[Enregistrement électronique]
Le mercredi 4 décembre 1996
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Bienvenue à vous tous. Cet après-midi nous poursuivrons notre examen du projet de loi C-66, Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence.
Nous avons le plaisir d'accueillir les porte-parole de l'Association des banquiers canadiens. Il s'agit de M. Fred Cowell, vice-président, Opérations et administration, Ressources humaines, Banque de Montréal; M. Santo Alborino, président, directeur principal, Relations de travail et professionnelles, Banque de Montréal; et Dave Dorward, directeur des relations industrielles, Banque CIBC.
Vous avez à peu près une heure. Vous pourriez prendre dix à 15 minutes pour nous présenter les points saillants de votre mémoire après quoi nous passerons aux questions. Au nom du comité, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue. Vous avez la parole.
M. Fred Cowell (vice-président, Opérations et administration, Ressources humaines, Banque de Montréal): Merci, monsieur le président. Je ne vais pas refaire les présentations puisque vous l'avez déjà si bien fait.
Le secteur bancaire, et plus particulièrement l'Association des banquiers canadiens - que j'appellerai dorénavant l'ABC - se réjouit d'avoir l'occasion de présenter son point de vue sur le projet de loi C-66 au comité. L'ABC a souscrit avec enthousiasme à l'initiative du gouvernement de réviser la partie I du Code canadien du travail et de constituer le groupe de travail Sims pour mener à bien cette révision, laquelle s'imposait de longue date.
Le monde du travail a radicalement changé depuis le début des années 1970. Plus particulièrement, on assiste à la mutation des besoins, tant des employés que des employeurs. Le secteur bancaire souhaite vivement que l'environnement réglementaire évolue au rythme de la transformation du marché du travail et de la conjoncture économique. C'est pourquoi nous avons pleinement pris part aux audiences menées par le groupe de travail Sims ainsi qu'au processus de consultation sur le rapport du groupe de travail déclenché par l'actuel ministre du Travail, l'honorable Alfonso Gagliano, dans l'espoir de contribuer à la modernisation du cadre législatif des relations industrielles du Canada.
L'ABC représente les 52 banques à charte du Canada. Ces banques et leurs filiales emploient plus de 206 000 Canadiens au pays, dont environ 90 p. 100 travaillent dans les huit grandes banques. Le secteur bancaire possède actuellement 19 unités de négociation représentant quelque 2 450 employés, soit un peu plus de 1 p. 100 de la main-d'oeuvre. La plus importante unité de négociation compte environ 1 800 employés.
Bien qu'un très petit nombre d'employés soient syndiqués, l'industrie bancaire souscrit pleinement à la liberté syndicale et à la libre négociation collective, lorsqu'une majorité d'employés choisissent ce mode de gestion des relations entre employeurs et employés.
La négociation collective peut se révéler efficace dans certaines circonstances, quoique nous ne soyons pas d'avis que cette approche donne nécessairement de meilleurs résultats que les autres options à la disposition des employeurs.
Toutes les approches comportent des avantages et des inconvénients. Nous croyons que toute approche doit favoriser une communication ouverte, efficace et bilatérale, la souplesse et un engagement de la part de l'employé.
Le groupe de travail Sims a cerné avec à-propos les valeurs et les intérêts opposés qu'il est nécessaire d'examiner afin de maintenir un système de relations de travail à la fois stable et souple, et a produit un rapport digne de mention intitulé Vers l'équilibre.
Nous appuyons l'approche générale du rapport et nous croyons que l'équilibre recherché entre les intérêts et les pouvoirs syndicaux-patronaux a été en grande partie atteint. Cependant, cet équilibre pourrait se rompre si l'on devait modifier considérablement l'une ou l'autre des recommandations qui influent sur la négociation collective ou en ajouter de nouvelles.
À notre avis, le traitement accordé à la question des travailleurs de remplacement dans le projet de loi C-66 fait basculer l'équilibre atteint par la juste approche du groupe de travail Sims. Le présent mémoire se penche sur cet enjeu et sur plusieurs autres afin de démontrer que le projet de loi ne répond pas aux besoins des parties syndicales et patronales, car il ne prévoit pas le traitement approprié et impartial qui est si important pour permettre aux syndicats et aux employeurs de fonctionner efficacement dans un monde des affaires caractérisé par la concurrence.
Nous ne répéterons pas nos commentaires sur toute la gamme de sujets que nous avons abordés précédemment avec le groupe de travail et le ministre, mais nous ferons porter nos commentaires directement sur les questions que soulèvent les dispositions du projet de loi.
Toutefois, étant donné que nous avons d'importantes réserves quant à la question des travailleurs de remplacement, nous joignons en annexe à notre mémoire un exposé complet de notre point de vue sur cet enjeu.
Permettez-moi de commencer par la question du recours aux travailleurs de remplacement. L'énoncé du nouveau paragraphe 94(2.1) que l'on retrouve dans le projet de loi, lequel porte sur le recours aux travailleurs de remplacement, est tout à fait inadéquat. Il ne procure aucun équilibre, aucune clarté ni aucune directive sur cette question des plus délicates; ce serait une erreur d'adopter le projet de loi sans modifier ce libellé.
La disposition ne tient pas compte de la recommandation majoritaire du rapport du groupe de travail. Elle ne fournit aucune directive au Conseil canadien des relations industrielles pour déterminer si un employeur qui a recours à des travailleurs de remplacement agit dans le but de miner la capacité de représentation d'un syndicat et non pas dans la poursuite d'intérêts légitimes dans le cadre de la négociation collective. Nous prévoyons qu'elle se traduira par le dépôt de litiges devant le Conseil chaque fois que des travailleurs de remplacement seront embauchés. Cette disposition est quelque peu choquante car elle lie directement le recours aux travailleurs de remplacement à une intention de négocier de mauvaise foi.
C'est pourquoi l'ABC recommande plusieurs modifications visant à clarifier cette disposition. Premièrement, la loi devrait indiquer clairement que le recours à des travailleurs de remplacement constitue une option légitime pour un employeur en situation de grève. Deuxièmement, elle devrait exiger que, si une accusation de pratique de travail déloyale est déposée devant le Conseil en raison d'un recours à des travailleurs de remplacement, et avant que le Conseil puisse interdire un tel recours, le Conseil fasse la preuve: la conduite de l'employeur est motivée par une volonté anti-syndicale; l'employeur s'est engagé dans une ligne de conduite avec l'intention claire de miner la capacité de représentation d'un syndicat, plutôt que d'atteindre des objectifs de négociation légitimes, et la conduite de l'employeur a gravement nui aux relations de négociation collective.
Monsieur le président, il nous semble qu'il devrait y avoir un critère qu'utiliserait le Conseil en pareil cas et nous recommandons que le critère retenu soit celui que nous venons d'exposer.
Examinons maintenant la question des travailleurs à distance. L'ABC s'oppose au nouvel article 109.1 du projet de loi qui autorise le Conseil canadien des relations industrielles, à la demande d'un syndicat, d'ordonner à un employeur de fournir les noms et les adresses des employés qui travaillent à distance - son ordonnance pouvant autoriser un syndicat à utiliser tout moyen électronique que l'employeur utilise pour communiquer avec ses employés.
Les syndicats ayant déjà accès à bon nombre de travailleurs dont le lieu de travail ne fait pas partie des locaux de l'employeur, il semble clair que cette disposition vise les employés qui travaillent en ayant recours à de nouveaux moyens, fort probablement à domicile, c'est-à-dire des «travailleurs à domicile» ou des «télétravailleurs».
Le groupe de travail Sims souligne avec à propos que le lieu de travail est en mutation et que l'on assiste à l'émergence d'une nouvelle catégorie de travailleurs. En outre, le dernier chapitre du rapport est consacré à une discussion sur les répercussions possibles de cette mutation et sur la nécessité d'examiner plus à fond cet enjeu. On ne connaît pas suffisamment ce type d'employés - qui ils sont, où et comment ils travaillent et quel en est le nombre. Nous sommes aussi pleinement d'avis qu'il est nécessaire d'examiner cet enjeu plus à fond avant de modifier la loi.
Qui plus est, le Ministre du travail a lancé plusieurs initiatives visant à examiner les changements que subit le monde du travail et les nouveaux besoins des employeurs et des employés. À titre d'exemple, notons l'initiative de réflexion collective sur les changements dans le marché du travail, le forum national sur l'autoroute de l'information afin d'en étudier les répercussions sur l'emploi et, enfin, la révision de la partie III du Code canadien du travail. Aucune de ces initiatives n'a eu lieu depuis suffisamment longtemps pour permettre d'examiner ces enjeux complexes, de mener les recherches requises, de tirer des conclusions ou d'élaborer des recommandations.
La disposition autorisant un syndicat à utiliser le système de communication électronique de l'employeur constitue une ingérence injustifiée dans la vie privée de l'employeur. En fait, à la lumière d'une récente décision rendue par la Cour suprême du Canada, nous sommes préoccupés par la possibilité que cette ingérence dans les mécanismes de communication privée viole la liberté d'expression de l'employeur que prévoit la Charte canadienne des droits.
La divulgation de renseignements personnels sur un particulier par un tiers, sans le consentement du particulier, aurait un impact majeur sur son droit à la vie privée. Le secteur bancaire recommande de retirer, pour le moment, du projet de loi C-66 la disposition applicable aux travailleurs à distance, de sorte que l'on puisse examiner à fond et comprendre la croissance du nombre de travailleurs à distance, le type de travail qu'ils effectuent et pourquoi ils travaillent à distance.
J'aimerais maintenant commenter la question de l'accréditation et des pratiques de travail perçues comme étant déloyales. Le nouvel article 99.1 du projet de loi autorise le Conseil à accréditer un syndicat, même sans preuve de l'appui de la majorité des employés.
Il doit incomber au Conseil d'établir s'il y a pratiques de travail déloyales de la part d'un employeur au moment où un syndicat cherche à obtenir une accréditation. À notre à vis, il est tout à fait déraisonnable d'espérer que le Conseil puisse déterminer si le syndicat est en mesure d'obtenir ou non un appui majoritaire, en particulier si le nombre des employés ayant signé une carte syndicale n'a jamais dépassé 50 p. 100.
L'ABC recommande de modifier l'article 99.1 du projet de loi de manière à prévoir que, dans le cas où un employeur est reconnu coupable de s'être engagé dans une pratique susceptible d'avoir miné - on dit bien «susceptible d'avoir miné» - la capacité d'un syndicat d'obtenir des cartes signées, le Conseil soit tenu de superviser un scrutin secret afin de déterminer si le syndicat obtient l'appui de la majorité des employés aux fins de l'accréditation.
Enfin, en ce qui a trait aux droits du successeur, l'ABC est en désaccord avec la disposition qui prévoit que, lorsqu'un changement d'activité ou une vente se traduit par la prise de contrôle d'une entreprise de régie provinciale par une entreprise de régie fédérale à laquelle s'applique la partie I du Code, le syndicat qui a agi à titre d'agent négociateur au nom des employés de l'entreprise de régie provinciale devrait continuer d'agir à ce titre en vertu de la partie I, et la convention collective en vigueur au sein de l'entreprise de régie provinciale devrait continuer d'avoir effet et lier le nouvel employeur.
Le projet de loi n'a pas tenu compte des complications considérables que pourrait entraîner au chapitre des relations de travail le maintien automatique de la convention existante. Il se peut que la convention négociée par les parties dans un contexte provincial soit totalement inapplicable dans l'environnement législatif fédéral. La base en vertu de laquelle le syndical a initialement obtenu les droits de négociation peut varier d'une province à l'autre ainsi qu'entre les paliers provinciaux et fédéraux.
La distinction entre une entreprise de régie provinciale et une entreprise de régie fédérale n'est pas qu'une simple considération d'ordre technique, mais elle reflète la répartition constitutionnelle des pouvoirs au Canada. Une entreprise qui passe d'une compétence à une autre a de fortes chances de modifier sa forme ou sa nature.
Les droits du successeur, c'est-à-dire le transfert automatique des droits de négociation et des dispositions d'une convention collective, ne sont pas appropriés dans ces circonstances. L'ABC recommande donc de modifier le paragraphe 44(3) de la Loi afin d'exiger que le syndicat de régie provinciale obtienne l'accréditation fédérale dans ces circonstances. Si l'unité d'employés que le syndicat représentait sous compétence provinciale demeure appropriée aux fins d'accréditation dans la nouvelle entreprise fédérale, une telle accréditation devrait s'obtenir facilement auprès du Conseil.
Monsieur le président, voilà qui résume les préoccupations du secteur bancaire à l'égard du projet de loi C-66. Mes collègues et moi-même nous ferons un plaisir de répondre à vos questions et nous vous remercions encore une fois de nous avoir invités à comparaître.
Le président: Merci, de cet exposé très réfléchi. Vous entendrez sans doute la sonnerie. Nous devrons aller voter dans environ 20 minutes, de sorte que nous avons entre 15 et 18 minutes pour les questions.
Nous commencerons par le Bloc. Monsieur Nunez.
[Français]
M. Nunez (Bourassa): J'ai écouté avec beaucoup d'attention l'exposé de l'Association des banquiers canadiens. Je l'examinerai de plus près plus tard.
Je constate que vous regroupez 206 000 employés dont 95 p. 100 sont dans huit banques; c'est-à-dire qu'il y a beaucoup de petites banques. Je m'aperçois aussi, et c'est une surprise pour moi, qu'il y a 19 unités de négociation pour 2 450 employés. Il y a de très petites unités et une grande unité de négociation, et donc beaucoup de déséquilibre.
Souvent, le mouvement syndical se plaint de ce que les campagnes d'organisation sont presque impossibles dans le secteurs des banques. Les syndicats vous accusent d'être contre eux.
J'ai vu à la télévision le conflit à la Banque Laurentienne. Je pense que cette banque fait partie de votre association. Les relations de travail y sont très pénibles.
Pourriez-vous m'expliquer pourquoi un si petit nombre d'employés sont syndiqués dans le secteur bancaire alors que dans d'autres entreprises sous juridiction fédérale, par exemple les chemins de fer, le taux de syndicalisation est très élevé? Pourquoi vous accuse-t-on d'être farouchement contre les syndicats et d'utiliser des tactiques d'intimidation lors des campagnes d'organisation? Pourriez-vous m'expliquer cette situation?
[Traduction]
M. Cowell: Merci, monsieur. Le secteur bancaire a à maintes reprises encaissé des coups, pour ainsi dire, devant le Conseil canadien des relations de travail. Nous avons été accusés et trouvés parfois coupables parfois innocents de pratiques de travail déloyales. Nous connaissons fort bien les pouvoirs du Conseil et la portée de la loi.
Personne n'a encore démontré, bien franchement, que nous avons une attitude antisyndicale. Je ne crois pas du tout que cela soit le cas.
Quant à votre question de savoir pourquoi si peu de nos employés ont choisi de se syndiquer ou d'être représentés...
M. Nunez: Environ 10 p. 100?
M. Cowell: C'est 1 p. 100.
M. Nunez: C'est 1 p. 100?
M. Cowell: C'est un peu plus de 1 p. 100.
M. Nunez: Oui, c'est exact.
M. Cowell: À mon avis, la réponse c'est que nous sommes très avant-gardistes dans notre attitude envers les employés, dans nos programmes d'avantages sociaux et dans nos systèmes de rémunération. Je ne peux que conclure que notre style de gestion est tel que nos employés ont choisi de ne pas se syndiquer.
Depuis 1970, le taux de syndicalisation n'a jamais dépassé 3 p. 100 de nos employés.
[Français]
M. Nunez: Donc, vous êtes d'accord pour moderniser le Code canadien du travail. Depuis les années 1970, il y a eu beaucoup de modifications dans l'organisation du travail. Mais, dans les faits, tout ce que vous nous dites, c'est que vous vous opposez à certaines dispositions essentielles du Code, par exemple au paragraphe 42(2) qui traite des travailleurs de remplacement. Cette disposition est qualifiée de très faible par les syndicats. C'est un problème important pour le mouvement syndical. Vous croyez que cette disposition va trop loin et vous voulez l'affaiblir, voire même la faire disparaître. Dans votre amendement, je vois que toute preuve ayant trait aux tactiques déloyales de l'employeur est... On ne peut prouver cela. Le conflit va s'éterniser et il n'y aura pas de solution à ce conflit. Comment expliquez-vous que vous vous opposez à une disposition très faible, soit le paragraphe 42(2)?
[Traduction]
M. Dave Dorward (directeur des relations industrielles, Banque CIBC; Association des banquiers canadiens): Je me permets d'expliquer que la CIBC compte en réalité cinq unités de négociation dont l'une est assez importante par rapport à ce qui existe ailleurs dans le secteur bancaire. Il s'agit du Centre Visa à Toronto, qui compte grosso modo 500 employés, ce qui, par rapport à la norme dans le secteur bancaire, est assez important.
Les syndicats que nous avons couvrent toute la gamme, depuis les Métallurgistes unis jusqu'au Syndicat national de l'automobile, en passant par le syndicat de la fonction publique de la Colombie- Britannique, et nous avons au Québec l'Union internationale des travailleurs et travailleuses de l'alimentation et du commerce.
En réalité, nous avons de très bonnes relations avec les syndicats. Je suis certain que si vous leur parlez... D'ailleurs, au Québec, l'Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce vient de placer ses fonds syndicaux auprès de la CIBC ce qui, je crois, est révélateur.
Cela mis à part, et pour revenir à votre question concernant les travailleurs de remplacement, j'ai participé aux audiences avec le ministre et à celles du groupe de travail qui a tenu des audiences partout au Canada. L'un de nos principaux problèmes avec ce projet de loi concerne les travailleurs de remplacement. À la suite de ces audiences, les employeurs et les syndicats ont abandonné leur position initiale pour en arriver à un compromis que reflétait le rapport du groupe de travail Sims. Ce qui fait défaut dans tout cela...
M. Nunez: Pas dans tout cela... Revenons-en à la question.
M. Dorward: En fait, ce qui fait défaut... La recommandation du groupe de travail disait explicitement que là où il était possible de démontrer que l'employeur a eu recours à des travailleurs de remplacement pour miner la capacité de représentation du syndicat et non pour atteindre des objectifs de négociation légitimes... Voilà ce qui a été omis dans le projet de loi: «plutôt que d'atteindre des objectifs de négociation légitimes».
Ainsi, pour nous - et les syndicats nous ont indiqué clairement leur intention - le problème est que l'utilisation des travailleurs de remplacement fera l'objet de contestations judiciaires. D'un point de vue économique, je ne crois pas que le pays souhaite cela. Bien franchement, je ne suis pas convaincu que les syndicats aient souhaité cela au départ. Voilà pourquoi il y a eu un compromis que reflétait le rapport du groupe de travail Sims. Et voilà ce qui fait défaut dans ce projet de loi.
Le président: Vous avez une dernière question.
[Français]
M. Nunez: C'est incroyable que seulement 1 p. 100 de vos employés soient syndiqués, parce que les gens se plaignent de divers problèmes. Les six premières banques, les plus grandes banques, ont réalisé plus de six milliards de dollars de profit cette année, mais en même temps, on a fait beaucoup de licenciements collectifs et les gens se plaignent. Il n'y a pas de protection en ce qui a trait à la sécurité d'emploi.
Au Québec, vous savez que nous avons des dispositions antibriseurs de grève. Au début, les employeurs s'y opposaient farouchement. Cependant, aujourd'hui, ils les acceptent. Je ne sais pas si vous venez du Québec, mais il y a là un climat de relations industrielles plus paisible. Il y a plus d'harmonie, il y a moins de conflits et les conflits durent moins de temps. Comment expliquez-vous cela? Vous vous opposez à cela ici, mais au Québec, cela fonctionne et les employeurs, semble-t-il, sont plutôt satisfaits.
[Traduction]
M. Dorward: Pour répondre à cela, je vous dirai que je ne connais pas parfaitement le climat des relations de travail au Québec. Pour notre part, nous croyons - et je soupçonne que beaucoup d'autres vous ont présenté le même point de vue - que le rapport Sims reflétait un compromis. Pourquoi le gouvernement ou le comité a-t-il choisi d'écarter ce compromis? C'était un compromis qu'avaient accepté les deux parties qui avaient renoncé à leur position initiale pour trouver un juste milieu.
Le compromis que proposait Andy Sims était acceptable aux deux parties. Plus important encore, dans notre perspective, ce compromis reconnaissait toute l'envergure économique de ce problème. Nous parlons de secteurs industriels d'échelle nationale qui ont un énorme poids économique. C'est certainement un problème pour nous et j'espère que le comité verra les choses comme nous. Je vous encourage fortement à y jeter un autre coup d'oeil.
Le président: Monsieur Johnston.
M. Johnston (Wetaskiwin): Merci, monsieur le président.
Merci de votre exposé des plus réfléchis. J'aimerais aborder la question des travailleurs à distance. J'imagine que sur un total de 206 000 employés, l'industrie bancaire compte un très petit pourcentage de travailleurs à distance, n'est-ce-pas? Si j'ai tort, veuillez me corriger.
M. Dorward: C'est une question que l'on nous a posée aux premières audiences de la commission Sims à Toronto, auxquelles M. Alborino et moi-même avons assisté. Le secteur bancaire compte en effet très peu d'employés qui soient considérés comme travailleurs à distance. Nous avons tout de même certains employés qui font à l'occasion du télétravail pendant un jour ou deux, avec l'approbation de leur supérieur.
Comme je l'ai dit au comité, ce n'est pas un enjeu pour nous, puisque les problèmes de sécurité sont beaucoup trop aigus chez nous pour que nous puissions laisser des gens travailler de façon constante à partir de chez eux. On ne peut certainement pas laisser nos employés opérer des transferts d'argent à partir de chez eux. Nous ne pourrions jamais surmonter tous les problèmes de sécurité.
Mais nous en avons discuté et nous ne pouvons véritablement considérer aucun de nos employés comme un travailleur à distance. Je ne connais pas beaucoup de sociétés fédérales qui comptent beaucoup de travailleurs à distance. Qu'il s'agisse d'Air Canada, du CN ou du CP, cela ne conviendrait pas. Je ne sais pas exactement dans quel domaine se trouvent ces employés, mais ils ne se retrouvent certainement pas en grand nombre dans le secteur fédéral.
M. Johnston: À la page 4 de votre mémoire, vous affirmez que cela pourrait aller à l'encontre de la Charte des droits et libertés, et vous semblez prédire des contestations en vertu de la Charte advenant l'adoption du projet de loi tel quel. Pourriez-vous nous en parler un peu plus? Pourquoi cela irait-il à l'encontre de la Charte des droits? S'agit-il d'un problème de confidentialité de renseignements personnels? Ou cela fait-il plutôt problème du côté des employés qui n'auraient pas voix au chapitre et ne pourraient décider s'ils acceptent de fournir l'information aux syndicats? Est-ce là où réside le problème, d'après vous?
M. Santo Alborino (président, directeur principal, Relations de travail et professionnelles, Banque de Montréal): Merci de la question.
D'abord, laissez-moi vous renvoyer à la cause dont a été saisie la Cour suprême du Canada en 1995, soit la cause RJR McDonald c. le Procureur général du Canada. La cause a établi que la liberté d'expression englobe l'expression commerciale et constitue le point de départ du débat.
Il y a une chose plus importante encore lorsque l'on parle de renseignements personnels des employés, et c'est ceci: recueillir l'information que les employés sont disposés à mettre à notre disposition pour différentes fins est une chose, et c'en est une tout autre que de retransmettre comme employeur cette information à d'autres concernant leur adresse, leur numéro de téléphone, etc. Cela, c'est violer la vie privée des employés.
Ce qui prime, et je vous le dis d'expérience, c'est que nos employés sont très vigilants au sujet de leurs propres affaires. D'après les sondages effectués et les discussions que nous avons eues au sein de divers groupes, nous avons constaté que les employés s'opposent à ce que leurs patrons utilisent l'information colligée pour d'autres fins que les fins de l'emploi.
Nous avions une piste de solution à suggérer quant à l'utilisation de cette information... Dans notre mémoire, nous mentionnions la possibilité qu'un employeur, tel que nous-mêmes, informe l'employé du type de renseignements qu'un syndicat peut vouloir transmettre, pour permettre à l'employé de communiquer s'il le désire avec le syndicat en question. Cela nous semble une solution équitable et bien meilleure, pour nous et pour nos employés. C'est d'ailleurs ce que nous suggérons.
M. Cowell: Monsieur le président, puis-je ajouter quelque chose? Je crois que l'on n'a pas répondu à fond à la question. Je ne voulais pas laisser planer de menaces lorsque j'ai dit que cette question pourrait toujours être portée devant la Cour suprême? Loin de moi cette intention. C'est tout simplement que nous...
Le président: Notre comité n'est jamais menacé...
Des voix: Oh, oh.
Le président: ...jamais.
Monsieur Johnston.
M. Johnston: Si vous me permettez, monsieur le président, peut-être me suis-je mal exprimé. Je ne voulais pas formuler la question de façon à donner cette impression.
Toutefois, monsieur le président, il m'a semblé que si ce groupe s'inquiète d'une violation de la Charte, il n'est pas le seul. Je crois que d'autres s'en inquiètent aussi.
Des voix: C'est exact.
M. Johnston: Laissez-moi aborder un instant la question des travailleurs suppléants. Certains témoins nous ont affirmé que tout recours à des travailleurs suppléants pourrait être considéré comme une tactique visant à miner le syndicat ou comme de l'antisyndicalisme. Toute arrivée d'un travailleur suppléant pourrait être considérée comme une action anti-syndicale.
Pour ma propre gouverne, vous arrive-t-il souvent d'avoir recours à des travailleurs suppléants dans le commerce des banques?
M. Cowell: Comme on vient de le signaler, nous n'avons pas vécu la syndicalisation à outrance dans notre industrie, ni vécu non plus un grand nombre de grèves. Dans les cas où nous en avons eues, nous avions la possibilité ou le droit de recourir à des travailleurs suppléants, non pas comme tactique antisyndicale, mais plutôt dans l'intention de garder les succursales bancaires ouvertes de façon à ce que la population puisse avoir accès à son argent, continue à faire des dépôts et continue à se sentir en sécurité chez nous.
Vous voyez que notre expérience dans ce domaine est relativement limitée, mais nous croyons que les Canadiens pourraient être très effrayés devant l'éventualité de ne pas avoir accès à leurs comptes de banque.
Le président: Vous voulez ajouter quelque chose, monsieur Dorward?
M. Dorward: Oui, brièvement. Je crois qu'il règne une certaine confusion. Dans le secteur bancaire, étant donné la longue formation... Nous nous sommes mal compris. Nous, la CIBC, n'avons jamais eu recours à des travailleurs suppléants. Nous allons chercher des gens qui sont déjà à l'emploi de la CIBC, mais dans d'autres succursales, pour garder la succursale en grève ouverte. Donc, nous n'allons pas embaucher des gens dans la rue, comme on l'a fait à la Société canadienne des Postes, en vue de les former pour remplacer les grévistes. Non, il s'agit de personnes déjà à l'emploi de la CIBC, et je suis sûr que c'est ce qui se fait dans les autres banques.
Par conséquent, je répète que la question des travailleurs suppléants ne se pose pas vraiment chez nous à cause du peu de syndiqués parmi nos employés, mais elle nous inquiète néanmoins du point de vue de l'économie globale du Canada.
M. Johnston: J'en prends bonne note, mais le projet de loi ne dit nulle part que... Il semble en effet régner une certaine confusion quant à la question de savoir si les travailleurs suppléants sont des gens embauchés au pied levé pour remplacer pendant un certain temps les grévistes, ou s'il s'agit plutôt de gestionnaires qui assument des postes subalternes ou de syndiqués qui traversent les lignes de piquetage. Je crois que le projet de loi n'est pas assez clair là-dessus.
Le président: Monsieur Dorward, merci de cette précision.
Nous passons maintenant à M. Robert Nault du Parti libéral.
M. Nault (Kenora - Rainy River): Merci, monsieur le président. Je voudrais revenir aux travailleurs à distance.
Laissez-moi vous présenter un scénario, et vous me direz si cela ressemble à ce dont vous parlez. Ce que vous avez dit, c'est que la possibilité que le Conseil canadien des relations industrielles puisse permettre à un syndicat de syndiquer des travailleurs à distance constituerait une violation des droits individuels.
Quelle est la différence entre ce qui est proposé, d'une part, et, d'autre part, le fait que dès que je suis embauché par un chemin de fer où il existe déjà un atelier fermé et un syndicat, je suis obligé d'adhérer immédiatement au syndicat dès que je mets les pieds au travail. Or, si j'y adhère, le syndicat obtient d'office mon adresse à domicile, mon numéro de téléphone privé et des tas d'autres renseignements du genre.
C'est un cas fréquent, il s'en produit à tous les jours au Canada, et ce depuis plusieurs années. Il a été soumis aux tribunaux, qui l'ont jugé parfaitement acceptable.
Pourquoi en irait-il autrement, à votre avis, si une partie des effectifs était effectivement syndicalisée et la société décidait alors de s'attacher des travailleurs à distance? Elle ne donnerait donc pas accès, en fait, à ce groupe particulier, car il ne se trouverait pas sur le lieu de travail, et nul ne saurait comment les contacter.
Pouvez-vous me dire la différence entre ces deux scénarios? Qu'est-ce qui vous donne à penser que les tribunaux prononceraient un jugement différent de celui qu'ils ont déjà porté dans le cas des ateliers fermés?
Une voix: Voilà une bonne question.
M. Cowell: La différence essentielle, à mon avis, c'est que le cas dont vous parlez est celui d'un atelier fermé dans une compagnie de chemin de fer. Permettez-moi de rappeler au comité que la forme de sécurité syndicale appelée «atelier fermé» a fait l'objet d'une négociation, à un certain moment, entre l'employeur et le syndicat.
Notre secteur comporte une grande différence, en ce sens que dans l'ensemble, il n'est pas syndiqué, mais la question de la sécurité syndicale continue à être négociable. Nous reconnaissons la nécessité de négociations collectives sur des questions telle que la sécurité, mais notre secteur n'a rien de plus approchant qu'une formule Rand modifiée.
Quand on est engagé par la banque on n'est donc pas tenu... Comme cette question n'a pas fait l'objet d'un accord au cours d'un processus de négociation collective, en bonne et due forme, ce n'est pas un engagement pris par deux des parties aux termes duquel, pour travailler à la banque, il faut être membre d'un syndicat. C'est là la différence essentielle.
M. Nault: Comme ce n'était pas ce que je disais, je voudrais pousser la question plus loin. Je vous disais, en fait, que ce serait au Conseil des relations du travail de prendre cette décision. Il n'est pas dit dans cette loi, ni dans les amendements, que si un syndicat qui décide de viser votre banque s'adresse au Conseil des relations du travail et dit: «Je voudrais obtenir tous les noms et adresses de tous les employés à distance», il obtiendra nécessairement cela du Conseil des relations du travail.
C'est ce qui rend possible la situation que j'évoquais, celle où les syndicats qui existent déjà dans certains cas, dans certaines régions, dans certains secteurs, traitent avec des sociétés qui cherchent à contourner la syndicalisation en faisant travailler les gens à distance. Ils devraient avoir le droit de traiter avec ces employés, si tel est le cas.
Ceci n'est pas pour dire qu'il ne pourrait pas y avoir un syndicat qui essaie de syndicaliser votre banque, et pour cela chercher à obtenir ces noms et adresses. Cela a probablement déjà dû arriver, mais j'essaie de comprendre où vous voyez la différence entre ce scénario et celui qui existe déjà, quand il s'agit d'un atelier fermé.
Les faits ne vous donnent pas non plus raison lorsque vous dites que cela a fait l'objet d'une négociation. Parfois des syndicats interviennent, recrutant des membres, et cela devient toute une lutte. Ce n'est pas aussi simple que de dire que les banques se sont inclinées, sinon elles seraient toutes syndicalisées.
Mme Cowell: C'est une question d'opinion, et de point de vue. La façon dont j'interprète le préambule du code, dont il n'est pas beaucoup question ici, à vrai dire... Si nous revenons donc à ce préambule, il y est dit que la société canadienne accepte la liberté d'association, le fait qu'un processus de négociations collectives, décidé par la majorité, est une bonne chose, peut être une bonne chose, et que tous devraient l'appuyer.
Il n'est pas dit que tous doivent y souscrire, ou que chaque employeur, en fait, doit avoir un atelier fermé, ou recommander à ses employés de faire partie d'un syndicat.
M. Nault: Non, ce n'était pas ce que je disais, mais il ressort clairement des commentaires des témoins que le manque de respect pour le Conseil des relations du travail et la qualité de ses décisions fait partie intégrante du problème. Jusqu'à présent le Conseil a été en mesure de prendre d'excellentes décisions en votre faveur, car sinon vous seriez tous syndicalisés, à l'heure qu'il est.
M. Cowell: Monsieur le président, ne laissons pas subsister de malentendus. Le secteur bancaire, et tous ses membres, ne méprisent nullement le pouvoir du Conseil canadien des relations du travail. Nous avons tous comparu devant lui et comprenons pleinement les pouvoirs de ce Conseil ainsi que les conséquences d'une mauvaise interprétation, de notre part, de la loi.
Nous avons le plus grand respect pour cela, monsieur, nous entendons simplement vous dire que le Conseil canadien des relations du travail a actuellement suffisamment de pouvoirs pour accomplir sa tâche.
M. Nault: Je vous remercie, monsieur le président.
Le président: La parole est maintenant à M. Peric. Il nous reste deux minutes avant d'ajourner.
M. Peric (Cambridge): J'en tiendrai compte, monsieur le président.
Il y a confusion sur ce point. Dans votre déclaration, vous nous dites qu'un très petit pourcentage de vos employés voudrait faire partie d'un syndicat, mais vous nous demandez ou recommandez, en même temps, et je vais vous citer:
- Premièrement, la loi devrait indiquer clairement que le recours à des travailleurs de
remplacement constitue une option légitime pour un employeur en situation de grève.
M. Dorward: C'est une question très légitime, et je n'y ai peut-être pas suffisamment répondu.
Comme vous le disiez, notre secteur, dans sa majorité, n'est pas syndicalisé, mais j'essayais de vous faire comprendre que nous nous préoccupons de l'impact économique de ce projet de loi sur de vastes secteurs réglementés par le gouvernement fédéral et syndicalisés dans leur majorité, comme les chemins de fer, les compagnies aériennes et les télécommunications. Cette question les préoccupe fort, et vous avez certainement dû l'entendre lorsque l'ETCOF vous a présenté son mémoire.
Le secteur bancaire ne peut, de toute évidence, ignorer l'impact économique que ce projet de loi risque d'avoir. Je ne puis que m'incliner devant l'expérience de l'ETCOF, et je suis certain que vous allez étudier son mémoire. D'après elle, cette disposition aura des effets économiques considérables et c'est également notre conclusion, après l'avoir étudiée.
Cette disposition ne nous touchera donc pas en tant que secteur, mais elle aura un impact économique indirect, et c'est ce que je vous prie instamment de prendre en considération.
M. Peric: Merci.
Le temps nous manque malheureusement, monsieur le président, mais j'aimerais poser d'autres questions plus tard, si possible.
Le président: Mais ce ne sera pas à l'Association des banquiers canadiens.
Au nom des membres du comité, je voudrais vous remercier, messieurs Cowell, Alborino et Dorward, d'une excellente présentation de votre point de vue.
Nous allons maintenant ajourner nos travaux pour aller voter, et nous reviendrons entendre l'Association des mines du Canada.
Je vous remercie.
La séance est suspendue.
Le président: La séance est de nouveau ouverte. Après une demi-heure d'interruption pour aller voter nous nous retrouvons ici à entendre l'Association minière du Canada.
Je voudrais personnellement souhaiter la bienvenue à Gisèle Jacob, vice-présidente, Affaires publiques, Ray Duret, gestionnaire, Relations avec les employés, CAMECO Corp. représentant la Saskatchewan Mining Association, et Thomas Wakeling.
Vous savez que nous disposons d'environ une demi-heure, qui sera divisée en deux parties: vous pourrez consacrer une dizaine ou une quinzaine de minutes à votre mémoire, après quoi nous aurons, pendant une quinzaine de minutes, un échange de questions et de réponses. Vous avez la parole.
[Français]
Mme Gisèle Jacob (vice-présidente, Affaires publiques, Association minière du Canada): Merci, monsieur le président, membres du comité.
[Traduction]
Merci de bien vouloir nous entendre. Vous avez déjà présenté mes collègues.
Mon exposé sera relativement court, mais je voudrais, très brièvement, vous parler de l'Association minière du Canada et des organisations qui en sont membres.
Nous sommes l'organisation nationale du secteur canadien des minéraux. Nos membres ont pour activité la prospection minérale, l'extraction minière, la fonte et l'affinage, la production des métaux, de minéraux industriels et de combustibles minéraux. Les entreprises membres de notre association représentent collectivement la grande majorité de la production canadienne de métaux et des principaux matériaux industriels.
Certains parmi vous savent peut-être déjà que le secteur des mines est un secteur véritablement canadien. Plus de 70 p. 100 de l'industrie est contrôlée et gérée par des Canadiens. Nous faisons une contribution importante à l'activité économique du Canada. Notre secteur a contribué près de 24 milliards de dollars à l'économie en 1995, soit 4,4 p. 100 du produit intérieur brut du Canada. Nous fournissons 300 000 emplois directs, avec un salaire hebdomadaire moyen de 1 000 $, ce qui est de beaucoup supérieur à la rémunération dans tous les autres secteurs. Plus de 150 collectivités au Canada dépendent en partie ou dans une grande mesure des activités minérales et de leurs retombées économiques.
Le secteur minier est aussi un acteur important du réseau de transport du Canada, les métaux et les minéraux comptant pour près de 65 p. 100 du fret ferroviaire et maritime du Canada. Notre utilisation importante des systèmes de transport terrestre et maritime est l'une des raisons qui nous amène ici aujourd'hui. Plus de 110 kilotonnes de minéraux bruts et transformés ont été chargés et déchargés dans les ports canadiens en 1994. Environ 65 p. 100 du tonnage total chargé au Canada provenait de notre secteur. Comme vous pouvez l'imaginer, ce qui se produit dans les ports canadiens nous intéresse au plus haut point.
Avant de passer directement au projet de loi C-66, j'aimerais faire quelques commentaires généraux sur le processus de modifications de la partie I du Code canadien du travail.
Le processus a été très long et très détaillé. Je tiens à féliciter ceux qui y ont participé et qui ont pris le temps d'écouter, d'entendre et de donner suite aux préoccupations qui ont été exprimées au cours des dernières années.
N'oublions pas toutefois que tous ces efforts nous ont menés à l'étape dont nous discutons aujourd'hui, à savoir la modification de la partie I du Code canadien du travail. L'aboutissement final de ce long processus d'examen approfondi, c'est le projet de loi C- 66.
La question que je vous pose est donc de savoir pourquoi, après avoir mis en place un processus de consultations si vaste, nous avons maintenant l'impression que vous adoptez trop hâtivement ce produit final et si important? Pourquoi le comité procède-t-il si rapidement à l'adoption d'un projet de loi d'une importance si cruciale? Les consultations précédentes portant sur des documents préliminaires. Le projet de lui-même doit faire l'objet d'un examen approfondi. J'espère que vous prendrez le temps de faire un examen approfondi de la loi et de rencontrer et d'entendre les porte- parole des divers secteurs qui seront touchés par cette importante mesure législative.
Nous croyons que même s'il y a eu de vastes consultations au préalable et pendant la préparation du rapport du groupe de travail Sims, il y a certaines dispositions du projet de loi C-66 qui n'ont pas fait l'objet de discussions pendant les travaux du groupe de travail Sims et notamment le paragraphe 47.3(1) «contrats successifs de fourniture de services»; le paragraphe 87.7(1) «services aux navires céréaliers»; ou d'autres éléments qui, à notre avis, apportent une solution insatisfaisante à des questions très controversées, notamment l'interdiction relative aux travailleurs de remplacement.
Comme je l'ai dit, deux de ces questions intéressent au plus haut point notre industrie. La première concerne les services aux navires céréaliers - et je sais que nous ne sommes pas les premiers à aborder cette question avec vous. Nos collègues de l'Association charbonnière canadienne et la Chambre de commerce du Canada vous ont fait part de leurs préoccupations à cet égard et nous appuyons leur position sans réserve.
En tant que grand utilisateur des réseaux ferroviaires et portuaires du Canada, nous sommes étonnés et contrariés de voir qu'un traitement préférentiel pourrait être accordé à l'un des secteurs de notre économie. Nous reconnaissons toute l'importance des céréales, mais elle n'est pas plus grande que celle d'autres produits. La disposition du projet de loi fausse la concurrence et crée différentes catégories de citoyens industriels. Le Canada sera donc moins attrayant pour les investisseurs. Nous vous demandons donc de modifier cet article pour permettre que toutes les marchandises entrent et sortent des ports canadiens sans entrave ou encore pour interdire tout mouvement pour toutes les marchandises.
L'autre disposition qui nous préoccupe concerne les travailleurs de remplacement. Nous avons mentionné dans les consultations précédentes sur cette question que nous nous opposons à toute disposition du Code canadien du travail qui interdirait aux employeurs d'avoir recours à des travailleurs de remplacement. Tel qu'il est libellé, le projet de paragraphe 94.(2.1) est vague. Une expression comme «miner la capacité de représentation d'un syndicat» se prête à diverses interprétations et pourrait ouvrir la voie à des litiges.
Le droit d'un employeur de tenter de poursuivre ses activités est le seul contrepoids au droit qu'ont les employés de faire grève. Cet équilibre délicat des pouvoirs est ce qui, à notre avis, garantit la satisfaction des besoins tant des employeurs que des employés. À notre connaissance, rien ne démontre la nécessité de rompre cet équilibre. Tout au contraire, les auteurs du rapport Sims reconnaissent que
- le recours aux travailleurs de remplacement est une mesure économique légitime prise par
l'employeur pour préserver la viabilité économique d'une entreprise dans un climat
économique rigoureux et face à des demandes syndicales inacceptables.
À notre avis, l'interdiction du recours aux travailleurs de remplacement n'est pas une solution appropriée aux problèmes de pratiques de travail déloyales. Nous vous demandons donc d'ajouter au Code une disposition qui réaffirmerait le droit des employeurs d'utiliser des travailleurs de remplacement en cas d'arrêts de travail légaux.
En guise de conclusion, j'aimerais résumer les trois principales recommandations que nous formulons à l'intention de votre comité aujourd'hui: (1) de permettre un délai suffisant pour une véritable consultation et un véritable examen du projet de loi C-66; (2) de supprimer l'avantage indu accordé aux expéditions de céréales; et (3) de lever l'interdiction, partielle ou totale, du recours aux travailleurs de remplacement.
Merci. Je vais maintenant céder la parole à mon collègue Ray Duret.
M. Ray Duret (directeur, Relations avec les employés, CAMECO Corps., représentant de la Saskatchewan Mining Association; Association minière du Canada): Bon après-midi. La société CAMECO est un producteur d'or et d'uranium basé à Saskatoon. Aujourd'hui, je parle au nom de la Saskatchewan Mining Association, qui représente les producteurs d'uranium régis par le Code canadien du travail.
À l'heure actuelle, il y a en Saskatchewan trois mines d'uranium en exploitation. Dans deux de ces mines, les travailleurs sont syndiqués. Une mine est actuellement en construction et deviendra opérationnelle en 1997 et des propositions pour l'ouverture de trois mines d'uranium additionnelles font l'objet d'un examen par un groupe spécial fédéral-provincial. Les promoteurs attendent l'autorisation d'aller de l'avant.
Le secteur de l'uranium en Saskatchewan est directement et indirectement le principal employeur privé dans les régions isolées de l'extrême nord de la province. Les mines d'uranium fournissent actuellement plus de 1 200 emplois directs.
La Saskatchewan Mining Association est d'avis qu'il y a dans le projet de loi C-66 un certain nombre de changements positifs proposés au Code canadien du travail. Notre association appuie pleinement ces amendements, y compris l'obligation de tenir des votes de grève et de lock-out, la nécessité de donner un avis de grève ou de lock-out, et la réorganisation du Conseil, pour ne mentionner que ceux-là.
Il y a cependant plusieurs changements avec lesquels notre association n'est pas d'accord. J'aimerais en mentionner trois. Le premier concerne les travailleurs de remplacement.
La Saskatchewan Mining Association trouve inacceptable le paragraphe 42.(2) du projet de loi C-66, lequel modifierait le paragraphe 94.(2.1) du Code canadien du travail. Les résultats pratiques de la recommandation seraient que les employeurs se verraient accusés de pratiques de travail déloyales chaque fois qu'ils auraient recours à des travailleurs de remplacement en cas de grève ou de lock-out. Nous croyons que les syndicats seront toujours d'avis que, quand l'employeur a recours à des travailleurs de remplacement, c'est qu'ils tentent de briser le syndicat ou de miner la capacité de représentation du syndicat. Dans une entrevue qu'il accordait récemment à la SRC, un porte-parole du Congrès du travail du Canada l'a dit très clairement.
Au plan pratique, cette modification du Code aurait pour effet d'imposer aux employeurs des coûts et des délais inutiles qu'ils devraient encourir pour se défendre contre des accusations de pratiques de travail déloyales. Le Conseil devra constamment trancher des différends. Les syndicats sont déjà protégés par l'obligation de négocier de bonne foi et par d'autres amendements apportés au Code, comme la réaffirmation du droit des personnes qui travaillaient pour l'employeur avant l'envoi d'un avis de négociation de retourner au travail après le règlement de la grève.
Cette proposition d'amendement du Code du travail va à contre courant des relations ouvrières au Canada. Seuls le Québec et la Colombie-Britannique ont une disposition de ce genre. La question avait été prise en considération par l'actuel gouvernement de la Saskatchewan en 1993 mais avait été rejetée, à juste titre d'ailleurs selon nous, par le comité ainsi que par le gouvernement canadien.
La Saskatchewan Mining Association estime que les employeurs ont le droit d'engager des travailleurs de remplacement pendant une grève, tout comme les travailleurs en grève ont le droit de se trouver du travail ailleurs et de toucher leur indemnité de grève. Lorsqu'on dit que le pendant du droit de grève pour l'employé est le droit de mise en lock-out pour l'employeur, ce n'est pas raisonnable.
En Saskatchewan, dans l'industrie de l'uranium, il faut au minimum dix ans et plusieurs centaines de millions de dollars pour faire entrer une nouvelle mine en production. Aucun employeur ne peut se permettre de voir sommeiller ce genre d'investissement, en temps et en argent, en mettant ses employés en lock-out.
Le véritable pendant du droit de grève est le droit pour l'employeur d'assurer la continuité de ses activités en utilisant des travailleurs de remplacement.
Selon notre mémoire, à l'heure actuelle, les règles du jeu sont équitables pour toutes les parties et il ne faudrait pas faire pencher la balance en faveur des syndicats. L'argument voulant que les travailleurs de remplacement soient à l'origine d'actes de violence sur les piquets de grève ne tient pas debout et donne une idée tout à fait fausse du but légal d'un piquet de grève, c'est-à- dire permettre de renseigner les gens sur le fait qu'une grève a cours à ce moment-là. Une grève ou un lock-out n'est pas une autorisation de commettre des actes illégaux. Dans notre société, les employeurs ont le droit fondamental de conduire leurs affaires dans le respect de la loi, et une interdiction quelle qu'elle soit d'avoir recours à des travailleurs de remplacement pendant une grève pour empêcher des actes de violence sur les lignes de piquetage est un argument qui, pour l'industrie, n'a aucun sens.
Sur le plan pratique, il arrive souvent dans le secteur minier, si l'employeur ne parvient pas à conserver sa mine en activité pendant la grève, qu'à la fin de la grève il n'y ait plus ni emploi, ni contrat.
On exploite des mines d'uranium pour arriver à un certain potentiel de production, et les propriétaires essayent de vendre ces productions toujours animés par le souci de réduire au minimum leurs frais de production. Pour l'industrie de l'uranium, le marché est planétaire. Les compagnies vendent leur production aux centrales électriques avec lesquelles elles signent des contrats à long terme, et les clients de ces centrales ne sont pas prêts à réduire leur consommation pour la simple raison qu'une mine dans le nord de la Saskatchewan est fermée par une grève. Lorsque le marché est difficile, comme c'est le cas à l'heure actuelle, le non- respect d'un contrat de livraison peut fort bien conduire à une résiliation du contrat.
Pour ce qui est du deuxième point, permettez-moi de dire quelques mots à propos de la protection contre le renvoi injustifié après l'accréditation.
La Saskatchewan Mining Association convient que les employés doivent bénéficier d'une protection contre le renvoi injustifié ininterrompue entre la date de l'accréditation et la date de signature de la première convention collective. Notre association craint toutefois que les dispositions de l'article 19 du Projet de loi, qui modifie l'article 36.1 du Code du travail, risquent de ne pas permettre à l'employeur de licencier un employé pour cause de chômage technique pendant la période en question.
En fait, toute la question tourne autour de l'acception de l'expression sans motif valable. Nous partons du principe que cette notion couvre le congédiement pour des raisons disciplinaires mais non pas les licenciements pour cause de chômage technique. L'association demande donc au Comité d'envisager de modifier cette disposition afin que les employeurs aient le droit de congédier leurs employés en cas de chômage technique pendant la période allant de la date de l'accréditation et la date de la signature de la première convention collective.
Rien ne justifierait logiquement qu'un employeur ne puisse pas moduler son effectif en fonction de la conjoncture du marché ou de tout autre critère.
Le troisième point concerne l'accréditation en cas de pratiques déloyales. L'article 46 du Projet de loi, qui intéresse l'article 99.1 du Code, porte que dans certaines circonstances, lorsqu'un employeur s'est rendu coupable de pratiques déloyales, le Conseil est autorisé à accorder l'accréditation, même si le syndicat est incapable de faire la preuve de l'appui de la majorité des employés.
L'association s'oppose à cet amendement. Nous soutenons en effet que cette notion va à contre-courant de l'entendement actuel des relations ouvrières au Canada. Cette notion avait été prise en considération puis rejetée dernièrement par le gouvernement de la Saskatchewan qui en était arrivé à la conclusion qu'il serait pratiquement impossible que le conseil puisse prévoir si le syndicat aurait effectivement été accepté s'il n'y avait pas eu pratique déloyale. Ce genre de conclusion tirée par le Conseil reposerait au mieux sur des conjectures.
Si un employeur se rend coupable d'une pratique déloyale pendant une campagne d'accréditation, le Conseil peut ordonner la tenue d'un vote qui permettrait de déterminer quelles sont les véritables aspirations des employés comme le prévoit actuellement la Trade Union Act de la Saskatchewan. Si la pratique déloyale en question est un cas de congédiement pour activité syndicale, le Conseil peut, et c'est ce qu'il fait souvent d'ailleurs, ordonner la réintégration de l'employé en question et faire en sorte que cet employé soit entendu du Conseil.
Voilà qui conclut notre bref exposé, monsieur le président, et je vais maintenant céder la parole à M. Wakeling.
Le président: Monsieur Wakeling, avant de vous laisser commencer, s'agit-il là de votre mémoire?
M. Thomas Wakeling (Milner Fenerty, représentant Echo Bay Mines Ltd.): Oui, monsieur le président.
Le président: Il est relativement long, n'est-ce pas? Il compte environ 19 pages. Étant donné le temps dont nous disposons, accepteriez-vous que nous annexions le texte de votre mémoire au compte rendu de nos délibérations et pourriez-vous vous contenter de nous en donner une idée générale, à défaut de quoi nous risquons de manquer de temps pour les questions et réponses?
M. Wakeling: J'en serais ravi, monsieur.
Le président: Je vous remercie.
M. Wakeling: Voulez-vous que je vous donne mon aperçu général maintenant?
Le président: Oui, un aperçu général, après quoi nous passerons à la période des questions et réponses. Je vous remercie beaucoup.
M. Wakeling: Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je comparais devant vous pour le compte de Cominco, Echo Bay et Kennecott. Chacune de ces compagnies est en activité dans les Territoires du Nord-Ouest. Polaris appartient à Cominco. Cette installation se trouve à un jet de pierre du pôle magnétique. La mine Lupin d'Echo Bay est proche du cercle arctique et Kennecott songe à procéder à l'exploitation diamantifère dans les Territoires du Nord-Ouest.
Je n'ai pas eu la possibilité de lire toutes les pièces qui ont été déposées devant le comité, mais d'après ce que j'ai pu constater, aucune autre entité n'a, que je sache, fait valoir que la procédure d'accréditation telle qu'elle est actuellement prévue par le Code du travail, et qui ne serait pas modifiée par le projet de loi C-66, est anticonstitutionnelle.
Voici en deux mots notre argumentation. Au Canada comme dans d'autres juridictions en Amérique du Nord, un syndicat reçoit une accréditation pour tous les travailleurs faisant partie de l'unité de négociation proposée dans la demande. En d'autres termes, il existe ici un principe d'exclusivité. Le syndicat reçoit un certificat qui lui permet de négocier au nom de tous les membres de l'unité de négociation, mais pas uniquement au nom de ceux qui se rallient au syndicat.
La Cour suprême du canada a déclaré que la liberté d'association s'entendait également du droit de s'associer à autrui pour tirer partie des énergies collectives afin de réaliser un objectif social ou licite. Mais la Cour suprême du Canada a déclaré de façon tout aussi claire que la liberté d'association comportait un élément négatif et que cet élément négatif ne devait pas être imposé à une association.
Il y a association par contrainte lorsqu'intervient le principe de l'exclusivité. Ceux qui ne sont pas d'accord pour se rallier au syndicat requérant doivent néanmoins en subir les conséquences. C'est ce qui se produit lorsque c'est la majorité qui décide. La minorité doit accepter le groupe choisi par la majorité pour faire office de représentant de négociation.
Je sais bien qu'il n'y a rien dans le Code du travail qui exige de la minorité qu'elle s'inscrive au syndicat, de sorte que je ne veux pas dire qu'il y a problème constitutionnel parce que la loi actuelle impose à la minorité ou à tout dissident de faire partie du syndicat en question. Mais il y a néanmoins association par contrainte, étant donné le rôle primordial joué par l'agent négociateur dans un contexte de syndicalisation, et la nature primordiale de cette relation est précisément ce qui vient étayer l'argument voulant qu'il y ait effectivement association par contrainte.
À la page 10 de mon mémoire, monsieur le président, je constate que le juge Cory, dans un jugement rendu en 1990 par la Cour suprême du Canada, avait insisté sur le rôle important que jouent les agents négociateurs accrédités dans la vie du travailleur.
- Pour un employé, le droit de choisir le groupe ou l'association qui négociera en son nom en ce
qui concerne son salaire et ses conditions de travail est d'une importance capitale. Cette
association jouera un rôle considérable dans pratiquement tous les aspects de la vie
professionnelle du travailleur, en faisant fonction de conseiller, de porte-parole pendant les
négociations, mais également de bouclier contre tout agissement illégal de la part de
l'employeur.
Ce ne sont pas les fins qui nous posent problème. Les fins recherchées par cette loi consistent à promouvoir la paix dans les relations de travail. Nous estimons en revanche que les moyens posent considérablement problème. Nous avançons qu'il est impératif d'adopter un mécanisme qui gruge le moins possible les droits de ceux qui n'acceptent pas la représentation syndicale, et la façon de procéder qui convient en l'occurrence est le scrutin secret.
Dès lors qu'il y a scrutin secret, les perdants ont eu la possibilité de prendre part au processus et ils ne sauraient se plaindre s'ils n'ont pas réussi à convaincre leurs collègues que leur lieu de travail n'a pas besoin d'un syndicat.
Nous signalons dans notre dossier que les cartes syndicales posent plusieurs problèmes, et le Conseil canadien des relations de travail a lui-même déjà à plusieurs reprises évoqué la question. Nous signalons certaines de ces causes à la page 16 de notre mémoire. Permettez-moi de vous lire un passage seulement, si vous le voulez bien. Il s'agit du jugement rendu par le Conseil canadien des relations de travail sur la fiabilité des cartes dans un cas de maraudage, et j'insiste particulièrement sur la question du maraudage. Voici ce que disait le Conseil:
- Notre règle en ce qui concerne la conduite des votes, même lorsqu'un syndicat a la majorité au
moment où il soumet sa demande, tient compte du fait que les employés sont divisés entre
plusieurs syndicats et sont donc lourdement sollicités de toutes parts. En l'occurrence, nous
avons souvent vu différents syndicats se targuer du soutien majoritaire des mêmes employés.
L'expérience nous dicte que dans le cas de maraudage, il faut ordonner un vote afin que les
employés puissent choisir en toute liberté, dans le secret de l'isoloir, quel est le syndicat qu'ils
souhaitent avoir pour représentant.
Voilà, monsieur le président, les grandes lignes de notre mémoire de 19 pages.
Le président: Merci beaucoup, votre présentation était non seulement succincte mais également tout à fait pertinente.
Je vais maintenant donner la parole à un représentant du Parti réformiste, après quoi nous entendrons le côté libéral.
M. Johnston: Comment arrivez-vous à confondre les deux, monsieur le président.
Je vous remercie pour cet exposé extrêmement enrichissant.
Pouvez-vous me donner une idée du niveau de syndicalisation dans l'industrie minière. Les travailleurs sont-ils syndiqués à 50 p. 100, à 100 p. 100?
M. Duret: Dans le cas des mines d'uranium de la Saskatchewan, deux de nos trois mines sont actuellement syndiquées. Celle qui est en voie d'aménagement l'est déjà, de sorte que l'an prochain, 75 p. 100 des mines en exploitation seront syndiquées.
Mme Jacob: Je n'ai pas de chiffre exact, mais j'ai l'impression que 60 à 70 p. 100 des travailleurs de notre secteur minier sont syndiqués, mais il faudrait que je vérifie car je n'en suis pas sûre.
M. Johnston: Si nous disions les deux tiers, ce serait donc sans doute une bonne approximation.
Nous avons, certes, entendu dire que les syndicats sembleraient partir du principe que tout recours à des travailleurs de remplacement serait une atteinte aux droits des syndicats, les empêchant ainsi de fonctionner comme ils le voudraient. D'après votre exposé, force m'est de conclure que votre impression à ce sujet est la même. Combien de fois depuis 10 ans avez-vous dû avoir recours à des travailleurs de remplacement pendant un arrêt de travail?
M. Duret: L'industrie uranifère de la Saskatchewan existe déjà depuis 40 ans, et depuis 25, elle n'a connu qu'une seule grève qui n'a pas entraîné le recours à des travailleurs de remplacement. Dans notre secteur, les relations de travail sont extrêmement saines et nous n'avons connu aucun arrêt de travail, si ce n'est celui que je vous ai mentionné, cette grève a eu lieu au début des années 70.
M. Wakeling: Je pourrais vous dire quelques mots au sujet des activités de mes clients dans les Territoires du Nord-Ouest.
La mine de la Cominco à Polaris n'est pas syndiquée. Toutefois, une demande d'accréditation est en instance. Echo Bay Mines a une mine non syndiquée à Lupin, et Kennecott n'en est encore qu'au stade de la mise en place de ses infrastructures d'exploitation des gisements diamantifères.
Le président: Vous aviez quelque chose à ajouter?
Mme Jacob: En effet. Je voudrais dire en quelques mots que, hormis les mines en activité dans le Nord et le secteur uranifère, la plupart des compagnies minières canadiennes ne relèvent pas du Code du travail du Canada. Par contre, étant donné que nous dépendons beaucoup de l'infrastructure, et en particulier du chemin de fer, toute grève qui paralyserait ce secteur aurait une incidence directe sur les activités minières. Le recours aux travailleurs de remplacement doit donc également être pris en compte dans le cadre du système d'infrastructure et pas exclusivement en ce qui concerne les sites miniers proprement dits.
M. Johnston: Fort bien. Pourriez-vous maintenant me préciser quelle serait selon vous la situation idéale dans le cas des travailleurs de remplacement, pourriez-vous nous résumer votre réflexion?
M. Duret: Pour nous, les dispositions actuelles du Code du travail suffisent parfaitement. Comme je vous l'ai déjà signalé, nos relations de travail sont extrêmement saines. Nous avons pu régler la plupart des contentieux que nous avons rencontrés, et nous estimons que le Code du travail suffit amplement sous sa forme actuelle.
M. Johnston: Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Johnston. Nous donnons maintenant la parole à M. McCormick qui représente le Parti libéral.
M. McCormick (Hastings - Frontenac - Lennox et Addington): Madame, messieurs, je vous remercie d'être venus déposer aujourd'hui, vos exposés ont été excellents et extrêmement instructifs.
Nous venons d'apprendre que la plupart de vos compagnies membres sont sous réglementation provinciale et, de toute évidence, ce sont les compagnies ferroviaires et les ports qui font toute la différence. Cela étant, comment pourriez-vous qualifier vos relations de travail avec vos membres dans le secteur syndiqué depuis quelques années? Y a-t-il eu beaucoup d'arrêts de travail? Nous avons certes entendu parler des cas les plus flagrants, mais comment se situe votre secteur à ce sujet?
Mme Jacob: Il faudrait que je vérifie et que je vous envoie le renseignement car je n'ai pas les statistiques sous les yeux et cela ne fait pas suffisamment longtemps que je m'occupe du dossier syndical pour pouvoir vous répondre d'expérience seulement. Je préfère vérifier pour pouvoir vous donner des renseignements précis au lieu de me livrer à des conjectures.
M. McCormick: Très bien, je vous remercie.
Avez-vous eu recours à l'arbitrage, obligatoire ou non, pour régler ces différends? Cela revient à ce que vous disiez à propos des travailleurs de remplacement, mais j'aimerais savoir quel est le vecteur que vous utilisez le plus souvent pour régler les conflits de travail.
M. Duret: Dans le cadre du processus de négociation collective, il y a la conciliation ordinaire, la médiation, la négociation serrée, le temps qui passe, et dans l'ensemble le processus de négociation donne d'excellents résultats. Nos employés en ont probablement tiré les fruits du point de vue des barèmes de rémunération, des conditions de travail, de la sécurité et de l'hygiène, de la formation et du perfectionnement, beaucoup mieux que n'importe quel autre secteur d'occupation, mais tout cela a pu être obtenu par des moyens autres que la grève.
M. McCormick: Je me rends bien compte que vous n'aimez ni les grèves, ni les lock-out, étant donné surtout que vous exportez votre production. Mais comment voyez-vous évoluer les conflits de travail à l'avenir? Comment considérez-vous le rôle et l'incidence du nouveau Conseil canadien des relations industrielles sous sa forme prévue? Ne va-t-il pas pouvoir s'occuper de toute une série de décisions comme celles-là, étant donné les connaissances, l'expérience et les compétences qu'on y trouvera?
M. Wakeling: Il faut toujours être très prudent lorsqu'on donne à un organe comme celui-là le pouvoir de prendre des décisions qui ont des répercussions considérables comme celles que nous envisageons ici.
Admettons par exemple que ce soit le Conseil canadien des relations industrielles qui détermine si l'employeur peut avoir recours à des travailleurs de remplacement, la question à laquelle la loi donne au Conseil compétence de répondre est extrêmement difficile. Comment, en effet, déterminer quand le recours à des travailleurs de remplacement se fait à des fins légitimes plutôt qu'illégitimes?
L'histoire nous démontre qu'il y a toujours eu combat entre les ressources mobilisées par les travailleurs et celles mobilisées par les patrons. L'histoire nous démontre également que le système actuel a donné des résultats. Cela contraint donc les deux camps à réfléchir à deux fois à ce qu'ils font, ce qui dans presque tous les cas les amène à s'entendre.
M. McCormick: Vous dîtes que le système a bien fonctionné, et je me félicite que cela soit effectivement bien souvent le cas. Pourtant, lorsqu'on songe à la situation sur la côte Ouest, dans le cas des ports en particulier, lorsque nous pensons aux grèves qui ont immobilisé ces ports, il me semble qu'il serait logique que le Conseil, pourvu qu'il soit bien conçu, puisse être en l'occurrence d'une très grande utilité.
M. Wakeling: Je ne pense pas que nous ayons voulu dire que le Conseil n'a pas un rôle à jouer lorsque le processus de négociation collective ne marche pas, mais il me semble que vous avez posé une question plus précise qui fait intervenir le cas des travailleurs de remplacement.
Je ne veux pas dire que le Conseil est effectivement en mesure de porter le jugement que la loi exigerait de lui. Il est bien souvent plus avisé de limiter les questions que vous confiez à un tribunal administratif à celles qui n'exigeront pas de lui qu'il prenne une décision sur une problématique politique majeure. Inévitablement, c'est cette question-ci qui va toujours être confiée au Conseil canadien des relations industrielles: l'entreprise doit-elle être autorisée à poursuivre ses activités?
Je suis sûre que le Comité comprend fort bien que, dans certains cas, une disposition qui empêcherait l'entreprise de poursuivre ses activités pendant un certain temps risque d'avoir des effets dramatiques. Ainsi, si vous exploitez une mine au pôle Nord, là où les voies navigables ne sont utilisables que pendant une très courte période dans l'année, si vous ne pouvez pas assurer l'acheminement de votre production à cause de cette disposition légale qui vous interdit de poursuivre vos activités, si cela survient pendant cette période critique en question, les conséquences risquent d'être désastreuses. Il se peut même que vous ne puissiez pas acheminer votre production de toute l'année, ou alors que vous ne puissiez pas recevoir les fournitures dont vous avez besoin au moment où vous en avez besoin.
M. McCormick: J'aurais ici une observation. Je suis assurément de votre côté en ce qui concerne le secteur minier parce que je suis moi-même prospecteur, j'ai mon permis de prospection. Je me souviens fort bien avoir vu cette année au Yukon les plus gros camions qu'on puisse trouver au Canada emprunter les voies publiques pour faire des livraisons à un port de l'Alaska pour l'exportation.
Mais revenons quelques instants aux céréales. Peut-être seriez-vous prêt à concéder que les céréales sont un cas d'espèce. Je pense que vous avez besoin, comme les syndicats, de l'appui du public, et de celui des journalistes, pour arriver à faire ce pour quoi la loi existe, c'est-à-dire rapprocher les deux camps et réduire les possibilités de conflit de travail dans l'avenir.
Mme Jacob: Je suis d'accord avec vous pour dire que ce que nous voulons, c'est arriver à un juste milieu entre les besoins des employeurs et ceux des employés. Ce que nous vous disons, c'est qu'il y a dans la loi des dispositions qui font pencher la balance dans un des deux sens sans que la nécessité de le faire n'ait vraiment été prouvée.
Lorsqu'il s'agit des céréales, en revanche, le raisonnement utilisé pour expliquer qu'il faut accorder un traitement préférentiel à ce secteur de l'économie, alors qu'il y a tant de localités au Canada qui dépendent d'autres secteurs ou qui dépendent de l'acheminement de la production émanant de ces secteurs, n'est pas clair. En agissant ainsi, nous faisons pencher la balance dans un sens et nous disons aux investisseurs étrangers et aux autres pays qui ont des relations économiques avec le Canada qu'il y a des secteurs de notre économie qui sont traités différemment.
M. McCormick: Ma dernière réflexion au sujet de ces investisseurs étrangers est que nous sommes certes un pays exportateur, notre situation le prouve bien. Notre pays bénéficie ainsi d'un apport de capitaux ininterrompu. Mais je pense que la plupart de nos acheteurs étrangers considéreraient qu'en effet les céréales sont un cas d'espèce, ne serait-ce que parce qu'il s'agit comme vous le savez d'un produit alimentaire. Il faut être très prudent dans l'acheminement de ce genre de produit sous peine de le voir se perdre.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci monsieur McCormick.
M. Proud aurait-il une question à poser?
M. Proud (Hillsborough): J'aurais une question complémentaire, mais je m'empresse d'ajouter que selon moi, les investisseurs étrangers considéreraient plutôt favorablement le dossier des relations de travail au Canada par rapport à ce qui se passe dans d'autres pays dans lesquels ils font affaire, où la réglementation est beaucoup plus contraignante de part et d'autre. Je n'arrive donc pas à la même conclusion que vous.
Mais permettez-moi de revenir pendant quelques instants au nouveau Conseil et à la question des travailleurs de remplacement. À vous entendre, c'est un peu comme si n'autorisions pas du tout les travailleurs de remplacement, alors qu'il n'en est rien. Ce que nous disons, c'est qu'il y a certaines choses qui laisseraient à penser que ces travailleurs de remplacement sont utilisés pour d'autres raisons que la simple poursuite des activités normales de l'entreprise.
Je suis étonné d'entendre M. Wakeling dire qu'il ne se sentirait pas à l'aise avec un Conseil dont les membres seraient issus des deux camps, des membres qui, je l'imagine - et je serais terriblement furieux si ce n'était pas le cas - sont compétents en la matière, des membres qui ont l'entendement de ce genre de questions et qui sont parfaitement capables de décider si telle ou telle pratique est déloyale ou non. J'ai l'intime conviction qu'il y a des gens qui sont capables de faire cela, et je suis persuadé que nous en trouverons au sein du Conseil. Bien sûr, ce n'est probablement pas le meilleur des mondes, mais c'est néanmoins une solution bien équilibrée.
Il y a bon nombre de syndicats qui sont totalement opposés à votre perspective des choses, mais nous avons entendu ici hier un syndicat de la côte Ouest pour qui c'est effectivement un pas dans la bonne direction.
J'ai formé la conviction, depuis le temps que je m'occupe de ce dossier, que lorsque le Conseil sera composé, ses membres seront parfaitement dignes de foi et pourront assumer parfaitement leur tâche. En cas contraire, il faudra choisir soit de permettre l'utilisation des travailleurs de remplacement, soit ne pas le permettre, et je ne pense pas que ce soit cela que sous-tende ce projet de loi.
M. Wakeling: Si vous me permettez une réponse, je ne pense pas que ce que j'ai dit ait quoi que ce soit à voir avec les qualités des membres du Conseil. Sous sa forme actuelle, le projet de loi porte qu'aucun employeur ne peut avoir recours au service de quiconque n'est pas son employé aux fins de saper la capacité de représentation d'un syndicat.
Pour en juger, il n'est pas nécessaire de juger du conflit de travail ou des facteurs en cause. Tout cela invite ni plus ni moins aux conjectures les plus fantaisistes. Cela n'a rien à voir avec les moyens dont dispose l'arbitre.
Je ne vais dire aucun mal des arbitres. J'en suis moi-même un la plupart du temps. J'ai présidé des conseils d'arbitrage. Mais il y a des questions qui sont tellement difficiles à trancher que lorsque vous les confiez à un conseil, vous jouez ni plus ni moins à la roulette russe.
M. Proud: Mais ne diriez-vous pas que dans la plupart des cas ceux que vous-mêmes jugeriez être ridicules seraient précisément rejetés par des gens comme vous?
M. Wakeling: Je pense que la question est tellement difficile qu'il serait dangereux de confier à quelqu'un d'autre le soin de répondre. Il y a des questions que vous ne voulez pas poser. Celle- ci notamment.
Le président: Merci, monsieur Proud.
Au nom du Comité, j'aimerais assurément vous remercier pour ce qui a été selon moi l'un des exposés les plus mûrement réfléchis que nous ayons entendu jusqu'à présent, et nous sommes impatients de poursuivre notre collaboration avec vous. Merci encore pour ce que vous nous avez apporté.
Comme vous le savez, nous nous réunirons également demain à 10 h 30 dans cette même salle.
La séance est levée.