[Enregistrement électronique]
Le mardi 29 octobre 1996
[Traduction]
Le président suppléant (M. Murphy): La séance est ouverte.
Nous accueillons d'abord les porte-parole de l'Association canadienne de santé publique.
Je vous invite à vous présenter et à faire votre déclaration, après quoi les députés vous poseront des questions.
M. Ron de Burger (directeur, Programme du sida, Association canadienne de santé publique): Merci beaucoup, monsieur le président. J'aimerais d'abord remercier le comité de nous avoir invités à comparaître ce matin.
L'Association canadienne de santé publique conseille le gouvernement et d'autres organisations de santé publique depuis 85 ans. Nous sommes très heureux d'avoir l'occasion de participer à la discussion d'aujourd'hui.
Nous aimerions suggérer au comité que dans le cadre de l'examen de la consommation de drogues il envisage la question sous l'angle de la santé publique, et non pas simplement du simple point de vue de l'observation des lois, qui, parfois, prend toute la place dans les examens et les discussions de ce genre.
Quand nous parlons de l'angle de la santé publique, nous parlons d'une approche holistique reposant sur l'examen de toutes les questions qui importent à cet égard - les questions sociales, les questions économiques, les questions de santé publique, bien sûr, et les questions d'observation, d'incarcération.
Si l'on vise à protéger la santé des individus et de l'ensemble de la société, il faut naturellement s'intéresser à la prévention des maladies, à la promotion et à la protection de la santé, à l'éducation et à ce que l'Association canadienne de santé publique appelle une «politique publique saine». Par politique publique saine, on renvoie à l'examen des questions de santé publique.
Si je peux employer une analogie, tout comme on a largement eu recours à des énoncés des incidences environnementales dans les années 70, nous proposerions d'évaluer les incidences sur la santé en tenant compte de la totalité des effets sur la société. On ne peut pas, par exemple, dissocier la consommation de drogues de la lutte antidrogue. Il faut se pencher sur l'éducation, la prévention des maladies et le cadre élargi des déterminants de la santé.
Le deuxième point sur lequel nous aimerions insister, c'est que nous souscrivons entièrement à l'optique du comité qui envisage la réduction des risques comme une importante stratégie de santé publique. C'est une stratégie de santé publique à long terme. La réduction des risques est apparue dans le vocabulaire de la santé publique dans les années 20 et n'a cessé d'évoluer. Ce concept est d'autant plus d'actualité de nos jours qu'étant donné que nous faisons face à la propagation du VIH il prend une toute nouvelle importance.
Nous approuvons le comité de mettre l'accent sur l'éducation, la prévention des maladies et la promotion de la santé ainsi que sur les traitements appropriés. À vrai dire, c'est une pratique de bonne santé publique. Nous ne saurions trop insister sur le fait que dans ce contexte il faut prendre en matière de réduction des risques une approche beaucoup plus élargie.
Pour donner un exemple de méthode efficace de réduction des risques, mentionnons les programmes d'échange de seringues dans de nombreuses villes et localités au Canada. Les programmes d'échange de seringues prennent une grande importance dans la lutte à la propagation du VIH. Ils sont maintenant bien implantés. Les évaluations qu'on a faites sur l'efficacité de ces programmes d'échange de seringues montrent très clairement qu'ils constituent une mesure efficace de santé publique pour essayer de contrer la propagation du VIH, de l'hépatite B et d'autres maladies qu'on peut contracter en se servant de seringues souillées.
Le troisième point que nous aimerions maintenant aborder a trait à la nécessité de s'engager fermement à opter pour une approche stratégique dans le présent contexte. Ce que nous entendons par approche stratégique, c'est une approche qui englobe la totalité des différents aspects que je viens de mentionner, mais nous misons aussi sur un leadership national et sur une coordination nationale. D'abord et avant tout, nous estimons qu'il faut s'engager à l'échelle nationale à faire en sorte que les questions qui se posent soient traitées dans le contexte le plus élargi possible afin que le type de politique publique qui en ressortira soit fondée sur une bonne information, sur la totalité des éléments à prendre en compte et sur l'amélioration réelle du sort des membres de la société.
Nous visons une approche stratégique qui intègre, comme je vous l'ai dit, la prévention des maladies, la promotion et la protection de la santé, l'éducation et une saine politique publique. En particulier, nous tenons à souligner qu'il n'y a pas de solution miracle. Nous faisons face à des questions très complexes. Des questions qui nécessitent donc une approche complexe et bien réfléchie afin qu'on puisse en traiter efficacement et dans la durée.
Comme dans le cas de toute question de santé publique, nous devons pouvoir compter sur un investissement et un engagement soutenus pour traiter efficacement de ces problèmes, surtout quand il est question de prévention des maladies et de promotion de la santé. On ne peut changer les normes sociales du jour au lendemain. Ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Cela n'a été le cas d'aucune intervention du domaine de la santé publique jusqu'à maintenant et ce ne sera pas le cas non plus dans l'avenir.
Nous devons donner aux gens les moyens de prendre des décisions éclairées et de disposer pour ce faire de bons conseils et d'un environnement qui reconnaît leur droit de prendre de telles décisions. Nous devons miser sur les aspects positifs. Or, il y a de nombreux aspects positifs dans l'évolution de la politique de la santé publique dans ce domaine, et nous voulons faire en sorte que dans les études qui sont faites on n'écarte pas ce qui est valable pour conserver ce qui est douteux.
Nous avons progressé. Nous avons marqué des points. Une des choses qui nous préoccupent particulièrement - et c'est pourquoi nous continuons de lancer des appels pour assurer un leadership national, une coordination et un engagement - c'est que si nous nous attendons à ce que devant le retrait du gouvernement fédéral de certains de ces secteurs de compétence les provinces et les municipalités s'empressent aussitôt de combler le vide, nous serons amèrement déçus, c'est le moins qu'on puisse dire. L'expérience passée face à d'autres questions de santé publique l'a bien montré. Nous demandons au comité d'examiner très attentivement cet aspect.
Pour ce qui est d'un engagement en matière d'approche stratégique, nous sommes inquiets du fait que la Stratégie canadienne antidrogue doit prendre fin le 31 mars 1997. Dans la foulée, on assistera probablement à la disparition du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies en raison de la réduction du financement.
Ces deux initiatives, lancées il y a une dizaine d'années, ont fait une différence. Elles sont rentables. Elles contribuent à la formulation d'une politique publique. Elles délimitent un forum où traiter de ces questions cruciales. Une part du travail qui a ainsi été accompli a permis de traiter de façon positive et originale un grand nombre de ces questions complexes que nous avons mentionnées. Ce serait manquer de vision que de permettre la disparition de la Stratégie canadienne antidrogue et la fermeture du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies.
Nous estimons que depuis une dizaine d'années on a été bien avisé de permettre à ces agences et à cette stratégie de s'implanter. Je le répète, quand nous parlons de questions de santé publique, nous estimons qu'il faut voir les choses à long terme. Il n'y a pas de solution miracle.
J'aimerais revenir sur un autre point que j'ai déjà mentionné, le maintien du financement. Quand on parle de maintien du financement, on l'envisage non seulement pour certains programmes spécifiques ou une agence donnée - et j'ai mentionné la Stratégie canadienne antidrogue et le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies - mais on mène aussi quantité d'autres projets et activités très valables dans l'ensemble de ce secteur. Il existe un grand nombre de domaines de projets très spécifiques qui ont directement trait à la jeunesse, aux femmes, aux personnes à faible revenu, aux personnes séropositives, aux immigrants, aux questions multiculturelles - une série de questions que nous devons examiner dans un contexte élargi.
Dans les 20 dernières années, l'Association canadienne de santé publique s'est occupée activement d'un grand nombre de problèmes liés à la consommation de drogues. Nous nous sommes occupés des aspects sociologiques, de même que du contexte de santé publique, en concevant des ressources et en soumettant des mesures de politique à l'examen de différentes entités gouvernementales. Nous avons produit des films vidéo, des publications et des rapports.
Je mentionne qu'un certain nombre de ces documents ont été remis au greffier du comité à l'intention des membres.
Nous sommes particulièrement inquiets quand nous songeons au maintien du financement qui devrait assurer la pérennité de la Stratégie canadienne antidrogue, comme je l'ai dit, ainsi que celle de la Stratégie nationale sur le sida. Les deux sont intimement liées. Quand on pense à ce qui se passe en ce moment à Vancouver, à Montréal et à Toronto, où l'on assiste à une véritable explosion de la séropositivité chez les toxicomanes, on ne peut pas nier leur incidence réciproque. Nous vous exhortons, quand vous examinerez la Stratégie canadienne antidrogue, à réfléchir aussi à son effet sur la Stratégie nationale sur le sida. L'une ne va pas sans l'autre.
J'aimerais présenter quatre recommandations au comité, avant que nous entamions une discussion générale.
Premièrement, nous recommandons que Santé Canada prône l'adoption d'une mesure législative qu'on attend depuis longtemps à propos du tabagisme. Il s'est déjà écoulé trop de temps depuis le changement de politique et d'approche, et nous réclamons qu'on traite promptement d'une mesure antitabagisme.
Nous recommandons de maintenir les ressources nécessaires à la Stratégie canadienne antidrogue et au Centre canadien de lutte contre les toxicomanies. Les membres du comité seront peut-être intéressés d'apprendre que l'association et le centre mènent en ce moment une initiative commune sur le VIH et la consommation de drogues par voie intraveineuse. Nous avons constitué un groupe de travail national qui tente de déterminer comment traiter cette question très complexe et troublante qui consiste à voir comment on peut contrer la propagation massive du VIH chez les toxicomanes à Montréal, à Toronto et à Vancouver.
Le Dr Michael O'Shaughnessy, du B.C. Centre for Excellence, fait savoir que selon les résultats d'une étude menée dans la partie est du centre-ville de Vancouver le taux de séropositivité chez les toxicomanes frise les 30 p. 100. Tous reconnaîtront qu'il y a bel et bien lieu de parler d'épidémie. Nous devons nous montrer très prudents dans notre façon d'aborder des problèmes de ce genre. Je vous dirais que l'examen que l'on peut faire de la Stratégie canadienne antidrogue et celui de la Stratégie nationale sur le sida se rejoignent certainement ici.
L'association et le centre travaillent de concert pour essayer de concevoir des initiatives de politique et formuler des recommandations que nous soumettrons au gouvernement pour qu'il tente de faire face à ce problème. Je vous le redis, nous sommes en faveur du maintien de la Stratégie nationale sur le sida.
Sur ce, monsieur le président, j'aimerais dire que je suis ravi d'être parmi vous, et je suis tout à fait disposé à répondre aux questions des députés.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup, monsieur de Burger, et excusez-moi d'être un peu en retard. Le caucus de la Colombie-Britannique a duré un peu plus longtemps que prévu.
Monsieur de Savoye, avez-vous des questions à poser? Allez-y.
[Français]
M. de Savoye (Portneuf): Votre exposé a été intéressant et instructif. Vous avez mentionné les conséquences néfastes, pour la santé, de l'usage des drogues, mais aussi le fait que les mesures qui sont prises ne sont pas toujours les plus performantes. Vous avez souligné, entre autres, que la réduction des subventions risquait d'avoir des impacts particulièrement négatifs sur l'aide qui peut être apportée aux gens en matière de prévention ou de réhabilitation.
D'autre part, je lisais dans votre mémoire - la copie française qui nous a été distribuée - , qu'en 1993, les membres de votre association ont demandé, par voie de résolution, d'exhorter le gouvernement fédéral à décriminaliser la consommation de drogues illicites. Mais vous nous disiez il y a quelques instants que
[Traduction]
l'on ne change pas les normes sociales du jour au lendemain.
[Français]
Comment conciliez-vous ces deux aspects de la problématique?
[Traduction]
M. de Burger: En 1993, notre association a adopté une résolution sur la décriminalisation, et elle l'a fait dans le cadre d'une discussion élargie sur le VIH et des mesures visant à en contrer la propagation.
Elle l'a fait en étant consciente du fait que les toxicomanes ont des problèmes de santé et que les problèmes de santé doivent être examinés dans un contexte élargi, et non pas dans le cadre étroit de la coercition et de la lutte antidrogue.
Nous nous préoccupons depuis longtemps du problème des ressources, du cadre de la politique publique à l'intérieur duquel se sont déroulées un bon nombre de ces discussions.
Nos membres essayaient de faire comprendre que pour faire efficacement face à la propagation du VIH, au lien qui existe entre le VIH et la consommation de drogues par voie intraveineuse, nous devions nous tourner vers d'autres modèles. Nous devions voir les choses sous un autre angle et prendre une approche différente pour traiter de ces questions.
Nous voulions susciter une discussion avec le gouvernement fédéral, avec les gouvernements des provinces, à qui ces résolutions sont destinées, pour les amener à examiner ces problèmes dans un contexte élargi.
Vous avez parfaitement raison: on ne change pas les normes sociales du jour au lendemain. Il faudrait, je dirais, en débattre longuement et sainement avec la population canadienne, avec la classe politique et avec toutes les autres parties prenantes pour convaincre les gens que ce serait là l'approche à suivre.
Je n'ai aucune hésitation à dire, et je ne m'illusionne pas, que cela représenterait une grande difficulté, étant donné que l'opinion publique semble osciller entre, d'une part, la reconnaissance du fait que nous devons faire quelque chose pour les toxicomanes afin de les aider à améliorer leur état de santé, et, d'autre part, la prise en compte du fait que nous devons aussi incarcérer ceux qui consomment des drogues. Ce sont deux choses extrêmement difficiles à concilier, comme vous l'avez justement dit.
Si vous n'avez pas eu l'occasion de lire le rapport de 1994 du Dr Vince Cain, de la Colombie-Britannique, je vous y incite fortement. Au chapitre 8 de ce rapport, il traite de la décriminalisation et de la légalisation comme on ne l'a pas fait depuis plusieurs années. Il le fait en essayant d'expliquer la différence entre la décriminalisation et la légalisation, et il explique pourquoi il recommande qu'on envisage ces questions comme des options de politique publique.
Nous dirions que cette approche doit être examinée beaucoup plus à fond. C'est ce que nous cherchions à préconiser dans la résolution adoptée en 1993.
[Français]
M. de Savoye: Monsieur de Burger, j'ai le sentiment que beaucoup d'intervenants qui viendront nous rencontrer ici nous suggéreront d'examiner attentivement la voie de la décriminalisation ou de la légalisation.
En même temps, j'ai la certitude que ni la Chambre des communes ni le Sénat ne seront en mesure de donner suite à des recommandations de cette nature si le public ne fait pas connaître son opinion à ce sujet. Il me semble donc que le défi réel n'est pas de réécrire le rapport Le Dain qui a paru il y a plus de 25 ans et qui avait assez bien établi les balises des questions qui nous concernent, mais de savoir comment on peut amener l'opinion publique à examiner les faits sous le jour du réalisme, sous l'angle des statistiques et sous l'angle d'une meilleure santé publique.
Avez-vous des suggestions, monsieur de Burger, pour nous aider à éveiller l'opinion publique à cette dimension nouvelle où la santé publique est l'enjeu principal?
[Traduction]
M. de Burger: On préconise la décriminalisation depuis bien des années. Quand on étudie l'expérience de différents autres pays - de l'Europe de l'Ouest, en particulier; de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, et même des États-Unis dans une certaine mesure - on constate que différentes approches fort intéressantes ont été adoptées. À ma connaissance, toutefois, on n'a nulle part effectivement décriminalisé ce genre d'activités.
En revanche, à certains endroits, ce qui s'est produit, c'est que la classe politique, les autorités responsables de la lutte antidrogue, et d'autres encore, ont opté pour ce qu'on appelle une approche pragmatique. En somme, on s'est concentré sur les trafiquants et on a commencé à voir les toxicomanes d'un autre oeil. On a agi sur le plan pratique, et avec le temps la pratique finira par changer les mentalités.
Au sens large, l'opinion publique peut changer quand on présente les faits à la population après avoir effectué des recherches et des études appropriées. Dans ce domaine, il s'est déjà fait pas mal de travail d'information. Je dirais que le projet conjoint dont je vous ai parlé et que mènent l'association et le centre, qui comporte un volet de recherche et qui rassemble différents spécialistes de tout le pays qui se penchent directement sur ces questions, contribuera aussi à réunir de l'information à l'intention des autorités publiques et de l'ensemble de la population.
Les responsables de ce projet commun visent bien sûr à transmettre les conclusions de ce groupe de travail national au grand public. Nous pourrons ainsi informer la population sur les options de politique publique. Même si l'on ne va pas changer les attitudes du jour au lendemain, on contribuera ainsi certainement à alimenter un débat très utile.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Monsieur Hill, voulez-vous poser une question au témoin?
M. Hill (Macleod): Je vous remercie pour votre comparution et je reconnais le bon travail que fait votre organisation.
J'ai remarqué que vous parliez de réduction des risques dans votre déclaration, et vous avez dit être heureux que le comité vise ce même objectif. Pour ma part, il y a la réduction des risques, la réduction de la demande et la réduction de l'offre. J'aimerais savoir comment vous en avez conclu que le comité axe sa démarche sur la réduction des risques.
M. de Burger: Peut-être ai-je extrapolé sur le mandat du comité.
M. Hill: Pourriez-vous me dire alors quel est à votre sens le mandat du comité?
M. de Burger: Le comité procède à un examen des politiques sur le mauvais usage et l'abus des drogues. Dans ce contexte, la réduction des risques s'impose comme une des grandes questions à étudier. Compte tenu des documents d'information, nous avons naturellement conclu que la réduction des risques retiendrait comme il se doit l'attention.
M. Hill: C'est donc ce que vous aimeriez nous voir étudier? Serait-il trop...?
M. de Burger: Nous avons compris que c'est ce que vous étudiez, et oui, nous aimerions que vous l'étudiiez.
M. Hill: Très bien. Vous recommandez entre autres choses au comité de maintenir la stratégie canadienne antidrogue et la Stratégie nationale sur le sida à titre de politique publique. Vous dites par ailleurs qu'on assiste à Montréal, à Toronto et à Vancouver à une explosion de la séropositivité chez les toxicomanes.
Nous avons maintenant une stratégie antidrogue, et nous avons une stratégie sur le sida, et il faut bien se demander ce que cela donne. Vous semblez dire que les résultats ne sont pas très encourageants. Pourquoi devrions-nous maintenir cette stratégie?
M. de Burger: Bien au contraire, je pense qu'elle est très utile. Je pense que la situation serait beaucoup plus grave si nous n'avions pas de Stratégie canadienne antidrogue et si certaines des dispositions de la politique sur le sida, soit la prévention des maladies et la protection, n'avaient pas été en place au cours des dernières années.
Ce qui se passe à Vancouver, à Toronto et à Montréal est étudié très attentivement, parce que cela nous alerte sur ce qui pourrait être en train de se passer et sur l'effet que cela pourrait avoir sur la propagation du VIH.
Nous voyons que de grands intoxiqués qui ne cessent de prendre des risques - de grands risques... Une fois le VIH introduit dans cette population - et c'est une population assez fermée - il en résulte inévitablement une montée du VIH tant qu'on continue de prendre des risques.
Depuis deux ou trois ans en particulier - si l'on prend l'exemple de Vancouver - à Vancouver, on a de plus en plus tendance à s'injecter de la cocaïne.
Une partie du problème qu'on connaît tient au fait qu'étant donné le jeu des forces du marché on y prend beaucoup plus de risques qu'auparavant. Par conséquent, nous assistons à cette croissance rapide du VIH à l'intérieur de cette communauté fermée d'intoxiqués. Nous devons maintenant nous demander comment en contrer la propagation.
M. Hill: Je pense que vous avez répondu à ma question.
Enfin, où se situerait le Canada par rapport aux autres pays pour ce qui a trait à l'efficacité de notre politique antidrogue? Parmi les autres pays du monde, où nous situons-nous?
M. de Burger: Je ne suis pas sûr d'être bien placé pour me prononcer là-dessus. Le Dr Perry Kendall, de la Fondation de recherche sur la toxicomanie, votre témoin suivant, pourrait peut-être répondre.
Perry, voulez-vous répondre?
Le vice-président (M. Dhaliwal): On pourra lui reposer la question plus tard.
M. Hill: Étant donné que vous avez une vaste expérience de la politique de santé publique, où placeriez-vous le Canada par rapport au reste du monde en ce qui a trait à la consommation de drogue et à la santé publique? Je ne demande pas de réponse formelle. Je n'irai pas vous citer dans toutes les publications.
Sommes-nous dans le dernier tiers, au milieu ou dans le premier tiers?
M. de Burger: Ce ne sont que des conjectures. Je dirais que nous sommes probablement au milieu, ni en avance ni derrière. Nous faisons des choses très louables, mais nous pensons qu'il reste encore beaucoup à faire.
M. Hill: Nous pourrions faire mieux?
M. de Burger: Certainement.
M. Hill: Pour nous retrouver au milieu?
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci, monsieur Hill. Peut-être pourrez-vous poser cette question quand le Dr Kendall comparaîtra.
Monsieur Szabo.
M. Szabo (Mississauga-Sud): Merci, monsieur le président, et merci, monsieur de Burger.
J'ai beaucoup aimé votre exposé, tant pour la forme que pour le fond. Je pense qu'il est très important dans le présent débat de mettre de côté les émotions et l'exagération. Je pense que vous y êtes très bien parvenu.
J'aimerais aussi ajouter quelque chose et vous remercier d'avoir mentionné dans votre mémoire que votre organisation appuie l'apposition de mises en garde sur les contenants de boisson alcoolisée.
J'aimerais que nous parlions de la stratégie de réduction des risques. J'aimerais vous poser une question, parce qu'il me semble que pour de nombreux députés, et, j'en suis sûr aussi, pour de nombreux Canadiens, la possibilité de passer de l'approche qu'on a actuellement face aux drogues illicites, qui sont un produit illégal, à une attitude moins... Je ne suis pas sûr que nous ayons la même définition de la décriminalisation ou de la légalisation.
Supposons un scénario où... Une stratégie ou une politique doit fonctionner dans le meilleur comme dans le pire des cas, et je vais donc parler de ce qu'on peut appeler le meilleur des cas, la consommation de la drogue la plus douce, par exemple la marijuana. Si vous reconnaissez, comme on le fait généralement, que les consommateurs de drogues commencent habituellement par des drogues plutôt douces comme la marijuana, pour peut-être essayer ensuite autre chose, j'aimerais savoir, si jamais nous passions d'une politique où nous considérons cette substance comme une substance illégale pour nous acheminer plutôt vers sa décriminalisation ou sa légalisation, si vous savez, compte tenu de situations semblables ou de votre propre expérience, quelle incidence cela aurait sur le nombre d'utilisateurs potentiels de ce produit?
M. de Burger: Je ne pense pas qu'on puisse facilement répondre à cette question, car d'après l'expérience d'autres pays il est clair qu'à bien des endroits on se débat avec ce problème. On le fait de bien des façons, que ce soit en recourant à la médicalisation, en prescrivant certaines de ces drogues, que ce soit par la décriminalisation ou en recourant à ce que je considérerais comme une réponse pragmatique des services de police pour qu'ils se concentrent sur les passeurs de drogues et les trafiquants plutôt que sur les utilisateurs.
Je ne suis pas sûr que l'on ait déjà conçu le parfait scénario qui nous permettra de voir si l'on contribue ainsi à accroître, à réduire ou à stabiliser la consommation de drogues, ou si l'on crée ainsi un environnement plus sûr pour la consommation de drogues. Quand je dis cela, je ne parle pas que de l'aspect policier; je pense aussi à la santé publique. Si la qualité de la drogue est établie, et que l'on définit dans quel contexte le produit est consommé, il peut naturellement en résulter certains avantages pour la santé.
Je ne sais pas si quelque part dans le monde on est parvenu à régler ce problème et à proposer un scénario, un paradigme ou une solution - quel que soit le mot qu'on emploie - qui nous permettrait de penser que c'est la voie à suivre.
M. Szabo: J'ai une dernière question à poser. À votre avis, est-il possible de se doter d'une stratégie de réduction des risques qui soit efficace ou qui puisse l'être, selon la définition que vous donnez de cette stratégie, tout en maintenant illégales les drogues illicites?
M. de Burger: Oui, c'est certainement possible. Nous le faisons dans une certaine mesure en ce moment quand nous envisageons des programmes d'échange de seringues. On ne règle pas la question de la légalité ou de l'illégalité; on ne s'occupe que de réduire les risques en essayant de réduire le plus possible le tort que quelqu'un pourrait se causer à lui-même, à ceux avec qui il échange des seringues ou à qui que ce soit d'autre.
M. Szabo: Merci.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup, monsieur Szabo.
Monsieur Scott.
M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Merci beaucoup, monsieur le président.
En fin de semaine, à Fredericton, il y a eu un grand événement portant sur le chanvre, et j'ai donc eu l'occasion d'en parler abondamment depuis deux ou trois jours.
Je reviens sur la question qu'a posée mon collègue de Portneuf. J'aurais tendance à assouplir la législation sur les drogues et à opter sans doute pour un modèle de réduction des risques. Mais je comprends qu'il y aurait aussi pas mal de résistance... La population a une opinion plutôt schizophrène sur cette question. Elle reconnaît, je pense, comme l'a dit M. de Savoye, que c'est une question de santé. Pourtant, elle y voit aussi un délit.
Pour ma part, la question la plus difficile qui m'a été posée concerne mon fils de 13 ans. En effet, comment opter pour la libéralisation de la législation sur les drogues sans du même coup lui faire entendre qu'en essence il est moins mauvais pour lui de consommer des drogues aujourd'hui que ce ne pouvait être le cas hier?
M. de Burger: Nous pourrions avoir une discussion très intéressante sur la façon de parler à votre fils de 13 ans quand vient l'heure de discuter de consommation d'alcool ou de tabac. Je pense qu'il faut voir les choses dans un contexte plus large. Je pense que si la population est aussi divisée qu'elle l'est sur la question, c'est que nous considérons que certaines substances intoxicantes sont acceptables - moyennant un certain contrôle dans un certain contexte - alors que nous considérons que d'autres substances intoxicantes ne sont pas acceptables.
Où se trouve le juste milieu? Comment le trouver? Pourquoi y en aurait-il un?
C'est pour moi une question beaucoup plus intéressante, à savoir comment définir un bon contexte de politique publique qui nous permette de faire face à la consommation et à l'abus de substances intoxicantes si nous ne considérons pas tous les éléments comme faisant partie de la question. J'espère que le comité s'efforcera d'examiner la question dans sa totalité et ne se concentrera pas seulement sur les drogues illicites.
Je comprends les inquiétudes qu'on a au sujet des drogues illicites, mais l'oscillation entre l'aspect légal et illégal, cette ligne de démarcation, s'est déplacée au fil des ans en fonction des différentes substances en question et des différents niveaux de tolérance dans la société. Si nous voulons établir une bonne politique publique dans ce domaine, nous devons envisager tout le contexte de ce que nous nous apprêtons à étudier.
M. Scott: Je ne suis pas en désaccord. Je ne suis cependant pas certain de m'en tirer avec cette réponse.
M. de Burger: C'est ce que j'essaie de faire.
Des voix: Oh, oh!
M. Scott: Je devrais également m'excuser de mon allusion aux schizophrènes; c'était une remarque déplacée.
Voyez-vous, la différence ne réside pas dans le fait que nous adoptons en ce qui concerne l'alcool une attitude qui ne concorde pas avec notre attitude face à d'autres types de drogues. Je comprends cela. Là n'est pas la question.
Le fait est que nous allons d'une attitude qui consistait à décourager la consommation à une attitude qui vise moins à la décourager. Je répète que ce n'est pas une question d'illogisme. Je suppose que si nous voulons prendre l'initiative à cet égard dans un débat national, c'est l'une des questions que nous devrons résoudre. Comme je l'ai dit, je serais probablement parmi ceux qui seraient les plus favorables à une législation plus libérale, mais je craindrais tout de même fort qu'on ne signale ainsi aux jeunes Canadiens que c'est une chose que nous sommes moins disposés à décourager.
M. de Burger: Merci, monsieur Scott. Je ne voulais pas être facétieux en disant que j'essayais de m'en tirer avec une réponse. Je signalais seulement que lorsque mes deux fils étaient adolescents je voyais les choses à partir d'un contexte plus général, c'est-à-dire les dommages causés à la personne et à la société en général lorsque l'on consomme de l'alcool, du tabac, des drogues illégales et d'autres substances semblables.
Il semble que cette attitude ait porté fruit chez nous. Je dis «il semble», car qui peut savoir ce qui se passera à long terme, mais à court terme il semble certainement que cette attitude ait porté fruit dans notre famille. Ils ont saisi le message.
J'ignore s'ils ont essayé diverses substances; ils ne me l'ont pas dit. Je peux cependant vous dire que c'est certainement dans ce contexte que nous avons essayé de traiter la question. Nous avons essayé de les convaincre que des dommages et des risques sont associés à toutes ces substances. Nous leur avons dit qu'ils devaient avoir les informations appropriées et être conscients de la situation.
M. Scott: Merci. Je suppose que si vous passez à Fredericton vous pourriez peut-être venir rencontrer mes enfants.
Avez-vous eu du succès en ce qui concerne les cheveux verts?
Des voix: Oh, oh!
M. Scott: Merci, monsieur le président.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Au nom des membres du comité, monsieur de Burger, je tiens à vous remercier de votre excellent exposé.
Nous allons faire une pause d'une minute pour donner le temps à nos témoins suivants de s'installer.
Mesdames et messieurs les membres du comité, nous avons maintenant comme témoins le Dr Kendall et le Dr Room. Je vous souhaite à tous deux la bienvenue au nom des membres du comité.
Bienvenue, docteur Kendall, et merci beaucoup d'avoir pris la peine de venir à notre comité. Nous avons très hâte d'entendre ce que vous avez à dire aujourd'hui. Nous vous donnons le temps de faire un exposé et nous passerons ensuite aux questions.
Bienvenue, et merci beaucoup d'être venus.
Dr Perry Kendall (président-directeur général, Fondation de recherche sur la toxicomanie): Merci beaucoup, monsieur le président. Au nom de la fondation, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à faire des commentaires à votre comité.
Vous avez reçu un exposé écrit, et nous avons également fait parvenir un mémoire beaucoup plus long d'où notre exposé est tiré, et nous pourrons en distribuer des exemplaires à quiconque en manifestera le souhait.
Afin de gagner du temps, je vais seulement souligner les faits saillants de notre exposé, et il restera ensuite du temps pour une période de questions et de réponses au sujet de la place du Canada à l'échelle internationale. Je serai heureux d'essayer de faire cela avec l'aide du Dr Robin Room.
Je tiens à féliciter le comité d'avoir entrepris cette étude. C'est la première fois en plus de 20 ans qu'un organisme législatif examine toutes les substances psychotropes, licites et illicites.
À propos de la discussion qui a eu lieu tantôt, j'aimerais signaler que le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies (CCLAT) estime - et c'est une estimation conservatrice - qu'en 1992 la consommation et l'abus de l'alcool, du tabac et des drogues illicites a coûté au Canada et à l'économie canadienne un total d'environ 18,5 milliards de dollars.
Les coûts liés à l'alcool s'élèvent à environ 7,5 milliards de dollars, les coûts liés au tabac sont d'environ 9,5 milliards de dollars et les coûts liés aux drogues illicites sont seulement de 1,3 milliard de dollars, ou 7 p. 100 du total. Du point de vue de la santé publique et d'une politique cohérente, il est tout à fait approprié d'examiner toutes ces questions dans une même tribune.
À l'échelle fédérale, les efforts des ministères étaient centrés ces dernières années autour de la Stratégie canadienne antidrogue et du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies. Il est plutôt ironique qu'on prévoit abandonner à la fin de la présente année financière la stratégie antidrogue et le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies. Nous aimerions en parler, étant donné les éléments essentiels d'intégration que ces deux organismes ont fournis à la politique canadienne en matière de drogues.
La perte de cette stratégie et du CCLAT signifie qu'en réalité les efforts consacrés par Santé Canada à la lutte contre l'alcool, le tabac et d'autres drogues seront réduits à un niveau inférieur à ce qu'ils étaient à n'importe quel moment au cours des 20 dernières années. Pendant ce temps, la consommation de substances psychotropes dans notre population, en particulier chez nos jeunes, est à la hausse. La consommation de certaines drogues chez les adultes est également à la hausse. On peut s'attendre à ce que cette augmentation dans les prochaines années amène aussi une augmentation des problèmes liés à la consommation de ces substances.
J'aimerais parler un peu, par exemple, des méfaits associés aux substances psychotropes. Ils ne touchent pas seulement la personne elle-même, mais aussi la famille du toxicomane, ses amis, ou même des étrangers, la collectivité dans son ensemble.
Les méfaits des substances psychotropes peuvent être intrinsèques à la drogue elle-même, ou peuvent également résulter de la réaction de la société, des réactions exagérées ou de l'inaction. Les méfaits résultant de la réaction ou de l'inaction de la société comprennent les coûts sociaux liés à l'application de la loi et aux sanctions pénales d'une part, et les coûts en matière de soins médicaux, de même que les coûts en milieu de travail d'autre part, selon lequel des deux secteurs on examine.
Dans ce contexte, je pense que la réduction de la demande, qui est l'objet de l'intérêt du comité, est un pilier nécessaire de la politique, mais que c'est en soi insuffisant. Ce n'est pas suffisant que vous examiniez ce seul pilier de la politique. Nous croyons que l'objectif général de la politique nationale devrait être de réduire les méfaits résultant de la consommation de toute substance psychotrope.
Il est clair que la réduction de la demande, grâce à la prévention, constitue un facteur important, mais il en est ainsi également des traitements efficaces, des médicaments de remplacement et de la consommation non dangereuse. Dans ce contexte, je pense qu'il est important d'examiner certaines des grandes tendances dans le domaine de la consommation et de réfléchir à certaines solutions de rechange qui pourraient exister.
Le tabagisme, qui décline régulièrement au Canada depuis le milieu des années 60... Cette diminution s'est interrompue ces dernières années, et certains indices montrent que le tabagisme est même à la hausse. Je suis d'avis que nous devons consacrer beaucoup plus d'efforts à la prévention et aux programmes visant à encourager les gens à cesser de fumer. Nous avons besoin d'élaborer des interventions pharmaceutiques. Nous devons également envisager des systèmes à faible risque pour le remplacement de la nicotine. La Fondation de recherche sur la toxicomanie (FRT) tiendra une conférence au début de l'année prochaine où l'on discutera des répercussions de telles mesures.
Une politique ferme, cohérente et multidimensionnelle de lutte contre le tabagisme doit constituer la pierre angulaire du nouvel intérêt manifesté par Santé Canada, je crois, pour les déterminants de la santé de la population. À ce propos, je me fais l'écho de l'Association canadienne de santé publique, qui dit qu'il est grandement temps d'adopter un plan de lutte contre le tabagisme.
En ce qui concerne l'alcool, bien que plus de 70 p. 100 des Canadiens de 50 ans et plus consomment de l'alcool, il est plus probable que les jeunes hommes en particulier boivent d'une manière dangereuse. D'après nos sondages effectués en Ontario, certains indices montrent que le taux de consommation dangereuse d'alcool augmente.
La consommation modérée d'alcool, cependant, comporte également des avantages, par exemple une diminution des décès dus à des problèmes cardiaques ou à des crises d'apoplexie, chez les personnes de 50 ans et plus. Il faudrait donc nous concentrer sur la réduction des cas de consommation dangereuse d'alcool, en particulier chez les jeunes gens, tout en profitant des avantages qui existent pour les Canadiens plus âgés.
J'estime que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer - par exemple en ce qui concerne des avertissements sur les étiquettes - dans l'élaboration d'une politique nationale à ce sujet. C'est particulièrement vrai à notre avis, étant donné que la politique en ce qui concerne l'alcool semble être de plus en plus disparate dans l'ensemble du pays. Si le gouvernement fédéral prenait fermement l'initiative à cet égard, il garderait au premier plan les préoccupations en matière de santé publique, et cela concorderait aussi avec l'accent mis par le gouvernement sur les déterminants de la santé de la population.
Je voudrais parler quelques instants de la consommation de drogues illicites. Elle est demeurée stable depuis une décennie, à des niveaux peu élevés en comparaison de ceux qu'on observe aux États-Unis. La drogue illicite la plus fréquemment consommée est le cannabis, qu'environ 7,5 p. 100 de Canadiens disent avoir consommé au cours de la dernière année.
La consommation parmi les jeunes est considérablement plus élevée que cela, mais dans la plupart des cas cette consommation est sporadique ou de nature expérimentale et n'est pas associée à des effets nocifs majeurs pour la personne en question ou la société.
Nous croyons que les programmes devraient mettre l'accent sur la réduction de la consommation totale et de la consommation nocive, et devraient peut-être viser les usagers qui présentent le plus de risques.
J'aimerais souligner que l'application de la loi n'a pas particulièrement réussi à réduire la consommation de cannabis et ne devrait pas être le principal élément de la politique dans ce domaine. Je serai heureux de répondre à des questions tantôt sur la position de la fondation à ce sujet.
Bien que le nombre de décès dus à la consommation de drogues illicites soit faible au Canada, il est tout de même à la hausse. C'est dû particulièrement à la consommation d'héroïne. Cependant, comme M. Ron de Burger l'a remarqué dans le mémoire de l'Association canadienne de santé publique, on constate une proportion croissante de cas de sida et de nouveaux cas d'infection par le VIH liés à la consommation de drogue par injection. Il est manifestement urgent de mettre en oeuvre des programmes visant à prévenir une plus grande propagation du VIH.
La fondation estime que le gouvernement fédéral peut et doit lancer et appuyer des efforts pragmatiques de réduction des méfaits de ces drogues. Par exemple, une expansion considérable des programmes de traitement, y compris le traitement d'entretien à la méthadone, constitue une priorité ou devrait l'être. Tous les toxicomanes qui ont recours aux injections devraient avoir accès à des aiguilles et à des seringues propres, et un tel programme devrait inclure les personnes qui sont dans des établissements correctionnels, où les taux d'utilisation d'aiguilles et les risques d'infection sont élevés.
Les programmes de traitement à la méthadone et d'échange d'aiguilles ont montré leur efficacité. Toutefois, il est urgent d'effectuer des recherches dans le domaine de l'injection de cocaïne ou de substituts de la cocaïne. J'estime que le gouvernement fédéral pourrait marquer des points et présenter un programme de santé publique très efficace s'il élaborait un programme cohérent de recherche dans le domaine de la consommation de drogue par injection et de la prévention de la propagation du VIH.
Enfin, je voudrais seulement exhorter le gouvernement fédéral à évaluer soigneusement la possibilité d'étendre les contrôles aux drogues particulières à certaines populations d'immigrants. La criminalisation récente du kat peut faire d'une drogue relativement inoffensive une substance illicite puissante. On essaie d'en réduire l'approvisionnement. À ma connaissance, il n'y a pas de programme de prévention ni de programme de traitement efficace dans la collectivité somalienne. Par conséquent, une drogue qui est utilisée par 70 à 80 p. 100 des membres de la collectivité a tout d'un coup été criminalisée. Il n'y a pas de présence policière qui permet de s'occuper de cette question. La majorité des membres de cette collectivité ne sont pas au courant. Il y a donc là une source potentielle de problèmes.
Je vais sauter la partie qui porte sur les produits pharmaceutiques dans notre mémoire, et je m'en tiendrai aux recommandations.
En terminant, j'aimerais souligner qu'il faut une variété d'approches et d'interventions pour réduire les méfaits des drogues. Nous ne devrions pas avoir peur d'essayer de nouvelles méthodes, mais nous ne devrions pas non plus éliminer les méthodes qui ont réussi.
La fondation aimerait faire trois suggestions: à court terme, il faut continuer de financer la Stratégie canadienne antidrogue et ses programmes, il faut continuer de financer le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, car c'est l'un de nos meilleurs programmes, et il faut que le gouvernement fédéral fasse sentir fermement sa présence dans une nouvelle stratégie nationale cohérente et multidimensionnelle en vue de réduire les méfaits qui résultent de la consommation et de l'abus de toutes les sortes de substances psychotropes.
Merci.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup, docteur Kendall.
J'ai une brève question à vous poser. Vous avez fait un commentaire au sujet des populations d'immigrants, et je me demande si nous pourrions avoir une précision. Je crains notamment que certaines de nos politiques ne soient trop générales peut-être. Négligeons-nous certaines collectivités pour lesquelles il faudrait des moyens différents pour résoudre un problème de drogue? Les changements apportés à notre politique antidrogue ont-ils véritablement tenu compte des changements survenus au Canada au cours des dix dernières années, et nos politiques en matière de drogue devraient-elles être modifiées afin de tenir compte également de certains problèmes spécifiques et d'offrir à ces collectivités l'accès qu'elles n'ont peut-être pas actuellement à certains de nos services?
Dr Kendall: Pour répondre brièvement à votre question, je dirais que c'est oui. La Stratégie canadienne antidrogue et les programmes ainsi que les politiques en matière de multiculturalisme ont tenté de bien mettre l'accent sur la coopération avec les diverses populations multilingues et multiculturelles, afin de les comprendre, mais, en réalité, la politique, particulièrement celle qui découle du projet de loi C-7 ou C-8 - qui vient d'être adoptée sous le titre de Loi réglementant certaines drogues et autres substances - n'a pas tenu compte de l'effet d'une drogue en particulier ou de la criminalisation de cette drogue sur une collectivité minoritaire particulière.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup.
Monsieur de Savoye.
[Français]
M. de Savoye: Votre présentation a été extrêmement intéressante. Vous avez mis immédiatement en relief le coût économique de l'usage de certaines drogues, de l'alcool, du tabac et des drogues illégales. Vous avez aussi mentionné que les drogues illégales ne représentaient que 7 p. 100 du total, ce qui vous a amené, dans votre mémoire, à nous indiquer que la réduction du tabagisme devait être le premier objectif de santé publique.
Effectivement, on sait que chaque année, environ 40 000 personnes décèdent de causes reliées au tabac. Beaucoup de choses ont été faites au niveau du tabagisme, et certaines ont marché mieux que d'autres. Est-ce que vous auriez de nouvelles approches à nous suggérer ou des recommandations qui nous permettraient d'améliorer d'une façon significative les approches que nous utilisons déjà? Je vous écoute.
[Traduction]
Dr Kendall: Merci de me donner l'occasion de parler de cette question. Je pense que la stratégie canadienne contre le tabagisme a été viciée par deux événements. Le premier a été l'augmentation de la contrebande vers la fin des années 80 et le début des années 90, et la réduction subséquente du coût des produits du tabac pour les consommateurs. Le second a été l'annulation de l'interdiction de la publicité par la Cour suprême.
Le plan d'action contre le tabagisme qui a fait l'objet de discussions est un ensemble complet d'initiatives qui, après quelques modifications mineures peut-être, rétabliraient le cadre d'action en vue de réduire le tabagisme, en particulier chez les jeunes. Si l'on combinait ces mesures à une augmentation de la taxe, je crois qu'elles pourraient... Le tabac coûte actuellement un peu plus cher dans certains États américains voisins qu'en Ontario, et les taxes sur le tabac ainsi que le prix du tabac pour les consommateurs pourraient donc supporter une augmentation sans entraîner, à mon avis, un risque important d'une nouvelle recrudescence de la contrebande.
Le prix et les restrictions imposés en matière de publicité, de commercialisation et de commandites constitueraient une politique très importante et pratique en vue de réduire la consommation de tabac.
Dr Robin Room (vice-président, Recherche, Fondation de recherche sur la toxicomanie): Le Canada a aussi été le premier pays à faire de Nicorette, la gomme de remplacement de la nicotine, un médicament accessible sans ordonnance, et une version moins forte du produit est maintenant en vente libre.
Les États-Unis viennent de prendre des mesures pour permettre la vente libre des deux versions de Nicorette - j'utilise le nom commercial, mais il s'agit de gomme à la nicotine - et il en sera de même également des timbres à la nicotine... Ces produits seront dorénavant disponibles en vente libre au sud de notre frontière. On pourrait envisager la même chose au Canada.
De manière générale, la nicotine n'est pas une substance entièrement inoffensive, mais les méfaits de la cigarette ne viennent pas principalement de la nicotine. On peut soutenir que tout ce que nous pouvons faire pour amener les gens à se passer du goudron qui entre dans leurs poumons lorsqu'ils fument présente un avantage pour la santé publique.
[Français]
M. de Savoye: Vous nous suggérez d'avoir l'équivalent d'un programme de méthadone pour la nicotine, à l'aide d'un produit substitué?
[Traduction]
Dr Room: En effet.
[Français]
M. de Savoye: Ma deuxième question concerne l'alcool. Vous mentionnez dans votre mémoire qu'il y a de moins en moins d'homogénéité entre les politiques des différentes régions du pays en matière d'alcool et qu'un leadership fédéral fort à cet égard nous permettrait de placer au premier plan les préoccupations en matière de santé publique. Pourriez-vous nous expliquer quelles sont les différences qui existent entre les différentes régions du pays et en quoi elles affectent positivement ou négativement les questions des problèmes reliées à l'alcool?
[Traduction]
Dr Room: Je vais répondre en premier, si vous le permettez.
On pourrait dire qu'il existait un modèle canadien de réglementation de l'alcool. C'est le Québec qui l'a mis en oeuvre en premier, à la fin de la brève période de prohibition imposée au Québec au début des années 20, et, en vertu de ce modèle, la province monopolisait au moins la vente des spiritueux et du vin, et relativement peu d'alcool était disponible sur place. Ce modèle a très bien réussi, de fait, à légaliser ce qui avait été une substance illégale et à maintenir des contrôles, de sorte que les mineurs y avaient peu accès et les niveaux de consommation étaient relativement bas.
Nous nous sommes écartés de cette politique au cours des dernières décennies. Les changements se sont accélérés ces dernières années à cause de la privatisation partielle de la vente des vins au Québec et de la privatisation complète des ventes au détail en Alberta. Dans toutes les autres provinces, on a considérablement libéralisé la vente de l'alcool.
Depuis 1980, la consommation d'alcool a diminué dans tout le Canada, alors que, au cours des cinquante années précédentes, elle avait augmenté. À mon avis, il est clair que les Canadiens ont réagi de façon assez judicieuse à l'accroissement des problèmes d'alcoolisme qu'ils ont observé dans leur entourage ou qu'ils ont vécu dans leur propre famille. Mais à mesure que nous supprimons ces garde-fous, qui nous ont rendu beaucoup service - c'était un modèle très efficace - nous avons créé une situation dans laquelle la consommation augmente considérablement lorsque les gens oublient ces problèmes.
Les pressions exercées sur les gouvernements fédéral et provinciaux tendent à favoriser une augmentation de la disponibilité. Par exemple, les distillateurs canadiens préconisent fortement une baisse des taxes. En général, c'est une tactique du marché qui pousse toujours les choses dans une direction. Dans notre province, la RAO sera ouverte les dimanches au cours de la période précédant Noël. Ce n'est pas bien grave, mais cela fait partie des centaines de petits changements qui convergent dans la même direction. Nous avons fini par démanteler petit à petit un modèle très efficace.
Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en ce qui concerne l'alcool. Il doit percevoir les taxes fédérales, combattre la contrebande et contrôler la publicité par l'entremise du CRTC. À notre avis, le CRTC est en train d'abandonner ce rôle dans une grande mesure, et nous craignons beaucoup qu'il n'abandonne ou ne réduise considérablement son rôle.
Les provinces critiquent énergiquement le fait que le gouvernement fédéral ne combatte pas efficacement la contrebande de spiritueux, surtout en provenance des États-Unis, et disent que cela les empêche de mener efficacement des politiques de lutte contre l'alcoolisme. La contrebande d'alcool n'est pas prioritaire, sauf dans le cas de certaines enquêtes ponctuelles. Lorsque je reviens au pays, il est rare que l'on me demande la quantité d'alcool que je ramène. Par conséquent, nous assistons à un abandon de facto de ce contrôle.
L'autre rôle du gouvernement fédéral consiste évidement à rechercher les meilleures pratiques et à les diffuser dans tout le pays. C'est un rôle que le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies a joué avec beaucoup de succès, et nous craignons maintenant que le gouvernement fédéral n'abandonne son rôle dans la diffusion des meilleures pratiques.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup, monsieur de Savoye.
J'aimerais obtenir quelques éclaircissements pour moi-même et peut-être pour les autres membres du comité. En ce qui concerne l'alcool, vous dites qu'au Canada, même si l'alcool est plus accessible, la consommation est en baisse. Vous craignez qu'à long terme la population ne boive plus d'alcool que par le passé, même si les statistiques montrent qu'en dépit d'une plus grande disponibilité de l'alcool la consommation est en baisse.
Dr Room: Eh bien, elle est en baisse depuis 15 ans. Auparavant, la consommation augmentait avec la disponibilité. La disponibilité de l'alcool s'est accrue substantiellement entre les années 40 et 80, et la consommation a augmenté plus qu'elle n'a diminué. Nous n'avons pas encore ramené le niveau de consommation à ce qu'il était au lendemain de la guerre.
D'après les données découlant des études faites dans les écoles secondaires de l'Ontario, il y a des signes d'un renversement de la tendance. Les enfants recommencent à boire; la consommation augmente. Cela nous préoccupe. Je pense que nous en sommes à un point d'inflexion, où les choses pourraient de nouveau changer.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Vous craignez donc que l'ouverture des magasins d'alcool le dimanche et la prolongation des heures d'ouverture n'accroissent l'accessibilité de l'alcool et, à plus long terme, n'entraînent une augmentation de la consommation, et vous pensez que le gouvernement fédéral doit se pencher sur cette question.
Dr Room: Je pense que le rôle du gouvernement fédéral est limité. La lutte contre l'alcoolisme est essentiellement du ressort provincial, mais le gouvernement fédéral peut faciliter la lutte contre la contrebande et participer à la diffusion des meilleures pratiques, par exemple.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci.
Monsieur Hill.
M. Hill: Ma première question porte sur la position du Canada dans le monde. Quel pays est mieux placé que le nôtre en ce qui concerne les drogues licites et illicites? Quel pays a de meilleures politiques que le Canada?
Dr Kendall: Nous conviendrions probablement que le Canada se situe au moyen tiers, probablement pas au sommet. Il fut un temps où nous étions très bien classés en ce qui concerne le tabac. Comme le disait le Dr Room, il fut un temps où le Canada se serait classé très bien, mais d'après nos critères ses politiques relatives au contrôle de ces substances ont perdu de leur efficacité.
Pour ce qui est de l'utilisation des substances illicites, la fondation nous classerait dans une position nettement meilleure que celle de notre voisin, les États-Unis, mais dans certains domaines nous ne sommes peut-être pas aussi avancés que ce dernier. Il existe des pays européens, ou peut-être l'Australie dans certains aspects précis des politiques relatives à la lutte antidrogue, qui ont mieux réussi à médicaliser et à traiter les problèmes de toxicomanie. Ces pays ont réussi à réduire au minimum les dommages que le système de justice pénale peut infliger aux jeunes qui expérimentent ces drogues sans pour autant les y encourager.
M. Hill: Vous avez dit que la prévalence du tabac au Canada a diminué au cours des 30 dernières années, que la prévalence de l'alcool diminue depuis 15 ans, et que l'utilisation de drogues illicites augmente chez les jeunes.
Dr Room: Il en est de même de l'utilisation licite.
M. Hill: Très bien. En tant que comité, si nous devions nous concentrer sur le secteur le plus productif de la société canadienne, où devrions-nous diriger nos efforts? Sur l'alcool, le tabac ou les drogues illicites?
Dr Room: Voulez-vous parler de la réduction des coûts économiques?
M. Hill: Compte tenu des ressources limitées et de la conjoncture économique difficile, à quoi devrions-nous consacrer nos ressources limitées?
Dr Kendall: À court terme, il serait plus efficace de réduire la consommation dangereuse d'alcool chez les jeunes. Les études des coûts économiques montrent clairement que la plupart des coûts de l'alcoolisme s'observent dans la population active âgée de 20 à 45 ans par suite d'accidents de voitures, etc. On pourrait remédier immédiatement à cette situation en combattant l'alcoolisme au travail, à la maison ou dans la rue.
À long terme, on économisera davantage en réduisant la consommation de tabac. Le retard dans la récupération de ces coûts provient du fait que les maladies cardiaques, les maladies pulmonaires chroniques et les cancers du poumon ne se manifestent dans la population qu'après une période de 15 à 20 ans.
Par conséquent, pour réaliser les économies les plus importantes, il faut trouver des moyens de réduire la consommation dangereuse chez les jeunes à court terme, et de diminuer la consommation de tabac dans la population, mesures qui ne commencent à porter fruit qu'au bout de 10 ans.
M. Hill: J'espère que le comité l'a entendu très clairement.
Dr Kendall: Permettez-moi d'ajouter que le troisième domaine dans lequel des mesures urgentes doivent être prises est celui du VIH, surtout chez les toxicomanes utilisant des seringues. Une crise aux proportions épidémiques frappe ce secteur de la population, dont le nombre ne cesse d'augmenter, ce qui représente une menace pour l'ensemble de la population. Le VIH ne menace pas uniquement les toxicomanes qui se piquent.
Dr Room: Il existe d'autres mesures qui ne sont pas coûteuses. Parfois, elles nécessitent de la volonté politique. On peut bien démontrer par exemple que la décriminalisation de la possession de marijuana serait économique pour le Canada dans la mesure où l'on économiserait les coûts des services de police en la matière. D'après des études menées aux États-Unis et dans d'autres pays qui ont décriminalisé la possession de cette substance sans pour autant la légaliser, les sanctions sont maintenant comparables aux contraventions en matière de stationnement. Cela rejoint l'objectif qui préoccupait M. Murphy; c'est toujours une substance illégale. Cela n'a pas entraîné une augmentation de la consommation, mais les coûts d'application de la loi ont chuté.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Monsieur Szabo.
M. Szabo: Messieurs, au nom du comité de la FRT, il est toujours important d'entendre votre point de vue en raison de votre longue expérience et du réseau que vous entretenez. Je sais que vous appuyez solidement le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, comme moi.
Tout d'abord, je vous remercie une fois de plus de votre appui constant en faveur des étiquettes d'avertissement sur les contenants de boisson alcoolique.
Docteur Kendall, vous avez dit que c'est au niveau des coûts économiques que notre stratégie peut avoir les effets les plus positifs. Votre réaction immédiate a été de mesurer le succès d'une initiative en fonction de la réduction des coûts économiques.
Dans le rapport du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, publié cette année - et vous utilisez les chiffres du rapport - l'alcoolisme nous coûte 7,5 milliards de dollars. À mon avis, il ne s'agit là que des coûts directs de l'alcoolisme. Dans le rapport de 1995, le centre affirmait que 50 p. 100 des cas de violence conjugale, 65 p. 100 des cas de violence contre les enfants et un cas de divorce sur six étaient directement ou indirectement causés par l'alcoolisme.
Le forum bilatéral Canada-États-Unis sur la santé estime que la violence conjugale a coûté au Canada 1,4 milliard de dollars au cours de la dernière année du rapport - peu importe l'année. Le syndrome d'alcoolisme foetal, qui a fait l'objet d'une déclaration conjointe de Santé Canada et de l'Association canadienne de pédiatrie le 16 octobre de cette année, coûte au Canada 2,7 milliards de dollars par an.
Si 50 p. 100 des cas de violence conjugale sont dus à l'alcool, cela signifie que la moitié de ce 1,4 milliard de dollars, soit 700 millions de dollars, est due à l'alcool. Si le SAF est entièrement causé par l'usage ou l'abus de l'alcool pendant la grossesse, cela ajoute 2,7 milliards de dollars à la facture, pour un total de 3,4 milliards de dollars. Une fois de plus, ce n'est que la moitié du coût direct actuel.
Si vous additionnez ces coûts de l'alcoolisme, qui, à mon avis, ne figurent pas dans les statistiques du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, même si le nombre de vies touchées par le tabagisme est beaucoup plus élevé, il me semble que le coût de l'alcoolisme, pour ce qui est des répercussions négatives sur l'économie de la société canadienne, est de loin beaucoup plus élevé que celui du tabagisme.
Le vice-président (M. Dhaliwal): En attendant la réponse, je vous demanderais d'être brefs en formulant vos questions et vos réponses, car nous sommes en retard. Nous avons d'autres témoins qui vont comparaître aujourd'hui.
Allez-y, monsieur Kendall.
Dr Kendall: Certains des coûts sociaux sont inclus dans l'étude du coût économique, mais pas tous. Les coûts de toutes les substances - l'alcool, le tabac et les drogues illicites - sont probablement sous-estimés. Ce sont des chiffres conservateurs.
Le risque relatif du tabagisme est moindre par rapport à ce que semblent indiquer les études de plus grande ampleur. Ainsi donc, tous les chiffres sont conservateurs.
Cela dit, je conviens que le coût de l'alcoolisme est plus élevé.
Toutefois, je présume que les programmes visant à réduire la consommation dangereuse chez les personnes âgées de 20 à 45 ans auraient un effet important comme corollaire, non seulement en ce qui concerne le syndrome d'alcoolisme foetal, car les femmes en âge de procréer ont des habitudes de consommation dangereuses qui contribuent directement à ce phénomène, mais aussi pour ce qui est de la violence conjugale et des troubles familiaux qui nous préoccupent. Les études montrent de plus en plus qu'il y a un lien entre la consommation d'alcool et la violence physique.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup, monsieur Szabo.
Monsieur Murphy.
M. Murphy (Annapolis Valley): Merci pour votre exposé.
Je suis toujours très intéressé par les stratégies d'éducation et de prévention. En tant que gouvernement fédéral, nous disposons de toutes sortes d'informations sur les dangers du tabagisme, par exemple, et ses effets sur la population.
Si nous devions personnaliser ou individualiser notre démarche de sensibilisation au tabagisme... Je vais vous dire ce que j'entends par là. J'écris souvent une note aux gens, et je ne le fais pas pour les dénigrer. Je dis simplement que leur tabagisme m'inquiète à cause des conséquences pour leur santé, et je les invite à cesser de fumer.
Une femme enceinte de sept mois nous servait au restaurant l'autre jour. Elle prenait des pauses pour fumer. Je suis allé à la cuisine et je lui ai parlé. Je ne me mêlais pas de mes affaires, mais je fais cela beaucoup.
À dire le vrai, j'ignore si cela donne des résultats. Quand on personnalise l'éducation sans menacer, sans humilier, sans juger, je me demande si cela fait une différence. Si nous, le gouvernement fédéral, devons dire aux gens d'assumer une responsabilité quelconque pour sensibiliser leur prochain, c'est une autre approche.
Dr Kendall: Mon collègue, le Dr Room, aimerait répondre à cette question. Mais avant je tiens à dire que les approches individuelles donnent probablement beaucoup de résultats. Cependant, un milieu social encourageant qui dit que nous, la société, jugeons que c'est mal de fumer au restaurant, à l'école, à l'université ou ailleurs, favorise sûrement l'approche individualisée.
Docteur Room.
Dr Room: Nous nous sommes d'ailleurs demandé combien de gens disent qu'ils essaient de sensibiliser leur entourage familial ou leurs amis aux effets du tabac ou de l'alcool, et vous n'êtes pas seuls. Une forte majorité de Canadiens ont essayé de sensibiliser d'autres personnes aux effets du tabac. Il y a même aussi une majorité qui ont invité des personnes à boire moins.
C'est une bonne chose que de penser à ce que les programmes gouvernementaux peuvent faire pour favoriser cette approche interactive.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Vous pouvez poser une dernière question, madame Hickey, mais faites vite.
Mme Hickey (St. John's-Est): Est-ce que le prix de l'alcool peut jouer un rôle? Est-il réaliste de penser que si l'on augmente le prix de l'alcool les gens vont boire moins? Quel est le meilleur instrument de prévention pour empêcher les jeunes de consommer de l'alcool? Avez-vous des suggestions?
Dr Room: Tout d'abord, notre système réussit très bien à contrôler l'accès des jeunes à l'alcool dans les provinces qui conservent le monopole de la distribution. Il y a plusieurs États américains qui adoreraient avoir un système aussi efficace, parce qu'ici on ne peut entrer dans un dépanneur et acheter de l'alcool d'une personne qui a votre âge.
Essentiellement, au Canada, il faut avoir la majorité pour consommer de l'alcool; c'est 18 ou 19 ans, selon la province. Ce qui veut dire qu'il nous faut admettre que la plupart des Canadiens commencent à boire quand ils n'en ont pas le droit. Une approche éducative doit prendre en compte le fait qu'il est normal que les jeunes commencent à boire avant la majorité. Cela nous permettrait sûrement de discuter des problèmes, et aussi de réduire les torts que cause l'alcool.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Je tiens à remercier nos deux témoins, le Dr Kendall et le Dr Room, qui nous ont donné un excellent exposé et qui ont bien répondu à nos questions. Au nom du comité, je vous remercie beaucoup. Si vous voulez revenir devant notre comité, nous serons heureux de vous entendre.
Nos témoins suivants sont de l'Assemblée des premières nations. Royce Wilson ne pouvait être des nôtres aujourd'hui, mais nous recevons à sa place M. Keith Conn et Mme Marylin Van Bibber.
Voulez-vous commencer, Keith? Veuillez nous présenter tous vos collaborateurs, après quoi vous aurez la parole. Lorsque vous aurez terminé votre exposé, nous passerons aux questions.
J'invite mes collègues à poser des questions brèves et précises, et je vous demande aussi de répondre dans le même sens, parce que nous sommes en retard. Vous m'aideriez beaucoup en collaborant.
Monsieur Conn.
M. Keith Conn (directeur de la santé, Secrétariat de la santé de l'Assemblée des premières nations): Le chef national vous transmet ses salutations les plus chaleureuses.
Je suis accompagné aujourd'hui de Mme Brenda Thomas, infirmière et conseillère auprès du Secrétariat de la santé de l'APN, et de Mlle Marylin Van Bibber, membre fondatrice de l'Association des infirmières et des infirmiers autochtones du Canada. Elle a été infirmière et sage-femme et connaît fort bien ce phénomène qu'on appelle le syndrome d'alcoolisme foetal. Elle est actuellement gestionnaire de traités pour les peuples Tsleil Waututh de la Colombie-Britannique. Brenda et Mlle Van Bibber feront des exposés complémentaires.
J'ai déjà soumis un mémoire; je me contenterai donc d'en dégager les points principaux au lieu de le lire. Nous pourrons ensuite passer aux recommandations et à la discussion.
Je tiens à remercier le comité de nous accueillir aujourd'hui.
Premièrement, il est juste que le gouvernement invite les Premières nations à participer à cet examen des politiques sur le mauvais usage et l'abus des drogues, et également à participer à l'élaboration de recommandations sur la politique future, une politique qui aura des répercussions sur l'ensemble de la société, y compris les Premières nations.
Nous partons du principe qu'il est essentiel de ménager une discussion et un dialogue ouverts avec les Premières nations si l'on veut régler tous les problèmes cruciaux qui ont surgi dans nos communautés à cause de l'abus des drogues. L'examen de mesures efficaces pour réduire l'usage abusif des boissons alcoolisées, du tabac, des drogues légales et illégales et de solvants n'est qu'un début. Il est nécessaire d'organiser un forum avec la participation des Premières nations pour prendre des mesures et éliminer les causes de la toxicomanie, des causes qui ont un effet direct sur notre qualité de vie.
En ce qui concerne l'abus des drogues parmi les Premières nations, d'après un groupe d'experts constitué par le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, en 1993 encore les spécialistes des toxicomanies continuaient à avoir une connaissance limitée de la situation parmi les peuples autochtones, et cela, à cause du caractère particulièrement complexe des problèmes de toxicomanie dans ces populations par rapport au reste de la société.
Toutefois, on a déterminé que l'abus des drogues non seulement provoque des problèmes sociaux, mais constitue également le résultat des conditions créées par ce phénomène. C'est une situation que les Premières nations connaissent depuis assez longtemps, du fait qu'elles vivent dans ces conditions et que pour elles les problèmes de toxicomanie sont une réalité quotidienne.
Par exemple, les enfants des Premières nations qui vivent dans ces conditions sont durement affectés. D'après certaines études, par comparaison à leurs homologues du reste de la société, les enfants autochtones de moins de 14 ans sont 27,5 fois plus susceptibles de commencer à consommer de l'alcool, des drogues et des solvants à un âge très tendre, ce qui constitue une forme de suicide.
Dans certaines communautés, des enfants de cinq à huit ans utilisent des solvants. Parmi les jeunes des Premières nations, ce phénomène est en augmentation progressive. Depuis les années 80, entre 1975 et 1983, l'abus de solvants dans beaucoup de communautés a plus que doublé. D'après des études récentes effectuées dans le nord du Québec et de l'Ontario, jusqu'à 62 p. 100 des enfants des Premières nations de moins de 20 ans ont respiré de l'essence ou d'autres solvants.
Dans d'autres provinces, comme le Manitoba et la Saskatchewan, ce phénomène est également très fréquent parmi les populations des Premières nations. D'après certaines études, parmi les jeunes, les jeunes Autochtones consomment, régulièrement ou périodiquement, plus de produits du tabac que les jeunes du reste de la société canadienne.
En 1991, quand l'enquête sur les peuples autochtones a été effectuée, on a déterminé que 61 p. 100 des Autochtones interrogés considèrent que l'alcoolisme est l'un des problèmes sociaux majeurs dans leur communauté.
L'abus et le mauvais usage de médicaments délivrés sur ordonnance est un autre problème grave qui affecte tous les secteurs de la société canadienne, y compris les populations des Premières nations. Récemment, un groupe de travail auquel participaient des représentants de l'APN a été mis en place sous l'égide de la Direction des services médicaux de Santé Canada pour tenter de contrôler les problèmes d'abus de médicaments délivrés sur ordonnance parmi les Premières nations.
C'est une initiative parmi plusieurs autres pour tenter de contrôler ce genre de pratique, mais il est évident que, comme toutes les autres formes d'abus, ce phénomène-là est le symptôme d'un problème beaucoup plus profond. Par conséquent, les politiques axées sur la demande relative à ces substances peuvent avoir un certain succès et contrôler en partie la toxicomanie, mais ce type de démarche constitue beaucoup plus une intervention d'urgence, et il reste beaucoup à faire pour déterminer les raisons du phénomène. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne l'abus des drogues parmi les Premières nations.
Plusieurs initiatives qui sont en cours sont axées principalement sur des modules d'intervention et de traitement, et il reste beaucoup à faire dans les domaines de la prévention et du suivi. Il faut adopter des stratégies pour explorer la racine du problème et les facteurs socio-économiques auxquels se heurtent les Premières nations, tous ces facteurs qui sont à l'origine de l'abus de drogues.
Évidemment, des conditions économiques déplorables, de faibles niveaux d'éducation, la dépendance à l'égard de l'assistance sociale et des pressions sociales extrêmes sont autant de facteurs qui ont été dégagés par les experts, mais ils constituent une partie seulement des problèmes auxquels se heurtent quotidiennement beaucoup de membres des Premières nations. D'après de récentes études, l'abus des drogues serait attribuable également à la pauvreté, à des conditions de logement déplorables, à la perte de la langue et de la culture à cause des pensionnats, au racisme, au manque de débouchés sur les plans social, économique et éducationnel, et, enfin, à un sentiment général de désespoir et d'impuissance provoqué par l'ensemble de ces facteurs.
On l'a répété à de très nombreuses reprises, dans des réunions, des conférences et des comités permanents: pour s'attaquer à des problèmes comme le mauvais usage et l'abus des drogues parmi les Premières nations, c'est aux principales causes de ces problèmes et aux conditions de santé généralement déplorables parmi les Premières nations qu'il faut s'attaquer en priorité. Il nous est possible de travailler en collaboration, en groupes, de participer à des discussions et à des conseils sur l'élaboration de politiques. Il nous est possible d'étudier les circonstances de l'abus des drogues et d'en considérer les effets sur les particuliers, sur les familles, les communautés et les nations.
Nous formulons des recommandations dans quatre secteurs différents: les politiques et la législation, l'information et l'éducation, la recherche et, enfin, les programmes et les services.
En ce qui concerne les politiques et la législation, ces politiques doivent être élaborées par les Premières nations elles-mêmes pour respecter le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, pour faire de cette politique un instrument des Premières nations, et pour agir dans tous les domaines de la santé. Le gouvernement fédéral doit réaffirmer les droits issus des traités des Autochtones en ce qui concerne les services de santé, après quoi ces droits doivent être mis en application. L'exécution des politiques en matière de santé doit tenir compte des valeurs et des démarches traditionnelles des Premières nations en ce qui concerne la santé et le bien-être. Il est nécessaire d'investir dans le développement économique des Premières nations dans le cadre d'une série d'initiatives.
En ce qui concerne l'information et l'éducation, nous pensons que le comité devrait envisager d'organiser des ateliers éducatifs dans la communauté avec un programme exhaustif d'information sur la toxicomanie et l'alcoolisme parmi les Autochtones. Il importe de favoriser une renaissance et une réaffirmation de la culture et de la langue pour permettre aux Premières nations de ménager à ces aspects-là un rôle important dans leur chemin vers la guérison. Des efforts doivent être faits pour mieux financer, et financer d'une façon plus souple, la Semaine nationale de sensibilisation aux toxicomanies. Pour l'instant, nous pensons que c'est assez restreint.
Notre dernière recommandation en ce qui concerne l'information et l'éducation porte sur les efforts nécessaires pour favoriser une prise de conscience et une campagne d'éducation concernant la perte d'un être cher, l'agression sexuelle, la violence familiale et les effets des pensionnats sur plusieurs générations, les familles dysfonctionnelles et la santé mentale.
En ce qui concerne la recherche axée spécifiquement sur les Premières nations, il faudrait que les Premières nations procèdent à une analyse et à une évaluation des programmes actuels visant l'abus des drogues, de l'alcool et de solvants et envisagent de les modifier après avoir mesuré leur efficacité et cerné les options. Il importe de faire de la recherche et de constituer une documentation sur les diverses méthodes de guérison traditionnelles utilisées par les diverses Premières nations. Les recherches sont nécessaires pour déterminer comment divers peuples des Premières nations réagissaient traditionnellement à la perte d'un être cher, et cela, dans le but d'atteindre la guérison et d'éviter de nouveaux incidents.
Il faudrait également faire de la recherche sur les mesures préventives et les méthodes de traitement pour l'abus de solvants, en particulier l'inhalation d'essence et de solvants. Pour les centres de traitement, autochtones et non autochtones, c'est un véritable problème, et nous reviendrons sur cette question plus tard.
En ce qui concerne les programmes et les services, il importe d'obtenir un financement stable, à long terme, pour tous les programmes qui ont fait la preuve de leur efficacité. En effet, de plus en plus on assiste à une érosion des programmes qui ont fait la preuve de leur efficacité.
La stratégie canadienne antidrogue doit accorder une priorité absolue au cas des jeunes autochtones.
Une autre recommandation est d'entreprendre un examen des programmes de prévention de l'abus des solvants, des drogues et de l'alcool en vue de les intégrer aux programmes scolaires. C'est un domaine où il y a des lacunes.
Il faut élaborer des stratégies pour donner aux aînés de nos communautés un rôle actif en ce qui concerne la transmission de la langue, des valeurs et de l'expérience, pour permettre de rétablir l'enseignement et la communication qui existaient jadis entre les générations des Premières nations.
Il faut faire un effort pour déterminer les incidences de l'aide sociale sur l'abus d'intoxicants. Pour l'avenir des services sociaux des Premières nations, on doit envisager d'autres possibilités, une plus grande souplesse et des options pour libérer les gens du cercle vicieux de la dépendance et de l'abus.
Pour terminer, je tiens à dire que nous considérons cet exposé comme une démarche préliminaire, une vue d'ensemble de la situation accompagnée de recommandations spécifiques. Nous espérons que d'autres organismes des Premières nations, d'autres représentants des communautés auront également l'occasion de discuter avec les membres de ce comité. Merci.
Le vice-président (M. Dhaliwal): On me dit que la réunion de 11 heures est annulée, cela nous donne donc un peu plus de temps.
Si vous avez d'autres observations, nous allons les écouter, après quoi nous passerons aux questions. Est-ce que les autres membres du groupe ont quelque chose à ajouter?
M. Conn: Mme Van Bibber voudrait faire quelques observations au sujet de notre intervention.
Mme Marylin Van Bibber (conseillère technique, Assemblée des Premières nations): Je veux vous parler du syndrome d'alcoolisme foetal et des effets de l'alcool sur le foetus. Je vais commencer par quelques observations puis je passerai en revue nos recommandations en ce qui concerne le syndrome d'alcoolisme foetal.
L'élément le plus important de cette question, c'est qu'il s'agit d'un problème de santé publique particulièrement complexe, du fait que c'est le cerveau qui subit les dommages. Comme vous le savez, en exposant le foetus à l'alcool, on cause des dommages considérables à un grand nombre d'organes et de systèmes, mais c'est le cerveau qui subit le dommage le plus considérable. C'est un dommage qui peut aller de l'arriération mentale grave à des difficultés d'apprentissage et à des problèmes de comportement.
La recherche confirme aujourd'hui que l'alcool a des effets sur l'organisation du cerveau et les communications internes. Pour les personnes affectées, c'est un handicap majeur. Très souvent, elles sont conscientes de leurs lacunes, très conscientes de l'isolation sociale causée par leur comportement, un comportement caractéristique du syndrome d'alcoolisme foetal. En conséquence, beaucoup de ces jeunes souffrent d'un manque de confiance en eux, d'anxiété, de dépression, et ils entretiennent des idées de suicide.
D'après un rapport récent de l'Université de Washington, un centre d'excellence dans ce domaine, ce fléau est également à l'origine d'une série de handicaps secondaires. Il s'agit de problèmes de santé mentale, de troubles scolaires, de démêlés avec la justice; ces personnes doivent parfois être détenues, c'est-à-dire subir des traitements pour des problèmes mentaux ou des problèmes d'alcoolisme; il y a des cas de comportement sexuel anormal et enfin des problèmes d'alcoolisme et de toxicomanie. Quatre-vingt pour cent des personnes interrogées ne vivaient pas d'une façon indépendante, autrement dit, elles ne pouvaient vivre seules et avaient des problèmes lorsqu'il s'agissait de trouver ou de garder un emploi.
Il y a donc toute une série de problèmes secondaires qui surgissent. Cette étude s'est également penchée sur les facteurs qui influencent positivement les gens qui souffrent de ce handicap, et deux facteurs particulièrement importants sont un dépistage précoce, c'est-à-dire avant l'âge de 6 ans, et un environnement familial stable et compréhensif.
Si nous abordons le problème du syndrome d'alcoolisme foetal aujourd'hui, c'est parce qu'au Canada, pour autant que nous le sachions, il affecte de une à trois naissances sur mille. Ces chiffres sont dérivés d'études américaines et européennes car il n'y a pas eu beaucoup de recherches au Canada. Les études axées sur les communautés autochtones établissent que l'incidence est extrêmement élevée. Je dois dire qu'on ne peut pas tirer les mêmes conclusions pour toutes les communautés, mais nous sommes certains qu'il y a des endroits où l'incidence est très élevée. À mon avis, il est nécessaire de poursuivre les recherches pour déterminer exactement la gravité et la fréquence de ce problème.
La personne qui m'a précédée a parlé de coût. Le chiffre que j'ai sous les yeux, et encore une fois il vient des États-Unis, est de 1,5 million de dollars par enfant tout au long de son existence. Voilà ce qu'il en coûte à la société. Il est impossible de déterminer le coût total, parce qu'il est très difficile de déterminer le coût que cela représente pour la personne concernée, sa famille, sa communauté et pour l'ensemble de la société. Quand on se penche sur les communautés où l'incidence du syndrome est très élevée, on voit clairement que le coût est très élevé pour cette société et pour cette culture.
En ce qui concerne la prévention, nous épousons la position de la Société canadienne de pédiatrie que vous venez d'entendre. La société reconnaît que c'est un problème de santé publique particulièrement complexe et que plusieurs secteurs, y compris tous les niveaux de gouvernement, doivent intervenir.
D'après cette même déclaration, il importe également de se pencher sur les facteurs de la santé qui ont une importance critique pour la prévention dans les communautés autochtones. Le syndrome d'alcoolisme foetal dans les communautés autochtones est directement lié à l'histoire du Canada. Les changements sociaux, économiques, culturels et politiques provoqués par la colonisation, l'aliénation des terres et des ressources, toutes ces circonstances ont eu un impact cumulatif sur les communautés autochtones.
Nous oeuvrons dans tout le Canada de diverses façons, selon des rythmes différents, pour récupérer l'autonomie dont nous jouissions jadis, mais en réalité, ce qui est le plus pressant, c'est de régler les problèmes de santé communautaire, y compris le syndrome d'alcoolisme foetal. Nous étudions donc les mesures communautaires qui sont susceptibles de résoudre ce problème. C'est la clé même du développement général des ressources humaines. Et partant de là, les ressources humaines sont la clé de notre autonomie.
Quant à nos recommandations, nous souscrivons à celles de la Société canadienne de pédiatrie.
Deuxièmement, nous devons élaborer des politiques pour assurer le règlement rapide et équitable des traités en suspens et instaurer l'autonomie gouvernementale. Ce n'est pas directement une question de santé, mais c'est un problème canadien qui doit être résolu. D'autre part, il aura des répercussions directes sur ce problème de santé.
Il faut faire des efforts substantiels pour protéger et augmenter les niveaux de financement des programmes communautaires, y compris l'éducation spéciale, un secteur qui vient de subir des coupures.
Nous avons besoin d'une stratégie nationale pour prévenir le syndrome d'alcoolisme foetal. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il faut réserver des fonds à la recherche dans ce domaine.
Merci.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup pour cet exposé. Je vous assure que c'est un sujet auquel ce comité accorde une importance cruciale. Je sais que nous devons trouver de meilleurs moyens de lutter contre l'alcoolisme et la toxicomanie chez les Autochtones, et cela, à tous les niveaux de gouvernement. Votre présence ici et votre intervention ont donc pour nous une importance particulière. J'ai été particulièrement attristé quand j'ai eu l'occasion de visiter certaines régions où la communauté autochtone se heurte à des problèmes de toxicomanie et d'alcoolisme.
Nous allons commencer par Keith. Une fois de plus, je demande aux députés d'être brefs pour rattraper notre retard.
M. Martin (Esquimalt - Juan de Fuca): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie tous les trois d'être venus et de nous avoir fait ces exposés.
J'ai quelques questions très courtes mais je commencerai en disant que j'ai jadis travaillé en Afrique et que depuis lors, je n'avais jamais rencontré une situation médicale aussi grave. Depuis cette expérience dans un pays du tiers monde, je n'avais pas eu l'occasion de voir de tels cas de malnutrition, d'hypothyroïdisme, et toute une série de maladies. Il est maintenant trop tard pour discuter, il importe d'agir. Vous devez certainement approuver les propos que Rosemarie Kuptana a tenus lorsqu'elle est venue à ce comité pour la première fois.
Quelques questions très courtes. Est-ce que vous êtes en faveur de l'intégration, non pas de l'assimilation, mais d'une meilleure intégration dans la société canadienne, avec une amélioration des conditions économiques des Autochtones? Pensez-vous que cela diminuerait les problèmes d'abus d'intoxicants dans vos communautés?
Deuxièmement, et peut-être Mme Van Bibber pourra-t-elle répondre à cette question, est-ce qu'une réintroduction progressive des structures matrilinéaires et matriarcales qui existaient jadis dans certaines communautés autochtones de Colombie-Britannique permettrait d'améliorer l'organisation des réserves et de rendre plus de pouvoirs aux gens, de leur permettre de prendre eux-mêmes leurs décisions en ce qui concerne la vie des réserves? À mon avis, il y a des réserves qui sont déchirées par des rancoeurs et des problèmes internes, qui souffrent de dislocation et qui n'ont plus aucun sens de direction.
Également, pensez-vous qu'on pourrait régler les problèmes d'alcoolisme dans les réserves en interdisant toute consommation d'alcool?
Enfin, connaissez-vous des réserves où les Autochtones utilisent des stratégies d'intervention rapides?
Merci
Le vice-président (M. Dhaliwal): Je suis très conscient qu'il sera difficile de répondre à certaines de ces questions en quelques mots. Si c'est possible, c'est parfait, mais si vous avez besoin de plus de temps, nous apprécierions que vous envoyiez au comité une réponse écrite.
M. Conn: C'est ce que nous ferons.
En ce qui concerne le débat intégration/assimilation, la politique d'assimilation est une politique qui n'a donné de bons résultats nulle part au pays. Cela est tout à fait évident. On pourrait dire que le mot «intégration» est un mot-code, mais je vois mal comment cela pourrait fonctionner alors qu'on n'a pas encore résolu les revendications territoriales, les revendications en ce qui concerne les ressources et l'autonomie gouvernementale. En effet, si nous voulons établir des communautés saines dotées des terres et des ressources qui leur permettront de subvenir à leurs besoins et d'envisager la coexistence, il faut commencer par régler ces problèmes-là. À mon avis, toute la politique des Premières nations dans ce domaine est fondée sur cette prémisse.
Autrement dit, l'intégration n'est pas particulièrement à l'ordre du jour. Certains éléments de la société sont déjà intégrés et se débrouillent très bien. On pourrait les qualifier de biculturels. La démarcation suit plus ou moins la ligne entre situation urbaine et situation rurale. Toutefois, la clé de tout cela, c'est la coexistence. Nous pourrions développer ces aspects dans un autre mémoire.
En ce concerne l'interdiction de consommer de l'alcool, je ne suis pas certain. Dans une large mesure, d'après ce que je sais de la question, les communautés qui ont adopté des règlements pour interdire la consommation d'alcool n'ont pas vraiment réussi à réduire la consommation d'alcool. Les gens trouvent toujours le moyen de faire rentrer de l'alcool, mais tout de même ont réussi à limiter. C'est une façon d'attaquer le problème de front, peut-être, mais les résultats varient d'une communauté à l'autre.
Il y a eu très peu de recherche dans ce domaine. Je parle uniquement de mon expérience personnelle, et nous pourrions peut-être nous informer et vous donner de plus amples détails.
Mme Van Bibber: La question que vous avez posée au sujet des sociétés matriarcales et de l'intervention précoce n'était pas très claire.
M. Martin: Dans le nord de la Colombie-Britannique, il y a des agents autochtones de la GRC qui font vraiment du très bon travail, qui réussissent à rétablir des structures matriarcales dans certaines réserves. Pour les gens qui vivent dans ces réserves, c'est un développement très positif. On s'aperçoit que les terribles problèmes socio-économiques auxquels se heurtent ces réserves diminuent. Je me demande s'il s'agit d'une décision consciente de vos comités, et avez-vous conclu que c'était efficace.
Mme Van Bibber: Je suis tout à fait convaincue de la valeur des structures traditionnelles matrilinéaires, et dans certains cas, matriarcales, dans nos sociétés. Toutefois, il faut prendre garde de ne pas en rétablir uniquement certains éléments épars. Il est certain que cela fait partie intégrante de l'autonomie gouvernementale. Avec l'autonomie gouvernementale, les communautés et les nations, les structures utiles à la société actuelle, reprendront leur place pour faire face aux problèmes actuels.
M. Martin: C'est un type de gouvernement de style municipal, c'est bien à cela que vous faites allusion?
Mme Van Bibber: Non, je parle de l'autonomie gouvernementale des Premières nations, et non pas d'un style de gouvernement municipal. Tout cela dépend dans une large mesure de la communauté. Vous devez penser au modèle d'autonomie gouvernementale de Sechelt, mais on trouve dans les structures traditionnelles diverses démarches en ce qui concerne l'exercice de l'autorité. Vous faites allusion, vous, à un élément de la structure traditionnelle de l'autorité.
M. Szabo: Je vous remercie tout particulièrement d'avoir soulevé la question du SAF.
Le Conseil national de la prévention du crime a comparu devant ce comité et l'un de leurs porte-parole qui s'occupe des enfants atteints du SAF et de leurs parents, a déclaré que, malheureusement, rares étaient ces clientes qui étaient au courant des risques qu'elles couraient en consommant de l'alcool pendant leur grossesse.
J'ai deux questions.
Premièrement, comment faites-vous pour déterminer à quel point les populations des Premières nations sont au courant des risques, et qui avez-vous contacté à ce sujet?
Deuxièmement, depuis 1991, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon apposent des étiquettes de mise en garde sur les contenants des boissons alcoolisées. Pensez-vous que cela soit utile pour informer les gens et les convaincre de changer leur comportement, et avez-vous des raisons de penser que cette mesure a été positive?
Mme Van Bibber: En ce qui concerne les étiquettes, je pense qu'effectivement, c'est positif. À mon avis, on ne saurait avoir trop d'information.
J'ai eu l'occasion de voyager dans le Canada récemment pour discuter du syndrome d'alcoolisme foetal avec diverses personnes. Dans les communautés, il y a très peu d'information sur la santé publique. Il n'y a pas tellement d'affiches et de brochures, ce genre de choses. C'est devenu un des grands problèmes depuis quelques années au Canada, et pourtant, les efforts consacrés à l'éducation sont minimes.
À mon avis, les groupes de soutien de parents méritent certainement des éloges. En Colombie-Britannique, sur le plan de l'éducation, ils ont beaucoup fait. On les appelle constamment de toute la Colombie-Britannique, du reste du Canada et même de l'Amérique du Nord.
Les gens recherchent désespérément des informations. Il y a beaucoup de malentendus. Par exemple, certains disent que le syndrome d'alcoolisme foetal est sans solution, et par conséquent, beaucoup de gens refusent de voir le problème. Il y a beaucoup à faire sur le plan de l'éducation.
J'ai participé à une étude sur la prise de conscience nécessaire en ce qui concerne le syndrome d'alcoolisme foetal. Beaucoup de gens savent que la consommation d'alcool affecte le bébé, mais très peu sont au courant des dommages que cela cause et de la durée de ces dommages. Très souvent, ils pensent que cela disparaîtra avec l'âge, que ce n'est pas permanent. Il est important d'informer les gens.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Je vous remercie infiniment pour votre exposé. Je sais que notre comité accorde une importance particulière à cette question. Pour ma part, c'est une chose à laquelle j'accorde le plus grand intérêt.
À de nombreux égards, nos gouvernements ont échoué lorsqu'il s'est agi de lutter contre l'alcoolisme et la toxicomanie dans les communautés autochtones, et il reste beaucoup de travail à faire pour cerner ces problèmes.
Encore une fois, je vous remercie d'être venus et de nous avoir accordé votre concours précieux.
Pendant que nous attendons les témoins suivants, je vais en profiter pour régler un ou deux détails administratifs.
Il y a un poste budgétaire, et il s'agit d'adopter un budget de 17 321 $ et de soumettre ce budget au sous-comité du budget du comité de liaison pour qu'il soit approuvé le plus rapidement possible. Cela devrait nous permettre de continuer nos travaux et de défrayer nos témoins jusqu'en décembre.
L'un d'entre vous pourrait-il proposer cette motion, et une autre personne, l'appuyer pour que nous puissions régler cela.
M. Volpe (Eglinton - Lawrence): Je propose la motion.
M. Murphy: J'appuie la motion.
La motion est adoptée
Le vice-président (M. Dhaliwal): Keith a soumis une motion. Keith, vous voulez en parler tout de suite? Vous avez quelque chose à dire?
M. Martin: Je suis heureux qu'on discute de cette motion, que vous avez tous reçue, après avoir entendu ce groupe de témoins.
Je propose que ce comité entérine les conclusions de la Food and Drug Administration des États-Unis en ce qui concerne les produits de tabac, c'est-à-dire que la nicotine et les cigarettes ont une incidence sur de nombreuses fonctions du corps humain parce que la nicotine et le tabac provoquent une accoutumance et ont d'autres effets sur les fonctions psychiques, entre autres des effets de tranquillisant et de stimulant, sans parler d'un contrôle sur le poids.
Cela est suivi d'une longue liste de justifications.
Si je soumets cette motion, c'est que le gouvernement, après avoir promis à de nombreuses reprises de soumettre une stratégie antitabac à la Chambre des communes, s'est contenté d'observer une inaction presque totale. J'aimerais donc donner à ce comité la possibilité de confirmer que cette substance a bel et bien les propriétés dont on a parlé aux États-Unis.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci. Y a-t-il d'autres observations?
M. Szabo: J'invoque le Règlement.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de lire les conclusions de la U.S. Food and Drug Administration. J'aimerais beaucoup voir ce document, ou même un rapport sur ce document, ce qui me permettrait de mieux participer au débat et, éventuellement, de voter sur une motion. En attendant, cette motion est peut-être prématurée.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Vous voulez qu'on réserve cette motion ou qu'on en donne préavis pour la prochaine réunion.
M. Szabo: Je veux qu'on attende d'avoir les informations pertinentes.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Êtes-vous disposé à réserver votre motion ou à la proposer sous forme de préavis?
M. Martin: Cela dépend du calendrier, monsieur le président.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Notre prochaine réunion est prévue pour mardi. Je peux très bien inscrire cela à l'ordre du jour de mardi. Peut-être pourriez-vous fournir de plus amples infirmations aux députés, ce qui nous permettra d'avoir un débat constructif.
M. Martin: J'enverrai cela à tous les députés. Donc, nous en discuterons mardi prochain?
Le vice-président (M. Dhaliwal): Nous pouvons l'inscrire à l'ordre du jour de mardi.
M. Martin: C'est parfait.
Le vice-président (M. Dhaliwal): La motion est retirée jusqu'à mardi. Tout le monde est d'accord?
Des voix: D'accord.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup. Je me réjouis que nous ayons pu nous entendre.
Notre témoin suivant représente la Société canadienne du cancer.
Je vous demande d'excuser notre retard, mais nous venons d'avoir un échange particulièrement intéressant. Nous ne vous bousculerons pas pour autant, nous essayerons même de rester là le plus longtemps possible.
Nous accueillons donc le Dr Gerry Bonham, Maurice Gingues et Robert Cunningham. Nous vous remercions d'être venus et nous allons vous écouter avec beaucoup d'intérêt.
Docteur Bonham, vous avez la parole.
Le Dr Gerry Bonham (président du Comité des questions d'actualité et des affaires publiques, Division de la Colombie-Britannique et du Yukon, Société canadienne du cancer): Merci, monsieur le président, membres du comité.
Je suis le Dr Gerry Bonham, et je suis président du Comité des questions d'actualité et des affaires publiques de la Division de la Colombie-Britannique et du Yukon de la Société canadienne du cancer. Tout comme vous-mêmes, je suis donc de la côte ouest.
Rob Cunningham est avocat et analyste pour le compte de la Société canadienne du cancer, et il vient de publier cette semaine un ouvrage intitulé Smoke & Mirrors: The Canadian Tobacco War. Il est ici pour répondre aux questions auxquelles Maurice et moi-même ne pourrons pas répondre.
Je suis accompagné également de Maurice Gingues, chargé de projets auxiliaires du bureau national des Affaires publiques de la Société canadienne du cancer. Il vous parlera très brièvement de la vente aux mineurs et des taxes.
Je serai très bref. Vous avez reçu ma documentation. Cela a été distribué?
Le vice-président (M. Dhaliwal): Oui, tout le monde en a un exemplaire.
Dr Bonham: Je ne répéterai pas tout le document, mais comme vous le voyez, j'ai une expérience considérable dans le domaine de la santé publique. J'ai occupé des chaires, dans deux écoles de médecine canadiennes et également effectué des travaux de recherche. En juin dernier, j'ai publié, à titre d'auteur principal, les résultats d'un suivi d'études sur la santé des nouveau-nés qui est le plus important jamais entrepris au Canada. Cette étude s'est intéressée, entre autres, aux mères qui fument et aux effets négatifs que cela a sur les nourrissons. J'ai également travaillé, à titre d'expert, pour la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, et je me suis intéressé en particulier aux problèmes de fertilité.
J'aimerais attirer l'attention sur un problème qu'on oublie souvent en ce qui concerne l'impact du tabac sur la santé des Canadiens. Nous savons tous et nous comprenons que l'épidémie de cancer du poumon et une bonne partie des maladies cardiaques sont dues à l'usage du tabac, ce sont les aspects dont on parle beaucoup. Par contre, on oublie souvent les nombreuses maladies respiratoires qui sont également attribuables au tabac. Le tabac aggrave l'asthme, quand il n'en est pas à l'origine. Vous avez tous dû voir quelqu'un dans une chaise roulante équipée d'une bonbonne à oxygène: il y a de très bonnes chances pour que cette personne ait fumé toute sa vie. Il y a autre chose que l'on oublie, c'est le fait qu'on s'aperçoit de plus en plus que d'autres types de cancer sont également attribuables à la consommation de tabac.
J'aimerais parler également de la santé de la reproduction. C'est un sujet dont on parle rarement, et pourtant, beaucoup de femmes s'aperçoivent qu'elles sont infertiles parce que l'usage du tabac a porté atteinte à leur fécondité. D'autre part, celles qui réussissent à concevoir ne peuvent pas mener leur grossesse à terme. En effet, parmi les femmes qui fument, le taux de fausses couches est très élevé. C'est une source de préoccupations et de détresse.
D'autre part, il y aussi la question que j'ai été appelé à étudier, les effets négatifs de l'usage du tabac sur les nouveau- nés. Au départ, ces nouveau-nés sont nettement plus petits, et ils reviennent souvent à l'hôpital, souffrant de diverses maladies, pendant les dix-huit premiers mois de leur vie. Très souvent, ils sont atteints de maladies respiratoires pendant leur enfance, en particulier si leurs parents continuent à fumer, et cela semble provoquer divers handicaps sur le plan de l'apprentissage pendant le reste de leur existence. C'est une situation qui est particulièrement grave.
Depuis dix ans maintenant, nous savons que les non-fumeurs peuvent également être affectés. Cette constatation est à l'origine de nombreuses politiques en ce qui concerne l'usage de tabac dans les endroits publics. C'est un problème qui doit nous préoccuper tous, qui est sans aucun doute mesurable et grave.
Mon principal message ce matin concerne les mesures qui ne donnent pas de résultats. La première notion qui mérite notre scepticisme, c'est l'idée que ce problème peut être résolu grâce à l'éducation. L'éducation a donné d'excellents résultats jusqu'à présent. Beaucoup de gens savent que l'usage du tabac est mauvais pour la santé, qu'ils doivent absolument cesser de fumer. Toutefois, ceux qui continuent aujourd'hui sont les fumeurs endurcis, et il est de plus en plus difficile de faire des progrès parmi ces groupes d'adultes.
Cela devient de plus en plus difficile, car ceux qui restent sont ceux qui souffrent des formes d'accoutumance des plus résistantes, et les programmes d'éducation n'ont pas d'effet sur eux. Certains médecins attachent une très grande importance à cet aspect-là lorsqu'ils parlent à leurs patients, mais en dépit de tous leurs efforts, ils doivent se contenter de résultats assez minimes. La même chose est vrai pour tous les programmes organisés: beaucoup de gens essaient et échouent.
D'autre part, un autre problème tient à l'absence d'un programme de dépistage efficace pour les maladies liées à l'usage du tabac. C'est tout à fait exact. Nous avons d'excellents programmes de dépistage pour le cancer du col de l'utérus chez les femmes, et de bons programmes également pour le cancer du sein. On a essayé de détecter le cancer du poumon avec la radiographie, mais ça ne marchait pas, et l'idée a été abandonnée. Il n'y a donc pas de programmes de dépistage.
Enfin, les programmes de traitement pour les maladies liées à l'usage du tabac ne sont vraiment pas très efficaces. Lorsqu'un problème est bien enraciné après des dizaines d'années d'usage du tabac, aucun traitement ne donnera des résultats très satisfaisants. Je pense en particulier aux résultats très décevants de traitement de cancer du poumon, une maladie qui demeure le plus souvent fatale. L'objectif du traitement est le plus souvent de permettre aux patients et à leurs familles de passer Noël ensemble, c'est souvent un traitement palliatif. La même chose vaut pour les maladies cardiaques attribuables à l'usage du tabac. C'est loin d'être facile à traiter, et les pauvres gens qui se retrouvent brancher sur une bonbonne à oxygène et qui souffrent d'obstruction pulmonaire chronique, ne peuvent pas non plus espérer une guérison totale. Ce sont des maladies que nous ne pouvons pas dépister, et ce qui peut être fait sur le plan de l'éducation est également très limité. Il ne faut pas s'attendre à voir un grand mouvement de gens qui arrêteront de fumer, comme on l'a vu au début des programmes d'éducation, et d'un autre côté, les traitements actuels ne sont pas très prometteurs.
En fait, cela nous ramène à une seule statistique importante: quelle est la proportion des adolescents qui fument actuellement? Nous savons que pratiquement tous les fumeurs commencent avant la fin de leur adolescence. Selon les statistiques, de 5 à 20 p. 100 des fumeurs auraient commencé à fumer après leur adolescence, mais pour la plupart des gens, c'est une habitude qui est bien établie à ce moment-là, et qui par la suite se maintient par l'accoutumance à la nicotine, une drogue effectivement très puissante.
Je mentionnerais qu'après la guerre du Vietnam, beaucoup de soldats américains, lorsqu'ils sont rentrés chez eux, étaient devenus héroïnomanes. Trois mois ont suffit à 95 p. 100 d'entre eux pour abandonner cette drogue. Je ne pourrais pas vous citer quelque chose d'équivalent au sujet de la nicotine, et je ne pense pas non plus qu'on atteigne jamais ce genre de résultat, quelles que soient les circonstances.
Par conséquent, la statistique la plus importante, c'est le nombre d'adolescents qui fument, et bien sûr, comme vous le savez tous, depuis deux ans et demi, cette proportion a augmenté au Canada. Depuis qu'on a diminué la taxe, il y a au moins 30 ou 40 p. 100 de plus d'adolescents qui fument, ce qui est vraiment déplorable.
Il y a un autre spectacle auquel nous assistons, c'est le retour de la publicité sur le tabac depuis que la Cour suprême a fait son petit numéro au sujet de la Loi réglementant les produits du tabac. Dans les journaux de Vancouver, on publie des pages entières au sujet de Jacques Villeneuve, et on s'arrange pour associer cela dans l'esprit des jeunes à ce qu'ils vont pouvoir voir à la télévision. Jacques Villeneuve est pratiquement devenu une enseigne ambulante pour Rothmans.
Les endossements publicitaires sont particulièrement pernicieux parce qu'ils atteignent les jeunes là où ils se trouvent, c'est-à-dire devant le poste de télévision. Il ne faudrait donc surtout pas considérer les endossements publicitaires comme quelque chose de marginal. C'est un phénomène auquel nous devons nous attaquer directement si nous voulons réduire l'usage du tabac parmi les jeunes.
Il me reste une dernière chose à faire, c'est de déposer le problème entre vos mains. En effet, comme je l'ai expliqué, dans le secteur de la santé, on se heurte maintenant à un mur de brique; il faut s'attendre à des progrès très limités sur divers plans, limités sur le plan de l'éducation, limités sur le plan des programmes pour arrêter de fumer, inexistants, du moins dans un avenir prévisible, limités sur le plan du traitement et du dépistage. Si l'on veut contrôler cette terrible calamité avec le fardeau énorme qu'elle représente sur le plan de la santé, pour le présent et l'avenir, c'est à la politique publique et à l'intervention gouvernementale à tous les niveaux qu'il va falloir faire appel.
Je vais maintenant demander à Maurice de vous parler des taxes et également de la vente aux mineurs.
[Français]
M. Maurice Gingues (chargé de projets, Bureau national des questions d'intérêt public, Société canadienne du cancer): En fait, je ne discuterai pas de la question de la taxation et de la vente du tabac aux mineurs, et je m'en excuse, mais je serai disponible pour des questions à ce sujet un petit peu plus tard.
Par contre, je vais apporter quelques précisions. Le Canada a été le leader mondial au niveau de la lutte antitabac pour la bonne raison qu'il a adopté une approche globale comprenant l'éducation, les lois, les programmes de cessation de consommation, etc.
Il faut que cela continue et il faut aussi adopter des mesures à long terme. Mais il faut voir que l'encadrement législatif du tabac n'est pas approprié à la nature du problème. La loi que nous avons à l'heure actuelle au Canada dit aux manufacturiers qu'ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent, sauf ce qui n'est pas permis, alors qu'on devrait leur dire: «Vous ne pouvez rien faire sauf ce que l'on vous permet.» C'est ce que nous avons demandé au gouvernement actuel et nous attendons cette loi. Cette loi sera une arme formidable car, chaque fois que l'industrie du tabac voudra changer les règles du jeu, le gouvernement aura les outils nécessaires pour faire face aux demandes de l'industrie.
Il faut donc se donner les moyens de le faire. L'encadrement législatif ne donne pas au gouvernement fédéral les moyens de contrer véritablement le tabagisme, sur le plan législatif, c'est-à-dire en contrôler la fabrication et la vente. On n'est pas en mesure, à l'heure actuelle, de contrôler comment, où, quand et dans quelles conditions on fabrique et on vend du tabac. C'est la raison pour laquelle on vend du tabac aux jeunes. Notre message complète donc ce que le Dr Bonham a dit, à savoir que si, du côté médical, on ne peut pas contrôler l'épidémie, il faut regarder du côté législatif. Il faut encadrer le produit de façon à ce qu'on puisse le contrôler et s'assurer qu'on minimise l'accès des jeunes à ces produits, puisque la très grande majorité des personnes deviennent dépendantes avant d'atteindre l'âge de la majorité.
Je vais terminer là-dessus et nous attendons vos questions.
[Traduction]
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup pour ces exposés. Je tiens à dire que c'est un problème particulièrement important. J'ai proposé une solution aux membres de mon caucus en ce qui concerne l'usage du tabac. Je leur ai dit qu'il y a 300 ans, mes ancêtres savaient déjà à quel point c'était un problème puisqu'ils avaient interdit à tous les Sikhs de fumer.
Ma solution est la suivante: si le ministre de la Santé persuadait les gens de se convertir et de devenir Sikhs, s'il montrait l'exemple, cela résoudrait le problème. Jusqu'à présent, il ne m'a pas écouté, mais je continue à essayer.
Monsieur Hill, vous avez une question?
M. Hill: Merci, messieurs, d'être venus. Vous avez été très éloquents quand vous avez parlé des efforts déployés en ce qui concerne les jeunes. Vous nous avez dit que pour les jeunes, le prix avait beaucoup d'importance, et qu'en fait, depuis 30 ans, la consommation avait beaucoup baissé au Canada, baissé d'une façon admirable, pour ensuite remonter à un moment bien précis. Cela est évident sur le seul graphique que j'ai vu au sujet de l'usage du tabac.
Lorsqu'on a agi au niveau des prix, c'était en principe pour mettre fin à la contrebande. S'il y avait contrebande, ces jeunes devaient fumer des cigarettes de contrebande. Pourquoi cette remontée? Pourquoi est-ce que les prix ont une telle influence sur les jeunes?
Dr Bonham: En ce qui concerne les prix, on sait depuis longtemps que si les jeunes peuvent acheter une cigarette, ils achèteront une cigarette, ou bien ils achèteront dix cigarettes. Ils disposent de ressources limitées, et c'est ce qui influence leur comportement.
Je ne pense pas que la contrebande ait joué un rôle important pendant toute la période que l'usage du tabac a diminué. Il y a eu un épisode de contrebande très court entre 1992 et 1994. Pendant cette période, il est certain qu'il était possible de se procurer des cigarettes de contrebande, mais à partir de 1994, les jeunes n'ont plus eu besoin de la contrebande pour trouver des cigarettes bon marché.
M. Hill: Ils ont pu les acheter ici même.
Dr Bonham: Oui, aujourd'hui ils n'ont plus besoin d'acheter des cigarettes de contrebande, ils peuvent les acheter n'importe où, et pour moins cher que jadis.
M. Hill: Cela m'amène à ma deuxième question. On a beaucoup parlé d'un plan antitabac et des avantages que cela présenterait par rapport à un contrôle très strict des cigarettes, les cigarettes considérées comme une drogue. La nicotine sera ainsi reconnue comme une drogue toxicomanogène, et on aborderait le problème sous un angle tout à fait différent. Pouvez-vous commenter ces deux démarches?
Dr Bonham: À mon avis, le plan n'était pas assez sévère en ce qui concerne les endossements publicitaires dont j'ai tout à l'heure souligné l'importance.
En ce qui concerne le plan de contrôle, ce que vous proposez est la démarche inverse: considérer la nicotine comme un système d'acheminement d'une drogue. En fait, c'est exactement la position que les Américains semblent adopter actuellement. Cela fait maintenant partie de la législation sur les aliments et les drogues.
Nous pourrions faire la même chose. Toutefois, dans ce cas-là, il ne faudrait pas autoriser par la même occasion la publicité pour la cocaïne et l'héroïne. Il n'y aurait donc aucune raison de s'attendre à ce que la publicité pour les produits contenant de la nicotine soit autorisée avec ces contrôles stricts. Ce serait une façon de considérer la liberté possible sur le plan de la publicité.
M. Robert Cunningham (analyste, Bureau national des affaires publiques, Société canadienne du cancer): J'aimerais développer cet aspect; la Société canadienne du cancer a soumis un mémoire à la Food and Drug Administration aux États-Unis pour s'associer aux conclusions scientifiques de cet organisme en ce qui concerne la nicotine considérée comme une drogue et la cigarette considérée comme un appareil à administrer une drogue.
Au Canada, nous avons cette option, nous pouvons prendre cette même décision dans le cadre de notre Loi sur les aliments et drogues. Aux termes de cette loi, la nicotine est déjà considérée comme une drogue, et à ce titre, réglementée, lorsqu'elle est administrée sous forme de timbre ou de gomme à mâcher à la nicotine. En fait, la publicité des timbres à la nicotine est interdite. Et pourtant, on ne réglemente pas la publicité des cigarettes, ce que nous jugeons totalement inacceptable.
Nous pourrions accomplir les objectifs du plan en adoptant des règlements dans le cadre de la Loi sur les aliments et drogues. Nous pourrions également le faire dans le cadre d'une loi distincte, mais jusqu'à présent, une telle loi n'a pas été déposée par le ministre de la Santé.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup.
Monsieur Volpe.
M. Volpe: Je tiens à remercier les témoins d'être venus et de nous avoir fait part de leurs observations. Tout le monde accorde la plus grande importance au sujet qu'ils abordent, et je suis convaincu que l'ensemble de notre société doit souscrire aux principes que vous avez mentionnés.
Toutefois, j'ai une ou deux questions à vous poser, des questions auxquelles vous pourrez peut-être répondre.
Vous avez basé tout votre exposé sur le tabac et la stratégie antitabac, et de toute évidence, il est question d'une orientation politique. C'est peut-être une question qui s'adresse plus à M. Cunningham qu'aux autres, mais pensez-vous qu'il vaudrait la peine d'adopter des dispositions législatives le plus vite possible, même si elles ne se conforment pas exactement aux paramètres fixés par les décisions de la Cour suprême?
M. Cunningham: Nous avons longuement analysé la décision de la Cour suprême du Canada. La Cour suprême a laissé au gouvernement une grande marge de manoeuvre. Par exemple, toute la publicité qui met en cause le mode de vie est interdite. Or, cela représente plus de 90 p. 100 de la publicité actuelle. La Cour suprême a conclu qu'effectivement, ce type de publicité encourageait les gens à fumer.
Pour les autres types de publicité - et là le vote a été très serré, cinq contre quatre - , ils ont dit qu'avec un petit peu plus de documentation, ils étaient prêts à faire la même chose. Nous considérons que cette documentation existe déjà. Si quelqu'un la présentait au tribunal d'une façon convaincante, il serait possible d'interdire la publicité sur le tabac, d'interdire les endossements publicitaires.
Ces endossements ne sont rien d'autre que de la publicité fondée sur le mode de vie. Ce n'est donc pas un problème. On devrait pouvoir interdire les endossements publicitaires et, immédiatement, il ne faudrait pas grand-chose pour gagner cette cause-là devant le tribunal. Évidemment, cela dépendrait de la détermination de ceux qui s'y opposeraient, mais pour notre part, nous considérons que juridiquement parlant, le terrain est très solide.
Je ne suis pas certain d'avoir bien répondu à votre question.
M. Volpe: Ce n'était pas mal du tout. Je me demande ce que va donner la question suivante, et j'espère ne pas avoir mal compris ce que les témoins précédents ont expliqué.
J'ai cru entendre dire tout à l'heure qu'on pourrait envisager d'intégrer la décriminalisation des drogues illicites dans une stratégie élargie pour attaquer tous ces problèmes sociaux. Si vous en arrivez à la même déduction que moi, quelles seraient les implications d'une telle démarche sur les mesures législatives que vous prônez en ce qui concerne le tabac?
M. Cunningham: La Société canadienne du cancer n'a pas pris position en faveur de la légalisation des drogues actuellement considérées comme étant illicites. Ma spécialité est le tabac, la politique relative au tabac.
Si d'autres drogues étaient mises en vente livre, je pense qu'il ne vous resterait pas beaucoup d'arguments devant les tribunaux. Le même argument d'une limite raisonnable aux atteintes à la liberté d'expression, par exemple, resterait inchangé. Je ne pense pas que cela changerait grand-chose en ce qui concerne les tribunaux.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Monsieur Szabo.
M. Szabo: Je tiens à remercier les membres du groupe pour toutes ces informations très utiles qu'ils nous ont apportées au sujet de l'alcool ou du tabac et de la situation actuelle.
Je vois dans votre mémoire que vous avez des observations au sujet de l'étiquetage. C'est une question à laquelle je m'intéresse beaucoup en ce qui concerne l'alcool. D'une façon générale, vous semblez considérer que l'étiquetage est une forme utile d'une campagne d'éducation, etc. Toutefois, ce qui est important, c'est le rapport qui existe entre prise de conscience et modification du comportement. Que pensez-vous, en ce qui concerne la justification ou l'efficacité des mises en garde visant un produit, quel qu'il soit, et pouvez-vous nous dire dans quelle mesure vous pensez que ces mises en garde constituent un lien utile entre prise de conscience et modification du comportement.
Dr Bonham: Je ne pense pas que ces étiquettes soient jugées utiles en tant que telles, mais dans le cadre d'une démarche plus large, elles peuvent être un élément utile.
J'ai une chose à dire au sujet de l'étiquetage. Ce qu'on a dit aux États-Unis au sujet des mises en garde qui concernent l'alcool et la grossesse, qui concernent la cigarette et la grossesse, il y a là-dedans une grosse lacune. En effet, les femmes découvrent qu'elles sont enceintes après environ huit semaines de grossesse, et à ce moment-là, la période embryonnaire est passée.
Si vous voulez prévenir les malformations congénitales - et les recherches suggèrent de plus en plus une augmentation des malformations congénitales chez les nouveau-nés qui ont été exposés à la fumée - , il faut trouver le moyen d'agir pendant la période embryonnaire. Lorsque les mères fument plus tard dans leur grossesse, c'est surtout sur le placenta que cela agit. Cela tend à priver le bébé d'une partie des éléments nutritifs et de l'oxygène dont il a besoin, et par conséquent, cela réduit le poids à la naissance. Bref, ce genre d'étiquetage a une certaine utilité, mais cela comporte également de graves limitations.
M. Szabo: C'est une observation très importante. En ce qui concerne le SAF, les femmes ne vont pas voir leur médecin entre la douzième et la seizième semaine de leur grossesse, et à ce moment-là, les dommages sont déjà irréparables. Par conséquent, à s'attendre à ce que les spécialistes de la santé se chargent de l'éducation, c'est probablement fermer la porte quand le cheval a déjà quitté l'écurie.
J'ai une dernière question très simple. La stratégie antidrogue semble très axée sur les secteurs de la population qui sont particulièrement vulnérables. Et pourtant, dans tous les cours de mise en marché dont je me souviens, on m'a toujours répété que le moyen de communication le plus efficace, c'était de parler aux gens d'égal à égal, face à face. Est-ce que nous ne ferions pas une erreur en visant les jeunes sous prétexte qu'ils représentent un secteur vulnérable au lieu de nous adresser aux jeunes qui ont le sens des responsabilités, qui sont prêts à accueillir des messages positifs et à devenir des protagonistes actifs dans la recherche d'une solution en exerçant des pressions sur leurs camarades qui consomment des intoxicants.
Dr Bonham: Votre observation est très juste. J'ai collaboré à des programmes qui demandaient à des étudiants finissants de l'école secondaire, des non-fumeurs, de s'adresser aux plus jeunes. Vous avez raison, cela est très utile.
Toutefois, je suis convaincu que c'est la publicité qui alimente et qui aggrave l'influence des camarades et qui fait augmenter l'usage du tabac. Ces deux effets sont complémentaires. À mon avis, il est crucial de soulager nos enfants des pressions exercées par la publicité. Quant à l'influence des camarades, elle diminuerait également puisque de moins en moins d'enfants fumeraient.
M. Gingues: J'aimerais ajouter quelque chose; je comprends cette question, mais j'aimerais la prendre à l'envers. Pourquoi ne pas forcer les fabricants de tabac, les distributeurs et les détaillants, à assumer leurs responsabilités? Ce sont tous des adultes. Nous demandons aux enfants de faire une chose que les adultes ne font pas. Cela me semble très important.
M. Szabo: Ce qu'ils veulent, c'est gagner de l'argent, la santé ne les intéresse pas.
M. Gingues: Oui, mais la santé intéresse le gouvernement, et l'objectif c'est de protéger la santé des Canadiens. J'aimerais qu'on modifie les exigences de la loi pour faire passer la responsabilité à toute la chaîne de distribution, jusqu'aux détaillants.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Monsieur Murphy.
M. Murphy: Je reviens à la question précédente; d'autre part, docteur, que pouvons-nous faire pour attaquer certains des problèmes que vous avez mentionnés? La nicotine est nuisible, c'est une substance qui provoque une accoutumance, que peut faire le gouvernement? Vous me dites, et je suis d'accord, qu'il faut insister sur l'éducation, etc., mais très souvent, cela ne fonctionne pas. Nous devons continuer à lutter pour obtenir une interdiction de la publicité, c'est parfait, mais il n'en reste pas moins que cette drogue qui provoque une accoutumance existe.
D'un autre côté, comme on le disait tout à l'heure, certains témoins sont venus nous demander de décriminaliser les drogues illicites. Par contre, je pense que c'est l'inverse qu'il faut faire dans le cas de la nicotine. Comment procéder? Tous ces jeunes m'inquiètent, et nous avons beau leur parler des problèmes, etc., lorsqu'ils sont devenus des esclaves de la cigarette, c'est nous qui avons un problème. Je ne sais pas si vous comprenez ma question.
Dr Bonham: C'est extrêmement complexe. Évidemment, les jeunes sont convaincus qu'ils vont vivre éternellement, et quand on leur dit qu'ils auront un cancer du poumon à 50 ans, cela n'a pas beaucoup d'effets sur eux. C'est déjà un très gros problème.
En ce qui concerne le contrôle de la nicotine, c'est maintenant un vieux problème, et il est trop tard pour décider que cette drogue est une menace pour l'humanité et qu'il faut l'interdire. Cela aurait été possible au début, mais aujourd'hui, à cause d'un accident historique qui remonte à il y a 300 ans, nous avons 7 ou 8 millions de toxicomanes dans ce pays. Nous n'avons donc plus cette possibilité, et comme beaucoup de gens, nous nous débattons avec toutes sortes de notions qui tiennent très souvent à la simple liberté de parole.
À mon avis, la meilleure observation au sujet de cette notion de la liberté de parole nous vient des parlementaires finlandais qui ont étudié cette question pendant 14 mois, le débat le plus long qui ait jamais eu lieu devant leur parlement. Ils sont parvenus à la conclusion que la liberté de critiquer le gouvernement proprement dit, et non pas la liberté de mettre en marché un produit mortel, était à la racine même de la liberté de parole. Il faut avouer que cela remet les choses dans leur contexte.
En effet, les gouvernements doivent absolument faire appel à tous les moyens dont ils disposent pour limiter la distribution d'un produit mortel lorsqu'ils n'ont pas eu l'occasion de l'interdire plus tôt. C'est facile à étouffer au départ, on aurait pu assommer Sir Walter Raleigh il y a 300 ans, mais aujourd'hui, c'est un peu plus difficile.
M. Gingues: Je tiens à ajouter qu'en ce qui concerne la lutte contre le tabagisme, il n'y a pas de remède miracle.
Quand nous parlons d'un programme général, nous parlons de tout ce que vous avez mentionné, des programmes au niveau des décisions, de l'éducation, mais cela n'élimine pas la nécessité d'un cadre juridique. Sans cela, on peut vendre des cigarettes où on veut, quand on veut.
Le vice-président (M. Dhaliwal): M. Martin a une dernière question très courte.
M. Martin: Dr Bonham, diriez-vous que ce serait une bonne idée de commencer par amener le tabac sous le contrôle de la Loi sur les produits dangereux, que ce serait un bon moyen de donner suite aux suggestions que vous faites dans votre mémoire?
Le Dr Bonham: Cela supposerait un soutien réglementaire considérable. Toutefois, le gouvernement actuel semble pencher vers une loi distincte, ce qui est tout à fait approprié également. Les deux solutions sont également valables. Cela figure dans la Loi sur les aliments et drogues, mais à titre d'exception. Légalement, il y a plusieurs façons d'atteindre le même objectif.
M. Martin: Quelle serait la solution la plus facile?
Dr Bonham: Les problèmes sont plus compliqués que jadis. C'est peut-être une solution facile, mais dans certains pays il est devenu possible d'attaquer les compagnies qui établissent des fonds pour parrainer des manifestations artistiques ou sportives. Ce genre de chose est très fréquent. À mon avis, ce système serait plus flexible, d'une certaine façon, s'il s'agissait d'une loi distincte.
Merci.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup. Je tiens à vous remercier pour cette excellente intervention et également pour les recommandations spécifiques que vous nous avez apportées.
J'ai une question très courte à poser au sujet de la taxe sur le tabac et de l'augmentation de la taxe d'accise que vous recommandez. Je me demande si votre homologue américain, l'American Cancer Society, a essayé d'obtenir la même chose. Comme vous le savez, le problème tient en partie à cette interminable frontière que nous partageons, si bien que lorsqu'il y a un énorme écart entre le prix des cigarettes, de notre côté, nous nous appauvrissons nettement. Si nous pouvions les convaincre d'uniformiser, s'il était possible d'adopter une politique nord-américaine des taxes sur les cigarettes, cela rendrait notre tâche beaucoup plus facile.
Je reconnais avec vous qu'il reste beaucoup à faire. Pouvez-vous m'expliquer ce qui se fait là-bas, et me dire ce que nous pouvons faire pour les convaincre d'augmenter leurs taxes, ce qui nous permettrait d'uniformiser.
M. Gingues: Je vais vous donner une idée de ce que nous faisons. En 1991, après l'augmentation de 3c. la cigarette, la Société canadienne du cancer et l'American Cancer Society ont mis sur pied un comité mixte pour discuter des taxes sur le tabac et de la contrebande.
Ce comité s'est réuni deux fois par an. En fait, nous avons même eu des réunions avec des représentants de toutes les provinces et des États frontaliers. Le problème, c'est que cela a conduit à une page de publicité dans le Washington Post demandant au président Clinton d'augmenter les taxes sur le tabac. C'était en 1994. Voilà donc ce que nous faisons. Nous avons donc réussi à inscrire la question des taxes sur le tabac au programme de l'American Cancer Society, et également, au programme du président Clinton.
En fait, le problème ne se situe pas uniquement au niveau des taxes fédérales. À l'heure actuelle, l'État du Michigan et d'autres États américains frontaliers ont des taxes plus élevées que l'Ontario et le Québec.
Il devrait donc être possible d'uniformiser, mais nous pensons que les gouvernements n'en sont pas encore là. Toutefois, nous continuons à espérer. Le ministre Dingwall a annoncé certaines initiatives avec le gouvernement américain - cela a été annoncé avec des gens comme Mme Bégin - , des initiatives portant sur le partage d'études et de données, etc. Mais il faut continuer à agir, et pour ce faire, il va falloir poursuivre nos efforts pour convaincre le gouvernement. Pour l'instant, nous serions déjà heureux que le gouvernement dépose une loi à la Chambre des communes et la fasse adopter. Voilà donc ce que nous faisons.
Il est extrêmement difficile d'obtenir que les divers niveaux de gouvernement coordonnent leur action, difficile même d'obtenir que notre gouvernement et notre ambassade coordonnent leur action, et les Américains ont le même problème. C'est donc très difficile, c'est un défi à relever, mais nous sommes prêts. Nous avons déjà commencé, et nous avons lancé une invitation aux gouvernements canadien et américain.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup. Vos efforts dans ce domaine sont extrêmement appréciés. Je tiens à remercier le Dr Bonham, et également Robert et Maurice, de nous avoir apporté tous ces détails et de nous avoir fait cet excellent exposé.
Il est certain que nous avons besoin d'une action politique dans ce domaine, et je vais demander à tous mes collègues de la Chambre qui fument, de cesser de fumer. Imaginez l'effet produit si nous pouvions dire: «Il n'y a pas un seul fumeur parmi les députés à la Chambre des communes»? Ce serait un excellent exemple et un très bon point de départ.
Monsieur Szabo, vous avez une question?
M. Szabo: M. de Burger a parlé d'un rapport, d'une sorte d'étude sur la décriminalisation...
Le vice-président (M. Dhaliwal): Oui, vous en voulez un exemplaire?
M. Szabo: Oui, certainement.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Nous pouvons faire distribuer ce rapport à tous les membres du comité. Merci beaucoup.
Oui, monsieur Hill.
M. Hill: J'aimerais avoir l'ordre de renvoi de ce comité au début de la prochaine réunion, s'il vous plaît. Cela n'a jamais été distribué, ni discuté. J'aimerais avoir cet ordre de renvoi pour éviter la confusion qui pourrait se produire si nous n'étions pas bien d'accord sur les termes.
Le vice-président (M. Dhaliwal): J'avertirai le président qui pourra s'en occuper la prochaine fois.
M. Hill: Un simple point à l'ordre du jour.
Le vice-président (M. Dhaliwal): Merci beaucoup. La séance est levée.