[Enregistrement électronique]
Le mardi 5 novembre 1996
[Traduction]
Le président: Mesdames et messieurs, je voudrais ouvrir la séance conformément au paragraphe 108(2) du règlement. Nous avons aujourd'hui à l'ordre du jour une étude sur la pauvreté et la discrimination à cause du VIH/SIDA. Nous avons aujourd'hui plusieurs témoins.
Avant de commencer, je dois vous avertir qu'il y aura aujourd'hui un vote à la Chambre des communes vers 17 h 30 ou plus tôt, selon le moment où le débat prendra fin. La sonnerie devrait commencer à retentir vers 17 h 30, mais ce pourrait être plus tôt et, si c'est le cas, comme on nous paye grassement pour que nous participions au vote, nous devrons y aller. Je vous inviterais à en tenir compte quand vous présenterez vos exposés. Nos débats seront peut-être interrompus et nous avons aujourd'hui trois séries de témoins.
Arn Schilder est administrateur régional du sida pour le Pacifique.
Arn, allez-vous commencer en nous disant qui est ici? Je vous donnerai la parole en premier. Quand nous aurons entendu tous les témoins, nous aurons une série de questions de dix minutes puis une série de cinq minutes.
M. Arn Schilder (British Columbia Persons with AIDS Society): Pour commencer, je voudrais remercier le président et le sous-comité sur le VIH/SIDA de me donner l'occasion de vous expliquer de quelle façon le virus exploite la vulnérabilité des homosexuels.
Le fait que certains hommes prennent d'autres hommes pour victimes n'est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c'est notre compréhension de la façon dont l'exploitation sexuelle des homosexuels les rend en particulier plus vulnérables au VIH.
Il existe des définitions scientifiques, politiques et légales de l'exploitation et des mauvais traitements. On se rend compte maintenant que l'exploitation sexuelle des enfants est un phénomène fréquent dans notre société et qu'elle porte gravement atteinte au bien-être psychologique des victimes jusqu'à l'âge adulte. C'est un acte criminel qui relève donc de la justice. L'exploitation sexuelle est une expérience commune aux personnes séropositives de tout le Canada.
Le VIH frappe les personnes vulnérables, surtout lorsqu'elles sont marginalisées et pauvres. En matière de VIH et de sida, on dit qu'une personne est vulnérable si elle ne peut exercer qu'un contrôle limité ou nul sur son risque d'infection ou de contamination par le VIH ou si, quand elle est déjà séropositive, elle n'a qu'un accès limité ou inexistant à un traitement, à des soins ou à des services de soutien appropriés.
La vulnérabilité résulte de l'interaction de plusieurs facteurs, aussi bien individuels - notamment biologiques - que sociaux. Elle peut être renforcée par toute une gamme de facteurs culturels, démographiques, juridiques, économiques et politiques. L'exploitation sexuelle renforce cette vulnérabilité et, pour les homosexuels, cette situation commence dès l'enfance.
Depuis des années, ceux qui travaillent sur le sida ont acquis une conscience aiguë du fait que nos programmes ne donnent pas de bons résultats pour tout le monde. Notre réflexion sur les raisons de cette situation nous a amenés à étudier tous les phénomènes de dépendance, de contrôle et de violence qui marquent la vie des personnes séropositives. Un examen des publications récemment effectué auprès de Santé Canada a confirmé qu'il existe peu de recherches et de données sur ce sujet. Toutefois, cet examen a démontré de façon convaincante l'existence de certains éléments nous donnant une idée précise de ce que nous devrions maintenant changer. Nombre des preuves qui se sont accumulées depuis lors confirment les expériences isolées et les soupçons que nous avons en ce qui concerne l'exploitation sexuelle.
L'exploitation sexuelle des homosexuels est profondément enracinée dans le comportement masculin. Il y a eu jusqu'à présent peu de recherches sur cette question en dehors des publications générales concernant les hommes. L'expérience de l'exploitation sexuelle influence fortement tous les homosexuels adultes et compromet leur capacité à se protéger contre le VIH. Les troubles que l'exploitation sexuelle entraîne chez les adultes revêtent toutes les caractéristiques d'un handicap invisible et c'est un crime qui mérite compensation.
L'exploitation sexuelle peut être le fait de membres de la famille et de proches et elle est encore plus grave en cas d'inceste. Elle existe dans tous les groupes socio-économiques. D'après la plupart des études, entre deux pour cent et neuf pour cent des hommes ont subi de mauvais traitements sexuels. D'après les publications pertinentes, le taux d'exploitation sexuelle des femmes se situe entre 18 p. 100 et 33 p. 100 et les recherches actuelles confirment le chiffre le plus élevé. Ce n'est que récemment que la littérature a confirmé un taux global d'exploitation sexuelle dans l'enfance de33 p. 100 pour les homosexuels dans trois cohortes distinctes. D'après une autre étude, 37 p. 100 des homosexuels et des bisexuels indiquent qu'on les a forcés à commettre des actes sexuels avant l'âge de 19 ans. Quatre-vingt-dix pour cent ont signalé qu'ils avaient subi également d'autres formes d'exploitation sexuelle.
Le taux concernant les homosexuels séropositifs reste une question très importante à résoudre. En 1991, Allers et Benjack l'ont évalué à 65 p. 100 chez leurs sujets séropositifs.
Dans le contexte de ces réalités sociales, d'énormes problèmes se posent en ce qui concerne la santé physique et mentale des homosexuels. La réalité épidémiologique actuelle du VIH est suffisante pour justifier une réévaluation de nos programmes de santé fondamentaux pour tenir compte des nouvelles preuves épidémiologiques.
Certains hommes considèrent qu'ils ont le droit de s'en prendre à un garçon qui n'est pas conforme aux normes, en particulier en ce qui concerne le comportement et les caractéristiques sexuelles. Cette question est voilée par les conceptions sexistes et misogynes qui empreignent notre culture et qui privilégient les rôles et les qualités de caractère masculin par rapport à ceux qui sont généralement associés avec les femmes. Les jeunes garçons qui manifestent les qualités considérées comme les caractéristiques de l'autre sexe suscitent une profonde hostilité et des désirs de violence chez certains hommes. D'autres recherches montrent qu'un comportement typique de l'autre sexe ou des déviations subtiles par rapport au stéréotype masculin prédéterminent l'apparition ultérieure d'une expression homosexuelle et d'une identité socio-culturelle correspondante.
Les préjudices résultant de l'exploitation sexuelle sont plus marqués chez les hommes à cause des stéréotypes dominants. Toutefois, ils sont encore plus profonds chez les jeunes homosexuels. Ils risquent plus d'être pris pour cibles à cause de leurs vulnérabilités évidentes et parce qu'ils tombent donc plus facilement entre les mains des perpétrateurs de tels actes. Des études révèlent que les enfants qui souffrent de troubles émotifs ou qui sont négligés, rejetés et mal surveillés sont facilement manipulés et exploités. Ces jeunes gens atteignent l'âge adulte en étant aussi vulnérables que l'étaient les générations précédentes de personnes séropositives.
D'après une autre étude, 60 p. 100 d'une cohorte d'adolescents exploités sexuellement se déclaraient homosexuels ou bisexuels. Les jeunes homosexuels ont plus de chances de se retrouver dans la rue quand ils subissent de mauvais traitements de la part de leurs parents, surtout si ces mauvais traitements sont d'ordre physique. Cette situation marginalise ces jeunes et les expose à l'illusion de sécurité et aux risques invisibles qui existent dans la rue. Les adolescents victimes d'exploitation sexuelle ont dix fois plus tendance à partager des seringues avec d'autres. Cela se reflète également dans le taux de suicide des adolescents homosexuels qui atteint 30 p. 100. L'espérance de vie des jeunes homosexuels de 20 ans est de 8 à 20 ans inférieure à celle de leurs homologues hétérosexuels.
D'après une étude, la probabilité que des adolescents actifs homosexuellement aient été violés dans leur enfance est sept fois plus élevée que celle des hétérosexuels. Il est également prouvé que60 p. 100 des adolescents identifiés comme ayant souffert d'exploitation sexuelle d'après les dépistages effectués par des médecins de famille sont soit bisexuels soit homosexuels.
Vu notre stéréotype culturel relatif aux hommes, les homosexuels, qu'ils soient adultes ou enfants, ont de la difficulté à percevoir et à signaler les cas d'exploitation sexuelle. C'est encore renforcé par le fait que, dans la grande majorité des cas, les actes d'exploitation sexuelle concernant des femmes et des homosexuels sont perpétrés par des hommes qui ne sont pas pédophiles. Même si l'exploitation sexuelle des jeunes garçons homosexuels constitue tout à fait un comportement homosexuel, les hommes qui la commettent se considèrent comme hétérosexuels.
L'exploitation sexuelle de jeunes homosexuels n'est pas une recherche de plaisir mais une façon d'exercer un pouvoir, de la violence et un contrôle. De tels actes troublent l'esprit de la victime, lui faisant douter de ses capacités, de son pouvoir et de son contrôle sur lui-même.
Les soins que nécessitent les enfants dont l'identité et le comportement sexuel ne sont pas conformes au stéréotype les excluent du fait qu'ils n'ont pas d'identité sexuelle. Vu les préjugés existants, les enfants vulnérables n'ont pas accès à des soins ou à une protection appropriée, car l'écart par rapport au stéréotype en matière d'attitude et d'identité sexuelle est considéré comme un comportement inacceptable choisi délibérément. Cela crée des conditions de négligence et d'invisibilité qui favorisent l'exploitation sexuelle.
Depuis des générations, les homosexuels luttent pour faire comprendre que la confirmation de leur identité et de leur appartenance sexuelles ne reflète pas un choix fait dans l'enfance et les nouvelles publications contestent désormais la possibilité d'un tel choix. On peut dire sans risque d'erreur que les homosexuels, même adolescents, ont une image d'eux-mêmes qui n'est pas conforme aux stéréotypes.
Les prestataires de soins de santé et les législateurs défendent en général le mythe selon lequel les problèmes de santé concernant les homosexuels sont couverts par le modèle général de soins de santé qui s'applique aux hommes. C'est l'illusion de l'inclusion; on utilise l'appartenance sexuelle et l'identité sociale pour exclure les besoins des adultes ou des enfants homosexuels en validant l'identité sexuelle comme un déterminant de la santé. C'est ce que nous appelons l'hétérosexisme.
Il faut forcer une réorientation systémique des programmes concernant le sida dans les domaines de la justice, des services de soutien, de l'éducation et des soins de santé pour qu'ils puissent répondre aux besoins de ces populations vulnérables. Une politique du VIH contemporaine rationnelle doit tenir compte des coûts et des préjudices entraînés par l'exploitation sexuelle.
Les groupes vulnérables subissent depuis longtemps les préjudices infligés à leurs membres adultes dans leur enfance, préjudices qui ne sont pas reconnus et auxquels aucun programme d'aide ne remédie. L'exploitation sexuelle entraîne d'énormes douleurs psychiques et émotives et le milieu, mal disposé à l'endroit des homosexuels, dans lequel elle se produit, ne permet pas à cette douleur de s'exprimer et ne prévoit rien pour la guérir.
Les recherches confirment qu'il en résulte des comportements pathologiques comme la dépression, la névrose obsessionnelle, la revictimisation, la toxicomanie et l'alcoolisme.
Les homosexuels séropositifs qui ont subi de telles expériences font face à l'isolement, à la dépression chronique, à un écroulement de leurs appuis sociaux, ils ressentent un chagrin profond, ils sont désespérés et cela a de profondes répercussions sur leur corps. Les effets du VIH se manifestent deux fois plus vite chez les gens qui ont un bas statut socio-économique.
Pour les soins de santé et les traitements médicaux, les homosexuels victimes d'exploitation sexuelle ont souvent beaucoup de mal à établir des relations avec le personnel soignant. Voilà pourquoi l'évaluation médicale normale des homosexuels doit inclure les questions touchant l'exploitation sexuelle. En fait, il faudrait établir des normes concernant un programme d'étude de soins de santé et de gestion médicale destiné à tous les homosexuels, qu'ils soient adolescents, adultes ou enfants.
Les paradigmes et les modèles dominants devraient moins se préoccuper des comportements et chercher à donner aux personnes concernées les moyens d'agir par elles-mêmes tout en minimisant les risques auxquels sont exposés les groupes vulnérables. La violence systémique que représente l'exploitation sexuelle des jeunes a des effets destructeurs sur la santé des adultes.
C'est une nouvelle raison de jeter l'opprobre sur les homosexuels. Ce n'est pourtant pas nous qui devons avoir honte. Tous les hommes ne sont pas partie prenante au cycle des mauvais traitements. Ils doivent toutefois prendre position face à ces comportements élémentaires des autres hommes qui perpètrent de tels actes et c'est à eux qu'il faut faire honte.
L'exploitation sexuelle des homosexuels est un comportement omniprésent, mais cela ne le justifie pas. Les sciences cliniques et sociales et celles du comportement ont accumulé des preuves qui confirment que des modèles et paradigmes nouveaux sont nécessaires pour le VIH. La meilleure pratique internationale recommande de ne plus mettre l'accent sur l'information et la sensibilisation mais sur la correction des causes sociales, culturelles, économiques et politiques de l'infection par le VIH et de celles qui touchent les droits de la personne.
Une décision politique est nécessaire pour qu'on révise la théorie et la pratique; la bureaucratie doit être à même d'utiliser les services des spécialistes, d'innover et d'entraver l'escalade de la vulnérabilité au VIH en répondant aux besoins des personnes les plus marginalisées. C'est ainsi que nous aurons une meilleure chance de contenir l'épidémie. Sinon, l'éventail des soins requis posera d'année en année un problème grandissant.
Les épidémies de VIH au Canada - j'emploie à dessein ce terme au pluriel - sont instables et imprévisibles. Elles dépassent les attentes les plus pessimistes. Le problème fondamental en matière de politique et de santé est le lien entre les droits de la personne et le VIH. Le problème de l'exploitation sexuelle des homosexuels se pose maintenant en termes de droits de la personne et un leadership moral est nécessaire pour y répondre avec fermeté.
Merci.
Le président: Merci.
M. Gerald P. Mallon, je pensais que vous veniez de l'Université de Colombie-Britannique, mais je constate que vous êtes de l'Université Columbia. Ce n'est pas du tout la même chose. Je pense que c'est à vous.
M. Gerald P. Mallon (professeur assistant, Columbia University School of Social Work): Merci beaucoup de m'avoir invité.
Le Canada dispense depuis longtemps des services d'une qualité supérieure à celle des services que nous commençons à envisager de fournir aux États-Unis, et je pensais donc qu'il pourrait être utile de vous parler de certaines des erreurs que nous avons commises en examinant le travail réalisé auprès des adolescents séropositifs aux États-Unis et en vous présentant une sorte de comparaison.
La discrimination est un problème aussi bien médical que social. Dans la lutte contre le sida, l'hétérosexisme et l'homophobie font traditionnellement obstacle à la prévention du VIH. Aux États-Unis, l'attitude de la société envers la sexualité et le comportement sexuel est empreinte d'homophobie. Vu les liens étroits qui existaient initialement entre l'épidémie du sida et les hommes sexuels et bisexuels, l'homophobie a eu de nombreuses répercussions négatives: l'insuffisance des efforts de prévention du VIH dans les écoles, la limitation de l'accès des personnes atteintes du VIH et du sida à un traitement et à des soins médicaux de qualité, un travail de sape contre les initiatives prises par les services publics de santé en faveur de mesures de prévention et de recherche sur le VIH répondant aux besoins de populations à haut risque, aussi bien aujourd'hui que dans l'avenir.
Le lien entre l'opprobre sociétal et le sida a été établi dès le début de l'épidémie, quand on n'employait pas encore le terme sida et qu'on parlait simplement d'une déficience immunitaire reliée à l'homosexualité. Ce n'est que plus tard, quand on a trouvé le virus dans d'autres populations, y compris les femmes, qu'on a adopté le nom sida. Malgré la prolifération des cas de sida et d'infection par le VIH, l'épidémie existait déjà depuis sept ans quand le président des États-Unis de l'époque, Donald Reagan, a prononcé pour la première fois le mot sida et il n'a pas débloqué suffisamment de crédits pour lutter contre cette maladie alors qu'une prévention est possible. Au cours de cette période, la violence contre les homosexuels et les lesbiennes a augmenté. Dans ces conditions, les homosexuels et les lesbiennes, de même que les prestataires de soins de santé et les chercheurs ont dû se battre pour obtenir des crédits pour lutter contre cette maladie et empêcher le VIH de se répandre parmi nos jeunes.
Le sida est une maladie liée à certains comportements; il n'est cependant pas causé simplement par le comportement des gens qui pratiquent des rapports sexuels sans protection et qui échangent des seringues. Il est également causé par le comportement discriminatoire des individus et des gouvernements. Comme on le sait, aux États-Unis, les jeunes homosexuels courent un risque élevé d'infection au VIH. Entre juillet 1995 et juin 1996, 5 201 cas de sida ont été signalés chez des hommes qui avaient eu des rapports sexuels avec des hommes de moins de 25 ans; c'est ce qu'a constaté le Center for Desease Control d'Atlanta. Or, nous continuons de dire aux jeunes homosexuels qu'ils doivent avoir honte de ce qu'ils sont au lieu de les rassurer à une étape très vulnérable de leur développement.
Aux États-Unis, nos lois prêchent par l'exemple en établissant que les rapports sexuels lesbiens et homosexuels constituent un acte criminel dans 23 États; que les relations lesbiennes et homosexuelles ne méritent aucune protection légale sauf dans neuf États; que les droits civiques des homosexuels ne méritent pas non plus d'être protégés; et que les lesbiennes et les homosexuels ne sont pas aptes au service militaire. De même, dans la plupart des écoles, il est interdit de parler des questions, même d'ordre non sexuel, touchant les homosexuels et les lesbiennes. Je voudrais ajouter que même pour les services d'aide à l'enfance, on n'aborde que rarement, voire jamais, la question de la jeunesse homosexuelle et lesbienne.
Pour corriger les comportements qui entraînent l'infection par le VIH, il faut examiner de près les préjugés de la société qui favorisent cette infection. Dans notre pays, nous condamnons la promiscuité chez les homosexuels, mais nous disons aux couples d'homosexuels et de lesbiennes qui veulent s'unir officiellement, qu'ils constituent une menace pour la famille. Le Congrès des États-Unis a ajouté un obstacle supplémentaire à la lutte contre le sida quand il a décidé par une forte majorité d'interdire au gouvernement fédéral de reconnaître les mariages entre personnes du même sexe. En fait, les législateurs ont dit aux homosexuels et aux lesbiennes que l'existence de relations stables et monogames entre personnes du même sexe n'a aucune valeur dans notre pays.
En dévaluant les relations entre homosexuels et lesbiennes, la société ouvre la porte à la discrimination et à la violence. Elle décourage également la stabilité dans les couples et la sécurité des rapports sexuels.
Nous condamnons aussi l'injection de drogue par la voie intraveineuse, mais nous empêchons les toxicomanes de se procurer des seringues propres qui pourraient les aider à se protéger pendant qu'ils cherchent à surmonter leur dépendance.
Nous prétendons être contre la discrimination et les préjugés injustes, mais la plupart des enseignants, des professionnels de l'aide à l'enfance et des prestataires de services aux jeunes refusent de prendre les mesures nécessaires pour lutter contre les préjugés anti-homosexuels qui sévissent dans de nombreuses organisations de services à la jeunesse. Lorsqu'une personne lesbienne, homosexuelle ou bisexuelle proteste, on lui dit que si elle ne s'affichait pas ouvertement, ces perturbations disparaîtraient.
Or, le fait est que ces perturbations sont nécessaires. Il faut perturber le statu quo qui accepte qu'on ne tienne pas compte de la sexualité humaine. Nous devons contester la moralité des préjugés anti-homosexuels au lieu de laisser des gens dire que toutes les lesbiennes et tous les homosexuels sont immoraux.
Face à cette crise du sida, la meilleure façon d'aider n'importe quelle personne - jeune ou vieille, homosexuelle, lesbienne, bisexuelle ou hétérosexuelle - à prendre les mesures nécessaires pour échapper au sida est de lui donner l'impression qu'elle a le potentiel nécessaire pour mener une vie heureuse et productive. Il faut dire aux gens qu'ils ont un avenir et de bonnes chances de réussite. Sinon, comment les convaincre d'utiliser un préservatif, de cesser de boire ou de cesser de se droguer?
À l'heure actuelle, nous disons à la plupart des lesbiennes et des homosexuels qu'on va les tolérer jusqu'à un certain point, mais qu'on n'appuiera pas leur engagement en faveur d'un partenaire ou de l'éducation de leurs enfants. Ils n'auront pas accès aux avantages sociaux auxquels une personne hétérosexuelle juge avoir droit. Quand un membre d'un couple meurt, ses biens ne sont pas automatiquement transmis à son partenaire comme ce serait le cas pour des hétérosexuels. Cette forme de discrimination dit clairement aux homosexuels et aux lesbiennes jeunes que de nombreuses difficultés supplémentaires les attendent à l'avenir simplement à cause des personnes qu'ils ou qu'elles aiment.
Tant que nous ne nous serons pas penchés sur certaines de ces causes fondamentales de l'épidémie et sur ce qui fait obstacle à la prévention du VIH - alors que le problème se pose depuis 15 ans - , nous ne pouvons pas espérer prendre le contrôle de la situation. À certains égards, il est plus facile de manifester sa compassion à l'endroit d'une personne atteinte d'une maladie comme le sida, mais nous devons également faire preuve de compassion envers les homosexuels, les lesbiennes et les bisexuels jeunes qui ont du mal à établir leur identité sexuelle. Ils ont besoin de notre compréhension, de notre compassion et il faut qu'ils puissent avoir espoir en l'avenir. Ils ont besoin de notre aide maintenant, avant de devenir la nouvelle génération de personnes atteintes du VIH.
Le président: Merci beaucoup. C'est maintenant le tour de Mme Steffanie Strathdee.
Dr Steffanie Strathdee (épidémiologiste, British Columbia Centre for Excellence in HIV/AIDS): Bonjour, monsieur le président. Merci de m'avoir invitée à prendre la parole devant votre comité. J'aimerais également remercier les intervenants précédents pour avoir situé ces importantes questions dans leur contexte.
Je vous parlerai cet après-midi des déterminants sociaux reliés au risque d'infection par le VIH et de progression vers le sida. Dans ce bref exposé, je ne parlerai pas seulement des recherches que j'ai effectuées moi-même au Centre d'excellence sur le VIH/SIDA de Colombie-Britannique, mais également de celles de mes collègues, le Dr Robert Hogg, le Dr Michael O'Shaughnessy, le Dr Julio Montaner, le Dr Martin Schechter et le Dr David Patrick du B.C. Centre for Disease Control.
Ces recherches concernent trois études différentes qui ont été effectuées en collaboration avec nos partenaires locaux et des organisations de service sur le sida; près de 2 000 personnes y ont participé. Chaque étude a été partiellement financée par Santé Canada. Sans un tel financement, ces études essentielles pour établir un lien entre l'épidémiologie du VIH/SIDA et les sciences sociales n'auraient pas pu être entreprises.
Au cours de la première décennie de l'épidémie de VIH, les chercheurs ont mis l'accent sur les comportements en matière de sexualité et de toxicomanie qui étaient spécifiquement et directement reliés au risque d'infection par le VIH. Maintenant que nous sommes déjà bien engagés dans la deuxième décennie, nous tournons notre attention vers les raisons de ces comportements pour voir comment on pourrait les transformer.
Même si de nombreux facteurs sociaux influencent la santé, je parlerai aujourd'hui seulement de quelques-uns d'entre eux parce que je dispose de peu de temps. Je vous expliquerai comment la pauvreté, les conditions instables de logement et l'exploitation sexuelle ont créé des groupes de personnes vulnérables et marginalisées qui prennent plus de risques et ont plus de chances de devenir séropositives à cause de cette vulnérabilité.
Les populations à risque élevé dont je parlerai aujourd'hui incluent les homosexuels et les bisexuels, surtout les jeunes homosexuels, les personnes qui s'injectent de la drogue et les personnes qui présentent des risques multiples comme les toxicomanes qui sont aussi homosexuels ou non-Blancs ou les femmes toxicomanes qui pratiquent la prostitution.
Je voudrais souligner qu'il y a de toute évidence d'autres groupes exposés au VIH au Canada, comme en particulier les communautés ethnoculturelles et les populations autochtones. On dispose toutefois, pour le moment, de moins de renseignements sur les facteurs qui influencent ces groupes.
Je commenterai maintenant les résultats de trois études effectuées en Colombie-Britannique qui ont permis de mieux comprendre les rapports existants entre les déterminants sociaux et les risques d'acquisition du VIH et du sida.
Il y a d'abord la Vancouver lymphadenopathy AIDS study, qu'on appelle la VLAS. C'est l'étude la plus vaste et la plus ancienne sur le sida au Canada. Mille homosexuels y participent.
Il y a ensuite le projet Vanguard qui a commencé en 1995 comme une ramification de la VLAS. Son objectif est de contrôler les cas de VIH et les comportements dangereux chez les jeunes homosexuels qui sont les plus exposés à l'infection par le VIH et, comme les jeunes gens en général, se sentent peut-être invincibles face à la menace réelle pour la santé que représente le VIH.
En troisième lieu, il y a le projet Point. C'est une étude qui a été réalisée en 1995 à Vancouver pour déterminer les facteurs reliés à la multiplication récente et continue de cas de VIH parmi les toxicomanes de Vancouver qui pratiquent l'injection intraveineuse.
Je vais maintenant résumer brièvement certaines des conclusions de ces trois études. L'une des principales conclusions de la VLAS, qui a été publiée dans une revue médicale réputée, The Lancet, était la suivante:
- Les homosexuels séropositifs ayant un revenu inférieur au seuil de pauvreté avaient deux fois
plus de chance de mourir d'ici dix ans que les homosexuels ayant un revenu plus élevé.
Grâce à des études comme la VLAS, on a constaté que les homosexuels plus âgés ont adopté des comportements sexuels moins risqués à la suite de l'épidémie de VIH. Toutefois, dans une large mesure, ce n'est pas le cas pour les jeunes homosexuels comme ceux qui ont participé au projet Vanguard. Cette étude a récemment montré que plus de la moitié des jeunes homosexuels ont signalé avoir eu au moins un rapport anal sans protection au cours de la dernière année; 47 p. 100 d'entre eux avaient un partenaire régulier et 25 p. 100 un partenaire occasionnel.
Afin d'essayer de découvrir pourquoi tant de jeunes homosexuels se livrent à des actes sexuels dangereux malgré leur haut niveau de sensibilisation au VIH et au sida, nous avons étudié les personnes qui prennent de tels risques. Nous avons constaté la chose suivante: Les jeunes homosexuels qui n'ont pas fini leurs études secondaires avaient deux fois plus de chance de prendre de tels risques. Les jeunes homosexuels victimes d'exploitation sexuelle avaient deux fois plus de chance de prendre de tels risques. Cette constatation confirme que le statut socio-économique et l'exploitation sexuelle contribuent à favoriser la vulnérabilité.
La constatation selon laquelle l'exploitation sexuelle a d'importantes répercussions montre la valeur de l'expérience personnelle et professionnelle de M. Arn Schilder, principal responsable de l'inclusion de cette question dans notre étude.
Des conclusions analogues concernant les liens entre l'exploitation sexuelle et l'adoption ultérieure de comportements à risque face au VIH ont été signalées, entre autres, à San Francisco, Boston et Londres. Cela donne à penser que le fait d'avoir été victime d'exploitation sexuelle est l'un des nombreux maillons manquants que nous cherchions. Cela peut permettre d'expliquer pourquoi certains homosexuels sont incapables d'adopter et de négocier des pratiques sexuelles moins dangereuses.
Nous avons constaté des similitudes frappantes dans notre étude de l'infection par le VIH chez les toxicomanes du quartier le plus pauvre du Canada, l'est du centre-ville de Vancouver. Cette étude a révélé que les toxicomanes qui pratiquent l'injection intraveineuse et sont logés dans des conditions instables ont deux fois plus de chance d'être infectés par le VIH.
Nous avons également étudié pourquoi ces toxicomanes continuent de se partager des seringues contaminées dans une ville qui offre le service d'échange de seringues le plus important et le mieux coté en Amérique du Nord. Les thèmes suivants se sont dégagés.
Les hommes toxicomanes homosexuels ou bisexuels sont trois fois plus enclins à partager des seringues.
Les hommes et femmes toxicomanes qui ont été victimes d'exploitation sexuelle sont trois fois plus enclins à partager des seringues.
Les femmes toxicomanes présentant plus de symptômes de dépression ou signalant vivre avec un partenaire toxicomane étaient plus portées à partager des seringues.
Face à ce qui constitue une véritable explosion de l'infection par le VIH chez les toxicomanes de Vancouver - cela fait partie de nos récentes conclusions - , un sur quatre est infecté. Nous sommes en train d'assurer le suivi des taux d'infection par le VIH et des comportements à risque chez 1 000 toxicomanes pour examiner de plus près ces questions.
Pris globalement, ces résultats donnent à penser que les déterminants sociaux influencent aussi bien le risque d'infection par le VIH que la vitesse avec laquelle le VIH se transforme en sida caractérisé, puisqu'un bon tiers des jeunes homosexuels du projet Vanguard et un tiers des hommes toxicomanes du projet Point ont signalé avoir été exploités sexuellement, en plus des 75 p. 100 de femmes toxicomanes qui ont indiqué une telle exploitation dans le cadre de cette étude. Nos conclusions donnent à penser que les efforts de prévention du VIH devraient inclure un counselling en matière d'exploitation sexuelle.
Notre conclusion selon laquelle l'absence d'un logement stable augmente le risque de contamination par le VIH donne à penser que l'amélioration des conditions de vie des personnes exposées au risque de VIH pourrait avoir un effet direct sur la concrétisation de ce risque.
Ces recherches montrent comment des facteurs sociaux tels que la pauvreté, la stabilité des conditions de logement et le fait d'avoir été victime d'exploitation sexuelle créent des niveaux de vulnérabilité qui influencent les comportements reliés à la sexualité et à la toxicomanie. C'est la société qui crée ces déterminants sociaux; elle a les moyens de les modifier et il est de son devoir de le faire.
À l'heure actuelle, avec la discrimination, les préjugés et l'absence d'une volonté de créer des conditions favorables au changement social et permettant aux gens de s'affirmer, les maladies comme le VIH/SIDA continueront de se répandre et de coûter des milliards de dollars aux contribuables. Le pays attend du gouvernement fédéral qu'il fasse preuve du leadership nécessaire, sans quoi cette épidémie va continuer.
Comme cette discussion vous le montre, les recherches que nous conduisons, nombre de mes collègues au Canada et moi-même, contribueront directement à réduire l'incidence et la diffusion de cette terrible maladie. Chaque fois qu'on empêche quelqu'un d'être contaminé par le VIH, cela représente une économie de 100 000 $ en frais médicaux directs pour les contribuables. Si on prévient 1 000 cas de contamination chaque année - soit trois seulement par jour dans l'ensemble du pays - , les gouvernements fédéral et provinciaux pourront économiser 100 000 $ de frais médicaux et utiliser cet argent pour réduire la dette.
Je ne suis pas seulement motivée par ces chiffres. Je suis décidée à effectuer ces recherches parce que je crois qu'elles empêchent des souffrances et sauvent des vies. Mais si le gouvernement ne manifeste pas à nouveau sa volonté d'appliquer une stratégie nationale sur le sida, ces recherches devront en fait prendre fin après mars 1998.
Peut-être ma situation personnelle vous permettra-t-elle de mieux situer les choses. Je suis née et j'ai grandi au Canada; je fais carrière dans la recherche épidémiologique et la prévention des maladies. J'ai obtenu mon doctorat à l'Université de Toronto avec le soutien financier de Santé Canada, soutien dont je bénéficie aujourd'hui encore, et j'ai été formée par certains des chercheurs les plus éminents de notre pays en ce qui concerne le sida. Cette année, lors de la conférence internationale sur le sida à Vancouver, j'ai eu le grand honneur de voir un groupe international classer mes recherches au premier rang parmi 500 autres proposées par de jeunes chercheurs du monde entier.
J'ai reçu cette formation grâce aux deux premières phases de la stratégie nationale sur le sida. Le Canada ne pourra peut-être malheureusement pas en profiter. Ma bourse se termine cette année et aucun crédit n'est prévu pour la renouveler. En fait, toute cette phase a été annulée. Si le gouvernement fédéral ne renouvelle pas son engagement, les projets de recherche auxquels mes collègues et moi-même consacrons tant d'efforts vont s'interrompre.
Entre-temps, le Congrès des États-Unis vient d'approuver une augmentation de sept pour cent des fonds consacrés au sida, dont 2,1 milliards de dollars par an accordés aux National Institutes of Health et plus de 500 millions aux Centers for Disease Control. Nombre de mes jeunes collègues et moi-même n'avons pas d'autre choix que d'examiner sérieusement les possibilités de recherches existant chez nos voisins du Sud.
Le fait de ne pas renouveler la stratégie nationale sur le sida est une tragédie nationale. Si nos recherches donnent lieu à des mesures appropriées, un jour viendra peut-être où nous n'aurons plus besoin d'une stratégie nationale sur le sida. En attendant, l'avenir de la prévention et du traitement du VIH repose absolument sur cette stratégie.
Merci de votre attention.
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer aux questions. Le Bloc québécois, le Parti réformiste et le Parti libéral ont droit chacun à dix minutes. Si un député vous pose une question et que votre répondre prend neuf minutes, ses dix minutes seront, bien entendu, épuisées.
Nous allons commencer par notre collègue du Bloc.
[Français]
Monsieur Dubé.
M. Dubé (Lévis): Je suis un membre régulier du Comité de la santé, mais non pas du Sous-comité sur le VIH/sida. Mon collègue, M. Ménard, aurait bien voulu entendre les témoins, mais c'est moi qui vais assurer le suivi.
En tant que membres du Comité de la santé, MM. Szabo et Volpe ainsi que Mme Ur reconnaîtront sans doute avec moi une similitude entre votre exposé et les études que nous avons faites sur la santé des enfants. Cette similitude réside dans le fait que le facteur socioéconomique est déterminant. Vous en avez mentionné d'autres, mais celui-là est important. Quand on parle de facteurs déterminants, on parle de facteurs qui peuvent amener à devenir porteur du VIH.
Vous savez qu'on débat actuellement - et c'est un débat qui va sûrement se poursuivre - , de la pertinence d'accorder un statut juridique aux couples homosexuels. C'est toujours la question de gros sous qui se pose. Avez-vous mesuré l'impact économique d'accorder les mêmes avantages aux couples homosexuels? Peu de personnes nous ont fourni des données à cet égard. Nous sommes d'accord en principe, mais ceux qui s'y opposent, dont je ne suis pas, nous demandent toujours quel serait l'impact économique d'une telle décision.
C'est un argument financier qui a l'air bien terre à terre alors qu'il est question de santé. Cependant, vous présentez vous-même l'aspect économique comme étant déterminant. J'aimerais donc avoir votre opinion sur ce point.
[Traduction]
Le président: Qui veut commencer?
M. Schilder: Je vais répondre.
Je ne suis pas économiste. Je suis toutefois homosexuel et j'ai déjà eu quatre partenaires stables dans ma vie. L'isolement qui caractérise la réalité économique de chaque membre d'un couple est profond dans le sens où l'on ne peut jamais vraiment combiner les ressources des deux et s'appuyer mutuellement de cette façon pour renforcer les liens.
Il s'agit de 20 années de ma vie. J'ai 46 ans et j'ai passé 20 ans avec quatre hommes différents. Quand j'étais avec eux, nous étions des êtres indépendants et nous fonctionnions comme des partenaires dans une relation d'affaires.
Je pense que c'est une question brillante. Personne n'a vraiment identifié l'impact économique que cela aurait sur la société et sur les personnes directement concernées. J'encouragerais certainement ce type de recherche parce que je pense que cela permettra de mieux comprendre pourquoi de tels changements politiques sont nécessaires.
[Français]
Le président: Monsieur Dubé.
M. Dubé: Est-ce qu'on dispose de dix minutes en tout ou si on alloue dix minutes à chaque parti?
[Traduction]
Le président: Vous disposez de dix minutes. Vous en avez seulement utilisé trois.
[Français]
M. Dubé: On admet que l'un des déterminants importants est l'aspect socioéconomique, ce qui dépasse la juridiction d'un ministère de la Santé, qu'il soit fédéral ou provincial. Je ne m'aventurerai pas sur ce terrain. Mes collègues me connaissent. Je vais me concentrer sur des points plus rattachés à vos préoccupations.
Il faut avoir une vue très globale du problème. Il ne faut pas voir le sida seulement du point de vue de la santé. Pour comprendre l'ensemble du phénomène, il faut avoir une approche holistique. Êtes-vous d'accord avec moi?
[Traduction]
M. Schilder: Je voudrais répondre.
Cela relève de plusieurs ministères. Ce n'est pas seulement une question de santé. Pour ce qui est des questions touchant l'exploitation sexuelle des enfants et la vulnérabilité qui en résulte chez les homosexuels, les solutions sont du ressort de la justice pénale, des services d'aide médicale à l'enfance et des responsables de l'éducation. La stratégie nationale sur le sida ne peut pas concerner seulement le ministère de la Santé. Tous les ministères doivent s'en partager la responsabilité.
[Français]
M. Dubé: Vous avez dit aussi que la durée de vie d'un homosexuel, si j'ai bien compris, était de huit à vingt ans moins élevée que celle de la population masculine en général. A-t-on constaté la même chose chez les lesbiennes?
[Traduction]
Dr Strathdee: Il s'agit de recherches effectuées par le B.C. Centre for Excellence in HIV. Mon collègue, le Dr Bob Hogg s'en est occupé; il étudiait les effets du VIH sur la population homosexuelle masculine. Donc, non, on n'a pas fait ces recherches au sujet des lesbiennes pour le moment.
[Français]
M. Dubé: Au début, c'est un fait, plusieurs pensaient que le sida était une maladie limitée aux homosexuels. Vous avez mentionné le président Reagan, mais il n'était pas le seul à le penser. Aujourd'hui, selon les données récentes, quelle proportion parmi ceux qui sont atteints, parmi les porteurs ou les séropositifs, peut-on identifier comme étant gais?
[Traduction]
M. Schilder: Je pensais que c'était 80 p. 100.
Dr Strathdee: Cela dépend beaucoup de la région dont on parle. Dans de nombreux centres urbains où la proportion d'homosexuels est plus élevée, par exemple dans le quartier ouest de Vancouver, à Montréal, à Toronto, la prévalence du VIH peut être très élevée. À l'heure actuelle, j'ai entendu citer, pour l'ensemble de la ville de Toronto, le chiffre de, disons, 15 p. 100 à 20 p. 100. Mais, bien sûr, il s'agit seulement de la situation actuelle. Cela ne tient pas compte des gens qui sont déjà morts de cette maladie.
[Français]
M. Dubé: Monsieur le président, je sais que mes collègues des autres partis ont aussi de brillantes questions à poser et je ne voudrais pas les leur enlever en posant les miennes.
[Traduction]
Le président: Monsieur Hill.
M. Hill (Macleod): Merci de vos exposés sur un sujet qui, de toute évidence, vous tient à coeur.
Monsieur Schilder, vous avez parlé d'une question qu'on discute rarement - l'exploitation sexuelle des jeunes garçons et l'avenir que cela leur crée. Vous avez dit, toutefois, certaines choses qui ne me paraissent pas cohérentes, notamment que les hommes qui commettent ces actes ne sont pas des pédophiles. Pourriez-vous m'expliquer cela? Pour moi, un homme qui exploite sexuellement un enfant est, par définition, un pédophile. Ai-je bien compris vos propos?
M. Schilder: C'est exact, et c'est, de toute évidence, l'un des aspects les plus provocants de cette question, parce qu'il s'agit d'un tabou en matière de sexualité masculine. Il s'agit d'une sexualité masculine hautement dysfonctionnelle qui se manifeste par l'exercice d'un contrôle et d'un pouvoir sous une forme violente et ces gens-là choisissent généralement pour victimes les plus faibles et les plus vulnérables. Oui, c'est un acte homosexuel, mais ces hommes se considèrent comme hétérosexuels. Ils se marient et vivent de façon générale comme des hétérosexuels.
Je suis sûr que, étant médecin, vous comprendrez les différences qui existent entre l'identité sexuelle et l'appartenance sexuelle - sans parler des identités sociales et du reste - et des variables qui en résultent. Mais la majorité des actes d'exploitation sexuelle d'hommes et de femmes homosexuelles sont commis par des hommes qui se considèrent comme hétérosexuels et qui ne sont pas pédophiles. Vous trouverez les mêmes conclusions dans la littérature. Je cite d'ailleurs plusieurs références à titre d'information.
M. Hill: Vous nous donnez donc deux définitions de «pédophile».
M. Schilder: Non, je ne vous donne pas de définition. Je vous parle des comportements de certains hommes hétérosexuels. Beaucoup d'entre eux ont du mal à examiner cette question parce qu'ils doivent se pencher sur leur propre identité sexuelle et sociale et leur appartenance sexuelle et contester le comportement d'autres hommes qui commettent de tels actes.
Les hommes emprisonnés sont en majorité hétérosexuels mais, en l'absence de femmes, ils vont pratiquer des actes homosexuels. Dans leur esprit, ils considèrent qu'ils agissent de façon hétérosexuelle même si les actes qu'ils pratiquent sont totalement homosexuels.
M. Hill: Très bien. Vos commentaires sont très provocants et ce sont des choses dont on parle rarement. Je vous admire de parler de ces questions.
Je voudrais m'adresser à M. Mallon pendant quelques instants; vous avez dit que vous pouvez
améliorer le cours suivi par l'infection par le VIH en rassurant les jeunes sur leur comportement qui,
dans de nombreux cas est, en fait, directement relié à cette attitude. Connaissez-vous un endroit où
cela s'est fait et a amélioré la situation en matière d'infection par le VIH? Je pense en particulier à
San Francisco, qui est probablement la ville la plus accueillante pour les homosexuels - ce que je dis
sans nuance péjorative. Quel est là-bas le taux d'infections par le VIH chez les jeunes? Si ce n'est pas
un bon exemple, pouvez-vous me citer un autre endroit afin que cela ne soit pas seulement théorique
mais représente un véritable...?
M. Mallon: Je pourrais peut-être vous donner l'exemple de New York, d'où je viens et que je connais mieux.
Quand je parle de créer un milieu plus rassurant et donc moins hostile envers les jeunes homosexuels des deux sexes, je veux dire la chose suivante. Je pense que c'est dans le contexte de cette hostilité que les jeunes gens commencent à adopter des comportements dangereux et qu'ils n'ont pas d'autre choix que de se comporter ainsi en consommant diverses drogues, etc. Je pense qu'en créant des milieux qui permettent de rassurer ces jeunes gens, comme des groupes d'entraide ou des endroits où les jeunes homosexuels des deux sexes pourraient ses rencontrer, on favoriserait une interaction entre eux.
À Toronto, il y a un organisme qui s'appelle Central Toronto Youth Services qui travaille avec certaines personnes de cette ville. Il fait du counselling et anime un groupe d'entraide appelé Street Outreach Services. Je pense que certains programmes de ce genre peuvent créer des conditions permettant à ces jeunes gens d'avoir des rapports entre eux sans s'exposer à des dangers.
Je pense que beaucoup de ces programmes qui s'adressent aux gens vivant dans la rue ont constaté une augmentation réelle des cas d'infection par le VIH chez leurs jeunes clients parce qu'ils sont dans la rue et n'ont pas vécu dans des milieux leur offrant les soins et l'attention nécessaires. Je pense que c'est ce à quoi je faisais allusion en parlant de leur fournir un milieu rassurant.
M. Hill: Dans la pratique, ces milieux existent-ils depuis trop peu de temps pour qu'on sache s'ils modifient les taux d'infection? Je m'intéresse toujours non seulement aux considérations théoriques mais aux initiatives concrètes permettant de dire qu'on a fait telle chose à tel endroit, que cela a donné tels résultats et que c'est efficace.
M. Mallon: Je pense qu'ils sont efficaces pour diminuer les comportements à risque, mais je ne crois pas que l'on puisse dire pour le moment si ces programmes sont tout à fait efficaces. Je pense qu'on constate une diminution de l'infection quand les jeunes gens vivent dans des milieux favorables et rassurants plutôt que dans des milieux hostiles dans lesquels ils éprouvent le besoin de s'anesthésier.
Je travaille pour les services d'aide à l'enfance de New York. Quand nous créons des milieux permettant aux jeunes homosexuels des deux sexes de rencontrer d'autres jeunes et des adultes qui sont comme eux, je pense que l'on constate une réduction de nombreux comportements à risque. Je ne pense toutefois pas que nous puissions évaluer cela quantitativement pour le moment.
M. Hill: Ça ira comme ça. Merci.
Le président: Monsieur Volpe.
M. Volpe (Eglinton - Lawrence): Merci beaucoup. J'ai trouvé votre exposé extrêmement intéressant et provocant. Je vais en effet répondre à cette provocation. Certains de mes collègues veulent être polis, mais je veux aborder certains des problèmes à propos desquels je me pose des questions.
Premièrement, je voudrais préciser une chose, parce que je pense que vous avez terminé votre intervention sur une remarque politique, docteur, en laissant entendre que le gouvernement canadien a peut-être fait quelque chose, mais qu'il n'est plus décidé à faire quoi que ce soit qui pourrait permettre d'identifier, de comprendre et de faire disparaître cette maladie. Ce n'est manifestement pas le cas puisque la stratégie nationale sur le sida actuelle ne prendra fin qu'en mars 1998. Il nous reste encore au moins un an et demi et 50 p. 100 environ des crédits actuellement prévus pour cette année et l'année prochaine sont consacrés à la recherche. Ces sommes sont complétées par des crédits supplémentaires fournis par le Conseil de recherches médicales pour la recherche purement médicale et scientifique. Vous savez probablement qu'il y a aussi des sociétés pharmaceutiques qui ont été incitées à effectuer des recherches biomédicales en ce qui concerne les besoins chimiques pour le VIH/SIDA.
Je voulais simplement dire cela publiquement parce qu'il y a un important lobby - et je félicite les gens qui en font partie - selon lequel on ne fait peut-être rien dans ce domaine. Or, tel n'est pas le cas.
Dr Strathdee: Je ferai seulement un commentaire. Je voudrais également rendre hommage à la contribution apportée jusqu'à maintenant par les gouvernements fédéral et provinciaux. Je pense que les militants qui sont ici, mes collègues - aussi bien ici que dans tout le Canada - et moi-même voulons savoir ce qui se passera après. Prenons l'exemple du programme national de recherche et de développement en matière de santé. Il prévoyait autrefois un financement spécial pour le sida, mais ce n'est plus le cas. C'est le programme dont je parlais et il a maintenant été annulé.
M. Volpe: On l'a réduit de deux millions de dollars au niveau national et il n'a pas été annulé. La stratégie sur le sida continue aussi d'exister. Elle est censée prendre fin en mars 1998, mais cela ne veut pas dire qu'il en sera ainsi.
Dr Strathdee: J'espère que non, dans l'intérêt de plusieurs milliers de gens.
M. Volpe: Je considère votre intervention devant notre comité comme l'expression du désir que ce message soit transmis au gouvernement.
Dr Strathdee: Merci, monsieur.
M. Volpe: Je pense que quelques questions vraiment très intéressantes ont été soulevées. Je ne veux pas vraiment entamer une longue discussion parce que je suis sûr que les témoins, qui connaissent ces questions beaucoup mieux que moi, auront l'impression de discuter avec des gens ignorants, et je ne veux pas vous donner l'impression que les législateurs ne sont pas à la hauteur.
Je dois revenir à une question soulevée par le Dr Hill. J'ai vraiment du mal à comprendre quand un pédophile n'est pas un pédophile.
Considérez-moi comme un exemple de citoyen typique et je vous dirai, au sujet de cette discussion, que je veux comprendre la situation et manifester autant de compassion que possible envers les victimes. Mais si vous citez, parmi les causes, une situation qui créera de la confusion dans mon esprit au sujet des personnes qui commettent des actes de toute évidence très graves pour ensuite excuser ces gens-là en disant que, en fait, ils ont des problèmes particuliers, un Canadien typique a bien du mal à comprendre cela.
Suis-je à côté de la question?
M. Schilder: C'est une chose très`difficile à comprendre, parce que, pour être franc, la plupart des hommes ne font pas la distinction entre leur appartenance sexuelle et leur identité sexuelle. Mais si la victime n'était pas un garçon de huit ans, mais une fille de huit ans, le responsable serait-il pédophile ou hétérosexuel?
M. Volpe: Eh bien, je peux répondre à votre question. Vous parlez à quelqu'un qui a eu une fille de huit ans et un garçon de huit ans et je manquerais sans doute à ma réserve d'homme politique si je vous disais ce que j'aurais fait à toute personne qui aurait fait quoi que ce soit à l'un ou à l'autre. Je ne fais aucune distinction - absolument aucune. La sécurité de mon enfant était ma principale préoccupation et il n'aurait pas fallu que qui que ce soit fasse quelque chose qui porte atteinte à cette sécurité - je ne voudrais pas imaginer ce qui aurait pu se produire. Je pense que c'est typique de la plupart des pères.
Dr Strathdee: Cette question est peut-être plutôt d'ordre sémantique; au plan terminologique, il s'agit de l'exploitation sexuelle d'un enfant.
Il faut bien comprendre que nous ne parlons pas seulement de l'exploitation sexuelle des enfants, qu'on considère comme enfants ceux qui ont moins de 12 ans, de 14 ans ou de 16 ans. Dans le projet Vanguard, 50 p. 100 des jeunes homosexuels qui ont déclaré avoir été exploités sexuellement l'ont été quand ils avaient plus de 18 ans. Cela m'a un peu surpris, mais il y a manifestement d'autres facteurs en jeu qu'il faudrait étudier de plus près. Le fait que nos conclusions ont été confirmées dans le monde entier et ont été présentées très clairement à la conférence internationale sur le sida cet été en est la preuve.
M. Volpe: Je voulais aborder deux ou, peut-être, trois autres questions qui peuvent paraître n'avoir aucun rapport entre elles. On a parlé de l'hostilité et de la tendance des jeunes à prendre des risques. Quand ces idées ont été avancées, j'essayais de me souvenir de l'époque où j'étais adolescent et je me demandais si le mot «risque» a jamais fait partie de mon vocabulaire.
J'ai entendu des sociologues utiliser exactement le même raisonnement quand ils parlaient des jeunes garçons et filles d'aujourd'hui, quelle que soit leur appartenance ou leur identification sexuelles. Ces jeunes gens ont tendance à prendre des risques parce qu'ils ont l'impression d'être indestructibles. Quelle est la différence?
M. Schilder: En ce qui concerne les jeunes hommes homosexuels ou les garçons homosexuels, comme je les appelle, la société a beaucoup de mal à se rendre compte que des enfants peuvent reconnaître leur homosexualité très tôt. En fait, j'étais homosexuel à l'âge de cinq ans - je savais que je l'étais - et mes contemporains savaient très bien qu'ils étaient homosexuels. Les gens préfèrent invoquer le concept du choix.
Dans un tel cas, on a un enfant déjà très vulnérable qu'on peut prendre pour cible. Ajoutez à cela le comportement normal de tout adolescent qui se croit invincible, à l'abri de tout danger. Si cet enfant a subi une exploitation sexuelle, et nous savons que l'exploitation sexuelle dans l'enfance, surtout avant l'âge de dix ans, entraînera des comportements très destructeurs dans la vie adulte de cet enfant...
En fait, nombre des personnes vulnérables dont vous parlez ont connu de tels comportements pathologiques - dépression, toxicomanie, alcoolisme, victimisation, pratiques sexuelles obsessionnelles - tout cela est très prévisible. Toutefois, quand on essaie d'expliquer cela chez un enfant vulnérable, qui passe par les mêmes phases de croissance pendant son adolescence... il a ce fardeau supplémentaire qui le rend deux fois plus vulnérable. La différence entre ces enfants et les autres saute souvent aux yeux.
Dr Strathdee: Je voudrais commenter directement votre question. Je pense que si une femme a des rapports vaginaux ou même anaux avec un homme, elle s'expose à un risque moins grand que les homosexuels pratiquant des rapports anaux sans protection, du simple fait qu'on a deux combinaisons différentes de taux de prévalence. Étant donné le taux de prévalence de 15 p. 100 à20 p. 100 dans, disons, la population homosexuelle masculine de Toronto - et je cite cela simplement comme exemple, parce que je ne pense pas que qui que ce soit puisse dire quel est le chiffre exact - cela se traduira par un risque plus élevé pour quelqu'un qui aura des rapports anaux sans protection une seule fois. Or, c'est le risque auquel s'expose un jeune homosexuel.
Le président: Monsieur Volpe, il vous reste environ 30 secondes.
M. Volpe: Très bien, je vais donc poser deux questions pour essayer de comprendre cela un peu mieux.
Monsieur Schilder, vous avez beaucoup insisté sur les liens familiaux qu'on refuse aux couples d'homosexuels et de lesbiennes, mais surtout aux couples d'homosexuels. Chez les hétérosexuels, le taux de divorce tourne autour de 50 p. 100 et les gens qui se remarient ont, de toute évidence, un lourd bagage économique et financier. Il y a de nombreux couples qui vivent ensemble et ont le même genre de difficultés, les difficultés financières que vous signalez. Les couples d'hétérosexuels ne durent souvent pas beaucoup plus longtemps que ceux dont vous avez vous-même parlé. Je pose donc à nouveau la question: quelle est la différence?
Avant que vous ne me répondiez, laissez-moi dire une dernière chose. Le taux d'infection - je ne suis pas sûr d'utiliser le terme correct, je l'ai noté tout à l'heure - est lié au comportement. Dans notre pays, on dit toujours que c'est par l'éducation qu'on peut changer le comportement ou que c'est tout au moins un des importants moyens d'y parvenir et tous les paliers de gouvernement y consacrent beaucoup d'argent. Puisque notre population est l'une des plus instruites du monde entier et l'une des plus capables d'utiliser tous les nouveaux systèmes de communication et qu'on la considère comme l'une de celles qui ont le plus d'ouverture d'esprit dans le monde, qu'est-ce qui ne marche pas?
M. Schilder: Vous posez là plusieurs questions.
Je pense que vous essayez de modifier des comportements individuels au lieu de modifier les conditions sous-jacentes qui entraînent ces comportements. Vous n'avez pas à vous accommoder du fait que si, hier soir, vous passiez devant le Château Laurier avec votre épouse et traversiez la rue en la tenant par le bras, trois types passant en voiture vous crieraient «Tapettes!». Et si vous leur répondiez, vous pourriez vous trouver impliqué dans de graves actes de violence. Vous n'avez pas à faire face à une profonde hostilité de ce genre.
Je pense que, dans notre pays, il faut modifier les conditions et les attitudes fondamentales de la population dans son ensemble, celles qui conditionnent la santé de toute la population. La réalité économique d'un couple d'homosexuels est une chose, mais favoriser une situation permettant à ces couples d'exister en est une autre.
M. Volpe: J'évoquais l'aspect économique simplement parce que c'est celui que vous avez soulevé.
M. Schilder: Le problème est qu'on suppose que, disons, les hommes homosexuels, en particulier, sont très aisés, ce qui est un mythe. Si on étudie le profil des homosexuels, ils ont généralement des emplois de service mal rémunérés ou quelque chose de ce genre.
Le fait est que beaucoup d'entre eux ne peuvent pas planifier un avenir en commun, parce qu'ils sont toujours... Si vous avez avec quelqu'un une relation d'affaires, il est difficile d'établir des liens d'assistance mutuelle dans le cadre d'une relation établissant une identité commune.
Je ne peux pas expliquer le taux de divorces dans la population. Peut-être certaines de ces personnes n'étaient-elles pas hétérosexuelles. On ne peut pas faire de telles comparaisons parce que certaines de ces personnes pourraient changer de partenaire pour devenir bisexuelles ou homosexuelles. C'est parfois pour cela qu'un couple se sépare.
Je pense donc que c'est une très mauvaise comparaison.
M. Volpe: C'est un point de référence.
Le président: Monsieur Volpe, nous commençons à manquer de temps et je voudrais savoir si vous êtes d'accord pour que les députés qui n'ont plus qu'une question à poser puissent peut-être le faire avant que nous en terminions avec ces témoins.
Quelqu'un d'autre veut-il poser une seule question? Non? Monsieur Hill? Madame Ur? Monsieur Volpe, vous avez l'occasion de le faire.
Je profiterai donc de cette occasion pour remercier nos témoins. Je suis désolé d'avoir limité la durée des débats, mais nous essayons d'avancer assez vite dans ce comité et d'obtenir autant de renseignements que nous le pouvons dans le moins de temps possible, vu notre échéancier législatif. Je saisis donc cette occasion pour vous remercier très sincèrement d'être venus ici et de nous avoir présenté vos curriculum vitae et vos mémoires. Ils sont certainement très intéressants et soulèvent de nombreuses controverses. Je vous remercie beaucoup.
Arrêtons-nous une minute pour laisser les prochains témoins s'installer.
Le président: Je profite de cette occasion pour souhaiter la bienvenue aux témoins et les remercier de leur présence. Comme je l'ai dit au groupe de témoins précédent, nous devrons aller voter aujourd'hui à 17 h 30. La sonnerie retentira peut-être plus tôt et j'ai donc essayé de limiter le temps consacré aux témoins précédents. Quand nous passerons aux questions, je serai très indulgent avec les personnes qui répondent, mais je couperai peut-être prématurément la parole à ceux qui posent les questions.
Nous avons avec nous Debra McLeod, de la Police régionale d'Ottawa-Carleton; Christine Villeneuve, du Centre médical Ste-Anne; et Louise Binder, de Voices of Positive Women. Qui va commencer? Christine... D'accord?
Mme Christine Villeneuve (Centre médical Ste-Anne): Je représente le Centre médical Ste-Anne.
[Français]
Bonjour. L'exposé que je vais faire m'a été demandé après que j'aie écrit un article, qui vous a été distribué imprimé sur des feuilles jaunes. Vous l'avez en français et en anglais. La feuille de couleur orangée vous décrit brièvement comment le programme a débuté. Je vais vous donner lecture de mon document, ce qui devrait prendre cinq minutes.
SOURCE est un service communautaire d'Ottawa-Carleton à l'intention des parents vivant avec le VIH/sida.
Depuis avril 1994 et jusqu'à septembre 1996, nous avons reçu 37 demandes de services provenant de parents répartis comme suit: 31 mères et deux pères vivant avec le VIH/sida; un oncle séropositif ayant temporairement la charge de ses deux nièces; une grand-mère séronégative ayant la charge de son petit-fils séropositif, dont le père et la mère étaient décédés des suites du sida; enfin, deux conjoints séronégatifs. Le nombre d'enfants, dans les 34 familles desservies, était de 45, dont 4 vivaient avec le VIH/sida et 6 autres, âgés de moins de 18 mois, dont le diagnostic positif ou négatif n'était pas encore confirmé. Deux mères, un père et un enfant sont décédés depuis.
À l'origine, notre intention était de desservir un groupe oublié de la population infectée par le VIH, à l'aide d'une équipe de bénévoles. Nous avions défini ce groupe comme celui des femmes vivant avec le VIH/sida et ayant généralement la responsabilité et la charge de jeunes enfants.
Nous croyons, en effet, que la structure des services en place ne répond pas aux besoins des femmes, voire même crée des obstacles à l'accessibilité du suivi médical et à la prévention de maladies. En identifiant clairement les besoins des femmes et leur diversité, il est devenu clair que les horaires, la centralisation des services ainsi que la mobilité exigée pour avoir accès aux services médicaux étaient inappropriés.
De plus, nous avons pu constater que, si le milieu hospitalier offre des services psychosociaux et à la mère et à l'enfant lorsqu'un enfant est séropositif, il n'en va pas de même lorsque l'enfant est séronégatif. Les services offerts à la mère sont alors uniquement d'ordre médical et la laissent seule face à ses besoins psychologiques et sociaux. C'est une carence que nous avons tenté de combler.
Nous avons aussi pu remarquer qu'il fallait intervenir au moment où le diagnostic de la présence du VIH est annoncé. Souvent, parmi notre clientèle, les femmes apprennent qu'elles sont séropositives alors qu'elles vivent déjà un état de crise ou sont vulnérables: grossesse, naissance d'un enfant, annonce du diagnostic du partenaire.
Lorsqu'elles apprennent le diagnostic qui les touche personnellement, soit de leur médecin de famille ou encore par Santé publique, les femmes se retrouvent seules et déroutées. Bien qu'elles ne soient pas malades, elles sont rapidement projetées dans le milieu médical ou de recherche, qui sont complexes et intimidants. Leurs besoins au niveau psychosocial sont oubliés.
À Ottawa-Carleton, comme ailleurs, le nombre de médecins de famille prêts à accueillir la clientèle séropositive est limité. Ces médecins sont donc débordés et malgré leur ouverture d'esprit et leur humanité, leur horaire leur permet difficilement de répondre aux multiples besoins de leurs patients.
De plus, le nombre des cliniques ou cabinets de médecin étant limité, leur localisation éloignée du domicile de leurs patients pose souvent un problème de transport.
Bien que nos clients aient plusieurs caractères en commun - monoparentalité, isolement, peur du bris de confidentialité, pauvreté et, bien sûr, séropositivité - , leur situation réelle et leurs mécanismes de fonctionnement diffèrent énormément. Au cours des trois dernières années, nous avons aidé deux types de clientèles et observé deux tendances chez elles. Ces deux clientèles sont celles des femmes toxicomanes ou appartenant au milieu de la toxicomanie, et des femmes en provenance de pays du modèle II.
Les femmes toxicomanes ou en provenance de ce milieu se prévalent des services de l'organisme communautaire local en matière de VIH et s'adressent à SOURCE pour s'accorder des répits et profiter des services de gardiennage. Certaines d'entre elles ont déjà reçu un enseignement sur le VIH et la prévention, se sont prises en main et se sont engagées à différents niveaux auprès de groupes de personnes vivant avec le VIH/sida.
Les femmes en provenance de pays du modèle II refusent ce genre de services et préfèrent une approche personnalisée à une approche de groupe. Au départ, leur demande est centrée sur les besoins imminents et pressants causés par les situations de crise que provoquent la fatigue chronique ou les effets secondaires de la consommation de nouveaux médicaments.
Le premier groupe de femmes est favorable à prévenir ces situations de crise en s'assurant d'un répit préventif. Les femmes en provenance des pays du modèle II s'isolent davantage que celles du premier groupe. Nous avons réussi à briser l'isolement chez un nombre limité d'entre elles en leur offrant transport et services de gardiennage. Nous sommes toutefois conscients qu'une bonne partie de cette clientèle ne reçoit aucun service offert par les agences desservant la clientèle séropositive par peur d'être identifiée comme étant séropositive. L'anonymat assure la confidentialité et seul le médecin est au courant de leur diagnostic.
Les services communautaires de prévention et d'éducation ainsi que les services médicaux spécialisés en matière de VIH/sida ont eu un succès remarquable dans les domaines de l'information, de la défense des droits, du développement des services et de la recherche. Aujourd'hui, par contre, leur visibilité ainsi que leur surspécialisation sont devenues des obstacles dans l'assistance auprès des personnes vivant avec le VIH ou le sida.
Nous savons tous que le visage du sida change. Les personnes en provenance des milieux de la toxicomanie ou de la minorité ethnique qui vivent avec le VIH/soda ont beaucoup d'autres problèmes d'ordre psychosocial: toxicomanie, violence, pauvreté, intégration culturelle, etc. Le VIH ne fait que s'ajouter à la liste. Chacune et chacun doivent faire preuve d'efforts sublimes pour pouvoir survivre dans leur réalité respective.
Nos trois années d'expérience comme pourvoyeurs de services auprès des femmes séropositives nous portent à conclure que: 1) les femmes toxicomanes ou en provenance du milieu de la toxicomanie seraient mieux desservies par des intervenants de ce milieu. La dépendance aux drogues interfère dans l'éducation et la prévention en matière de VIH/sida et dans l'offre de services comme ceux que dispense SOURCE; 2) les femmes en provenance de pays du modèle II seraient mieux desservies par les intervenants d'agences multi-ethniques. La différence culturelle, tout particulièrement en ce qui regarde des sujets délicats tels que la sexualité et la maladie, constitue un obstacle coriace, sans oublier que le rôle de la femme dans certaines communautés lui accorde peu de pouvoir et freine toute possibilité d'assistance provenant de l'extérieur de la famille.
Enfin, l'éducation en matière de VIH/sida peut faire une différence. Par contre, le modèle d'éducation et de prévention que nous avons utilisé jusqu'à maintenant a atteint son apogée. Nous devons repenser nos stratégies.
Merci.
Le président: Merci.
[Traduction]
Mme McLeod, de la Police régionale d'Ottawa-Carleton.
Mme Debra McLeod (Police régionale d'Ottawa-Carleton): Je vais vous dire quelques mots au sujet de mon travail.
Je dirige une unité de crise pour la division d'Ottawa de la Police régionale d'Ottawa-Carleton. J'effectue diverses tâches, notamment des entretiens avec des victimes d'incidents critiques, des interventions en cas de crise, des évaluations de stabilisation et des évaluations de menace. Je suis, en particulier, spécialiste de la violence faite aux femmes.
Je suis ici aujourd'hui pour vous parler de quelque chose qui est apparu dans ce contexte et dont il est rarement question dans la littérature. C'est quelque chose que j'ai découvert plus ou moins accidentellement. Je ne dis pas que personne d'autre ne l'a découvert, mais c'est manifestement quelque chose qui m'a intéressée.
Dans mon travail, j'interviens notamment dans les cas présentant des risques élevés. Je ne peux évidemment pas intervenir dans tous les cas. Nous avons en moyenne 175 cas d'agression familiale par mois et je ne m'occupe donc que de ceux où le risque d'assassinat, de suicide, de harcèlement criminel ou d'une forme quelconque de létalité est très élevé.
Lors de certaines de mes interventions et de mes séances d'évaluation auprès des femmes, j'ai constaté que, quand on examine le profil des hommes coupables d'agression, on constate généralement, chez un certain pourcentage de cette population, certains types de maladie mentale. Il y a aussi certains éléments de criminalisation. Il y a également ce que nous appelons des caractéristiques comportementales dues à certaines convictions et attitudes. Par exemple, des stéréotypes traditionnels très machistes selon lesquels les femmes sont des objets sexuels. Il y a une certaine dynamique psychosociale comme la peur de l'intimité. Lorsqu'il est poussé, bien sûr, à l'extrême, ce comportement se traduit parfois par des actes de violence, mais également par le refus de l'intimité et certaines formes de torture émotive. En disant cela, je pense aux liaisons - aux pratiques sexuelles présentant des risques élevés.
En même temps que ce type de personnalité violente, il y a un certain pourcentage de gens qui apprécient les drogues fortement stimulantes comme la cocaïne et partagent des seringues. Ils courent un risque élevé d'infection par le VIH. Ils adoptent souvent des attitudes du genre: «Je me rends compte quand quelqu'un a le sida». Je ne sais pas comment ils font, mais j'ai souvent entendu des hommes dire cela. C'est le genre d'attitude qu'ils ont et ils disent: «Ce n'est pas un problème pour moi» et «Je ne veux pas réduire mon plaisir en utilisant un préservatif».
Ils rentrent chez eux et la femme avec laquelle ils vivent, vu la dynamique d'agression, est isolée et n'est souvent pas en mesure d'avoir accès à des prestataires de service de soutien ou de soins de santé, même à un médecin, en cas de blessures, ou de quelque chose de ce genre. Les hommes craignent souvent que leur femme informe quelqu'un, les dénonce, trouve un appui d'une façon ou d'une autre, ce qui briserait leur pouvoir dans la maison et ils empêchent donc cela en imposant un isolement.
Si ces femmes rencontrent par hasard un prestataire de soins de santé, elles ont souvent honte des violences qu'elles subissent et ne veulent pas vraiment en parler. Elles craignent peut-être les conséquences d'un tel entretien ou constatent que les prestataires de soins de santé offrent souvent une solution toute faite - «Eh bien, vous n'avez qu'à vous en aller» - sans comprendre la dynamique de la situation ou le risque qu'entraînerait leur départ, ce qui est un phénomène très complexe.
Nous savons que le risque auquel ces femmes sont exposées augmente de 80 p. 100 en cas de séparation. La plupart des femmes tuées par leur partenaire l'ont été après l'avoir quitté et avoir obtenu une injonction contre lui. Elles en sont très conscientes. Elles ont reçu des menaces et sont surtout préoccupées par leur survie. Il est très difficile pour les femmes qui n'ont aucun pouvoir dans leur foyer de demander à leur partenaire d'utiliser un préservatif ou de parler des mesures contraceptives dans des conditions d'égalité, ou de faire quoi que ce soit de ce genre.
Nous nous trouvons avec une population qui non seulement peut être blessée... Les femmes qui me paraissent les plus exposées à ces risques sont celles qui ont entre 25 et 45 ans. Elles sont généralement un peu à l'écart de la société. Elles vivent peut-être dans la violence ou avec des partenaires violents depuis quelque temps déjà. Le système judiciaire, pour je ne sais quelle raison, ne fait généralement rien pour les femmes qui vivent dans des conditions de violence chronique, malgré les récentes modifications apportées aux lois. C'est tout un autre problème que je ne veux pas aborder maintenant.
L'autre chose dont je voulais parler concerne en partie le fait de ne pas poser les bonnes questions quand nous rencontrons ces femmes, que nous parlons avec elles et que nous les sensibilisons à leur situation. Lorsque nous effectuons professionnellement une évaluation de risque, nous devons notamment leur demander non seulement si elles ont été frappées, giflées, poussées ou bousculées, toutes les choses de ce genre - mais également si leur partenaire est toxicomane ou utilise une seringue.
L'une des choses intéressantes que nous constatons chez ces femmes - et il y aura une conférence en décembre qui pourrait intéresser certaines personnes ici - est qu'il existe un lien étroit entre la toxicomanie et les mauvais traitements infligés aux femmes dans leur foyer. L'une des façons de survivre à une relation de ce genre est d'utiliser un produit quelconque. On a besoin de modifier sa réalité d'une façon ou d'une autre.
Souvent, quand une femme a un partenaire violent et que celui-ci est toxicomane, elle va se mettre aussi à utiliser quelque chose pour vivre en paix avec lui ou pour préserver pendant quelques instants son équilibre mental. S'il est alcoolique, elle peut choisir de boire en même temps que lui. S'il utilise la cocaïne, le crack ou je ne sais quoi, elle adoptera également cette habitude. Les femmes qui vivent avec un partenaire violent se trouvent ainsi exposées à un double risque. Je pense que c'est un problème auquel nous devrions nous sensibiliser parce que je crois qu'on va constater une augmentation extrêmement rapide des taux d'infection dans cette population. C'est une impression personnelle.
Je m'en tiendrai là. Je pourrais parler pendant trois jours.
Le président: Merci.
Louise Binder est présidente de Voices of Positive Women. Veuillez commencer.
Mme Louise Binder (présidente, Voices of Positive Women): Je vous remercie beaucoup de cette occasion d'intervenir aujourd'hui au nom de Voices of Positive Women.
Je dirai aux gens qui ne nous connaissent pas, que nous sommes une organisation communautaire ontarienne gérée par et pour les femmes séropositives. Nous offrons principalement un service de soutien et de counselling, nous avons un fonds de traitement, nous participons à des réunions pour sensibiliser la population et nous offrons un appui pratique aux femmes qui restent à la maison.
Je suis présidente de cette organisation et j'ai le sida. J'ai reçu une formation juridique et j'ai une expérience de 20 ans comme professionnelle des ressources humaines.
Je vais couvrir brièvement quatre sujets: données statistiques sur les femmes et le VIH et le sida, données statistiques concernant les femmes et la pauvreté, renseignements au sujet du coût de la vie quand on a cette maladie et certaines recommandations que, je l'espère, vous prendrez en considération.
À mon avis, les femmes séropositives sont de plus en plus nombreuses au Canada. Du point de vue socio-économique, elles sont plus défavorisées que les hommes face à cette maladie. Il coûte extrêmement cher de vivre avec le VIH et aussi de pouvoir l'éviter. Les femmes risquent donc plus d'être infectées et elles ont un risque plus élevé de maladie, de morbidité et de décès que les hommes. Je pense qu'on connaît mal ce domaine et on commence seulement à en prendre connaissance maintenant que plus de femmes sont touchées.
Malheureusement, les statistiques concernant le nombre de femmes séropositives ne sont pas fiables puisque les cas de femmes atteintes de cette maladie sont signalés avec un certain retard ou ne le sont parfois pas. En fait, nous sommes pratiquement invisibles pour la majorité de la société à part quelques-unes d'entre nous qui sont assez sûres d'elles pour s'exprimer publiquement.
Certaines statistiques sont néanmoins disponibles. L'Organisation mondiale de la santé, par exemple, prévoit que, d'ici l'an 2000, 15 millions de femmes seront atteintes de cette maladie dans le monde, sur les 40 millions de séropositifs qu'elle prévoit. Quatre millions de ces femmes seront déjà mortes du sida. À l'heure actuelle, les femmes représentent 42 p. 100 des 21 millions d'adultes vivant avec le VIH.
Le nombre absolu de femmes vivant avec le sida est encore heureusement faible au Canada. Nous ne connaissons en fait pas le nombre de femmes séropositives. Une étude va être entreprise d'ici peu. Nous savons toutefois que, même si le nombre absolu est faible, la tendance en Amérique du Nord est en train de devenir tout à fait effrayante pour les femmes.
Par exemple, en Ontario, 20 p. 100 des nouveaux cas diagnostiqués sont des femmes. C'est une forte augmentation par rapport au chiffre de cinq pour cent d'il y a quelques années. En Colombie-Britannique, 25 p. 100 des femmes qui ont eu un test positif depuis juin 1994 ont été testées l'année dernière. On commence seulement maintenant à voir vraiment combien de femmes sont séropositives. Aux États-Unis, le sida est maintenant la troisième cause de décès pour les femmes qui ont entre 25 et 40 ans.
Pour vous citer l'exemple de Voices of Positive Women, nous avons maintenant 220 membres. Ce nombre a doublé depuis un an. Environ la moitié sont de Toronto et l'autre moitié du reste de la province. Nous avons commencé en 1991 avec environ 30 femmes. Nous recevons actuellement chaque semaine trois nouveaux appels de femmes séropositives. Cent quatre-vingt-sept femmes font appel aux services d'une organisation qui dessert seulement Toronto, la Toronto's People With AIDS Foundation. Certaines d'entre elles sont aussi membres de Voices, mais beaucoup ne le sont pas.
Ce n'est donc pas une maladie qui touche seulement un secteur de notre population. Elle est depuis toujours répandue dans l'ensemble de la population en Afrique et dans d'autres parties du monde et cela devient rapidement le cas en Amérique du Nord. En même temps que l'augmentation du nombre de femmes séropositives, je pense que le nombre d'hommes hétérosexuels séropositifs - tout au moins de ceux qui se définissent comme hétérosexuels - a lui aussi augmenté et tous les secteurs de la population seront touchés.
Ma propre situation en est, je pense, un bon exemple. J'ai été mariée pendant dix ans dans une relation que je croyais être monogame et j'ai été contaminée. Si cela constitue un comportement à risque élevé, je pense que tout le monde est exposé à un risque en ce qui concerne cette maladie.
Je voudrais parler un peu des femmes vivant dans la pauvreté. Un lien clair et direct a été établi entre le statut socio-économique et l'incidence de l'infection par le VIH, ainsi que la morbidité et la mortalité dues au sida. Il est bien connu que, en tant que classe, les femmes sont économiquement défavorisées par rapport aux hommes et, de la même façon, que les personnes handicapées sont plus pauvres, ont moins souvent un emploi et dépendent plus des programmes d'assistance sociale que les Canadiennes et les Canadiens non handicapés.
En même temps, ces programmes d'assistance sociale sont éliminés dans de nombreux endroits, plusieurs provinces réduisent fortement l'aide sociale, les services de transport pour les pauvres et les handicapés, les programmes d'équité salariale pour les femmes, les services de santé dans les hôpitaux et les soins à domicile ainsi que l'aide aux logements pour les personnes à faible revenu, aux coopératives de logement et aux logements à but non lucratif. On constate aussi une augmentation de la privatisation des logements sociaux.
En outre, certaines provinces modifient la façon de définir les handicaps si bien que de nombreuses personnes qui sont vraiment handicapées ne pourront pas en fait bénéficier de l'assistance sociale.
Il y a de nombreuses statistiques à propos des femmes qui travaillent. Quatre-vingt-six pour cent de celles qui travaillent dans le secteur des services ont des emplois à temps partiel ou précaires et beaucoup ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté. En moyenne, les femmes qui travaillent à plein temps gagnent 30 p. 100 de moins que les hommes. Les femmes représentent 70 p. 100 des personnes qui ont un emploi à temps partiel.
Elles constituent également 60 p. 100 des bénéficiaires des prestations de maladie de l'assurance-chômage, parce qu'elles ont moins de chance d'avoir un programme de congé de maladie à leur lieu de travail et qu'elles ont besoin de prestations d'assurance-chômage en cas d'invalidité. Ces statistiques donnent aussi à penser que les femmes ont moins de chance d'avoir un emploi leur permettant de jouir d'avantages sociaux tels que les régimes de services complémentaires de santé ou les prestations d'invalidité de longue durée qui aident à faire face à cette maladie.
En outre, 58 p. 100 des femmes handicapées ont un revenu annuel inférieur à 10 000 $ et23 p. 100 ont en fait moins de 5 000 $ par an pour vivre. Je ne peux pas comprendre comment elles s'en sortent.
Le risque de pauvreté est beaucoup plus élevé pour les femmes que pour les hommes:18,1 p. 100 des Canadiennes vivent en dessous du seuil de pauvreté alors que 13,4 p. 100 des hommes sont dans cette situation. Il ressort d'une enquête officieuse effectuée auprès des organisations s'occupant du sida à Toronto qu'environ la moitié des femmes qui s'adressent à elles reçoivent l'assistance sociale et beaucoup indiquent également qu'elles sont pauvres ou s'en tirent à peine financièrement.
En plus d'être défavorisées économiquement, les femmes le sont aussi socialement pour ce qui est de vivre dans de bonnes conditions avec cette maladie et il y a également le risque d'infection. Le dernier témoin en a parlé dans une certaine mesure. Environ 50 p. 100 des femmes séropositives sont infectées lors de rapports sexuels sans protection avec un partenaire de sexe masculin. On ne le sait généralement pas et le fait est que, vu leur rapport de force avec leur partenaire, les femmes ne peuvent pas négocier avec eux pour assurer leur protection dans les activités sexuelles.
Cela peut entraîner non seulement une infection, mais également une réinfection, ce qui constitue un double risque pour la femme et affaiblit encore plus son système immunitaire. Mais les femmes ne peuvent pas faire grand-chose contre cela.
Il est également peu connu que les femmes ont biologiquement plus tendance à être infectées que les hommes. D'après les recherches actuelles, la probabilité qu'un homme séropositif transmette le VIH à une femme séronégative est de 22 p. 100 alors que celle d'une transmission à un homme séronégatif par une femme séropositive est de 9,3 p. 100 lorsqu'aucun moyen de protection n'est utilisé pendant une période prolongée.
C'est donc un secteur de la société qui connaît l'une des augmentations les plus fortes de son taux d'infection et qui est l'un des plus défavorisés du point de vue socio-économique pour ce qui est de sa capacité à faire face aux coûts incroyablement élevés qu'il faut assumer pour rester en bonne santé avec cette maladie.
Je vais vous dire quelques mots au sujet de ces coûts. Il est impossible de dire de façon générale combien coûte le fait de vivre avec cette maladie. Cela dépend d'un grand nombre de facteurs, de votre état de santé, de la province où vous habitez, du fait que vous résidiez dans une zone rurale ou urbaine, de savoir si vous êtes membre d'un régime d'assurance privé, de ce que ce régime couvre et des traitements que vous suivez.
Nous savons toutefois certaines choses. Nous savons que, pour rester en bonne santé avec cette maladie, il faut avoir une alimentation saine, avoir une activité physique adéquate, être correctement logé, ne pas subir de stress, recevoir de bons soins médicaux et utiliser des suppléments de vitamines et de minéraux. Il faut utiliser des médicaments prophylactiques pour prévenir les infections opportunistes et des médicaments anti-rétroviraux pour essayer de réduire la charge virale et de préserver votre système immunitaire.
Tout cela coûte très cher. Je vais seulement vous donner des exemples personnels. Je dépense approximativement 350 $ par mois simplement pour les suppléments de vitamines et de minéraux. Je ne reçois aucun remboursement pour cela. Je prends également des médicaments prophylactiques pour deux maladies, les virus de la famille de l'herpès et la pneumonie. Cela me coûte environ 400 $ par mois. Je prends aussi un cocktail anti-rétroviral de trois médicaments qui me coûte 1 130 $ par mois - et je suis, en gros, considérée comme raisonnablement en bonne santé, pour le moment, avec mes 112 cellules CD4.
Je connais par exemple des gens qui ont dépensé 5 000 $ pour un implant oculaire parce qu'elles commençaient à souffrir d'une rétinite à cytomégalovirus, une maladie qui rend aveugle. Personne ne couvre cette opération et, dans le meilleur des cas, son effet ne dure même pas un an.
Pour ce qui est simplement de s'alimenter sainement avec des protéines et des légumes verts frais, cela coûte cher. Un logement satisfaisant coûte cher, tout comme des habits chauds. Notre climat est très mauvais pour nous. Les frais de transport pour les visites chez le médecin peuvent constituer une dépense importante, surtout pour les femmes qui vivent dans des régions rurales et qui doivent parcourir de longs trajets pour recevoir un traitement.
Je n'ai même pas encore parlé des familles, surtout celles où l'enfant ou le conjoint est également atteint. Nous savons qu'il y a beaucoup de familles dans ce cas. J'en connais beaucoup.
Dix pour cent des familles qui vivent avec un revenu inférieur à 20 000 $ ont pour chef de famille une femme seule. Et les frais de garderie pour que ces femmes puissent travailler? En supposant, d'ailleurs, qu'elles puissent se trouver un emploi, puisqu'en plus des problèmes économiques généraux que connaît notre pays, elles subissent une discrimination du fait de leur sexe, de leur situation familiale et de la phobie que suscite le sida, sans parler des coûts qu'entraînent les autres personnes séropositives de la famille. Alors, avec le stress que ces femmes subissent dans leur vie, je suis sincèrement stupéfaite que nous soyons si nombreuses à survivre aussi longtemps.
Quelles sont mes recommandations? J'en ai quelques-unes.
M. Volpe a dit tout à l'heure que nous n'avions pas refusé de renouveler la stratégie nationale sur le sida. Je pense cependant qu'il faut prendre maintenant l'engagement de la renouveler. J'admets que, comme il l'a dit, elle ne se terminera pas avant la fin mars 1998, mais beaucoup de recherches ont été interrompues dans notre pays du fait que les chercheurs hésitent à entamer des projets à long terme. Nous ne voulons pas que les sociétés pharmaceutiques soient les seules à s'en occuper parce qu'elles ne feront de recherches que sur ce qui peut leur rapporter beaucoup d'argent et non pas sur des choses qui seraient nécessairement bonnes pour nous et coûteraient un prix raisonnable.
Je demanderais donc qu'on augmente ce financement et que vous permettiez à ceux d'entre nous qui sont séropositifs et directement concernés de décider comment le gouvernement devrait répartir cet argent. Nous voulons vraiment participer à la résolution de ce problème.
Je vous en prie, ne supprimez pas ou ne réduisez pas les prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada. Nous avons désespérément besoin de cet argent pour vivre.
Nous aimerions que l'on modifie le crédit d'impôt pour invalidité afin de définir de façon moins stricte les «activités de la vie quotidienne». Il faut en fait être capable de s'habiller et de s'alimenter soi-même pour pouvoir obtenir ce crédit d'impôt.
Nous aimerions que les paiements de transfert versés aux provinces pour la santé dépendent de la mesure dans laquelle elles appliquent la Loi canadienne sur la santé, surtout sa disposition concernant l'accès au traitement pour les groupes frappés d'une maladie catastrophique.
Nous aimerions qu'il existe des normes fédérales pour tous les programmes sociaux, comme l'assistance sociale, les centres d'accueil et les garderies ainsi que pour les programmes d'aide aux personnes handicapées. Nous aimerions qu'il existe des normes fédérales en matière de handicap et nous aimerions que le gouvernement fédéral s'engage à établir un programme national de garderie.
Que demanderais-je en tant que citoyenne canadienne? Je demanderais que tous les Canadiens reconnaissent notre responsabilité internationale et nationale envers toutes les personnes atteintes du sida - hommes, femmes et enfants. Qu'ils reconnaissent que cette maladie peut frapper n'importe qui au Canada et que les personnes qui en sont atteintes ont droit au même traitement que tout autre groupe de personnes souffrant d'une maladie terminale catastrophique. Nous avons droit au moins à cela.
Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup. Je vous ai accordé un peu plus de temps.
Mme Binder: Merci.
Le président: Je vais maintenant ouvrir la période de questions. Comme vous le savez, nous risquons de manquer de temps et je demanderai donc à ceux qui posent des questions de ne pas l'oublier et je demanderai bien sûr aux témoins de ne pas l'oublier non plus.
Monsieur Dubé.
[Français]
M. Dubé: Merci. J'ai une seule question qui s'adresse à Mme Villeneuve, qui va démontrer mon manque de connaissances dans le domaine.
Vous avez parlé de «séronégativité». Cela m'a frappé. Qu'entendez-vous par là? On comprend ce que veut dire être séropositif. Mais être séronégatif, qu'est-ce que c'est?
Mme Villeneuve: Les enfants de mère séropositive doivent passer un test dès leur naissance, pour vérifier si le VIH de leur mère leur a été transmis. Lorsque le test est négatif, ils sont diagnostiqués séronégatifs.
M. Dubé: Ils ne sont donc pas porteurs.
Mme Villeneuve: C'est cela.
M. Dubé: Ensuite, vous avez parlez des pays du modèle II. Je me doute du sens de votre réponse, mais je veux en être certain.
Mme Villeneuve: Ce sont les pays dans lesquels le mode de transmission hétérosexuel domine, c'est-à-dire les pays africains ou Haïti. J'ai parlé des femmes de culture ethnique différente qui proviennent de ces pays, qu'on désigne par l'appellation pays de modèle II.
M. Dubé: Justement, certaines personnes disent que le sida, dans ces pays, serait différent. Est-ce le même sida qui existe en Afrique? Peut-être me suis-je laissé influencer par des gens qui ne connaissaient pas bien la question mais, dans les débuts, on nous disait qu'il s'agissait d'une maladie différente en Afrique.
Mme Villeneuve: Remarquez bien que ce n'est pas ma spécialité; je suis travailleuse sociale et non chercheure médicale. Mais c'est un fait qu'il y a plusieurs types de virus. Il semblerait que le VIH-2 serait prédominant dans les pays africains alors qu'en Amérique du Nord on retrouverait surtout le VIH de type 1.
Il semblerait qu'il y ait une différence entre les deux. En particulier, concernant le VIH-2, des données semblent indiquer que l'occurrence de la transmission de la mère à l'enfant soit moins fréquente. De même, les personnes atteintes du VIH-2 vivraient plus longtemps. Mais je ne pourrais pas vous confirmer cela.
M. Dubé: Les deux autres témoins ont peut-être été sécurisés par les propos de M. Volpe sur un aspect dont ils avaient traité. Mais il y a un autre aspect dont il faut parler, l'aspect financier.
Il y a quand même la réalité que vivent les provinces. Depuis ce que le gouvernement fédéral a appelé le Transfert social canadien, qui est constitué de trois fonds mis ensemble, le fonds pour la santé, le fonds pour l'éducation postsecondaire et le fonds pour l'aide sociale...
L'autre jour, j'assistais à la réunion du Comité des finances, où certains groupes affirmaient que le domaine de la santé était celui qui avait écopé le plus dans la plupart des provinces, et que les gouvernements provinciaux, en établissant leurs choix, obéissaient à certaines pressions. Ce sont les soins curatifs qui auraient subi les conséquences les plus importantes.
Étant de l'opposition, j'ai un rôle plus facile à cet égard. Mais je ne voudrais pas profiter et abuser de ce rôle de membre de l'opposition pour me livrer à un jeu politique ou démagogique. Le sujet est trop important. Il n'en reste pas moins que cette baisse du financement dans les soins dispensés à la population me préoccupe beaucoup en tant que membre du Comité de la santé. Je ne peux pas faire autrement. Ce n'est pas tellement une question que je pose qu'un commentaire que je fais afin d'approuver et de vous appuyer dans vos efforts.
Ces groupes sont venus dire au Comité des finances qu'il fallait absolument empêcher qu'on aille plus loin, qu'on en reste au moins au niveau actuel. Les coupures pour le Québec étaient de l'ordre de 2 milliards de dollars pour l'ensemble des trois fonds. Il faut s'arrêter là. Je voulais vous donner l'occasion d'influencer nos collègues du parti au pouvoir sur ce sujet. Je ne sais pas si vous voulez donner plus d'explications.
[Traduction]
Le président: Un des témoins veut-il répondre?
[Français]
Mme Villeneuve: Il est certain qu'on veut recevoir plus d'argent.
M. Dubé: Je suis encore au Comité des finances et je suis un ancien membre du Comité du développement des ressources humaines. Je ne voudrais pas lancer de chiffre en l'air, mais il ne faut pas sous-estimer les déductions ou crédits d'impôt que le gouvernement fédéral consent déjà et, par le fait même, les provinces aussi. C'est une forme d'aide moins visible, mais qui est quand même importante.
Si on supprime la Caisse d'assurance-chômage, si on supprime les dépenses reliées à l'administration, il reste, sur le plan des crédits d'impôt, les dons de charité, les déductions d'impôt et les déductions pour la recherche qui représentent presque l'équivalent des dépenses du gouvernement fédéral.
Si on veut supprimer les déductions, il faudra aussi une limite. Je pense, cependant, que c'est plus facile à vendre politiquement parce que les gens ne veulent absolument pas d'augmentation de taxes. C'est une idée qu'on peut exploiter parce que cette action étant moins visible, la réaction des contribuables est moins forte. Vous avez raison de parler de cela.
Je pourrais poser d'autres questions mais, comme l'heure avance, je cède la parole à mes collègues. Merci de votre présentation, qui était touchante et importante. Je sais que les députés de l'opposition qui sont membres des Comités de la santé et du développement des ressources humaines y sont très sensibles. J'en suis témoin à tous les jours. Ils sont parmi les députés les plus positifs à l'égard de vos revendications. Le problème est qu'il faut développer des arguments supplémentaires. Il faut convaincre nos collègues respectifs qui, malheureusement, ne sont pas là.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup.
Avant de nous lancer dans une discussion, monsieur Hill, c'est à vous.
M. Hill: Debra McLeod, vous avez parlé avec éloquence de la violence familiale. Vous en avez décrit la dynamique typique. Vous n'avez toutefois pas parlé de ce que nous devrions faire maintenant. Vous avez parlé des lois qui ont été modifiées et qui ne sont pas efficaces. Vous qui voyez ces situations de près, que pensez-vous que nous devrions faire en tant que législateurs?
Mme McLeod: Pour aborder plus efficacement la violence familiale?
M. Hill: Prenez n'importe quel aspect du scénario que vous avez décrit et dites-nous ce qui pourrait améliorer les choses.
Mme McLeod: D'accord. Je voudrais parler de deux éléments.
Je vous donnerai l'exemple d'une des femmes avec qui j'ai travaillé et qui m'a fait découvrir cette dynamique pour la première fois. Elle vivait avec un partenaire violent. Elle avait appelé la police. Aucune mesure n'avait été prise. C'était avant qu'il devienne obligatoire de porter des accusations. Elle avait trop peur pour maintenir sa plainte. Il la battait encore quand la mise en accusation est devenue obligatoire. Des accusations ont été portées contre lui. Deux jours plus tard, il a enfreint l'interdiction de s'approcher d'elle et il l'a attaquée de nouveau. Elle a appelé la police. La police est arrivée et l'a arrêté à nouveau. Il a à nouveau comparu devant le juge de paix et a été libéré à nouveau. Il a contrevenu 13 fois de suite aux restrictions qui lui avaient été imposées et il a été libéré sans passer un seul jour en prison. Le message que cette femme en a retiré était très clair: le système judiciaire ne peut rien faire pour m'aider.
Elle a alors commencé à consommer de la cocaïne avec son partenaire. Et si j'avais été à sa place, j'aurais probablement utilisé moi aussi n'importe quel produit psychotrope pour survivre à cette relation. Il est arrivé que des témoins appellent la police parce qu'il l'attaquait dans la rue devant sa maison sous les yeux de ses enfants. Un agent de police est en fait arrivé sur les lieux à temps pour assister à l'agression. Des accusations ont été portées contre cet homme, il a été libéré à nouveau.
Je ne sais pas ce qu'il faut parfois pour convaincre les juges de paix de la dynamique de la violence familiale. Il n'existe actuellement aucune disposition relative à la formation au sujet de cette dynamique, de l'évaluation de la menace et des échelles de létalité.
M. Hill: C'est donc nécessaire.
Mme McLeod: C'est absolument nécessaire.
M. Hill: Des peines obligatoires pour ce genre de...
Mme McLeod: Non seulement des peines obligatoires, mais si quelqu'un est arrêté et qu'on lui impose des conditions... Disons que je suis son partenaire, l'agresseur. Je l'attaque; après mon arrestation, on m'interdit de m'approcher d'elle; je signe et j'en prends acte. Aussitôt après, je contreviens à cette injonction, je l'attaque à nouveau, je la menace, je la poursuis - tout ce que vous voulez. On m'arrête à nouveau et je me retrouve en liberté après avoir signé un autre morceau de papier. Cela n'a eu absolument aucune conséquence pour moi.
Le message que j'en retire en tant qu'agresseur est très clair: dans neuf mois, je passerai devant le tribunal, et alors? Si, pendant cette période, je peux la convaincre qu'il est plus dangereux pour elle de maintenir sa plainte ou de témoigner contre moi, j'ai de bonnes chances de m'en tirer.
M. Hill: Sans aller plus loin - je suis sûr que vous pourriez aller plus loin...
Mme McLeod: Excusez-moi, je me laisse emporter quand j'aborde ce sujet.
M. Hill: [Inaudible] ... pour cela demain, donc vous pourriez tout aussi bien présenter toutes les preuves que vous avez.
Si vous me le permettez, je dirai à Louise Binder, que je l'admire de raconter son histoire avec tant de courage. J'aimerais vous le faire savoir directement.
Vous avez dit que les cas de femmes atteintes du sida ne sont pas tous signalés.
Mme Binder: Oui.
M. Hill: Vous voulez sans doute dire dans le monde entier.
Mme Binder: Dans le monde entier et au Canada. Dans le monde entier, oui; et particulièrement au Canada - particulièrement en Amérique du Nord.
M. Hill: J'ai du mal à comprendre cela parce que, à ma connaissance, si le résultat d'un test est positif, il est enregistré. Cela se fait automatiquement. Tous les laboratoires du Canada sont reliés au système de déclaration.
Mme Binder: C'est exact.
M. Hill: Donc, si vous savez que vous êtes séropositive, comment cela peut-il ne pas être signalé dans notre société avec ses bons ordinateurs?
Mme Binder: Eh bien, en fait, il y a de nombreuses femmes qui ne savent pas qu'elles sont séropositives.
M. Hill: D'accord; c'est donc le problème, elles ne le savent pas.
Mme Binder: C'est exact. J'ai été séropositive pendant peut-être sept ans et je n'en avais aucune idée.
M. Hill: Mais vous ne voulez pas dire que celles qui le savent ne sont pas signalées.
Mme Binder: Non. Tous les cas sont signalés mais, à ma connaissance, souvent avec beaucoup de retard; cela se fait très lentement. Et certains cas ne sont certainement pas signalés parce qu'il y a de nombreuses femmes atteintes de ce virus qui ne le savent pas elles-mêmes.
M. Hill: D'accord, c'est bien. Je comprends ce que vous vouliez dire. Merci.
Mme McLeod: Puis-je ajouter quelque chose? Je sais qu'on se trompe souvent sur la nature des symptômes des femmes - pour les mycoses et toutes sortes d'autres symptômes. Il y a des symptômes très classiques que les médecins traitent chez les femmes. Et bien souvent, une femme - surtout une femme mariée censée vivre dans une relation monogame - ne penserait jamais à se soumettre à un test de sida. Comment en vient-on là?
M. Hill: Il y a d'autres raisons. Bien entendu, on ne veut pas faire ce diagnostic. Il y a d'autres raisons sociétales de ne pas examiner cela de plus près. Mais c'est une autre question.
Mme Binder: Mais c'est une question importante pour les femmes, parce que nous ne voulons pas que nos médecins soient paternalistes avec nous. Nous voulons qu'ils trouvent ce dont nous souffrons.
Mais vous avez tout à fait raison. Quand vous dites à une femme comme moi de se soumettre à un test de VIH, vous n'êtes pas seulement en train de lui dire qu'elle est peut-être très malade mais également que, peut-être, elle a ou a eu des rapports avec des gens qui ne se souciaient pas d'elle, qui ne se souciaient pas assez de sa santé pour la protéger. Plus particulièrement quand une femme a encore le même partenaire et qu'elle dépend économiquement de lui, quel sera l'effet de cette nouvelle sur elle? Elle ne pourra probablement pas se séparer de ce partenaire, de toute façon. Elle sera avec quelqu'un avec qui elle n'a aucun moyen de négocier la possibilité de ne pas être infectée à nouveau par lui et elle ne pourra pas le quitter pour des raisons économiques, si bien que vous lui donnez une information à propos de laquelle elle ne pourra pas faire grand-chose et qui la démoralisera et détruira tout son monde. Mais les médecins ne doivent pas se laisser arrêter par cela.
Le président: Monsieur Volpe, madame Ur.
M. Volpe: Je n'ai pas de commentaire à faire. J'ai trouvé ces exposés extrêmement instructifs. Bien entendu, il n'est pas difficile d'être touché émotivement par les histoires que vous racontez, parce qu'elles présentent un aspect de la société que nous avons tendance à ne pas regarder et que nous ne voulons pas accepter. Je suis d'accord à cet égard.
Dans ce contexte, la seule personne qui peut, en fait, faire réaliser un test en cas de VIH est la femme elle-même qui doit demander au médecin de le faire. Ce n'est pas le docteur qui va lui dire qu'elle devrait subir ce test. Je comprends bien que la femme doit surmonter un gros obstacle, mais elle devra néanmoins demander ce test. Est-ce que je me trompe?
Mme Binder: Je pense que vous vous trompez, sans vouloir vous offenser. Elle pourrait fort bien aller voir le médecin et lui dire qu'elle pense avoir été exposée à un risque et qu'elle aimerait être testée. Par contre, permettez-moi de vous dire à nouveau ce qui m'est arrivé. C'est l'exemple que je connais le mieux.
Pendant six ans, j'ai signalé à mon médecin des mycoses vaginales chroniques, des problèmes dans le bas-ventre, toutes sortes de choses qui, c'est vrai, pourraient être des symptômes d'autres maladies, mais nous avons exclu ces différentes possibilités. Au bout de six ans, on a épuisé la liste de ces maladies possibles, mais ce médecin, une femme, n'a jamais même seulement suggéré la possibilité d'un test de VIH. Si cela avait été n'importe quoi d'autre que le VIH... Elle m'a fait passer des tests pour des ulcères, pour 95 millions d'autres choses.
Je pense que les médecins ont une responsabilité; après avoir examiné comme il se doit les autres causes médicales potentielles, ils doivent dire que ce sont aussi des symptômes du VIH et qu'ils sont prêts à vous faire subir un test si vous êtes d'accord. Ils devraient apprendre quoi dire aux patients avant et après le test. Ce qu'elle m'a dit avant le test était: «Je ne pense pas que vous l'avez - la probabilité est de deux pour cent - , mais si vous le voulez, je vais le faire». Après le test, elle m'a appelée au téléphone à la maison, pendant les vacances de Noël, pour me dire que j'étais séropositive.
Appelleriez-vous quelqu'un au téléphone pour lui dire qu'il a le cancer, la leucémie ou la tuberculose? Absolument pas. Elle ne savait pas ce qu'il allait advenir de moi. J'aurais pu me suicider. Je ne joue pas un mélodrame. J'aurais facilement pu me prendre la vie à ce moment-là.
Les médecins ont donc une grande responsabilité à cet égard et je pense qu'ils doivent être proactifs et non pas se contenter de réagir. Ce n'est pas moi qui sais que ce sont des symptômes du sida. Il est évident que je ne le savais pas et que j'y ai seulement pensé quand toutes les autres possibilités ont été éliminées. Mais je pense que les médecins devraient être proactifs dans ce domaine.
M. Volpe: Merci.
Le président: Madame Ur.
Mme Ur (Lambton - Middlesex): Je voudrais aussi commenter votre exposé, Louise. C'est un exposé impressionnant et qui a dû beaucoup vous coûter. J'ai beaucoup appris en vous entendant nous raconter ici aujourd'hui ce qui vous est arrivé.
Ma question est la suivante. Nous dépensons constamment de l'argent pour financer la stratégie sur le sida et l'éducation. Il est évident que cela ne sert à rien. Que peut-on faire autrement Comment peut-on s'attaquer à cela de façon différente?
Mme Binder: Une fois que vous aurez annoncé la stratégie, invitez-moi à venir vous aider à partager le gâteau...
Mme Ur: La stratégie de marketing - vous savez combien d'argent a été consacré à l'éducation et au reste. De multiples groupes qui sont venus ici ont fait toutes sortes de choses merveilleuses et ont édité ces merveilleuses brochures, mais le nombre de cas ne cesse d'augmenter.
Mme Binder: Oui et non. Je pense que, chez les hommes homosexuels, on commence à atteindre un plateau. J'espère qu'il n'y aura pas une deuxième vague avec une nouvelle génération d'homosexuels. J'espère que ce qui est arrivé à la dernière génération leur aura donné une leçon.
Le problème est que les groupes qu'on n'a pas réellement ciblés sont ceux chez lesquels cette maladie est en augmentation, y compris les femmes. On n'a, franchement, pas beaucoup cherché à sensibiliser les femmes dans ce domaine. Je le fais en allant moi-même essayer de les sensibiliser dans des tribunes publiques chaque fois que les gens sont prêts à me faire venir et à parler avec moi, mais je pense que nous devrions peut-être tenir compte des changements démographiques en ce qui concerne cette maladie et repenser l'usage que nous faisons de l'argent consacré à la sensibilisation.
En ce qui concerne les femmes, par exemple, il faut les sensibiliser là où elles se réunissent, dans les centres d'accueil et les autres endroits où elles se retrouvent. Nous n'avons pas vraiment mis l'accent sur cela. C'est une réponse plutôt simpliste. J'aurais besoin de plus longtemps pour vous aider à ce sujet, mais je pense que c'est vraiment le problème.
Mme Ur: Merci.
Mme Villeneuve: Puis-je ajouter quelque chose? Je pense que ce que Mme Binder voulait dire en fait est que les nouveaux visages du sida maintenant... Il s'agit de la toxicomanie et des femmes qui souffrent de divers problèmes. Il s'agit du fait que le VIH est un problème supplémentaire à régler en plus de la pauvreté, de la violence, de la toxicomanie.
Jusqu'à présent, nous avons ciblé un groupe de personnes séropositives qui était fondamentalement homogène. C'était les hommes blancs, instruits, vivant dans un secteur géographique limité. La plupart des grandes villes ont une communauté homosexuelle bien structurée et bien organisée. Nous avons maintenant plusieurs sortes de clientèles et il faut se pencher sur les principaux problèmes auxquels elles doivent faire face et y ajouter le VIH. Cela veut dire qu'il faut donner la meilleure formation possible aux femmes dans les centres d'accueil et fournir aux femmes des communautés ethnoculturelles tous les renseignements sur le VIH dont elles ont besoin. Dans tous les centres de traitement de toxicomanes, il faut aider les spécialistes à ajouter le VIH à ce qu'ils enseignent. Je pense que c'est la nouvelle réalité d'aujourd'hui.
Le président: Merci beaucoup. Je voudrais profiter de cette occasion pour remercier les témoins.
Monsieur Volpe, vous aviez encore une question, n'est-ce pas?
M. Volpe: Je sais qu'il faut que nous allions voter, mais je voulais demander quelque chose à un témoin ou à tous les trois, maintenant que vous avez parlé d'un nouveau secteur de la société qui est exposé à ce risque, question qui n'avait pas été abordée dans les stratégies ou les études précédentes sur le sida.
Dans une réunion antérieure, le comité a appris que l'incidence du VIH/SIDA au Canada se répartissait de la façon suivante - la mémoire me fait peut-être défaut; je crois dire juste à un ou deux pour cent près - environ 72 p. 100 de tous les cas de VIH/SIDA concernaient des hommes homosexuels et, si on inclut les bisexuels, le chiffre était de 78 p. 100. L'incidence la plus élevée, environ 78 p. 100, concerne les hommes homosexuels et bisexuels. Le pourcentage attribuable à l'injection de drogue se situait, je crois, autour de sept pour cent; je me trompe peut-être.
D'après les chiffres comparables pour les États-Unis, 42 p. 100 seulement - et cela représente une diminution du nombre de nouveaux cas de VIH/SIDA depuis 1992 ou 1993 - pouvaient être attribués à un comportement homosexuel ou bisexuel et les autres auraient été causés par l'injection de drogue.
Nous avons demandé qu'on vérifie certains de ces chiffres parce que la différence paraissait plutôt grande, mais si ces chiffres de 72 p. 100 à 78 p. 100 correspondent plus ou moins à la réalité, ne risquons-nous pas de commettre un excès de zèle en semant l'inquiétude dans un secteur de la société qui n'a pas à s'inquiéter pour le moment?
Mme Villeneuve: La société tout entière est en danger. Mme Binder en est le meilleur exemple. Nous sommes tous en danger.
Mme McLeod: Nous devons les amener à s'en inquiéter.
Mme Villeneuve: Oui.
Mme McLeod: Je suis désolée de vous interrompre.
Mme Villeneuve: Non, allez-y.
Mme McLeod: Je voulais dire qu'une grande parie de la stratégie de sensibilisation au sida a donné de bons résultats. Il y a cinq ans, j'ai eu l'occasion de vivre avec un groupe de jeunes femmes qui avaient entre 17 et 20 ans. Elles étaient actives sexuellement depuis sans doute six à huit ans. Aucune de ces femmes - il y en avait une quarantaine, et nous avons parlé ouvertement de cette question - n'avait eu le moindre rapport sexuel sans utiliser un préservatif, ce qui me paraît indiquer que, dans leurs écoles, le programme de sensibilisation - qui était leur source d'information - avait donné d'excellents résultats. C'est une partie de leur culture et de leur monde qui est maintenant automatique pour elles.
Il y a, toutefois, d'autres populations que nous ne touchons pas. Nous ne touchons pas les femmes dans la trentaine et la quarantaine, les femmes monogames, les femmes qui ont un partenaire violent, les toxicomanes, les immigrantes...
Mme Villeneuve: Alcool. Consommer de l'alcool est dangereux. On perd alors tout sens des responsabilités et tout bon sens et on se retrouve, sans protection...
Mme Binder: Je ne ferais pas trop confiance à ces chiffres parce que, ne l'oublions pas, les femmes sont généralement diagnostiquées quand la maladie est beaucoup plus avancée que chez les hommes. Je pense donc que, malheureusement, il y a en fait beaucoup plus de femmes qu'on le croit qui sont séropositives mais n'en sont pas encore conscientes. Le diagnostic n'est souvent établi que lorsque la maladie s'est déclarée, ce qui peut prendre entre sept et dix ans.
Je me méfierais donc de ces chiffres. Ils étaient justes il y a sept ou dix ans, en quelque sorte. Je pense qu'ils ne sont plus vraiment justes maintenant.
M. Volpe: Merci. Je voulais connaître votre réaction. Je suis heureux que vous m'en ayez fait part.
Le président: Donnez au secrétaire parlementaire autant de travail que vous pouvez. Mettez-le à contribution. Merci beaucoup pour vos exposés mûrement réfléchis.
La séance est levée.