[Enregistrement électronique]
Le mercredi 9 octobre 1996
[Traduction]
Le président: Je crois qu'il est temps de déclarer la séance ouverte. Nous sommes désolés de commencer un peu en retard, nous avions espéré être ici un peu plus tôt, mais il n'est pas toujours très facile de quitter la Chambre à la période des questions.
Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui des représentants de l'ACDI et d'autres intervenants qui ont participé au Programme d'appui aux initiatives régionales. Nous voulions savoir ce que fait l'ACDI dans ce domaine. Nous étions heureux d'apprendre que nous aurions la possibilité d'entendre des commentaires sur les travaux accomplis à ce chapitre.
Nous entendrons une délégation très nombreuse aujourd'hui. Commençons par le représentant de l'ACDI, M. Bédard, qui pourrait peut-être nous présenter les autres membres de la délégation.
M. Jacques Bédard (directeur régional adjoint, Programme d'Amérique centrale, Agence canadienne de développement international): Merci beaucoup, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, c'est un honneur pour nous d'accueillir au Canada aujourd'hui les représentants des cinq pays d'Amérique centrale où l'ACDI est présente. Ils font partie de ce que nous appelons notre comité consultatif sur le projet d'intégration économique que mène l'ACDI en Amérique centrale. Malheureusement, l'un des représentants est malade et ne peut être avec nous aujourd'hui.
Avec votre permission, monsieur le président, je vais vous présenter ces amis de l'Amérique centrale qui sont ici pour nous aider et nous conseiller sur la façon d'aborder la question de l'intégration économique en Amérique centrale.
Je commencerai par notre principal porte-parole, le père Xabier Gorostiaga, du Nicaragua. Je ne vous donnerai pas son curriculum vitae au complet, car je ne le connais pas, mais je peux vous dire qu'il dirige une université au Nicaragua.
Nous avons ensuite M. Aitkenhead Castillo, du Guatemala. Il s'occupe activement de tout ce qui a trait aux accords de paix dans ce pays.
Ensuite, je vous présente Mme Mirna Lievano De Marquez, qui est du Salvador.
Mme Irma Acosta De Fortin, elle, est du Honduras.
Nous accueillons également M. Carlos Manuel Echeverria de l'Amérique centrale, qui est le directeur régional de notre projet au Costa Rica. Il est accompagné de M. André Carrier et deMme Jocelyne LaForce, tous deux représentants de SOGEMA, notre firme d'experts-conseils qui assure la réalisation du projet en Amérique centrale de concert avec M. Echeverria.
Voilà une présentation très brève mais qui, je crois, vous permet de voir que nous sommes bien représentés ici par tous les pays d'Amérique centrale, si vous le remarquez, sauf le Mexique, qui ne fait pas vraiment partie de l'Amérique centrale, et Panama.
Le président: Merci beaucoup. Qui veut faire la déclaration préliminaire?
M. André Carrier (directeur de projet, CRC SOGEMA): Merci beaucoup de nous accueillir à votre comité aujourd'hui.
Pour mieux vous situer, je dois dire que cette délégation est en visite au Canada pour vous faire part de l'expérience et de l'expertise de chacun des membres de notre comité consultatif sur l'intégration régionale en Amérique centrale. L'intégration régionale constitue un volet très important du programme PAR, lequel vise justement à faciliter le processus d'intégration régionale principalement au chapitre de l'organisation économique assortie d'un volet d'équité sociale.
Brièvement, ce programme de l'ACDI comporte un budget de 10 millions de dollars canadiens prévu pour la mise en oeuvre de 10 à 20 projets qui devraient permettre d'appuyer des initiatives régionales au chapitre de la modernisation économique assortie d'un volet d'équité sociale.
Depuis le début de l'année, trois projets ont été mis en oeuvre, et trois nouveaux le seront sous peu après un deuxième appel d'offres. Cela veut dire que le programme PAR aura presque atteint la moitié de son développement. Jusqu'à maintenant, ces projets ont favorisé la création de partenariats très intéressants avec des organisations canadiennes.
Chaque projet doit être réalisé non seulement sous la direction d'une entité régionale de l'Amérique centrale, mais toujours avec l'appui d'une organisation canadienne. Cela signifie donc que les trois projets, et sous peu les six projets bénéficieront du soutien de six organisations canadiennes très différentes.
Je vais m'arrêter ici et demander au père Gorostiaga de nous faire part de renseignements, d'observations et de commentaires sur la vision de nos membres concernant cette intégration régionale qui se fait actuellement en Amérique centrale.
Le révérend Xabier Gorostiaga, S.J. (recteur, Université de l'Amérique centrale, et président, Centre de recherches économiques et sociales pour l'Amérique centrale et les Caraïbes): Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de votre gentille invitation. Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui.
Permettez-moi d'abord de vous expliquer les caractéristiques de ce projet, du point de vue de notre centre.
Je crois que nous sommes une région en transition, une région qui est passée d'une situation de guerre, d'une situation de polarisation à un processus d'intégration qui n'est pas facile.
Ce projet comporte trois caractéristiques que je considère comme uniques à maints égards. En effet, nous essayons d'établir un lien entre les nouveaux acteurs de la société civile, les institutions régionales, les gouvernements, ainsi que les acteurs les plus officiels de nos sociétés.
Nous essayons de remplacer le chaînon manquant dans la naissance de la démocratie et du développement. Ce manque d'interconnexion entre la majorité de la population, qui est très pauvre et aux prises avec un taux de chômage très élevé, et les institutions, le gouvernement et les acteurs les plus actifs de la société... ce lien qui manque est un facteur essentiel du projet.
Le deuxième élément que je considère important, c'est que ce projet est réalisé en collaboration avec des consortiums nationaux au sein desquels nous pouvons faire profiter des coopératives de paysans, des producteurs paysans indépendants, des fonds disponibles et, plus important encore, encourager des producteurs aux niveaux intérieur et régional. Nous avons des projets précis à cet égard.
C'est probablement l'un des premiers projets qui tente d'établir des consortiums avec des intervenants canadiens. Par exemple, nous avons eu une réunion très productive hier avec le CREECQ sur la façon de transférer les connaissances, le savoir-faire et la technologie entre une institution canadienne et nos universités et instituts techniques.
Je crois que l'idée de la création d'un consortium de la société civile en Amérique centrale avec le Canada est un aspect clé du projet. Au moment où l'aide canadienne diminue, nous pouvons améliorer la qualité de la coopération. La quantité d'aide est extrêmement importante pour une région détruite et aux prises avec un manque criant de capitaux. Mais nous estimons que l'apport de ces nouvelles forces dynamiques provenant de la société civile canadienne pourrait être un aspect clé. Je pense que votre comité peut nous aider beaucoup parce que vous vous souciez du développement humain durable.
Le troisième aspect, c'est qu'il s'agit d'un projet régional. Nous ne sommes pas ici en tant que citoyens de chaque pays d'Amérique centrale, mais en tant que groupe d'amis qui veulent faciliter l'émergence d'une nouvelle intégration en Amérique centrale.
Nous avons entrepris nos efforts en 1960. Notre projet était le premier projet régional en Amérique latine. Notre projet a débuté pratiquement en même temps que le projet d'intégration européenne; cependant, la guerre froide en Amérique centrale a mis un frein au processus d'intégration. Comment pouvons-nous ranimer ce processus? Il nous faut reconstruire les vieilles institutions plutôt qu'en établir de nouvelles. Comment pouvons-nous utiliser les mécanismes établis et fort efficaces dans le domaine économique depuis plus de 20 ans?
Permettez-moi de vous rappeler que de 1958 à 1978, notre région était celle qui jouissait du taux de croissance le plus élevé au monde. En ce sens, notre situation était semblable à celle de Taïwan et de Singapour. Nous avons connu un taux annuel de croissance de 6 p. 100 pendant 20 ans.
L'Amérique centrale, ce n'est pas la Somalie, ce n'est pas une région sans ressources. Non, c'est une région qui était prospère. Cependant, notre niveau de croissance actuel est de 70 p. 100 inférieur au seuil de pauvreté.
La façon dont nous exploitons le potentiel de la région, son emplacement stratégique entre le nord et le sud du continent - élément crucial pour l'ALENA, crucial pour le Canada et en même temps le pont naturel entre l'Est et l'Ouest, entre le Pacifique et l'Atlantique - la façon dont nous repensons le rôle de la région à la fin du siècle, voilà un des éléments clés du projet.
Enfin, je crois que nous devons accorder plus d'importance à la nouvelle génération. Notre région est l'une des plus jeunes au monde. Il faut penser à la nouvelle génération, il faut penser aux peuples autochtones tout en accordant une priorité particulière à l'épanouissement des femmes.
Je crois que ce sont là toutes des questions qui intéressent votre comité. Nous vous remercions beaucoup de nous avoir donné la possibilité de nous adresser à vous.
Le président: Merci beaucoup de ces observations qui ont été très utiles. Comme vous l'avez dit, nous nous intéressons depuis longtemps à votre région et, bien sûr, beaucoup d'entre nous accueillons ici des gens de cette région qui connaissent les nombreux problèmes qui y existent.
Quelqu'un d'autre voudrait-il faire un exposé maintenant? Ou pouvons-nous passer directement à la période des questions? À vous de choisir.
Quelqu'un veut-il poser une question?
[Français]
Mme Debien (Laval-Est): Bienvenue à tous et merci d'avoir accepté de participer à nos débats.
On sait que l'Amérique centrale, qui était hier une terre d'élection des régimes militaires, est actuellement formée de petits États qui font l'apprentissage de la démocratie dans des conditions économiques très difficiles, ce que votre comité consultatif cherche à améliorer, je pense.
Il y a une question qui me préoccupe particulièrement, mais elle viendra peut-être dans un deuxième temps. Dans un premier temps, je dirais que le père Gorostiaga a donné un aperçu assez global et assez général du programme PAR. J'aimerais, pour ma compréhension personnelle et pour celle d'un certain nombre de membres du comité, je pense, savoir concrètement ce que vous faites. Qu'est-ce que vous faites concrètement, sur le terrain? Je relisais le programme de l'ACDI et le programme PAR. Ce sont de grandes idées, de grands principes, de grands objectifs, mais concrètement, sur le terrain, qu'est-ce que vous faites? Qu'est-ce que ce programme donne? Quelles sont les réalisations concrètes? Qui est-ce que ça implique?
Vous avez parlé tantôt de l'importance à accorder à la très jeune génération et aux femmes. Quelle est la participation des femmes aux projets que vous mettez sur pied? J'aimerais avoir un portrait, un éventail concret de ce que vous faites sur le terrain, dans la région de l'Amérique centrale.
Ma deuxième question n'a pas nécessairement trait à la précédente. On sait qu'il y a eu des programmes et des politiques d'ajustement structurel qui ont été imposés par le FMI dans la plupart des pays que vous représentez. On sait aussi qu'il y a eu des coûts sociaux énormes qui ont été liés à l'abandon des anciens modèles de développement. Ceci m'amène à parler évidemment de toute la question de la pauvreté, de toute la question de l'«indianité», et également de la question de la drogue, parce qu'on sait, et je pense qu'on ne doit pas se le cacher, que l'Amérique centrale est une région particulièrement propice à la culture de la drogue.
Je voudrais dire que je ne mets pas le blâme sur l'Amérique centrale quant à la drogue, car il faudrait aussi s'attaquer à la demande dans les pays du Nord, aux États-Unis, dans les pays de l'Europe. Je pense qu'il y a deux facettes à la problématique de la drogue. Il y a une problématique du côté du producteur et une problématique du côté des consommateurs. Je pense qu'on a chacun notre rôle à jouer là-dedans. Par chacun, j'entends les États.
Globalement, ce sont un peu les questions que je voulais vous poser. Mais je considère ma première question comme la plus importante: concrètement, qu'est-ce qui se passe dans le cas de vos projets?
M. Carrier: Monsieur le président, si vous le permettez, nous allons demander à notre directeur régional de faire une brève présentation des projets actuellement développés et des projets en voie d'être mis en place, ce qui donne six projets. Nous allons essayer de vous faire une brève synthèse en quelques minutes.
[Traduction]
M. Carlos Manuel Echeverria (directeur régional, Programme PAR, Costa Rica, CRC SOGEMA): Merci beaucoup, monsieur le président, et mesdames et messieurs les députés.
Je vais essayer de vous expliquer très brièvement les projets que nous finançons dans le moment, et ceux pour lesquels nous signerons des contrats très bientôt. Mais permettez-moi d'abord de vous donner un très bref aperçu de nos structures.
Premièrement, je souligne à nouveau le caractère régional du projet réalisé dans le cadre du programme PAR. Le Canada croit fermement qu'il faut appuyer l'engagement des présidents et des parlements de l'Amérique centrale à l'égard de la régionalisation. L'Amérique centrale déploie de nombreux efforts pour promouvoir une plus grande intégration régionale afin d'être plus concurrentielle et de régler plus facilement les problèmes sociaux et économiques qu'elle connaît, en ayant recours aux économies d'échelle.
À tous les égards, ce projet doit être assorti d'un transfert de technologie canadienne. Il s'agit d'un programme qui vise à intéresser une institution canadienne privée ou publique - ou un groupe d'institutions réunies en consortium - à chaque projet réalisé en Amérique centrale. Il y a donc ici un élément stratégique qui est en cause.
Bien sûr, l'égalité des sexes et les considérations environnementales sont deux éléments clés de tous les projets financés dans le cadre de ce programme. Il s'agit là d'un des outils les plus importants qu'utilise le Canada pour promouvoir l'intégration régionale.
Actuellement, nous avons approuvé trois projets qui sont déjà en marche. Le premier fait appel à la participation de la Fédération des chambres industrielles de l'Amérique centrale dont 90 p. 100 des membres sont de petites et moyennes entreprises.
Le président: Excusez-moi un instant. Ces projets sont-ils décrits dans la brochure?
M. Echeverria: Oui, monsieur.
Une voix: Mais très brièvement.
M. Echeverria: Très brièvement.
Le président: Je tiens seulement à signaler aux membres du...
M. Echeverria: Je ne vais pas me reporter à tout le document, ce serait trop long, je vais tenter seulement de vous donner un très bref aperçu.
La Fédération des chambres privées d'Amérique centrale, qui réunit environ... Je dois dire, les entreprises industrielles d'Amérique centrale, qui sont en majorité - 90 p. 100 - des petites et moyennes entreprises... en Amérique centrale, une entreprise moyenne compte entre 20 et 100 employés, une petite, de 5 à 20, et la micro-entreprise, 5 employés ou moins.
Ce programme est réalisé en partenariat avec l'APRO, l'Association des organisations provinciales de recherche du Canada, qui compte des filiales et des membres associés dans toutes les provinces canadiennes. Le but est d'établir un réseau semblable à celui de l'APRO en Amérique centrale afin d'aider les entreprises de cette région à se moderniser. Nous prévoyons atteindre notre objectif en 13 mois. Nous devrions avoir des ressources à cet égard.
Nous assurons également le suivi de l'investissement initial réalisé par le CRDI qui s'occupera aussi du financement. Voilà pour le premier projet. Je vous le décrirai très brièvement.
Nous cherchons à établir un réseau de centres d'aide en Amérique centrale relié à un réseau au Canada. Le réseau facilitera l'établissement de liens entre des entreprises du Canada et de l'Amérique centrale.
Il s'agit là d'une initiative très stratégique quand on la situe dans le contexte de la collaboration entre les Amériques, au niveau de l'hémisphère. Bien sûr, le Canada a beaucoup intérêt à ce que ses entreprises établissent des liens pour des motifs concurrentiels - non seulement pour des motifs commerciaux, mais bien concurrentiels. Voilà pourquoi il est possible de favoriser une grande complémentarité entre le Canada et l'Amérique centrale.
Le deuxième projet est mis en oeuvre par un consortium d'Amérique centrale dont fait partie une association d'autochtones qu'on appelle la Confédération des coopératives. Comme vous le voyez, on se préoccupe ici du volet égalité.
Le projet fait appel à la participation de l'association des petits agriculteurs regroupés dans un consortium dirigé par l'Institut interaméricain de coopération pour l'agriculture, dont le siège social est au Costa Rica, comme le savent les distingués membres du comité, j'en suis certain.
Ces intervenants travaillent en partenariat avec un consortium canadien très impressionnant, dirigé par Agriteam Canada, un consortium de l'Alberta. Agriteam Canada dirige le consortium composé du Conseil canadien du grain, de la Commission canadienne des grains, du Saskatchewan Wheat Pool et de la Bourse des marchandises de Winnipeg. Tous ces organismes unissent leurs efforts pour aider les entreprises d'Amérique centrale à concevoir un système de bourse des marchandises dans cette région.
Cela est très important, particulièrement pour les petits agriculteurs qui, dans la plupart des cas actuellement, n'obtiennent pas le meilleur prix possible des intermédiaires qui achètent leurs produits. Ce programme touche donc précisément un secteur très important.
J'ai oublié de mentionner que le ministère canadien de l'Agriculture fait également partie de ce groupe.
Ce groupe très impressionnant apporte déjà une contribution technologique très pratique. Par exemple, il aide les entreprises d'Amérique centrale à élaborer des normes et des unités de distribution, et il aide les bourses de marchandises de tous les pays à établir un cadre opérationnel solide.
C'est l'un des secteurs dans lesquels le Canada jouit d'avantages concurrentiels plus marqués dans le monde: production et commercialisation de denrées agricoles, élaboration de systèmes permettant de rendre le processus plus efficace et plus équitable pour tout le monde.
Le troisième projet implique, du côté canadien, Gestion Norsud, une firme d'experts-conseils de Montréal, au Québec. GNS travaille en collaboration avec le FOLADE, qui est le Fonds de développement de l'Amérique latine, dont le bureau principal est en Amérique centrale, plus précisément au Costa Rica, et avec l'Association des ONG d'Amérique latine.
En gros, ce que nous préconisons, c'est d'aider le FOLADE et l'ALOP, qui contrôlent les ressources financières, à élaborer de meilleurs systèmes permettant d'accroître l'efficacité des petites et moyennes entreprises rurales afin qu'elles deviennent des clients crédibles auprès des banques. On travaille en collaboration avec leurs propres institutions locales dans chacun des pays, y compris, dans ce cas, Panama.
Comme vous le savez, Panama n'est pas membre du marché commun de l'Amérique centrale. Néanmoins, des entités panaméennes peuvent être associées à des entités régionales grâce à leurs membres.
Voilà pour les trois projets mis en oeuvre actuellement. Ils nécessitent une contribution d'environ 2,8 millions de dollars canadiens.
Comme on dit à l'ACDI, il y a actuellement dans le collimateur trois projets très intéressants qui visent fondamentalement à favoriser la participation des acteurs économiques dans la société civile, des entités représentatives au niveau régional, qui contribuent de façon plus adéquate au processus régional.
Comme vous le savez, j'en suis sûr, l'Amérique centrale a élaboré un système d'entités régionales qui travaillent main dans la main avec les intervenants économiques, sociaux et politiques. Afin de renforcer la démocratie, de concevoir des structures économiques équitables, il est très important de permettre à tous les secteurs de la société d'avoir leur mot à dire, et je dirais de s'exprimer clairement.
Le comité consultatif constitue l'organe du système d'intégration au sein des groupes mis sur pied. Le comité donne à toutes les entités régionales représentant les syndicats, les groupes d'autochtones, les coopératives, les agriculteurs, les grandes sociétés, les petites entreprises, etc. - tous des groupes différents - la chance d'apporter leur contribution.
Par exemple, nous avons un projet jumelé au Service canadien des étudiants et stagiaires outre-mer et impliquant le Centre de commerce et de droit de l'Université d'Ottawa et de l'Université Carleton. La contribution première de ce groupe sera d'aider les pays d'Amérique centrale à mieux comprendre la signification, les instruments et le processus de la négociation, ainsi qu'à concevoir un accord de libre-échange et à en être partie, ce qui représente l'objectif établi pour l'Amérique latine d'ici à l'an 2005.
Cela sera très important pour les syndicats, les coopératives, les peuples autochtones, pour tous ces groupes et même pour les grandes entreprises qui, dans le cas de l'Amérique centrale, sont relativement modestes comparativement aux grandes entreprises canadiennes, américaines, mexicaines, brésiliennes et autres. Tous ces groupes vont être en mesure de mieux gérer leurs affaires et pourront maîtriser la terminologie de l'ALÉNA et de l'accord de libre-échange. Cela donnera aux syndicats et aux autres intervenants la possibilité d'apporter une meilleure contribution lorsqu'ils travailleront avec les entités du secteur public chargées de négocier ces traités. Ce sont là la volonté et le but exprimés.
Dans le deuxième projet du deuxième groupe, qui doit être approuvé prochainement, nous aidons le secrétariat régional, le SICA, le Système d'intégration centraméricaine, à élaborer SICANet.
SICANet est un système électronique qui permettra aux membres du comité consultatif de la société civile, aux acteurs économiques et aux organisations de représentants régionaux d'établir des liens entre eux afin d'assurer une meilleure coordination. SICANet leur permettra également d'établir des consensus ainsi qu'une meilleure coordination et des communications plus faciles avec les entités régionales officielles, afin que les intéressés sachent ce qui se passe et puissent se préparer pour les événements à venir. Ce n'est pas le cas actuellement, et il est très important de renforcer et de raffermir les processus démocratiques déjà en marche en Amérique centrale. Une telle démarche sera à l'avantage de toute la société civile et de tous les membres du comité consultatif.
Le dernier programme, qui n'est pas le moins important - tous sont importants, mais il faut bien qu'il y en ait un qui soit le dernier - est un programme au sein duquel le groupe responsable de l'Amérique centrale est dirigé par le Conseil supérieur universitaire d'Amérique centrale, qui réunit toutes les universités du secteur public.
Nous sommes très enthousiasmés par ce projet parce qu'il s'agit d'un programme éducatif. Le PAR est un programme qui porte sur le transfert des valeurs. Nous transférons les valeurs canadiennes.
En tant qu'habitant de l'Amérique centrale qui a l'honneur de travailler avec une entreprise canadienne au nom de l'ACDI, je suis très fier parce que le Canada figure en tête de liste des pays du monde en ce qui concerne le développement humain. Cela n'est pas une coïncidence, cela n'a rien à voir avec la chance. C'est une réalité parce que les valeurs canadiennes sont très importantes et très positives. Et le Canada peut apporter une contribution très importante à l'Amérique centrale.
C'est en raison de ce contexte éducatif que le fait de travailler avec les universités est un facteur si important et prépondérant pour le programme PAR. Il s'agit en gros d'un programme éducatif, d'un programme de transfert de technologie financé par des ressources canadiennes.
Il s'agit là d'un projet qui impliquera quatre entités de l'Amérique centrale. Comme je l'ai dit, ce sont les suivantes: le SCESOM, le secrétariat des universités, qui le dirige; Inforpress, qui est un bulletin régional de l'Amérique centrale très fiable, publié toutes les semaines; CRIES, qui est un centre de recherche et de communication pour l'Amérique centrale et les Caraïbes qui a établi son propre réseau électronique, Nicarao, il y a de cela de nombreuses années; et CODEHUCA, la Commission des droits de la personne d'Amérique centrale.
Le but visé ici est de développer des mécanismes d'assistance grâce auxquels les acteurs économiques, la société civile et les entités représentatives au niveau régional seront en mesure d'obtenir des données récentes par des moyens électroniques, parce qu'il est difficile et très coûteux de se déplacer en Amérique centrale pour assister à des réunions.
Grâce à ce système électronique, ces entités pourront obtenir l'information produite par Inforpress. CRIES, le centre qui utilise Nicarao, va transmettre l'information. Les entités la recevront, les universités analyseront ce qui doit être analysé, après quoi, par le biais de Nicarao, qui passera à nouveau par CRIES, on retransmettra l'information.
Il s'agit d'un programme très ambitieux financé grâce à la coopération du Canada. Le partenaire canadien est le CCCI, le Conseil canadien pour la coopération internationale, situé à Québec.
Voilà, en gros, à quoi se résume la situation. Comme vous le voyez, nous mettons l'accent sur le programme d'égalité, sur la participation du Canada. Nous sommes en train de transférer de la technologie canadienne, ce qui représente beaucoup, et dans des secteurs où le Canada a développé des compétences de très grande valeur.
Et le programme passe directement par les entités, par le comité consultatif, la société civile régionale... Il s'adresse directement à la base. C'est la meilleure façon de promouvoir l'équité, l'accroissement des chances, une meilleure information et la possibilité de faire partie du processus régional d'intégration.
Je suis sûr que nos collègues seront heureux d'ajouter de l'information. Je vous remercie, monsieur le président.
Le président: Merci. Mme Gaffney voulait poser une question.
Mme Gaffney (Nepean): Oui.
Le président: On nous a donné une très bonne explication du projet, et je suis certain que vous voulez poser des questions à ce sujet-là.
Mme Gaffney: Je crois que oui.
Je vous souhaite la bienvenue au Canada. Je suis déjà allée dans deux des pays d'Amérique centrale, au Salvador et au Guatemala, à deux reprises.
Je sais que vous n'avez pas eu la chance de répondre à la question de Mme Debien concernant les femmes, mais j'étais avec l'ambassadeur du Canada alors en poste, M. Dickson, de même qu'avec Mme Rigoberta Menchu, lorsque nous sommes allés à la frontière du Mexique et du Guatemala au moment où les premiers Mayas revenaient du Guatemala, pour s'établir à nouveau chez eux. L'une des choses qui me préoccupait était la qualité des terres. Les habitants se voyaient remettre une très petite parcelle de terrain dont la qualité laissait à désirer.
Aujourd'hui, je suis heureuse de voir que vous vous intéressez à l'agriculture et que vous essayez d'améliorer la situation dans ce domaine. J'aimerais d'abord savoir ce qu'il advient des Mayas. Ont-ils la liberté de mouvement qu'ils n'ont jamais eue avant?
Ma prochaine question a trait à ce qui suit: lors de réunions avec les gens d'affaires de Guatemala, ces derniers se sont dits très préoccupés de voir que le Mexique ne leur permettrait pas de faire partie de l'ALÉNA. La principale raison étant qu'ils ne permettraient pas aux produits du Guatemala de traverser le golfe du Mexique pour atteindre les États-Unis. Je me demande si cette politique est toujours en vigueur, ou s'il y a eu une entente avec la police mexicaine.
La troisième chose concerne les femmes salvadoriennes que j'ai rencontrées à ce moment-là. Je dois dire que la plupart d'entre elles avaient perdu un mari ou un fils et qu'elles étaient laissées à elles-mêmes, sans instruction, parce que la guerre civile avait fait rage pendant toutes ces années. Qu'est-ce qui a été fait pour ces femmes et leurs enfants afin d'améliorer leur qualité de vie au Salvador? Je suis certaine que la même chose s'est produite au Guatemala.
Mes questions ont été brèves, et j'espère que les réponses le seront aussi.
Le président: Trois brèves réponses à trois brèves questions.
[Français]
Mme Mirna Lievano De Marquez (directrice, École supérieure pour l'économie et le commerce, El Salvador): Monsieur le président, je vais répondre à quelques questions et vous placer dans un cadre plus général. Je sais que l'Amérique centrale est une région qui a vécu une transition. Ce qui est le plus positif dans cette situation, c'est qu'on est passé d'une situation de guerre à une situation de paix. Nous avons réussi à faire quelques progrès dans le secteur économique et politique, mais il reste encore des progrès à faire dans d'autres secteurs, dont le plus important est le secteur social. Il faudrait que tout le monde participe à ce processus économique et social.
Pour répondre à vos questions, je voudrais dire que, dans le cas du El Salvador plus particulièrement, les entrepreneurs ont compris qu'on va bâtir un nouveau pays. Alors, tout le monde travaille et il est normal de voir tout le monde au travail dans la vie politique et économique. C'est une nouvelle vie.
Vous signalez le grand problème de la déstructuration familiale qui existe encore, bien sûr, parce qu'il y a beaucoup de personnes qui sont mortes et d'autres personnes qui vivent encore aux États-Unis ou au Canada. Il y a une grande colonie de Salvadoriens qui habitent ici et dans d'autres pays d'Amérique centrale.
Il y a aussi beaucoup de familles à faible revenu et beaucoup de femmes qui sont des chefs de famille et doivent être le soutien économique et moral de leur groupe familial. Mais je crois que le El Salvador est un pays, dans cette région de l'Amérique centrale, où on a beaucoup de possibilités et qui semble plus ouvert que dans le passé.
Je crois que nous devons surtout faire beaucoup d'efforts dans le système éducatif. Avec une éducation, on trouve de nouvelles occasions et les femmes peuvent participer à tous les niveaux. Je crois qu'il n'y a pas d'autre moyens que le système éducatif. En ce moment, par exemple, au El Salvador, l'éducation des femmes est bien équilibrée, ce qui ne n'était pas le cas dans le passé.
Je crois que vous avez aussi posé une question sur la terre. C'est un des plus grands problèmes de la région. Dans les pays qui ont monté des programmes pour faire la paix, comme le El Salvador ou le Guatemala, cela a été une question très importante pour régler la situation de paix. Dans le cas du El Salvador, on a dû prendre des paramètres spécifiques pour donner des terres aux ex-combattants de la guérilla ou de la force armée pour obtenir la paix dans le pays.
Dans le cas du Guatemala, je connais les accords qu'ils ont déjà et je vais laisser M. Aitkenhead s'exprimer.
[Traduction]
Mme Gaffney: Quelqu'un peut-il répondre à la question concernant le golfe du Mexique? Est-ce que cette restriction est toujours en vigueur ou est-ce qu'on nous a dit la vérité à ce moment-là, je n'en sais rien?
M. Richard Aitkenhead Castillo (représentant du président de la République du Guatemala, responsable de la coordination de la coopération internationale pour la paix, Programme d'appui aux initiatives régionales, Guatemala): Pour répondre à votre question, je dois dire que le processus de rapatriement des réfugiés guatémaltèques en provenance du Mexique s'est poursuivi au cours des quatre ou cinq dernières années, processus qui a augmenté le nombre de personnes qui reviennent au Guatemala.
Actuellement, le processus de paix est en progression. Le gouvernement mexicain accorde le statut d'immigrant aux Guatémaltèques qui peuvent maintenant choisir de retourner au Guatemala ou de demeurer au Mexique en tant qu'immigrants. On compte environ de 10 à 15 000 Guatémaltèques qui sont encore au Mexique. Les autres sont revenus au Guatemala l'an dernier.
Le gouvernement leur a donné des terres pour qu'ils commencent à les exploiter à des fins productives. Au début, il y avait certains problèmes concernant la qualité des terres ainsi que l'aide technique et financière qu'ils obtenaient. Cela était dû à ce moment-là, en partie, au fait qu'il y avait beaucoup d'affrontements à l'intérieur du pays, et selon les réfugiés ou le gouvernement, certaines des terres qui étaient choisies l'étaient davantage pour leur importance stratégique car on voulait tenter de prévenir d'autres confrontations.
Il n'en est plus ainsi, et maintenant, ils peuvent choisir les terres plus productives qui sont disponibles dans les régions où ils étaient avant de quitter le Guatemala. Le processus est bien enclenché et leur offre plus de possibilités.
Deuxièmement, nous avons essayé de mettre en place ce que nous considérons comme étant le programme de mise en oeuvre de la paix qui donnera, selon nous, deux possibilités différentes de développement dans ces collectivités. Premièrement, nous avons ce que l'on appelle le développement humain et social, les programmes axés sur la société. Ces programmes permettront de répondre aux besoins essentiels des gens, à savoir: les infrastructures, l'eau, l'hygiène, les routes et l'électricité.
Ensuite, il y a les deuxièmes programmes. Durant la négociation du processus de paix, nous avons accepté de créer un fonds de développement foncier donnant accès à la terre aux peuples autochtones, ainsi qu'à une certaine aide financière et technique.
Donc, c'est un processus qui est constant. Au cours des six derniers mois, nous avons pu signer deux accords de paix qui sont très importants. Il s'agit de l'accord de paix concernant la situation socio-économique et agraire, et de l'accord de paix que nous avons signé à la dernière minute, c'est-à-dire celui qui prévoit le renforcement de la société civile et le nouveau rôle de l'armée au sein d'une société démocratique.
Le président: Merci beaucoup.
[Français]
Monsieur Nunez, voulez-vous poser une question?
[Traduction]
M. Nunez (Bourassa): Monsieur le président, permettez-moi de prendre quelques instants pour souhaiter la bienvenue à nos amis de l'Amérique centrale, après quoi je poserai une question en français.
[Français]
[Le député s'adresse au témoin dans sa langue]
Je dois vous féliciter pour le travail que vous faites en Amérique centrale et féliciter aussi les organismes québécois qui collaborent avec l'Amérique centrale. J'ai parfois critiqué la diminution de l'aide canadienne au développement, particulièrement pour les pays en voie de développement en Amérique latine et en Amérique centrale.
Vous recevez environ 10 millions de dollars pour un programme sur une période de cinq ans. Est-ce que c'est suffisant par rapport à ce que donnent les États-Unis ou les pays d'Europe, par exemple? Comment l'aide canadienne se situe-t-elle?
Qu'est-ce que nous pouvons faire? Je pense que le Canada ne doit pas diminuer son aide internationale parce qu'elle est nécessaire. Il ne suffit pas d'avoir l'ALENA.
M. Bédard: Merci, monsieur le député. Il est évident que le montant de l'aide canadienne est faible si on le compare aux montants que réservent les États-Unis ou le Japon à l'Amérique centrale ou à un autre pays.
J'ai apprécié, cependant, lorsque je leur ai fait état des coupures que nous envisagions pour l'année prochaine, d'entendre nos amis de l'Amérique centrale nous dire qu'ils comprenaient que cela allait certainement affecter la coopération en termes quantitatifs. Je dois dire qu'ils ont surtout insisté sur le fait que c'est la qualité de la coopération entre le Canada et l'Amérique centrale qui est importante. Cela a toujours existé. Madame mentionnait tantôt la période de transition en Amérique centrale, toute cette période des guerres pendant lesquelles le Canada est resté présent. Ce n'était peut-être pas beaucoup, mais c'était là et c'était apprécié.
On continue à l'apprécier et on m'a dit qu'il était certainement possible d'assurer la qualité de la coopération même si la quantité d'argent est moins grande qu'elle ne l'était. Ils ne disent pas qu'on devrait continuer à couper. Non, ce n'est pas ce qu'ils disent. Mais ils ont quand même insisté pour dire que le Canada avait une bonne coopération avec l'Amérique centrale.
M. Nunez: Vous n'êtes pas rassurant. Il y aura encore des coupures?
M. Bédard: Il y en aura, et on le sait. Nous les avons avertis. Nous ne nous en cachons pas. Nous sommes transparents. Ce que nous essayons de faire, c'est de voir comment on peut compenser par la qualité et peut-être par d'autres genres d'appuis.
Il n'est pas nécessaire que ce soit toujours de la coopération officielle, bien qu'elle soit essentielle. Je ne dis pas qu'elle n'est pas essentielle, mais elle peut être complétée par d'autres éléments à certain moments, et je pense que tout le monde en est conscient.
J'insiste beaucoup sur la qualité de la coopération.
M. Nunez: Merci beaucoup.
M. Carrier: Monsieur le président, j'aimerais compléter l'intervention de M. Bédard en disant qu'une des caractéristiques du programme PAR est d'aller chercher de nouvelles ressources et de développer des liens durables en assurant, dans chacun des projets, l'appui d'un partenaire canadien.
La coopération canadienne estime que, de cette façon, des relations se tisseront en dehors des ressources directes de la coopération entre des institutions canadiennes et des institutions centro-américaines. C'est un élément de stratégie de la coopération canadienne qui vise à élargir aux entreprises privées et aux ONG les appuis aux pays en développement dans le but de maximiser les ressources dans le domaine de la coopération.
[Traduction]
Le président: Madame Acosta, vous aimeriez ajouter quelque chose?
Mme Irma Acosta De Fortin (coordonnatrice, Corporation de développement international, Tegucigalpa, Programme d'appui aux initiatives régionales): Merci beaucoup, monsieur le président.
En ce qui concerne l'Amérique centrale, il est vrai de dire que deux pays ont connu la guerre civile. Le Guatemala vient à peine de retrouver la paix, et nos démocraties sont encore fragiles.
Il y a maintenant beaucoup de gens armés qui sont impliqués dans des activités non pacifiques. Ils ont commis des vols, des enlèvements et toutes sortes de crimes parce que nous subissons encore, à maints égards, les conséquences de la guerre que nous avons connue.
L'Amérique centrale est toujours une source de préoccupation pour les autres pays. Peu importe que la démocratie soit officiellement installée, ou que nous ayons officiellement la paix, il est juste de dire que nous éprouvons encore de nombreux problèmes.
Mme Debien a posé une question au sujet des femmes en Amérique centrale, tout comme vous. Les femmes sont les personnes les plus touchées par la pauvreté en Amérique centrale. CommeMme Lievano De Marquez vous l'a dit, il y a un important pourcentage de femmes qui sont chefs de famille dans notre région.
Il nous faut éduquer les femmes. Nous devons accroître leur revenu. Le programme pilote axé sur les solutions aux problèmes du développement des petites entreprises est un programme important parce que, là aussi, ce sont en majorité les femmes qui travaillent dans les petites entreprises en Amérique centrale. Il y a plus de femmes dans le secteur moins organisé de l'économie, plus de femmes dans les petites entreprises, de sorte qu'elles sont très importantes et que le programme pilote permet de les aider. En outre, une des nouvelles politiques est de contrer la pauvreté qui touche un plus grand nombre de femmes.
Le président: Madame Debien.
[Français]
Mme Debien: Madame De Fortin, je pense que vous avez deviné ma question puisque vous y avez partiellement répondu. Parmi les trois principaux projets qui sont en marche dans le cadre du programme PAR, il y en a deux qui sont axés sur les petites entreprises en milieu rural. Il y a une bourse régionale pour les produits agricoles et pour les services d'appui aux petites entreprises rurales.
Actuellement, une des grandes réussites de l'ACDI en Afrique, c'est d'avoir mis l'accent sur la formation de petites entreprises appartenant à des femmes. Il y a un taux de réussite assez exceptionnel des entreprises agricoles africaines qui sont menées par des femmes.
Il y a un phénomène semblable dans les pays de l'Asie-Pacifique où, encore là, les programmes de l'ACDI ont une incidence importante sur des petites entreprises, de quelque nature que ce soit, axées vers les femmes. Il y a là des taux de réussite assez exceptionnels.
Vous avez partiellement répondu à ma question en disant qu'on semblait vouloir mettre l'accent sur la formation de ces femmes et particulièrement sur l'aide aux entreprises qui seraient dirigées par des femmes ou, à tout le moins, des entreprises où des femmes participent à la gestion. Tout cela me rassure parce que je me dis que l'ACDI observe une certaine uniformité dans ses objectifs en ce qui concerne la question des femmes.
L'autre question que j'avais posée tout à l'heure et à laquelle personne n'a encore répondu concerne toute la question de la drogue.
Ma question concerne la production de la drogue et notre problème, du côté nord, qui est celui de la consommation. Est-ce que quelqu'un pourrait me dresser un portrait de la situation et de la lutte que les gouvernements ont entreprise à l'égard de ce problème qui est planétaire et qui ne touche pas seulement l'Amérique centrale?
Ma deuxième question a trait à la nature du travail que nous effectuons ici, en ce moment, au comité. Le Comité des affaires étrangères et du commerce international a créé un sous-comité qui s'appelle le Sous-comité du développement humain durable, dont M. English assume la présidence et dont nous faisons partie. Un des premiers mandats d'étude que s'est donnés ce sous-comité, c'est le travail des enfants et l'exploitation du travail des enfants. C'est ce qui, depuis quelques semaines, fait principalement l'objet de nos audiences et qui fera l'objet d'un rapport du comité d'ici quelques mois.
J'aimerais que quelqu'un me parle de cette problématique du travail des enfants et de son exploitation, parce qu'il faut faire la différence entre le travail des enfants et l'exploitation du travail des enfants. Ce sont deux choses clairement différentes. Il y a des enfants qui travaillent et pour qui c'est une forme d'apprentissage. Ce n'est pas à cette partie que je fais allusion, mais surtout à l'exploitation du travail des enfants. Quelle est la situation chez vous, en Amérique centrale?
J'ai donc deux questions: la drogue et l'exploitation du travail des enfants.
[Traduction]
Le président: Avant que vous ne répondiez à cette question, Mme Gaffney voulait faire aussi un commentaire, après quoi nous devrons peut-être nous arrêter là parce que la délégation suivante va arriver et vous pourrez répondre à toutes les questions.
Madame Gaffney.
Mme Gaffney: On n'a pas répondu à l'une de mes trois premières questions, et je ne sais pas si c'est parce que...
Les gens d'affaires de Guatemala ont exprimé une très grave préoccupation, à savoir que le gouvernement mexicain les empêchait d'expédier des produits ou des aliments dans le golfe du Mexique pour atteindre ensuite les États-Unis; il leur faut emprunter un trajet bien plus compliqué, et les gens d'affaires semblaient dire que le Mexique les empêcherait d'accéder à l'ALÉNA, que le Guatemala et le Salvador ainsi que d'autres pays d'Amérique centrale ne pourraient accéder à cet accord. Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet? Est-ce que c'est vrai ou non? Qu'est-ce que vous en savez?
Le président: Voilà toute une série de questions. Peut-être quelqu'un pourrait-il répondre à la première...
Mme Gaffney: Très rapidement, oui. Pour moi, c'est une accusation grave, si elle est vraie.
M. Aitkenhead Castillo: Ce dont se plaignaient les gens d'affaires du Guatemala, c'est des problèmes que l'Amérique centrale dans l'ensemble, et plus particulièrement le Salvador, éprouve en tant que pays voisin d'un pays membre de l'ALÉNA, en ce qui a trait au manque d'accès aux marchés. On commencera à perdre des investissements qui étaient destinés à la région et qui sont maintenant faits au Mexique et ailleurs.
Deuxièmement, ces pays ont certains problèmes concernant le transport de leurs biens et services, plus particulièrement les biens qui doivent transiter par le territoire mexicain. Mais il n'est pas vrai que le Mexique empêche l'Amérique centrale de se joindre à l'ALÉNA, une telle chose doit être décidée par les trois pays membres de l'ALÉNA. Par contre, les pays d'Amérique centrale négocient actuellement avec le Mexique un accord de libre-échange bilatéral.
Mais la principale préoccupation de pays comme les pays d'Amérique centrale est qu'il est très risqué d'être exclu d'un accord commercial aussi important que l'ALÉNA, pour des raisons liées aux investissements et à l'augmentation des échanges commerciaux. C'est là une des raisons pour lesquelles en Amérique centrale, nous constatons que le Canada joue un rôle de premier plan dans l'avenir de la région. Un côté de la région est le voisin d'un pays membre de l'ALÉNA et nous allons devoir travailler main dans la main avec les trois membres de l'ALÉNA afin de conclure une entente qui nous donnera accès aux marchés qui sont, particulièrement le marché américain et le marché mexicain, nos marchés d'exportation traditionnels.
Mme Gaffney: Donc, vous travaillez à résoudre le problème. Merci.
Le président: Père Gorostiaga.
Le révérend Gorostiaga: En ce qui concerne le problème de la drogue, je considère que ce projet est l'un des meilleurs projets du Canada dans la région, mais c'est une goutte d'eau dans l'océan. C'est encore un projet marginal. Ce qui, à mon avis, est le plus important dans ce projet, c'est le lien qui est établi entre la société civile en Amérique centrale et la société civile au Canada, lien qui peut avoir un effet multiplicateur sur l'aide officielle du Canada. Je crois que c'est là le facteur clé.
Pour ce qui est de la drogue - et vous avez parlé d'ajustement structurel - les politiques à cet effet dans la région ont été très simplistes, en ce sens qu'en créant des micro-équilibres, on pense pouvoir favoriser la croissance. Mais je crois que cela n'est pas suffisant. Ensuite, il faut tenir compte de l'aspect humain, des niveaux élevés de chômage; au Nicaragua, le taux de chômage est de 60 p. 100. Il y aura sans doute un problème de drogue en Amérique centrale, et je dis cela en tant que recteur d'une université.
Le problème de la drogue est un problème qui s'aggrave dans la région. L'Amérique centrale devient non seulement une plaque tournante, mais une région productrice de drogue. La demande est de 140 milliards de dollars aux États-Unis. Le prix de notre sucre et de nos bananes diminue. Donc, il y aura des problèmes de drogue en Amérique centrale, c'est un marché libre, mes amis.
Il faut adopter des mesures plus sérieuses que le simple ajustement structurel. Je pense que nous devons mettre l'accent sur l'emploi et la création de conditions favorisant l'équité afin que la croissance économique s'installe en permanence.
La prostitution des enfants, et non seulement celle des femmes, est un autre problème extrêmement criant. Ce phénomène est surtout attribuable au manque d'emplois et à l'absence d'espoirs au sein de la nouvelle génération. Ces problèmes n'ont pas encore été abordés. Nous nous sortons à peine de la guerre, nous sommes en train d'installer une démocratie fragile, mais ce problème social est une tragédie. Je ne sais pas si cette insécurité des citoyens est aussi néfaste que la guerre, mais elle s'en rapproche. Ce projet est très important, mais ce n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan.
Ce que je considère extrêmement important, c'est que l'Amérique centrale a été vitale pour le Canada dans les années 1980. Aujourd'hui, l'Amérique centrale ne figure plus dans les priorités politiques ou économiques du Canada. La paix doit être plus importante pour le Canada que la guerre. Ensuite, le lien entre la société civile en Amérique centrale et ici au Canada sera au coeur de ce projet.
Si ce projet peut atteindre cet objectif, c'est-à-dire établir des liens entre les universités, entre les instituts technologiques, les organisations de femmes ici, entre les groupes de défense des droits de la personne au Canada, si on peut unir ces forces dynamiques dans notre société civile, ce projet, même modeste, sera un succès. Il pourra peut-être changer tous les autres projets, en mettant l'accent sur l'équité et les véritables progrès de la démocratie. Il faut donner à l'Amérique centrale une nouvelle visibilité au sein de la société civile canadienne. C'est également ce que vise ce projet.
Le président: Je vous remercie beaucoup de ce discours très éloquent. Je tiens à vous remercier tous de votre participation.
[Français]
Messieurs Bédard et Carrier, je vous remercie de votre participation.
[Traduction]
Je pense que vous avez montré clairement pourquoi l'Amérique centrale est importante pour le Canada. Pour nous, les membres du comité, il est certainement très bon d'entendre des gens parler de l'utilité de nos projets, de l'importance qu'ils peuvent avoir dans cette région et de la façon dont le Programme d'appui aux initiatives régionales est manifestement un programme très efficace pour l'ACDI. Je vous remercie de votre participation.
Nous allons prendre une courte pause de cinq minutes après quoi l'autre groupe des Philippines pourra s'avancer.
Le président: La séance reprend, s'il vous plaît. Je m'excuse de ce léger retard, mais nous avons un peu de temps supplémentaire parce que le vote a été reporté de 15 minutes. La sonnerie se fera entendre à 17 h 45 et le vote aura lieu à 18 heures.
Je suis heureux d'accueillir aujourd'hui, du Caucus of Development NGO Network des Philippines, trois personnes de ce pays. M. Pagtakhan espère pouvoir se joindre à nous plus tard. Il a été appelé pour un vote, malheureusement. La semaine dernière, il nous a fait part de votre arrivée au Canada, et nous sommes heureux de vous accueillir ici aujourd'hui.
Parmi nos invités, nous accueillons Mme Katherine Pearson, agente de défense des droits au Conseil canadien pour la coopération internationale. Je me demande, madame Pearson, si vous pourriez nous présenter nos invités et parler de leur travail et de l'exposé qu'ils feront aujourd'hui.
Mme Katherine Pearson (agente de défense des droits, Conseil canadien pour la coopération internationale, Caucus of Development NGO Network of the Philippines): Nous avons prévu que Dan allait commencer.
J'aimerais simplement dire que la raison pour laquelle le CCCI est représenté ici aujourd'hui, c'est que nous entretenons des liens avec cette organisation, CODE-NGO, depuis très longtemps, par l'intermédiaire d'un groupe que l'on appelle le projet Philippines-Canada de développement des ressources humaines, projet qui a permis de réunir des ONG canadiennes et philippines autour de programmes de développement aux Philippines, et qui était financé par l'ACDI. Il s'agit d'un projet de longue date. Donc, les relations sont établies depuis longtemps entre les ONG philippines et canadiennes.
Je cède maintenant la parole à Dan.
Le président: Merci. Mme Karen Tanada sera la deuxième à prendre la parole. Elle est la présidente du Women's Action Network for Development. Ensuite, nous entendrons la coprésidente du Philippine Council for Sustainable Development, Mme Carezon Julino-Soliman.
M. Dan Songco (coordonnateur national, Caucus of Development of NGO Network of the Philippines): Merci beaucoup, monsieur le président. Nous sommes très heureux d'être ici cet après-midi. Nous sommes également contents que vous nous donniez la possibilité de nous adresser à votre sous-comité.
La délégation philippine qui est avec nous ici cet après-midi, à part les trois d'entre nous et nos collègues à l'arrière, est venue au Canada pour faire rapport sur le Programme de développement des ressources humaines Philippines-Canada financé par l'ACDI. Le programme s'est terminé tout récemment et nous sommes venus ici pour faire rapport sur les réalisations positives de ce projet.
M. Pagtakhan nous a dit que votre sous-comité se réunissait et que nous pourrions aborder avec vous le problème du travail des enfants. Nous aimerions vous faire part pendant quelques minutes de nos expériences dans ce domaine tout en abordant certains des problèmes connexes que nous avons vécus dans notre pays de même que dans la région.
Vous remarquerez que nombre des questions que nous aborderons sont très semblables à celles contenues dans la présentation que nous avons entendue tout à l'heure de la part des représentants des pays de l'Amérique centrale parce que, en fait, la situation aux Philippines est très semblable à celle qui règne dans les pays représentés plus tôt.
J'aimerais demander à mes collègues de commencer.
Mme Carezon Julino-Soliman (coprésidente, Philippine Council for Sustainable Development, Caucus of Development NGO Network of the Philippines): Bonjour. Nous allons vous parler aujourd'hui du travail des enfants aux Philippines. Ma collègue Karen vous fera part des mesures que nous essayons de prendre à cet égard - de celles du gouvernement et de la société civile. Dan vous parlera des recommandations que nous aimerions soumettre au comité.
Il y a 2,4 millions d'enfants philippins, de 5 à 17 ans, sur une population totale de 6 à 8 millions d'habitants. Aujourd'hui, l'UNICEF et le ministère du Travail et de la Main-d'oeuvre estiment qu'il y a de 5 à 7 millions d'enfants qui travaillent, incluant des enfants de 10 à 17 ans et des enfants de moins de 10 ans.
Les enfants travaillent actuellement dans pratiquement tous les secteurs, la majorité dans le secteur agricole, de 20 à 25 p. 100 dans le secteur des services et le reste dans l'industrie. La majeure partie du travail des enfants dans le domaine rural et agricole est un travail non rémunéré. Les enfants travaillent dans les champs avec leurs parents, leurs frères et leurs soeurs, mais seuls les adultes sont rémunérés. Lorsqu'ils sont payés, les enfants reçoivent un salaire d'environ 1 à 2,50 $ canadiens par jour.
Comme la plupart des enfants fréquentent l'école élémentaire ou secondaire, ils ne travaillent que les fins de semaine, de quatre à six heures par jour. Mais durant les récoltes et la saison de la pêche, ils sont susceptibles de s'absenter de leur école afin de travailler.
La plupart du travail des enfants en milieu urbain se fait dans le domaine des services et des ventes et dans des industries qui font faire du travail à la pièce à la maison. Le salaire moyen est de 1,50 $ à 2 $ canadiens par jour. Les enfants qui vont à l'école font du travail à la maison ou dans la rue avant et après l'école, mais ceux qui ne fréquentent pas l'école travaillent à temps plein, à raison de 12 heures par jour.
Les enfants qui travaillent occupent des emplois dangereux comme dans la production de pièces pyrotechniques, le vernissage du bois, l'application de pesticides et d'engrais, pour n'en nommer que quelques-uns. Parmi les aspects les plus dégradants et déplorables du travail des enfants, mentionnons: le recrutement des enfants dans des régions éloignées, les entreprises vont donc dans les provinces pour y recruter des enfants; le travail des enfants pour payer des dettes; la détention illégale et la servitude involontaire; le fait que l'alimentation et le logement ne soient pas adéquats pour des humains, le déni des droits des travailleurs aux enfants qui travaillent et des cas de mauvais traitements et de violence.
Le travail dans la rue et le trafic des enfants sont directement liés à la prostitution enfantine, réseau auquel participeraient jusqu'à 300 000 enfants aujourd'hui. Le nombre d'enfants qui font partie de syndicats de prostitution enfantine est également étroitement lié à l'accoutumance aux drogues ou à la consommation abusive de drogues et d'alcool dans les rues.
Les enfants sont aussi déplacés de leurs collectivités pour certaines des raisons suivantes. Les enfants des collectivités autochtones ont été déplacés particulièrement pour aller travailler dans la prospection minière. Le Canada est un des principaux pays aujourd'hui au chapitre de l'exploration minière, entre autres industries. Les enfants des collectivités rurales ont été déplacés à cause de la conversion des terres qui ne sont plus utilisées pour l'agriculture mais pour l'industrie ou à d'autres fins de spéculation. Les enfants des milieux urbains sont déplacés à cause de l'éviction des colons, plus particulièrement pour nettoyer la ville en prévision de la réunion de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique, APEC, qui aura lieu dans l'agglomération de Manille. Ces mesures ont traumatisé les enfants et les ont forcés à vivre et à mendier dans les rues.
J'aimerais vous faire part de la situation d'un enfant qui est muet depuis la démolition, il y a un mois, à cause de la violence dont il a été témoin.
La majorité des enfants philippins vivent une vie d'adulte précoce car ils aident leurs familles à survivre. Le salaire minimum actuellement prévu par la loi est d'environ 8 dollars canadiens par jour. Le coût minimum de la vie pour une famille de six a été évalué il y a deux ans à 12 dollars canadiens par jour. Même si auparavant les femmes subvenaient aux besoins fondamentaux grâce à leur travail non rémunéré et devenaient le filet de sécurité de leur famille, leur fardeau est maintenant partagé avec leurs enfants.
Le problème est attribuable au fait que le gouvernement déploie tous les efforts possibles pour devenir un pays nouvellement industrialisé. Il a adopté un programme de libéralisation du commerce et des investissements qui appauvrit davantage les secteurs marginalisés qui sont mis à l'écart de l'activité économique principale. Cela pose également des problèmes d'ordre politique et social.
Mme Karen Tanada (présidente, Women's Action Network for Development, Caucus of Development NGO Network of the Philippines): Je vais vous parler des mesures qui ont été adoptées aux Philippines à cet égard.
Le gouvernement philippin a signé diverses conventions internationales, notamment la Convention relative aux droits de l'enfant et les conventions numéros 79, 90 et 138 de l'OIT qui obligent à respecter certaines normes concernant le travail des enfants.
Le Code du travail des Philippines fixe l'âge minimum pour occuper un emploi non dangereux à 15 ans. Par conséquent, les enfants de 14 ans et moins n'ont pas le droit de travailler à moins de le faire sous la surveillance directe de leurs parents. Cependant, la surveillance et la mise en oeuvre des normes du travail laissent énormément à désirer, et ce, pas seulement dans le cas des enfants qui travaillent. Les personnes qui ont été arrêtées pour recrutement illégal et trafic d'enfants sont facilement libérées et reprennent rapidement leurs activités.
Des groupes de la société civile aux Philippines, notamment les organisations populaires, les organisations non gouvernementales et des groupes communautaires, ont adopté divers points de vue pour régler le problème du travail des enfants.
Certaines ONG travaillent directement avec les enfants forcés de travailler afin de les inciter à ne pas accepter des situations d'exploitation et de leur offrir d'autres solutions de rechange économiques. D'autres ont même entrepris des opérations de sauvetage et de réadaptation des enfants. Quelques-unes tentent d'améliorer la sécurité et les conditions de travail des enfants ainsi que leur productivité. La majorité des groupes de la société civile visent l'habilitation économique et politique des collectivités afin de leur permettre de surmonter leur problème de pauvreté. Par conséquent, une très grande partie du travail de la société civile philippine consiste à défendre les droits des intéressés dans ces domaines.
On peut parler notamment de l'amélioration et de la mise en oeuvre de normes du travail concernant les enfants, le trafic des enfants et d'autres problèmes qui touchent les enfants. Un autre important travail de défense consisterait à amener le gouvernement à réorienter ses politiques de développement économique afin qu'elles visent davantage le développement durable et l'équité dans le but de réduire la pauvreté qui rend le travail des enfants nécessaire. Pour ce faire, il faut également discuter des politiques de commerce et de libéralisation dans un contexte régional et international.
L'aide de l'ACDI a également été cruciale pour les initiatives de la société civile aux Philippines. L'aide de l'ACDI, soit 15 millions de dollars canadiens versés depuis sept ans au Programme de développement des ressources humaines Philippines-Canada, a manifestement permis aux organisations populaires et non gouvernementales de se structurer, ces dernières ayant pu établir des coalitions très fortes à l'échelle nationale et locale.
Un autre programme, le Programme d'aide au développement des Philippines, qui est également appuyé par l'ACDI, a permis, entre autres contributions, d'aider à trouver des solutions de rechange socio-économiques dans les collectivités, y compris la mise sur pied d'un projet de fonds de prêt central pour l'agriculture durable.
Le fonds que l'ACDI accorde aux ONG pour les femmes, ou DIWATA, a appuyé plus de 200 projets pour l'habilitation des femmes et renforcé deux principaux réseaux de mouvements féminins. Par conséquent, l'aide du Canada a déjà commencé à avoir un impact sur la situation aux Philippines en contribuant à renforcer et à améliorer la société civile dans ce pays.
Nous espérons que vous aurez la possibilité un jour de visiter les Philippines et de voir les effets ainsi que les contributions négatives ou positives de tels partenariats.
Le président: Merci beaucoup.
M. Songco: À cet égard, monsieur le président, nous aimerions présenter trois recommandations à votre comité.
Premièrement, nous croyons que l'ACDI devrait jouer un rôle clé dans l'élaboration d'une solution au problème de l'exploitation des enfants, en utilisant la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant comme cadre de travail. L'Agence devrait continuer d'offrir une aide au développement à la société civile et aux gouvernements dans les pays sous-développés et en développement. Cette aide devrait permettre à ces sociétés civiles et à ces gouvernements de développer la capacité de faire face au problème croissant du travail des enfants de même qu'à d'autres problèmes sociaux, notamment le chômage, la pauvreté et la destruction de l'environnement, causés par des échanges commerciaux et des investissements débridés.
Deuxièmement, nous croyons que le Canada a la possibilité unique de jouer un rôle de leadership pour s'assurer que le commerce et les investissements ne favorisent pas le développement économique aux dépens de l'environnement et moyennant des coûts sociaux élevés pour les pauvres, particulièrement dans la région Asie-Pacifique où l'on constate une augmentation rapide des échanges intercommerciaux et des investissements. Le Canada devrait utiliser sa riche expérience en matière de protection de l'environnement et de technologie propre pour définir les paramètres de la croissance économique.
Troisièmement, plus particulièrement du fait que le Canada accueillera l'APEC l'an prochain, nous exhortons le gouvernement du Canada à faire du développement durable le thème de cette réunion et à renforcer davantage la terminologie, déjà présente, du développement durable dans les déclarations des leaders de l'APEC de Bogor à Osaka.
Nous vous invitons à vous joindre à l'appel de la société civile des Philippines qui souhaite faire ressortir la nécessité d'une plus grande préoccupation pour l'environnement, l'équité sociale, l'égalité des sexes, l'éradication de la pauvreté et la démocratisation accrue dans le cadre d'un régime de libéralisation des échanges commerciaux. Les ONG des Philippines ont établi des liens avec les ONG canadiennes afin de faire avancer ces idées au sein de l'APEC. Grâce aux efforts des ONG philippines, le gouvernement philippin a accepté d'appuyer une telle initiative et nous espérons que le Canada sera capable de faire de même.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Des questions, des commentaires?
[Français]
Mme Debien: J'aurais une question. Vous avez passé très rapidement sur ce sujet et je n'ai pas très bien compris.
J'aimerais tout d'abord vous souhaiter la bienvenue et vous remercier de participer à nos travaux.
Au sujet d'une remarque faite par M. Songco au début de son allocution, j'aimerais qu'il nous précise un certain nombre de choses. Vous avez dit que les enfants autochtones avaient été déplacés à cause de l'exploration minière dans laquelle le Canada a joué un rôle important. Vous avez mentionné cela sans donner de précisions. J'aimerais donc que vous nous apportiez quelques précisions à ce sujet.
[Traduction]
M. Songco: Oui, c'est Mme Soliman qui en a parlé. Je crois que c'est elle qui est la mieux placée pour vous donner plus de détails là-dessus.
Mme Julino-Soliman: Notre pays a adopté une nouvelle loi sur les mines qui a ouvert nos réserves minérales à de nombreuses sociétés étrangères. Nous savons que cinq à sept sociétés minières canadiennes au moins ont demandé l'autorisation de procéder à des travaux de prospection chez nous. Pour ce faire, elles doivent aller dans les régions qui sont connues comme étant des domaines ancestraux - ce sont des terres semblables à celles des autochtones ici - et devront envisager la possibilité d'ouvrir des mines sur ces terres. Aux Philippines, la société civile aide les peuples autochtones à se défendre pour conserver leurs droits sur leurs terres ancestrales.
Entre-temps, la prospection a commencé. Les sociétés déplacent ainsi des collectivités autochtones parce qu'elles y établissent leurs camps. En général, les peuples autochtones vont s'établir plus haut dans les montagnes. Nombre de ces collectivités sont situées dans le nord des Philippines, que l'on appelle la Cordillère, et dans le sud à Mindanao, soit la deuxième île en importance aux Philippines.
Nous avons la liste des sociétés canadiennes qui font actuellement de la prospection minière. Si vous souhaitez l'obtenir, nous pouvons vous en fournir un exemplaire.
Un député: Merci.
[Français]
Mme Debien: Ma deuxième question a trait à ce dont nous discutons au sujet de cette loi qui autorise l'exploitation minière et qui permet à des compagnies étrangères de venir faire de la prospection. Est-ce que cette loi autorise le déplacement des populations autochtones, ou est-ce que les populations autochtones le font instinctivement parce qu'elles sont gênées par la prospection? Est-ce qu'il y a quelque chose dans la loi qui interdit ce déplacement des populations?
[Traduction]
Mme Julino-Soliman: Les autochtones se déplacent automatiquement ou instinctivement parce que la plupart des tribus touchées ne sont pas des tribus guerrières, sauf celles de la région de la Cordillère. Rien dans la loi ne dit qu'elles doivent se déplacer, mais c'est là une conséquence des projets de prospection qui ont cours.
Cependant, des mesures ont été adoptées pour régler ce problème. Les peuples tribaux eux-mêmes s'organisent. Des lobbyistes exercent actuellement des pressions à la Chambre des représentants, qui est l'organe législatif des Philippines, pour faire adopter ce que nous appelons le projet de loi sur le domaine ancestral afin de protéger les droits de ces peuples. Mais le cheminement du projet de loi est lent pendant que la prospection se poursuit.
M. Godfrey (Don Valley-Ouest): Je voudrais poser deux questions. Depuis le départ de Marcos, est-ce que la situation concernant le travail des enfants s'est détériorée, en termes absolus ou relatifs? Qu'en savons-nous? Peut-être rien. C'est là ma première question.
Mme Tanada: Je crois que la situation s'est détériorée, pas à cause du départ...
M. Godfrey: Non, je n'essayais pas de... j'ai voulu parler d'un événement plutôt que d'une causalité.
Mme Tanada: ... mais à cause des nouvelles politiques économiques, du désir plus grand des industries philippines de faire concurrence aux autres pays asiatiques dans la fabrication de vêtements et d'autres secteurs. L'augmentation du travail des enfants est davantage attribuable à cette situation, à savoir qu'on veut faire concurrence dans le domaine économique.
M. Godfrey: Ma deuxième question se veut vraiment une tentative de rassembler les divers thèmes. Vous avez dit que le facteur le plus important est la concurrence internationale et l'impact qu'elle a sur le marché du travail. Pour régler le problème, pour faire des progrès significatifs, comment pondérer les facteurs suivants: les attitudes sociales, l'ensemble de la société sous ses formes diverses, les facteurs économiques, la volonté politique? Outre les actions de l'ACDI pour ce que vous appelez peut-être l'amélioration du milieu, quels sont les véritables points d'action dans la société philippine et au gouvernement philippin? Est-ce que l'action se passe vraiment au niveau municipal, dans le secteur privé, au niveau de l'État ou au niveau national?
Je pense que j'ai résumé mes deux questions en une.
M. Songco: J'aimerais commencer après quoi mes collègues voudront peut-être ajouter quelque chose.
Je vais parler davantage de la deuxième question, pour vous dire que nous sommes en plein milieu d'un processus de décentralisation du gouvernement national vers les gouvernements locaux. Nous croyons que le principe du gouvernement local, qui est la source de cette nouvelle initiative, est assez progressiste, en ce sens qu'il décentralise les pouvoirs, non seulement du gouvernement national aux gouvernements régionaux et provinciaux, mais même au niveau des villages où les structures politiques ont été mises en place, assorties des ressources et des pouvoirs nécessaires pour gouverner.
En ce qui concerne les véritables points d'action, comme vous le demandiez, ces processus décisionnels sont progressivement dévolus au niveau des villages pour l'instant.
M. Godfrey: Mais est-ce que cette décentralisation vous facilite la tâche ou vous la complique? La volonté politique est-elle plus grande ou moins grande aux niveaux inférieurs?
M. Songco: En fait, c'est les deux. Nous, les ONG, avons entrepris un processus de décentralisation au sein de nos structures mêmes, parce que même si, dans une large part, notre travail de défense se faisait auprès du gouvernement national, maintenant, nous allons devoir agir tant au niveau du gouvernement national que des gouvernements locaux. Comme il y a beaucoup de décisions qui sont prises au niveau local, nous allons devoir intervenir à ce niveau, mais puisque des politiques macroéconomiques et de grandes décisions politiques pourraient être adoptées qui viendraient annihiler les décisions au niveau local, il est également tout aussi important pour nous de nous intéresser à ces politiques et décisions. Donc, pour l'instant, cela rend notre travail assez difficile.
Mme Tanada: Pour ce qui est des mesures concrètes visant à prévenir les cas les plus flagrants d'exploitation des enfants par le travail, on pourrait faire beaucoup pour améliorer la surveillance et la mise en oeuvre des normes du travail. Mais il y a un gros problème aux Philippines, en ce sens que ce n'est pas seulement le travail des enfants mais le marché du travail en général et le travail des femmes qui font difficulté.
Le système d'inspection du travail est très faible. On dit que le salaire minimum n'est accordé que dans environ 40 p. 100 des entreprises inspectées, mais le taux d'inspection est très bas. Il faut donc apporter beaucoup de correctifs dans ce domaine. Il faut faire du travail de surveillance au niveau national, au niveau du ministère du Travail et au niveau local. Mais il faut également changer tous les éléments qui poussent nos familles et nos enfants dans cette situation. Normalement, la société philippine accorde une très grande valeur aux enfants et à l'éducation. On veut que les enfants aillent à l'école et qu'ils évoluent dans un milieu favorable, mais la conjoncture économique a poussé les enfants et les femmes dans des situations draconiennes comme le travail à l'étranger et la prostitution.
M. Godfrey: Dans quelle mesure la population en général est-elle sensible à cette situation précise? Dans quelle mesure les médias sont-ils conscientisés, par exemple? Est-ce que c'est une question qui fait beaucoup la manchette, ou si on s'en préoccupe moins?
Mme Tanada: Quelle question?
M. Godfrey: Le travail des enfants. Est-ce un scandale à l'échelle nationale? Est-ce qu'on évite d'en parler ou si elle est traitée occasionnellement dans les journaux?
Mme Julino-Soliman: J'aimerais répondre à cette question ainsi qu'à celle concernant les principaux points d'action.
Au cours des six derniers mois, les médias ont parlé de l'exploitation des enfants qui travaillent et de la prostitution enfantine. Je pense que la question a été soulevée grâce au partenariat de la société civile, de l'UNICEF et d'une certaine section de la direction du gouvernement qui est en charge de cela - le ministère du Bien-être social et du Développement. On a abordé la question notamment à cause du lobby très puissant qui s'est exercé en faveur des droits des enfants au cours des six derniers mois.
Est-ce un scandale public? Cela commence à l'être, mais une bonne partie sera... Le rôle des médias à cet égard est très important. L'un des grands débats lorsque j'ai quitté - encore hier - était la remise en question de la façon dont l'exploitation sexuelle des enfants a été traitée dans les médias. On a fait état de nombreux abus au cours des deux dernières semaines à cet égard.
En ce qui concerne les secteurs stratégiques clés pour l'instant, je pense que l'un d'entre eux est lié à une réforme de la répartition des avoirs, ce qui veut dire que les ressources qui sont contrôlées par quelques éléments de la société devraient être réformées et redistribuées pour accroître la vitalité de notre marché intérieur. De cette façon, nous pourrions créer plus d'emplois aux niveaux municipal et provincial car il existe là un marché. Ainsi, nous pourrions éviter de faire deux choses: premièrement, envoyer des hommes et des femmes à l'étranger qui laissent leurs enfants aux soins de parents ou de grands-parents parce que c'est la situation dans laquelle se retrouvent la plupart des travailleurs contractuels qui vont à l'étranger. Deuxièmement, nous ne serions pas forcés d'entrer dans le giron de la concurrence mondiale grâce à la main-d'oeuvre bon marché. Lorsque nous offrons de la main-d'oeuvre bon marché afin d'être concurrentiels à l'échelle internationale, cela veut immédiatement dire qu'on engage des femmes et des enfants à des salaires bien en deçà de la norme, quand ils sont payés. Si nous pouvons procéder à cette réforme en comptant sur la volonté politique dont on a besoin, je pense que l'on pourrait régler nombre des problèmes auxquels nous faisons face.
Que faisons-nous à ce sujet? Actuellement...
M. Godfrey: Quels sont les avoirs qui font l'objet d'une réforme? Est-ce que c'est dans le domaine agraire ou dans le domaine immobilier dans les villes?
Mme Julino-Soliman: On devrait procéder à une réforme agraire, à une réforme des terres. De plus en plus de ressources côtières sont concentrées entre les mains de quelques personnes. On devrait aussi procéder à une réforme dans ce domaine. Parce que notre pays veut vraiment être considéré comme un «pays nouvellement industrialisé», la spéculation foncière dans les zones urbaines a pris des proportions déraisonnables. Le prix des terrains dans les régions urbaines aux Philippines est comparable à celui qui est pratiqué à Tokyo et à Hong Kong. Je pense que cela provoque une consolidation de plus en plus grande entre les mains de quelques personnes, ce qui fait qu'il y a de moins en moins de terrains disponibles pour la majorité de la population dans les centres urbains, terrains sur lesquels ces gens peuvent vivre et avoir une maison - beaucoup moins de terres où les gens peuvent s'installer.
Voilà ce dont il est question lorsque nous parlons de réforme des avoirs. Le gouvernement a effectivement un programme de réforme sociale, mais je crois que le partenariat entre le gouvernement et le secteur privé, influencé par la société civile, est un élément que nous essayons d'intégrer actuellement à l'histoire philippine.
M. Godfrey: Très intéressant. Cette dernière intervention illustre très bien la notion voulant que chaque société ait son propre réseau de connexions et sa propre dynamique. Il ne semble pas y avoir de solution unique pour l'ensemble.
Le président: C'est très vrai.
D'autres questions? Madame Gaffney.
Mme Gaffney: Je vous souhaite aussi la bienvenue ici aujourd'hui.
Si l'on compare la population des Philippines à celle du Canada, je crois que la vôtre est deux fois et demie supérieure à la nôtre. Lorsque je regarde les trois recommandations que vous aimeriez que le Canada adopte, c'est tout un programme pour un pays qui a une population bien plus réduite que la vôtre.
De toute évidence, la première recommandation est reliée à la raison d'être de notre comité. Nous examinons la question du travail des enfants dans différents pays du monde, et nous espérons pouvoir jouer un rôle de leadership pour empêcher le travail des enfants dans le monde.
Pour ce qui est de votre deuxième recommandation, à savoir que le Canada devrait jouer un rôle de leadership pour s'assurer que les échanges commerciaux avec les Philippines n'ont pas d'impact sur l'environnement, je ne sais vraiment pas ce que nous pourrions faire. Est-ce que vous parlez d'argent? Nous donnons environ 7 millions de dollars par année. Je pense que nous avons donné 50 millions de dollars canadiens depuis sept ans aux Philippines. À votre avis, devrions-nous vous accorder plus de ressources financières ou envisager d'autres façons de vous aider? Par exemple, l'industrie minière a un impact sur l'environnement et elle se trouve à déplacer les gens.
Que nous proposez-vous?
M. Songco: Ce que nous avons voulu dire dans cette recommandation, c'est que le Canada devrait nous aider à renforcer la croissance durable qui se fait actuellement. Nous savons que le Canada a des programmes bien implantés en matière de protection de l'environnement. Vous avez beaucoup d'industries qui font la promotion de la technologie propre, et c'est là un secteur très développé au Canada. Nous espérons que cette orientation pourra être encouragée dans la région Asie-Pacifique.
Mme Gaffney: Grâce aux ressources techniques?
M. Songco: Oui. De même, nous espérons que le Canada pourra faire progresser, dans la région, l'adoption de politiques qui ne prônent pas la croissance économique se traduisant par une plus grande exploitation des enfants ou des dommages plus nombreux à l'environnement. Voilà pourquoi nous proposions que lors de la réunion de l'APEC qui aura lieu ici l'an prochain, le Canada voudrait peut-être jouer ce rôle de sorte que nous puissions empêcher précisément le genre de problèmes auxquels nous faisons face actuellement.
Mme Gaffney: Très bien.
Katherine, je vais vous mettre sur la sellette vous aussi. En tant qu'agente de défense des droits pour le Conseil canadien pour la coopération internationale, quelles sont vos relations avec ces gens?
Mme Pearson: Je dois d'abord préciser que je suis peut-être appelée à faire du travail de défense, mais mon titre officiel est coordonnatrice de l'équipe d'élaboration des politiques du CCCI. Nous faisons beaucoup de travail dans le domaine de l'élaboration des politiques. Une partie de ce travail concerne les organisations non gouvernementales canadiennes, et l'autre, le gouvernement canadien.
Voici comment nous interagissons avec les ONG des Philippines ou d'autres ONG dans d'autres pays: lorsque des problèmes surgissent - et nombre des problèmes que l'on discute intéressent le Canada ou d'autres pays avec lesquels nous avons des liens -, nous essayons de travailler ensemble à l'élaboration de politiques, soit par le biais de la recherche sur des sujets particuliers, par exemple les mines, le développement durable, soit plus particulièrement au niveau multilatéral, par le biais de l'ONU de même qu'avec nos propres gouvernements pour faire avancer ces politiques qui appuient le développement durable.
L'exemple le plus évident ou le meilleur de cette relation de travail nous a peut-être été fourni par le Sommet de la Terre. C'est à ce moment-là que les ONG ont commencé à unir leurs efforts pour régler des problèmes relatifs au développement durable, et je dirais, de façon concrète et systématique. Ces liens ont évolué et se sont multipliés depuis.
Des mesures ont été prises pour maintenir ces réseaux internationaux d'ONG qui travailleraient sur le plan tant multilatéral que national afin d'avoir un plus grand impact. Nous sommes conscients que nous ne pouvons pas, de manière isolée, faire avancer les politiques sur le développement durable auprès de nos propres gouvernements si, au niveau multilatéral ou dans d'autres pays, des positions sont adoptées qui vont à l'encontre du travail que nous faisons.
Nous avons donc établi de bonnes relations systématiques. De plus en plus d'ONG travaillent à des programmes communs à Washington, à New York, à Genève et ailleurs.
Le président: Madame Debien.
[Français]
Mme Debien: C'est une question d'information et peut-être aussi un commentaire. Dans les magasins ici, au Québec, et sans doute aussi dans les autres provinces, il y a beaucoup de produits textiles qui viennent des Philippines. On voit souvent le «Made in Philippines». Donc, c'est probablement un des secteurs dont vous parliez tantôt, celui de l'industrie.
Il y a trois secteurs de développement économique aux Philippines: le secteur agricole, le secteur des services et le secteur de l'industrie, c'est-à-dire de l'entreprise manufacturière, j'imagine. Est-ce que vous savez quel est le pourcentage des exportations des Philippines au Canada, surtout en ce qui concerne les exportations de textiles? J'ai surtout vu des importations de textiles et de vêtements venant des Philippines. Y a-t-il des enfants qui travaillent dans l'industrie du vêtement? D'après vous, quelles mesures devrait-on prendre contre les entreprises exportatrices qui utiliseraient le travail des enfants?
[Traduction]
Le président: Qui veut répondre à cette question?
M. Songco: Quand vous parlez de nos exportations à destination du Canada, je pense que vous devriez parler plus du vêtement que du textile. Nous n'avons pas une très bonne industrie textile...
[Français]
Mme Debien: Quand je parle de textile, c'est du vêtement. Je m'excuse. Le mot «textile» est un terme très global, très général. Je parle du vêtement et non pas du tissu au mètre.
[Traduction]
M. Songco: Nous avons effectivement une très bonne industrie du vêtement. Cependant, elle perd rapidement de la vigueur face à la concurrence du Vietnam et de la Chine. Dans l'ensemble, nous savons qu'une bonne partie de nos exportations se font encore dans le secteur du vêtement.
Oui, nous savons effectivement que les enfants et les femmes sont la principale source de main-d'oeuvre pour cette industrie. Il est tout à fait possible - et nous avons avec nous des chiffres - que ce soit là l'une des causes expliquant l'ampleur du problème du travail des enfants.
Mme Tanada: Je ne pense pas que nous ayons les chiffres exacts concernant l'exportation de vêtements des Philippines à destination du Canada, mais il y a plus de femmes qui travaillent dans les usines officielles de fabrication de vêtements. Une bonne partie du travail est également faite à la maison, à la pièce. C'est là que les enfants viennent en aide pour effectuer des tâches moins spécialisées. Donc il y a encore plus de femmes qui travaillent dans l'industrie du vêtement et d'enfants qui les aident.
Mme Julino-Soliman: Simplement pour vous donner une idée de ce que cela veut dire, dans la Cordillère où les peuples autochtones sont bien connus pour leurs compétences en tissage, le fil est apporté au village. Les femmes travaillent à la pièce principale et les enfants font la partie du travail qui nécessite de bons yeux parce que les femmes plus âgées ont de la difficulté à couper ou à tisser. C'est là un exemple où les enfants sont utilisés à la maison.
L'autre domaine est celui de l'emballage et de la réexpédition. Cela veut dire que les enfants sont chargés de rassembler toutes les pièces du vêtement qui sont faites, parce que parfois on fait le travail à la chaîne. Un village fait toute la broderie dans la partie du haut. Un autre village fait l'ourlet de la jupe, et le vêtement est amené à une usine où on assemble tout.
C'est de là qu'on exporte les robes pour bébés. Je pense qu'une bonne partie des vêtements qu'on exporte ici consistent en des robes pour enfants ou des robes pour bébés où il y a beaucoup de broderie faite à la main.
Nous aimerions qu'il y ait plus de mesures positives pour assurer de justes pratiques commerciales et un environnement propre et sûr plutôt que des sanctions négatives appliquées pour de telles conditions de travail.
Le président: Vous avez dit tout à l'heure, monsieur Songco, que plus la croissance économique est forte, plus il y a d'enfants qui travaillent. Vous avez également parlé des travailleurs contractuels qui vont à l'étranger, ce qui laisse supposer une pénurie de main-d'oeuvre qui était caractéristique des Philippines auparavant.
Jusqu'à tout récemment, les Philippines ne se classaient pas parmi les premiers. Les taux de croissance y étaient très bas. Mais au cours des deux dernières années ces taux ont été les plus élevés en Asie, 7 et 8 p. 100, je pense. Est-ce que de ce fait, il y a plus d'enfants qui travaillent? Qu'advient-il de ces travailleurs contractuels qui vont à l'étranger? Est-ce qu'ils trouvent maintenant du travail aux Philippines?
M. Songco: Monsieur le président, permettez-moi de corriger cette impression. Nous n'avons pas dit que la croissance économique contribuait au travail des enfants, nous avons parlé d'une croissance économique débridée. Vous voyez, plus l'activité économique est grande, plus les Philippines veulent faire concurrence sur les marchés mondiaux, plus elles recourent à la main-d'oeuvre bon marché. C'est à ce moment-là que ce genre d'exploitation se fait.
Le président: Alors nous assisterions aux Philippines actuellement, diriez-vous, à une croissance économique débridée.
M. Songco: Oui, monsieur le président, c'est exactement ce qui se passe.
Nous croyons que le nombre de travailleurs contractuels à l'étranger augmente actuellement. Nous vivons donc un phénomène, et je crois que c'est le même au Canada, que l'on appelle la croissance sans emplois. L'économie s'améliore mais le chômage ne diminue pas. En fait, il a augmenté légèrement au cours des deux dernières années.
Le président: Nous avons une majorité de libéraux ici, les gens vont contester ce que vous dites.
M. Songco: D'accord, je m'excuse. Mais c'est la situation pour l'instant.
Le président: Madame Tanada.
Mme Tanada: En fait, il semble que même notre autorité nationale en matière de développement économique ait attribué une partie de cette croissance phénoménale aux envois de fonds faits par les travailleurs à l'étranger, qui s'élèvent à 16 milliards de dollars, je crois.
M. Songco: Une grande partie de notre PNB provient des envois de fonds des travailleurs à l'étranger.
Mme Julino-Soliman: Je pense que l'un des défis que nous devons relever maintenant, c'est de voir comment ces envois peuvent être utilisés pour rendre le secteur manufacturier plus vivant, parce que pour l'instant, les fonds qui sont envoyés ici sont canalisés dans le travail axé sur les services, ce qui veut dire plus d'agences de recrutement, donc plus de travailleurs à l'étranger, plutôt que dans les entreprises qui peuvent faire des économies rurales un secteur très dynamique. C'est donc un défi que nous devons relever.
Mais nous disons aussi qu'à cause de la mondialisation des marchés, nous serions vraiment en faveur de ce dont Karen parlait tout à l'heure, c'est-à-dire d'interventions à caractère incitatif de la part de nos partenaires commerciaux. Donc, si nos vêtements ou les robes qui viennent des Philippines ont été fabriqués en recourant à l'exploitation de la main-d'oeuvre, au lieu d'adopter des actions punitives, nous préconisons des interventions positives ou incitatives afin d'encourager un plus grand nombre de nos petites et moyennes industries à prendre de l'expansion, parce que cela les fait mourir immédiatement alors que les plus grosses peuvent continuer leur exploitation. Les grosses entreprises sont celles qui ont tendance à exploiter davantage les gens, non pas seulement les enfants, mais aussi la main-d'oeuvre en général.
Le président: Merci beaucoup. S'il n'y a pas d'autres questions, je tiens à vous remercier de vos exposés très précis. Cela nous est très utile pour notre mandat sur le travail des enfants ainsi que dans d'autres domaines que nous étudions. Je vous remercie d'être venus ici et je remercie Mme Pearson de vous accompagner. Nous avons appris beaucoup de vous aujourd'hui. Merci beaucoup.
Mme Julino-Soliman: Merci beaucoup.
Le président: La séance est levée.