensuite que nous avons formulé les modifications qui ont abouti au nouveau système.
Quant aux partenariats entre le secteur public et le secteur privé, nous entrons évidemment dans une nouvelle ère, d'une certaine façon, même si cela s'est déjà fait par le passé. Ce qui est nouveau, c'est le type de relation qui existe désormais entre le gouvernement et le secteur privé. Il n'y a pas le secteur public d'un côté et le secteur privé de l'autre, avec le partenariat public-privé entre les deux. Il s'agit de toute une série d'ententes qui sont mieux adaptées aux circonstances de l'heure. Nous commençons donc à voir apparaître toute une série d'organismes différents adaptés à des problèmes précis.
Dans le cas de NAVCAN, Navigation Canada, il s'agit en fait d'un transfert au secteur privé, mais à une organisation sans but lucratif, dont les effectifs se situent entre 5 000 et 6 000 employés, qui ont d'ailleurs obtenu une garantie de salaire pour trois ans, et la conservation des avantages sociaux et autres. Mais ils ont acheté le système et le revende aux utilisateurs, en réalisant des bénéfices ou en espérant qu'ils en réaliseront.
Dans le cas des chemins de fer, nous avons complètement privatisé. Comme je le mentionnais, il n'y a plus de monopole et nous croyons que, dans ce cas, les exploitants privés ne jouissent pas vraiment d'un monopole; ils le font dans certains cas, et là nous imposons une réglementation, mais dans la plupart des autres cas, ce sont des gens qui doivent également s'adapter à une nouvelle technologie et à la concurrence d'autres modes de transport.
Le fait que les gouvernements et le secteur privé en sont encore au stade de l'expérimentation se reflète dans les résultats financiers de certaines de ces mesures.
Un bon exemple en est le tunnel sous la Manche, en Europe, conçu comme projet de partenariat entre sociétés publiques et sociétés privées, la responsabilité du financement et de la conception du projet pouvant être transférée au secteur privé. Mais la réalité a été toute autre. C'était un projet si innovateur qu'il était impossible de prédire toutes les difficultés qui surgiraient, les changements qu'il faudrait apporter et ce qu'il faudrait inventer pour que ce tunnel fonctionne conformément aux principes reconnus de responsabilité financière.
Des dettes considérables ont été encourues et les États, en fait, ont dû y aller de leurs poches. Peut-être la catégorie de partenariat entre les sociétés publiques et privées ne correspondait-elle pas à une entreprise aussi vaste, dans un domaine où de nouvelles technologies devaient être crées pour exécuter un projet unique en son genre.
Nous avons fait une expérience du même genre, à savoir de partenariat entre sociétés publiques et privées avec notre propre pont jeté entre le Nouveau-Brunswick et l'IPE. Nous avons essayé, en l'occurrence, de veiller à ce que la responsabilité financière soit assumée par l'exploitant, mais qu'en cas de difficulté avec les coûts l'exploitant puisse rentabiliser son projet sur une longue période. Il s'agissait donc d'un partage plus ingénieux des risques inhérents à un projet de pareille envergure, et unique en son genre, et à ce jour cette méthode semble avoir donné satisfaction.
À propos de partenariat entre sociétés publiques et privées, je me rappelle que lorsque je me trouvais à Washington, D.C., la route de l'aéroport Dulles avait été construite en utilisant ce modèle d'association, mais depuis elle a presque fait faillite, parce que les administrations avaient créé une association entre sociétés publiques et privées qui avaient mis en place un système de péage. Parallèlement à cette route, vous en avez une autre qui peut être utilisée par les mêmes voyageurs, mais qui est divisée en tronçons plus souples, et sur laquelle le péage est donc moins élevé en cas d'utilisation partielle.
Les usagers ont donc tourné le dos à la grande route large, au péage élevé, construite en partenariat public-privé, et ils ont adopté les routes plus petites, plus utilitaires, qui leur permettent de sélectionner les services qu'ils veulent en tirer, d'intégrer le coût dans les voyages qu'ils font et de faire un choix plus rationnel, au lieu de cette autoroute de grande circulation, dont ils n'ont pas réellement besoin.
C'est d'ailleurs un problème que nous connaissons également avec l'autoroute 407, pour laquelle il pourra y avoir des prolongements en partenariat public-privé, mais où l'on attend d'avoir suffisamment d'expérience sur le tronçon actuel avant de procéder à tous les travaux, afin de savoir qui partagera la responsabilité financière.
Ce à quoi nous assistons en réalité, c'est la création d'un nouvel outil de partenariat public-privé, outil qui permet au secteur privé d'assumer la responsabilité financière de la conception, de la construction et, dans certains cas, du recouvrement des coûts, tout en laissant l'État réglementer la circulation, les catégories de voitures autorisées sur ces routes, l'état dans lequel elles doivent se trouver pour la sécurité des usagers, etc. Mais là où un mode de transport était considéré essentiellement comme propriété publique, on voit à présent un bien qui peut être produit par le secteur privé, et les coûts de consommation, au lieu d'être assumés par tous les contribuables, sont à la charge de l'usager proportionnellement à l'usage qu'il en fait.
Monsieur le président, je ne pense pas que je vais aller jusqu'au bout de mon discours. Je crois que je vous ai brossé un tableau de ce qui se passe actuellement.
Nous avons changé la structure et la taille de notre ministère pour l'ajuster et l'harmoniser avec ces nouvelles perspectives en matière de transport, et à cet égard, nous avons besoin de votre aide, de votre opinion et de vos considérations de la même façon que nous vous communiquons les résultats de nos expériences, car nous nous trouvons dans une situation complètement nouvelle.
Le président: Je vous remercie. Chers collègues, vous avez dû entendre la sonnerie, et je veillerai à ce que nous partions à temps. Il nous reste du temps pour toute une série de questions, si les députés s'en tiennent à l'essentiel.
Monsieur Harris, vous avez la parole.
M. Harris: Je vous remercie, monsieur le président.
Merci d'être venu ce matin, monsieur le ministre. Je suis heureux que vous ayez cerné le problème des partenariats sectoriels privés-publics pour les autoroutes et autres infrastructures.
J'aimerais savoir toutefois pourquoi 26 des 39 témoins qui ont comparu devant le comité du transport, du commerce et du tourisme ont insisté pour qu'une proportion plus importante des taxes sur l'essence soit consacrée à l'entretien des autoroutes de notre pays. Seul un très petit nombre de témoins a abordé la question des partenariats avec le secteur privé, les partenariats privés-publics, mais il semblerait que malgré l'énorme groupe de pression - si tant est qu'on puisse lui donner ce nom - ou l'intérêt très vif manifesté pour que les automobilistes, les usagers de nos autoroutes, en reçoivent davantage pour leur argent, car ce sont eux qui versent le gros des taxes sur l'essence...
Comment va-t-on les faire profiter davantage de l'argent qu'ils dépensent en taxes sur l'essence? Il semblerait qu'ils s'estiment lésés. Les représentants de tous les secteurs du transport automobile, au Canada, continuent à poser la même question: pourquoi le gouvernement ne dépense-t-il, pour le réseau d'autoroutes de notre pays, que 5 p. 100 ou moins de tout ce que lui rapporte la taxe sur l'essence? Nous sommes les dindons de la farce.
M. Massé: La réponse à cela - qui n'est pas destinée au ministre des Finances - c'est que le gouvernement prend ses recettes où il le peut, mais à part cette réponse, qui est historiquement juste, nous avons à présent deux problèmes: le premier, c'est le problème d'un impôt spécialement affecté, le second est de savoir si nous devons considérer la taxe sur l'essence comme un recouvrement des coûts.
Le problème, avec un impôt spécialement affecté, c'est que chaque fois que vous imposez quelque chose et que vous essayez ensuite de réaffecter le revenu de sorte qu'il aille à ceux qui l'ont payé, vous allez à l'encontre de certains objectifs fondamentaux de l'État, l'un d'entre eux étant d'assurer des services publics que nul ne peut payer, mais qui sont utilisés par tous. C'est le cas, par exemple, de la sécurité dans les aéroports. Aucun particulier n'accepterait de payer sa part, parce qu'il dirait que les autres s'en chargeront. C'est à l'État de le faire et pour cela il prélève donc des impôts qui ne bénéficient pas aux utilisateurs.
M. Harris: Monsieur le ministre, le gouvernement souhaite augmenter la taxe sur l'essence de 1,5c. par litre, et percevoir ainsi un milliard de dollars. Les automobilistes, les voyageurs et les camionneurs sont ceux que cela touche le plus. Ils se plaignent constamment, en disant que nous venons d'avoir une augmentation de 1,5c. mais que nous n'en voyons pas les retombées sur l'infrastructure même dont nous dépendons. Pourquoi est-ce toujours nous que l'on accable? Pourquoi devons-nous toujours payer pour les autres? C'est une question que l'on n'arrête pas de poser.
M. Massé: Oui, une question que j'ai beaucoup entendue lorsque j'étais sous-ministre des Finances au Nouveau-Brunswick, car dans les provinces, on est beaucoup plus proche des gens et de leurs doléances. Le reproche est partiellement fondé. Si vous grevez un secteur de taxes et que vous ne donnez rien en échange, vous créez, à un certain moment, un déséquilibre qui devient intolérable.
En principe, il faudrait taxer tout ce que l'on peut, mais sans aller trop loin: impôts sur le revenu, taxes de vente, droits d'importation, etc. Vous redistribuez le tout conformément aux priorités, celles-ci étant généralement définies selon les besoins de la population, y compris les gens qui ne versent pas d'impôts. C'est là le principe fondamental.
En matière de carburant, si nous créons un déséquilibre dans l'utilisation des routes - ce que certaines études donnent à penser - on peut commencer à se demander s'il n'est pas temps de restituer davantage à ce secteur précis.
Le président: Je vous remercie, monsieur le ministre.
Monsieur Byrne.
M. Byrne: Je vous remercie, monsieur le ministre. Vous venez de dire que toutes les recettes des impôts ne peuvent aller au contribuable, pour la simple raison que vous venez de mentionner, à savoir que nous avons un vaste pays et des questions plus pressantes, telles que le financement d'autres projets. Si vous appliquez l'analogie à d'autres domaines, on verrait les malades seuls payer pour les soins qu'ils reçoivent, parce que ce sont eux les utilisateurs de ces services. Il va sans dire qu'ils sont souvent les derniers à pouvoir se payer ces soins, de sorte qu'ils ne contribueraient pas beaucoup à la prestation des services de soins médicaux.
Mais vous avez bien mentionné qu'il existe des régions plus avancées de notre pays, qui disposent d'une infrastructure des transports bien en place et pour laquelle on a donc moins besoin de puiser dans les fonds publics et on peut en demander davantage au secteur privé.
J'aimerais cependant entendre vos explications, car il y a d'autres régions de notre pays, moins avancées, qui n'ont pas de moyens de transport bien établis. Je pense surtout aux Territoires du Nord-Ouest et au Labrador, où on projette la construction d'une autoroute. Qu'en est-il pour les régions rurales du pays et que devient le rôle du secteur public pour encourager des projets de transport dans les régions que j'appellerais défavorisées?
M. Massé: Effectivement, ici interviennent les principes de justice sociale et d'économie externe - croissance, etc..
Le principe de justice sociale intervient en ce sens que lorsque vous constituez un pays, vous reconnaissez le principe d'après lequel chaque membre est responsable de tous les autres, qu'ils habitent dans des régions de faible ou de haute densité. C'est pourquoi toutes sortes de services, dont les hôpitaux, sont assurés dans des régions où la densité de la population ne le justifierait pas entièrement. Dans nos choix, nous devons faire intervenir des éléments étrangers à l'économie, qui justifient généralement ces dépenses.
L'économie extérieure est légèrement différente. C'est le rôle de l'autoroute, créatrice en elle-même de croissance, dans une région moins développée. Samedi dernier, je me trouvais justement à Natashquan, pour inaugurer un tronçon de route d'environ 105 kilomètres, dont le coût dépassait légèrement les 100 millions de dollars; ce tronçon relie deux collectivités, dont l'une a 3 500 habitants et l'autre, d'après le maire, en a 435.
Si vous ne considérez que les besoins immédiats de ces collectivités, il est évident qu'une autoroute ne se justifie pas, mais si vous voyez la question sous l'angle de la croissance ainsi rendue possible, de l'accès ouvert aux régions éloignées pour les gens des centres d'habitation, afin que ces régions éloignées puissent se développer et être exploitées pour le tourisme, la chasse et la pêche - avantages dont elles n'ont pas joui à ce jour - alors le coût représente en réalité la possibilité de développement, soit un facteur d'économie externe, et il ne peut être récupéré auprès des usagers locaux de cette route. Mais il y a là un effet secondaire sur l'expansion de toute l'économie.
C'est l'interpénétration de ces deux principes - mais ce ne sont pas là les seules raisons - qui sont à la base des décisions du gouvernement de financer les routes publiques dans ces régions.
Il est clair, je pense, que les nouveaux partenariats publics-privés ne peuvent être constitués que lorsque le nombre d'usagers est suffisamment important pour aider une entreprise privée à financer le projet. L'un des grands avantages de ce genre de partenariat, c'est qu'il présente des possibilités de financement que l'État, en particulier dans la conjoncture actuelle, ne peut se permettre, et ce financement est rendu possible parce qu'on les autorise à recouvrer le coût sur les usagers au moyen, par exemple, d'un péage.
Le président: Merci, monsieur le ministre.
Monsieur Mercier.
[Français]
M. Mercier: Monsieur le ministre, la politique du gouvernement est de confier, dans la mesure du possible, la gestion d'équipements publics assurant un service public à des organismes privés. À titre d'exemple, vous avez confié à ADM la gestion des aéroports de Montréal et à NAV CANADA la gestion d'équipements maritimes. Je crois que c'est très bon, en principe, mais il y a, à mon avis, un effet pervers à cette politique au sujet duquel j'aimerais avoir votre opinion.
Je prends l'exemple que je connais, celui de l'aéroport de Mirabel auprès duquel j'habite. L'effet pervers que je vois à cette politique dans sa généralité est que, quand un service public est assuré par le pouvoir public, le public peut demander des comptes et avoir une certaine influence.
Par exemple, le député peut poser des questions en Chambre et les citoyens peuvent poser des questions aux députés. Comme cela, on peut influencer les décisions et obtenir de l'information sur les décisions prises. Ce n'est plus le cas quand le service public est assuré par un organisme privé qui, pour des raisons commerciales, peut refuser de donner de l'information puisqu'il fonctionne selon une politique de marché.
À titre d'exemple - et ce n'est qu'un exemple, car ma question porte sur cette politique en général - la société ADM a pris une décision récemment au sujet de laquelle elle n'a pas de comptes à rendre. C'est un organisme composé d'hommes d'affaires qui a auprès de lui un organisme purement consultatif qui, lui, est représentatif du milieu, mais dont les membres ne sont pas élus, de sorte qu'il est impossible d'obtenir des explications. Il est encore plus impossible d'avoir une influence sur cette politique.
Je ne pose pas ma question pour le cas particulier de Mirabel. Je la pose pour la politique en général. Ne trouvez-vous pas que lorsqu'un service public est géré par un organisme privé, le public perd sa capacité d'avoir de l'influence et d'obtenir de l'information?
M. Massé: La réponse, pour le principe général, est oui. Lorsque vous cédez un service public à un organisme entièrement privé, vous perdez évidemment de votre capacité d'avoir de l'influence sur les décisions prises par les décideurs privés. C'est la raison pour laquelle j'ai mentionné que les partenariats publics-privés qu'on a établis sont à mi-chemin entre la propriété publique et la propriété privée. Il ne s'agit pas nécessairement de privatisations.
Par exemple, NAV CANADA est devenu un organisme qui ne fait pas de profits et qui, par conséquent, a une constitution et un groupe de gouverneurs différents de ceux d'une société privée à but lucratif.
Prenez le cas de l'aéroport d'Ottawa, qui n'est pas un aéroport aussi important que celui de Montréal, mais qui a été cédé à la communauté. Ici, les chambres de commerce et les hommes d'affaires, en particulier ceux qui utilisent les services de l'aéroport pour de l'importation et de l'exportation, ainsi que les corporations municipales ont des représentants parmi le groupe des directeurs, exactement pour la raison que vous avez mentionnée. Lorsqu'il s'agit d'un bien public, il faut un certain contrôle par le public.
M. Mercier: Le principe est bon, mais l'application, notamment dans le cas des Aéroports de Montréal, ne fonctionne pas en ce sens qu'il est impossible d'obtenir de l'information. L'organisme de consultation qui est auprès d'ADM ne reçoit presque pas d'information.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Mercier.
Monsieur le ministre, je vais laisser M. Cullen poser une brève question, après quoi nous devrons songer à nous rendre à la Chambre.
M. Cullen: Merci. Je vais aller droit au but, étant donné le peu de temps disponible.
Vos commentaires sur l'intérêt public, l'intérêt privé, la justice sociale et les facteurs économiques externes vont sans doute éclairer nos discussions. Lorsque nous examinons les partenariats entre le secteur public et le secteur privé, nous cherchons à voir comment tirer parti des avantages que représente l'intérêt privé. Mais comme vous l'avez dit, il y aura des régions, surtout celles où la densité de la circulation est faible, où l'intérêt public devra peut-être être financé par le secteur public. Nous envisageons diverses options à cet égard.
Je voulais profiter de l'occasion pour parler des programmes d'infrastructures - non pas pour vous demander si nous devons poursuivre un autre programme d'infrastructures, mais dans le contexte du renouvellement du réseau routier national, qui devrait coûter de 13 à 18 milliards de dollars. Dans le cadre du programme d'infrastructures, étant donné la taille de cette initiative, étant donné la dynamique des relations fédérales-provinciales-municipales, et étant donné les circonstances actuelles, pourriez-vous nous dire si ce genre de programme, vu la part que le secteur public pourrait avoir à assumer, s'inscrirait dans le contexte du programme d'infrastructures?
M. Massé: Vous savez qu'un certain nombre de provinces, notamment le Nouveau-Brunswick et le Manitoba, ont demandé de réserver une grande partie du programme pour le réseau routier. C'est avantageux d'une certaine façon, car le besoin est évident, mais comme les routes sont avant tout du ressort des provinces, cela pose un petit problème, étant donné que le premier programme était financé par les trois niveaux de gouvernement. S'il y a un nouveau programme, nous songeons donc à en réserver une partie aux provinces pour des travaux d'infrastructure de leur choix, y compris les routes. C'est donc une possibilité.
Le programme routier dépasserait largement la capacité financière d'un programme d'infrastructure et surtout celle d'un simple élément de ce programme. Nous devons trouver des moyens de répondre à ce besoin, qui n'exigeront peut-être pas un financement direct du gouvernement provincial ou fédéral, car le besoin nécessite une somme plus importante que ce que les gouvernements peuvent se permettre d'emprunter à l'heure actuelle.
Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre. Avec cette déclaration, vous avez bouclé la boucle et vous nous avez ramenés à notre point de départ, c'est-à-dire comment financer les énormes besoins.
Avant que nous ne partions je voudrais affirmer - je l'ai dit à M. Manley et je vous le dit également, monsieur Massé - que la ressource la plus précieuse sur la colline est le temps des ministres. Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir nous voir ce matin. Je voudrais remercier votre personnel et je signale que Thérèse a beaucoup fait pour faciliter cette réunion.
Je signale aux membres du comité que nous avons une décision à prendre avant de quitter la salle. Nous devons nous réunir à huis clos pour mettre la dernière main au document de travail. Nous pouvons revenir le faire après le vote ou nous réunir à 15 h 30 comme prévu. C'est à vous de choisir. Que préférez-vous?
M. Cullen: Revenir après le vote.
Le président: Nous reviendrons ici, immédiatement après le vote, pour tenir notre réunion à huis clos et nous en aurons alors terminé jusqu'à la réunion du 22 décembre.
[La séance continue à huis clos]