[Enregistrement électronique]
Le mercredi 20 mars 1996
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Je voudrais sans tarder souhaiter la bienvenue à Susan Sussman, présidente du Rassemblement canadien pour l'alphabétisation.
Comme vous le savez, nous avons décidé de consulter tous les Canadiens, des quatre coins du pays, pour trouver des moyens d'améliorer le projet de loi C-12, Loi concernant l'assurance-emploi au Canada. Jusqu'ici, nous avons eu la chance d'entendre de bonnes interventions qui nous ont permis de mieux comprendre la teneur du projet de loi et ont mis de l'avant de nouvelles idées. Je suis sûr que votre exposé ne fera pas exception.
Nous avons environ une heure à vous consacrer. Dans notre comité, nous préférons avoir une vue d'ensemble des principales questions qui vous intéressent, de façon à avoir un maximum de temps pour la période de questions et réponses.
Mme Susan Sussman (présidente, Rassemblement canadien pour l'alphabétisation): Merci beaucoup. Je suis très heureuse, honorée et nerveuse de me trouver devant vous aujourd'hui. Pour moi, témoigner devant un comité du gouvernement fédéral est quelque chose de nouveau. Pour m'assurer que j'ai bien fait les choses, je suis venue accompagnée de mes fils, ce sont les deux jeunes gens en chemise rouge qui se trouvent dans la salle.
Le président: Pourriez-vous vous lever, je vous prie?
Mme Sussman: Par respect pour mon état de mère de famille, j'espère que vous serez gentils avec moi.
J'aimerais remercier Beverlee Bell, qui fait partie du personnel du Rassemblement canadien pour l'alphabétisation et qui m'a aidée à préparer ce mémoire dans un délai relativement court. Je lui suis reconnaissante de son aide. Quant à mes fils, je leur suis reconnaissante de bien d'autres choses.
Sans plus tarder, je voudrais vous donner une idée des points que je vais aborder. Puis je suivrai sans doute d'assez près le mémoire que nous vous avons remis.
Le Rassemblement canadien pour l'alphabétisation est un organisme national qui reçoit de l'aide du ministère du Développement des ressources humaines par l'entremise du Secrétariat national de l'alphabétisation. Nous représentons environ sept millions d'adultes canadiens qui n'ont pas les capacités de lecture et d'écriture nécessaires pour fonctionner de manière efficace au jour le jour.
Dans le cadre de nos activités, nous regroupons 12 rassemblements provinciaux et territoriaux pour l'alphabétisation. Ces groupes englobent tous les programmes et particuliers qui s'occupent d'alphabétisation au niveau local d'un bout à l'autre du pays. Nous travaillons également en partenariat avec quatre autres organismes nationaux, Frontier College, FCAF, coalition francophone pour l'alphabétisation, ABC Canada et Laubach Literacy Canada.
Si nous avons décidé de témoigner devant votre comité aujourd'hui, c'est parce que le projet de loi C-12 et toute modification au régime d'assurance-chômage ou emploi du Canada se répercuteront sur les adultes canadiens qui ont des problèmes d'alphabétisation. Aujourd'hui je vais aborder les problèmes précis que ce projet de loi pose aux adultes canadiens qui savent à peine lire et écrire.
Je me reporte maintenant à mon mémoire; je vais commencer par une citation qui émane de votre propre comité. La voici:
- ... justice sociale, productivité et compétitivité doivent passer pour croître, entres autres, par la
valorisation des ressources humaines, d'où la nécessité d'investir dans les connaissances, la
créativité, les compétences et la motivation des gens; sans un tel effort, la croissance
économique et le progrès technologique que nous connaissons s'évanouiront.
- Cette citation provient du rapport intérimaire de 1994 de votre comité.
- ... ont du mal à lire, à écrire et à faire des calculs simples. Ces compétences élémentaires sont
indispensables aux emplois d'aujourd'hui. Nous devons faciliter l'acquisition des compétences
de base pour ceux qui en ont besoin.
Je voudrais tout d'abord vous dire comment nous interprétons les propositions contenues dans le projet de loi C-12, car tout ce que nous dirons par la suite se fonde sur ce postulat. À notre avis, cette initiative s'inscrit dans un plan général visant essentiellement à remanier la stratégie fédérale en matière de mise en valeur de la main-d'oeuvre canadienne. En un mot, nous croyons comprendre que ce remaniement permettra au gouvernement fédéral de faire des économies en réduisant le nombre de chômeurs qui seront admissibles aux prestations et en diminuant le montant global des prestations que toucheront les chômeurs canadiens admissibles en remplacement de leur salaire. Parallèlement, nous croyons comprendre que le gouvernement va accroître l'investissement fédéral tout en réduisant le contrôle qu'il exerce sur les initiatives de mise en valeur de la main-d'oeuvre.
D'après nos renseignements, les projets de modification au régime d'assurance-chômage permettront au ministère du Développement des ressources humaines de réaliser des économies de l'ordre de 2 milliards de dollars par an. Ces économies s'ajoutent, paraît-il, à d'autres de la même ampleur qui ont déjà été possibles grâce à d'autres coupures effectuées dans le régime d'assurance-chômage.
Sur les 2 milliards de dollars que le projet de loi C-12 permettrait d'économiser, DRHC compte réaffecter 800 millions de dollars à cinq catégories de mesures d'aide actives visant à aider les Canadiens à retourner au travail: les subventions salariales ciblées, les suppléments de revenu pour aider les gens à accepter des emplois mal rémunérés, les mesures d'aide au travail indépendant, les partenariats pour la création d'emplois, et les prêts et subventions de perfectionnement.
D'après nos renseignements, les 800 millions de dollars qu'il est prévu d'affecter aux mesures actives représentent une augmentation de 42 p. 100 des dépenses du ministère à l'égard de mesures semblables au cours de l'année 1994-1995. Toutefois, ces fonds supplémentaires viendront de diminutions des prestations en remplacement de salaires et des gains réalisés grâce au resserrement des conditions d'admissibilité.
Il y a donc lieu de se demander pourquoi le projet de loi C-12 inquiète si particulièrement les adultes analphabètes?
L'étude effectuée en 1989 par Statistique Canada et intitulée «Compétences de lecture et d'écriture utilisées dans les activités quotidiennes» fournit les résultats suivants: premièrement, les adultes qui ont du mal à lire et à écrire sont beaucoup plus susceptibles d'être chômeurs ou inactifs que les adultes qui ont des compétences moyennes de lecture et d'écriture. L'enquête internationale sur le taux d'alphabétisation des adultes réalisée dernièrement par l'OCDE, en collaboration avec Statistique Canada, étaye cette conclusion.
Étant donné que le chômage et l'analphabétisme sont liés, tout changement dans le régime d'assurance canadien visant les travailleurs au chômage se répercutera davantage sur les adultes qui savent à peine lire et écrire que sur les autres Canadiens.
Les deux enquêtes mentionnées plus haut, c'est-à-dire celle de Statistique Canada et celle de l'OCDE, prouvent également clairement que les adultes canadiens qui savent à peine lire et écrire touchent en général un revenu de rémunération ou de salaire nettement inférieur à celui des adultes qui ont des compétences moyennes ou élevées dans ce domaine. En conséquence, toute réduction du montant des prestations d'assurance-emploi aura une incidence supérieure à la moyenne sur ce groupe de Canadiens.
Enfin, on s'entend pour dire que les compétences de lecture et d'écriture sont la base même de la formation et de l'apprentissage futurs. Les adultes qui ont du mal à lire et à écrire doivent améliorer leurs compétences élémentaires avant de pouvoir se prévaloir de possibilités de formation professionnelle précises. Parallèlement, l'étude de l'OCDE révèle clairement que, pour les adultes qui savent à peine lire et écrire, le taux de participation aux cours de formation et d'éducation pour adultes est inférieur à celui des personnes qui sont plus alphabétisées. Ainsi, toute mesure visant à réduire l'accès à des programmes d'alphabétisation de qualité aura une incidence négative sur les taux d'alphabétisation au Canada, ainsi que sur la vie des adultes partiellement analphabètes.
Je tiens à vous rappeler que dans les documents publiés par votre propre gouvernement, on reconnaît qu'il s'agit là d'un problème particulièrement inquiétant.
Quelle incidence aura à notre avis le projet de loi C-12 sur l'alphabétisation des adultes? À la suite des modifications prévues dans la structure du marché du travail canadien et de l'augmentation des compétences requises qui en découlera, les gens qui sont partiellement analphabètes risquent plus que les autres d'être au chômage dans l'économie actuelle. Nous savons que leurs perspectives d'emploi à l'avenir risquent d'être encore plus sombres.
Toute diminution des prestations en remplacement de salaire ou tout critère qui rend l'admissibilité aux prestations plus difficile pour les chômeurs aura des conséquences néfastes pour les nombreux Canadiens qui ont du mal à lire et à écrire.
Étant donné le rapport direct qui existe entre le faible niveau d'alphabétisation et le faible revenu, les gens à faible revenu qui savent à peine lire et écrire seront beaucoup plus durement touchés que les autres par toute réduction des prestations en remplacement de salaire ou toute mesure visant à resserrer les conditions d'admissibilité aux prestations.
Malgré ce qui précède, notre organisme ne compte pas aborder aujourd'hui les propositions précises que renferme le projet de loi C-12 au sujet des indemnités salariales. En effet, nous sommes convaincus que d'autres groupes nationaux qui vont témoigner devant votre comité sont mieux placés que nous pour faire des recherches sur la question et vous faire part des répercussions que ces modifications auront sur les pauvres et les chômeurs.
Nous voulons toutefois nous rallier à ceux qui demandent instamment au gouvernement fédéral et aux provinces de ne pas poursuivre des stratégies de compression du déficit aux dépens des Canadiens pauvres ou défavorisés.
J'aimerais dire quelques mots au sujet des fonds que le gouvernement compte allouer aux mesures d'aide actives.
Nous nous félicitons de la décision visant à accroître le nombre de mesures actives à l'intention des chômeurs. Il va sans dire que toute initiative visant à accroître les dépenses en vue de redonner du travail aux Canadiens nous paraît nécessaire. Toutefois, étant donné les remarques que je viens de faire au sujet du niveau des prestations, il doit être bien clair que notre organisme s'oppose au principe du financement de ces nouvelles mesures actives en diminuant les prestations que touchent les travailleurs au chômage.
Si l'on oublie un instant d'où proviendront les 2,7 milliards de dollars qu'il est prévu d'affecter aux mesures actives, il convient de signaler que ce montant reste encore très insuffisant pour répondre aux besoins de formation des adultes canadiens partiellement analphabètes. Pour avoir une idée plus précise sur la mesure dans laquelle cette somme de 2,7 milliards est loin du compte, il nous faudrait obtenir des données qui ne sont pas disponibles à l'heure actuelle. Par exemple, il nous faudrait connaître le nombre moyen annuel de chômeurs adultes qui ont de faibles compétences de lecture et d'écriture et la proportion des fonds alloués aux mesures actives qui sera consacrée à l'alphabétisation des adultes.
Ce qu'il nous faut absolument savoir, c'est que trois millions de Canadiens adultes n'ont même pas les compétences les plus élémentaires de lecture et d'écriture pour faire face de façon satisfaisante aux exigences du milieu de travail. C'est ce qui est ressorti d'une enquête sur la question effectuée par Statistique Canada en 1989, et ces résultats ont été confirmés dans l'enquête réalisée conjointement par l'OCDE et Statistique Canada en 1995. Nous savons également que quatre millions d'adultes de plus ont du mal à lire dans le cadre de leurs activités quotidiennes. Si on consacrait jusqu'au dernier centime de cette somme de 2,7 milliards de dollars exclusivement à l'alphabétisation, cette somme ne suffirait pas à permettre à sept millions de Canadiens d'acquérir les connaissances nécessaires pour conserver leur emploi et être aptes à l'emploi sur un marché du travail de plus en plus spécialisé.
Je voudrais traiter maintenant de la disposition du projet de loi relative aux prêts et subventions de perfectionnement. D'après notre interprétation, en vertu du projet de loi C-12, le gouvernement fédéral cessera d'acheter directement des cours de formation auprès d'établissements spécialisés. À la place, il est prévu de mettre sur pied, avec le consentement des gouvernements provinciaux, un système de prêts et subventions de perfectionnement à l'intention des prestataires admissibles.
Cette proposition nous préoccupe à plusieurs titres par rapport au problème d'alphabétisation des adultes canadiens. Premièrement, nous nous demandons si l'alphabétisation sera reconnue comme un cours de formation valable aux termes du programme prévu de subventions et prêts de perfectionnement. En vertu du projet de loi à l'étude, le gouvernement fédéral exigera-t-il des provinces qu'elles reconnaissent que les cours d'alphabétisation élémentaires constituent une formation acceptable aux fins de ce système de prêts et subventions de perfectionnement? Au cas contraire, alors le projet de loi C-12 ne fera rien pour accroître l'accès des Canadiens à la formation en compétences de base.
Quant aux coûts de la formation, il est prévu dans le projet de loi C-12 qu'une partie encore indéterminée des frais de formation soit assumée par la personne elle-même, ce qui équivaut à demander aux Canadiens de s'endetter à un moment où ils sont sans emploi. Cette proposition pourrait être acceptable s'il était réaliste de supposer que la personne trouvera du travail après avoir terminé le programme de formation. Toutefois, nous savons que l'alphabétisation doit être considérée simplement comme une première étape vers l'aptitude à l'emploi. La plupart du temps, il faudra que la personne suive une formation plus spécialisée lorsqu'elle aura acquis ces compétences élémentaires de lecture et d'écriture. C'est pourquoi, à notre avis, le gouvernement ne devrait pas encourager les adultes à s'endetter pour participer à des programmes d'alphabétisation.
En ce qui concerne la responsabilité du choix de la formation, supposons un instant que l'alphabétisation soit reconnue comme une formation à part entière. Notre prochaine source d'inquiétude vient du fait que les adultes partiellement analphabètes auront un mal fou à se renseigner et faire des choix au sujet des programmes d'alphabétisation. J'aurais souhaité que l'une de ces personnes m'accompagne ici aujourd'hui. Nous avons été prévenus trop tard pour prendre des dispositions à cette fin, mais si vous rencontriez ces personnes, vous comprendriez que bon nombre des gens que nous prétendons vouloir aider auront énormément de mal à assumer, comme l'exige le projet de loi, la responsabilité première de déterminer leurs besoins en matière d'emploi et de trouver les services qui leur permettront de combler ces besoins.
Les adultes qui sont très peu alphabétisés ont besoin de beaucoup d'aide pour obtenir de l'information et s'y retrouver dans le labyrinthe des possibilités de formation existantes. De toute évidence, il n'a été tenu aucun compte des problèmes d'accès et des besoins particuliers des adultes partiellement analphabètes lorsqu'on a décidé de réduire le nombre de centres d'emploi du Canada et de conseillers en emploi et de les remplacer par ceci: il s'agit d'une photocopie très médiocre du kiosque automatisé qui a été installé dans les centres d'emploi du Canada, et aux pages suivantes se trouvent certains exemples des étapes qu'il faut franchir en consultant ces écrans.
Qu'une chose soit bien claire: pour trois millions de Canadiens, cela ne sert absolument à rien. Trois millions de Canadiens - si vous voulez leur redonner du travail, si vous voulez qu'ils puissent s'informer au sujet des emplois - ne peuvent pas se contenter de ces écrans pour trouver les renseignements nécessaires car ils n'ont pas les compétences élémentaires voulues pour avoir accès à cette information.
La question de l'accès va au-delà du domaine technique car elle se pose également au niveau personnel. Pendant que vous êtes assis là à consulter toute cette documentation, essayez d'imaginer un instant ce que ce serait si pendant toute votre vie, vous n'aviez pas été en mesure de lire ces documents. Cela sape votre sentiment d'indépendance et de confiance en soi.
Les services d'information et de présentation qui se sont révélés efficaces pour ce groupe de gens sont les services offerts par des personnes en chair et en os, car ils peuvent faire preuve de compassion. En plus de fournir l'information voulue, les services d'information et de présentation efficaces pour les adultes partiellement analphabètes offrent également compassion, encouragement, respect et aide personnalisée.
Je voudrais maintenant parler des mesures de contrôle de la qualité des programmes prévues dans le projet de loi C-12. Supposons encore une fois qu'un adulte partiellement analphabète ait réussi à trouver le programme de formation qui lui convienne. Ce qui nous inquiète alors, aux termes du projet de loi C-12, c'est qu'il n'y a aucun moyen de contrôler la qualité des cours de formation offerts ni d'obliger ceux qui offrent cette formation à rendre des comptes.
Pour autant que nous le sachions, aucune disposition du projet de loi C-12 ne garantit que les fonds publics seront affectés uniquement à des cours de formation de qualité supérieure. Cette question est certes inquiétante, quel que soit le genre de formation offert, mais elle est d'autant plus sérieuse lorsqu'il s'agit d'alphabétisation des adultes.
Il faut bien comprendre que le fait, pour un adulte, de se présenter et d'admettre publiquement qu'il est analphabète et de demander de l'aide représente un obstacle très difficile à surmonter. Si par manque de prudence on les renvoie à des services qui ne leur offrent ni le respect, ni la compassion ni l'attention dont ils ont besoin pour progresser, on va détruire à tout jamais chez eux l'envie d'apprendre et ces gens-là vivront pour toujours aux crochets du système - peut-être pas nécessairement de cette forme d'aide gouvernementale, mais en tout cas d'un autre programme d'aide. Si l'on aborde de façon brutale ou inacceptable l'adulte désireux d'apprendre mais qui présente cette vulnérabilité, on risque - et c'est à mon avis une certitude - de détruire à tout jamais chez cette personne l'envie de participer à un cours de formation.
La question des résultats des programmes de formation est étroitement liée à celle de la qualité des programmes. Nous savons que certaines personnes exigent l'adoption de normes nationales en matière de formation de façon à assurer un certain contrôle de la qualité des programmes, la normalisation et l'obligation de rendre compte. Nous appuyons cette orientation, avec une réserve toutefois: l'évaluation des résultats de la formation, quand on parle d'alphabétisation, sont nombreux et complexes.
L'organisme pour lequel je travaille - mon travail courant - est la «Ontario Literacy Coalition». Nous avons récemment publié un document qui passe en revue toutes les recherches effectuées sur l'examen des résultats des programmes d'alphabétisation des adultes. En un mot, je peux vous dire que c'est une question très complexe. Avant qu'on puisse utiliser les mesures des résultats pour contrôler la qualité des programmes d'alphabétisation, il faudra procéder à de nombreux travaux préparatoires connexes.
Certaines initiatives prometteuses à cet égard commencent à voir le jour dans les provinces. Par exemple, en Ontario, il y a la Reconnaissance des systèmes d'apprentissage des adultes. Je dois dire toutefois que ces systèmes n'en sont qu'à leurs balbutiements.
Enfin, j'aimerais aborder la question de la transférabilité des titres de compétence. La dernière chose qui nous inquiète dans ce projet de loi, c'est le fait que le gouvernement cessera d'acheter directement les places dans des établissements de formation et que le marché de la formation sera désormais moins contrôlé, avec les répercussions que cela pourrait avoir sur la transférabilité des titres de compétence. Dans le document intitulé Programme: emploi et croissance, publié par le gouvernement, vous avez reconnu qu'il faut accroître la transférabilité des compétences. Vous avez dit qu'il fallait se fixer comme objectif d'aider les travailleurs et travailleuses adultes à passer facilement d'un emploi, d'un établissement d'enseignement et d'un centre de formation à un autre dans tout le pays.
Si, en vertu du régime d'assurance-emploi prévu dans le projet de loi C-12, le gouvernement relâche son contrôle à l'égard des établissements de formation et n'exige pas la normalisation des programmes ou des stratégies de formation des différentes provinces, je vous demande comment le projet de loi contribuera à atteindre l'objectif de la transférabilité des compétences.
Voilà les problèmes que nous avons cernés en ce qui a trait à l'alphabétisation des adultes. Nous voulons également formuler certaines recommandations à votre intention:
Premièrement, il faut modifier le projet de loi C-12 pour obliger les provinces à reconnaître l'alphabétisation de base comme une formation à part entière dans le cadre des mesures d'aide actives.
En second lieu, le financement de l'alphabétisation des adultes doit se faire au moyen de subventions et non pas de prêts, pour tenir compte du fait que tous les Canadiens ont le droit à une éducation de base.
Troisièmement, les services d'information, de présentation et de counselling antérieurs à la formation devraient être compris dans la gamme de services pour lesquels les CEC peuvent offrir une aide financière. Il faut en outre élaborer des normes de qualité visant ces services d'aide pour s'assurer qu'ils sont offerts de façon à tenir compte des besoins particuliers des adultes partiellement analphabètes. Il faut également élaborer des normes nationales en matière de formation relativement à l'éducation de base des adultes.
Enfin, il faudrait mettre sur pied une structure supra-provinciale chargée de coordonner et de définir toutes les activités de mise en valeur de la main-d'oeuvre financées par le gouvernement fédéral.
Pour conclure, je voudrais vous donner mon avis personnel, pour ce qu'il vaut. Toutefois, je vais lire notre mémoire.
Nous comprenons que les changements prévus au régime d'assurance-emploi du Canada constituent un élément essentiel d'un plan visant à remanier fondamentalement la stratégie gouvernementale en matière de mise en valeur de la main-d'oeuvre canadienne.
Toutefois, le Canadien moyen comprend trop bien que ces changements s'inscrivent dans le cadre d'une révision fondamentale de tous les engagements pris par le gouvernement fédéral et les provinces à l'égard des Canadiens.
Même si dans notre exposé nous avons surtout mis l'accent sur les répercussions précises que le projet de loi C-12 aura sur les personnes partiellement analphabètes, nous reconnaissons que le régime d'assurance-emploi n'est qu'un simple fil de la trame du système de sécurité sociale du Canada. Malgré toutes ses lacunes, notre système de sécurité sociale a été le fer de lance de l'engagement du Canada à combler les besoins fondamentaux et à protéger les droits de tous les membres de notre société. Tous les Canadiens, qu'ils soient riches ou pauvres, ont énormément profité de cet engagement.
Et c'est ici que je veux vous donner mon avis personnel. J'ai grandi aux États-Unis. Je peux vous dire que c'est précisément ce qui différencie notre pays et qui en fait un pays où il fait bon vivre. En un mot, c'est là la différence.
Il suffit de voir ce qui se passe chez nos voisins du Sud pour constater les effets d'une politique gouvernementale qui met l'accent sur l'individualisme farouche et la loi du plus fort aux dépens d'un engagement à partager la responsabilité du bien-être de tous les membres de la société. Parmi ces effets figurent des taux d'imposition moins élevés et des taux de criminalité, de toxicomanie et de sans-abri beaucoup plus élevés que les nôtres. Lorsque j'habitais à Manhattan, j'ai vu depuis la fenêtre de mon appartement, sept personnes se faire tirer dessus. J'habite au centre-ville de Toronto et je ne ferme jamais ma porte à clé. Je ne vous donnerai pas mon adresse, mais ma porte n'est pas fermée à clé.
Des voix: Oh, Oh!
Mme Sussman: Nous exhortons le gouvernement du Canada à faire en sorte que les modifications au régime d'assurance-emploi du Canada soient définies clairement. On ne peut pas parler de cette question dans le vide. Il faut l'examiner dans le cadre des autres programmes de sécurité sociale en vigueur au niveau fédéral et provincial, de façon à pouvoir continuer de répondre aux besoins fondamentaux des Canadiens.
Merci.
Le président: Merci beaucoup de cet excellent exposé.
Des voix: Bravo!
Le président: Nous allons passer maintenant à la période de questions et réponses. Nous commencerons par les députés du Bloc québécois, suivis par ceux du Parti réformiste et nous passerons ensuite aux Libéraux.
Monsieur Dubé.
[Français]
M. Dubé (Lévis): Je vous remercie d'être venue présenter votre mémoire que j'ai trouvé fort intéressant.
J'ai un petit problème concernant l'anglais car j'ai de la difficulté à le lire. Comme je lis mal l'anglais, cela me permet de mieux comprendre les analphabètes.
J'ai cependant trouvé certains points que vous avez relevés très intéressants. Vous dites, par exemple, que le marché du travail évolue et qu'il va être de plus en plus difficile de trouver du travail. Dans une perspective d'avenir, vous avez raison de dire que, si on ne fait pas quelque chose, la situation des analphabètes va s'aggraver parce que les exigences du marché du travail sont telles qu'un certain nombre de personnes risquent d'en être exclues, en particulier les analphabètes. Jusqu'à maintenant, ceux-ci pouvaient faire quelques travaux manuels, mais cela va devenir de plus en plus difficile.
Tout ceci est donc très intéressant du fait qu'on est en pleine réorganisation. En effet, pendant que nous faisons cette consultation, un programme de rationalisation des centres d'emploi du Canada est en cours, de sorte que leur nombre va diminuer et qu'on va les remplacer, dans certaines localités, par des guichets automatiques.
Ce que vous avez dit est certainement très juste. Imaginons un analphabète qui doit, pour s'informer, utiliser un outil sans l'aide d'une autre personne. Cela ne nous permet pas d'être optimiste en ce qui concerne l'amélioration des conditions des analphabètes.
Vous donnez le chiffre de 3 millions d'analphabètes, et effectivement, lors de la tournée du Comité du développement des ressources humaines à l'automne 1994, nous avions rencontré partout des groupes qui parlaient des problèmes des analphabètes.
Ce qui me surprend dans votre mémoire, mais vous n'avez peut-être pas eu beaucoup de temps et je ne vous en blâme pas, c'est que vous n'avez pas parlé de la situation particulière des francophones hors Québec. Dans le nord de l'Ontario, où j'ai un peu travaillé en collaboration avec l'ACFO, 40 p. 100 des adultes francophones sont analphabètes. Ce sont des chiffres qui datent de trois ans déjà. J'ajoute que dans certaines communautés francophones de l'Ouest, c'est comparable et que dans certains cas, la situation des francophones analphabètes est même plus grave que celle que vous décrivez en général. Je vous demanderai de commenter là-dessus.
D'autre part, votre position est très différente de la nôtre, parce que vous exigez le renforcement du rôle du fédéral dans le contrôle des programmes provinciaux pour les analphabètes. Mais comme l'éducation relève des provinces, vous comprendrez qu'étant moi-même du Québec, je ne partage pas tout à fait votre point de vue, bien que je le respecte.
Ça m'amène à la question suivante. Quand vous avez parlé de regroupement, vous avez mentionné 12 organismes provinciaux ou territoriaux qui étaient tous partenaires. Vous avez aussi parlé de la coalition pour le Québec. Pourriez-vous me dire si vous êtes soutenus par vos partenaires québécois dans votre souhait d'un contrôle renforcé par le fédéral sur les programmes destinés aux analphabètes?
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Dubé.
Je tiens à rappeler aux députés que si nous pouvions poser des questions plus succinctes, nous aurions plus de temps pour entendre les réponses de nos témoins.
Madame Sussman.
Mme Sussman: Vos remarques sont valables et pertinentes.
D'abord une mise au point. Il y a la FCAF. Je regrette de ne pas pouvoir vous dire ce que représente ce sigle, mais il s'agit d'une coalition nationale francophone pour l'alphabétisation. Ce groupe représente les Canadiens francophones partiellement analphabètes. Nous ne prétendons pas être leur porte-parole aujourd'hui. Par contre, nous partageons avec ce groupe un intérêt fondamental pour l'alphabétisation de tous les Canadiens.
Dernièrement, j'ai eu l'occasion de participer à une réunion, avec 25 personnes, organisée par le Secrétariat national de l'alphabétisation. Huit francophones étaient présents. Ils ont soulevé les mêmes problèmes que ceux que vous soulevez. Ils ont signalé des choses qui m'ont fait bien comprendre à moi, Canadienne anglophone, ce que je...
Imaginez un peu: dans ce document, où nous faisons état des données relatives à l'alphabétisation au Canada, nous ne reconnaissons même pas l'existence de deux langues officielles dans notre pays. Les Suisses le font, et leurs données portent donc sur les Suisses allemands et les Suisses francophones. Toutefois au Canada, on ne parle que des anglophones.
Il y a des problèmes. Jusqu'ici, nous n'avons pas eu accès aux données disponibles qui documentent l'ampleur des problèmes d'alphabétisation des francophones hors Québec, de sorte que nous ne pouvons pas vous communiquer ces données. Il n'existe pas jusqu'ici de renseignements détaillés sur les problèmes d'alphabétisation au Canada, d'après une ventilation entre les anglophones et les francophones, de sorte que nous ne pouvons pas vous renseigner sur ce point.
Je respecte sincèrement vos préoccupations. Notre organisme estime que le gouvernement fédéral doit absolument faire en sorte que les Canadiens aient accès à l'alphabétisation des adultes, que ces cours soient d'une qualité satisfaisante et que les avantages d'un régime d'assurance-chômage ne pénalisent pas les gens - les trois millions ou sept millions de personnes, selon le groupe qu'on considère - qui savent à peine lire et écrire.
[Français]
Le président: Monsieur Dubé.
M. Dubé: Je voudrais juste donner un renseignement. Le mécanisme que vous souhaitez pour coordonner le point 5.5 existe déjà. La conférence des ministres de l'Éducation des provinces se penche là-dessus depuis un certain temps et souhaite la même chose que vous. Donc, ce mécanisme-là existe déjà. Il faut seulement accélérer les travaux.
Sur un autre point qui est absent de votre mémoire, je voudrais dire que, bien souvent, les analphabètes ont non seulement des difficultés d'apprentissage, mais aussi et surtout des problèmes financiers. Il y a souvent un grand écart entre leurs revenus financiers et ceux de la moyenne des gens.
Ce qui m'amène à insister là-dessus, ce sont les propositions comme celle de Mme Augustine qui demande de soustraire les revenus les plus pauvres de certains tarifs de l'assurance-chômage.
J'ai entendu hier des regroupement d'handicapés dire qu'ils ne voudraient pas être concernés par ces critères concernant le nombre d'heures et qu'on devrait avoir des équipements qui permettent de faciliter leur intégration au marché du travail.
Je voudrais être succinct mais je n'y arrive pas. Il y a aussi un certain nombre d'analphabètes qui ne peuvent pas suivre un programme ordinaire. Je pense à ceux qui ont des handicaps précis comme la dyslexie ou des problèmes de ce genre. Est-ce que vous trouveriez important qu'on se penche sur le type d'équipement ou d'accessoire nécessaire pour aider les gens qui ont des problèmes graves d'apprentissage d'une langue?
[Traduction]
Mme Sussman: Je ne sais pas exactement de quelles propositions précises vous parlez, lesquelles auraient été proposées par Mme Augustine, de sorte que je ne peux pas répondre à votre question.
Il vous serait vraiment utile de savoir de quel groupe important nous parlons lorsque nous parlons de gens qui ont de faibles capacités de lecture et d'écriture. Nous parlons de gens qui n'ont jamais eu l'occasion d'aller à l'école. Parfois ils sont âgés de 50 ans. Une femme avec laquelle je travaille régulièrement est l'aînée de 27 enfants et la seule fille. Elle a donc dû rester à la maison et n'a jamais eu l'occasion d'aller à l'école.
D'autres personnes ont des problèmes d'apprentissage d'ordre neurologique comme la dyslexie. Il existe donc des besoins différents en matière de programmes. L'un de mes voisins est professeur à l'Université McMaster. Lorsque je lui ai parlé des problèmes d'alphabétisation, il m'a dit sous le sceau du secret qu'il était dyslexique. Il y a donc des gens qui sont parfaitement intégrés et qui fonctionnent normalement, car ils ont appris à s'adapter.
Je peux vous dire que nous tombons parfois sur des personnes compatissantes lorsque nous rencontrons des députés des gouvernements provinciaux, comme nous le faisons en Ontario. Je ne peux pas vous dire combien de députés nous ont dit à l'occasion: «Oh, j'ai eu ce genre de problèmes», ou «Mon fils se débat avec ce problème», ou encore «Et si ma famille n'avait pas eu les ressources supplémentaires voulues pour m'offrir l'aide dont j'avais besoin, je serais perdu à l'heure actuelle».
C'est pourquoi il n'existe pas de solution unique au problème de l'alphabétisation des adultes. Il s'agit d'un groupe nombreux et varié. Il y a un grand nombre de gens qui souffrent de ce problème et ce n'est jamais exactement le même. Il faut absolument que la solution retenue soit adaptée aux besoins différents ou aux secteurs différents de la population visée.
Il y a un gars à Peterborough qu'on appelle l'homme au demi-million de dollars car il recueille chaque année 500 000$ pour Centraide. Malgré des mois de formation pour acquérir des capacités de lecture et d'écriture, il ne pense pas qu'il saura un jour écrire ou épeler très bien, à cause d'un problème neurologique.
Il a dû se battre pendant deux ans, je pense que c'était avec la Commission des accidents du travail - pour obtenir un appareil d'orthophonie qui lui permettrait d'aller à l'université. Ça n'a pas été facile car il ne s'agissait pas du genre d'appareil qu'on demande habituellement. Ce n'était pas un fauteuil roulant ni un appareil auditif. Lorsqu'il a finalement obtenu cette aide, il a pu s'inscrire à l'université et il fait maintenant un travail vraiment sensationnel.
Donc, il y a toutes sortes de types d'aide. Je comprends ce que vous dites et je suis d'accord avec vous.
[Français]
M. Dubé: Sur les trois millions, combien ont ce genre de difficultés?
[Traduction]
Mme Sussman: Je ne sais pas. J'aimerais beaucoup le savoir.
Le président: Votre dernière question était succincte.
Madame Jennings.
Mme Jennings (Mission - Coquitlam): Susan, je voudrais vous remercier de votre exposé. Effectivement, ayant été enseignante pendant trente ans, je connais bien les problèmes d'alphabétisation.
Bien que je comprenne et que je sympathise avec les gens qui ont ce terrible handicap - il s'agit effectivement d'un handicap, puisque cela les met dans une position très difficile - il y a quelques points que je remets en question.
À titre de critique de l'alphabétisation pour le Parti réformiste, j'essaie de faire en sorte que le gouvernement entre autres reconnaisse que l'alphabétisation commence dès la naissance - et que c'est à ce moment-là que cela doit commencer. Pour ce faire, il y a en fait des partenariats, et je pense que nous participons tous à des partenariats.
Dans ma collectivité, et depuis que je lis... Je sais que M. Scott au Nouveau-Brunswick a un excellent programme de partenariat dans sa collectivité. Il s'agit en grande partie de programmes de bénévolat; les entreprises donnent de l'argent et les collèges donnent de leur temps. Ce genre de programme a beaucoup de succès.
Là où je veux en venir, c'est que nous avons déjà une place pour l'alphabétisation et l'éducation, puisque ces questions relèvent des provinces. Incombe-t-il au programme d'assurance-emploi ou d'assurance-chômage, comme cela a été le cas par le passé, de promouvoir l'alphabétisation ou est-ce que l'alphabétisation devrait relever de l'éducation? Devrait-il y avoir un programme d'alphabétisation standard au pays?
Étant donné qu'il existe déjà des programmes d'alphabétisation dans le cadre des anciens programmes de formation de l'assurance-chômage et que leur taux de succès est très, très bas, nous avons demandé des statistiques et elles ne sont pas du tout bonnes... Je me demande si nous ne tentons pas de mettre en place une autre bureaucratie qui a déjà une place au Canada dans le système d'éducation. Il y a déjà des arrangements qui permettent d'utiliser les écoles le soir et autres ententes du genre. Qu'en pensez-vous?
Mme Sussman: J'ai beaucoup de choses à dire à ce sujet. Vous avez soulevé de nombreux points différents, et ils sont tous très intéressants.
La première chose qui me vient à l'esprit, c'est que je suis heureuse de ne pas faire partie du gouvernement. Si j'ai bien compris, ce qui vous préoccupe, c'est qu'un programme relève des provinces et du fédéral. En tant que Canadienne, tout ce que je sais c'est que nous avons des problèmes et que les gouvernements doivent travailler ensemble à solutionner ces problèmes. Les questions de compétence sont importantes, mais, Dieu merci, ce n'est pas à moi de trancher.
Quant à la question que vous avez soulevée en tant qu'enseignante, j'aimerais faire quelques commentaires. Lorsqu'on parle de problèmes d'alphabétisation, souvent les gens commencent à dénigrer les écoles. Si on regarde les statistiques sur l'alphabétisation chez les adultes, on constate que la plupart des adultes qui ont un faible niveau d'alphabétisation ne sont pas des personnes ayant reçu un diplôme récemment des écoles canadiennes. Ce sont ces derniers qui risquent le moins des problèmes d'alphabétisation. Ceux qui ont des problèmes sont plutôt les gens âgés de 35 ans ou 40 ans ou entre 40 ans et 65 ans, des gens qui ont encore 25 bonnes années... Et avec la réforme des pensions, ils devront rester sur le marché du travail encore 30 ans. Voilà où est le problème. Cela vient du fait qu'à une certaine époque le système d'éducation fonctionnait de façon très différente avec des ressources très différentes, et ne reconnaissait peut-être pas autant les problèmes d'apprentissage.
Vous dites également que des études très solides indiquent qu'on commence à acquérir des capacités de lecture et d'écriture en bas âge. Au sein d'une famille alphabétisée, il se fait une sorte de pré-alphabétisation - aimants sur le réfrigérateur, jeu de rimes dans la voiture en allant au chalet, lecture de la boîte de céréales, voilà quelques exemples de ce que font des parents alphabétisés.
Dans une étude qui a été effectuée aux États-Unis, on a passé du temps dans les foyers de familles non alphabétisées. Ces études révèlent qu'un enfant provenant d'une famille alphabétisée et qui entre en première année a l'avantage de recevoir de ses parents 2 000 heures de formation additionnelles en alphabétisation de plus qu'un enfant élevé dans une famille non alphabétisée, et que cet enfant provenant d'une famille non alphabétisée et qui a ce désavantage de 2 000 heures par rapport à l'autre arrive dans une classe de 25 enfants, de sorte qu'il ne rattrapera jamais ce retard.
Personnellement, j'estime que si on veut vraiment s'attaquer à ce problème, cela ne va pas fonctionner...
En outre, les études révèlent que les enfants de parents analphabètes ne réussissent pas aussi bien à l'école. On peut avoir une bonne idée de leur rendement scolaire d'après le niveau d'alphabétisation et d'éducation de leurs parents.
Donc, si nous voulons vraiment nous attaquer à ce problème, il ne suffira pas de modifier le système à partir de la maternelle uniquement. Nous devons nous occuper de la génération d'adultes, des parents qui élèvent les enfants, et nous assurer qu'ils peuvent les élever dans un foyer alphabétisé.
Vous demandez si nous n'avons pas déjà des systèmes en place, mais l'alphabétisation chez les adultes est le parent pauvre du système d'éducation dans les provinces au pays. La quantité de ressources, le manque de stabilité des ressources, le fait qu'on ne peut compter constamment sur ces ressources...
En Ontario - je parle ici de mon expérience personnelle - , on se refile les programmes d'alphabétisation d'un ministère à un autre. À l'heure actuelle, l'alphabétisation relève du Conseil ontarien de formation et d'adaptation de la main-d'oeuvre. Le mois prochain, Dieu seul sait qui s'en occupera. C'est parce que le système K-12 est le premier objectif du ministère de l'Éducation et, chaque jour, étant donné les réformes et la nécessité de réduire le financement à l'heure actuelle, la première chose qu'on coupe, c'est l'éducation aux adultes.
La question relève peut-être des provinces; peut-être que le fédéral a un rôle à y jouer. Je parle au nom de sept millions d'adultes qui ont un problème, et il vous incombe de le régler. Vous devez travailler ensemble et lui trouver une solution.
C'est la seule réponse que je peux vous donner.
Mme Jennings: Je ne peux que répéter, Susan, qu'effectivement les programmes d'assurance-chômage à cet égard n'ont pas eu beaucoup de succès non plus. Donc, je ne sais pas trop quelle est la solution.
Mme Sussman: Est-ce qu'il s'agit du programme d'alphabétisation? Je ne veux pas vous interrompre, mais...
Mme Jennings: Ce sont des programmes de formation, d'alphabétisation et des formations de toutes sortes.
Une autre chose, c'est qu'on commence à voir des partenariats dans les collectivités, et je pense que lorsque les gens commenceront à s'aider les uns les autres, ces partenariats auront encore plus de succès qu'auparavant. Nous constatons que ces programmes ont du succès, et je pense que c'est un élément positif.
Enfin, il y a les entreprises. Je sais qu'à l'heure actuelle nous avons des entreprises un peu partout au pays qui s'occupent en fait d'alphabétisation au sein de leurs propres sociétés et qui financent ces programmes. J'ai souvent pris l'avion avec des gens qui s'occupaient de ce genre de programmes dans les entreprises. Quelle est votre expérience à cet égard? A-t-elle été positive? Y a-t-il vraiment des possibilités de ce côté-là?
Mme Sussman: Il faut comprendre que la formation en alphabétisation se fait de façon très diversifiée au Canada. Tout d'abord, il y a un mouvement très fort et merveilleux vers des programmes d'alphabétisation fondés sur le bénévolat, où le seul personnel rémunéré et le seul investissement sont pour la coordination des bénévoles. Il y a des dizaines de milliers de gens qui offrent bénévolement leur temps à raison de deux ou quatre heures par semaine pour travailler avec un adulte qui a des problèmes d'alphabétisation.
Les seuls programmes financés par le gouvernement fédéral que je connaisse dans le cadre de l'utilisation des fonds d'assurance- chômage à des fins productives à l'heure actuelle exigent qu'une personne suive un programme dans une salle de classe 25 heures par semaine. Je peux vous dire que les bénévoles ne travaillent pas dans des salles de classe 25 heures par semaine. Les conseils scolaires et les collèges ont donc eux aussi élaboré des programmes, ces programmes se donnent en salle de classe et sous forme d'instruction de groupe.
Nous avons donc toute une série de types de programmes. On peut s'asseoir deux heures par semaine à la table de la cuisine. On peut fréquenter un collège 25 ou 30 heures par semaine. Et entre les deux, il y a les programmes des conseils scolaires.
Certaines personnes ont demandé pourquoi nous avions tous ces différents types de programmes; en avons-nous vraiment besoin? Je dis que oui, nous en avons besoin, car ceux qui apprennent ont des objectifs et des besoins différents, leur situation est différente. Une personne «analphabète» - je n'aime pas utiliser ce mot - qui a toujours masqué, caché son problème, n'aime pas se rendre tout de suite dans une école, je peux vous l'assurer. Voilà une lacune du programme. Ou bien, si une personne travaille toute la journée, la solution consiste peut-être à apprendre dans sa cuisine le soir, autour de la table, avec un travailleur bénévole. Tandis que quelqu'un d'autre qui est bien établi dans sa collectivité et qui a du succès est maintenant prêt à dire à tous que malgré le fait qu'il ait un problème de lecture, il a bien réussi. Il est valorisant pour lui d'aller au collège. Il ne veut pas retourner en maternelle. Il ne veut pas étudier à sa table de cuisine. Il est donc nécessaire d'avoir un programme diversifié.
L'autre chose que je voulais dire, c'est que les études révèlent qu'à raison de deux heures par semaine, un adulte ne fait pas suffisamment de progrès pour acquérir des capacités de lecture et d'écriture qui puissent maintenir sa motivation.
Les chiffres peuvent provenir de toutes sortes de sources, mais nos meilleures études indiquent qu'il faut environ 100 heures d'instruction pour passer d'un niveau à un autre. Imaginez que vous avez une vie, des enfants, un travail, et toutes sortes de soucis. À raison de deux heures par semaine, après une année d'instruction avec un travailleur bénévole, certains de ces adultes sont passés d'un niveau de lecture de troisième année à un niveau de quatrième année. Pourquoi se donner la peine? Ils veulent faire plus de progrès que cela.
Ce que je dis, c'est qu'il s'agit d'une question complexe. Il s'agit d'un groupe de gens complexe, et c'est pourquoi il faut toute une gamme de solutions adaptées aux genres de problèmes qu'ils ont. Certaines personnes seront incroyablement bien servies, car elles ont toutes les capacités voulues et les raisons pour lesquelles elles n'ont pas appris à lire étaient peut-être plutôt circonstancielles que neurologiques. D'autres ont des problèmes différents.
Quant à votre question au sujet du lieu de travail - et à l'heure actuelle, je ne peux parler que de l'expérience en Ontario, car c'est ce que je connais - , il y a des investissements du secteur privé dans le domaine de l'alphabétisation des adultes, mais c'est une goutte d'eau dans la mer. La Fédération du travail de l'Ontario coparraine avec des entreprises certains programmes en milieu de travail, mais il n'est pas facile de convaincre les entreprises d'y adhérer.
Il y a maintenant un nouveau programme en Ontario dans le cadre duquel le gouvernement provincial offre toutes sortes de subventions aux entreprises pour offrir des programmes d'alphabétisation en milieu de travail. Il est très difficile de faire accepter ces programmes aux entreprises. Donc, du moins à court terme, je ne suis pas entièrement convaincue que ce soit une solution sur laquelle nous puissions compter.
M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Merci beaucoup, et félicitations. Vous nous avez fait un excellent exposé. Ayant passé une bonne partie des deux dernières années de ma vie à m'occuper d'alphabétisation, je peux vous dire que vous avez tout à fait bien compris la situation.
L'une des meilleures façons de lancer le débat, c'est de dire qu'il s'agit d'un domaine où il est évident que l'on ne peut utiliser le marché pour juger du succès du programme, car on ne peut nier qu'une personne qui améliore ses capacités de lecture améliore ses conditions de vie, que ce soit pour obtenir un emploi ou non. Lorsque vous faites allusion à nos voisins du Sud, etc., je pense que cela est important.
Deuxièmement, nous offrirons l'absolution en ce sens que personne ne considère que votre appui à l'égard des mesures actives constitue un appui à l'égard des coupures qui pourraient accompagner ces mesures. Vous êtes donc tirés d'affaires, pour ainsi dire.
Nous en arriverons à ceci. Il y a un terrain d'entente au sujet de ces salles de classe d'alphabétisation qui est tout à fait lié à ce que l'on tente de faire grâce à ces amendements. Je vous demanderais donc de voir l'assurance-emploi ou l'assurance-chômage quelque peu différemment.
Dans votre mémoire, vous faites allusion aux chômeurs et au fait que nous épargnons de l'argent à leurs dépens. Le fait est que bon nombre de gens - non pas la majorité - retirent de l'assurance-chômage chaque année à un niveau très élevé.
Personnellement, j'estime que l'assurance-chômage sert à deux choses. Si vous perdez votre emploi, alors votre revenu est remplacé. Cela ne devrait rien avoir à faire avec le niveau de revenu. Je pense que c'est une fonction du programme.
Une autre application du programme concerne le supplément du revenu si vous travaillez dans un secteur qui ne peut vous faire travailler pendant toute l'année ou si vous occupez un emploi pour lequel vous devez vous déplacer.
Ce sont donc les deux fonctions de l'assurance-chômage.
Malheureusement, ou non pas malheureusement - je ne veux pas ici accorder de valeurs - il y a des gens qui font beaucoup d'argent et qui reçoivent un supplément du revenu. Je ne vois donc pas pourquoi nous ne pourrions récupérer cet argent et le réinvestir dans les programmes dont nous parlons. Je n'enlèverais pas quoi que ce soit aux gens qui en ont besoin, si vous voulez. Je ne veux pas me perdre dans la sémantique de ces mots, mais je veux que vous compreniez exactement là où je veux en venir.
Cela étant dit, je dirais même qu'en fait le projet de loi offre un meilleur accès au niveau socio-économique le moins élevé du fait que le critère d'admissibilité est calculé en heures plutôt qu'en semaines. Il y a des travailleurs saisonniers au Nouveau-Brunswick, des gens qui travaillent 70 heures par semaines. Auparavant, cela ne comptait que pour une semaine. Dorénavant, à toutes fins pratiques, cela représente maintenant deux semaines, ce qui leur donne accès plus rapidement.
Le deuxième point concerne le fait qu'étant donné que nous avons changé les conditions requises pour ce qui est des prestations d'emploi prévues dans le projet de loi - en d'autres termes, le soutien non relié au revenu - bon nombre de gens auront accès aux programmes mêmes dont vous parlez. Il s'agit d'un très grand nombre de gens. Je pense que c'est à peu près un demi-million de Canadiens. Ce sont des programmes importants. Nous sommes d'accord là-dessus.
Dans notre province, une bonne partie des problèmes d'alphabétisation tiennent au fait que les gens quittent l'école pour aller travailler dans le secteur des ressources. Si les conditions d'admissibilité étaient en fait plus strictes pour eux en tant que nouveaux prestataires, ils risqueraient moins de faire cela. C'est la simple vérité. Je ne veux pas pénaliser les gens qui en ont besoin, mais je ne veux pas que cela se produise. Je ne veux pas qu'un jeune de 11e année à Boiestown au Nouveau-Brunswick quitte l'école et se retrouve cinq ans plus tard sur une liste dont nous parlerons lorsque nous aborderons cette question, tout cela à cause d'un programme fédéral. Je pense que cela serait une tragédie, et je suis certain que vous en convenez également.
Ce dont j'aimerais parler, c'est de l'utilisation de ce programme. Daphne en a parlé. Au Nouveau-Brunswick, nous avons 500 salles de classe. En fait, l'an dernier à Beijing, nous avons reçu le prix pour nos efforts exceptionnels dans le domaine de l'alphabétisation. Les modifications prévues dans ce projet de loi affectent ce programme de nombreuses façons.
Tout d'abord, il y aura un plus grand nombre de gens qui pourront y avoir accès. Ils seront admissibles à des prestations d'emploi car on aura élargi les définitions, ce qui leur permettra d'être admissibles même s'ils ne reçoivent pas le soutien du revenu. En outre, bon nombre de gens qui sont à l'heure actuelle à l'extérieur du système auront accès à un soutien du revenu du fait que l'admissibilité est calculée dorénavant selon le nombre d'heures plutôt que selon le nombre de semaines, de sorte qu'ils auront un revenu pour vivre lorsqu'ils seront dans l'une de nos 500 salles de classe.
Ce qui est sans doute le plus intéressant, c'est que très souvent cela permet à l'enseignant, à l'animateur dans nos salles de classe, de travailler alors qu'il serait autrement prestataire d'assurance-chômage. Ces enseignants apportent avec eux leurs prestations. Ça fait partie de ce qui deviendrait le fonds d'investissement dans les ressources humaines. Ceux qui enseignent dans ces salles de classe sont des gens qui seraient autrement sans emploi, et ils apportent avec eux leurs prestations dans le cadre des partenariats communautaires dont Daphne a parlé. C'est de cette façon qu'ils sont rémunérés. Ils apportent avec eux leurs prestations grâce à un programme comme le Fonds d'investissement dans les ressources humaines.
Je ne vous demande pas d'appuyer quoi que ce soit que vous ne voulez pas appuyer. J'essaie de vous aider à comprendre que cela apporte ainsi au programme une certaine souplesse qui aide les gens dont vous parlez.
Enfin, j'aimerais parler des faibles niveaux de revenu. Vous avez mentionné la corrélation entre l'emploi et les gens qui n'ont pas de capacités de lecture et d'écriture. Je suppose que vous acceptez également cette corrélation pour les niveaux de revenu.
Le président: C'est tout un discours que vous nous faites.
M. Scott: Puis-je terminer alors?
Le président: Absolument. Nous voulons entendre la finale. Allez-y.
M. Scott: La dernière chose que je voulais dire, c'est que ceux qui ont un faible revenu verront leurs prestations augmenter de 7 p. 100 ou 15 p. 100, en raison du supplément destiné aux prestataires à faible revenu. C'est pour soulager votre conscience.
Mme Sussman: Oh, je serai soulagée.
Le président: Vous avez 30 secondes pour répondre à cette déclaration. Allez-y.
Mme Sussman: Je ne peux prétendre avoir réellement analysé les niveaux de prestations, les conditions d'admissibilité et ce genre de choses. Je me fie aux compétences des gens dans la collectivité qui ont les capacités pour le faire.
Je connais assez bien, mais pas aussi bien que j'aimerais le connaître, le programme que nous avons au Nouveau-Brunswick. J'ai entendu certaines choses à ce sujet. Certaines étaient très positives et d'autres l'étaient moins.
Je pense qu'on ne savait pas au juste si les gens qui étaient embauchés pour enseigner avaient vraiment de l'expérience dans l'enseignement. Subséquemment, comme il y avait de plus en plus d'enseignants qui perdaient leurs emplois, ils étaient embauchés pour faire ce travail. Mais leurs revenus diminuent. Les gens travaillent pour une fraction de ce qu'ils gagnaient avant pour le même travail. Cela est inquiétant, car il y aura tout simplement davantage de Canadiens à faible revenu.
La seule réponse que je puisse vous donner à la suite de ce que vous avez dit, c'est que je reconnais que ce modèle a amélioré l'accès pour certaines personnes. Il faudrait cependant l'étudier davantage.
[Français]
M. Dubé: Je ne peux pas me fier à M. Scott pour me donner des cours sur la façon de poser des questions brèves.
[Traduction]
Le président: M. Scott est très passionné lorsqu'il parle d'alphabétisation, alors nous l'excuserons pour cette fois-ci.
Monsieur Regan.
M. Regan (Halifax-Ouest): Merci, monsieur le président, et merci à tous d'être ici.
J'aimerais reprendre là où M. Scott s'est arrêté, mais je serai plus bref.
Il me semble que le gouvernement reconnaît que les capacités de lecture et d'écriture sont un élément fondamental des capacités de base. Il doit le reconnaître. Je pense que vous l'avez très bien expliqué dans votre exposé aujourd'hui.
J'ai une petite question: connaissez-vous la répartition régionale des sept millions de gens dont vous avez parlé qui ont besoin d'être alphabétisés? Deuxièmement, connaissez-vous la répartition de ce groupe selon le secteur industriel? Par exemple, combien de ces gens sont des travailleurs saisonniers? En tant que député de l'Atlantique, je songe naturellement aux gens dans le secteur de la pêche et dans d'autres genres d'industries. Étant donné qu'on a élargi les règles d'admissibilité et que les conditions d'admissibilité sont calculées en heures plutôt qu'en semaines, ces gens ont de meilleures chances de profiter des mesures actives contenues dans le projet de loi à l'étude. Voilà ce qui m'intéresse.
Mme Sussman: C'est la question réglementaire que je redoutais de votre part. Les données que vous demandez se trouvent dans l'étude effectuée par Statistique Canada en 1989. Le rapport canadien détaillé de l'enquête effectuée par l'OCDE n'a pas encore été publié. L'information contenue dans cette enquête sera encore plus récente. Je redoutais que vous me posiez cette question, car je n'ai pas tous ces détails en tête.
Je ne sais pas si de faibles niveaux d'alphabétisation sont surtout un phénomène urbain. Je sais que les gens qui ont de faibles capacités de lecture et d'écriture sont représentés de façon disproportionnée dans les industries utilisant les ressources et dans des emplois dangereux dans des secteurs comme le secteur minier, les forêts et les pêches.
Je serai très heureuse de vous faire parvenir les chiffres que vous avez demandés. Ces données sont disponibles, mais je ne les ai pas en tête. J'aimerais cependant tricher et saisir l'occasion de dire quelque chose au sujet d'une question que vous avez soulevée.
Le Canada est signataire d'une convention sur les droits de l'enfant. Le Canada a signé une déclaration disant qu'il reconnaît l'alphabétisation comme un droit fondamental de la personne. Par conséquent, le fait qu'on en parle uniquement dans le contexte du chômage me pose un problème car nous reconnaissons que c'est un problème qui va bien au-delà de la question de l'employabilité.
M. Regan: Je pense que je comprends votre problème. Notre mandat consiste cependant à examiner le projet de loi dont nous sommes saisis.
Mme Sussman: Oui.
Alors, quand et comment allez-vous examiner ce problème dans le contexte général?
M. Regan: Lorsque nous quittons la salle.
Mme Sussman: Très bien. Cela fait partie de ce que vous devez faire constamment. C'est le problème lorsqu'on se penche sur un élément, comme si cet élément ne faisait pas partie d'un ensemble. Lorsqu'on prend un élément à la fois, le tout ne peut plus tenir ensemble.
M. Regan: Parfois, le défi consiste à examiner un élément à la fois. Il est très difficile de tout examiner à la fois.
Mme Sussman: Je comprends cela. Des études très sérieuses indiquent qu'il y a en outre un lien direct entre l'alphabétisation et la santé ainsi que les dépenses pour les soins de santé. Il est très clair qu'il y a un lien direct entre l'alphabétisation et le crime et les dépenses d'incarcération. Comme je l'ai déjà mentionné, il y a un lien direct entre le niveau d'alphabétisation des parents et le rendement scolaire de leurs enfants.
Naturellement, il y a les questions d'employabilité et de revenu. Le fait est que ce problème touche tellement d'éléments, sans mentionner la participation civique. Tout semble indiquer que les gens qui ont peu de capacités de lecture et d'écriture ont moins de chance de travailler comme bénévoles dans la collectivité, de redonner à la collectivité.
Donc, d'une façon ou d'une autre, que ce soit lire le livre rouge ou la révolution du bon sens, il y a 3 millions de gens qui n'ont pas accès à tout ce que le Canada a à leur offrir. Leur problème comporte des coûts, et c'est le gouvernement qui doit payer la facture. Nous vous implorons de trouver une solution.
Le président: Madame Sussman, il n'y a pas d'autres questions.
M. Scott a pris six minutes pour faire un discours, et j'aimerais m'excuser pour lui auprès du comité.
Tout d'abord, je tiens à vous remercier de votre exposé. Ce n'est pas souvent que les membres d'un comité applaudissent à la fin d'un exposé. Cela a été une réaction toute naturelle à l'excellente analyse que vous avez présentée.
Mme Sussman: Ô, vraiment? Bien.
Le président: En outre, nous avons très bien compris votre message, c'est-à-dire que nous devons envisager le problème de façon globale et holistique. Il reste cependant que nous examinons maintenant le projet de loi C-12 et que nous devons améliorer cette mesure législative. Nous vous remercions de nous avoir aidés également à formuler nos pensées pour tout futur projet de loi dont notre comité ou un autre pourrait être saisi.
Mme Sussman: Je vous remercie de l'occasion qui nous a été donnée.
Le président: La séance est ouverte. Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui les représentants de La voix - Le réseau canadien des aînés: Andrew Aitkens, directeur de la recherche, et John Paterson, membre du Canadien Network of Experienced Workers (Réseau canadien des travailleurs expérimentés).
Bienvenue, messieurs. Nous sommes très impatients d'entendre votre point de vue sur le projet de loi C-12, concernant l'assurance-emploi au Canada. Nous sommes en train de recueillir les témoignages des Canadiens d'un océan à l'autre - «et à l'autre» comme certaines personnes me le rappellent - pour savoir comment nous pourrions améliorer ce projet de loi.
On entendra sans doute le timbre vers 17h15, et les députés devront alors se rendre à la Chambre pour un vote. Je vous demanderais donc de nous donner les points saillants de votre présentation; de cette façon, nous disposerons de 30 à 40 minutes pour la période des questions.
Bienvenue. Vous pouvez commencer.
M. Andrew Aitkens (directeur de la recherche, La voix - Le réseau canadien des aînés): Je tiens à vous remercier de cette occasion de m'adresser au comité. Le temps ne nous a malheureusement pas permis de préparer un mémoire, ce que nous aurions voulu faire. Puisque nous ne disposions ni du temps ni des ressources nécessaires pour le faire, nous sommes ici aujourd'hui pour vous rencontrer et pour vous fournir des renseignements et des statistiques qui, nous l'espérons, vous aideront dans le cadre de votre examen du projet de loi.
J'aimerais vous rappeler que La voix est un organisme national à but non lucratif composé de bénévoles dont l'objectif est de représenter les Canadiens âgés. Dans ce cas-ci, nous ne nous limitons pas à ceux que les gens considèrent comme des aînés, à savoir ceux qui ont 65 ans et plus. En raison d'une population vieillissante, nous croyons qu'il est important d'identifier les gens de 45 ans et plus et 55 ans et plus comme faisant partie du groupe que nous représentons. En fait, la définition actuelle du terme «travailleur âgé» tel que proposé par le ministère du Développement des ressources humaines inclut les gens de 45 ans et plus, ce qui m'inquiète parfois. Je fais après tout partie de cette catégorie.
Depuis 1990, nous étudions en détail la situation des travailleurs âgés. À l'époque, nous avions réuni des représentants d'une douzaine de bureaux d'emplois pour personnes âgées pour étudier certains des problèmes auxquels ce groupe était confronté. Une autre consultation a eu lieu en 1994 à Calgary; nous avons alors étudié comment ces groupes pouvaient collaborer de façon plus efficace; nous nous sommes également penchés sur toutes les questions qui touchent le vieillissement de la population active et de la société en général.
En préparation de cette consultation, nous avions commandé bon nombre de travaux de recherche. Cette documentation a été publiée et a en fait été présentée à votre comité lors de son étude des programmes de sécurité sociale. Ainsi, plutôt que répéter des choses que vous avez déjà entendues, j'aimerais faire ressortir quelques points saillants de ces documents. J'espère que vos attachés de recherche et vos députés consulteront ces documents, parce qu'ils représentent une mine incomparable de renseignements.
Permettez-moi de dire quelques mots sur les objectifs du projet de loi C-12. À mon avis, l'objectif original, soit le remplacement du revenu pendant les périodes d'inactivité, n'a pas vraiment changé. Vos nouveaux objectifs semblent être le renforcement du travail, les encouragements au travail; vous voulez aider les chômeurs à devenir des membres productifs de la population active. On suppose que l'objectif n'est pas la réduction des coûts puisqu'il existe un surplus au sein de la caisse de l'assurance-chômage.
Je crois qu'il est bon de se pencher sur certains des problèmes particuliers auxquels sont confrontés les travailleurs âgés. Tout d'abord, il existe une discrimination systémique contre le travailleur âgé. Il existe plusieurs raisons pour cette situation, et nombre d'entre elles sont fausses et artificielles. La principale raison est probablement qu'il faut se défaire du bois mort pour libérer les emplois pour les jeunes travailleurs. Mais cela n'est plus vrai. Le fait est qu'il y aura dans environ 10 ans une pénurie de main-d'oeuvre si nous ne commençons pas à faire des efforts dès maintenant pour encourager les travailleurs âgés à continuer à travailler; il ne faut d'ailleurs pas oublier qu'en perdant les travailleurs âgés, on perd leur expérience, leurs connaissances, leur sagesse et tous ces autres facteurs.
Lorsque les travailleurs âgés perdent leur emploi, ils sont alors confrontés à une certaine discrimination lorsqu'ils essaient de trouver un nouvel emploi; de plus, ils doivent recevoir des prestations d'assurance-chômage pendant une plus longue période. Tout cela coûte très cher. Le travailleur âgé typique, a un salaire assez élevé. Il reçoit donc le maximum des prestations d'assurance-chômage. Si vous étudiez le premier tableau que je vous ai distribué, vous constaterez que les travailleurs âgés ont des périodes de chômage d'environ 32 semaines alors que les travailleurs moins âgés ont des périodes d'inactivité de 16 à 17 semaines. Ce n'est pas parce que les travailleurs âgés préfèrent ne rien faire; c'est parce qu'ils sont victimes de discrimination et qu'ils ne peuvent trouver d'emplois.
Nous appelons cela retraite anticipée forcée; nous ne l'appelons pas retraite. Il s'agit d'une perte d'emploi, mais un grand nombre de travailleurs âgés finissent par dire qu'ils sont retraités parce qu'ils se découragent et cessent de chercher un nouvel emploi. On ne les identifie même pas de façon appropriée.
Une autre des raisons pour lesquelles ils ne peuvent trouver un emploi est que la nature du travail a changé. Au cours des dix dernières années ou peut-être même depuis plus longtemps, les emplois qui ont disparu étaient principalement dans le secteur de la production. Par conséquent, les travailleurs non qualifiés, les travailleurs spécialisés n'ont pas les qualifications nécessaires pour les nouveaux emplois qu'on retrouve principalement dans le secteur des services dynamique: le secteur de l'informatique, de la technologie de l'information, etc. Ils ont un manque de formation. Ainsi, tout programme de formation conçu pour l'ensemble des travailleurs n'aidera pas vraiment les travailleurs âgés parce qu'ils se trouvent dans une situation particulière. Leur formation ne leur permet pas d'avoir accès aux emplois qui sont disponibles aujourd'hui. Ils ne peuvent travailler à l'ordinateur. Un grand nombre d'entre eux étaient manoeuvres, et certains d'entre eux n'ont même pas l'éducation de base.
Je crois que le deuxième tableau montre qui a été mis à pied et qui est devenu retraité involontaire. Le groupe le plus important se trouve sous la rubrique travailleurs spécialisés et travailleurs non qualifiés. Un troisième tableau vous présente des données sur l'éducation des travailleurs répartis en groupes d'âge.
La troisième colonne montre les travailleurs âgés entre 55 et 64 ans qui travaillent probablement encore et qui veulent continuer à travailler jusqu'à l'âge de la retraite. Vous constaterez que plus de 50 p. 100 d'entre eux n'ont même pas un diplôme d'études secondaires. Cette situation s'applique autant aux femmes qu'aux hommes. Ainsi, lors de la conception d'un programme de formation destiné aux travailleurs âgés, il faut tenir compte de ces facteurs, parce que pour que la formation soit efficace vous devez combler les lacunes qui existent au niveau de l'éducation de base puis enseigner des compétences particulières, selon les besoins.
En fait, les personnes âgées sont souvent moins mobiles et peuvent moins facilement se déplacer pour trouver des emplois. Elles vivent dans leur communauté depuis déjà très longtemps. Elles ont des enfants, des parents âgés. Elles ont acheté une maison. Elles ont une hypothèque. Elles ont un réseau d'amis. Il leur est donc beaucoup plus difficile de se déplacer que ce n'est le cas pour le jeune de 24 ans qui peut simplement prendre son sac à dos et se rendre là où sont les emplois.
Certaines des mesures proposées dans le projet de loi C-12 semblent dire aux travailleurs que s'ils ont un emploi saisonnier et qu'ils se retrouvent sans emploi pendant six mois, ils devraient trouver un emploi dans une autre région. Ils devront simplement déménager et se rendre dans une autre communauté. Il n'est pas réaliste de s'attendre à cela de la part des travailleurs âgés.
Les travailleurs moins âgés ont également des problèmes. Il y a une pénurie d'emplois et très souvent les emplois disponibles sont ce qu'on appelle des mauvais emplois. En effet, très peu des emplois disponibles sont de bons emplois. Il ne s'agit pas d'emplois à plein temps. La rémunération est plutôt faible. Ces emplois s'accompagnent de peu d'avantages sociaux. Il s'agit là de mauvais emplois.
Les jeunes ont très peu de choix au niveau de l'emploi. Quant à leur avenir, il leur est très difficile de penser à des choses comme économiser pour leur retraite alors qu'ils peuvent à peine se tirer d'affaires avec le salaire qu'ils reçoivent.
En raison des modifications qui seront apportées au financement de l'éducation, ces jeunes auront des prêts aux étudiants beaucoup plus importants à rembourser, il leur faudra beaucoup plus longtemps pour rembourser ces prêts - en fait, nombre d'entre eux auront la trentaine et n'auront pas encore remboursé tous leurs prêts. Une fois qu'ils auront payé leur hypothèque, s'ils sont assez chanceux pour pouvoir s'acheter une maison, ils ne pourront pas économiser pour leur retraite.
Ainsi, les mauvais emplois minent l'habileté du travailleur à économiser pour sa retraite; ainsi, on se retrouvera avec une population âgée plus dépendante des programmes du gouvernement parce qu'elle n'aura simplement pas pu économiser.
J'aimerais également rappeler que les jeunes ne sont pas admissibles aux programmes de perfectionnement lorsqu'ils sont embauchés. Cela crée également un problème pour les travailleurs âgés, mais un grand nombre de jeunes accepteront un emploi tout simplement parce qu'ils refusent de recevoir des prestations d'assurance-chômage. Ils sont donc prisonniers, parce qu'ils travaillent et ne sont plus admissibles aux programmes de recyclage ou de perfectionnement. J'ai des amis qui travaillent dans des stations-service alors qu'ils pourraient être mécaniciens d'avions. Cette formation ne leur est pas offerte tout simplement parce qu'ils ont un emploi.
Ce qui me tracasse c'est que dans le projet de loi on semble supposer qu'il existe beaucoup d'abus: on se dit attrapons ceux qui abusent du système. Je crois que dans l'ensemble les travailleurs âgés n'abusent pas du système. Il y a toujours des gens qui abusent d'un système, peu importe les circonstances. Je reconnais évidemment qu'il faut mettre un frein à cet abus, mais je crois que pour les travailleurs âgés qui ont des responsabilités, des personnes à charge, le chômage n'est pas un choix; c'est une chose dont ils sont victimes. Cette situation peut être attribuable à la nature du travail, peut-être du travail saisonnier, comme je l'ai signalé, et très souvent ce sont les employeurs qui se servent du système comme s'il s'agissait d'une subvention à l'emploi; ces employeurs mettent à pied des employés pendant qu'ils modernisent une usine ou quelque chose du genre. Je crois qu'il faut indiquer très clairement dans ce projet de loi quelle est la situation; vous ne voulez tout de même pas généraliser ces accusations et pénaliser ceux qui sont victimes des circonstances.
Il faut être très prudents car je crois que vous risquez de pénaliser certaines personnes en limitant les prestations, en modifiant les règles sur la période d'admissibilité et les choses de ce genre en ce qui a trait aux utilisateurs fréquents. Je proposerais plutôt que vous mettiez sur pied un mécanisme qui vous permette d'identifier si la perte d'emploi ou le chômage est attribuable à l'individu ou simplement aux circonstances comme le travail saisonnier ou l'abus de la part de l'employeur.
À mon avis, tout programme de formation élaboré dans le cadre de cette réforme doit reconnaître que l'évolution du marché du travail rend certaines compétences et qualifications nécessaires; c'est pourquoi il faudra mettre sur pied des programmes de formation spécialisés axés sur les travailleurs âgés. Les programmes de formation devraient d'ailleurs être offerts à ce groupe. Ne croyez pas que quelqu'un peut être trop vieux pour apprendre parce que ce n'est pas vrai. De plus, ces travailleurs âgés ont tout autant le droit d'avoir accès à la formation que n'importe quel autre travailleur.
Enfin, il faut reconnaître que quelqu'un qui a travaillé pendant 30 ans et qui se retrouve soudainement sans emploi a des besoins de placement et de counselling différents des autres travailleurs. Après une vie de travail, il est très difficile de s'adapter au chômage. Nous avons constaté dans le cadre de nos contacts avec les bureaux d'emploi pour les personnes âgées qu'il faut des compétences et des outils différents pour offrir des services de counselling et d'emploi à ce groupe.
Je sais que vous êtes pressés, et je demanderais à M. Paterson de dire quelques mots. Puis nous passerons à la période de questions.
M. John Paterson (membre, La voix - Le Réseau canadien des aînés): J'aimerais vous donner un exemple d'une chose dont mon collègue vous a parlé, soit la discrimination systémique contre le travailleur âgé. Il se peut que cette situation résulte de la propagation de mythes ou d'idées fausses, mais malheureusement, cette situation se retrouve un peu partout.
Je suis actuellement président du bureau d'emploi local pour les personnes âgées dans la région d'Ottawa-Carleton. Je sais donc très bien ce qui se passe à l'échelle locale. Mais je fais également partie du comité des options, qui est financé par DRH et qui a pour rôle d'étudier ce que nous devons faire pour aider les travailleurs de plus de 45 ans à trouver un emploi. J'ai donc une perspective nationale de la question. Il s'agit d'un comité national composé de représentants de toutes les régions du pays, des Maritimes jusqu'à Vancouver.
Cet exemple de mouvement populaire que je vais vous donner peut être répété, et je sais qu'il l'est, dans toutes les régions du pays.
Nous avons décidé, au bureau d'emploi pour les personnes âgées, de faire une expérience pour découvrir si ces fausses idées et ces mythes dont on entend beaucoup parler et qu'on retrouve dans tous les articles qui portent sur l'emploi des personnes âgées sont vraiment caractéristiques de l'attitude des employeurs des collectivités. Nous avons donc fait une petite expérience. Nous avons choisi trois personnes. Un ingénieur à la retraite dans la soixantaine, une secrétaire administrative sans emploi dans la cinquantaine, et un ancien sous-ministre adjoint du MDN qui, à l'époque, avait plus de soixante-dix ans. Ces trois personnes se sont rendues dans la région d'Ottawa-Carleton et pendant trois ans ont participé à près d'une centaine d'entrevues personnelles avec des PDG, des directeurs de ressources humaines, et d'autres cadres d'entreprises assez importantes, soit d'entreprises de taille moyenne et de grande taille.
Nous avions préparé une série de questions pour notre expérience. Nous leur avons demandé d'étudier ces questions et d'y répondre par rapport à leurs entreprises. Nous leur avons d'abord demandé si les travailleurs âgés étaient plus lents que les autres travailleurs et donc moins productifs. Le consensus était que même si ces travailleurs étaient peut-être légèrement plus lents que les autres, ils n'étaient certainement pas moins productifs, puisque la précision de leur travail et leur expérience compensaient pour toute lenteur.
Puis nous leur avons demandé si les travailleurs âgés s'absentaient plus souvent pour des raisons de maladie. Pratiquement dans tous les cas on a dit que s'il y avait une différence on ne l'avait pas notée.
Nous leur avons demandé si les employés plus âgés étaient moins consciencieux. Sont-ils moins ponctuels? Prennent-ils plus souvent congé? S'il ne fait pas beau, qu'il y a de la pluie verglaçante, est-ce que ce sont les travailleurs âgés qui s'absentent ou qui arrivent en retard? Encore une fois la réponse a été non. On nous a dit que les employés âgés ont tendance à arriver au travail plus tôt que les autres et ont tendance à rester plus tard.
Nous leur demandions comme dernière question: puisque c'est là la situation, pourquoi n'employez-vous pas un plus grand nombre de ces employés parfaits? Ils nous ont répondu n'y avoir jamais pensé de cette façon-là.
Ce qu'il faut faire, et ce que nous essayons de faire, s'il y a des options et si un projet est efficace, c'est de sensibiliser les employeurs canadiens quant à la valeur des travailleurs âgés. Le travailleur âgé est un atout. Il est très regrettable qu'on rejette simplement cet atout.
Le président: Monsieur Regan.
M. Regan: Je tiens à vous remercier, messieurs, d'être venus aujourd'hui.
J'aimerais m'attarder à un aspect particulier du projet de loi. Je sais que vous avez toute une gamme de préoccupations. Il y a une question qui m'intéresse tout particulièrement. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Il s'agit de l'aspect structurel du projet de loi.
Vous avez dit qu'on supposait dans le projet de loi qu'il y avait abus du programme d'assurance-chômage, et je comprends ce à quoi vous voulez en venir. Cependant, je crois qu'il faut accepter qu'il y ait dans le projet de loi des encouragements afin de s'assurer que les gens auront des raisons de travailler plus longtemps que la période minimale d'admissibilité à l'assurance-chômage. Je crois que tout le monde reconnaît que c'est là une chose nécessaire. Cela me semble bien logique. Ce qui me semble plutôt étrange c'est que l'on propose dans ce projet de loi un système qui... On propose d'établir un dénominateur, ce qui veut dire qu'on diviserait par ce chiffre la période...
Permettez-moi d'expliquer. Prenons l'exemple d'une région où le taux de chômage est élevé. En ce moment, vous devez travailler l'équivalent de 12 semaines, et désormais d'heures, pour être admissibles. Mais pour déterminer le revenu en fonction duquel seront calculées les prestations d'assurance-chômage, on étudie les 16 semaines précédant la présentation de la demande de prestations d'assurance-chômage. On ajoute donc quatre semaines. Dans certaines régions, des régions caractérisées par un fort taux de chômage, il s'agit peut-être de trois semaines et dans d'autres de quatre semaines. Dans les régions où le taux de chômage n'est pas très élevé, on n'ajoute aucune semaine à la période originale de 12 semaines.
Cela me semble injuste. À mon avis, le dénominateur devrait être un nombre de semaines en sus du nombre de semaines minimum pour l'admissibilité au programme et ce chiffre devrait être le même dans tout le pays. Il s'agirait d'un système plus juste. Par exemple, si on ajoutait deux semaines...
Je crois également que cela ne pénaliserait pas vraiment les travailleurs. Les gens essaieraient de s'adapter à la situation; de toute façon, puisque vous voulez encourager les gens à conserver leurs emplois plus longtemps, ces propositions ne nuiraient pas indûment aux travailleurs.
Si dans les régions où les gens ont l'équivalent de 12 semaines de travail on se servait d'un dénominateur de 14, et que dans les régions où il y a 20 semaines de travail on se servait d'un dénominateur de 22 semaines, ça serait beaucoup plus juste pour tous les travailleurs; et cela inclurait évidemment les travailleurs âgés. Je m'imagine l'impact de cette proposition dans ma région, par exemple, le Canada atlantique. Je crois que les gens seraient traités de façon beaucoup plus juste et équitable de cette façon.
Que pensez-vous de cette proposition?
M. Aitkens: Cette mesure, à mon avis, vise à s'assurer que les travailleurs qui connaissent des périodes de faibles revenus pendant la période d'admissibilité ne seront pas pénalisés pour cette perte de revenus. Mais cela ferait baisser les prestations auxquelles ils seront admissibles. Est-ce que vos propositions visent à remédier à ce problème?
M. Regan: Oui. Par exemple, il se pourrait que dans le cadre du régime actuel, si vous n'avez pas travaillé pendant... Supposons que vous avez travaillé 12 semaines pendant l'année, et pendant une longue période. Dans le cadre des mesures actuelles, on étudierait les 16 semaines précédant la présentation de votre demande pour faire le calcul moyen de votre revenu pendant cette période.
Ce n'est là qu'un aspect du problème. Il y a un autre problème, la période d'interruption qui intéresse vivement mon collègue, M. Scott, qui nous a quittés tout à l'heure. On essaie toujours de composer avec ce problème.
Pour ce qui est de la durée du dénominateur - en d'autres termes, la période supplémentaire nécessaire pour encourager les gens à travailler le plus longtemps possible - devrait-on prévoir deux semaines ou quatre semaines de plus? Est-ce qu'il faudrait prévoir un dénominateur qui varierait selon la région? À mon avis, il faudrait avoir un dénominateur uniforme pour tout le pays. De plus, je crois que deux semaines devraient suffire parce que cela pénaliserait moins les travailleurs, tout particulièrement ceux qui viennent des régions qui connaissent un taux de chômage élevé.
M. Aitkens: Pour être honnête, je ne vois pas l'avantage que cela présente pour le travailleur âgé; je ne crois donc pas pouvoir vous éclairer. Je ne pourrais que vous donner mon opinion sur le problème dont vous avez fait état, et je ne crois pas que je sois vraiment un expert dans le domaine.
M. Regan: Très bien. Peut-être pourrons-nous y revenir après les autres questions.
Le président: Monsieur McCormick.
M. McCormick (Hastings - Frontenac - Lennox and Addington): Merci beaucoup, messieurs. Je me souviens vous avoir rencontrés il y a près d'un an lorsque le comité étudiait la réforme des programmes sociaux.
Je crois que nous reconnaissons tous que les travailleurs âgés voudraient contribuer à la société. C'est ce que je note dans ma circonscription, qui entoure en fait la ville de Kingston. Nous avons de grandes entreprises dans la région qui ont mis à pied des centaines de travailleurs et l'activité économique dans la région représente près d'un milliard de dollars. Les entreprises embauchent quelques centaines de travailleurs; mais on ne rappelle pas les travailleurs âgés au travail, et c'est très difficile à accepter. Ces entreprises se privent du talent des travailleurs âgés, talent qu'on ne reconnaît pas.
Ce projet de loi pourrait à certains égards être fort utile... J'aimerais signaler en passant que la plus grande crainte des gens en Amérique du Nord c'est de prendre la parole en public. Le plus grand rêve des gens de cette région du monde, leur plus grand désir, leur objectif c'est d'être en affaires. C'est remarquable. Souvent quand vous parlez à des professionnels ils ne semblent pas penser qu'ils sont en affaires. Je pense aux professeurs, aux travailleurs d'usine, aux ingénieurs - ils voudraient tous être en affaires.
Je crois que ces gens qui sont mis à pied, en raison de leur talent et de leur expérience, pourront recevoir une aide grâce aux mesures d'aide au travail indépendant; si on réservait un montant prévu pour une période ne dépassant pas douze mois, cela permettrait d'offrir bien des débouchés à ces travailleurs. Je me demande si vous vous êtes penchés sur la question? Est-ce que ce programme pourrait être utile?
M. Aitkens: Oui, nous avons étudié cette question. Je vous laisserai copie de notre dernier communiqué, dans lequel nous avons procédé à une analyse sommaire du projet de loi. Voici un des commentaires qu'on y fait:
- Un autre avantage pour les travailleurs âgés sera les dispositions qui visent à aider les Canadiens
qui veulent devenir des travailleurs indépendants. C'est une option qui est offerte à ceux qui
sont forcés de prendre une retraite anticipée, laquelle pourrait être à l'avantage des travailleurs
d'expérience car ils pourront ainsi découvrir qu'ils peuvent vendre leurs talent et compétences à
titre de travailleurs indépendants ou qu'ils désireront peut-être mettre sur pied une petite
entreprise créant ainsi des emplois supplémentaires dans l'économie canadienne. Les nouvelles
mesures permettront de verser des prestations d'assurance-emploi aux prestataires pendant
qu'ils participent à des cours de formation et mettent sur pied leur entreprise.
M. McCormick: Merci. Lorsque j'étais chez moi pendant la fin de semaine, John, j'ai vu un article dans un quotidien sur les options financées par DRH, et j'ai bien hâte de voir comment les choses se concrétiseront. Ce programme est vraiment nécessaire, et j'espère que vous nous fournirez les renseignements pertinents dès qu'ils seront disponibles.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur McCormick. Nous passerons maintenant à M. Crête puis à Mme Jennings.
[Français]
M. Crête (Kamouraska - Rivière-du-Loup): Je pense que vous nous avez convaincus, en tout cas vous m'avez convaincu que la réforme va accroître la discrimination systémique qui pouvait déjà exister dans le système actuel. Les changements proposés vont l'accroître.
Est-ce qu'il ne faudrait pas deux éléments au départ? Il faudrait que le gouvernement dise clairement s'il s'organisera pour utiliser au maximum le potentiel des ressources humaines plutôt que de faire la course à la productivité comme c'est le cas actuellement. Deuxièmement, ne faudrait-il pas qu'il y ait une approche plus intégrée pour les gens du troisième âge? J'ai des questions liées à la question de la pension de vieillesse qui me brûlent la langue.
Tout ce que vous dites en ce qui concerne les gens qui sont sur l'assurance-chômage est lié à la réforme des pensions de vieillesse qui arrive. Ne devrait-il donc pas y avoir une approche intégrée du gouvernement en rapport avec ce lien?
Troisièmement, au sujet de la règle d'intensité, on doit comprendre qu'il y aura une diminution du salaire de 1 p. 100 par 20 semaines. Cela aura un effet négatif beaucoup plus important chez les personnes âgées à cause de leur mobilité. Qu'est-ce qui doit être fait? Qu'est-ce que vous suggéreriez? Est-ce qu'il faut supprimer tout simplement la règle d'intensité? Avez-vous d'autres solutions?
[Traduction]
M. Aitkens: Je suppose, comme je l'ai dit un peu plus tôt, que j'essaierais de mettre sur pied un mécanisme permettant d'identifier la cause du chômage, la perte de cet emploi en particulier ou peu importe. Je ne crois pas qu'il soit juste de pénaliser une personne pour des circonstances sur lesquelles elle n'a aucune prise. Dans le meilleur des mondes, si quelqu'un quittait son emploi parce qu'il voulait simplement recevoir des prestations d'assurance-chômage, il y aurait une façon de pénaliser cette personne, de lui taper sur les doigts ou de lui offrir des prestations moins élevées.
Pensez au particulier dans une collectivité où le seul emploi disponible n'offre pas de période ininterrompue d'emploi. Le travailleur ne peut rien à ces circonstances. Comme je l'ai dit plus tôt, un travailleur âgé aura plus de difficultés à quitter cette collectivité et à se déplacer là où il pourrait trouver un emploi plus régulier. Je crois que cette question mérite une plus grande attention et je suis très heureux que vous ayez parlé du problème.
Pour ce qui est de votre deuxième question, je crois qu'il ne faut pas oublier le contexte plus général et la capacité des gens de se tirer d'affaire eux-mêmes. Il y a des choses dont les gens devraient être responsables de sorte à maximiser leurs perspectives.
Ce que je dis semble un peu vague. Ce que j'essaie de dire c'est que la capacité d'une personne d'économiser pour sa retraite, par exemple, et de mettre des sous de côté, de prendre soin de sa famille - toutes ces choses sont une priorité pour l'individu; nous devrions donc mettre sur pied des systèmes qui permettent à l'individu de faire ces choses du mieux possible, et nous ne devrions certainement pas créer des systèmes qui empêchent ces gens de s'occuper de ces choses, qui minent leur capacité à le faire. Pour ce qui est du secteur de l'éducation, je crois que les gens auront de plus en plus de difficultés à financer leurs études parce que les frais de scolarité seront beaucoup trop élevés. Vers la cinquantaine, vous aurez finalement remboursé votre prêt étudiant, et il sera à ce moment - à trop tard pour commencer à économiser pour votre retraite. Je crois qu'il faut tenir compte des grands événements qui caractérisent la vie du travailleur.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Crête. Madame Jennings.
Mme Jennings: J'aimerais tout d'abord vous dire que cela m'a beaucoup intéressée d'entendre les questions que vous avez posées aux gens d'affaires, John. Je crois que cela a vraiment confirmé ce que nous savions déjà - que nos travailleurs âgés respectent un code d'éthique du travail, ils l'ont toujours fait. Les résultats de cette enquête m'ont beaucoup intéressée.
Certaines des choses que j'ai lues récemment m'inquiètent. Par exemple, le rapport Caledon, je crois, de juin 1995 donne les statistiques suivantes: 65 ans est identifié comme l'âge de la retraite, mais en fait, 60 p. 100 des hommes et 70 p. 100 des femmes prennent leur retraite avant l'âge de 65 ans, et 27 p. 100 des hommes et 38 p. 100 des femmes prennent leur retraite avant l'âge de 60 ans. Dans certains cas, il s'agit d'une retraite obligatoire et dans d'autres cas d'une retraite anticipée volontaire. Je sais que parfois on vous offre des primes spéciales, ou parfois votre régime de retraite vous permet de prendre votre retraite plus tôt, qu'il s'agisse d'un régime privé ou d'un régime public. Parfois, malheureusement, vous devrez cesser de travailler pour des raisons de santé, ou simplement parce que vous avez perdu votre emploi. Ce qui nous ramène à la question dont nous sommes saisis aujourd'hui.
Ces pourcentages m'inquiètent, et je me demande si John ou Andrew pourraient nous donner des chiffres sur le nombre de gens âgés entre 45 ans et 65 ans, le groupe qui nous intéresse, qui prennent leur retraite de façon volontaire; j'aimerais connaître le pourcentage de gens qui sont touchés directement parce qu'ils ne peuvent avoir accès à des programmes de formation ou de recyclage. Il s'agit de certains des problèmes dont vous avez fait état.
M. Paterson: C'est une question intéressante, parce que jusqu'à il y a environ deux ans, presque tous les bureaux de placement de personnes âgées au Canada, à l'exception de ceux de l'Alberta, faisaient affaire avec les gens âgés de 55 ans ou plus. Il y a deux ans, DRHC a décrété que la définition d'un travailleur âgé était maintenant quiconque a plus de 45 ans et que tout bureau de placement qui recevait des fonds de DRHC par l'entremise de l'un ou l'autre de ses programmes, serait tenu de répondre aux besoins des travailleurs déplacés âgés de 45 ans et plus.
Cela nous a créé un très gros problème à cause des besoins des gens âgés de 45 ou de 47 ans, qui ont encore des engagements énormes, qui dans bien des cas ont suivi des séances de counselling, et parce que beaucoup de nos bureaux n'étaient pas prêts et n'avaient pas le personnel nécessaire. Tout le personnel était composé de bénévoles et on ne disposait pas du personnel voulu pour offrir ce genre de counselling approfondi dont ont besoin les gens de cet âge.
Pour ces gens-là, il est souvent beaucoup plus urgent de trouver du travail que dans l'exemple que vous avez donné de quelqu'un est mis à pied ou que l'on remercie de ses services en lui offrant une indemnité plus ou moins généreuse et qui dispose par conséquent de fonds lui permettant de subvenir à ses besoins au cours de la période initiale. Cela nous a donc posé un gros problème.
En fait, nous nous attendions à être complètement submergés. Nous craignions de vois tous les gens âgés de 45 ans et plus venir frapper à notre porte. Ce n'est pas arrivé. À l'heure actuelle, environ 7 p. 100 des gens dont nous occupons ont de 45 à 50 ans. La plupart de nos clients ont de 50 à 60 ans.
Nous constatons maintenant que les gens du groupe d'âge que nous recevions surtout auparavant, ceux âgés de 60 ans et plus, viennent de moins en moins chercher du travail chez nous. J'ignore si c'est parce qu'ils ont renoncé, ou bien parce qu'ils ont lu des histoires à dresser les cheveux sur la tête comme quoi qu'il est impossible pour les personnes âgées de trouver du travail, et s'ils se sont dit qu'il valait mieux se contenter de leur pension et s'en accommoder... C'est peut-être l'explication, mais quoi qu'il en soit, ces gens-là ont disparu. Ils n'ont pas disparu entièrement, mais leur nombre a beaucoup baissé.
Est-ce que ça répond à votre question?
Mme Jennings: Oui, merci.
M. Aitkens: Si je peux me permettre, j'ai ici quelques autres chiffres qui pourraient vous être utiles et que vous trouverez peut-être intéressants.
Parmi ceux qui ont pris leur retraite plus tôt qu'ils ne l'avaient prévu, 28 p. 100 l'ont fait à cause de maladie ou d'invalidité; 42 p. 100 à cause de facteurs économiques, et cela comprend la mise à pied ou la retraite forcée assortie d'une indemnité; et 30 p. 100 pour d'autres raisons. Cette dernière catégorie comprend la nécessité de s'occuper d'un parent ou d'un ami; le simple fait de vouloir cesser de travailler; et ceux qui n'ont pas donné de réponse. C'est très donc très diversifié. Mais il est intéressant de constater que 42 p. 100 d'entre eux ont été mis à pied ou bien ont bénéficié d'un quelconque encouragement à la retraite.
Mme Jennings: Merci beaucoup.
Le président: Madame Jennings, cela met-il fin à vos questions?
Mme Jennings: Oui.
Le président: Au nom du comité, je vous remercie beaucoup pour votre intervention et pour avoir soulevé des points très importants dont nous tiendrons dûment compte, je vous en donne l'assurance.
Comme nous l'avons fait la semaine dernière, je voudrais demander à M. Regan de rédiger une version plus étoffée de ce qu'il disait tout à l'heure au sujet du dénominateur et de me la faire parvenir. Je voudrais que ce travail soit complété d'ici lundi, de la même manière que la député Jean Augustine s'est penchée sur la question du supplément de revenu familial en rapport avec la règle de l'intensité et que M. Scott en fait autant au sujet de l'écart. C'est donc pour lundi. C'est bien compris? Très bien.
Monsieur Paterson et monsieur Aitkens, je vous remercie beaucoup pour votre présentation. Il reste à espérer que nous réussirons à améliorer ce projet de loi.
[Français]
M. Crête: J'espère seulement que le fromage comportera tellement de trous à la fin qu'il n'aura plus le même goût qu'au début. Est-ce que vous comprenez ce que je veux dire?
[Traduction]
Le président: Oui, nous nous améliorons toujours.
La séance est levée. Nous aurons une autre réunion demain à 9 heures à la pièce 237-C. Bonne soirée.