[Enregistrement électronique]
Le jeudi 25 avril 1996
[Traduction]
La présidente: Le quorum est atteint. Conformément à l'article 108(1), nous étudions le projet de loi C-222, concernant des mises en garde sur les contenants de boisson alcoolique.
Bon après-midi à tous. Notre premier témoin de la journée est le professeur Robert Solomon, de l'Université Western Ontario.
Professeur Solomon, veuillez vous approcher. Je vous souhaite la bienvenue. Nous vous accorderons cinq minutes pour que vous fassiez votre déclaration, ce qui nous laissera ensuite amplement le temps de vous interroger. Vous avez la parole.
M. Robert Solomon (professeur, à titre personnel): Merci. Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner. Je travaille dans le domaine de la politique sur l'alcoolisme et la toxicomanie depuis 25 ans et je me réjouis de l'intérêt que le Parlement porte à cette question importante.
À l'instar de tous les autres fabricants et fournisseurs, l'industrie des boissons alcooliques a l'obligation légale de prévenir les consommateurs des risques inhérents à la consommation et à l'abus prévisible de ses produits. Il est cependant bien établi qu'il n'y a pas d'obligation de les prévenir des risques évidents ou connus. Si un fabricant de boissons alcooliques ne prévient pas les consommateurs comme il se doit et que, ce faisant, il cause un préjudice à quelqu'un ou y contribue, la personne lésée peut le poursuivre et obtenir des dommages-intérêts. Par conséquent, il ne fait aucun doute que l'industrie est tenue d'informer correctement les consommateurs des dangers que comporte la consommation d'alcool.
J'ai critiqué ouvertement l'industrie et les autorités réglementaires au sujet des annonces et des publicités qui, à mon avis, montrent l'alcool sous un jour foncièrement trompeur. De plus, je crois que le gouvernement fédéral et les provinces ont le pouvoir constitutionnel et les justifications nécessaires, du point de vue de la politique publique, pour réglementer rigoureusement la publicité, les commandites, l'emballage et l'étiquetage de l'alcool. L'alcool n'est pas une boisson comme les autres. C'est la seule substance enivrante pour laquelle nous permettons une commercialisation et une publicité de masse au Canada. L'industrie des boissons alcooliques doit accepter que cette position privilégiée comporte certaines responsabilités et justifie certains règlements.
Des lois régissant la teneur en alcool, l'information sur la santé et la sécurité peuvent se justifier par deux motifs de politique indépendants. Premièrement, le consommateur a le droit de connaître cette information. Le consommateur a le droit d'être en mesure de faire des choix informés. Deuxièmement, le gouvernement a le droit et le devoir de prendre des règlements afin de réduire les dangers et les méfaits de l'alcool. Nous devons toutefois veiller à nous assurer que les mesures relatives à la santé et à la sécurité prises en application de ces principes contribuent à atténuer ces dangers et ces méfaits. Ainsi, malgré un appui considérable en faveur des mesures de sensibilisation du public aux méfaits de l'alcool au volant et des sanctions sévères en cas de conduite en état d'ébriété, de nombreuses études semblent indiquer que, bien souvent, ces mesures ne contribuent pas vraiment à réduire les dangers et les méfaits de l'alcool.
En résumé, je crois fermement que le Parlement a le pouvoir légal et est justifié, du point de vue de la politique publique, de légiférer sur l'emballage, l'étiquetage et la publicité concernant les boissons alcooliques. Mais je n'appuie pas le projet de loi proposé concernant une mise en garde sur les contenants de boisson alcoolique, parce que je ne crois pas qu'il servira l'intérêt public, puisqu'il ne rendra pas le consommateur plus averti et ne réduira pas les dangers et les méfaits de l'alcool.
Premièrement, ces mises en garde sont très générales et portent sur des problèmes que la vaste majorité du public comprend déjà. De nombreuses études menées aux États-Unis, où existent des mises en garde presque identiques, semblent démontrer que ces mises en garde ont, au mieux, un effet limité sur la compréhension des consommateurs. À un niveau pratique, étant donné que ces mises en garde constituent une mesure négligeable par rapport aux programmes de publicité de plus de 150 millions de dollars par année de l'industrie des boissons alcooliques, il serait très étonnant que ce projet de loi ou des mises en garde de ce type aient des incidences notables.
Deuxièmement, il est très difficile de concevoir, à propos de l'alcool, des messages utiles qui peuvent être communiqués sur une étiquette. Contrairement au tabac, l'alcool est un produit sans danger ou sans danger important pour un grand nombre de personnes qui en font un usage modéré. Chaque fois qu'on fume une cigarette, on fait du mal. Il est facile de concevoir des messages au sujet du tabac. Mais avec l'alcool, le message doit être subtil et complexe pour être exact.
Troisièmement, je crains que l'adoption de ce projet de loi empêche l'adoption d'autres mesures susceptibles d'être beaucoup plus efficaces. Les Australiens viennent tout juste d'adopter un étiquetage en unités standard pour tous les contenants de boisson alcoolique, qu'ils ont conjugué à une campagne nationale visant à renseigner les Australiens sur les niveaux de consommation sans danger et les niveaux dangereux. Tout ce que j'ai lu semble indiquer que ces mesures, conjuguées à des programmes ciblant les populations à haut risque, réussissent beaucoup mieux à renseigner le public et à réduire les dangers et les méfaits de l'alcool que des mises en garde générales sur les étiquettes. D'ailleurs, je travaille avec une coalition de chercheurs et de défenseurs de la santé ainsi que de représentants de l'industrie afin de trouver des domaines d'intérêt commun qui pourraient faire avancer la cause publique.
En conclusion, je me réjouis de votre intérêt, mais je vous conseillerais de reconsidérer cette proposition. Nous voulons tous nous assurer que nos mesures dans le domaine de la santé publique ne mettent pas seulement du baume au coeur mais qu'elles atteignent aussi les objectifs visés. Nous aurions intérêt, je pense, à étudier les expériences australienne et américaine, avant de proposer des mesures qui réduiront le nombre inacceptable de décès et de blessures dus à l'alcool dans notre société.
Merci beaucoup.
La présidente: Pouvez-vous laisser un exemplaire de vos remarques à la greffière?
M. Solomon: Je vais les ramener chez moi, les faire dactylographier et vous les télécopier dès que possible.
La présidente: Merci beaucoup.
Madame Picard.
[Français]
Mme Picard (Drummond): Nous savons tous qu'à elles seules les étiquettes de mise en garde sur les contenants de boissons alcoolisées n'ont peut-être pas l'impact significatif souhaité. Toutefois, si elles allaient de pair avec les programmes de sensibilisation qui existent à l'heure actuelle, ne croyez-vous pas qu'on réussirait mieux à mettre en garde les consommateurs du danger que peut représenter pour leur santé l'abus des boissons?
[Traduction]
M. Solomon: La mise en garde prévue dans le projet de loi prévient les gens que l'alcool et la conduite d'un véhicule ne font pas bon ménage, que l'alcool et l'utilisation d'une machine ne font pas bon ménage - pardon, je mélange les mises en garde - que l'alcool peut être nuisible pour la santé et que la consommation d'alcool durant la grossesse pose des problèmes. J'ai donc quelques inquiétudes au sujet des mises en garde proposées.
Je ne pense pas que nous devrions adopter des lois lorsqu'il est démontré assez clairement qu'elles n'auront probablement pas d'influence positive. À mon avis, ces mises en garde entrent dans cette catégorie. J'aimerais qu'on adopte d'autres mesures qui auraient des incidences plus marquées.
[Français]
Mme Picard: Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question. Croyez-vous que si nous combinions l'étiquetage et les programmes de sensibilisation qui existent déjà, nous arriverions à une mesure encore plus efficace pour sensibiliser la population?
[Traduction]
M. Solomon: Si je comprends bien les preuves concrètes, les programmes de sensibilisation actuels n'ont pas eu beaucoup d'effet. Même si l'on appuie fortement la sensibilisation du public en ce qui concerne l'alcool, je crois comprendre que les effets ne sont pas très importants. Il nous faut de l'information beaucoup plus précise et détaillée.
L'information dont nous avons besoin doit être, je crois, beaucoup plus factuelle. Il faut dire, par exemple, qu'en prenant le volant avec un taux d'alcoolémie de 0,08, on risque dix fois plus d'être tué dans un accident de voiture que si l'on conduit à jeun. L'ennui c'est que les programmes de sensibilisation généraux n'ont pas été particulièrement efficaces.
L'autre problème, c'est que ces programmes ne visent pas expressément les populations à haut risque, qu'il faudrait atteindre. Je pense qu'il faut d'autres types de mesures pour régler certains de ces problèmes.
Si nous nous inquiétons de l'alcool au volant, il y a bien des façons de s'attaquer à ce problème. L'expérience australienne révèle qu'une loi interdisant un taux d'alcoolémie supérieur à 0,05, plutôt que des programmes généraux de sensibilisation, a réduit de manière spectaculaire le nombre de conducteurs ivres qui ont perdu la vie sur la route en Australie. Je ne suis donc pas convaincu que ce projet de loi, combiné aux programmes de sensibilisation existants, fera beaucoup de bien.
La présidente: Vu le peu de temps à la disposition de chaque témoin, je vais céder la parole àM. Murphy.
M. Murphy (Annapolis Valley - Hants): Merci, madame la présidente.
Professeur Solomon, vous avez indiqué que vous êtes avocat.
M. Solomon: Je suis avocat et professeur, en effet.
M. Murphy: D'accord. J'ai réfléchi à ce sujet. Pensez-vous que l'étiquetage accroîtrait la responsabilité de l'industrie en cas de poursuite, parce qu'elle admettrait que l'alcool est une substance dangereuse, ou pensez-vous au contraire qu'elle réduirait sa responsabilité en imprimant la mise en garde sur l'étiquette?
M. Solomon: Je suis content que vous me posiez cette question. À mon avis, les mises en garde n'auraient aucune conséquence sur la responsabilité civile de l'industrie au Canada. Aux États-Unis, la législation fédérale sur les mises en garde concernant le tabac et l'alcool prévoit des dispositions qui interdisent tout autre message. On y a vu une priorité fédérale sur la responsabilité civile.
Le droit canadien à cet égard est différent. Par conséquent, si l'industrie observait ces mises en garde, elle pourrait encore être poursuivie et tenue responsable. Donc, à mon avis, cela n'accroît pas mais ne réduit pas non plus la responsabilité civile éventuelle. D'après le droit de la responsabilité civile délictuelle, l'industrie a un devoir de prévenir ou d'informer suffisamment les consommateurs des risques qu'ils courent. L'observation des lois fédérales ne règle que la question de la responsabilité fédérale. Elle n'exclut pas la responsabilité civile.
M. Murphy: L'autre partie de ma question est la suivante: si le gouvernement fédéral adoptait une loi pour forcer l'industrie à imprimer une mise en garde sur l'étiquette, serions-nous inondés de poursuites jusqu'à la fin de nos jours?
M. Solomon: À mon avis, vous avez le pouvoir constitutionnel d'adopter une loi pour qu'une mise en garde figure sur les contenants de boisson alcoolique. Il faudrait la concevoir avec soin afin de tenir compte des exigences constitutionnelles. Étant donné l'arrêt concernant le fabricant de cigarettes RJR, le message devrait probablement être attribué au gouvernement. Il faudrait donc quelque chose comme «Santé Canada prévient que...». La Cour suprême du Canada, dans une décision prise par cinq juges contre quatre, n'a pas accepté que le gouvernement attribue un message à l'industrie du tabac.
Je pense donc que, si la loi était bien conçue, cela ne poserait pas de problème constitutionnel.
M. Murphy: Merci.
La présidente: Merci, monsieur Murphy. Monsieur Szabo.
M. Szabo (Mississauga-Sud): Professeur, dans la première partie de votre exposé, lorsque vous avez déclaré que l'industrie des boissons alcooliques a une responsabilité et que le consommateur a le droit de savoir, et que vous avez donné toutes ces raisons merveilleuses, j'ai vraiment cru que vous alliez appuyer les mises en garde, pour ces raisons.
Vous avez déclaré que, d'après ce que vous en comprenez ou ce que vous en savez - vous pouvez peut-être préciser si c'est l'un ou l'autre - des mesures comme les mises en garde ne donnent pas grand-chose. Pouvez-vous me citer des études ou me donner des preuves concrètes qui étayent cette affirmation?
M. Solomon: J'ai apporté une chemise contenant des articles sur cette question.
M. Szabo: Auriez-vous l'obligeance de remettre à la greffière des copies de tous les articles pertinents?
M. Solomon: Bien entendu.
M. Szabo: Alors, nous pourrons tous en profiter. Nous ne pouvons pas en discuter maintenant. Je vous remercie d'avoir apporté ces documents.
Je suppose que vous connaissez les techniques de recherche. Lorsque vous, ou d'autres chercheurs, faites des études, vous devez tenir compte de certains facteurs. Convenez-vous que, si vous deviez mesurer l'efficacité d'une mise en garde - par exemple, une mise en garde sur les contenants de boisson alcoolique - il serait très difficile de la mesurer à moins de pouvoir contrôler pleinement ou largement ou de maintenir à des niveaux constants tous les autres facteurs qui influencent ce que vous essayez de mesurer?
M. Solomon: L'idéal serait qu'une seule variable change.
M. Szabo: Merci beaucoup.
Vous avez déclaré, à propos de la responsabilité légale, que le droit de la responsabilité... Vous êtes avocat. Connaissez-vous l'arrêt Hollis c. Dow Corning de décembre 1995?
M. Solomon: Oui.
M. Szabo: Pouvez-vous nous décrire cet arrêt de la Cour suprême du Canada?
M. Solomon: Je ne l'ai pas relu récemment, mais si je me souviens bien, il reconnaît le devoir du fabricant d'avertir le consommateur des dangers liés à l'utilisation de ses produits et le fait que l'existence d'un intermédiaire informé n'élimine pas la responsabilité du fabricant. Il s'appliquait aux instruments médicaux, mais je suppose qu'il pourrait s'appliquer de manière presque identique à l'industrie pharmaceutique. C'est le souvenir que j'en ai. Je ne l'ai pas relu depuis un bout de temps, monsieur.
M. Szabo: J'ai déclaré publiquement quand j'ai comparu devant le comité que, dans ce cas particulier, le fait qu'il y avait une mise en garde réduisait la responsabilité parce que l'entreprise tentait d'avertir le consommateur du danger qui le menaçait. C'est d'ailleurs ce qu'a conclu la Cour suprême.
Enfin, j'ai une dernière question. Professeur, êtes-vous actuellement ou avez-vous été au cours des dix dernières années consultant auprès de l'industrie des boissons alcooliques - vin, alcool ou bière - ou avez-vous travaillé pour cette industrie?
M. Solomon: J'ai effectué des recherches financées notamment par l'industrie des boissons alcooliques.
M. Szabo: Merci.
La présidente: Monsieur Pillitteri.
M. Pillitteri (Niagara Falls): Merci, madame la présidente.
J'ai eu l'impression que le professeur Solomon était à la barre des témoins et qu'on lui demandait son opinion et le soumettait à un interrogatoire. Je n'ai certainement pas l'impression qu'il est venu ici pour apporter sa contribution. Je crois quant à moi qu'avoir travaillé pour l'industrie des boissons alcooliques ne l'empêche pas de savoir ce qui se passe. Il n'est certainement pas devant un tribunal. Je pense qu'il a simplement exprimé son opinion.
Je vous dirais, professeur Solomon, que si je devais citer certains des bienfaits de l'alcool et ce qu'il fait, nous devrions certainement mentionner également les bienfaits de l'alcool sur l'étiquette. Ne le croyez-vous pas? Ainsi, je me rappelle que, lorsque ma femme était à l'hôpital, son médecin lui faisait prendre une once de brandy au lieu d'un somnifère. Je me demande si nous pouvons parler aussi de ces bienfaits; il est évident que bien des gens en consomment au lieu de prendre des somnifères.
On a effectué beaucoup de recherches sur les bienfaits du vin rouge. Il faut en boire avec modération. Je me demande simplement s'il ne faudrait pas parler aussi des bienfaits de l'alcool sur l'étiquette.
M. Solomon: En un mot, non. Je me soucie davantage que les consommateurs soient informés des risques qu'ils soient renseignés sur les bienfaits. Il peut y avoir d'autres moyens de faire connaître les bienfaits.
Je vous remercie d'avoir évoqué l'autre aspect. Je travaillerai avec n'importe qui, n'importe quel groupe qui s'intéresse à l'alcool et qui agit dans l'intérêt du public. J'ai effectué des recherches pour eux, mais j'en ai fait aussi pour les universités et pour les commissions des permis de vente d'alcool, dont la commission du Yukon. J'en ai fait beaucoup plus pour la Fondation de la recherche sur la toxicomanie, mais je ne les représente pas plus que quiconque. Je ne suis ici que pour présenter mon point de vue personnel.
M. Pillitteri: Autrement dit, professeur Solomon, dans votre déclaration, vous avez affirmé que l'industrie a la responsabilité de faire des mises en garde sur les autres aspects dangereux.
M. Solomon: Absolument.
M. Pillitteri: Je sais que l'industrie a fait beaucoup de sensibilisation.
Je souligne également qu'on sait que le beurre fait engraisser et qu'il a des effets sur les artères. Devrions-nous imprimer des mises en garde sur le beurre pour indiquer qu'il peut être nocif?
M. Solomon: Je ferais une distinction. L'alcool est un produit unique en son genre dans notre société. Il pose des risques particuliers. Par conséquent, l'obligation de faire des mises en garde est beaucoup plus grande pour l'alcool que pour plusieurs autres produits. Les dernières statistiques dont j'ai pris connaissance indiquent que l'alcool est lié à 18 000 décès par année au Canada. Ces décès pourraient être évités. Je pense donc que l'obligation d'informer est plus grande pour l'alcool que pour d'autres produits. L'obligation me semble différente pour l'alcool que pour d'autres produits de consommation. Je pense que le besoin est plus grand.
Je ne crois tout simplement pas que ce projet de loi fera beaucoup avancer la cause. Je crains qu'il ne mette des bâtons dans les roues.
La présidente: Je pense que vous nous avez lancés sur une fausse piste au départ. Nous pensions tous que vous alliez appuyer le projet de loi, puis vous avez très bien exprimé votre opinion. Je vous remercie beaucoup d'être venu à Ottawa pour témoigner devant notre comité.
M. Solomon: Tout le plaisir est pour moi. Merci.
La présidente: Les prochains témoins représentent la Fondation de la recherche sur la toxicomanie. Il s'agit de Susan Bondy et de Marianne Kobus-Matthews.
Je vous souhaite la bienvenue au comité. J'ai hâte d'entendre votre témoignage. Encore une fois, je regrette de ne pouvoir vous donner que quelques minutes pour présenter votre exposé, mais je pense qu'il est très important de laisser aux membres du comité le temps de poser des questions et nous n'avons qu'une demi-heure pour chacun des groupes de témoins. À vous la parole.
Mme Susan Bondy (scientifique, Fondation de la recherche sur la toxicomanie): Merci beaucoup d'avoir invité la Fondation de la recherche sur la toxicomanie à s'exprimer sur le projet de loi C-222, qui propose d'imprimer des mises en garde sur les contenants de boisson alcoolique.
La Fondation de la recherche sur la toxicomanie est un organisme de la province de l'Ontario et le principal centre de recherche sur la toxicomanie au Canada. Les recherches et autres programmes de la Fondation ont pour but de réduire les effets sur la santé et les conséquences sociales de la toxicomanie en Ontario.
Je m'appelle Susan Bondy. Je suis scientifique à la Fondation. Je suis venue avec Marianne Kobus-Matthews, agent de programme au bureau des programmes communautaires de la région métropolitaine de Toronto. Je vais commencer et Marianne prendra la relève en cours de route.
Dans notre exposé d'aujourd'hui, nous passerons brièvement en revue les justifications des mises en garde sur les contenants de boisson alcoolique et certaines preuves des incidences probables de ces mises en garde. Nous ferons ensuite quelques recommandations précises au sujet du projet de loi devant nous.
Comme l'a déclaré le témoin précédent, l'alcool n'est pas un produit comme les autres. Il y a des risques liés à sa consommation, et beaucoup de ces risques peuvent être évités. La Fondation de la recherche sur la toxicomanie appuie le projet de loi parce que nous croyons que les mises en garde sur les contenants de boisson alcoolique donnent au public l'information nécessaire pour faire des choix éclairés au sujet de la consommation d'alcool.
Les mises en garde sur les produits de consommation existent pour informer le consommateur et lui rappeler les dangers possibles. Contrairement à d'autres aliments, les boissons alcooliques contiennent une substance psychotrope, l'éthanol. Il est à souligner que les sirops contre la toux qui contiennent de l'alcool doivent obligatoirement prévenir le consommateur contre les dangers de dépasser la dose recommandée, de conduire et de faire fonctionner des machines, et fournir les contre-indications médicales au sujet de l'ingrédient actif, alors qu'aucune de ces mises en garde ne s'applique à une boisson contenant le même produit.
L'alcool a de nombreux effets. En ce qui concerne les effets à court terme, il réduit la capacité de traiter l'information et de coordonner les mouvements. Pour cette raison, l'alcool est une cause importante de décès prématurés dus à un traumatisme. La consommation chronique d'alcool est aussi une cause importante d'infirmités et de décès au Canada et entraîne des coûts économiques élevés.
Les méfaits de l'alcool sont reconnus par Santé Canada et de nombreux autres organismes de santé internationaux, ainsi que par les brasseurs, les marchands de vin et les distillateurs canadiens, qui ont souvent lancé eux-mêmes des campagnes pour informer le public sur les dangers possibles de l'alcool, en particulier les dangers de l'alcool au volant, de la consommation d'alcool durant la grossesse et de la consommation excessive d'alcool.
Compte tenu de cette information, il est raisonnable que le gouvernement exige des mises en garde sur les contenants de boisson alcoolique. Cette information fournie par l'organisme gouvernemental pertinent rappellera aux consommateurs des dangers possibles de ce produit unique en son genre.
Plusieurs études ont évalué les effets des mises en garde. Les plus notables sont celles qui ont évalué l'effet des mises en garde américaines instaurées en 1989. Ces travaux ont été réalisés surtout par l'Alcohol Research Group à Berkeley, en Californie, avec la collaboration de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie. Il y a aussi l'exemple du tabac, qui a donné lieu à beaucoup de recherches pour concevoir des mises en garde efficaces sur les emballages.
Il y a une distinction importante entre les mises en garde concernant l'alcool et celles qui se rapportent aux produits du tabac. Le but ultime des programmes de santé publique concernant le tabac consiste à convaincre les consommateurs de cesser d'utiliser le produit. Dans le cas de l'alcool cependant, les mises en garde ne visent pas les buveurs à faible risque, et l'élimination complète des ventes d'alcool n'est pas un objectif viable de la santé publique. Bien des gens peuvent boire modérément sans que cela porte à conséquence. De même, quelques personnes peuvent avoir intérêt, du point de vue de la santé, à boire de l'alcool. Il ne faut donc pas conclure que se servir de la documentation sur le tabac signifie que les buts sont exactement les mêmes.
Pour évaluer l'efficacité, il faut répondre à plusieurs questions. Premièrement, lorsqu'il existe des mises en garde, sont-elles visibles? Sont-elles lues? Sont-elles comprises et convaincantes? Changent-elles les attitudes et les convictions? Changent-elles le comportement?
Les recherches menées aux États-Unis indiquent que même si on a reproché aux mises en garde américaines d'être très petites, très touffues, souvent imprimées de travers et écrites dans des termes très compliqués, au cours des 18 premiers mois qui ont suivi leur apparition, elles ont été vues par de nombreux consommateurs. Environ 27 p. 100 des Américains se rappelaient les avoir vues.
Fait plus important, les mises en garde se sont révélées être une méthode de sensibilisation ciblée. Il était plus probable que les gros buveurs qui ont été identifiés dans les sondages de suivi aient vu les mises en garde que les petits buveurs. Chez les jeunes hommes de 18 à 25 ans considérés comme de gros buveurs, 64 p. 100 avaient vu les mises en garde, comparativement à 27 p. 100 de l'ensemble des consommateurs. Et 53 p. 100 des grosses buveuses en âge d'enfanter avaient vu les mises en garde, ce qui, une fois de plus est un pourcentage élevé.
Le message est-il compris? Il y a eu de nombreuses recherches à ce sujet, en particulier pour le tabac, afin de s'assurer que le message peut être compris. Il est impossible d'évaluer le libellé proposé dans le projet de loi, parce qu'il n'a pas fait l'objet de ce genre d'évaluation. Je recommanderais de l'évaluer avec grand soin. Il emploie des termes vagues comme «peut», ce qui mine l'efficacité, des termes compliqués comme «nocif» et fait des mises en garde assez vagues au sujet de la santé générale.
Les mises en garde informent-elles? La recherche sur les mises en garde relatives au tabac a démontré qu'elles ont une incidence plus grande si le message n'est pas déjà connu. Il faut souligner que dans l'enquête nationale sur la consommation d'alcool et de drogue réalisée au Canada en 1994, plus de 95 p. 100 des Canadiens de plus de 15 ans ont répondu oui quand on leur a demandé si les boissons alcooliques occasionnaient des problèmes de santé, pouvaient provoquer des accidents graves ou provoquer des malformations congénitales.
Il ne s'agit évidemment pas d'un souvenir spontané. Le taux est probablement un peu plus élevé que pour des mesures de souvenir spontané, mais il est vrai que le public est déjà assez au courant de ce genre de messages généraux. Il a au moins une connaissance factuelle de ces sujets.
Voici des exemples de messages plus nouveaux et qui pourraient être plus efficaces: l'alcool provoque l'hypertension, les personnes qui ont des troubles de saignement ne devraient pas boire, et il peut être très dangereux de boire quand on prend des médicaments. En ce qui concerne la grossesse, les messages plus précis, plus positifs et moins bien connus comprennent: réduire la consommation d'alcool durant la grossesse augmente les chances que le bébé soit en santé, et les femmes qui boivent durant leur grossesse devraient chercher de l'aide si elles ont un problème d'alcool.
Les mises en garde changent-elles les attitudes? Dans ce cas, les études démontrent assez clairement que les messages ne font pas que donner des connaissances factuelles. Ils peuvent rendre ces connaissances pertinentes pour le consommateur et faire prendre conscience clairement que la situation décrite peut lui arriver. Là encore, il est important d'employer un langage direct. Oui, il est démontré que ce genre de rappel constant renforce la conviction que ce genre de conséquence est réel et peut arriver.
Les mises en garde changent-elles le comportement? Dans ce cas, les preuves fournies par la recherche sont limitées. La recherche qualitative sur la conception des mises en garde, effectuée principalement pour le tabac, peut évaluer les connaissances, les attitudes et les perceptions quant à l'incidence, mais pas les changements de comportement à long terme. Les études sur l'effet des mises en garde après qu'elles sont instaurées sont limitées elles aussi. L'incidence prévue est faible et difficile à distinguer des autres facteurs, comme nous l'avons déjà donné à entendre.
La recherche ne donne que de faibles indications des effets sur le comportement. Rien ne démontre qu'il y a eu une réduction générale de l'alcoolisme aux États-Unis depuis qu'il y a des mises en garde. Il y a cependant des exemples de modestes effets. Ainsi, M. Lee Kaskutas, de l'Alcohol Research Group de Berkeley, en Californie, a signalé que les gens qui se rappelaient les mises en garde concernant l'alcool au volant étaient plus enclins à prendre des précautions pour ne pas conduire en état d'ébriété que les gens qui ne pouvaient se rappeler de cette mise en garde.
Il faut reconnaître cependant que la recherche sur les effets des mises en garde ne peut mesurer que les effets à court terme et, du point de vue de la santé publique, les effets possibles à long terme et la capacité des mises en garde de rappeler, de souligner et de renforcer les convictions concernant les dangers peuvent être importants.
Les mises en garde signalent à l'acheteur et lui rappellent qu'il s'agit d'un produit susceptible de faire du tort et l'effet de ce rappel peut être graduel ou retardé. Il importe de considérer les mises en garde comme un des nombreux éléments d'un programme général de santé publique qui vise à limiter les problèmes liés à l'alcool et qui inclut l'éducation publique, une saine politique publique et des systèmes de traitement efficaces.
La présidente: Vous avez déjà pris huit minutes et votre collègue doit encore prendre la parole.
Mme Bondy: Je passe directement aux recommandations.
Mme Marianne Kobus-Matthews (agent de programme, Fondation de recherche sur la toxicomanie): Je serai brève. L'information contenue dans la mise en garde proposée est correcte. Les boissons alcooliques ne sont pas des produits de consommation comme les autres: il y a des risques connus et que l'on peut prévenir au sujet de leur usage, et ces risques sont reconnus par les organismes de santé gouvernementaux et par les fabricants.
Le libellé de la mise en garde proposée n'inclut pas toutes les conséquences connues de la consommation d'alcool, mais l'ordre de celles qui sont indiquées traduit leur importance relative pour la santé publique.
Nous sommes heureux que la mise en garde proposée ne tente pas d'inclure des messages au sujet des bienfaits possibles pour la santé. C'est une question complexe, et seules certaines personnes pour qui le risque d'une maladie cardiaque est élevé pourraient trouver un avantage net pour la santé à consommer de l'alcool modérément au lieu de s'en abstenir complètement.
Il y a un autre type d'information pour le consommateur qu'on pourrait songer à inclure sur l'étiquette en plus des mises en garde. Il s'agit de la teneur en alcool du contenant exprimée en consommations standard. Le public ne connaît pas toujours la taille d'une consommation standard et sous-estime habituellement la quantité d'alcool consommée.
Nous appuierions l'obligation que la teneur en alcool exprimée en consommations standard figure sur les contenants de boisson alcoolique vendus au Canada. Les mises en garde ne devraient pas insister uniquement sur les effets sur le foetus. Le préambule du projet de loi C-222 porte surtout sur le syndrome d'alcoolisme foetal, mais la mise en garde proposée a une portée plus vaste. Les malformations congénitales dues à l'alcool ne sont qu'une infime partie des méfaits de l'alcool sur la santé et le bien-être des Canadiens. Les blessures, les maladies de foie, les troubles neurologiques dus à l'alcool et l'alcoolisme sont des causes beaucoup plus importantes d'hospitalisations, d'infirmités et de décès prématurés.
De même, les femmes enceintes ne constituent qu'un très faible pourcentage des personnes pour qui le risque de problèmes liés à l'alcool augmente ou qui devraient être mises au courant des méfaits possibles de l'alcool. La mise en garde concernant la consommation d'alcool durant la grossesse devrait mettre l'accent sur ce que le public ne sait pas. Il faut dire aux femmes enceintes qu'elles peuvent atténuer le risque en buvant moins dès maintenant.
Les messages et la mise en oeuvre doivent être évalués. Afin de s'assurer que les mises en garde sont efficaces, nous recommandons qu'on réglemente la façon dont elles sont présentées. Nous recommandons qu'elles fassent l'objet d'une préévaluation officielle.
Une possibilité consisterait à confier cette tâche à Santé Canada, qui devrait étudier le contenu et la forme. Nous recommandons aussi de songer à faire alterner les messages, à examiner périodiquement les messages et à désigner Santé Canada comme l'autorité en la matière. De plus, il faudrait évaluer les effets des mises en garde.
Les mises en garde ne devraient pas être considérées isolément. À elle seule, la connaissance fait rarement changer le comportement. Mais la connaissance est une première étape importante. Les mises en garde devraient renforcer et non remplacer d'autres moyens d'éducation. Elles ne sont qu'un élément d'une stratégie exhaustive visant à réduire les méfaits de l'alcool, et elles doivent s'accompagner d'un engagement soutenu à l'égard d'une saine politique publique et d'un système de traitement efficace.
Le plus grand avantage de cette démarche est que la consommation d'alcool et les mises en garde sont liées. Les gros buveurs voient souvent la mise en garde et on leur rappelle le risque qu'ils courent peut-être chaque fois qu'ils boivent.
Parce que les mises en garde représentent une dépense publique minime, elles peuvent être un outil de prévention économique, même si leur incidence est faible. Les mises en garde sur les contenants de boisson alcoolique devraient faire partie d'une stratégie de prévention exhaustive, et la Fondation de la recherche sur la toxicomanie appuie les efforts du Parlement en vue de faire figurer ce type d'information sur les boissons alcooliques.
Merci.
La présidente: Chers membres du comité, nous avons un exemplaire de leur exposé. Malheureusement, il n'y a qu'une version anglaise. Nous obtiendrons la traduction en français, qui sera distribuée à tous les membres.
Madame Picard.
[Français]
Mme Picard: Vous avez bien décrit les effets négatifs de l'alcool. Vous avez aussi parlé d'alcool et de médicaments; je ne comprends pas très bien. Quand on prend un médicament ou un antibiotique qu'on achète à la pharmacie ou qu'un médecin nous donne, il y a toujours une mise en garde nous prévenant que la consommation d'alcool pourrait avoir des effets nocifs, tels que des troubles de la vue, et que la conduite d'une automobile pourrait s'avérer dangereuse.
Je n'ai pas bien saisi le lien que vous établissez entre les médicaments qui affichent déjà une mise en garde contre la consommation d'alcool et l'étiquetage sur les contenants de boissons alcoolisées. Nous connaissons les effets nocifs de l'alcool; vous les avez très bien décrits.
Vous mentionniez que peu de recherche avait été faite à ce jour et qu'il n'y avait pas d'évaluation. Vous dites aussi que l'étiquetage n'est qu'un des éléments importants. Croyez-vous vraiment que l'étiquette qu'on apposerait sur une bouteille de vin pourrait sensibiliser de façon significative la population à l'abus d'alcool?
[Traduction]
Mme Bondy: Vous avez demandé si les mises en garde pourraient sensibiliser de façon significative la population. La façon dont vous avez formulé la question est importante.
[Français]
Mme Picard: Je ne parle pas d'une étiquette de mise en garde, mais d'une étiquette indiquant que l'abus d'alcool peut causer des problèmes de santé et être dangereux pour la femme enceinte. Vous semblez plutôt vouloir une mise en garde semblable à celle que l'on retrouve actuellement sur les contenants de médicaments. Vous me comprenez?
[Traduction]
Mme Bondy: Je ne suis pas certaine de saisir la nuance, mais je vais essayer de répondre.
La forme actuelle des mises en garde sur les médicaments existe... Premièrement, l'alcool est un médicament en ce sens qu'il s'agit d'un produit psychotrope. Par conséquent, je placerais l'alcool dans la catégorie des types de produits sur lesquels devrait figurer cette information destinée au consommateur. Il faudrait de l'information supplémentaire à cause des substances précises qui risquent d'être nocives. C'est à ce niveau que je relierais les deux produits.
Mais la recherche sur les mises en garde concernant le tabac en particulier ne révèle pas que le type de message contenant un texte très compliqué, très long ou employant des termes médicaux, tels que ceux qu'on retrouve sur les médicaments, est l'idéal si l'on veut que la majorité des consommateurs le voient et le lisent et qu'il ait un effet instantané lorsque le consommateur n'y jette qu'un bref coup d'oeil.
Les recherches sur les mises en garde concernant le tabac indiquent que les phrases courtes et concises, les messages très clairs et ceux qui s'adressent directement au consommateur et portent sur un aspect bien particulier sont plus efficaces que les messages très généraux.
Vous constaterez que les mises en garde sur les produits pharmaceutiques sont très explicites. Elles parlent de troubles très précis. Elles ne contiennent pas d'affirmations comme «peut être nocif». Je pense que c'est important. C'est une leçon que nous devrions tirer.
[Français]
Mme Picard: Merci.
[Traduction]
La présidente: La parole est à M. Szabo.
M. Szabo: Merci, Susan et Marianne. Je dois vous avouer que vous donnez vraiment l'impression de savoir de quoi vous parlez. Je pense que c'est très utile pour donner confiance au comité. Vous avez soulevé quelques questions et je tiens à ce que vous sachiez que je ne tire aucune fierté de la paternité de la mise en garde ou de ces détails. Beaucoup d'études ont été faites et je pense que vous en connaissez un grand nombre.
Je veux m'attarder à un aspect. Je suis tout à fait d'accord avec vous que l'objet des mises en garde est double: premièrement, informer; et deuxièmement, rappeler. Par exemple, la ville de Toronto vient tout juste d'annoncer un nouveau programme portant sur les dix intersections de la ville où il y a le plus d'accidents de voiture. Ils installeront des panneaux dans les quatre directions qui mènent à l'intersection. Les panneaux, qui montreront deux voitures entrant en collision, porteront simplement la mention «Danger de collision - Conduisez prudemment». Cela fonctionnera.
Mme Bondy: Première nouvelle?
Mme Kobus-Matthews: Oui.
M. Szabo: C'était dans les journaux et dans les bulletins de nouvelles. Je pense que c'est excellent. Les panneaux mesurent environ quatre pieds sur quatre. Je pense qu'il y aura des effets concrets sur le secteur de l'assurance, les Canadiens, tout en somme. Quoi qu'il en soit, vous voudriez peut-être vous renseigner à ce sujet...
Mme Bondy: Nous n'y manquerons pas.
M. Szabo: ... et suivre les progrès. Je pense que c'est le même genre de situation.
Tout le monde connaît les problèmes liés à l'abus de l'alcool. Ce qui est essentiel dans l'exemple de Toronto c'est qu'ils ont décidé et déclaré dans leur sagesse que le meilleur moment pour faire le rappel, c'est au moment critique, lorsque les voitures arrivent à l'intersection.
Le moment le plus critique en ce qui concerne l'alcool est lorsqu'on prend la bouteille, je crois. Je pense qu'il y a un parallèle entre les deux. Je veux en discuter avec eux. Je veux savoir quel genre de recherche ils ont fait pour prouver que le simple fait de dire aux gens de conduire prudemment, ce que tout le monde sait, est un bon message à donner.
Vous avez déclaré, madame Bondy, que les études sur l'expérience américaine ne révèlent pas des progrès significatifs en ce qui concerne le comportement. Il y a eu une modeste amélioration.
Mme Bondy: Il y a des preuves indirectes que les gens... La recherche sur le tabac ainsi que certaines études sur l'alcool démontrent qu'en laboratoire, ceux à qui on montre les mises en garde déclarent avoir l'intention de modifier leur comportement. Ces résultats ne sont pas étonnants, et il n'y a pas de preuve directe qu'on constatera un énorme changement de comportement. Tout le monde en convient.
M. Szabo: Les données remontent à 1993-1994.
Mme Bondy: Oui.
M. Szabo: Il y avait donc une expérience de quatre ou cinq ans. De fait, les mesures ont été prises en novembre 1989, de sorte qu'il y a des données sur environ quatre ans.
Mme Bondy: C'est exact. Presque toutes les données convaincantes ont été publiées environ deux ans après -
M. Szabo: Voilà le hic. Vous avez aussi déclaré dans votre témoignage - c'est comme être témoin devant un tribunal...
Mme Bondy: Ce n'est pas gênant.
M. Szabo: ... vos déclarations sont du domaine public.
Vous avez aussi affirmé et expliqué - et je ne sais pas si vous vous basez sur votre expérience personnelle ou sur des études que vous avez lues - que les mises en garde américaines ne sont pas efficaces parce qu'elles sont trop petites ou... Vous faites un grand nombre de recommandations.
Si l'étiquetage est mauvais aux États-Unis, comment peut-on mesurer des effets positifs découlant de mauvaises étiquettes?
Mme Bondy: Vous n'êtes pas le premier à poser la question. Elle a été soulevée à plusieurs réunions de l'American Public Health Association. Des rapports de recherche ont affirmé exactement la même chose. Lorsque les chercheurs vont aux États-Unis et veulent voir à quoi ressemblent ces mises en garde, parfois ils ne les voient pas. Elles sont parfois très petites ou imprimées de travers sur la bouteille. On peut en voir des exemples sur les anciens emballages de produits du tabac: des lettres dorées sur un fond violet.
Je ne dis pas que les mises en garde doivent défigurer l'emballage, mais elles devraient être lisibles.
M. Szabo: Merci, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Pillitteri, vous avez indiqué que vous voulez maintenant...
M. Pillitteri: Oui, merci, madame la présidente.
La publicité et la consommation d'alcool ont beaucoup évolué, surtout au Canada. Je crois que le mérite en revient à l'éducation plus qu'à tout autre chose. Mais permettez-moi de vous dire ceci. Vous avez parlé des mises en garde et je connais des industries qui changent les leurs de temps en temps. Si elles les changeaient demain matin, elles devraient faire approuver la nouvelle mise en garde par le gouvernement ou un organisme du gouvernement, parce que si on suppose que le type de mise en garde a un effet, alors le gouvernement doit nécessairement donner son avis sur la façon de concevoir la mise en garde, qu'elle soit visible ou non. Mais la réalité est qu'il y a des mises en garde depuis 1989 aux États-Unis et que la consommation par habitant était élevée à ce moment-là et qu'elle l'est encore plus actuellement. Les mises en garde n'ont rien changé.
Je pense que, lorsqu'on est sur le point de devenir alcoolique ou de trop boire, on est beaucoup mieux renseigné en consultant son médecin qu'en lisant une mise en garde. Je ne crois pas qu'aucun de nous soit capable de savoir quand nous avons atteint ce point, de savoir combien nous buvons et dans quel camp nous nous trouvons quand nous lisons une étiquette.
J'ajoute, à propos du syndrome d'alcoolisme foetal, que le Dr Gideon Koren de l'Hospital of Sick Children et le Dr Ernest Abel du Wayne Institute de Détroit, tous deux spécialistes de cette maladie, ont déclaré que les mises en garde du gouvernement sur les boissons alcooliques pouvaient susciter une anxiété inutile, provoquant l'hystérie, la fin de la grossesse par un avortement, etc. Croyez-vous que ces études ont été faites?
Mme Bondy: Je crois en effet qu'elles l'ont été. J'ai lu les résultats des recherches signalés par les Dr Koren et Abele à trois occasions, et ils estiment que, dans leurs recherches cliniques, ils ont vu des femmes qui s'inquiètent exagérément d'une consommation modérée d'alcool durant la grossesse et du danger de nuire à la santé de leur enfant.
Je les crois quand ils affirment qu'ils ont eu ces expériences. Il y a des limites à l'interprétation qu'on peut faire de leurs résultats. Premièrement, ils portent sur une population très particulière. J'ai pour ma part envoyé deux femmes qui se préoccupaient exagérément chez le Dr Gideon Koren, dans l'espoir qu'il les calme.
Les gens craignent souvent inutilement des événements rares et ne craignent pas assez des événements courants. Des gens se présentent souvent à l'hôpital convaincus qu'ils ont un cancer, quand ils n'en ont pas. Par conséquent, la panique qu'ils voient n'est peut-être pas représentative. Personnellement, je réduirais la portée de ces indications d'un méfait.
Il est également vrai que si une femme s'inquiète de sa consommation d'alcool, qu'elle en parle à son médecin et se fait conseiller de boire moins, elles peut améliorer les chances d'avoir un bébé en santé. Par conséquent, il est bon que les femmes qui s'inquiètent pour la santé de l'enfant qu'elles portent consultent les médecins.
M. Pillitteri: Dites-moi, avez-vous déjà effectué une étude sur le nombre de personnes qui boivent à la maison et peuvent effectivement voir les mises en garde? Combien de personnes vont à l'hôtel, dans les restaurants, les bars et ne voient jamais la bouteille ni le contenant? De combien de personnes s'agit-il? Combien de personnes n'induisons-nous pas en erreur par les mises en garde? Parce qu'en réalité nous nous adressons aux personnes les plus responsables, celles qui achètent une bouteille de bière ou une bouteille de vin pour accompagner leur repas, au lieu de celles qui sortent pour boire. Visons-nous la bonne cible?
Mme Bondy: Je n'ai pas les chiffres pour l'Ontario, mais aux États-Unis, les buveurs à plus haut risque ont tendance à être les buveurs de bière et des jeunes qui n'achètent pas de vin au restaurant. Ils ont tendance à boire de la bière à la maison.
De plus, les mises en garde devraient être explicites. Il ne s'agit pas de cesser complètement de boire de l'alcool. Nous devrions faire des affirmations très claires, très simples et explicites sur les comportements à haut risque et nous ne devrions pas viser les mauvaises personnes.
La présidente: Merci beaucoup. Je pense que certains aspects de vos recommandations sont très justes, notamment le fait que, selon vous, le processus de sensibilisation devrait aller de pair avec les mises en garde. Je pense que la sensibilisation est très importante. Un autre aspect intéressant est le fait que le syndrome d'alcoolisme foetal ne représente qu'une très petite proportion des problèmes liés à l'alcool et qu'il faudrait peut-être élargir la portée du projet de loi.
Merci beaucoup. Nous avons hâte d'étudier le rapport plus en détail et de faire une recommandation. Merci.
Mme Bondy: Merci.
La présidente: Le prochain groupe de témoins fait partie du Fetal Alcohol Support Network. L'une des témoins n'est pas encore arrivée, mais elle est en route. Les autres témoins pourraient toutefois s'approcher. Il s'agit de Joy Gilmore, je crois, Jackie Herbert et Margaret Sprenger.
Bienvenue. Certaines d'entre vous arrivent de la Colombie-Britannique. Bienvenue à Ottawa. Une autre vient de Mississauga. Bienvenue à Ottawa, vous aussi.
Dès que vous êtes prêtes, vous pouvez présenter votre exposé. Encore une fois, nous vous demandons d'être assez brèves afin que nous puissions poser toutes nos questions difficiles.
Qui veut commencer?
Mme Joy Gilmore (à titre personnel): Je vais commencer.
La présidente: D'accord. Madame Gilmore, je vous en prie.
Mme Gilmore: Merci de nous avoir invités ici aujourd'hui. Nous sommes ravies d'être ici pour raconter notre histoire.
Je vais abréger mon exposé parce que nous sommes trois. Une dame arrive en taxi. Son avion était en retard.
Vous vous demandez peut-être, pourquoi des mises en garde au sujet de l'alcool? Pourquoi pas, surtout quand la loi oblige les mêmes produits alcooliques exportés aux États-Unis à porter la mise en garde du chef des services médicaux des États-Unis.
Le Congrès des États-Unis a adopté un projet de loi le 21 octobre 1988. Nous le savons tous. Toutes les boissons alcooliques importées du Canada doivent porter la mise en garde du chef des services médicaux. Il y a donc deux poids deux mesures.
Le Yukon en 1991 et les Territoires du Nord-Ouest en 1993 ont adopté leurs propres lois parce qu'ils ne pouvaient plus attendre le...
La présidente: Je suis désolée, madame Gilmore, vous lisez trop vite. L'interprète n'arrive pas à vous suivre.
Mme Gilmore: D'accord. Dois-je revenir en arrière?
La présidente: Simplement parler un peu plus lentement. C'est bon.
Mme Gilmore: J'essaie de laisser du temps aux autres dames.
Les mises en garde sur l'alcool sont un outil de sensibilisation peu coûteux. Elles avertissent les hommes et les femmes que boire de l'alcool durant une grossesse peut provoquer des malformations congénitales, des troubles mentaux et émotifs pour le foetus en développement. Les contenants de boissons alcooliques sur lesquels figure une mise en garde mettent l'information à portée de la main.
Les mises en garde seraient utiles non seulement pour les personnes en âge de consommer de l'alcool mais aussi pour nos jeunes, qui ont l'impression qu'ils doivent boire pour être acceptés de leur entourage. En éduquant la jeunesse d'aujourd'hui, il y aurait automatiquement une diminution des malformations congénitales dues à l'alcool chez les nouveau-nés. En tant que nation, nous en profiterions tous: l'enfant, la famille, le contribuable et le régime de santé.
J'aimerais voir un logo sur le contenant de boisson alcoolique, ainsi qu'un message imprimé. Cela avertirait les analphabètes ou ceux qui ne parlent pas la langue. La mise en garde du gouvernement devrait figurer à la base de la cannette ou de la bouteille, devant ou derrière. S'il vous plaît, qu'elle soit lisible. Il faudrait l'imprimer en noir ou en rouge puisque le blanc n'est pas très visible sur une cannette de bière argentée.
Le brasseur américain Anheuser-Busch l'a démontré lorsqu'il a grossi la mise en garde imprimée sur ses produits. Oui, on a pu en grossir la taille, après bien des réticences de la part de l'industrie des boissons alcooliques.
Avant que la ville de New York n'affiche la mise en garde qui se lit comme suit: «Warning: Drinking Distilled Spirits, Beers, Coolers, Wine and Other Alcoholic Beverages During Pregnancy Can Cause Birth Defects» (Mise en garde: Boire de l'alcool distillé, de la bière, du vin panaché, du vin ou d'autres boissons alcooliques au cours de la grossesse peut provoquer des malformations congénitales), on a demandé à George Gallup d'effectuer un sondage. Un deuxième sondage a été mené un an plus tard. Il a démontré l'efficacité des mises en garde. La sensibilisation s'est accrue de 14 p. 100 chez les hommes et les femmes. La même mise en garde se retrouve d'un bout à l'autre des États-Unis. En Colombie-Britannique, on l'affiche actuellement dans 37 villes.
Les recherches ont démontré que l'alcool est très nuisible pour le développement du foetus. Les mises en garde un moyen très simple et peu coûteux de sensibiliser davantage la population. Pourquoi s'en priver?
La grossesse ne fait pas bon ménage avec l'alcool. Une femme enceinte ne boit jamais seule, car quand elle boit, son bébé boit avec elle.
La présidente: Vous avez la parole, madame Wheway.
Mme Donna Wheway (B.C. FAS/E Support Network): Je suis ici aujourd'hui pour parler en faveur des mises en garde sur les contenants de boisson alcoolique et plus particulièrement des mises en garde relatives au syndrome d'alcoolisme foetal et aux effets de l'alcool sur le foetus et pour parler de l'incidence sur les personnes atteintes de ce syndrome et leurs familles.
Vous avez déjà entendu que les conséquences du syndrome d'alcoolisme foetal ou les effets de l'alcool sur le foetus représentent un coût de 1,5 million de dollars échelonné sur toute une vie. C'est évidemment beaucoup de sous. Mais ce qui est encore plus inquiétant, c'est le coût incalculable et les torts causés à des milliers de familles au Canada qui doivent se débattre contre ce syndrome tous les jours.
Je suis convaincue que vous et beaucoup d'autres connaissez les retards dans la croissance, les dysmorphies faciales caractéristiques et les dommages au système nerveux central ou au cerveau provoqués par la consommation d'alcool par la mère durant la grossesse. Mais qu'est-ce que cela veut dire, à long terme, pour les personnes atteintes de ce syndrome, leurs familles et la société en général?
Si une personne est un peu courte ou à un air un peu différent, elle réussit généralement quand même à se débrouiller dans la vie. Ce qui attire l'attention des divers systèmes et met constamment la personne atteinte du syndrome d'alcoolisme foetal dans le pétrin, ce sont ses comportements, causés par les dommages invisibles au cerveau.
En 1994, une étude a porté sur 426 personnes atteintes du syndrome d'alcoolisme foetal et touchées par les effets de l'alcool sur le foetus, âgées de 12 à 49 ans. Les résultats de cette étude ont été renversants.
Chez les personnes atteintes du syndrome d'alcoolisme foetal, 21 p. 100 ont eu des problèmes de drogue; pour les cas d'effets de l'alcool sur le foetus, 32 p. 100 en ont eu des problèmes de drogue. Chez les personnes atteintes du syndrome d'alcoolisme foetal, 32 p. 100 avaient des troubles mentaux, et il y en avait 49 p. 100 pour les effets de l'alcool sur le foetus. Chez les personnes atteintes du syndrome d'alcoolisme foetal, 40 p. 100 ont eu des difficultés à l'école et il y en avait 63 p. 100 pour les effets de l'alcool sur le foetus. Chez les personnes atteintes du syndrome d'alcoolisme foetal, 51 p. 100 avaient eu des démêlés avec la justice et il y en avait 68 p. 100 pour les effets de l'alcool sur le foetus. Chez les personnes atteintes du syndrome d'alcoolisme foetal, 16 p. 100 étaient des sans abris et il y en avait 30 p. 100 pour les effets de l'alcool sur le foetus. Chez les personnes atteintes du syndrome d'alcoolisme foetal, 35 p. 100 avaient des comportements violents ou menaçants et il y en avait 50 p. 100 pour les effets de l'alcool sur le foetus.
Dans l'ensemble, 74 p. 100 des personnes atteintes du syndrome d'alcoolisme foetal avaient un ou plusieurs de ces handicaps secondaires et il y en avait 93 p. 100 pour les effets de l'alcool sur le foetus.
Pour être compté dans cette étude, il suffisait d'un incident dans l'une ou l'autre de ces catégories. Les incidents multiples dans une même catégorie n'ont pas été comptés. Nous avons consulté récemment le dossier d'un jeune qui avait eu 25 fois des démêlés avec la justice en moins de cinq ans.
Cette étude démontre non seulement les effets dévastateurs à long terme du syndrome d'alcoolisme foetal et des effets de l'alcool sur le foetus, mais aussi que, contrairement à la croyance populaire selon laquelle le syndrome d'alcoolisme foetal est pire que les effets de l'alcool sur le foetus, ces effets sont souvent bien pires. Pourquoi? L'absence de dépistage et d'intervention rapides.
Je fais partie des coordonnateurs du Fetal Alcohol Syndrome and Effet Support Network of B.C. Tous les mois, nous recevons plus de 300 appels, la plupart du temps de la Colombie-Britannique, mais aussi d'autres régions du Canada, de familles et de professionnels oeuvrant dans divers domaines et qui cherchent du soutien, de l'aide et de la compréhension.
Vivre avec le syndrome d'alcoolisme foetal n'est pas facile, ni enviable. Je le sais non seulement à cause des centaines d'appels que nous recevons des familles que nous appuyons mais aussi parce que je connais personnellement la situation. Mon mari et moi avons quatre enfants, dont deux qui sont atteints du syndrome d'alcoolisme foetal. L'incidence sur les familles qui vivent avec des personnes atteintes du syndrome ou qui les appuient est énorme et souvent dévastatrice.
Nous devons imprimer des mises en garde sur les contenants de boisson alcoolique pour éduquer les gens et, on peut l'espérer, empêcher quelques cas de syndrome d'alcoolisme foetal ou d'effets de l'alcool sur le foetus, surtout dans la population à faible risque. Je sais que ce n'est pas la solution idéale, mais c'est un pas en avant, et un petit pas vaut mieux que rien du tout.
Nous devons aussi donner du temps, de l'énergie et des ressources financières à l'appui des personnes déjà atteintes du syndrome d'alcoolisme foetal et de leurs familles ou de celles qui le seront à l'avenir.
Merci.
La présidente: Merci, madame Wheway.
Madame Sprenger, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Margaret Sprenger (Fetal Alcohol Support Network (Mississauga)): Oui.
La présidente: Allez-y, je vous en prie.
Mme Sprenger: Je suis la coordonnatrice du groupe de soutien responsable de la région de Toronto et le service d'écoute téléphonique se trouve chez moi. Voici quelques-unes de mes observations et des connaissances que j'ai acquises en parlant à ces gens.
Je suis aussi en faveur des mises en garde sur les contenants de boisson alcoolique. L'alcool est une substance tératogène. C'est un produit qui modifie l'état d'esprit et l'humeur.
Je m'intéresse aux effets néfastes de l'alcool sur les foetus depuis 1983, mais surtout depuis 1989. Les malformations congénitales m'ont touchée personnellement dans ma famille élargie et à cause d'enfants en foyer d'accueil de ma connaissance.
On affirme que beaucoup de femmes en danger ne sont pas informées. Elles ne reçoivent pas le message. Donnons-leur le message à la caisse. Ce n'est pas vrai que tout le monde est au courant des malformations congénitales dues à l'alcool.
Voici certaines remarques: «Si j'avais su, je ne serais pas sortie boire avec mon mari les fins de semaine. Je ne suis pas une alcoolique.» «Si j'avais su, je n'aurais pas adopté cet enfant, si j'avais connu ses antécédents familiaux, je l'aurais laissé en foyer d'accueil pour alléger mon fardeau financier.» «Si j'avais su, je n'aurais pas insisté pour qu'il réponde à certaines attentes à l'école, parce que je sais maintenant qu'il ne le pouvait pas.»
Nous sommes en faveur des mises en garde parce qu'elles sont un élément de la prévention. Nous sommes aussi en faveur des traitements. Mais il n'y a pas vraiment de traitement. Il n'y a que de l'aide. Le mot «traitement» implique que le patient peut guérir. À long terme, la prévention coûte moins cher que le traitement. En fonction de quels critères une société mesure-t-elle les coûts? En dollars?
Je vais vous indiquer quelques-uns des coûts humains du syndrome d'alcoolisme foetal et des effets de l'alcool sur le foetus. Premièrement, la peine d'avoir un enfant qui ne mènera jamais une vie adulte indépendante; la trahison d'un système qui dit: «Ne posez pas de questions. Vous avez de la chance que nous vous ayons trouvé un enfant à adopter»; l'abus des parents par les systèmes qui les tiennent entièrement responsables du comportement de leur enfant; l'abandon des conjoints et des partenaires qui s'épuisent à essayer de faire face à la situation; un sentiment d'échec parce que malgré tous ses efforts son enfant finira dans un foyer d'accueil spécialisé, en prison ou dans la rue; le remords parce que les autres enfants de la famille ont été délaissés vu que l'enfant ou l'adulte malade exige toute l'attention des parents.
Quatre-vingt pour cent des femmes boivent. Elles et ceux qui boivent avec elles ont le droit de connaître toutes les conséquences de leurs actes.
La présidente: Merci beaucoup, madame Sprenger.
Bienvenue, madame Herbert. Je crois comprendre que votre avion de Winnipeg a été retardé à cause de la neige.
Mme Jackie Herbert (à titre personnel): Oui. Je suis debout depuis 5 h 30 ce matin et j'ai été retardée à l'aéroport de Winnipeg.
J'essaierai d'être très brève.
La présidente: S'il vous plaît. Nous sommes très pressés par le temps.
Mme Herbert: Je suis la mère de trois enfants, un enfant biologique et deux enfants adoptées et affectées par les effets de l'alcool sur le foetus.
Essentiellement, nous ne savions pas ce qui n'allait pas avec nos enfants lorsque nous les avons adoptées. Si vous voulez savoir à quoi ressemble ma vie, lisez The Broken Cord. C'est ma vie. Je suggère que les gens lisent ce livre. On y parle de moi quelque part.
Après tous les meilleurs efforts que nous avions déployés, ma fille est tombée enceinte et a accouché de son bébé.
Je suis ici pour affirmer que les mises en garde donnent de l'information. Je pense que les consommateurs ont le droit de savoir ce qui arrive, surtout les femmes enceintes.
Depuis qu'elles ont été diagnostiquées, mes deux filles sont devenues les meilleurs défenseurs de leur cause. Des amies leur demandent: «Si je bois, que va-t-il arriver?» Je ne les ai pas avec moi, mais j'ai acheté quelques bouteilles. Si c'est là et qu'on peut le voir, cela donne à réfléchir.
Je ne pense pas que les mises en garde soient une panacée, qu'elles empêcheront les gens de boire. Je ne suis pas là pour empêcher les gens de boire, mais je suis fermement convaincue que lorsqu'on n'est pas informé des conséquences de l'alcool sur un enfant à naître...
Ne croyez pas que seule la population autochtone est touchée. C'est faux. Toute femme qui boit met en danger son enfant. L'alcool ne fait pas de distinction selon la couleur ou la race. Si vous êtes une femme et que vous buvez, vous mettez votre bébé en danger.
Je pense que si vous voulez informer, les mises en garde devraient se faire d'une certaine façon, parce qu'un grand nombre de familles à risque élevé ne savent pas lire. Il faut que les gens qui courent les plus grands risques puissent les comprendre.
Je pourrais en dire beaucoup plus sur ce sujet; mais je vais abréger. Je pense cependant que les mises en garde doivent être pratiques.
En résumé, c'est un problème auquel la société doit s'attaquer parce qu'en tant que société nous avons accepté que l'alcool soit une drogue, une drogue qui nous divertit. C'est une drogue - ne l'oubliez pas - et une drogue très dangereuse. Elle brise les foyers, mais elle a aussi fait en sorte que deux de mes enfants ne s'épanouiront jamais complètement. Je ne sais pas ce qu'elles auraient pu devenir. Elles auraient peut-être pu devenir des scientifiques, comme l'aînée, mais nous ne le saurons jamais. Cela m'attriste et elles sont attristées elles aussi.
Je préviens donc la société que nous avons une obligation morale et spirituelle de régler ce problème. Il est temps de se lever et d'affirmer que les enfants sont là et qu'ils sont notre problème - ils sont le problème de tout le monde.
La présidente: Merci beaucoup.
Madame Picard.
[Français]
Mme Picard: Je vous remercie de vos témoignages très intéressants. Quand vous parlez d'alcool, parlez-vous des vins autant que des spiritueux? Est-ce uniquement l'abus d'alcool qui peut être dangereux pour le foetus?
Boire un ou deux verres de vin au repas, même chez les enfants, semble faire partie des moeurs et de la culture de certains pays, comme la France, tandis qu'ici nous buvons du lait ou un café. Vos recherches ont-elles montré une différence? Est-ce l'alcool, comme le gin, qui peut être dangereux pour le foetus?
[Traduction]
Mme Herbert: Je suis d'origine européenne. Je viens d'Angleterre et ma soeur enseigne là-bas. Je connais très bien les habitudes en France parce que nous y sommes allés souvent en vacance. Les recherches menées en France indiquent que les Français commencent à peine à s'apercevoir que l'alcool - peu importe le type, qu'il s'agisse de la bière, du vin ou des spiritueux - est une substance tératogène. Cela veut dire qu'il tue et endommage des cellules.
Des études ont été menées en France - ma soeur me les a traduites - par le gouvernement français. Le nombre d'enfants atteints du syndrome d'alcoolisme foetal dans ce pays est renversant. Ils commencent maintenant à se rendre compte que les femmes ne peuvent plus boire comme avant. Donc, vous avez raison.
Mme Wheway: Puis-je intervenir?
Il est intéressant de faire remarquer que le terme «syndrome d'alcoolisme foetal» a été inventé en 1973 à Seattle, dans l'État de Washington, mais que les premières études médicales sur le sujet avaient été publiées en France en 1968. Et nous parlons de l'alcool en général. Peu importe que ce soit du vin, de la bière, des vins panachés ou n'importe quelle autre boisson alcoolique.
[Français]
Mme Picard: Y a-t-il plus de risques pour certaines femmes que d'autres? La France n'est pas le seul pays où boire du vin fait partie de la culture. Les enfants n'ont pas tous été atteints de ce syndrome. Y a-t-il un risque pour certaines femmes et pas pour d'autres?
[Traduction]
Mme Wheway: Il y a beaucoup de variables différentes. Tout dépend de l'âge de la femme, de son métabolisme, de son régime alimentaire, bon ou mauvais, au cours de la grossesse. Toutes sortes de facteurs peuvent entrer en jeu, tout comme le fait qu'on boive ou qu'on ne boive pas. On dit que la femme enceinte devrait se nourrir sainement. Si elle ne mange pas bien et qu'elle boit, il y a plus de risques de dommages. Mais toutes sortes de facteurs peuvent influencer le développement du foetus.
Mme Sprenger: Le temps a aussi de l'importance. À titre d'information, j'ai apporté aujourd'hui un tableau qui montre à quel moment le foetus peut être endommagé à divers endroits, comme les yeux, les oreilles, les mains et le cerveau. Certaines femmes boivent de manière irrégulière, et si elles boivent lorsque les yeux sont en train de se former, par exemple, leur enfant pourra avoir une très mauvaise vue. Il y a donc toutes ces variables. Voilà pourquoi nous affirmons qu'il est plus prudent de ne pas boire du tout.
Cela dépend aussi de la culture. J'ai parlé à des gens qui ont immigré ici, puis ont fait venir de la famille. Dès que les membres de leur famille sont arrivés, ils ont commencé à les soupçonner d'être atteints du syndrome d'alcoolisme foetal alors que personne ne s'en doutait dans leur pays d'origine, à cause de la culture différente. Dans notre culture, nous sommes plus exigeants envers nos enfants. Nous nous attendons qu'ils aillent à l'école et obtiennent de bonnes notes et aillent au collège ou à l'université et fassent une belle carrière. Dans certaines cultures, ces attentes n'existent pas, de sorte que de légers effets de l'alcool n'y seraient pas remarqués.
La présidente: Merci. Paul.
M. Szabo: Vous avez peut-être entendu plus tôt l'affirmation que le syndrome d'alcoolisme foetal était une faible partie des dommages, mais je peux vous dire - et je veux vous dire à toutes, parce que je vous connais toutes un peu - que je suis conscient des effets en chaîne sur la famille et les amis et la société en général et que les coûts sont beaucoup plus élevés que ne l'indique le nombre de malformations congénitales. Je vais continuer de me battre pour obtenir des mises en garde qui recommandent l'abstinence durant la grossesse, en votre nom.
On a aussi suggéré que le syndrome d'alcoolisme foetal ou les effets de l'alcool sur le foetus pourraient avoir d'autres causes que l'alcool, comme l'environnement ou les produits chimiques dans l'atmosphère, par exemple. Avez-vous entendu cette affirmation? Qu'en pensez-vous?
Mme Herbert: Je pense qu'en tant que société, parce que nous avons accepté que l'alcool fasse partie intégrante du tissu social, nous ne sommes pas prêts à le considérer pour ce qu'il est. C'est une drogue. Nous sommes très durs envers les toxicomanes, les drogués qui prennent de l'héroïne ou des amphétamines, mais nous ne voulons pas admettre que l'alcool est une drogue. Il détruit les familles.
Aucune des causes du syndrome d'alcoolisme foetal ne peut être évitée complètement, sauf l'alcool. Voilà l'essentiel. Il n'y a pas de si ni de mais qui tiennent. Malheureusement, pour quelqu'un comme moi, qui ne verra jamais deux belles jeunes filles s'épanouir complètement à cause de l'alcool... Cela fait mal. Vraiment mal. Cela me met vraiment en colère. Comme vous, je ne renoncerai jamais, parce que mes enfants ont beaucoup de valeur. Ce sont des êtres humains. Elles ont autant le droit de vivre sur cette terre que leur aînée. Alors, je ne laisserai jamais tomber. Voilà l'essentiel.
S'il faut que j'y consacre le reste de ma vie, je continuerai de me battre pour qu'il y ait une mise en garde sur les bouteilles. Aucun enfant ne devrait devoir endurer ce que nous avons dû endurer en famille. C'est un effet en chaîne. Voilà l'essentiel. Je me fous du temps qu'il faudra.
Mme Gilmore: J'aimerais simplement raconter une anecdote. À la fin des années 1950 et au début des années 1960, nous avons accueilli en foyer d'accueil 29 enfants durant une période de cinq ans et demi. Nos deux premiers petits garçons étaient des enfants autochtones. Nous les aimions de tout notre coeur.
Tom aurait dû être en 3e année. On l'a mis dans une classe spéciale avec sept enfants. Il ne pouvait pas lire dans son manuel de lecture. Son professeur m'a envoyé des fiches que nous pouvions lire une centaine de fois. Comme nous le savons tous, des mots comme «book» et «look» sont formés des mêmes éléments, tout comme les mots «soon» et «noon». Pourtant quand Tom réussissait à bien lire «book» et «look» une fois, c'était un exploit. Ne pas pouvoir lire prive de bien des choses.
Mme Wheway: Pour en revenir à votre question, des études ont reproduit exactement les troubles neurocomportementaux chez les animaux, dans un cadre très contrôlé. Alors s'il y avait dans l'environnement d'autres causes de ce syndrome, je ne vois pas comment ils auraient pu réussir à reproduire exactement les troubles causés par l'alcool.
La présidente: Monsieur Pillitteri.
M. Pillitteri: Il s'agit davantage d'une remarque que d'une question.
Vous avez fait une remarque - et je ne crois pas pouvoir m'empêcher d'y revenir - à propos des immigrants qui viennent au pays, font venir leurs parents et se rendent compte que le syndrome...
J'ai participé à un petit déjeuner de travail ce matin et je pense qu'on y était plus compréhensif. Je me demande seulement comment nous nous sentirions, en tant que Canadiens, si nous allions dans un pays très différent et vivions par exemple en Chine, en Orient ou dans un autre pays dont nous ne connaîtrions pas la langue et ne comprendrions pas la culture. Je me demande comment nous nous sentirions. Je doute fort que l'alcool serait responsable de notre malaise.
Je suppose que quelqu'un qui ne boit pas ou que l'alcool laisse indifférent pourrait affirmer que c'est à cause de la consommation d'alcool par le passé... Je voulais simplement faire cette remarque.
Mme Sprenger: Je donnais des exemples précis - et il ne s'agit pas des parents, mais de frères et soeurs - il est bien connu qu'il y avait de l'alcoolisme dans la famille. Je dis que dans leur propre culture, ils passent inaperçus, mais qu'ils ressortent quand ils arrivent chez nous.
M. Pillitteri: C'est exactement la même remarque que je ne voulais pas entendre plus tôt. Je l'ai entendue, et vous l'exprimez encore de la même façon.
Mme Gilmore: Puis-je intervenir? En Californie, il y a trois ans, lorsque nous y sommes allés, chaque fois qu'il y avait un commercial pour annoncer de l'alcool, la mise en garde du chef des services de santé des États-Unis apparaissait à la droite de l'écran. J'ai trouvé cela formidable. Peu importe, qui vantait son produit, cette petite mise en garde se trouvait à l'écran.
Je soutiens que si l'on peut imprimer une mise en garde sur un contenant de boisson alcoolique et qu'un mineur qui ne veut pas vraiment boire mais qui le fait sous la pression de son entourage, que ce soit à la plage, en voiture, devant la maison ou dans la cour, dans la salle de jeu, que maman et papa soient à la maison ou non, un jour ou l'autre, en tournant et retournant la cannette, j'espère que l'alarme finira par sonner. Et quand il sera prêt à fonder une famille, il se rappellera avoir lu cette mise en garde qui le prévenait que son enfant pourrait naître avec une malformation congénitale, parce que les enfants qui ne naissent pas en santé et avec toute leur tête sont privés de tant de choses, comme la capacité de lire. Mesdames et messieurs, aucun d'entre nous ne serait ici aujourd'hui si nous ne savions pas lire.
La présidente: Je voudrais poser une question. Pensez-vous que les programmes de sensibilisation sur les dangers de l'alcool que la plupart des membres de l'industrie offrent déjà devraient se poursuivre? Un autre aspect est que lorsque nous achetons un médicament sur ordonnance à la pharmacie, le pharmacien - et le mien le fait en tous cas - indique tous les dangers liés à ce médicament, ce à quoi nous devrions faire attention. Peut-on faire la même chose quand quelqu'un achète une caisse de bière ou pourrait-il y avoir quelque chose sur la table au bar ou ailleurs pour nous prévenir des dangers de l'alcool?
Mme Gilmore: Je pense que lorsqu'il y a une mise en garde sur un produit, peu importe où on l'achète. On ne peut pas échapper à la mise en garde, elle est sur le produit.
La présidente: Mais quand on boit de la bière pression et bien des gens le font...
Mme Gilmore: Mais j'allais ajouter que lorsqu'il y a des mises en garde affichées partout où l'on sert et où l'on vend des boissons alcooliques, alors ils les verront. À un moment donné durant la soirée, pendant qu'ils boivent de la bière, ils iront à la toilette. Alors s'il y a des affiches...
Comme l'a révélé le sondage de George Gallup à New York, la sensibilisation a augmenté de14 p. 100. Le sondage ne portait que sur les gens qui buvaient dans les lieux publics. L'alcool se consomme surtout à la maison ou entre amis, de sorte que les invités peuvent entrer dans la cuisine et voir la cannette de bière ou la bouteille de vin qui est servie dans la soirée.
De nos jours, pour un grand nombre de produits aux États-Unis, la mise en garde ne se trouve plus de travers, mais plutôt à l'horizontale au verso. Je le sais, parce que je suis allée dans un magasin des alcools pour le vérifier.
Quand j'ai commencé, il y avait des mises en garde sur 30 produits californiens importés au Canada; maintenant, il y en a sur six ou huit. J'espère que nous conjuguerons nos efforts et sensibiliserons la population. C'est le moyen le moins cher d'éduquer nos jeunes qui n'ont pas encore l'âge de boire - ceux qui ne devraient pas boire et qui chipent une bière ou une autre boisson alcoolique dans le frigo. Ce sont eux que nous voulons atteindre, parce que je ne pense pas que nous atteindrons jamais les buveurs invétérés.
La présidente: Notre temps est presque écoulé, mais vous voulez intervenir, madame Wheway?
Mme Wheway: J'allais dire seulement qu'on a déployé beaucoup d'efforts pour sensibiliser les gens à l'alcool au volant, il y a eu des commerciaux très explicites à la télévision, par exemple. Même si les gens ont probablement déjà entendu l'expression «syndrome d'alcoolisme foetal» ou «effets de l'alcool sur le foetus», très peu savent vraiment de quoi il s'agit. Ils appellent syndrome d'alcoolisme foetal une malformation congénitale. Malheureusement, il y a aussi des effets invisibles.
Si une personne atteinte du syndrome d'alcoolisme foetal venait vers vous sur la rue et que vous ne sachiez pas exactement en quoi consiste ce syndrome, vous ne devineriez jamais qu'elle est née avec ce handicap parce que ce n'est pas un handicap visible. C'est ce qui cause tant d'ennuis à nos enfants et c'est pourquoi tant d'entre eux s'en tirent si mal à long terme: parce qu'il passe inaperçu pendant si longtemps. Ils sont voués à des échecs répétés tout au long de leur vie.
Mme Herbert: Pour renforcer ce qui a été dit, si vous voyiez mes filles, vous ne devineriez jamais que quelque chose ne va pas. En apparence, elles ont l'air très normal. C'est un handicap caché. Alors on attend beaucoup de ces personnes, mais elles ne peuvent pas être à la hauteur. Les apparences sont donc très trompeuses.
Mme Gilmore: C'était la même chose avec Tom. Il avait l'air parfaitement normal, sauf qu'il était complètement perdu.
La présidente: Merci beaucoup. Une demi-heure n'est certainement pas assez pour quatre personnes qui connaissent bien le sujet et qui souhaitent nous donner beaucoup d'information.
Je vous remercie de votre présence. Vous venez toutes d'endroits différents: Mississauga, la Colombie-Britannique et Winnipeg.
Avez-vous un mémoire que vous souhaiteriez remettre à la greffière?
Mme Gilmore: Oui. C'est le lendemain de la veille qui dure toute une vie. Voici un cerveau normal et voici le cerveau d'un enfant atteint du syndrome d'alcoolisme foetal. Il m'a été donné par le Dr Robinson, qui a pris sa retraite de l'Université de la Colombie-Britannique et est associé à l'Hôpital Sunny Hill. C'est tiré d'une diapositive sur le syndrome d'alcoolisme foetal. Chacun de vous qui avez reçu de la documentation de ma part aujourd'hui a aussi reçu «le cerveau» comme je l'appelle. J'ai perdu le mien et le Dr Robinson a pris une photo de la diapositive et me l'a donnée.
La présidente: Nos derniers témoins représentent le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies. Il s'agit de Jacques Lecavalier et de Richard Garlick.
M. Jacques Lecavalier (directeur général, Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies): Nous ne prendrons pas plus que cinq à huit minutes. Je vais prendre la parole, puis nous répondrons à vos questions.
Je vous remercie de nous avoir invités à présenter cet exposé sur cette importante question.
En guise d'introduction, disons que le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies a été fondé en 1988 par une loi du Parlement, qui a reçu l'appui de tous les partis. Il constitue une tribune nationale en vue de réduire les méfaits de l'alcool et d'autres drogues.
Nous sommes dirigés par un conseil d'administration de quinze membres. Six d'entre eux sont nommés par le gouverneur en conseil et les neuf autres par le conseil proprement dit. Nous disposons d'un budget annuel d'environ 2 millions de dollars, dont près de 40 p. 100 est tiré de projets et de la vente de services. Le reste provient d'une contribution fédérale accordée à notre organisation.
À l'appui du projet de loi, j'aimerais faire ressortir trois grands points, que j'exposerai d'entrée de jeu.
Premièrement, nous soutenons que notre analyse des recherches n'appuie pas l'idée que les mises en garde changeront le comportement des gens à l'égard de l'alcool. Mais il va de soi que les mises en garde renforcent d'autres mesures et ont donc un effet à long terme.
Nous sommes aussi fermement convaincus que les consommateurs ont le droit d'être informés au sujet des produits qui peuvent nuire à leur santé.
Enfin, nous considérons les mises en garde comme une mesure passive qui ne remplace pas d'autres interventions actives faisant partie d'une stratégie globale pour lutter contre les problèmes liés à l'alcool.
Permettez-moi de vous donner des explications un peu plus détaillées. L'alcoolisme coûte très cher à la société, sous forme de perturbations sociales, de maladies, de dettes et de productivité perdue.
En juin de cette année, le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, de concert avec de nombreux autres organismes participants, publiera une étude révélant que le coût de l'alcoolisme représente environ 1,5 p. 100 du produit intérieur brut. Les provinces et le gouvernement fédéral perçoivent pourtant des milliards de dollars chaque année en taxes sur l'alcool. Cela vous donne une idée de notre ambivalence face à ce produit.
Dans une société qui considère largement que la consommation d'alcool va de soi, les chances que des mises en garde convainquent les gens de boire modérément sont presque nulles. Autrement dit, les mises en garde seront fort probablement ignorées par les personnes qui en ont le plus besoin. D'ailleurs, notre analyse des études publiées sur la question ne peut appuyer l'idée que les mises en garde font changer les comportements. Il y a évidemment de nombreuses preuves d'un lien entre les mises en garde et la conscience du danger, mais pas de preuve de l'étape suivante, soit qu'il en résulte une modification du lien et des comportements.
Le bon sens nous permet toutefois de penser que les mises en garde renforcent d'autres formes d'intervention à long terme. D'ailleurs, il est clair que les mises en garde sur les paquets de cigarettes, conjuguées à d'autres interventions plus actives, ont réduit les méfaits du tabac.
Nous sommes fermement convaincus que le projet de loi C-222 devrait être adopté surtout pour des raisons liées aux droits du consommateur. Près de 70 p. 100 des Canadiens croient qu'il devrait y avoir des mises en garde sur les produits alcooliques. Les producteurs canadiens ajoutent de telles mises en garde sur les produits exportés aux États-Unis. Il semble convenable de ne pas se contenter de moins au Canada. L'alcool peut avoir des effets toxiques. Pourquoi faudrait-il traiter l'alcool différemment des autres produits de consommation qui peuvent être nocifs?
Nous nous réjouirions donc de l'adoption rapide du projet de loi C-222. Il est évident toutefois que la loi a peu de chances d'atteindre ses objectifs toute seule. Nous avons été très impressionnés par les débats à la Chambre soulignant la complémentarité des mises en garde, qui viennent renforcer les investissements des gouvernements, des organismes bénévoles et du secteur privé dans les domaines de la prévention, de la recherche, du traitement et de l'observation de la loi.
Le défi de ceux qui conçoivent les programmes et élaborent les politiques dans le domaine de l'alcoolisme et de la toxicomanie est de créer et de favoriser un contexte permettant à des lois comme le projet de loi C-222, tout comme le projet de loi C-8 d'ailleurs, de fonctionner de pair avec une foule d'autres mesures formelles et non formelles pour atteindre des résultats significatifs.
Depuis 1987, nous avons un tel cadre de mesures globales en vertu de la stratégie canadienne antidrogue. Nous sommes très préoccupés par la décision du ministère de la Santé de mettre fin à sa participation un an plus tôt que prévu. Cette décision, qui a pris effet il y a quatre semaines, est examinée actuellement par le ministre de la Santé. Si les gouvernements du Canada continuent de diluer leur engagement de s'attaquer aux problèmes de l'alcoolisme et de la toxicomanie, nous verrons la fin des progrès que nous avons réalisés dans ce domaine depuis dix ans.
En guise de comparaison, l'effet net de la fin d'un programme de vaccination lorsque la prévalence de la maladie a diminué ou s'est stabilisée est très prévisible. D'ailleurs, nous constatons déjà une recrudescence de la toxicomanie chez les adolescents ainsi qu'un adoucissement des attitudes.
En résumé, madame la présidente, le Centre se réjouit de l'intérêt positif que démontre le projet de loi C-222 et nous appuyons ses objectifs. Nous demandons aux membres du comité d'appuyer l'adoption du projet de loi et de défendre un renouvellement de l'engagement à long terme du gouvernement de s'attaquer par tous les moyens possibles aux méfaits sociaux, économiques et sur la santé liés à l'alcool et à d'autres drogues. Merci.
La présidente: Merci beaucoup.
Monsieur Szabo.
M. Szabo: Le projet de loi C-8 porte sur la réglementation des substances et des drogues et est identique au projet de loi C-7 déposé lors de la législature précédente. J'étais justement président du comité qui a étudié ce projet de loi. Je sais, parce que nous l'avons eu pendant quatorze mois. Il porte sur une foule de choses.
Je me souviens que l'une de nos recommandations était qu'en plus du projet de loi, le comité plutôt que la Chambre entreprenne un examen de la stratégie canadienne antidrogue. J'ai l'impression que cela pourrait très bien se faire à l'automne, si le comité est disposé à entreprendre une tâche aussi gigantesque.
Je voulais toutefois vous interroger au sujet de la mesure du succès. Vous m'avez peut-être entendu plus tôt. Je ne suis pas certain que vous étiez dans la salle, mais il a été question de la modification d'une variable et du désir de déterminer l'incidence sur une certaine période. L'idéal consisterait à maintenir constants tous les autres facteurs afin de pouvoir mesurer le succès. Sinon, si une force négative égale vient compenser les autres facteurs, les résultats ne bougeront pas. Il y aurait peut-être une incidence très positive, mais le résultat net de toutes les forces ne le montrerait pas. Je pense donc que c'est probablement une question de bon sens.
Mais connaissez-vous l'ampleur de tous les autres efforts qui ont été déployés en même temps en ce qui concerne la consommation d'alcool et l'utilisation responsable des produits alcooliques, c'est-à-dire depuis novembre 1989 jusqu'à la plus récente étude visant à mesurer l'incidence des mises en garde?
Ma prémisse ou mon hypothèse est que tout le monde dans l'industrie affirme désormais que les mises en garde n'ont pas d'effet important. Durant cette période, nous avons investi environ60 millions de dollars, d'après les chiffres de l'industrie, en programmes de sensibilisation et autres programmes connexes. Ils affirment que ces programmes ont dû avoir des répercussions phénoménales, beaucoup plus importantes que celles des mises en garde.
Ce qu'il est intéressant de souligner c'est que cela se produit durant la même période où il existe des mises en garde, or pour la même période d'évaluation, on affirme que les mises en garde ne fonctionnent pas mais que la publicité et les programmes de sensibilisation fonctionnent. Il y a une contradiction. Les facteurs doivent être identiques et s'appliquer aux deux, mais il a été impossible d'en maintenir un constant pendant que tous les autres changeaient.
Vous êtes les experts dans ce domaine. Comment concilier cette situation qui permet de pousser et de tirer en même temps?
M. Lecavalier: Je ne suis pas certain de pouvoir répondre à cette question mais je vais essayer. Il est évident que lorsqu'il est question d'une mesure comme les mises en garde et un effet sur le comportement, le comportement se trouve deux étapes plus loin.
Je pense que la recherche, comme vous l'avez probablement constaté, a démontré clairement qu'à cause des mises en garde et de la contre-publicité, si je peux la qualifier ainsi, les gens sont conscients des problèmes et des dangers. Mais c'est une autre étape de relier le comportement, mesuré par une réduction des méfaits de l'alcool ou une réduction de l'alcoolisme, directement à une mesure parce qu'il y a dans la société tant de facteurs de confusion.
Même l'économie est un facteur de confusion. Quand il y a beaucoup de stress, par exemple, dans le milieu de travail, et quand les jeunes ne peuvent se trouver du travail dans notre pays, tous ces facteurs contribuent à l'alcoolisme et à la toxicomanie. Il est donc très difficile d'isoler une mesure des méfaits que nous essayons d'évaluer.
Nous tentons de faire des progrès à cet égard. J'ai mentionné dans mon exposé que le Centre tente d'estimer le coût de l'alcoolisme et de la toxicomanie au Canada. Les résultats seront ventilés en fonction de l'alcool, des drogues et du tabac. Je pense que nous pouvons perfectionner nos mesures. Mais pour l'instant, il est extrêmement difficile d'isoler une mesure d'une autre au niveau global.
On peut habituellement avoir une idée de l'effet d'une intervention au niveau local, par une évaluation. Mais il est beaucoup plus difficile de le faire pour les mesures de politique générales.
Je conviens donc que votre question est extrêmement fondée. De concert avec d'autres organismes canadiens, le Centre cherche des moyens de mesurer ce genre d'incidences. Il est difficile de mesurer non seulement les incidences mais aussi tous les dommages pour notre société de l'alcoolisme et de la toxicomanie. Je crois que lorsque nous pourrons mesurer les dommages, la prochaine étape que nous pourrons raisonnablement franchir consistera à déterminer quelle partie peut raisonnablement être évitée. La troisième question que posent normalement les décideurs est: où investir pour éviter ces dommages? La quatrième question est celle que vous avez posée: quels sont nos résultats?
M. Szabo: Une autre question, rapidement. D'après votre expérience, vos connaissances, croyez-vous qu'il existe des preuves empiriques ou des études concluantes appuyant l'hypothèse que les mises en garde concernant la consommation d'alcool durant la grossesse peuvent causer un stress énorme de nature à provoquer un avortement spontané, ou avez-vous eu connaissance de telles preuves?
M. Lecavalier: Non, nous ne sommes pas au courant de telles preuves.
M. Szabo: Des exemples?
M. Lecavalier: Il y a peut-être quelques preuves empiriques ou quelques cas signalés...
M. Szabo: D'autres problèmes de santé graves?
M. Lecavalier: Désolé?
M. Szabo: Pas des avortements spontanés, mais d'autres ennuis de santé provoqués parce qu'on voit une mise en garde ou qu'on est mis en garde?
M. Lecavalier: Je peux imaginer... Je ne crois pas qu'il y ait des preuves...
M. Szabo: Il n'y a pas d'ennuis majeurs...
M. Lecavalier: ... mais le bon sens nous fait penser que si une femme enceinte découvre par la suite...
M. Szabo: Et qu'en est-il des règlements? Avez-vous vu des preuves que cette mise en garde ou tout autre type de mise en garde serait la goutte qui fait déborder le vase et nierait en quelque sorte la validité de toutes les autres mises en garde que nous avons dans notre société?
M. Lecavalier: Absolument pas.
La présidente: Monsieur Pillitteri.
M. Pillitteri: Merci, madame la présidente. Je suis désolé, je ne suis pas membre de ce comité. Je n'en ai jamais fait partie. Je sais très peu de choses de la santé, mais je lis.
D'ailleurs, parlant de statistiques et de chiffres, j'ai lu un article il y a un bout de temps. Il venait du Danemark. Depuis que les ventes de vin ont augmenté - ils achetaient 30 p. 100 plus de vin - les troubles cardiaques et les infarctus ont diminué de 30 p. 100 au Danemark. Ce ne sont que des statistiques. Je ne sais pas si elles ont... Mais elles se rapportaient aux substances contenues dans le vin.
Vous avez déclaré, monsieur Lecavalier, que la recherche a démontré que les gens qui auraient le plus besoin d'être mis en garde ne sont pas atteints. Vous l'avez affirmé. Vous avez aussi déclaré... Ce qui m'a frappé le plus, c'est la justification des mises en garde par les droits du consommateur. Faut-il en déduire que tout ce qui touche les droits du consommateur à l'égard de la consommation d'aliments, tout ce que nous mangeons normalement...? Ne croyez-vous pas franchement que si c'est un droit du consommateur dans un cas, alors c'est aussi un droit du consommateur de faire réglementer - disons n'importe quoi, comme des aliments gras ou tout ce qui peut nuire à la santé - et d'avoir des mises en garde sur les étiquettes? Si c'est bon pour un aspect des droits du consommateur alors ne l'est-ce pas aussi pour un autre? Les mises en garde devraient exister. Vous avez déclaré que les mises en garde concernant l'alcool sont un droit du consommateur.
M. Lecavalier: Je faisais allusion au fait que tous les autres produits de consommation que je connais dans notre société et qui peuvent être toxiques ou nuire à la santé des consommateurs sont étiquetés en ce sens, alors pourquoi ce produit devrait-il être différent?
M. Pillitteri: Tout n'est pas étiqueté. Non, monsieur.
M. Lecavalier: Tout ce qui est nocif pour la santé des gens est étiqueté, que je sache.
M. Pillitteri: Et les bienfaits? Pensez-vous qu'il faudrait...?
M. Lecavalier: C'est clairement... Vous avez soulevé la question...
M. Pillitteri: C'est un droit du consommateur.
M. Lecavalier: C'est en effet un droit du consommateur.
M. Pillitteri: Merci.
M. Lecavalier: Vous avez soulevé la question des bienfaits dans le contexte scandinave. D'ailleurs, il y a de plus en plus de preuves actuellement que l'alcool a des effets positifs. Nous ne le nions pas. Voilà pourquoi les mots qu'on imprime sur l'étiquette sont très difficiles à...
M. Pillitteri: Mettez une ordonnance de médecin sur l'étiquette.
M. Lecavalier: Soyons réalistes, plus on réfléchit à ce produit, plus on s'approche de la définition d'une drogue. Il y a des risques et des avantages. L'alcool affecte les fonctions corporelles, exactement comme une drogue.
La présidente: Monsieur Murphy.
M. Murphy: Je comprends vos arguments, la mise en garde est une sorte de sous-produit, mais vous avez parlé de diverses stratégies qui doivent accompagner les interventions globales visant à éduquer les gens sur les dangers de l'alcool. Pouvez-vous penser à des stratégies que nous n'avons pas déjà prises et pouvez-vous nous en parler?
M. Lecavalier: Je pense que ce qui m'inquiète à ce sujet, c'est la diminution de l'investissement de nombreux gouvernements dans les stratégies que nous, en tant que société, avons déployées au cours de la dernière décennie. Il est évident que la consommation de drogue et d'alcool a diminué depuis dix ans. Nous sommes cependant encore en train de chercher comment mesurer les méfaits. Nous craignons donc beaucoup que si l'investissement dans ces mesures actives diminue, nous constaterons une augmentation de la consommation de drogue dans les contextes des milieux de travail stressés et du désespoir de la jeunesse. De fait, nous le constatons déjà. Ce n'est pas le moment de... Nous nous réjouissons de l'adoption de lois, mais il faut le faire en même temps que les gouvernements continuent d'investir, pas substituer un moyen à un autre. Voilà ce qui nous inquiète.
M. Murphy: Merci.
La présidente: Merci beaucoup. Je n'ai pas de questions, mais je tiens à déclarer que ces deux heures ont été très intéressantes. Nous avons entendu de nombreux points de vue différents sur cette question. La plupart des gens appuient les mises en garde, pour des raisons très fortes et très convaincantes.
Je vous remercie tous de votre présence. Nous examinerons vos mémoires lorsque nous étudierons le projet de loi, et avant de présenter notre rapport final. Encore une fois, je vous remercie personnellement.
Merci aux membres du comité. S'il n'y a pas d'autres questions, la séance est levée.