[Enregistrement électronique]
Le jeudi 5 décembre 1996
[Traduction]
Le président: Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à tous. Ce matin nous examinons le projet de loi C-66, Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence.
Ce matin, c'est avec plaisir que nous accueillons les représentants de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante: M. Garth Whyte, vice-président, affaires nationales, et M. Dan Kelly, directeur des affaires provinciales.
Je vous souhaite la bienvenue, messieurs. Vous représentez un organisme très important, et nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire. Vous pouvez commencer.
M. Garth Whyte (vice-président, Affaires nationales et recherches, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante): Merci, monsieur le président. À titre personnel, je tiens à remercier le comité, et tout particulièrement M. Luc Fortin, d'avoir tenu compte de mon emploi du temps, nous permettant ainsi de comparaître aujourd'hui.
Deux autres collègues devaient nous accompagner: il s'agit de Pierre Cléroux, vice-président pour le Québec, qui donne actuellement une conférence de presse à Hull, et de Peter O'Brien, notre directeur général pour la région de l'Atlantique, qui devait être ici, mais qui travaille actuellement avec les fonctionnaires du ministère des Finances à l'harmonisation de la taxe de vente. Nous essayons de faire passer notre message et de trouver des solutions qui s'appliquent à cette taxe que nous connaissons tous.
Permettez-moi de vous remercier encore une fois, monsieur le président, mesdames et messieurs du comité. Nous avons fait venir, par avion, des représentants d'un peu partout au pays. Il y a mon collègue Dan Kelly, de Winnipeg. Comme vous l'avez dit, il est notre porte-parole pour la région des Prairies. Nous sommes arrivés par avion et nous pouvions comparaître uniquement hier et aujourd'hui. C'était impossible hier, et donc c'est aujourd'hui. J'avais dit qu'il fallait que ce soit le matin, car je dois rentrer chez moi pour la première représentation de Noël de mon enfant de quatre ans.
Le président: Où ça, monsieur Whyte?
M. Whyte: À l'école Three Valleys.
Le président: Cela se trouve dans quelle circonscription?
M. Whyte: Je pense que c'est celle de M. Collenette.
Le président: Très bien. Mais où habitez-vous?
M. Whyte: Je tenais à souligner que la question nous intéresse au plus haut point et que le comité s'est montré des plus accommodants. Nous vous remercions infiniment de nous avoir donné cette latitude, et nous sommes très heureux d'être ici.
Comme on le sait de façon générale, nous sommes un organisme non partisan à but non lucratif qui regroupe 87 000 propriétaires de petites et moyennes entreprises de tous les secteurs et de toutes les localités au Canada. Nous fonctionnons selon le principe d'un membre, un vote. C'est à la majorité de nos membres que sont décidées nos positions. Nous servons continuellement nos membres et nous sommes heureux de partager avec vous le fruit de nos recherches sur le projet de loi C-66 et les modifications à la partie I du Code canadien du travail.
Certains demandent pourquoi la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante et la petite entreprise se préoccupent du Code canadien du travail, qui traite des industries assujetties à la réglementation du gouvernement fédéral. Cela s'explique par plusieurs raisons.
[Français]
M. Ménard (Hochelaga - Maisonneuve): Excusez-moi, monsieur le président. Pour que ce soit plus simple pour tout le monde...
Mme Lalonde (Mercier): N'aviez-vous pas remis de mémoire? Ce document n'est pas le mémoire.
[Traduction]
Le président: Avez-vous un mémoire?
M. Whyte: Non.
Le président: Les interprètes n'auront pas la possibilité...
M. Whyte: Je m'en excuse.
Le président: Ce n'est pas un problème. Ils peuvent toujours interpréter. Allez-y.
M. Whyte: Je vais vous donner cinq raisons qui expliquent pourquoi nous nous intéressons au Code canadien du travail.
Tout d'abord, nous faisons partie du Comité d'examen du Code canadien du travail, mais nous ne faisons pas partie du groupe de travail qui se compose de représentants de la grande entreprise et des grands syndicats, qui se sont entendus sur ce projet de loi. Deuxièmement, certains de nos membres sont assujettis à la réglementation fédérale, notamment dans les secteurs du transport aérien, de la télédiffusion, du camionnage et des communications. Nous avons de nombreux membres dans les Territoires du Yukon et du Nord-Ouest qui sont assujettis au Code canadien du travail. Troisièmement, tous nos membres sont à la merci des grands services gouvernementaux, tels que les postes, la manutention des céréales, les ports et les chemins de fer. Quatrièmement, nous représentons des contribuables qui craignent que les modifications apportées au code n'augmentent les coûts pour le gouvernement. Cinquièmement, nous craignons que les modifications au code ne favorisent les syndicats qui ont déclaré ouvertement cibler les petites et moyennes entreprises à cause de la réduction des effectifs dans les grandes entreprises et les services gouvernementaux. Permettez-moi de vous renvoyer au tableau que vous avez devant vous.
Dans son discours du Trône, le gouvernement déclarait qu'il fallait moderniser la partie I du Code canadien du travail afin de promouvoir un climat approprié à la croissance économique et à la création d'emplois. Le gouvernement fédéral et, en fait, tous les gouvernements reconnaissent l'importance de l'incidence de la petite et moyenne entreprise sur le développement économique et la création d'emplois au Canada.
Hier, nous avons comparu devant le Comité permanent des ressources naturelles de la Chambre des communes pour parler du développement économique rural et de la création d'emplois. Nous avons déjà comparu devant vous, monsieur le président, dans le cadre de votre initiative sur la création d'emplois à l'intention des jeunes.
Vous avez tous reçu un exemplaire de ce livre, à la couverture inoubliable, Une Étude sur la création d'emplois dans le secteur de la petite et moyenne entreprise au Canada. Nous voulions présenter la position de nos membres. C'est un message des créateurs d'emplois sur la création d'emplois. Nous voulions nous renseigner nous-mêmes et renseigner les autres sur ce qui se passe à ce niveau.
Nous créons des emplois et nous craignons que lors de l'examen du Code canadien du travail on n'ait oublié cet aspect. Le Comité Sims a reconnu que le Code canadien du travail devait être suffisamment général pour régir les relations de travail d'une grande variété de secteurs et d'employeurs, des entreprises à quatre employés à celles qui en ont des dizaines de milliers. Toutefois, dans le rapport, on ne le reconnaît pas, on n'en tient pas compte, et cela nous préoccupe énormément.
Une bonne partie du rapport est consacrée à une discussion du nouveau climat des relations de travail et à l'importance d'en arriver à un équilibre. Toutefois, le rapport prône l'équilibre entre les grands syndicats et les grands employeurs. Où se trouve alors la petite et moyenne entreprise et ses employés?
Il est question de l'intérêt public et de l'incidence sur l'économie, mais on ne fait même pas mention de l'incidence désastreuse des grèves prolongées de Postes Canada, des manutentionnaires de céréales, des activités portuaires et des chemins de fer sur la petite et moyenne entreprise, son chiffre d'affaires et la création d'emplois.
On discute des rapports de puissance et de la nécessité de maintenir l'équilibre naturel des pouvoirs dans le Code du travail. Où se situent les petites entreprises dans cette relation? On est silencieux sur l'importance croissance des petites et moyennes entreprises. C'est un oubli important qui préoccupe nos membres.
Si vous vous reportez au premier tableau de ce rapport que j'ai, vous constaterez l'évolution de l'emploi total du troisième trimestre de 1995 au troisième trimestre de 1996. On constate que les gouvernements de tous les paliers ont créé 10 000 emplois, alors que les petits employeurs du secteur privé en ont créé 32 000. Il s'agit d'un gain net. En fait, les petites entreprises ont créé beaucoup plus d'emplois, mais il faut soustraire les pertes d'emplois dans les grandes entreprises qui ont réduit leurs effectifs.
Toutefois, le plus gros secteur, c'est celui des travailleurs autonomes. Ce secteur a créé112 000 nouveaux emplois.
Le deuxième tableau indique l'évolution de l'emploi total de décembre 1994 à décembre 1995. Les gouvernements de tous les paliers ont réduit leurs effectifs de 70 000 employés. Les travailleurs autonomes ont augmenté de 133 000 et le secteur privé accuse une augmentation de 39 000.
Nombreux sont ceux - surtout chez les représentants syndicaux - qui font valoir qu'il faut que les travailleurs des petites entreprises et les travailleurs autonomes ou à domicile soient représentés par des syndicats parce que leurs intérêts ne sont pas bien protégés. Ils font valoir que les employés des petites entreprises jouissent de conditions de travail inférieures et qu'il faudrait moderniser la loi afin que les syndicats soient à même d'organiser les travailleurs dans ce secteur.
En fait, les études et autres recherches de la FCEI révèlent le contraire. Le rapport que vous avez sous les yeux, intitulé: C'est dans les PME que les employés sont les plus satisfaits, présente un sondage non pas de nos membres, mais un sondage que nous avons commandé au sujet de la population active, des employés. On y constate que les employés dans les petites entreprises non syndiquées sont en général plus satisfaits de leurs conditions de travail que les employés des grandes entreprises syndiquées.
Il y a de nombreuses études en comité actuellement, et quand vous écoutez les membres de ces comités s'exprimer sur l'évolution du lieu de travail ou sur la partie I du Code canadien du travail, vous entendez dire le contraire.
Veuillez vous reporter à la page 7 de ce rapport, au tableau intitulé «Niveau de satisfaction moyen des employés - comparaison entre les employés syndiqués et non syndiqués». On y voit plusieurs catégories, et dans presque chacune les employés non syndiqués sont plus satisfaits que les employés syndiqués. Les employés des petites entreprises sont plus satisfaits que les employés des grandes entreprises.
Nous ne voulons pas être négatifs. Nous essayons simplement de démontrer que la petite entreprise n'est pas une grande entreprise à une petite échelle; c'est une entreprise différente. On peut y parler directement à son employeur.
Quant aux chiffres sur les travailleurs autonomes... Là encore, Angus Reid a fait récemment un sondage dont vous êtes certainement au courant. Soixante-seize pour cent des travailleurs autonomes y déclaraient avoir fait le choix de ce mode de travail, 77 p. 100 se déclaraient plus satisfaits de leurs conditions de travail et 73 p. 100 pensaient que leur situation s'était améliorée maintenant qu'ils étaient à leur compte.
J'arrive bientôt au mot de la fin.
Dans le sommaire du projet de loi C-66, on avance comme objectif des modifications la possibilité d'offrir un cadre en matière de négociations collectives qui permette mieux aux syndicats et aux employeurs de définir leurs propres conventions et de régler rapidement leurs conflits.
On considère souvent le Code du travail comme un moyen de protéger les employés du pouvoir de coercition et de la puissance des grandes sociétés, mais quels sont les moyens à la disposition des petits employeurs pour se protéger du pouvoir de coercition et de la puissance des grands syndicats? À tout le moins, ce projet de loi ne devrait pas faciliter la tâche aux syndicats qui veulent s'organiser dans de petites entreprises. Voici ce que nous voulons dire: à notre avis, les modifications au Code canadien du travail doivent viser à assurer un équilibre non pas uniquement entre les grands employeurs et les grands syndicats, mais également entre les petits employeurs et les grands syndicats.
Regardez le tableau suivant. Vous constaterez que nos membres ne pensent pas qu'il faille donner au conseil le pouvoir de fournir aux syndicats les noms, adresses et adresses électroniques des employés à distance. Huit pour cent seulement de nos membres appuient cette initiative.
Je veux vous lire quelque chose. Nous considérons que nous sommes visés. Il faut déterminer l'objectif. À notre avis, il faut soit éliminer cette disposition, soit la limiter très précisément. Ce document est dépassé, mais il s'agit du plan d'action du Congrès du travail du Canada. Si cela vous intéresse, nous pouvons vous en faire parvenir copie.
J'aimerais vous citer ce plan d'action:
- Il est essentiel d'augmenter le nombre de syndiqués dans tous les secteurs de l'économie.
Néanmoins, la croissance rapide actuelle du secteur des services et son faible taux de
syndicalisation nous portent à croire que si les syndicats ne réussissent pas à organiser ce
secteur, le mouvement syndical perdra de sa puissance au cours des années à venir.
- L'une des principales difficultés d'organisation du secteur des services, c'est le grand nombre
de petits employeurs et les restrictions des codes canadiens du travail. Afin d'aider les syndicats
à faire face à ces problèmes, le congrès et la fédération du travail examineront les codes du
travail pertinents afin de voir quels amendements sont nécessaires pour faciliter l'organisation
de ce secteur.
Je demande donc aux membres du comité, car nous aimerions que vous examiniez cet aspect: cette disposition vise-t-elle à protéger les employés ou à favoriser la croissance des syndicats? À notre avis, il faut soit l'éliminer, soit tout au moins en exclure expressément les petits employeurs et les travailleurs autonomes.
Notre deuxième grande préoccupation découle de l'interdiction relative aux travailleurs de remplacement au paragraphe proposé 94(2.1). Cette disposition est trop générale et trop vague. Pourquoi? S'agit-il de prévoir des circonstances exceptionnelles ou de laisser le conseil, à sa discrétion, appliquer cette disposition avec souplesse? À notre avis, il faut soit éliminer, soit limiter cette disposition.
Nous pourrions comprendre qu'elle soit plus restrictive si les employeurs abusaient et qu'il fallait faire quelque chose, mais depuis la publication des recommandations du rapport Sims, nous avons vu disparaître quelques mots clés. Par exemple, on a remplacé «dans le but avoué» par «dans le but de miner» et on a éliminé la nécessité d'en faire la preuve. Pareillement, on a éliminé «dans la recherche d'objectifs légitimes dans le cadre de la négociation collective», alors qu'à notre avis il faudrait le préciser.
Dans le sondage mené auprès de nos membres, nous leur avons demandé s'il fallait interdire l'embauche de briseurs de grève dans les milieux de travail régis par des lois fédérales - c'est le tableau suivant - et 84 p. 100 de nos membres, sur un échantillon d'environ 15 000 membres, ont affirmé que non. Il s'agissait de petites entreprises.
Dans le cas des grandes entreprises, nous avons demandé à nos membres agriculteurs parmi nos membres si les transports agricoles devaient être exemptés des grèves, et à 90 p. 100 nos membres ont répondu que oui.
Le tableau suivant que nous avons inclus porte sur la Société canadienne des postes. Vous vous demandez sans doute: «Où veut-il en venir?» Nous participons à l'examen de la société canadienne des Postes. Nous avons donc demandé si la Société devait conserver le monopole de la livraison du courrier; 58 p. 100 de nos membres pensaient que non et 32 p. 100 pensaient que oui. Le vote était plutôt partagé.
Le comité et le ministre - et à notre avis le gouvernement - ont décidé que non, la Société canadienne des postes devait conserver son monopole parce qu'il s'agit d'un service essentiel. Il faut lui laisser son pouvoir de monopole parce que 95 p. 100 des gens ouvrent du courrier tous les jours.
Une façon de régler la question des travailleurs de remplacement consisterait à déclarer service essentiel la Société canadienne des postes. Nous craignons qu'à la fin du mois de juillet de l'an prochain il n'y ait grève. Les victimes, comme d'habitude, seront nos membres et la population en général.
J'aimerais parler de deux autres dispositions. Et ensuite il faudrait sans doute passer aux questions et réponses.
L'article 47, à la page 36, prévoit:
- 104.1 Le ministre invite... des représentants des employeurs et des syndicats et des spécialistes
en relations industrielles...
- Il y a un renvoi à l'article 2, page 2, qui traite de la composition du conseil.
Nous nous préoccupons également, monsieur le président, de l'élimination de la partie II de la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats. Pourquoi abroger cette loi? Nous n'y comprenons rien. Peut-être pourrez-vous nous l'expliquer. Cette loi prévoit la cueillette par Statistique Canada de données statistiques sur les syndicats à des fins de rapport. Ainsi, Statistique Canada peut divulguer publiquement cette information, et nous ne comprenons pas pourquoi il en serait autrement.
Nos membres se préoccupent notamment du fait que Statistique Canada fait de nombreux sondages auprès d'eux afin de recueillir de nombreux renseignements sur la petite entreprise, et nous ne comprenons pas pourquoi les syndicats ne seraient pas traités de la même façon. Cela dit, il y a peut-être une raison légitime de procéder ainsi, mais nous ne voyons pas ce qu'elle peut être. Néanmoins, nous pensons que c'est important.
Nous n'avons pas vraiment tenté d'examiner tous les aspects du Code du travail. Nous avons simplement lancé quelques questions. Nous exhortons fortement les membres du comité à ne pas oublier les principes fondamentaux suivants dans leur examen des modifications au Code canadien du travail.
(1) La souplesse: les modifications à la partie I vont-elles gêner les ententes de travail souples et innovatrices, notamment la création d'emplois dans la petite entreprise?
(2) La compétitivité: les modifications à la loi gêneront-elles la croissance et la création d'emplois dans les petites entreprises, les principales raisons de ces changements, d'après le discours du Trône?
(3) Les coûts: les modifications entraîneront-elles des coûts impossibles en cette période de reprise économique fragile?
(4) L'effet de boomerang: est-ce que cette réforme ne risque pas en fait de nuire aux personnes que vous souhaitez aider? Le chômage ne sera-t-il pas plus élevé chez les jeunes, les emplois saisonniers moins nombreux, la sous-traitance accrue et la perte d'emplois... Je sais qu'il en sera question lorsque nous reviendrons pour la partie III, mais ce sont quelques-uns des principes qui nous viennent à l'esprit.
(5) La myopie en matière de politique: la réforme du code ne va-t-elle pas à l'encontre d'initiatives législatives dans d'autres secteurs? Nous avons passé plus d'une heure à discuter de questions de développement économique rural avec le Comité des ressources naturelles hier, à parler des façons d'améliorer les possibilités de création d'emplois en milieu rural.
Nous estimons que le projet de loi peut être modifié de façon à répondre aux besoins non seulement de la grande entreprise et des grands syndicats, mais également des petites entreprises de nos membres. Voilà les défis que nous lançons aux membres du comité.
Merci beaucoup de m'avoir donné de votre temps.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Whyte. Vous avez soulevé quelques questions très intéressantes.
Nous allons maintenant passer aux questions et réponses, en commençant par
[Français]
le Bloc québécois. Madame Lalonde.
Mme Lalonde: Merci, messieurs. C'était intéressant, d'autant plus que j'ai été syndicaliste et que j'ai par la suite enseigné les relations de travail. J'ai aussi été patron pendant une courte période. On pourrait convenir que dans un monde idéal pour les patrons, il ne devrait pas y avoir de syndicats. Si je vous ai bien compris, vous avez dit qu'il serait préférable qu'il n'y ait pas de syndicats pour les PME.
L'histoire nous apprend toutefois que les syndicats ne sont pas nés de façon gratuite, par hasard. Ils sont nés parce qu'il y avait des problèmes importants, dans les grandes entreprises surtout, je l'admets, et les gouvernements ont compris que s'ils ne les réglementaient pas, il y aurait des désordres selon la force du syndicat et du patron. Au fond, ces codes que nous avons sont un acquis parce qu'ils permettent d'atteindre ce qu'on recherche, soit d'arriver à ce qu'on appelle la paix industrielle.
Vous me permettrez de vous dire que quand vous citez le sondage que vous avez fait, je suis portée à vous demander où est la poule et où est l'oeuf. Est-ce que les gens ne sont pas syndiqués parce qu'ils sont plus satisfaits au travail, ou est-ce qu'ils sont plus satisfaits au travail parce qu'ils ne sont pas syndiqués? Je serais plutôt portée à vous dire que c'est la première question qui est la bonne.
Par expérience, je sais que quand ça va bien dans une entreprise, et souvent ça peut aller bien dans une PME, les rapports avec l'employeur sont directs. Même si le travailleur gagne moins, il se sent plus concerné, jouit de plus de souplesse et ne pensera pas à se syndiquer. Quand pense-t-il à se syndiquer? Il y pense quand il a le sentiment qu'il n'est pas traité comme il devrait l'être, que l'employeur fait sur son dos, d'une façon injuste, de l'argent qui devrait être réparti autrement. En somme, c'est quand il y a de l'injustice que les travailleurs pensent à se syndiquer.
Quand les grands syndicats dont vous parlez ont à faire des mouvements de syndicalisation dans de petites entreprises, cela leur coûte cher. Certains grands syndicats n'investissent pas dans les petites entreprises. Des travailleurs disent que les syndicats devraient investir dans les petites entreprises pour aider la syndicalisation. Dans les petites entreprises, ce n'est pas toujours le bonheur total. Il y a des employeurs qui sont corrects, tandis que d'autres ne le sont pas. Quand les employeurs ne sont pas corrects, les travailleurs et travailleuses ont le goût de se syndiquer.
Nous comprenons votre situation et constatons en même temps que dans les faits, la situation des PME est différente. Leur rapport à la syndicalisation est différent aussi. Je suis portée à me demander ce que vous voulez au juste. Votre présentation est plutôt générale, tout comme la mienne. C'est pourquoi je me suis permis de vous répondre sur le même ton.
Je parle longtemps, monsieur le président, mais nous avons une heure pour discuter de ces choses importantes. Il faut les classer, les noter par écrit. Je pense que c'est important. Que veulent-ils au juste pour les PME, compte tenu qu'on ne vit pas dans un monde idéal, mais dans un monde où même dans les PME, il y a des travailleurs et travailleuses qui vont vouloir se syndiquer parce qu'ils trouvent qu'ils se font écoeurer? Qu'est-ce qu'ils souhaitent précisément?
[Traduction]
M. Whyte: Tout d'abord, je suis d'accord avec presque tout ce que vous avez dit. Nous avons préparé de la documentation pour nos membres il y a environ cinq ans sur ce qu'il leur fallait faire s'il voulait un syndicat - par exemple, maltraiter leurs employés; ne pas communiquer avec eux; ne pas les inclure. Ainsi, vous méritez que quelqu'un s'amène chez vous.
Je ne peux donc rien contester de ce que vous avez dit. Toutefois, la question, c'est le rapport de force. Un syndicat, c'est très puissant. C'est ironique; il est très coûteux pour les syndicats de s'implanter dans de petites entreprises, mais une fois qu'ils l'ont fait, cela peut s'avérer dévastateur pour la petite entreprise.
J'ai en tête un exemple d'un petit employeur qui avait trois employés. Le syndicat a tenté de les syndiquer. Ils ont embauché un avocat et ont dû y mettre beaucoup de temps. Il y a eu perturbation dans le milieu de travail, et il y avait trois employés.
En fait, il s'agissait d'un employé mécontent qui était malheureux. Deux ont voté pour ne pas avoir de syndicat. Il en a coûté 30 000 $ au propriétaire, cela a presque détruit son entreprise, et ce fut très stressant pendant six mois.
Qu'est-ce que vous voulez? Si vous voulez les noms, les adresses et les adresses électroniques des travailleurs à distance, vous allez ouvrir la porte à ce rapport de force. Nous disons que le conseil pourrait donner instruction à l'employeur d'annoncer quelque chose par courrier électronique, ou à l'intention des employés à distance, par exemple sur un processus de certification en cours, mais donner les adresses de ces employés, c'est fausser l'équilibre de ce rapport de force.
En outre, à la lumière des statistiques sur les travailleurs autonomes, il n'est pas clair dans le projet de loi qu'on ne peut pas viser ces travailleurs. À l'heure actuelle, au niveau provincial, le débat fait rage sur la définition de «employé», et le débat se déroule aussi sur la définition de «travailleur autonome» au niveau fédéral. Il y a ou il y a eu des séances de comité sous la présidence de M. Gagliano sur l'évolution du milieu de travail, sur la façon d'accommoder le travail non standard. Nous craignons que ce ne soit que le début.
Que voulons-nous? Nous voulons une disposition à cet effet dans le projet de loi. Nous pensons qu'il faut soit éliminer cette disposition, soit la modifier de façon à ce que le conseil puisse exiger que les employeurs informent les employés à distance. La question, c'est celle de l'accès pour les syndicats. Dans ce cas, parfait, mais ne donnez pas les adresses personnelles ou électroniques des travailleurs à distance. Voilà la première chose.
Nous voulons également être représentés. Vous voulez moderniser; eh bien, les petits entrepreneurs doivent être représentés afin d'éviter les ententes entre... on parle de «gestion» et de «représentants syndicaux». Ce n'est pas notre vocabulaire à nous. Nous sommes d'une planète tout à fait différente. Nous parlons de «employeurs» et «employés».
Même dans le communiqué de presse, on parle du consensus intervenu. Or, nous n'avons pas été partie à ce consensus. Plus tard, nous avons parlé aux employeurs, qui nous ont dit: nous ne savons pas exactement comment la question des travailleurs à distance est venue sur le tapis. Cette question ne les préoccupe pas.
Cela les préoccupe maintenant. Nous pensons que nous devons être représentés.
En ce qui concerne les travailleurs de remplacement, nous craignons qu'une interprétation trop vague ne nuise à ceux qui ont le droit de fournir, le droit de travailler, le droit de rester en affaires, le droit de faire des affaires.
Nous nous préoccupons également du fait que dans le rapport Sims - malheureusement je n'en ai pas de copie ici et j'oublie le numéro de la page - à l'historique de l'accréditation, il y a un tableau... Il n'y a pas de références, mais le tableau donne la taille des entreprises où des syndicats ont été accrédités au cours des cinq dernières années. Dans la vaste majorité des cas, il s'agit d'entreprises de moins de 100 employés. Je pense que dans 95 p. 100 des cas, il y a moins de 185 employés. C'est maintenant dans la petite entreprise que les syndicats sont accrédités. Cela nous préoccupe tous.
Je pense que ce sont les trois points précis.
Dan, avez-vous autre chose à ajouter?
M. Dan Kelly (directeur, Affaires provinciales, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante): Oui, j'aimerais ajouter une chose encore.
Bien que je partage l'opinion que nous devons tenter de nous assurer que nous n'apportons pas des changements qui modifient l'équilibre des pouvoirs en faveur des employeurs, il faut également nous préoccuper de savoir pourquoi le mouvement syndical tient tant à ces amendements et pourquoi il les appuie avec tant d'enthousiasme.
De façon générale, c'est l'intention avouée du mouvement syndical de tenter d'augmenter sa concentration dans les petites et moyennes entreprises. En effet, la part du marché des syndicats se détériore très rapidement dans les grandes entreprises et dans les services gouvernementaux, leurs secteurs traditionnels. C'est notamment pourquoi nous nous préoccupons à ce point de certains de ces amendements: parce que ce n'est que le début peut-être.
On vise à accorder au mouvement syndical un accès accru à des lieux de travail où l'atmosphère est actuellement harmonieuse et où il n'y a peut-être pas de problèmes. Voici ce qui nous préoccupe, d'après ce que nous voyons: le mouvement syndical tente-t-il de s'implanter dans des lieux de travail de plus en plus nombreux alors qu'en fait rien ne le justifie?
Certainement, pour certains employeurs, un syndicat, c'est la meilleure des choses, mais nous devons nous assurer qu'on ne pousse pas au-delà, dans des entreprises où ce n'est pas approprié.
Le président: Merci, monsieur Kelly et monsieur Whyte.
Monsieur Johnston.
M. Johnston (Wetaskiwin): Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs, de votre exposé. Il est question de travailleurs à distance, et je vais continuer dans la même veine et vous demander si vous seriez aussi inquiets si on devait demander aux travailleurs s'ils veulent bien que l'information soit divulguée.
Je constate que dans ce projet de loi on ne prévoit pas de demander le consentement des travailleurs à distance. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Whyte: À notre avis, ce serait probablement un bon compromis: tout d'abord, s'agit-il d'employés, et, deuxièmement, veulent-ils donner leur consentement? Dans un tel cas, cela ne devrait pas faire de problème.
Pour nous, l'essentiel, c'est de «demander à l'employé». Nous nous préoccupons - légitimement à notre avis - des possibilités de harcèlement des employés non seulement de la part des employeurs, mais également des syndicats.
M. Kelly: C'est tout à fait dans la même veine que le débat qui fait rage actuellement sur ces questions. Au Manitoba, la province d'où je viens, nous venons tout juste de faire une réforme approfondie du droit du travail, qui est très controversée.
Les réformes faites par le gouvernement du Manitoba partaient du principe général qu'il fallait redonner le pouvoir aux employés plutôt que de le laisser aux chefs syndicaux. C'est là, je pense, un sentiment général que nous partageons. Il faut que ce soit les employés qui prennent les décisions. Nous devons tenter de donner autant de pouvoir que possible aux employés, sur le plan personnel, plutôt que de les forcer à s'en remettre à un chef syndical qui ne tiendra peut-être pas compte des désirs des travailleurs.
Il suffit de se reporter au cas de Canadien International pour avoir un très bon exemple du problème que nous déplorons. Nous croyons qu'au niveau fédéral ainsi qu'au niveau provincial beaucoup trop de pouvoirs ont été conférés aux syndicats et à la hiérarchie syndicale et pas assez aux syndiqués eux-mêmes. Ce projet de loi devrait fournir aux employés le moyen de présenter leurs points de vue et devrait aussi contraindre un syndicat à tenir un vote lorsque l'employeur cherche à renégocier une entente qui lui permettra de sauver son entreprise. Or, ce n'est pas ce que fait le projet de loi.
Un certain nombre de changements pourraient être apportés au projet de loi afin de rétablir l'équilibre. Au lieu de dresser l'un contre l'autre la grande entreprise et les grands syndicats, il est impérieux à l'heure actuelle de donner aux employés les moyens de se prendre en charge.
M. Johnston: Je vois que vous ne vous prononcez pas sur les dispositions du projet de loi relatives aux droits des successeurs. Quelle serait l'incidence pour votre organisme des amendements prévus à cet égard au Code du travail?
M. Whyte: À quel article faites-vous allusion, je vous prie?
M. Johnston: Je dois admettre ne pas en être sûr. Je crois qu'il s'agit des articles 22 et 23.
M. Kelly: Voici ce qui nous préoccupe beaucoup au sujet des droits des successeurs. Dernièrement, dans ma province du Manitoba, CN Rail a vendu certaines voies moins fréquentées à une entreprise américaine qui compte exploiter un service ferroviaire sur courte distance. Une question qui a fait l'objet de longues discussions, c'était de savoir si le nouvel exploitant a le devoir de respecter les conventions collectives conclues par CN Rail avec ses employés. Ces conventions étaient tellement généreuses que je crois que cela aurait rendu le nouveau chemin de fer non rentable.
La décision qui a été récemment rendue en ce qui touche CN Rail est très positive. Je crois qu'il en découlera que ce port demeurera ouvert et qu'on maintiendra ainsi des services vitaux pour le Nord.
Nous ne voudrions pas que les dispositions sur les droits des successeurs rendent les choses plus difficiles pour une entreprise privée qui voudrait acquérir un service gouvernemental privatisé dans les domaines où il est illogique qu'une grande entreprise de régie fédérale offre certains services qui pourraient être fournis plus efficacement par une entreprise plus petite. Nous ne voudrions pas un régime qui complique encore davantage ce type de transactions, parce que je crois que ce sont les utilisateurs des services qui seront lésés.
Nous voulons nous assurer que les dispositions sur les droits des successeurs ne compromettent pas la survie de services vitaux comme les liens ferroviaires avec le Nord que je viens de donner en exemple.
Je reconnais ne parler ici que de questions générales.
M. Johnston: Pour ce qui est des travailleurs de remplacement dont il est question dans le projet de loi, certains témoins estiment que tout recours aux travailleurs de remplacement compromettrait la capacité de représentation des syndicats. Autrement dit, cela pourrait être considéré comme un effort en vue de briser un syndicat.
Étant donné qu'on s'attendra à ce que le conseil rende des décisions favorables aux syndicats à cet égard, sur quoi devrait-on se fonder, à votre avis, pour dire que le recours aux travailleurs de remplacement mine la capacité de représentation des syndicats? Quel amendement proposeriez-vous en ce sens?
M. Whyte: Chacun sait que ce sont les cas des mines Giant et de la minoterie Ogilvie qui sous-tendent cette disposition. Pour le Comité Sims, le recours aux travailleurs de remplacement ne devrait être interdit que si l'employeur s'adonne par là à des activités tout à fait illégales dans des circonstances exceptionnelles. C'est le principe qui semblait se dégager de la partie du document de consensus portant sur les travailleurs de remplacement.
Certains mots clés ont été supprimés du libellé proposé par le groupe de travail Sims. On ne retrouve pas dans le projet de loi l'expression «dans le but manifeste de miner la capacité de représentation d'un syndicat». Le libellé du projet de loi n'est pas aussi précis que cela. On n'y retrouve pas non plus l'expression «dans l'atteinte d'objectifs de négociations collectives légitimes». On devait en faire une exception, et non pas une règle. Nous craignons que le libellé ne soit tellement général qu'au lieu de prévoir une exception on ait maintenant une règle.
Nous voudrions que l'article soit très restrictif, mais nous comprenons la frustration ressentie par chacun lorsqu'on n'arrive pas à amener une grande entreprise à prendre ses affaires en main. On voudrait forcer les gestionnaires à faire quelque chose. Nous nous comprenons. Mais il faut prévoir une exception, et non pas une règle. Dans de nombreux secteurs on s'écarte du modèle de la loi sur les travailleurs de remplacement.
Nous ne nous opposerions donc pas à une disposition sur les travailleurs dont la portée serait assez restreinte et qui ne pourrait être invoquée que dans des circonstances uniques.
M. Kelly: Je crois que cela soulève également une question plus vaste. Lorsqu'on élabore une politique publique et que l'on rédige une loi, il faut prendre soin de ne pas adopter des dispositions de portée trop large.
Je crois que c'est un problème en ce qui touche les amendements au droit du travail. Il est vrai que dans certains cas on a vraiment dépassé les bornes. Au lieu d'essayer de régler de façon législative ces cas-là, le projet de loi propose un cadre d'intervention qui s'appliquerait à tous les milieux de travail au Canada et dans des circonstances qui n'avaient jamais été prévues.
Quand on sait que le mouvement syndical, par l'entremise du Congrès du travail du Canada, a clairement énoncé que son objectif était de s'implanter dans les petites et les moyennes entreprises, on comprend mieux l'intérêt qu'il porte à cette question.
On peut dire qu'il tire parti des grands conflits de travail que nous connaissons tous. Voilà notre plus grande préoccupation. Nous devrions considérer ces cas comme des exceptions. Nous devrions armer le ministre de certains pouvoirs qu'il pourrait utiliser dans des circonstances bien précises quand il est bien évident que les choses sont allées trop loin, au lieu de prévoir une disposition qui s'appliquera aux entreprises qui comptent à peine 50 employés. Nous vous recommandons la prudence.
Le président: Monsieur Johnston, vous pouvez poser une dernière question.
M. Johnston: Je vous remercie, monsieur le président.
Je veux m'assurer de vous avoir bien compris. Vous ne vous opposez pas à ce projet de loi, pourvu qu'on y énonce clairement quels sont ses objectifs. Vous voudriez qu'on évite les dispositions de portée trop large. Ai-je bien raison?
M. Whyte: Nous nous faisons le porte-parole de nos membres. La grande majorité d'entre eux n'appuient pas l'idée d'une loi interdisant les travailleurs de remplacement.
Nous reconnaissons cependant qu'il y a des cas où une intervention est nécessaire, et si les paramètres de cette intervention sont bien définis nous sommes prêts à l'accepter.
Le président: Je vous remercie, monsieur Johnston.
Je vous remercie, monsieur Whyte.
Je donne maintenant la parole à M. McCormick.
M. McCormick (Hastings - Frontenac - Lennox et Addington): Je vous remercie, monsieur le président.
Je vous remercie, messieurs, de votre présence ici aujourd'hui. J'ai appartenu à votre organisme pendant de nombreuses années. Je crois aussi que le gouvernement devrait tout mettre en oeuvre pour appuyer la petite et la moyenne entreprise.
Je suis toujours heureux d'entendre parler d'entrepreneurs. Aujourd'hui, on peut enfin employer ce mot en public au Canada.
Notre Comité du développement des ressources humaines a reconnu votre action et vous a accordé son appui. Dans la partie II du projet de loi sur l'assurance-emploi, on trouve des mesures qui vont changer le sort de la petite entreprise. Je sais que les grèves, même petites, peuvent avoir un effet dramatique sur vos entreprises, mais je tiens à exprimer très clairement ma responsabilité en ce qui concerne les travailleurs de remplacement.
Est-ce que vous considérez qu'il faut permettre aux employeurs de recourir aux travailleurs de remplacement dans le but de saper la représentativité d'un syndicat?
M. Whyte: Non, mais le projet de loi est très large, et, une fois qu'il aura quitté ce comité, l'interprétation que pourra en faire un conseil risque de donner lieu à des abus.
Honnêtement, il n'est pas courant que nos membres se présentent devant un conseil des relations du travail. Nous n'avons pas d'avocats spécialisés en relations de travail qui interviendraient devant le conseil des relations du travail pour défendre nos intérêts. Nous espérons que la loi mettra en place certains paramètres, au lieu de confier des pouvoirs discrétionnaires sans limite au conseil.
Rien ne s'oppose à ce qu'on ajoute des notions plus restrictives dans la loi pour régler ce problème s'il est prouvé que les employeurs agissent, comme vous le dites, pour contrecarrer les objectifs de la négociation collective.
M. Kelly: Je voudrais ajouter quelque chose concernant les motifs pour lesquels un employeur pourrait recourir à des travailleurs de remplacement. L'employeur veut mettre son produit sur le marché, il veut pouvoir verser des salaires et il souhaite ne pas perdre une clientèle qu'il a mis des années à constituer. Il a beaucoup moins intérêt à saper la crédibilité du syndicat, à essayer de contourner la loi ou à polémiquer devant le conseil des relations du travail; il veut surtout répondre à la demande de ses clients et, dans la mesure du possible, garantir une forme de travail et de salaire à ses employés.
Je vous dirai bien franchement que, comme dans la situation actuelle de Canadien International, lorsqu'un syndicat intervient, il arrive parfois - et je ne prétends pas que ce soit toujours le cas - que les dirigeants syndicaux mettent une société dans l'impossibilité, à long terme, de proposer du travail à ses employés.
Nous ne voulons pas que nos membres, en particulier les petites entreprises, soient obligés de se démener pour sauver leur entreprise parce qu'ils sont pris dans des négociations complexes devant le conseil des relations du travail.
Ce qui nous intéresse surtout, c'est de savoir pourquoi les employeurs ont recours aux travailleurs de remplacement. Ils ne les engagent pas pour nuire aux syndicats. Ils les engagent parce qu'ils ne veulent pas perdre leur clientèle. Ils ont travaillé des années pour constituer leur entreprise et ils ne veulent pas la voir s'effondrer du jour au lendemain.
M. McCormick: J'ai une autre question à poser. Jouons cartes sur table: j'ai déjà travaillé dans une entreprise nationale de vente par correspondance, et je sais qu'une grève des postes peut poser un lourd défi, mais je voudrais vous interroger sur le Conseil canadien des relations du travail. Ce conseil va avoir des représentants régionaux, et je pense donc qu'il devrait être l'outil tout désigné pour réviser ces décisions. Je voudrais avoir votre avis sur le conseil des relations du travail. Pensez-vous que sa composition soit équitable pour toutes les parties en cause?
M. Whyte: Tout d'abord, parlons de la procédure. La plupart de nos membres ne connaissent pas bien le conseil des relations du travail tant qu'ils n'ont pas été confrontés à cette question. Je suis sûr que lorsque vous gériez votre entreprise, vous ne vous posiez pas de questions concernant le conseil des relations du travail. Voilà un premier élément.
On a indiqué à juste titre que nous avons fait un très large exposé sur les principes. En effet, c'est comme si nous n'avions pas été pris en considération... ou presque. Même au sein du conseil, on ne comprend pas toujours la situation des petites entreprises par opposition aux plus grosses.
Et c'est normal. Celui qui travaille uniquement pour le gouvernement ou pour une grosse entreprise a un point de vue différent. Le membre du conseil qui assiste à des échanges acrimonieux entre l'employeur et l'employé a, lui aussi, un point de vue particulier. Ce que nous craignons donc, c'est de prendre de gros risques auprès d'un conseil que nous ne connaissons pas bien.
En deuxième lieu, la plupart des représentants font référence à la loi ou à leur mandat, et si la loi manque de précision, nous n'obtenons jamais gain de cause. Ils ne s'interrogent jamais sur les raisons pour lesquelles nous comparaissons devant le conseil, à savoir parce qu'une grosse société a fait appel à des travailleurs de remplacement pour nuire au syndicat. Au cours de l'audience devant le conseil, tout cela se perd dans la traduction; c'est pourquoi vous devez indiquer très clairement les objectifs de cette mesure législative.
Le président: Merci, monsieur McCormick et monsieur Whyte.
Monsieur Nault.
M. Nault (Kenora - Rainy River): Merci, monsieur le président.
Vous avez dit, dans votre déclaration d'ouverture, qu'à votre avis l'article qui concerne les travailleurs à distance vise à permettre aux syndicats d'investir les petites et moyennes entreprises.
Je voudrais vous lire une partie du préambule du Code canadien du travail. Vous me direz si vous êtes d'accord, car je pense qu'il est important de partir de cette prémisse. Selon que vous serez d'accord ou non, j'aurai des questions à vous poser. Le préambule comporte notamment ceci:
- Attendu que les travailleurs, syndicats et employeurs du Canada reconnaissent et soutiennent
que la liberté syndicale et la pratique des libres négociations collectives sont les fondements de
relations du travail fructueuses permettant d'établir de bonnes conditions de travail et de saines
relations entre travailleurs et employeurs;
- On parle ensuite de la Convention numéro 87 de l'OIT, mais ce paragraphe du préambule établit
bien la relation qui existe entre la nation démocratique que nous sommes et notre droit à la
liberté d'association et à la négociation collective. Votre organisme reconnaît-il le bien-fondé
de cette prémisse?
M. Nault: Je ne le conteste pas.
M. Whyte: Pour une fois.
M. Nault: Et c'est très bien. Cela ne me pose aucun problème. J'accepte volontiers les chiffres d'Angus Reid que vous avancez.
Mon argument est le suivant: si vous êtes à ce point certains que la plupart des travailleurs ne veulent pas adhérer à un syndicat, pourquoi avez-vous peur de permettre aux syndicats de rencontrer tous les employés au Canada et d'essayer de les convaincre? Je vous parle très franchement. Certains ont l'impression que les syndicats sont des organismes totalitaires qui essayent d'empêcher les employeurs de gagner honnêtement de l'argent, alors que pour moi les syndicats sont comme les entreprises. Ils sont en affaires. Ils sont mandatés et élus par leurs membres pour les représenter, ils sont grassement payés pour le faire, et ils ont pour mandat d'aller chercher de nouveaux membres.
Cela étant dit, si vous reconnaissez le bien-fondé du préambule, pourquoi souhaitez-vous que le Code canadien du travail limite les possibilités des travailleurs à distance et empêche les gens de savoir qui ils sont et où ils se trouvent. Il est entendu que le conseil des relations du travail adoptera une procédure qui respecte la vie privée, et je suis certain que c'est possible, même dans le contexte des moyens technologiques actuels. Je n'accepte pas l'argument des entreprises. Si vous êtes si sûrs de vos chiffres, pourquoi avez-vous peur que les gens se parlent entre eux?
M. Whyte: Nous n'avons pas peur. Si l'employé ne s'oppose pas à ce que vous divulguiez son adresse pour le courrier ordinaire et le courrier électronique, il n'y a pas de problème.
Que craint le comité? Nous respectons le principe du suffrage universel. Si nos membres ne sont pas satisfaits de notre travail, ils quittent l'organisme. Ce sont eux qui nous financent intégralement. Pour celui qui veut adhérer à un syndicat et y exercer son droit de vote, c'est différent. Il ne peut pas le quitter.
On peut bien prétendre que le conseil exercera un contrôle et empêchera tout harcèlement, mais une fois que les adresses seront divulguées, on aura affaire à des actions individuelles. Il y a déjà eu des cas de harcèlement; on ne peut donc pas prétendre qu'il n'y en a pas eu, ni que chacun décide librement d'adhérer à un syndicat.
Troisièmement, supposons que je ne suis pas d'accord et que je veux faire rayer mon nom de la liste; je suis travailleur autonome et j'ai été classé par erreur parmi les employés. Le syndicat a mon nom et mon adresse, et je veux les faire rayer de sa liste. Je ne veux pas perdre de temps ni d'argent devant le conseil des relations du travail. Pourquoi ne pas amender le projet de loi pour dire qu'un employeur doit signaler aux travailleurs à distance que le syndicat est accrédité et qu'ils doivent prendre contact avec lui? Pour moi, voilà la véritable démocratie. L'employé pourra prendre le téléphone et dire: «D'accord, voici mon nom et mon adresse», ou il pourra autoriser son employeur à divulguer son nom et son adresse.
M. Nault: Nous ne contestons pas cela.
Vous n'avez guère d'estime pour le Conseil canadien des relations du travail ni pour notre régime démocratique; quant à nous, nous maintenons que chacun a droit au respect de sa vie privée. Je suis convaincu, comme d'autres, que le conseil adoptera une procédure conforme à ces besoins. Mais ce n'est pas ce que je vous ai demandé. Je vous ai interrogé sur quelque chose de plus fondamental.
Dans votre déclaration d'ouverture, vous avez déclaré qu'à votre avis les syndicats n'ont même pas le droit de savoir qu'au cours des prochaines années 30 p. 100 des employés seront des travailleurs à distance - et ce chiffre est déjà atteint. Les syndicats n'ont pas le droit de le savoir; mais votre point de vue est contraire à la liberté d'association et au droit à la négociation collective. Les employés ont le droit de négocier collectivement, s'ils le désirent.
J'aimerais savoir si, oui ou non, vous respectez le principe démocratique qui confère aux gens certains droits.
M. Whyte: On peut toujours discuter des principes démocratiques, mais qu'on nous juge sur notre action.
M. Nault: Elle penche toujours du même côté.
M. Whyte: Nous vous avons montré l'information de Statistique Canada qui montre la croissance du secteur des travailleurs autonomes. Vous venez de dire que 30 p. 100 des emplois seront occupés par des travailleurs à distance. Voilà le problème. Nous nous intéressons de près à la partie III du Code du travail, et on nous cite souvent ce chiffre. Statistique Canada ne donne pas de détails et n'indique pas que la grande majorité de ces 30 p. 100 sont non pas des travailleurs à distance, mais des travailleurs autonomes.
Commencez donc par faire le ménage dans vos statistiques.
Deuxièmement, nous avons participé à la réflexion sur l'évolution du lieu de travail; vous devriez en consulter la transcription, et vous verrez pourquoi les syndicats doivent obtenir une semaine de travail hors norme. Il n'y est pas question du principe démocratique. On y trouve des hypothèses sur l'évolution, on dit qu'il faut s'occuper de ces employés parce qu'ils ne sont pas représentés et qu'ils travaillent dans des conditions épouvantables. Nous prétendons qu'ils travaillent en dehors de leur domicile.
M. Nault: Je ne peux pas rester ici à écouter de telles balivernes.
M. Whyte: Je suis d'accord, monsieur le président.
M. Nault: Ce n'est pas pour cela que les gens revendiquent le droit à la négociation collective. Vous proposez qu'on leur donne une liste qui leur permettrait de négocier des conventions collectives et d'adhérer à un syndicat s'ils le veulent. Ce n'est pas parce qu'ils pensent que vous êtes un mauvais employeur. Ils pensent sans doute qu'il est plus efficace de se faire représenter par un syndicat, par un délégué ou par une unité de négociation. Est-ce trop demander?
M. Whyte: Non. Je suppose que vous avez du personnel dans votre bureau. Avez-vous un syndicat?
M. Nault: J'aimerais bien, mais je ne peux pas en parler à mes collègues.
M. Whyte: Pourquoi voudriez-vous avoir un syndicat? Vous êtes sans doute un bon employeur, et vos employés peuvent vous parler directement. Ils n'ont pas besoin d'intermédiaire.
Plutôt que de débattre de cela, si les employés peuvent autoriser leur employeur à divulguer leur adresse, qu'ils le fassent. Pourquoi ne pas inscrire cela dans la loi? Vous permettez aux syndicats de s'immiscer dans les affaires de l'employeur. Le conseil a des pouvoirs très étendus en la matière, et on est obligé de faire confiance à des gens qu'on ne connaît pas directement.
M. Kelly: Il faut également dire que le Code canadien du travail et toutes les lois provinciales du travail accordent aux syndicats des pouvoirs très étendus dont ne bénéficient jamais les employeurs ni les associations d'employeurs. Nous n'avons pas consulté nos membres sur le fait que les employés sont obligés d'adhérer à un syndicat une fois qu'il est constitué et qu'ils n'ont pas la possibilité de verser leurs cotisations ailleurs s'ils souhaitent le faire. Cependant, les syndicats ont des pouvoirs considérables, et nous craignons que ce projet de loi n'étende encore ces pouvoirs et fausse l'équilibre. Voilà notre point de vue.
En tant qu'employeurs, nous n'avons à rougir de rien. Dans une petite entreprise, le travailleur et l'employeur ont, neuf fois sur dix, des relations très étroites. Nous voulons que cet équilibre dans les rapports soit préservé, et non pas remis en cause par l'octroi de pouvoirs supplémentaires aux syndicats. Je pense que la législation du travail au Canada fausse déjà cet équilibre en faveur des syndicats. Il ne faut pas accentuer le mouvement, et c'est pourquoi nous contestons certaines dispositions du projet de loi.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Kelly, monsieur Whyte et monsieur Nault. Le comité a beaucoup appris de votre témoignage, qui reflète des perspectives différentes. C'est pour cela que le Parlement a des comités, où les députés peuvent recueillir des points de vue opposés sur une même question.
Vos interventions ont bien illustré vos points de vue, et à ce titre, au nom des membres du comité, je tiens à vous adresser nos plus sincères remerciements pour vos excellentes interventions. Merci.
Nous allons suspendre la séance pendant environ cinq minutes, de façon à permettre aux représentants du Syndicat international des débardeurs et magasiniers de se préparer pour leur exposé. Merci beaucoup.
Le président suppléant (M. McCormick): La séance reprend. Nous poursuivons nos audiences sur le projet de loi C-66, Loi modifiant le Code canadien du travail.
Je crois de mon devoir de signaler que vous allez peut-être entendre une sonnerie. Un vote est prévu à la Chambre des communes dans une vingtaine de minutes, mais nous devons reprendre la séance. Nous pourrons débattre par des questions et des réponses après votre exposé. Nous avons un horaire très chargé.
Nous accueillons des représentants du Syndicat international des débardeurs et magasiniers, affilié au CTC.
M. Tom Dufresne (président, Section 500, Syndicat international des débardeurs et magasiniers): Monsieur le président, je tiens à remercier le comité de nous donner l'occasion de comparaître aujourd'hui pour exprimer nos préoccupations concernant les propositions de modifications du code. Nous avons préparé un bref exposé et nous sommes disposés à répondre à vos questions.
Le Syndicat international des débardeurs et magasiniers est accompagné par le Conseil des travailleurs du débardage. Nous avons ici M. Martin Campbell, président de la Checkers Union d'Halifax, M. Michel Murray, de la section 375 des débardeurs de Montréal, et M. Doug Sigurdson, de la section 514, représentant les contremaîtres de la côte Ouest.
Le président suppléant (M. McCormick): Soyez les bienvenus. Nous vous écoutons.
M. Dufresne: Merci, monsieur le président. Nous allons faire notre exposé en anglais et en français. Nous avons fourni un document qui donne un aperçu de cet exposé. Je m'excuse pour les fautes de grammaire de la version anglaise du document, mais nous allons les corriger et transmettre la nouvelle version au comité dès lundi prochain. Une bonne partie de la traduction s'est faite par téléphone entre des gens qui avaient l'anglais ou le français comme langue seconde.
[Français]
M. Michel Murray (président, Syndicat des débardeurs (SCFP) - 375, Syndicat international des débardeurs et magasiniers): Nous devrons prendre environ deux minutes pour régler des problèmes techniques.
[Traduction]
Le président suppléant (M. McCormick): C'est parfait.
Avez-vous besoin de vous préparer?
M. Murray: Nous sommes prêts.
Le président suppléant (M. McCormick): Nous vous écoutons. Peut-être allons-nous devoir vous interrompre pour aller voter.
[Français]
M. Murray: Nous représentons le Conseil national des travailleurs du débardage et nous vous présentons ce mémoire. Nous avons une présentation visuelle à votre intention pour tenter d'accélérer le processus. Ça devrait fonctionner, ce qui jusqu'à maintenant n'est pas le cas.
Le Conseil national des travailleurs du débardage regroupe les trois principaux syndicats oeuvrant dans le domaine du débardage au Canada, à savoir l'ILWU, le Syndicat des débardeurs du Port de Montréal, qui a aussi des affiliations le long du Saint-Laurent, et l'ILA, l'International Longshoremen Association. Le Conseil national des travailleurs du débardage réunit, comme nous l'avons dit, les débardeurs ainsi que les vérificateurs, les contremaîtres, les travailleurs du chemin de fer, ceux des sociétés portuaires de la région de Montréal et les préposés à l'entretien qui oeuvrent dans les principaux ports de l'ensemble du Canada. De l'est à l'ouest, nous représentons quelque7 000 travailleurs.
Le Conseil national des travailleurs du débardage a été récemment créé à partir d'une volonté commune des travailleurs du débardage de s'unir pour travailler à la préservation de notre spécificité au sein d'un syndicalisme démocratique libre. Notre conseil national regroupe les ports de Vancouver, Victoria, Prince Rupert, Montréal, Contrecoeur, Sorel, Trois-Rivières, Thunder Bay, Québec, Saint-Jean (Nouveau-Brunswick), Halifax, Dalhousie, Toronto et Miramichi.
Les trois principaux syndicats qui représentent ces débardeurs sont eux-mêmes des débardeurs de l'ILWU, du Syndicat des débardeurs du Port de Montréal au Québec et de l'ILA à Montréal et tout particulièrement dans la région maritime. Je vous ferai grâce de vous nommer toutes les sections locales qui sont énumérées, mais je voulais simplement vous donner un bref aperçu des syndicats.
Plusieurs syndicats dans certains ports sont membres du Conseil national des débardeurs. Nous sommes aussi membres du Conseil international des ouvriers débardeurs, une table ronde internationale de travailleurs du débardage qui se sont regroupés au cours des deux dernières années précisément lors de la cause qui touchait nos confrères du Port de Liverpool. Le document que nous vous avons remis énumère brièvement les membres de la table internationale du Conseil des ouvriers débardeurs.
Au nom du Conseil national, nous aimerions remercier les membres du comité de l'occasion qui nous est offerte de lui faire part des changements que nous proposons à la partie I du Code du travail. Nous apprécions le fait que le comité ait pris en considération les points de consensus et qu'il tente de façonner le nouveau code de manière juste et équitable pour toutes les parties. Néanmoins, nous croyons nécessaire de vous faire les représentations suivantes et nous croyons qu'elles devraient faire l'objet d'une attention particulière de votre part.
Le ministre du Travail, l'honorable Alfonso Gagliano, par le biais de son projet de loi C-66 a, à notre point de vue, comme principale préoccupation de moderniser le Code, notamment quant aux droits et responsabilités des employeurs et quant au processus de négociation et des droits et obligations des parties pendant un arrêt de travail. Nous louangeons cette initiative depuis fort longtemps attendue par les syndicats. Nous ne croyons pas que le ministre se soit éloigné du but initial. Cependant, à la lecture de différentes dispositions du projet de loi C-66, nous croyons que le ministère du Développement des ressources humaines traduit mal la volonté de modernisation du ministre.
À cet égard, nous désirons vous citer l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail survenu dans le cadre de l'ALENA. Essentiellement, cet accord vise entre autres la protection du droit des travailleurs organisés de pratiquer librement la négociation collective et la protection du droit des travailleurs de faire la grève afin de défendre leurs intérêts collectifs. Vous retrouverez ces dispositions dans l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail à l'annexe 1, sous la rubrique «Principes relatifs au travail», aux points 2 et 3.
Nous vous soumettons respectueusement notre questionnement sur les points suivants: l'administration du Code canadien du travail, la négociation multipatronale volontaire, l'accréditation géographique dans le domaine spécifique du débardage, le processus de négociation, les droits et obligations au cours d'un arrêt de travail légal et le maintien des services.
Nous aborderons en premier lieu la question de l'administration du Code. Le nouveau Conseil détiendra le pouvoir d'établir le droit des parties en matière d'utilisation de travailleurs de remplacement, ce que précise le paragraphe 94(2.1). Nous croyons qu'une loi existe pour établir un droit tandis qu'une instance telle que le Conseil existe pour veiller à l'application de ce droit et non juger et, en dernier recours, déterminer s'il existe ou non.
Au chapitre de la négociation multipatronale volontaire et de l'accréditation géographique, nous saluons la modification apportée à l'article 34 touchant la participation financière que les employeurs devront verser à leur représentant patronal. C'est un renforcement de ladite loi qui mettra définitivement fin à l'exercice de piratage à l'aube du XXIe siècle.
Cependant, nous croyons que l'ajout, au paragraphe 34(1), d'«employeurs véritablement actifs» risque de donner lieu à des interprétations qui pourraient s'avérer dangereuses. Nous n'avons qu'à citer la cause portée devant le Conseil canadien des relations de travail où se sont confrontés l'Association des employeurs maritimes et Ciment Bellemare. Cette cause portait justement sur la définition d'«employeurs véritablement actifs».
L'ajout, aux paragraphes 34(1) et 34(2), du terme «employeurs véritablement actifs», loin de solutionner le problème qui est visé par le nouveau Code, risque de permettre à des employeurs occasionnels de se soustraire à l'accréditation patronale et à l'application de la convention collective en vigueur.
Le processus de négociation: Le but visé par le nouveau Code était de «moderniser et apporter une souplesse aux parties dans le cadre des négociations qu'elles effectuent». Nous soulignons l'apparition de mesures contraignantes qui, loin d'assouplir l'exercice de négociation, vont lui insérer un élément de rigidité.
Les principales sources de rigidité que l'on trouve dans le nouveau Code sont les suivantes: le vote secret pour l'exercice du droit de grève et les irrégularités se rattachant au scrutin; la déclaration ou l'autorisation d'une grève à l'intérieur d'un délai prescrit de 60 jours; et le préavis de 72 heures à l'employeur pour tout déclenchement de grève, au paragraphe 87.2(1).
Selon la compréhension que nous avons du processus de négociation, il doit nécessairement y avoir des négociations entre des représentants de travailleurs, qui sont eux-mêmes des travailleurs, et une association patronale ou un patron individuel. Dans le cadre du processus de négociation, il arrive un moment où, après le rapport de conciliation, le ministre décide de laisser s'exercer le rapport de force entre les parties. L'application de ce droit de grève ou de ce droit de lock-out se fait 14 jours plus tard. Il y a toujours des négociations entre les parties nécessairement. Malgré le fait que le ministre ait accordé le droit de grève ou le droit de lock-out aux parties, celles-ci continuent à négocier.
On a introduit dans le nouveau Code une mesure que nous considérons restrictive; il s'agit de la période de 60 jours suivant un scrutin, à l'intérieur de laquelle doit s'exercer le droit de grève ou de lock-out. À notre sens, c'est une mesure restrictive, d'autant plus qu'elle est liée, particulièrement dans le cas de notre industrie et pour tous les autres travailleurs, à un préavis de 72 heures à l'employeur.
Nous croyons aussi que le fait d'amalgamer la période de 60 jours au préavis de 72 heures, après que le ministre ait accordé un droit de grève ou de lock-out dans le cadre d'un processus de négociation, va freiner ledit processus et peut-être le saboter. Ainsi, la 61e journée qui suit un vote secret, il se tient encore des négociations et il s'installe un tempo à la table des négociations. En demandant aux travailleurs de retourner dans leur section locale pour tenir un nouveau vote de grève, selon les nouvelles dispositions du Code, que le résultat de ce vote soit positif ou négatif, on changera le rapport de force à la table de négociation et on sabotera même, dans certains cas, des négociations qui allaient bien.
L'exercice d'un droit de grève est, à notre point de vue, un droit fondamental et, quoi que certains aient pu vous en dire par le passé, il est considéré par les syndicats responsables, comme ceux des débardeurs du Canada, comme un ultime recours lors d'un processus de négociation. Le ministre l'accorde d'ailleurs lui-même en dernier recours pour laisser aux parties en présence le pouvoir d'exercer leur rapport de force et ainsi éventuellement accélérer le règlement d'une négociation.
Loin d'accélérer le règlement du processus de la négociation à cette étape ultime, puisqu'on a déjà obtenu du ministre le droit de grève ou de lock-out, les modifications soulignées précédemment risquent plutôt de l'entraver.
Nous vous soumettons que les paragraphes (1) et (2) de l'article 87.2, qui introduisent un avis de 72 heures avant d'exercer le droit de grève, sont inopportuns et spécifiquement préjudiciables puisqu'ils donnent systématiquement, dans notre industrie, un avantage aux employeurs maritimes et annihile à toutes fins utiles le rapport de force pour les syndicats du débardage.
En plus, nous croyons que l'article 87.3 n'accélère aucunement le processus de négociation et n'aboutira qu'à l'introduction de mesures purement administratives et inutiles. Nous considérons que les dispositions du Code actuel touchant le processus de négociation sont des plus adéquates en regard de l'expérience des dernières années.
En ce qui a trait aux droits et obligations au cours d'un arrêt de travail légal, nous aurions souhaité voir à l'intérieur du projet de loi une disposition visant l'interdiction d'employer des travailleurs de remplacement. La présence d'une telle disposition dans les codes du Québec et de la Colombie-Britannique a servi à responsabiliser les parties en place lors du processus de négociation. Nous croyons que la modernisation des relations de travail passe obligatoirement par une sensibilisation des parties à se responsabiliser eux-mêmes et non par voie de lois rigoristes.
Cependant, nous sommes à même de constater qu'il y a eu des amorces d'encadrement quant à l'utilisation desdits travailleurs de remplacement, à l'intérieur du projet de loi.
Concernant le maintien des services, la notion de prestation de services, dont il est question dans l'article 87.4, ne devrait s'appliquer qu'à des services publics. Le rapport de force entre deux parties ne devrait pas être compromis par le maintien de présumés services essentiels dans le secteur privé.
La viabilité économique d'une entreprise n'ayant aucun lien avec la sécurité ou la santé du public, nous vous suggérons des dispositions qui existent déjà dans des codes du travail provinciaux, à savoir la publication annuelle d'une liste, par le biais du Conseil des relations industrielles, des accréditations du secteur public soumises au maintien des services essentiels à la sécurité ou à la santé du public. À notre point de vue, maintien des services rime nécessairement avec absence totale de travailleurs de remplacement.
Une nouvelle disposition du Code, l'article 87.7, fait obligation aux employés et à leur agent négociateur du secteur du grain de maintenir leurs activités liées à l'appareillage des navires céréaliers ainsi qu'à leur chargement et à leur entrée et leur sortie du port. Nous considérons que cette exception est opportune et n'y voyons aucune objection. La section Canada de l'ILWU, tout comme les membres du Conseil national des travailleurs du débardage, croient que cet article est acceptable dans sa forme actuelle et pourrait améliorer le processus de négociation.
En conclusion, nous désirons rassurer immédiatement le comité. Nous reconnaissons l'immense travail qui a été effectué pour tenter de faire de la partie I du Code du travail un outil progressiste. Nous avons d'ailleurs participé aux forums publics de Regina, Calgary, Vancouver, Toronto, Montréal et, à deux occasions, Ottawa.
Mais, pour ce faire, encore faut-il que la lettre de la loi en traduise réellement l'esprit et que la spécificité de certains groupes, comme le nôtre, ayant déjà fait l'objet d'exceptions à l'intérieur du Code, soit maintenue. Nous vous posons la question: comment peut-on appliquer une généralité à une exception?
Nous vous remercions. Respectueusement soumis par les membres du Conseil.
[Traduction]
Le président suppléant (M. McCormick): Merci. Personne ne devrait avoir l'impression que ce comité fonctionne dans l'obscurité. Votre exposé était excellent, et je vous en remercie.
Je tiens aussi à remercier l'équipe de la télédiffusion, qui a réussi à s'organiser au pied levé.
Nous allons faire une courte pause et nous reprendrons la séance dès que possible.
Le président suppléant (M. McCormick): Bonjour, mesdames et messieurs. Excusez-nous de cette interruption. Ce sont des choses qui arrivent à Ottawa, en particulier dans ce comité, où il nous est arrivé de siéger plus de 16 heures d'affilée. Nous espérons ne pas avoir à le faire aujourd'hui.
Le Syndicat international des débardeurs et magasiniers vient de nous faire un exposé extraordinaire, très actuel, et faisant appel à la technologie de pointe. Nous allons passer à une brève période de questions, en commençant par l'Opposition officielle.
[Français]
M. Ménard: Merci, monsieur le président. Je me joins à vous pour souhaiter la bienvenue à nos invités et leur dire que nous avons beaucoup apprécié leurs témoignages qui alliaient clarté et technologie, ce qui n'est pas toujours le cas.
En ce qui concerne le préavis de 72 heures, vous avez été très clairs; vous nous avez dit sans aucune équivoque que ce préavis avantageait l'employeur, que cela constituait pour vous un sujet d'inquiétude, que vous aviez le sentiment d'être véritablement désavantagés du point de vue du rapport de force. Je voudrais donc que vous expliquiez très clairement à ce comité comment le préavis de 72 heures peut causer cette situation de fait que vous craignez.
M. Murray: Il va de soi que l'industrie maritime n'a pas un lieu de travail fixe comme l'industrie de l'automobile. Les bateaux flottent, naviguent et se déplacent sur l'océan.
Comme nous l'avons dit dans notre présentation, les travailleurs et les syndiqués du débardage ne recourent pas à la grève par plaisir. Quand on en arrive à exercer notre droit de grève, c'est que, à notre avis, les employeurs sont de mauvaise foi dans les négociations. Il doit nécessairement y avoir une des deux parties qui est de mauvaise foi puisque le ministre accorde le droit de grève.
Donc, pour prendre un exemple concret, une fois accepté le recours à la grève au Port de Vancouver, 72 heures avant, le bateau ou les bateaux sont à 160 degrés de longitude. Ceux du Port de Montréal seraient à Cape Race, à Terre-Neuve. S'il faut donner un avis de 72 heures à l'employeur dans le cas d'une grève rotative ou de toute autre grève, nous croyons que ces bateaux seront détournés vers d'autres ports et que le rapport de force entre les deux parties sera complètement déséquilibré à notre désavantage.
Je vais vous citer les paroles des représentants patronaux de l'industrie maritime qui ont dit très clairement qu'en 72 heures, ils pouvaient vider le port, que ce soit celui de Vancouver ou celui de Montréal. Donc, il y a nécessairement un désavantage pour les travailleurs du débardage.
M. Ménard: Je crois que vous avez même fait des représentations auprès du ministre.
M. Murray: Effectivement, nous lui avons communiqué nos inquiétudes.
M. Ménard: Avez-vous l'impression d'avoir été entendus?
M. Murray: Nous pensons, comme nous l'avons dit dans notre présentation, que le ministre désire moderniser le Code. Nous faisons état actuellement de nos inquiétudes devant le comité en ce qui concerne le préavis de 72 heures. Si, dans le Code, on veut responsabiliser les parties et maintenir un rapport de force entre elles, vous venez de l'annihiler et de l'abolir dans le domaine du débardage.
M. Ménard: Vous avez fait une proposition intéressante concernant les services essentiels. Est-ce que vous souhaitez que le Conseil soit à même d'identifier chaque année les accréditations liées aux services essentiels? Voulez-vous nous parler un peu de cette proposition qui a été énoncée une seule fois par vous-même, comme témoin? Je la trouve très intéressante.
M. Murray: À notre avis, le maintien des services essentiels ou de certains services requiert un pendant qui s'appelle une loi antibriseurs de grève. Comme il n'y a pas de loi antibriseurs de grève dans le nouveau Code, même s'il comporte un certain encadrement de ces travailleurs dits de remplacement, il ne peut pas y avoir jumelage des deux au départ. S'il y a maintien des services, nécessairement il ne doit pas y avoir utilisation de travailleurs de remplacement. Sinon, comment les gens vont-ils cohabiter à l'intérieur d'une même entreprise?
Ce que nous disons, c'est que le maintien des services, tel qu'écrit dans le Code, ne nous pose pas de difficulté s'il vise la santé et la sécurité du public, dans le secteur public. Nous appartenons au secteur privé et on ne doit pas diminuer la place des travailleurs dans le rapport de force entre les parties par le maintien de supposés services essentiels.
Ce que nous proposons, c'est que dans le secteur public, chaque année, lorsque les conventions collectives viennent à échéance, le Conseil demande aux parties de négocier le maintien des services. Nous croyons que ce serait la meilleure façon de procéder en ce qui concerne le maintien des services essentiels.
M. Ménard: Ma collègue a une question.
[Traduction]
Le président suppléant (M. McCormick): Merci. Nous devons passer à votre collègue.
[Français]
Mme Lalonde: Merci beaucoup pour votre présentation. Vraiment, c'était impressionnant. Cela nous fait voir que, parfois, on pourrait se moderniser au Parlement.
J'aimerais que vous nous expliquiez la contradiction qui semble exister entre le fait que le ministre veuille moderniser le Code, ce que vous avez affirmé, et le fait qu'en réalité, les dispositions relatives aux 60 jours et aux 72 heures, au lieu d'aider la négociation, risquent de lui nuire. Pourriez-vous nous en parler?
[Traduction]
M. Dufresne: À notre avis, ce délai de 60 jours ajoute une formalité administrative aux négociations. Il risque de les ralentir, car si, à la toute fin des négociations, on se préoccupe avant tout de ce délai de 60 jours plutôt que des négociations, la situation risque de se retrouver gâchée.
C'est inutile, compte tenu des nouvelles dispositions et de la période de conciliation. La période accordée au ministre était de sept jours, et elle est passée à 14 jours. Nous pensons que les syndiqués peuvent se prononcer lors des élections annuelles, où ils élisent les membres du Comité de négociation et leur accordent leur confiance.
Le président suppléant (M. McCormick): Merci.
Nous allons maintenant passer à M. Johnston, du Parti réformiste.
M. Johnston: Merci, monsieur le président, et merci, messieurs, de votre exposé.
Vous dites que le vote à bulletin secret vous préoccupe. Si je vous ai mal compris, peut-être pourriez-vous nous éclairer là-dessus.
M. Dufresne: Je dois vous dire d'emblée que tous les votes sur les conventions collectives sont à bulletin secret. À notre avis, rien n'indique que les syndicats organisent les élections de façon contestable. Le fait d'en parler dans la loi risque de donner l'impression que certains se sont plaints de fraude, alors que cela n'a jamais été le cas.
[Français]
M. Murray: Concernant le vote secret, dans les dispositions de chaque syndicat, il est dit qu'une seule personne suffit pour demander le vote secret en assemblée syndicale. Or, permettre à toute personne de contester le résultat du scrutin à cause d'irrégularités dans son déroulement, comme il est dit au paragraphe 87.3(4), contestation qui ajoute encore dix jours sans avoir le droit d'exercer un rapport de force, va encore augmenter les délais.
Des irrégularités au cours d'un scrutin, il s'en produit même pendant les élections à la présidence de la République française. Nous nous demandons comment cela va pouvoir se gérer dans le monde des travailleurs. Comment nous sera-t-il possible de contester les irrégularités possibles qui se glisseraient au cours du scrutin tenu par une association d'employeurs? Nous croyons que cela ouvre la porte potentiellement à l'obligation de tenir le vote par scrutin et que les irrégularités qui s'y rattachent donneront lieu à d'autres délais qui déséquilibreront encore une fois le rapport de force qui doit nécessairement s'exercer entre les parties et, en ce qui nous concerne, d'une façon responsable.
[Traduction]
M. Johnston: Vous avez dit, je crois, que tous les votes que vous tenez sont à bulletin secret. Dans ce cas, pourquoi vous opposer à ce que cet usage soit officialisé?
M. Dufresne: C'est comme si on tenait à légiférer par principe.
Je peux vous parler de ce qui se passe au Syndicat international des débardeurs et magasiniers. Si nous convoquons une assemblée générale pour soumettre à nos membres une proposition ou pour leur faire part de l'absence de progrès dans nos négociations, on décide à main levée de tenir un vote à bulletin secret, qui se tient après cette première décision, car c'est ce que prévoit notre constitution. On ferait une insulte aux syndicats si on signalait cela dans une loi.
[Français]
M. Murray: Il faut aussi rattacher à cela, monsieur Johnston, le fait qu'il y a un délai supplémentaire. On l'a dit dans notre présentation: quoi qu'on ait pu dire dans le passé à propos des syndicats de débardeurs, vous pouvez constater aujourd'hui que, loin d'être de grands et gros tatoués qui ne cherchent qu'à déclencher des grèves sauvages, nous considérons la grève comme un recours ultime.
Il y a un délai supplémentaire de 14 jours quand le ministre accorde le droit de grève ou le droit de lock-out. Il y a des irrégularités possibles rattachées à la tenue d'un scrutin, qui peuvent entraîner un délai de dix jours supplémentaires. Il y a un délai de 60 jours et il faut de plus un préavis de72 heures.
Donc, selon notre analyse, quand on additionne tout cela sur une même feuille, on voit qu'aujourd'hui, on cherche à diminuer le droit des travailleurs de recourir à la grève. C'est pourtant un droit fondamental qui sert à protéger nos emplois. C'est aussi parfois, comme vous l'avez vu dans le passé, le seul recours à la disposition des travailleurs pour faire réfléchir les employeurs. L'année dernière, dans le domaine maritime, autant à Vancouver qu'à Montréal, ce ne sont pas les débardeurs qui ont fait la grève; ce sont des lock-outs qui ont été décrétés. Il faudrait peut-être aussi limiter le droit de lock-out.
[Traduction]
M. Johnston: Estimez-vous que, de façon générale, le projet de loi C-66 renforce le pouvoir des syndicats?
M. Dufresne: Nous pensons que le ministre et ses fonctionnaires se sont efforcés de proposer quelque chose qui soit juste et qui puisse être accepté par les deux parties. Nous ne pensons pas qu'il renforce les syndicats. Il accorde peut-être une protection individuelle supplémentaire, mais il ne renforce pas vraiment les syndicats.
Le président suppléant (M. McCormick): Il y a une question du côté du parti gouvernemental.
M. Nault: Merci, monsieur le président. Avant de commencer, je voudrais demander que l'exposé du groupe des contremaîtres affiliés au SIDM soit annexé au compte rendu en tant que document officiel, puisqu'il a été présenté en séance.
Je voudrais tout d'abord remercier les témoins de s'être déplacés. Il est toujours intéressant d'avoir accès à la technologie de pointe. Cela nous tient éveillés. Comme vous le savez, il est parfois fastidieux d'écouter des exposés l'un après l'autre, et vous avez réussi à attirer notre attention.
Je voudrais revenir sur le délai de 60 jours qui vous est accordé pour organiser un vote à bulletin secret sur un mandat de grève. Pouvez-vous me dire combien de temps il vous faut normalement pour obtenir un mandat de grève, quelles que soient les modalités du vote? Si c'est à la fin d'une période de négociation collective et que vous sollicitez l'approbation de vos membres, de combien de temps avez-vous besoin, et qu'est-ce qu'il vous en coûte?
M. Dufresne: La situation est différente pour chacun des syndicats qui sont représentés ici aujourd'hui. D'après la convention collective du Syndicat international des débardeurs et magasiniers, il doit y avoir des votes pour la région canadienne à Prince Rupert, Vancouver, Port Alberni, Victoria, Chemainus, New Westminster et Stewart. Il faut attendre que les urnes soient envoyées par courrier. Dans certains cas, les sections dépouillent elles-mêmes le scrutin et en communiquent les résultats par téléphone, si cette procédure est jugée acceptable. Mais si quelqu'un la conteste, il faut envoyer les urnes.
Pour d'autres syndicats, le facteur coût pose un problème plus sérieux. Pour les syndicats des chemins de fer ou des postes, dont les membres sont répartis sur tout le territoire canadien, ils s'exposent, en cas de contestation, à des délais d'attente considérables et à des frais très élevés.
La plupart des syndicats n'ont que très peu de marge de manoeuvre quant à l'utilisation des cotisations, qui sont souvent réservées pour la tenue de ces scrutins. Cette disposition risque donc d'être lourde de conséquences pour certains travailleurs, en particulier ceux qui ne sont pas en haut de l'échelle salariale.
M. Nault: Vous croyez que ma question portait sur l'imposition d'un vote à bulletin secret. En réalité, je voudrais savoir si vous avez déjà une procédure de ratification.
M. Dufresne: Oui, nous en avons une.
N. Nault: Pouvez-vous nous donner quelques détails?
Combien de temps vous faut-il actuellement pour ratifier une convention que vous avez négociée avec l'employeur, et combien vous en coûte-t-il? Cette procédure de ratification peut évidemment ressembler à un vote à bulletin secret. À mon avis, vous êtes obligés d'envoyer l'entente négociée à tous vos membres, de leur donner l'occasion d'en prendre connaissance, de l'analyser et de dire s'ils la jugent acceptable ou non. J'aimerais savoir quelle est la durée normale et le coût de toutes ces opérations.
Par exemple, si la négociation s'éternise, que vous avez mal calculé vos délais, que vous obtenez un mandat de grève et que le délai de 60 jours se termine, vous allez devoir consulter deux fois vos membres, ce qui va vous coûter très cher. Je voudrais donc savoir combien de temps il vous faut en situation normale, de façon que nous ayons une meilleure idée des effets de ce scénario de60 jours sur la dynamique des négociations. J'aimerais avoir une idée plus précise.
M. Dufresne: Nous sommes tous différents... M. Sigurdson a un rapport tout particulier avec la section locale des débardeurs. Il est peut-être en mesure de nous renseigner sur les coûts plus directs.
M. Doug Sigurdson (président, Syndicat international des débardeurs et magasiniers): Dans notre cas, nous sommes en mesure de prendre un vote de grève en quatre heures. Nous avons des agents sur l'île de Vancouver, à Prince Rupert, et à Vancouver. Par exemple, nous pouvons convoquer une réunion à 9 heures, donner les explications voulues aux membres, et prendre un vote sur les lieux mêmes. Ce qui n'est pas ce qui se passe habituellement. Nous accordons normalement aux membres un peu plus de temps pour étudier la proposition avant de prendre une décision.
Pour l'industrie, le coût est considérable, puisqu'il y a nécessairement arrêt de travail durant une journée, ce qui entraîne une perte de production. Par contre, pour ce qui est de prendre un vote, ce n'est pas long. Nous sommes en mesure de le faire immédiatement.
Pour les plus grands syndicats, cependant, le problème est considérable.
M. Nault: Pour certains des plus grands syndicats. Pouvez-vous me donner une idée du temps qu'il faut?
Je vais vous donner un exemple. Dans le cas des Travailleurs unis des transports, pour le secteur ferroviaire, il me semble que 45 jours sont nécessaires. Les bulletins de vote sont envoyés par courrier, et c'est pour l'ensemble du réseau ferroviaire, dans tout le pays. Il faut 45 jours, et il en coûte à peu près 50 millions de dollars ou plus pour l'ensemble du processus. J'essaie de me faire une idée...
M. Sigurdson: Vous voulez dire 50 000 $.
M. Nault: En effet, 50 000 $. Qu'est-ce que j'ai dit? Est-ce que j'ai dit 50 millions de dollars? Le syndicat aimerait certainement avoir 50 millions de dollars. Il est riche, mais pas à ce point. Je voulais dire 50 000 $.
Je tente de me faire une idée des effets de ce changement sur les syndicats un peu partout au pays, surtout pour ce qui est du palier fédéral. D'après ce que je sais, c'est parfois beaucoup plus facile au niveau provincial. Si vous avez des idées ou des propositions, c'est le bon moment de nous en parler.
M. Sigurdson: J'avais en tête les syndicats du secteur ferroviaire; cet article leur pose problème. Dans le cas de notre syndicat, ce n'est pas un problème majeur. Nous pouvons nous en accommoder.
M. Dufresne: Dans le secteur du débardage, il nous faudrait tenir une réunion avec la base, puisque les gens vont vouloir être mis au courant. Ils vont vouloir savoir pourquoi nous souhaitons un autre vote de grève et où en est le processus de négociation. Si nous imposons un arrêt de travail d'une journée, je ne sais pas ce que cela peut coûter au juste à l'industrie. Peut-être 10 ou 11 millions de dollars, puisque les navires sont en attente. Il faut renseigner les gens et leur donner l'occasion de poser des questions. Pour nous, c'est la façon la plus pratique de le faire.
Le président suppléant (M. McCormick): Merci, messieurs, des précieux renseignements que vous nous avez livrés. Je suis convaincu que nous allons en tenir compte dans notre examen du projet de loi, aussi bien durant le débat qu'à l'étape de l'étude article par article. Merci de votre comparution.
M. Dufresne: Merci, monsieur le président. Permettez-moi un dernier commentaire. Tous les syndicats de débardeurs sont représentés par des membres de la base. Chaque représentant d'un syndicat de débardeurs est un travailleur à qui on a confié un mandat de représentant d'une certaine durée.
Le président suppléant (M. McCormick): Il vaut la peine de le souligner.
Nous prendrons maintenant une pause de deux minutes.
Le président suppléant (M. McCormick): Bonjour, mesdames et messieurs. Nous allons poursuivre les audiences au sujet du projet de loi C-66, qui vise à modifier le Code canadien du travail. Notre premier témoin pour cette séance est M. Rex LeDrew, président de Day and Ross Ltd.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur LeDrew. Vous connaissez sans doute nos habitudes. Vous avez 10 ou 15 minutes pour faire un exposé si vous le souhaitez. Ensuite, nous passerons aux questions et réponses. Est-ce que cela vous convient?
M. Rex LeDrew (président, Day & Ross (Newfoundland) Ltd.): Merci, monsieur le président. J'ai distribué le document qui contient les quelques observations que j'ai l'intention de faire. Je vous remercie tout d'abord de l'occasion qui m'est donnée de comparaître.
Je tiens à vous assurer que j'ai assisté à la démonstration technologique. Je puis vous garantir que Brian Tobin, lorsqu'il est revenu à Terre-Neuve, nous a apporté toute la technologie. Nous l'utilisons quotidiennement...
Des voix: Oh, oh!
M. LeDrew: ... et je vous le précise au cas où vous penseriez que nous ne sommes pas en mesure d'en profiter.
Je suis le président de Day & Ross (Newfoundland) Ltd., une entreprise de transport par camion dont les activités s'étendent dans toute l'Amérique du Nord. Je suis également le vice-président de l'Association du camionnage des provinces de l'Atlantique, dont les membres se rendent à Terre-Neuve par traversier plus de 60 000 fois par année. C'est à ce dernier titre que je souhaite prendre la parole ici et faire valoir un aspect que vous n'avez peut-être pas été habitués à considérer jusqu'à maintenant.
Comme le savent bien les membres du comité, le projet de loi C-66 revêt une importance très considérable pour les employés et les employeurs qui participent au secteur des transports au Canada. En effet, le code régit les relations du travail de l'ensemble des secteurs qui relèvent de la réglementation fédérale, comme le transport routier interprovincial.
La mesure législative, j'en suis bien conscient, vise à régler certains problèmes importants qui ont été identifiés par les experts canadiens en relations du travail. D'une manière très générale, elle me semble offrir un équilibre tout à fait raisonnable de choix à toutes les parties au processus de négociation collective.
La notion d'équilibre en matière de relations du travail est extrêmement importante pour que soit créé un climat favorable à la croissance économique et à la création d'emplois. Pour qu'une entreprise comme la nôtre puisse croître, un tel équilibre est fondamental.
Les diverses modifications proposées au code visent notamment l'application du code en tant que tel, le cycle de négociation, les services essentiels, la portée de la négociation collective et, enfin, un réaménagement plutôt considérable de la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats.
Pourtant, je me contenterai aujourd'hui non pas de porter un jugement sur les modifications proposées, mais d'attirer l'attention du comité sur une autre question qui concerne les relations du travail. Je tiens également à signaler que, selon moi, ni la loi actuelle ni la loi proposée n'offrent de solution à cet égard.
Cette question, mesdames et messieurs, est celle des relations du travail dans le domaine de l'exploitation de certains services de traversiers interprovinciaux. J'ajoute immédiatement que le problème ne s'est pas manifesté dans tous les services de traversiers interprovinciaux. Il est particulier à ceux qui ont été garantis et protégés sur le plan constitutionnel. C'est sur ce dernier aspect que porte mon mémoire.
Le Code canadien du travail régit notamment le contexte des relations du travail de l'ensemble des secteurs d'activité dont la réglementation relève du gouvernement fédéral. Selon la définition de l'article 2 du code, «l'entreprise fédérale» englobe explicitement, selon l'alinéa d) «les passages par eaux entre deux provinces».
Comme vous le savez, il existe plusieurs services de traversiers interprovinciaux au Canada: entre la Colombie-Britannique et le nord-ouest des États-Unis - et, dans ce cas, le service n'est pas considéré comme étant un service interprovincial - entre l'Ontario et le Québec et, dans la région de l'Atlantique, entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. La province de Terre-Neuve est-elle aussi raccordée par un service de traversier entre North Sydney, Nouvelle-Écosse, et Port aux Basques, Terre-Neuve. Le service de traversiers Terre-Neuve-Nouvelle-Écosse, qu'on appelle également le traversier du golfe, a toutefois ceci de particulier qu'il est considéré comme étant un prolongement vers la province de la route transcanadienne.
Terre-Neuve est une île. Le traversier du golfe constitue un réseau de transport important pour la province du fait qu'il permet le commerce et les mouvements de biens et de passagers entre la province et le continent. Il permet aux Canadiens qui résident dans la province d'avoir facilement accès aux autres parties de leur pays. Faisant moi-même partie du secteur du transport par camion, je comprends très bien l'importance de ce réseau de transport.
Sauf pour ce qui est des produits du poisson, surtout destinés à l'exportation, il ne se produit pas beaucoup d'aliments à Terre-Neuve. En réalité, à cause d'un climat peu propice à l'agriculture et de la faible importance des terres agricoles, les importations d'aliments sont nettement supérieures à l'ensemble des exportations. C'est presque exclusivement par le seul réseau de transport par camion qui relie Terre-Neuve au reste du Canada, à savoir le service de traversier du golfe, que sont importés les aliments périssables comme le lait, les fruits, les légumes, la viande, et même du poisson. Dans la plupart des cas, l'expéditeur aussi bien que le réceptionnaire préfèrent le transport par traversier, qui réduit le coût des transports intermodaux et assure une plus grande fiabilité pour les produits à délai de livraison critique.
Il ne faut certainement pas sous-estimer la valeur et l'importance du service, compte tenu du fait que même la production alimentaire de la province dépend entièrement d'arrivages réguliers de céréales alimentaires par le traversier du golfe.
De plus, certains autres produits essentiels sont expédiés régulièrement vers la province. Le traversier transporte fréquemment du propane et des gaz médicaux. Nous sommes même un importateur net de lait.
Les membres du comité n'ignorent certainement pas non plus que Terre-Neuve n'est pas sans connaître des difficultés économiques. Dans la mesure où certains secteurs sont concurrentiels comme exportateurs, les biens d'exportation sont transportés par traversier dans la plupart des cas.
La raison en est simple. La plupart des activités de fabrication sont à petite échelle. Puisque les envois ne suffisent pas, dans bien des cas, à remplir un conteneur, le transport par conteneur est coûteux. Par ailleurs, il n'existe à Terre-Neuve que trois ports où les marchandises peuvent être expédiées par conteneur. Ainsi, pour la plupart des endroits de la province, il est difficile d'expédier autrement que par camion.
Le traversier offre donc un réseau de transport crucial pour le maintien et la croissance d'activités économiques qui sont indispensables.
Pour ce qui est du développement touristique, il va sans dire que l'existence même du service est cruciale pour que le secteur atteigne son plein potentiel dans la province. Comme on a déjà pu le constater par le passé, une simple rumeur d'interruption du service suffit à réduire très considérablement l'activité dans ce secteur.
Comme je vous l'ai dit, le service de traversier du golfe vers Terre-Neuve a ceci de particulier qu'il assure le raccordement d'une province au reste du Canada, qu'il revêt une importance cruciale pour l'approvisionnement alimentaire de la province et qu'il est nécessaire pour assurer la stabilité et la croissance de l'ensemble de l'économie provinciale. J'aimerais maintenant vous signaler un autre aspect particulier de ce service de traversier. Lorsque l'Île-du-Prince-Édouard aura été raccordée en permanence au continent, le service de traversier du golfe de Terre-Neuve sera le seul au Canada qui correspond à une exigence constitutionnelle.
En effet, trois provinces canadiennes ont reçu des garanties constitutionnelles en matière de transport par voie d'eau comme condition de leur participation à la Confédération. Dans le cas de la Colombie-Britannique, la condition 4 des conditions de l'union, remplacée plus tard par une entente administrative fédérale-provinciale, prévoit une subvention annuelle forfaitaire du gouvernement fédéral visant l'exploitation du service de traversier provincial. Cependant, l'obligation n'est liée à aucun service de traversier en particulier. À l'heure actuelle, la subvention est affectée à des services qui relèvent de l'entière discrétion de la province.
Dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, les conditions de l'union prévoyaient un raccordement par traversier, mais, comme vous le savez, la chose ne sera plus nécessaire lorsque le raccordement permanent sera prêt en 1997. Dans le cas de Terre-Neuve, cependant, la condition32 des conditions de l'union est plus précise. Voici comment on décrit, à l'article 2 de la condition 32, la nature du service que doit fournir le gouvernement fédéral:
- Le Canada maintiendra, selon le volume du trafic offert, un service de bateaux à vapeur pour le
transport des marchandises et des passagers entre North Sydney et Port aux Basques; ce service,
dès qu'une route pour véhicules à moteur aura été ouverte entre Croner Brook et Port aux
Basques, assurera aussi, dans une mesure convenable, le transport des véhicules à moteur.
Cependant, avant d'aborder l'aspect constitutionnel de la question, permettez-moi de vous souligner certaines questions importantes qui ont trait à l'exploitation du service du golfe, plus précisément en ce qu'elles ont trait aux relations du travail passées, actuelles et futures.
Pour toutes les composantes du secteur du transport par camion et toutes les personnes qui y sont employées dans la province de Terre-Neuve, la possibilité d'une interruption du service de traversier du golfe est extrêmement inquiétante. Il suffit d'un arrêt de deux jours, comme il en arrive souvent à cause de la température, pour créer des listes d'attente et des arriérés de plusieurs jours. À ces moments-là, les produits périssables risquent d'être perdus. C'est le cas des fruits, des légumes et de la viande en attente en Nouvelle-Écosse. Le poisson prêt à expédier à Port aux Basques peut perdre de la valeur ou pourrir. Tout retard entraîne des pertes économiques. C'est presque toujours l'utilisateur final ou le consommateur qui assume les pertes. De plus, il en coûte plus cher pour importer certains produits comme le gaz médical ou les aliments du bétail lorsque l'expéditeur doit changer de mode de transport et choisir le transport aérien ou le transport par cargo.
Il vaut la peine de signaler que, dans les autres provinces, le réseau routier offre généralement plusieurs solutions de rechange s'il arrive qu'une voie terrestre soit impraticable. À Terre-Neuve, par contre, il n'y a qu'une possibilité d'entrée ou de sortie: le golfe.
La section V.1 du projet de loi C-66 vient s'ajouter aux dispositions en matière de grève et de lock-out. En cas de grève ou de lock-out visant un service essentiel, on ajoute un nouvel article 87.4 pour mieux garantir la sécurité publique. Selon la pratique normale, la définition de «services essentiels» retenue par le conseil dans de tels cas irait rarement au-delà de la fourniture directe de services d'ambulance et d'aliments aux régions éloignées où les services ambulanciers sont habituellement jugés essentiels.
J'ai tenté de faire valoir que, comparativement au reste du Canada, Terre-Neuve est une région très éloignée. Je crains cependant que mon argument n'ait peu de chances d'être retenu pour ce qui est de l'interprétation de ce qui constitue des services essentiels. Il est malheureusement peu probable qu'un tel argument permette de corriger cette terrible situation. En effet, on y verrait probablement un élargissement de l'interprétation de ce qui constitue un service essentiel. Pour d'autres, il s'agirait d'un précédent trop dangereux.
Le ministre a proposé un article additionnel qui vise un secteur particulier. En effet, une exemption particulière est prévue à l'article 87.7 pour la manutention des céréales en cas d'arrêt de travail à un port céréalier.
Je pourrais vous dire que le bien-être d'une province entière correspond tout autant à l'intérêt national que l'acheminement des céréales. Cependant, je vais plutôt vous proposer un autre critère, un critère raisonnable, qui peut permettre de déterminer s'il y a lieu de prévoir une exemption. Je m'efforcerai de vous convaincre qu'il existe des raisons de prévoir le même genre de disposition dans le cas de la protection constitutionnelle à accorder aux services de traversiers interprovinciaux.
En 1973, une grève nationale a entraîné l'interruption du service de traversier entre le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard pour une durée de dix jours, au plus fort de la saison touristique. À l'époque, le service de traversier jouissait d'une protection constitutionnelle, de sorte que le gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard a intenté une poursuite devant les tribunaux fédéraux pour les dommages subis à la suite de l'interruption d'un service prévu aux termes de la Constitution.
La Cour d'appel fédérale a déterminé que les obligations constitutionnelles énoncées dans les conditions de l'union de l'Île-du-Prince-Édouard avaient force de loi et que le gouvernement provincial avait droit à une indemnisation financière du gouvernement du Canada en raison des pertes attribuables au non-respect des conditions.
Aujourd'hui, l'ouvrage de raccordement permanent entre de l'Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick étaient pratiquement terminé, les obligations du gouvernement fédéral sont sur le point de prendre fin. Le service de traversier du golfe de Terre-Neuve sera donc le dernier service de traversier garanti par la Constitution au Canada.
Et voici maintenant l'argument que je vous soumets. Depuis 1973, Marine Atlantique, société d'État fédérale, est au courant du fait que toute interruption d'un service de traversier garanti par la Constitution constituera un manquement du gouvernement fédéral à ses obligations.
Voilà un atout de taille dont disposent les employés de Marine Atlantique dans leurs négociations. De plus, lorsqu'une obligation constitutionnelle de cette nature entre en ligne de compte, on peut difficilement soutenir qu'il existe un équilibre entre l'employeur et les employés durant le processus de négociation collective. Il se peut que les employés s'inquiètent moins de la viabilité de l'entreprise. Ils pourront se permettre de dissuader certains usagers d'utiliser le service de traversier, puisqu'il existe une obligation constitutionnelle. Cette obligation existera, quelle que soit la rentabilité du service.
Également, une telle obligation constitutionnelle rend impossible tout lock-out des employés de Marine Atlantique. Il est peu vraisemblable qu'une société d'État fédérale prenne l'initiative de violer l'une des conditions de l'union avec une province, d'autant plus qu'un tribunal a déjà statué sur la question et que le gouvernement fédéral finira de toute façon par payer la note.
Ce déséquilibre évident ayant été mis en lumière, j'exhorte le comité à envisager la possibilité d'amender le projet de loi C-66 pour accorder au service de traversier entre Port aux Basques et North Sydney le type de protection que la loi accorde dans le cas du transport des céréales à partir des terminaux. Les raisons pour ce faire coulent de source. Il s'agit d'assurer l'équilibre, l'équité pour tous les intéressés, et un processus de négociation collective aussi juste que possible.
Merci. Je suis disposé à répondre à vos questions.
Le président suppléant (M. McCormick): Merci, monsieur LeDrew.
Nous allons amorcer un tour de questions d'une durée d'à peu près cinq minutes par parti.
[Français]
M. Ménard: Monsieur le président, si jamais je n'utilise pas mes cinq minutes, j'espère que vous allez les accorder au député qui représente la province de Terre-Neuve à ce comité. Toutefois, je tiens à dire que je suis très heureux d'accueillir une personne qui a fourni un témoignage comme celui que nous venons d'entendre.
Je comprends que vous souhaitiez, de façon très formelle, que l'un d'entre nous, soit du parti ministériel, soit de l'Opposition officielle, puisse présenter un amendement pour reconnaître le service des traversiers comme étant un service essentiel.
Le secteur du débardage et celui des grains ont reçu un traitement un peu privilégié dans le projet de loi, et d'autres secteurs industriels nous ont fait des représentations. Dans votre cas, ce n'est pas tellement à titre de représentants du secteur industriel que vous réclamez un traitement de faveur. Vous plaidez plutôt pour qu'il soit accordé aux traversiers en tant que moyen de locomotion.
A priori, je pense que l'argument est fort recevable. Je ne connais quel accueil la majorité ministérielle va réserver à un amendement comme celui-là. Est-ce que vous souhaitez ajouter d'autres commentaires à l'information que vous avez donnée dans votre mémoire?
Ce que je peux vous dire, c'est que l'Opposition officielle n'est pas fermée à l'idée d'un amendement comme celui que vous appelez de tous vos voeux.
[Traduction]
M. LeDrew: Je vous remercie de cet appui. En bref, je vous dirai qu'il me semble tout aussi important, sinon davantage, d'assurer le maintien des échanges économiques ou de l'approvisionnement alimentaire d'une province que de garantir le maintien des échanges céréaliers du Canada.
[Français]
M. Ménard: S'il me reste du temps, je veux qu'il soit accordé au député de Terre-Neuve, monsieur le président.
[Traduction]
Le président suppléant (M. McCormick): Oui. Merci, monsieur Ménard.
Monsieur Johnston, du Parti réformiste, avez-vous une question?
M. Johnston: Oui, merci, monsieur le président.
Je vous remercie de votre exposé. Pour une personne de l'Ouest comme moi, la perspective n'est certainement pas la même.
De toute évidence, vous souhaitez que certains changements soient apportés à ce projet de loi. Pour être bien certain de vous avoir compris, je vous demanderais d'expliquer une fois de plus quels sont les changements que vous souhaitez dans le cas du service de traversier de Terre-Neuve.
M. LeDrew: Il s'agit essentiellement, selon moi, d'en faire un service essentiel, auquel s'appliquerait donc les mêmes dispositions que pour les céréales. Ainsi, les syndicats de North Sydney et la société négocieraient sur un pied d'égalité. Autrement, les employés sont protégés par la Constitution, et la société ne peut les mettre en lock-out, puisqu'elle doit offrir le service. J'estime que la solution que je propose permet de sortir de cette impasse.
M. Johnston: Excellent. Merci, monsieur LeDrew.
Merci, monsieur le président.
Le président suppléant (M. McCormick): Merci, monsieur Johnston.
Et maintenant, le député du rocher.
M. Byrne (Humber - Sainte-Barbe - Baie-Verte): C'est un rocher qui n'est rien de moins que merveilleux, monsieur le président.
M. LeDrew: Il va comprendre tout ce que j'aurai à dire.
Des voix: Oh, oh!
M. Byrne: Évidemment, je suis en mesure d'interpréter vers l'anglais.
Monsieur le président, je tiens tout d'abord à féliciter le témoin de l'exposé tout à fait exceptionnel qu'il nous a livré ce matin.
M. LeDrew: Merci. Je constate l'absence de tout préjugé.
M. Byrne: Venons-en immédiatement au coeur de la question. Deux aspects m'ont tout particulièrement intéressé. Vous avez déclaré qu'il existait au Canada deux services de traversier que le gouvernement fédéral avait l'obligation constitutionnelle de maintenir aux termes des conditions de l'union avec deux provinces, soit l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve.
En 1973, nous avons eu une bonne occasion, je suppose, de voir ce que cet engagement voulait dire. Il y a eu en effet, en 1973, une grève nationale du transport maritime au cours de laquelle le service de traversier de Marine Atlantique, exploité par une société d'État fédérale, a été interrompu. Après la grève, le gouvernement provincial de l'Île-du-Prince-Édouard a poursuivi le gouvernement fédéral pour manquement à ses obligations aux termes des conditions de l'union avec l'Île-du-Prince-Édouard, et il a eu gain de cause. La Cour suprême du Canada a en effet conclu que l'interruption du service par Marine Atlantique durant la grève violait les conditions de l'union.
Chez Marine Atlantique, on est donc bien conscient depuis 1973 du fait que toute interruption du service de traversier garanti par la Constitution équivaut à une violation des conditions de l'union entre deux provinces, à savoir l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve.
Par la suite, le projet de raccordement permanent de l'Île-du-Prince-Édouard au continent a vu le jour. Le Canada a alors proposé à l'Île-du-Prince-Édouard une entente fédérale-provinciale - dont je vous épargne ici le libellé technique et juridique - selon laquelle le raccordement permanent devenait l'équivalent du service de traversier, de sorte que le service de traversier reliant Terre-Neuve devenait le seul service de traversier interprovincial au Canada rendu obligatoire par la Constitution.
Cela dit, j'aimerais connaître votre opinion sur ce qui suit. Supposons que la Cour suprême du Canada détermine que le gouvernement du Canada a contrevenu à ses obligations durant une grève du fait de ne pas avoir assuré le service en raison d'un lock-out... je pense ici, par exemple, à Marine Atlantique, une société d'État fédérale... D'après vous, cette société pourrait-elle, comme société d'État, exercer son droit de lock-out?
M. LeDrew: Je ne le crois pas. Si j'étais président de Marine Atlantique, il me semblerait plutôt hasardeux d'agir de la sorte. À titre de président d'une société d'État, comment pourrais-je le faire?
M. Byrne: Comme résultat net donc - et c'est le point essentiel qui se dégage de votre mémoire, si je l'ai bien compris - il existe à l'heure actuelle un déséquilibre dans le processus de négociation collective.
M. LeDrew: C'est effectivement le cas, selon moi.
M. Byrne: Aurait-on donc raison de dire que, pour les administrateurs de Marine Atlantique, il s'agirait là d'un facteur déterminant de la structure des tarifs, etc., compte tenu du fait qu'ils doivent assurer le maintien du service dans le cadre de la négociation collective?
M. LeDrew: J'imagine bien qu'on en tient compte dans la tarification, en effet.
Le président suppléant (M. McCormick): Monsieur Nault.
M. Nault: Il me semble qu'il n'y a pas eu de grève chez Marine Atlantique depuis fort longtemps. Si tel est le cas, quel est donc le problème?
M. LeDrew: Je suis bien d'accord pour dire que l'harmonie dans les relations du travail est la situation idéale. Si c'était toujours le cas, ce serait merveilleux. L'été dernier, cependant, il a suffi d'une simple rumeur de grève - j'en ai parlé dans mon mémoire - pour entraîner une baisse de 10 p. 100 de l'utilisation du traversier par les touristes à l'aller et au retour de Terre-Neuve. Les gens ont été pris de panique. Ils ne voulaient pas passer le reste de l'hiver sur le rocher. Il a suffi d'une rumeur pour causer la panique. Si nous pouvions arriver à faire de ce service un service essentiel, de telles rumeurs n'auraient plus de prise.
Également, il est difficile de gérer une entreprise en sachant qu'il peut y avoir une interruption à tout moment. Au cours d'un week-end donné, 30 ou 40 de mes camions attendent le traversier, sur une rive ou sur l'autre. Je dois payer mes gens, même lorsqu'ils attendent, et cela me coûte une fortune. S'il y a toujours la menace d'un problème de relations du travail qui plane, mes coûts d'exploitation augmentent d'autant, et, en fin de compte, c'est le consommateur qui paie la note.
M. Nault: Je sais bien que M. Tobin n'a pas été en mesure de venir aujourd'hui et que vous êtes venu à sa place, mais si je demandais à M. Tobin et aux membres de l'Assemblée législative de Terre-Neuve et du Labrador quel est leur avis sur cette question, que me répondraient-ils, d'après vous? À votre connaissance, ont-ils communiqué avec le gouvernement fédéral pour demander une exemption quelconque et pour demander que le traversier soit désigné comme service essentiel? Que savez-vous à ce sujet?
M. LeDrew: Je crois qu'il y a eu des discussions à ce sujet.
Chaque gouvernement terre-neuvien a toujours fait valoir que le service de traversier était le prolongement de la Transcanadienne jusqu'à Terre-Neuve, et c'est, je crois, le message qui a été transmis à Ottawa. Nous considérons que ce service fait partie de la route et que toute perturbation revient à couper la route en deux.
M. Nault: Le gouvernement fédéral a-t-il déjà légiféré pour ordonner le retour au travail?
M. LeDrew: Pas pour le service de traversier; pas à ma connaissance.
Le président suppléant (M. McCormick): Madame Terrana.
Mme Terrana (Vancouver-Est): Je tiens à m'excuser de ne pas avoir été là quand vous faisiez votre exposé.
Comme je viens de l'autre côté du pays, de la Colombie-Britannique, je sympathise avec vous. Je sais ce que ce serait si nous devions être privés de notre traversier en Colombie-Britannique. La situation serait très difficile.
Avez-vous d'autres préoccupations dont vous voulez nous faire part? Est-ce la seule que vous ayez au sujet du nouveau conseil des relations industrielles et des autres questions abordées dans le projet de loi C-66? Y a-t-il autre chose dont vous vouliez discuter avec nous?
M. LeDrew: Je ne travaille pas dans un milieu syndiqué, mais cela ne veut pas dire pour autant que je ne respecte pas cela. D'après ce que j'en ai lu, le projet de loi semble équitable. Dans la mesure où les changements s'appliquent à moi, ils me paraissent équitables, même si je n'irais pas les étudier à fond au cas où ils ne s'appliqueraient pas. Je suis prêt à accepter ce que j'en connais.
Mme Terrana: Vous l'acceptez donc en principe.
M. LeDrew: Oui, en principe.
Le président suppléant (M. McCormick): Monsieur Byrne.
M. Byrne: Monsieur le président, je pense que nous avons posé au témoin quelques questions qui n'entrent sans doute pas dans son domaine de compétence. Néanmoins, j'aimerais faire un bref commentaire à partir des questions qui ont été soulevées.
Le secrétaire parlementaire a fait remarquer qu'il n'y a pas eu de conflit de travail depuis 1973. Je tiens seulement à signaler que, si vous étiez une société d'État fédérale, si un arrêt de la Cour suprême vous déclarait financièrement responsable, que le service fonctionne ou non, vous conférait l'obligation constitutionnelle d'assurer le service, mais vous déclarait quand même financièrement responsable, en cas de grève, conformément à l'accord de 1973... Pour ce qui est du processus de négociation collective, la société d'État fédérale va devoir payer de toute façon. Il vaut donc mieux conclure une entente, ce qui risque de déséquilibrer le rapport de force dans ces négociations.
D'autre part, si Marine Atlantique choisissait le lock-out, en tant que société d'État fédérale, elle enfreindrait une disposition de la Constitution qui garantit le service. C'est une société d'État fédérale qui enfreindrait la Constitution. Ce n'est pas possible. Par conséquent, la société doit, là encore, s'en remettre au processus de négociation collective.
Ce n'est pas une question, monsieur le président. Je fais seulement cette observation parce que ce témoin n'est sans doute pas en mesure de répondre à ce genre de questions.
Le président suppléant (M. McCormick): Ce sont certainement des commentaires intéressants.
Monsieur LeDrew, je vous remercie de nous avoir apporté un point de vue très particulier. J'ai pris plusieurs fois le traversier entre North Sydney et Port aux Basques, l'une des zones les plus agitées de tout l'Atlantique.
Nous reprendrons la séance à 15 h 15.
Le président: Nous reprenons nos travaux. Bon retour à tous. Nous poursuivons l'ordre du jour de ce matin. Comme vous le savez, nous avons entamé l'étude du projet de loi C-66, Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence.
Cet après-midi, nous avons le plaisir de recevoir Don McDonald, président du conseil de Nordic Development Corporation; Carolyn Lavers, présidente du conseil de la Red Oche Development Board; David Reid, président de la Humber Economic Development Board; et Gerald Burton, président du conseil de la Emerald Zone Development Board.
Mesdames et messieurs, vous êtes les bienvenus aux audiences du comité. Comme vous le savez, dans le cadre de notre étude de ce projet de loi, nous tenons à entendre vos opinions. Nous cherchons des suggestions quant aux moyens d'améliorer peut-être ce projet de loi. Vous disposez d'environ une demi-heure, soit de 10 à 15 minutes pour votre exposé, lequel sera suivi d'une période de questions. Vous pouvez commencer. Merci d'être venus.
M. Don McDonald (président du conseil, Nordic Development Corporation): Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs, avant de commencer, je précise que ce mémoire a été préparé conjointement par nos quatre commissions locales.
Je suis accompagné aujourd'hui de M. Gerald Burton, qui représente la Emerald Zone Corporation; de Carolyn Lavers, de la Red Oche Development Board; et de M. Dave Reid, de la Humber Economic Development Board. Nous siégeons tous les quatre au conseil d'administration d'organismes similaires.
L'histoire de ces organismes a commencé en 1994, quand les gouvernements fédéral et provincial, devant la nécessité d'assurer un développement économique communautaire rentable et efficace à Terre-Neuve et au Labrador, ont parrainé un groupe de travail sur le développement économique communautaire baptisé Community Matters.
Ce groupe de travail a recommandé d'établir 20 zones économiques dans la province. Ces zones devaient représenter une région économique, sociale et culturelle. Prises ensemble, les quatre zones représentées ici englobent une grande partie de l'Ouest, du Nord et du Centre de Terre-Neuve.
Une fois chaque zone économique délimitée, elle a été officiellement constituée en société de développement. Un conseil d'administration composé de représentants communautaires des secteurs du patronat, des syndicats, de l'éducation, de la jeunesse, des municipalités et des autres groupes intéressés a pris la direction de chaque société de développement. Ces conseils d'administration ont pour rôle de formuler et de mettre en oeuvre une stratégie de développement économique et social pour chaque région. Ces stratégies conduiront toutes les régions de Terre-Neuve et du Labrador jusqu'au XXIe siècle.
Le principal objectif de chaque conseil est de mettre en lumière les possibilités de développement économique stratégique et de les exploiter. Un autre objectif consiste à déceler les obstacles qui s'opposent à la prospérité économique et à les éliminer.
Comme vous le savez, la province de Terre-Neuve et du Labrador n'est pas sur le même pied que les autres sur le plan de la prospérité. Nous sommes considérés comme une province pauvre. Néanmoins, au lieu de l'accepter, nous nous battons. Nous n'acceptons pas que cette situation puisse continuer et nous reconnaissons que c'est à nous de relancer notre économie.
Étant donné les compressions budgétaires auxquelles la province a déjà dû faire face, notre tâche n'est pas facile. Mais au lieu de mettre l'accent sur ces compressions, nous continuerons à insister sur les possibilités de création de richesse.
M. Burton va poursuivre.
M. Gerald Burton (président du conseil, Emerald Zone Development Board): Terre-Neuve a une industrie aquicole en plein essor qui offre des perspectives de croissance prometteuses. L'aquiculture, alliée à la reconstruction de la pêche traditionnelle au poisson de fond, insufflera une nouvelle vie à de nombreuses localités côtières de la province.
La transformation des produits de la pêche est maintenant bien installée dans notre province. C'est grâce à ce genre d'initiatives que nous pouvons parvenir à la prospérité, comme nous sommes bien décidés à le faire. La mer sera toujours l'un des piliers de l'économie terre-neuvienne, car c'est le propre d'une situation insulaire, mais nous développons également une nouvelle ressource.
Dans ma région, l'activité minière a repris avec l'ouverture de trois nouvelles mines d'or au cours des 18 derniers mois. Les découvertes minières de baie Voisey, au Labrador, ont ramené l'optimisme dans une bonne partie de la province.
Le pétrole des gisements sous-marins devient également une réalité. Hibernia entre en exploitation en 1997. La construction de la plate-forme Terra Nova va bientôt commencer. Pas plus tard qu'hier, Amaco a annoncé qu'elle forait un autre puits dans les Grands Bancs pour chercher du pétrole. Les perspectives semblent très encourageantes.
Terre-Neuve se dote également d'une industrie de fabrication diversifiée qui se spécialise dans certains marchés. Nous mettons au point des produits novateurs et nous devenons un chef de file de la technologie et des communications océaniques.
Carolyn.
Mme Carolyn Lavers (présidente, Red Oche Development Board): Monsieur le président, l'un des secteurs les plus prometteurs de l'économie terre-neuvienne est celui du tourisme. En 1997, nous célébrerons le 500e anniversaire de la découverte de Terre-Neuve et du Labrador par Jean Cabot. Cet anniversaire sera marqué par des célébrations internationales. Nous avons fait la promotion de cet événement qui s'annonce comme un énorme succès.
L'American Bus Association a déclaré officiellement que, l'année prochaine, la province de Terre-Neuve et du Labrador sera la première destination des circuits d'autocars touristiques en Amérique du Nord. Des dizaines de milliers de nouveaux visiteurs viendront dans la province l'année prochaine, ce qui stimulera l'activité économique. L'avenir s'annonce très bien.
Il vaut toutefois la peine de souligner que ces possibilités ne se réaliseront que si toute l'infrastructure voulue est en place. Comme nous l'avons mentionné, notre travail, en tant que membres des commissions de développement local, consiste à mettre les possibilités en lumière. Nous devons également voir quels sont les obstacles.
Un problème que nous considérons tous comme un grave obstacle à la prospérité économique est celui du transport. Le projet de loi C-66, Loi modifiant le Code canadien du travail, a des répercussions directes sur les négociations syndicales dans le secteur du transport interprovincial.
Comme l'a dit votre dernier témoin, la province de Terre-Neuve et du Labrador est reliée au reste du pays par un fil très mince. Le service de traversier de Marine Atlantique, qui relie North Sydney, en Nouvelle-Écosse, à Port aux Basques, à Terre-Neuve, représente pour nous le prolongement de la Transcanadienne. La plupart des provinces ont diverses options pour le transport interprovincial des voyageurs et des marchandises, mais nous n'en avons qu'une.
Si vous acceptez cet argument, notre Transcanadienne est la voie publique du pays pour laquelle les droits de péage sont les plus élevés. Une famille de quatre personnes qui voyage en automobile de Terre-Neuve à la Nouvelle-Écosse paiera environ 125 $ pour un aller de 90 milles de distance. Aucun autre citoyen n'a de tels frais à assumer. Mais les Terre-Neuviens comprennent que cela fait partie de leur condition d'insulaires et ils l'acceptent.
Toutefois, ce qui est difficile à accepter, c'est que les employés du service de traversier se servent constamment de cette route maritime comme monnaie d'échange lors de leurs négociations syndicales. Pour un exploitant d'autocars touristiques ou une entreprise de camionnage qui songe à se rendre à Terre-Neuve, une province insulaire sans autre service de traversier interprovincial, une menace de grève peut être aussi efficace que la grève proprement dite, surtout quand cette menace est annoncée dans les médias. Cela peut compromettre le tourisme, car les voyageurs préfèrent éviter un itinéraire où ils risquent de se retrouver coincés dans l'île sans pouvoir rentrer en automobile.
Les syndicats en profitent souvent, surtout au moment des négociations collectives. Comme vous le savez, il est assez difficile de rassurer le public une fois que les syndicats ont proféré publiquement leurs menaces. Jusqu'ici, les exploitants d'autocars de tourisme ont annulé leurs voyages à Terre-Neuve chaque fois qu'on craignait que le service soit interrompu brutalement à cause d'une rupture des négociations syndicales.
M. David Reid (président, Humber Economic Development Board): Je tiens à dire que nous ne nous opposons pas à la négociation collective. Nous ne sommes pas non plus contre le droit des employeurs et des employés de faire la grève ou d'imposer un lock-out en cas d'échec des négociations.
Ce que nous n'acceptons pas, c'est qu'une des parties puisse tenir toute la province en otage. L'exploitant actuel du traversier, dans le golfe du Saint-Laurent, est Marine Atlantique, une société d'État fédérale qui exploite des services de traversier dans toute la région de l'Atlantique.
Tout le secteur du transport de Terre-Neuve et du Labrador et, en fait, de la région de l'Atlantique, connaît les principales tactiques qu'utilisent les agents de négociation de Marine Atlantique. La menace de grève est une des tactiques qui a le plus de répercussions sur l'employeur et les usagers de ce service.
Comme on l'a dit ce matin, nous croyons que le gouvernement canadien a l'obligation constitutionnelle en vertu des conditions de l'union d'assurer un service de traversier fiable et constant entre l'île et le continent. Le gouvernement a également l'obligation financière de dédommager la province pour les pertes que l'arrêt de ce service entraîne sur le plan économique.
Le déséquilibre du processus de négociation nous inquiète également beaucoup. À l'heure actuelle, l'employeur ne peut pas imposer de lock-out, parce qu'il enfreindrait la Constitution, tandis que les employés peuvent se servir de la menace de grève.
Il s'agit là d'un service d'autant plus important pour la province de Terre-Neuve qu'elle est en train de développer son tourisme. Comme cela fait partie de notre Transcanadienne, nous croyons que c'est un obstacle au développement économique et qu'il faut y remédier. La définition de service essentiel donnée dans le projet de loi C-66 ne nous satisfait pas.
Nous croyons qu'il faudrait inclure une disposition désignant le service de traversier de Marine Atlantique, entre Sydney et Port aux Basques, comme un service qui ne peut pas être interrompu. Cela nous paraît essentiel pour développer l'économie terre-neuvienne.
Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions.
[Français]
Monsieur Ménard.
M. Ménard: J'espère tout d'abord que vous avez fait un bon voyage. Je sais que votre député est très fier de vous accueillir ici. Il est privilégié parce que c'est le deuxième témoin de suite issu de sa province. Vous êtes les bienvenus.
Vous faites valoir un point de vue sur lequel on a besoin de toute l'information nécessaire pour éclairer notre jugement dans la mesure où vous souhaitez que les traversiers aient un statut spécial dans le projet de loi. À toutes fins utiles, vous souhaiteriez qu'ils soient déclarés services essentiels, ce qui les mettrait à l'abri des arrêts de travail.
Le témoin précédent nous a bien fait valoir toute la spécificité des liens qui existent entre le transport routier et le traversier et comment, en cas d'arrêt de travail, l'approvisionnement en nourriture et en produits médicaux pourrait être interrompu. On nous a parlé de ce genre d'éventualités.
C'est sûr que pour des gens qui se soucient de l'équilibre du rapport de force et du maintien du droit de grève, cela crée une difficulté que vous pouvez comprendre.
Ce que je souhaiterais, c'est que vous nous apportiez, en deux ou trois minutes, des arguments vraiment très clairs et non équivoques pour nous convaincre, nous qui sommes autour de cette table, que nous devrions, en tant que législateurs, déclarer essentiels les services des traversiers et vous mettre ainsi à l'abri des arrêts de travail.
[Traduction]
M. Reid: Je voudrais d'abord dire que nous ne demandons pas d'exempter du droit de grève les services de traversier. Nous parlons du seul service de traversier prévu dans la Constitution qui restera au pays une fois qu'on aura achevé la construction du pont jusqu'à l'Île-du-Prince-Édouard.
C'est une voie de communication essentielle pour la province de Terre-Neuve. Nous tenons à souligner qu'il faut un processus permettant de maintenir les négociations entre l'employeur et les employés et de les faire aboutir. Néanmoins, comme c'est un service tellement essentiel pour nous et une exigence constitutionnelle, nous croyons qu'il pourrait être inclus dans cette loi sans que ce soit trop difficile.
M. McDonald: J'ajouterais quelque chose. Ce qu'il nous faut, c'est un changement législatif, un ajout ou une disposition qui fera disparaître la simple menace de grève. En effet, la simple menace d'un arrêt du service entre North Sydney et Port aux Basques cause autant de dommages qu'une interruption réelle du service. Voilà le problème qu'il faudrait régler.
Le témoin précédent, qui se trouvait dans l'autre salle tout à l'heure, a soulevé la question. Je crois que le service de traversier entre Port aux Basques et North Sydney ne pourrait pas être considéré comme un service essentiel au sens des dispositions prévues. Il faut donc trouver un moyen d'empêcher que ce service ne soit interrompu ou de supprimer entièrement la menace d'interruption.
[Français]
M. Ménard: Si je comprends bien, on ne parle pas ici des traversiers en général, mais de votre situation spécifique. On nous rappelait aussi ce matin que, dans les faits, il n'y a pas eu de grève depuis deux décennies.
Il y a eu des rumeurs récemment qui vous ont inquiétés et qui ont fait chuter un peu l'achalandage touristique. Cependant, des grèves véritablement déclarées, il n'y en a pas eu depuis deux décennies. Est-ce que je me trompe? Mais cela ne garantit rien pour l'avenir. C'est seulement une référence chronologique.
[Traduction]
M. Reid: C'est une excellente question. Cela arrive constamment. Il n'y a pas eu d'arrêt réel, mais nous en sommes arrivés très près.
Le problème se pose surtout pour le secteur du tourisme et les exploitants d'autocars de tourisme. Dès qu'une rumeur circule quant à la possibilité d'une grève, il y a une annulation massive des circuits touristiques dans la province. Cela s'est passé continuellement, pratiquement chaque année. La convention collective dure peut-être un peu plus longtemps maintenant, mais cela se passe depuis des années.
Le président: Monsieur Byrne.
M. Byrne: Je voudrais souhaiter la bienvenue à certaines personnes de ma circonscription. Je me réjouis que vous ayez pu venir.
C'est un grave problème en ce sens que l'on ne prend pas à la légère les relations de travail au Canada; c'est un sujet que l'on prend très au sérieux. Ce que vous proposez ici... et j'ai lu attentivement votre mémoire. Vous nous parlez d'une situation unique, de la prestation de services de traversier, mais vous avez surtout mentionné qu'il s'agissait de services obligatoires en vertu de la Constitution. Pourriez-vous récapituler exactement ce que représente un service de traversier obligatoire en vertu de la Constitution dans le contexte de cette question?
M. Reid: Je ne prétends pas être un constitutionnaliste, mais ce service s'inscrit dans les conditions d'union de la province. Bien entendu, il peut y avoir quelques ambiguïtés quant au niveau des services assurés, mais le gouvernement s'est engagé à fournir un service qui répondrait aux besoins de la province au fur et à mesure que son économie prendrait de l'essor et que son réseau routier se développerait. Cela ne peut être enlevé qu'en modifiant la Constitution.
Voilà pourquoi nous pensons que le gouvernement fédéral a d'importantes responsabilités juridiques. Il a l'obligation financière et morale de maintenir ce service.
M. Byrne: Vous dites qu'il a l'obligation morale de maintenir ce service. D'après le mémoire que nous avons reçu ce matin, il y a actuellement au Canada deux services de traversier interprovinciaux prévus dans la Constitution. Il y en a un entre l'Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick et l'autre entre North Sydney et Port aux Basques. En vertu d'une entente conclue entre le gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard et le gouvernement canadien, l'ouvrage de franchissement remplacera désormais cette obligation constitutionnelle, et l'obligation financière directe que représente ce service de transport sera transférée du service de traversier au nouveau pont.
Nous avons entendu dire, ce matin, qu'il y avait eu un conflit de travail en 1973. Il s'agissait d'une grève du CN et le service de traversier de l'Île-du-Prince-Édouard inscrit dans la Constitution s'est trouvé perturbé pendant un certain temps à cause de cette grève. Par la suite, le gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard a poursuivi le gouvernement canadien devant la Cour suprême et la Cour d'appel et il a gagné sa cause. Le gouvernement fédéral doit assumer la responsabilité des pertes financières résultant du fait qu'il n'a pas respecté ses obligations constitutionnelles, les conditions de l'union avec l'Île-du-Prince-Édouard.
À l'Île-du-Prince-Édouard, le gouvernement canadien n'a plus à fournir de services de traversier. L'île est desservie par l'ouvrage de franchissement. Néanmoins, c'est toujours un traversier qui dessert Terre-Neuve.
Je voudrais savoir ce que vous pensez du processus de négociation. Quel est le mécanisme approprié, selon vous? Préconisez-vous des grèves, par exemple? Que demandez-vous pour l'exploitation de ce service?
M. McDonald: Nous ne voulons certainement pas compromettre l'équilibre qui doit exister entre l'employeur et les employés pour que les relations de travail soient normales. Ce que nous voulons c'est un service garanti; le service devrait être maintenu quelles que soient les circonstances. Sa désignation comme service essentiel ne suffira pas compte tenu de la définition d'un service essentiel. Il faut donc une désignation spéciale pour ce service.
M. Reid: J'ajouterais qu'il s'agit de l'exploitation du service de traversier proprement dite. Un certain nombre des activités de Marine Atlantique qui pourraient être touchées par un conflit de travail devraient dépendre des relations syndicales- patronales et nous n'y voyons pas d'objection.
Si l'on examine le revers de la médaille, nous tenons à souligner de nouveau le déséquilibre qui existe actuellement dans les rapports de force. Le gouvernement fédéral et sa société d'État, Marine Atlantique, pourraient difficilement recourir au lock-out étant donné qu'ils se placeraient dans une situation financière ou juridique qui pourrait les obliger à dédommager largement la province. D'un autre côté, la partie syndicale ne se trouverait pas nécessairement dans la même situation.
M. Byrne: Pourquoi le syndicat ne pourrait-il pas être exposé à des représailles, par exemple, s'il menaçait de faire la grève?
M. Reid: Du point de vue juridique, comme il n'a pas négocié les conditions de l'union, comme c'est le gouvernement canadien qui l'a fait, ses membres n'assumeraient pas de responsabilité financière directe, si ce n'est en tant que contribuables, comme nous tous.
M. Byrne: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Byrne.
Au nom du comité, je tiens à vous remercier pour votre contribution au projet de loi C-66. Nous apprécions beaucoup vos observations et nous allons en tenir compte pour chercher des moyens d'améliorer ce projet de loi.
Mme Lavers: Nous vous remercions.
Le président: Bon voyage de retour.
La séance est levée.