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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 18 novembre 1996

.1537

[Traduction]

Le coprésident (M. Duhamel): Bonjour. Je m'appelle Ron Duhamel. Je suis le coprésident de ce comité. L'honorable Michel Dupuy ne peut pas venir aujourd'hui parce qu'il a d'autres obligations, mais il m'a demandé de vous saluer de sa part.

Je tiens à signaler à mes collègues qui sont ici que d'autres personnes se joindront à nous. Le premier ministre fait un discours sur le Zaïre à la Chambre des communes. Certains membres du comité ont été retardés et il ne faut donc pas s'étonner si d'autres personnes nous rejoignent plus tard. Nous allons simplement continuer. Ce genre de choses n'a rien d'inhabituel.

Nous avons aujourd'hui à cette table

[Français]

le député Philippe Paré du Bloc québécois et le député Herb Grubel du Parti réformiste.

[Traduction]

D'ordinaire, nous entendons des exposés de cinq ou sept minutes, après quoi mes collègues posent des questions. Ces questions peuvent s'adresser à une ou plusieurs personnes, mais vous pouvez ajouter quelque chose, si vous le désirez.

[Français]

Je vous invite à le faire. N'hésitez donc aucunement.

[Traduction]

Cela dit, nous allons commencer. Je voudrais commencer par M. Herman, après quoi je choisirai au hasard, peut-être même en tirant un numéro.

M. Lawrence L. Herman (avocat partenaire, Herman Associate Counsel, Cassels Brock & Blackwell): Merci, monsieur le président et membres du comité.

C'est avec plaisir que je comparais devant vous pour cet important examen. Étant donné le temps très limité dont je dispose pour mon exposé, je serai raisonnablement bref et succinct.

J'ai envoyé au comité un mémoire détaillé. Il est assez long puisqu'il comporte une soixantaine de pages avec l'annexe. Je ne m'attends pas à ce que les membres du comité aient eu le temps de le lire en détail, étant donné leur horaire chargé, mais ce mémoire examine chacun des principaux éléments de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, fait des commentaires et une analyse, et suggère des modifications.

Sans entrer dans les détails qui figurent dans mon mémoire écrit, j'ai l'impression qu'il y a un certain nombre de grands principes à ne pas perdre de vue dans le cadre de cet examen. La première chose qu'il faut souligner c'est que la LMSI fonctionne raisonnablement bien. C'est une loi qui a subi un certain nombre de changements pour permettre au Canada de s'acquitter de ses obligations internationales. Ce n'est pas une loi parfaite, mais elle donne des résultats raisonnablement satisfaisants.

.1540

D'autre part, il est essentiel de souligner que la loi permet au Canada de s'acquitter de ses obligations internationales. Si j'ai bien compris, nous ne sommes pas là pour examiner cette loi isolément. Elle doit être cohérente et toute modification qui lui est apportée doit être conforme aux obligations internationales du Canada.

L'accord de l'Uruguay Round contient les deux principaux accords subsidiaires que la LMSI met en oeuvre, soit l'accord sur les mesures antidumping et l'accord sur les subventions et les mesures compensatoires. Ces documents exposent en détail les ingrédients du régime de recours commerciaux, et le Canada, comme tous les pays membres de l'OMC, a l'obligation de se conformer à ces accords. La loi doit y être conforme à tous égards.

En troisième lieu, étant donné la nécessité d'avoir une loi conforme à l'accord de l'Uruguay Round, le régime de recours commerciaux du Canada doit être - et c'est mon avis en tant qu'avocat commercial - conforme au régime de recours commerciaux de ses principaux partenaires commerciaux. Il ne serait pas souhaitable, selon moi, que la législation canadienne ne corresponde pas à celle des principaux partenaires commerciaux du Canada. J'y reviendrai dans un instant.

Voilà les remarques préliminaires que je voulais faire. Elles sont exposées en détail dans le mémoire que je vous ai adressé. Je pourrai vous fournir les précisions qui vous intéressent au cours de la période de questions.

Permettez-moi de proposer quatre valeurs - si je peux employer ce terme - que le comité devrait garder à l'esprit lors de son examen de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, compte tenu de ce que je viens de dire.

Premièrement, il s'agit de la transparence et de la clarté. La loi est-elle suffisamment transparente et claire pour que les principales parties prenantes sachent en quoi consistent les procédures?

Deuxièmement, est-elle efficace? Ici, je fais particulièrement allusion au processus d'audiences du Tribunal canadien du commerce extérieur. La loi permet-elle des audiences efficaces? À mon avis, certaines améliorations pourraient être apportées à cet égard.

Troisièmement, il y a l'équilibre et l'équité. Telle qu'elle est rédigée et appliquée à l'heure actuelle, la loi assure-t-elle cet équilibre et cette équité? Je dirais que non. Il s'agit de voir s'il est possible de rétablir l'équilibre et l'équité au moyen de modifications ou de procédures administratives. À mon avis, la procédure d'audience du tribunal va à l'encontre des intérêts de l'industrie canadienne. Nous pourrons entrer davantage dans les détails au cours de la période de questions.

Quatrièmement, pour en revenir à ce que j'ai dit au départ, la LMSI et la procédure qu'elle prévoit sont-elles comparables aux lois et procédures en vigueur aux États-Unis? Il me paraît essentiel que, dans le contexte commercial nord-américain, dans le contexte de l'ALENA, les lois canadiennes sur les recours commerciaux assurent au moins la comparabilité des régimes canadien et américain. Je ne veux pas dire que l'un doit être le reflet fidèle de l'autre, loin de là, mais en tant que praticien, si je représente l'industrie canadienne, je ne vois pas de raison - et je dirais même qu'il n'est pas dans l'intérêt du Canada que notre industrie soit défavorisée par l'application de notre régime de recours commerciaux par rapport à son homologue américaine.

Voilà ce que j'avais à dire. Je mentionnerai brièvement la question de l'intérêt public que vous désirez aborder aujourd'hui, si j'ai bien compris.

.1545

J'ai dit, au départ, que la LMSI donnait des résultats raisonnablement satisfaisants et cela vaut pour la défense de l'intérêt public. Je pense que cet élément du processus fonctionne bien. L'intérêt public peut être défendu une fois que le tribunal a rendu ses conclusions et s'il y a un problème, ce n'est pas dans la façon dont la loi est rédigée, mais du fait que les groupes d'intérêt public ou ceux qui défendent l'intérêt public n'ont pas jugé bon, pour une raison ou pour une autre, de recourir à cette procédure comme ils auraient pu le faire depuis des années.

Voilà ce que j'avais à dire, monsieur le président. Merci.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Herman. Comme vous l'avez dit, nous allons parler de l'intérêt public et je crois que nous allons commencer par Mme MacMillan.

Mme K.E. MacMillan (présidente, Consultants en politique commerciale internationale Inc.): Monsieur le président, merci de m'avoir invitée aujourd'hui.

Je parlerai surtout de l'intérêt public et j'ai cru utile de vous donner, dès le départ, une petite idée de ma façon de voir. J'ai été vice-présidente du Tribunal canadien du commerce extérieur pendant cinq ans, entre 1989 et 1994. Je me suis alors efforcée d'interpréter l'article 45 et, depuis, je me suis occupée, en tant que consultante, d'une affaire d'intérêt public, celle du sucre raffiné, au début de l'année.

Je voudrais parler un peu des aspects pratiques, de même que de certains problèmes conceptuels que suscite l'article 45 sous sa forme actuelle. Comme vous le savez, la loi ne précise pas ce que l'on entend par «intérêt public».

En tant que membre du tribunal et par la suite, dans le cadre de notre travail auprès de l'industrie, j'ai fait des recherches approfondies pour trouver une définition de cette expression. Nous avons examiné les délibérations du comité permanent datant de l'époque où la loi a été mise sur pied et nous avons examiné d'autres lois du Parlement où il était question de l'intérêt public.

Le problème fondamental est le suivant: en principe, le Parlement agit toujours dans l'intérêt public et la LMSI, comme vous le savez, est une loi conçue pour accorder une protection spéciale aux industries qui sont lésées ou menacées par du dumping ou des importations subventionnées. On se trouve donc devant un problème conceptuel intéressant: d'une part, pourquoi conférer aux industries cette protection spéciale et de l'autre, la leur enlever dans certaines circonstances, sans préciser vraiment quelles sont ces circonstances.

Si l'on abordait l'intérêt public du point de vue d'un économiste en se livrant à une analyse économique et en faisant quelques calculs, on n'imposerait jamais de droits de douane, car les coûts que cela représente pour le consommateur et l'efficience économique en général sont toujours plus importants que les avantages résultant de ces droits. Il s'agit donc d'essayer de comprendre dans quelles circonstances l'intérêt public devrait être invoqué et si votre comité pourrait recommander les conditions dans lesquelles les dispositions relatives à l'intérêt public pourraient intervenir.

Comme M. Herman l'a dit tout à l'heure, il est très rare que l'intérêt public ait effectivement été invoqué. Le Tribunal canadien du commerce extérieur et le TCI ont mené, je crois, 83 enquêtes en vertu de l'article 42 de la LMSI. Dans trois cas, il s'agissait d'enquêtes sur l'intérêt public. Le tribunal a fait deux recommandations en faveur d'une réduction des droits, mais ceux-ci n'ont été réduits qu'une fois. Par conséquent, pour 83 cas que nous avons eus, les droits ont été réduits seulement dans un cas.

Examinons un instant ce que le tribunal a retenu dans ces circonstances et quels sont les critères qui justifiaient une enquête à ses yeux.

Dans le premier cas, une industrie en aval a été lésée ou risquait d'être lésée et c'est ce qui s'est produit dans le cas du maïs-grain. Si un autre groupe de producteurs se trouve acculé à la faillite ou subit de graves torts, le tribunal doit-il examiner la question de l'intérêt public?

.1550

Deuxièmement, il y a les torts causés à la concurrence. Si l'imposition du plein montant des droits élimine totalement les importations du marché et laisse les coudées franches à un monopole ou oligopole, cela doit-il déclencher une enquête sur l'intérêt public?

Troisièmement, dans le cas de la bière, où les droits étaient plus élevés qu'il n'était nécessaire pour compenser le préjudice, le tribunal a recommandé un droit moindre. Dans le premier cas, sa recommandation n'a pas été suivie. Je sais que le comité s'est intéressé à la question du droit moindre. Le champ de votre étude dépasse peut-être un peu la simple question de l'intérêt public, mais voilà ce qu'il en est.

Si vous songiez à mieux préciser le genre de choses que le tribunal devra examiner, il faudrait que ce soit l'ensemble des torts subis par une industrie en aval. Pourrait-on établir une sorte de mini-critère que le tribunal devrait considérer pour décider s'il y a lieu de pousser plus loin son enquête?

Il y a aussi l'état de la concurrence dans le marché national. L'imposition des droits éliminerait-elle totalement les importations? Cela donnerait-il à un producteur solide du Canada carte blanche pour augmenter les prix par exemple?

Pour ce qui est d'imposer un droit moindre, c'est plus compliqué. Si vous choisissiez cette voie, vous voudriez sans doute songer à en faire une considération plus générale qu'un simple critère à invoquer dans l'intérêt public. Mais c'est ainsi.

Quoi qu'il en soit, je crois qu'on aurait avantage à mieux préciser les critères pour l'application de l'article 45. Je pense également qu'une disposition concernant l'intérêt public doit faire en sorte qu'il soit plus difficile d'obtenir une protection spéciale au départ, et plus difficile encore de la conserver éternellement. Peut-être, en pratique, faudrait-il songer à mieux surveiller les résultats. Le personnel du tribunal pourrait peut- être surveiller les industries de façon plus systématique de façon à voir ce qu'il est advenu des prix, de la concurrence et des importations pendant la durée de sa décision et veiller à ce que la décision ne soit maintenue que pendant le temps nécessaire.

Dire que les dispositions relatives à l'intérêt public ont été positives alors qu'elles n'ont touché qu'un cas sur 83 serait... En pratique, ces dispositions n'atteignent peut-être pas leur but. Ces deux séries d'objectifs ne devraient pas constituer le but premier de la loi. Il faudrait plutôt en faire un outil davantage destiné à accorder une aide spéciale aux industries, dans des circonstances très limitées et pour une période déterminée - seulement pendant le temps où cette protection est nécessaire - sans trop compliquer la loi avec des considérations de l'intérêt public qui ne sont pas très bien formulées.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, madame MacMillan.

Monsieur Cheng, je voudrais vous donner la parole, si vous le voulez bien.

Me Ronald Cheng (avocat, Osler, Hoskin & Harcourt): Merci, monsieur le président.

Comme vous avez déjà pu le constater, surtout en entendant Mme MacMillan, d'autres sont peut-être mieux qualifiés que moi pour parler de la façon dont le tribunal applique l'article 45, et surtout du raisonnement qui l'a amené à rendre ses décisions. Mais comme votre greffier m'a demandé de concentrer mon attention sur l'article 45 pour l'audience d'aujourd'hui, j'espère pouvoir examiner cette disposition dans un certain contexte.

Je vous ai remis la copie d'une documentation que vous connaissez peut-être, mais que vous pourrez facilement consulter. La première page reproduit simplement l'article 45. Les trois pages suivantes énoncent les prétendues lignes directrices à l'égard des enquêtes portant sur l'intérêt public, que le tribunal a émises en février 1995 sous la forme d'un avis de pratique et qui énoncent une procédure qui a évolué depuis l'adoption de cet article. Je ne décrirai pas cette procédure en détail. Si c'est nécessaire, je pense que cette question peut être abordée plus tard, au cours de la discussion.

.1555

Néanmoins, monsieur le président, vous avez, en fait, deux contextes dans lesquels vous pouvez examiner cette disposition ou toute autre, soit la procédure et le fond. Si vous voulez examiner n'importe lesquelles des dispositions de la loi et formuler des recommandations, cet article ne donne pas beaucoup d'indications. À la page 5 de la même documentation vous trouverez les commentaires pertinents du document d'information du ministère des Finances. Comme vous vous en souviendrez sans doute, en ce qui concerne l'article 45, il est dit qu'on pourrait songer à clarifier le recours à cette disposition.

J'estime qu'il n'y a pas lieu de recommander des changements. Même si vous croyez que la procédure pourrait être modifiée, à mon avis, c'est du ressort du tribunal chargé de l'appliquer.

Pour ce qui est du fond, cet article correspond au GATT. Il a été appliqué, même si c'est dans un nombre de cas limité, pour réduire les droits autrement payables lorsque le tribunal a conclu à un dommage. Mais le plus important sans doute, c'est que cet article a permis au tribunal de considérer tous les facteurs que les diverses parties ont présentés comme étant des facteurs d'intérêt public. Selon moi, cela répond au but du rapport Mackasey qui recommandait d'adopter cet article pour une question de politique. Et comme il a l'effet escompté, étant donné la façon dont le tribunal a interprété et appliqué cet article, je ne pense pas qu'il faudrait le modifier.

La façon dont le tribunal a appliqué cet article se reflète, bien entendu, dans ses décisions. Je vous ai fourni, séparément, des extraits pertinents de 12 décisions sur l'intérêt public qui m'ont amené à tirer les conclusions que je viens d'énoncer. Je n'ai pas l'intention de les passer en revue, sauf si vous souhaitez en discuter plus tard.

Mais permettez-moi de démontrer ce que je veux dire. Pour en revenir à la première série de documents que je vous ai fournis, à la page 6 vous trouverez la disposition du GATT sur laquelle se fonde notre article 45. L'article 9.1 de l'accord du GATT de 1994 porte notamment qu'il est souhaitable que les droits imposés si l'on juge que le dumping ou le subventionnement d'importations cause un dommage, ne soient pas plus élevés que ce n'est nécessaire pour faire disparaître le préjudice pour la branche de production nationale.

Monsieur le président, l'article 45 permet d'atteindre cet objectif. Il n'est pas obligatoire d'imposer un droit moindre que la marge, mais le tribunal est certainement libre d'examiner toutes raisons de réduire les droits qui seraient autrement calculés et perçus conformément à la loi. Le tribunal a examiné ces raisons en tenant compte de ce que je crois être l'objectif premier de la loi, à savoir protéger la production nationale contre les importations faisant l'objet d'un dumping ou d'un subventionnement.

En même temps, en interprétant et en appliquant l'article 45, le tribunal a toujours résisté à la tentation d'importer dans la loi des considérations politiques résultant d'autres lois nationales telles que le désir de freiner un comportement monopolistique, qui est du ressort de la Loi sur la concurrence.

Les principaux domaines de l'intérêt public auxquels le tribunal s'est intéressé en appliquant cet article ont été, comme l'a dit Mme MacMillan, l'augmentation des prix faisant suite à une conclusion de dommage et la création d'un monopole ou quasi- monopole de production dans le marché canadien à l'égard de marchandises assujetties. Le corollaire dont le tribunal a également tenu compte est la disponibilité des marchandises assujetties à un prix compétitif, soit de la source des importations faisant l'objet d'un dumping ou d'un subventionnement ou d'une autre source non couverte par les conclusions en question. Il a également examiné les effets des conclusions de dommage sur les systèmes de distribution du Canada et les répercussions en aval des hausses de prix sur les industries utilisatrices.

.1600

Monsieur le président, je pense avoir fait le tour de l'interprétation et de l'application de cet article, et peut-être cela vous aidera-t-il dans vos discussions. Merci.

Le président: Merci, monsieur.

Monsieur Flavell.

Me Michael Flavell (avocat, Flavell, Kubrick and Lalonde): Si je peux répondre immédiatement à mon collègue, M. Cheng, il a dit que, selon lui, l'article 45, tel qu'il a été interprété, a atteint l'objectif de la Commission Mackasey, le rapport Mackasey et des recommandations Mackasey. Si c'est le cas, l'intention de Mackasey était de n'arriver à rien.

Nous avons entendu Mme MacMillan - qui devrait être au courant vu qu'elle a siégé au tribunal pendant cinq ans - nous dire que dans un cas seulement sur 83, l'article 45 avait été appliqué de façon à réduire les droits. Je sais que M. Cheng est amateur de base-ball comme moi et il devrait convenir que si nous n'arrivions, lui ou moi, à frapper qu'une balle sur 83 ou à gagner une cause sur 83 devant les tribunaux, nous ne tarderions pas à nous recycler. Ce chiffre indique, à lui seul que, pour une question de libellé législatif ou d'interprétation du tribunal, l'article 45 s'est révélé inefficace.

Cela me paraît regrettable. J'allais citer exactement le même extrait du document d'information du ministère des Finances que M. Cheng indiquant, comme M. Martin l'a déclaré également, qu'il est essentiel d'établir un juste équilibre entre ce recours extrêmement important et efficace et tellement favorable aux producteurs nationaux, d'une part, et les intérêts des utilisateurs du produit touché par les droits, d'autre part.

Il s'agit de voir comment protéger les producteurs canadiens contre les recours commerciaux injustes des autres pays sans toutefois faire plus de tort qu'il n'est nécessaire aux utilisateurs des marchandises importées. Par conséquent, lorsque l'article 45 a été inclus dans la loi, j'espérais que le tribunal se rendrait à cette invitation - car j'estimais que c'en était une - et qu'il s'en servirait plus souvent qu'il ne l'a fait.

Pour être juste envers le tribunal, le libellé de la loi n'était pas très précis et il ne s'agissait pas vraiment de directives. Il disait simplement que le tribunal pouvait faire ceci ou cela. Le tribunal a donc décidé de se montrer très prudent en se servant de cet article 45 pour tenir compte à la fois des intérêts des producteurs canadiens et de ceux des utilisateurs canadiens des produits visés.

Il ne faut pas oublier que pour des raisons dans lesquelles je n'entrerai que si les membres du comité me le demandent, car c'est très compliqué et même encore plus ennuyeux que le reste de la loi antidumping, le calcul des marges de dumping que fait le sous- ministre donne souvent des marges nettement plus élevées qu'on ne s'y attendrait. En effet, quand vous suivez un raisonnement simpliste, vous vous attendez à ce que, pour un produit vendu aux États-Unis 1 $ et au Canada 90c., la marge de dumping soit de 10c. Souvent, pour des raisons avec lesquelles je ne veux pas vous ennuyer, mais en fonction de ce qu'il est convenu d'appeler des valeurs constructives, ces marges sont nettement supérieures à 10c. Quand c'est le cas, et surtout quand c'est le cas, le tribunal pourrait s'acquitter très utilement de ses fonctions, s'il les concevait ainsi, en réduisant ces droits, disons de 40c., établis par le sous-ministre, aux 10c. dont je viens de parler. Chacun de nous conviendra que telle est la marge de dumping réelle.

.1605

Je souhaiterais vivement que l'on invite le tribunal à recourir plus souvent à l'article 45 et cela, en modifiant la loi. En révisant le libellé de la loi, il faudrait lui faire comprendre que la possibilité d'imposer des droits moins élevés fait partie des solutions à envisager. Et je dirais que l'article45 doit être associé à l'article 42, si vous voulez. Il faudrait les jumeler ou au moins placer l'article45 sur le même pied que l'article 42.

Je vais essayer d'expliquer ce que je veux dire en prenant le cas le plus récent dans lequel il y a eu une audience concernant l'intérêt public et il s'agit du cas du sucre. Il en a déjà été question. On a dit que les marges de dumping étaient de l'ordre de 40 p. 100, 50 p. 100 ou plus. Nous avons entendu dire que les Canadiens qui se servaient de sucre pour fabriquer des produits destinés à l'exportation ou à la vente au Canada étaient très mécontents de voir imposer des droits aussi prohibitifs pour éliminer entièrement la concurrence des importations. C'est là que doit intervenir l'équilibre dont j'ai parlé.

Quand le tribunal a examiné la question de l'intérêt public, après avoir déjà conclu à un dommage en vertu de l'article 42, il a estimé - et j'ai sous la main sa décision dont je pourrais vous lire des extraits si vous le désirez - que l'article 45 était une disposition exceptionnelle, qu'il devait donc être interprété de façon restrictive et que ceux qui voulaient s'en prévaloir devaient faire la preuve de leur bon droit. Ou si vous voulez, le fardeau de la preuve leur incombait pour pouvoir recourir à l'article 45.

En tant qu'avocat, il me semble qu'un moyen d'établir un juste équilibre serait de préciser clairement que le but premier de la loi, à l'article 42 - c'est-à-dire lorsque le tribunal enquête pour établir s'il y a eu dommage - est de protéger l'industrie canadienne. Mais une fois qu'un dommage est constaté et que l'on passe à l'article 45, cet article devrait accompagner le premier, en ce sens que les personnes qui invoquent l'article 45 ne devraient pas se retrouver en position défavorable. Il ne faudrait pas qu'on les considère comme étant dans une situation exceptionnelle. Ces personnes devraient se trouver sur un pied d'égalité au lieu d'être défavorisées au départ. C'est un petit détail qui contribuerait à favoriser son utilisation.

Je voulais seulement dire quelques mots au sujet des observations de M. Herman concernant le Tribunal canadien du commerce extérieur. J'ai lu ses opinions ailleurs et je sais qu'à son avis la procédure du tribunal défavorise l'industrie canadienne. Je sais qu'il vaudrait mieux, selon lui, que l'audience soit beaucoup plus courte et que le tribunal se fie davantage à des mémoires écrits, mais je dirais que cela rapprocherait notre système du système américain et pourrait même aligner les deux.

Au cours de mes 26 années d'expérience, je n'ai jamais entendu autant de louanges sur un des éléments de la législation canadienne qu'à propos de la procédure du TCCE par comparaison à l'ITC des États-Unis. Tous ceux à qui j'en ai parlé m'ont dit qu'au moins nous avions un procès. Nous présentons au moins une cause. Nous vérifions les renseignements et nous procédons à un contre-interrogatoire. Nous découvrons la vérité grâce à une procédure accusatoire modifiée. À tous les points de vue, on considère que notre système représente une très grosse amélioration par rapport au système américain. Ce serait donc une erreur que de s'orienter vers le système américain.

Pour terminer sur la comparabilité, je dirais que le système canadien se compare au système américain uniquement en ce qui concerne la seule base de comparaison qui compte: aux États-Unis, l'ITC conclut à un dommage aussi souvent que notre tribunal le fait. Je fais peut-être une autre analogie avec le base-ball en comparant les victoires et les défaites, mais si M. Herman veut modifier la loi de façon à ce que les producteurs canadiens gagnent encore plus souvent leurs causes, ce tribunal ne jouera plus qu'un rôle purement symbolique.

.1610

Le coprésident (M. Duhamel): Merci. En écoutant votre témoignage, je me suis dit que si mon travail est intéressant, c'est parce que les gens qui nous conseillent ne sont pas toujours d'accord.

Deux collègues se sont joints à nous. Il s'agit de M. Cullen et M. Assadourian, tous deux députés. Comme nous le faisons habituellement,

[Français]

je vais débuter par M. Paré qui représente l'Opposition officielle.

M. Paré (Louis-Hébert): J'ai eu l'occasion d'assister à une rencontre du Sous-comité sur les différends commerciaux à laquelle témoignaient un groupe d'avocats, dont M. Cheng qui est ici aujourd'hui. J'en concluais que dans l'ensemble, les témoins se disaient satisfaits du fonctionnement de la loi. J'ai presque le goût de dire qu'à peu de choses près, c'est un petit peu la même chose qu'on entend cet après-midi, bien que les propos me semblent un peu plus nuancés qu'ils ne l'étaient la dernière fois.

Monsieur Herman, vous faites une description que j'ai jugée plutôt positive. Vous dites que la loi fonctionne bien. Vous ne dites pas non plus que l'application des responsabilités internationales du Canada ne fonctionne pas. Vous énoncez des valeurs et parlez de la transparence et de l'efficacité qu'on pourrait améliorer. Mais lorsqu'on vous demande si la loi est équitable, là votre non est catégorique. J'aimerais que vous nous expliquiez pourquoi vous dites si catégoriquement que la loi n'est pas équitable. En quoi n'est-elle pas équitable?

M. Herman: Si vous me le permettez, j'aimerais répondre à votre question en anglais parce que les termes techniques sont difficiles à interpréter et à traduire de l'anglais au français.

[Traduction]

J'ai dit qu'il est important que la loi soit bien équilibrée et équitable et c'est à ce point de vue que M. Flavell et moi voyons les choses très différemment.

L'enquête que le tribunal mène en vertu de l'article 42 de la loi n'est pas un procès. Il s'agit d'une enquête publique menée conformément à une loi. Il n'y a pas de plaignant et il n'y a pas d'intimé. Cela vise à déterminer si le dumping ou la subvention, qui a été constaté, cause un dommage. La loi n'impose le fardeau de la preuve à personne. Je vais vous donner un exemple de ce qui s'est passé et peut-être que ces exemples vous aideront à comprendre mes inquiétudes.

Je vais vous donner l'exemple d'un cas, que j'ai défendu, où une industrie nationale a déposé une importante documentation. Les importateurs ou les exportateurs n'étaient pas tenus de déposer cette importante documentation. En fait, lors de cette enquête, l'un des exportateurs-importateurs n'a déposé aucun document, n'a présenté aucun témoin et a pu quand même comparaître accompagné d'un avocat et contre-interroger la branche de production nationale.

Je ne crois pas que ce soit là un processus juste et équitable. Il faudrait que l'obligation de présenter une preuve écrite soit mieux équilibrée. Les exportateurs ou importateurs qui ont fait du dumping ou exporté des marchandises subventionnées sur le marché canadien devraient également avoir l'obligation de déposer cette documentation. La procédure d'audience doit être équilibrée.

Selon moi, il n'est pas juste pour la branche de production nationale d'avoir à subir des jours et des jours de contre- interrogatoire au sujet d'une preuve et d'une documentation détaillées qu'elle a déposées, sans que les exportateurs et les importateurs ne soient soumis à la même obligation.

En fait, il arrive souvent que les exportateurs décident de ne pas comparaître. Les importateurs se présentent en disant qu'ils ignorent comment les exportateurs opèrent. Ils ne peuvent pas témoigner quant à savoir si le dumping va se poursuivre ou si l'exportateur compte continuer à exporter sur le marché canadien, parce qu'ils n'ont pas ce renseignement.

.1615

La procédure permet donc souvent aux exportateurs de brouiller les cartes en s'abstenant de comparaître et de subir un contre- interrogatoire. Voilà pourquoi nous devons rétablir l'équilibre sans oublier qu'il s'agit d'une enquête publique et non pas d'un procès.

[Français]

J'espère avoir bien répondu à votre question.

M. Paré: Tous ces processus ne me sont pas familiers et je n'ai pas très bien compris en quoi l'entreprise plaignante était défavorisée par rapport à l'industrie ou à l'entreprise qui faisait du dumping. Est-ce quant à la lourdeur du processus?

M. Herman: Je ne faisais allusion qu'à l'enquête devant le tribunal, où il y a déséquilibre. Cela dit,

[Traduction]

Je ne veux pas dire qu'il faudrait modifier la loi pour rétablir cet équilibre. Je crois possible de le faire en modifiant la façon dont procède le TCCE afin que l'exportateur et l'importateur soient tenus de déposer une abondante documentation, de comparaître avec des témoins et de se soumettre au même contre-interrogatoire, avec preuves à l'appui, que les producteurs canadiens. C'est une question d'équité.

[Français]

M. Paré: J'aimerais poser une question à Mme MacMillan, qui a présidé une sorte de comité d'appel qui se penchait sur des cas où des entreprises prétendaient qu'il y avait eu dumping. Vous dites que vous avez fait enquête sur 83 cas et qu'il n'y a eu réduction des droits que dans un seul cas. J'ai tendance à croire que ça fonctionne très bien. Ai-je tort? Un cas sur 83 est à, mon avis, une très faible moyenne.

[Traduction]

Mme MacMillan: J'ai essayé d'expliquer que les droits n'ont été réduits dans l'intérêt public, en vertu de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, que dans un cas. Quant à savoir si c'est une bonne chose ou une mauvaise chose, tout dépend de votre point de vue. Cela n'indique pas, selon moi, que ce soit nécessairement une disposition pratique ou applicable. Elle n'a pas eu beaucoup d'effet en pratique.

[Français]

M. Paré: Vous semblez d'autre part souhaiter que les critères soient un peu mieux définis quant à l'intérêt public. Pourriez-vous nous donner quelques exemples?

[Traduction]

Mme MacMillan: Oui, et je pourrais peut-être parler d'une chose que mon collègue,M. Flavell, a mentionnée. Je me montre peut-être injuste, mais il a laissé entendre que le tribunal doit faire un meilleur travail en établissant les critères et en les utilisant.

Une meilleure définition des critères aiderait toutes les parties devant le tribunal. Il y a beaucoup d'incertitude quant à ce qu'il faut présenter au tribunal pour le convaincre de ce qui constitue l'intérêt public. Cela devient donc très coûteux et très long.

Dans le cas du sucre raffiné - vous pouvez me rafraîchir la mémoire, monsieur Flavell, mais je crois qu'il y a eu une semaine d'audiences rien que sur la question de l'intérêt public - on s'est longuement demandé ce que cela voulait dire. Ce n'est pas au mieux des intérêts de l'ensemble du système.

Si vous tenez à cette disposition concernant l'intérêt public, l'une des options à considérer serait l'établissement d'une liste des facteurs dont le tribunal devrait tenir compte pour décider s'il y a lieu de passer à l'examen de l'intérêt public.

.1620

Qu'est-ce qui inciterait le tribunal à examiner la question plus en détail? Je proposerais notamment qu'il tienne compte du niveau des droits antidumping en place, car comme l'a ditM. Flavell, si vous avez des droits antidumping de 50 p. 100, les répercussions sur les prix à la consommation sont certainement beaucoup plus importantes que si ces droits sont seulement de5 p. 100.

Il faudrait également voir si l'imposition des droits va éliminer toute importation au Canada ou s'il y a d'autres sources d'importation qui ne sont pas couvertes.

Également, il s'agit de voir quelles sont les répercussions sur la concurrence. Cela va-t-il conférer un monopole à un seul producteur canadien? Cette question est en rapport avec l'élimination de toutes les importations.

C'est donc un point de départ quant aux critères que vous pourriez examiner.

[Français]

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Paré, est-ce suffisant? On peut revenir plus tard.

[Traduction]

Monsieur Grubel.

M. Grubel (Capilano - Howe Sound): Merci, monsieur le président. C'est un plaisir que de recevoir tous ces grands experts qui gagnent leur vie grâce à la Loi sur les mesures spéciales d'importation. Nous savons qu'un tas de gens, au ministère des Finances, comptent beaucoup sur leur témoignage et prennent des notes. Nous ne sommes qu'un prétexte. En réalité, c'est un échange entre eux et vous.

Je voudrais vous poser une question qui m'est certainement inspirée par mes antécédents d'économiste. Madame MacMillan, j'ai beaucoup apprécié ce que vous avez dit à ce sujet.

Peut-être pourriez-vous, pendant quelques instants, parler du point de vue non pas d'une personne qui gagne sa vie grâce à cette loi, mais de quelqu'un qui connaît parfaitement le fonctionnement de ces mesures. Est-il vraiment dans l'intérêt public général d'avoir une Loi sur les mesures spéciales d'importation?

L'automne prochain, je vais retourner à l'enseignement et voilà ce que je vais dire à mes étudiants. À une certaine époque, nous vivions dans un monde où le transport était très coûteux. Les industries étaient localisées. L'arbitrage auquel on procède actuellement dans le monde entre les prix n'existait pas. Non seulement les frais de transport étaient élevés, mais les communications étaient très mauvaises.

Par conséquent, un méchant étranger pouvait venir faire du dumping en vendant son produit à un prix inférieur au coût de production au Canada, dans l'espoir d'éliminer complètement l'industrie canadienne. Une fois cette industrie éliminée, ce producteur étranger pouvait jouer au Monopoly. Il pouvait augmenter ses prix à un niveau si élevé qu'il rentrait largement dans l'investissement qu'il avait fait en important d'abord son produit au Canada à un prix inférieur à son propre coût de production.

Cela fait une très bonne histoire, une histoire logique. Mais je me demande si, en 1996, cette histoire est toujours plausible.

Je dirai à mes étudiants que si l'on pratique le dumping, par définition, le producteur étranger perdra de l'argent sur chaque produit qu'il vendra. Comment va-t-il rentrer dans ses frais? Pourquoi la vieille histoire ne tient-elle plus? Il peut augmenter ses prix à sa guise afin de récupérer son argent. Et la réponse est la suivante. Citez-moi un seul produit pour lequel il est possible, au Canada, d'augmenter le prix nettement au-dessus du coût de production sans que le marché ne soit inondé par des concurrents du monde entier qui vous placeront dans l'impossibilité de récupérer votre investissement.

Par conséquent, par simple déduction logique, je ne peux pas croire que qui que ce soit fasse du dumping. Que devrais-je dire à mes étudiants afin qu'ils deviennent des avocats consciencieux et puissent travailler dans votre domaine lorsqu'ils seront grands?

Le coprésident (M. Duhamel): Cette question s'adresse à Mme MacMillan? À tous les témoins?

.1625

M. Grubel: À toute personne qui désire répondre. Si je pose la question, c'est surtout pour voir comment les gens répondront.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Grubel, qu'avez-vous dit? Je n'ai pas entendu ce que vous venez de dire.

M. Grubel: Je disais simplement que je ne m'attends pas à une réponse limitée. Je tenais à faire connaître ma position sur ce sujet, qui reflète, je crois, la pensée des économistes modernes, et je préférerais une réponse longue et approfondie.

Le coprésident (M. Duhamel): Je vais donner à chaque témoin la possibilité de répondre.

Madame MacMillan.

Mme MacMillan: Je suis économiste, moi aussi, monsieur Grubel, et pendant les cinq ans où j'ai travaillé au TCCE, j'ai constaté que les industries ne fonctionnaient pas de la façon décrite dans les ouvrages d'économie.

Je voudrais vous décrire deux scénarios. Je ne prétends pas qu'il soit facile de protéger l'industrie contre le dumping, mais il existe des situations légitimes où c'est équitable et justifié.

C'est notamment le cas lorsqu'il y a des prix abusifs. On fixe des prix abusifs dans le cadre d'une stratégie à long terme et en acceptant des pertes à court terme.

Le deuxième cas, c'est quand le propre marché de l'auteur du dumping est protégé et que l'arbitrage des prix qui se produirait normalement, et qui a lieu dans la grande majorité des cas, ne se produit pas. Par exemple, pour le sucre raffiné, à toutes fins pratiques, il est impossible de trouver un paquet de sucre canadien sur les marchés européens ou américains. Ces deux marchés ont des programmes de subvention très généreux et créent des surplus qu'ils vendent à vil prix sur le marché canadien. Nous n'avons pas la possibilité de prendre des mesures de représailles.

Le défi ne consiste pas tant à se débarrasser de ce genre de choses, mais plutôt à établir notre système de façon à ce que ce soit difficile à réaliser. Quand les industries remplissent les critères, cette protection est là pour elles; elle est limitée, mais elle est là pour les protéger à court terme.

M. Grubel: C'est ce que dit la loi, mais dans un certain sens, j'aimerais élargir la discussion un peu plus, car j'ai trouvé vos documents et votre exposé excellents. Il n'y a pas grand-chose que je pourrais contester.

Monsieur le président, je voudrais élargir la discussion en disant que nous avons, bien entendu, ces lois et qu'il doit en être ainsi. Mais comment définissez-vous l'intérêt public? Comment peut- il être dans l'intérêt public des Canadiens de ne pas obtenir de sucre, au cours des 100 prochaines années, à la moitié du prix de ce qu'il coûte à produire dans le monde? Je définis l'intérêt public comme la possibilité d'obtenir des produits de consommation au plus bas prix possible. Où le dommage intervient-il?

Le coprésident (M. Duhamel): Voyons ce que les autres ont à dire. Monsieur Flavell.

Me Flavell: Merci, monsieur le président.

Je ne connais pas beaucoup d'avocats, même ceux qui travaillent dans ce domaine, qui penseraient à défendre les lois antidumping si nous étions dans un monde idéal de libre concurrence. Bien des gens croient qu'avec l'ALENA il est logique de ne pas avoir de protection antidumping. Nous entendons dire qu'il n'y en a pas entre les pays de la communauté européenne, ou entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Pour le moment, si je comprends bien la situation, étant donné que nos principaux partenaires commerciaux ont ces systèmes, que cela fait partie de l'OMC et que - cela réjouiraM. Herman - notre principal partenaire commercial, les États-Unis que nous aimons tant, recourt à ce système énergiquement et souvent, nous sommes obligés de le maintenir en place pour le moment, sans grand enthousiasme.

M. Grubel: Parce qu'ils le font? Est-ce logique?

Me Flavell: Oui, c'est logique, tant que nos partenaires commerciaux ont le même système.

M. Grubel: Vous voulez dire qu'ils veulent nous vendre leurs produits à bon marché, mais que nous refusons? Quel argument invoque-t-on? Je ne comprends pas.

.1630

Me Flavell: La réponse est que, dans certains cas, comme Mme MacMillan l'a indiqué - et je me suis occupé d'une cause pour l'industrie canadienne de la bicyclette - l'industrie ne survivrait pas. Les élus politiques ont décidé, à tort ou à raison, que l'industrie de la bicyclette devait survivre et que la LMSI devait la sauver et continuer à sauver d'autres industries dans la même situation. Mais c'est un jugement politique et non pas économique. Je suis d'accord avec vous.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Herman, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Herman: Ce sont là des questions intéressantes que nous devrions certainement garder à l'esprit, monsieur Grubel.

Comme les deux autres témoins l'ont dit, dans un monde idéal, il arrive que des marchandises traversent la frontière à des prix qui ne couvrent pas tous les coûts de production. Les économistes ont peut-être des théories quant à savoir si l'équilibre des prix se ferait à un moment donné, mais le fait est que cela cause du tort aux industries canadiennes et que leur performance financière en souffre.

Je voudrais vous rappeler une chose très importante à ne pas perdre de vue. Le dumping est un concept d'économiste. Il faut en revenir à la Charte de la Havane et au GATT, qui n'a pas été rédigé par des avocats. Cet accord a été rédigé par des économistes, qui ont estimé que le dumping exigeait un recours international. C'est ce que nous avons aujourd'hui. Les codes du GATT qui en ont résulté ainsi que l'Uruguay Round découlaient du concept économique selon lequel le dumping devait être condamné s'il lésait l'industrie nationale du pays importateur.

Ce n'est pas une situation idéale, mais j'irais un peu plus loin. Je dirais qu'étant donné les difficultés juridiques énormes que pose un accord multinational sur l'utilisation de recours visant la concurrence, étant donné qu'il est extrêmement difficile de se mettre d'accord, au niveau multilatéral, sur l'utilisation de ces recours visant la concurrence, les mesures antidumping aussi imparfaites soient-elles, sont le meilleur moyen d'assurer une réglementation.

M. Grubel: Je viens de l'Université de Chicago et je ne suis donc même pas convaincu que nous ayons besoin de mesures anti- concurrence. Dans le monde d'aujourd'hui, le marché est déterminé par les instruments de communication et de transport actuels. Essayez d'augmenter les prix. Même si vous avez des milliards, essayez d'accaparer le marché. Je n'ai vu personne réussir. Cela devient presque idéologique et...

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Grubel, merci. Je voulais donner à M. Cheng la possibilité d'ajouter quelque chose.

Me Cheng: Monsieur le président, merci, mais je n'ai rien à ajouter à ce qui a déjà été dit.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci beaucoup. Je passe maintenant à M. Cullen.

M. Cullen (Etobicoke-Nord): J'ai une ou deux questions, deux pour M. Herman et une pour Mme MacMillan et M. Flavell. Peut-être pourrons-nous aborder la dernière si nous faisons un autre tour de table.

Monsieur Herman, j'aurais deux questions à vous poser. Premièrement, vous avez dit qu'à votre avis la LMSI défavorisait les industries nationales. J'aimerais que vous nous en disiez plus.

Je m'excuse d'être arrivé au milieu de votre exposé, mais vous parliez de comparabilité. Je me demande si vous pourriez nous préciser ce que vous vouliez dire et je vous raconterai une petite anecdote personnelle.

Je voudrais examiner le secteur des produits forestiers, la clause de l'intérêt public et les différends que nous avons eus avec les États-Unis au sujet des droits compensateurs. À l'heure actuelle, les Américains disent - et le problème a été le même chaque fois - qu'à la suite de ces impositions, la construction d'une maison aux États-Unis coûte maintenant 3 000 $ de plus. Nous n'avons jamais réussi à... Nous avons mis au pas les constructeurs de maison américains, dans une certaine mesure, mais comme cela ne fait pas partie du processus, nous ne jouons pas très bien nos cartes.

Étant donné qu'au Canada nous semblons avoir des clauses et des mesures plus énergiques pour protéger l'intérêt public, pourriez-vous nous en dire plus quant à la comparaison à faire dans ce contexte? C'est un contexte que je connais bien.

M. Herman: Revenons-en à ce que j'ai dit quand j'ai présenté mon mémoire. J'ai déclaré que la LMSI donnait de bons résultats. Cette loi n'est pas parfaite et pose des problèmes, mais elle fonctionne raisonnablement bien étant donné sa nature. Elle a besoin de quelques changements ici et là. Un bon nombre de ces modifications peuvent être apportées sur le plan administratif et non pas législatif et je suggère donc qu'on examine où il est possible d'apporter des modifications administratives.

.1635

Maintenant, sur quel plan la loi n'assure-t-elle pas un juste équilibre? Je pensais en avoir déjà parlé. Étant donné la façon dont les choses ont évolué, en pratique, la procédure d'audience du TCCE, qui oblige la branche de production nationale à se présenter pour subir, dans certains cas, un contre-interrogatoire presque désordonné de la part de nombreux avocats qui se relaient les uns après les autres. Quatre, cinq ou six avocats peuvent contre- interroger un témoin de la branche de production nationale après avoir profité de l'énorme quantité de données internes fournies par l'industrie.

Je ne pense pas que la même obligation soit imposée à l'autre partie. En fait, comme je l'ai mentionné, les exportateurs n'ont même pas à se présenter. Souvent, ils s'abstiennent de le faire. Les importateurs viennent à leur place pour représenter, si vous voulez, l'autre partie, mais quand les importateurs comparaissent devant le tribunal, on n'a aucun renseignement sur les activités, la planification ou les méthodes internes des exportateurs qui fabriquent les marchandises et qui en font le dumping.

À mon humble avis, il faut rétablir l'équilibre. Si la branche de production nationale doit produire des données, les exportateurs doivent en faire autant. Si un exportateur désire, par l'entremise de son avocat, contre-interroger la branche de production nationale, il doit se soumettre lui-même au contre-interrogatoire de l'autre partie.

Ce sont là des questions assez techniques, mais que je crois importantes, étant donné que l'enquête a trop mis l'accent, selon moi, sur la branche de production nationale et ses témoins. Quelques ajustements s'imposent pour rendre le processus mieux équilibré, sans oublier - et je dois insister de nouveau sur ce point - qu'il ne s'agit pas d'un procès. C'est une audience publique, une enquête que le tribunal mène sur une question prévue dans la loi.

Pour ce qui est de la comparaison, permettez-moi de vous donner un exemple où les deux systèmes ne sont pas comparables. Aux États-Unis, le Tariff Act de 1930 définit l'expression «dommage matériel». Au Canada, il n'y a pas de définition de ce terme. Aux États-Unis, le dommage matériel est défini comme un dommage qui n'est pas immatériel et qui n'est pas sans conséquence.

Je ris moi aussi, monsieur Grubel, chaque fois que je lis la loi américaine. Je ne suggère pas de copier la définition américaine, mais je dirais que cela pose un sérieux problème. S'il est plus difficile de prouver qu'il y a eu dommage au Canada et s'il est plus difficile d'établir chez nous le rapport de cause à effet entre le dumping et le dommage, cela défavorise l'industrie canadienne par rapport à son homologue américaine.

Ce n'est qu'un exemple. Ce n'est pas le seul.

Je représente ici l'industrie nationale, comme je le fais souvent. Je pense pouvoir le dire. Je devrais pouvoir mettre, à la disposition de mes clients des recours comparables à ceux dont mes collègues de Washington disposent pour leurs propres clients. C'est une des raisons qui m'ont amené à faire les commentaires que j'ai faits aujourd'hui.

Pour ce qui est de l'intérêt public, vous soulevez une bonne question qu'il vaut la peine d'examiner. Je ne sais pas exactement comment fonctionne la loi américaine à l'égard de l'intérêt public, mais pour revenir à la procédure canadienne, nous devons laisser de côté le fait qu'il n'y a eu qu'une recommandation sur 83 cas. N'oubliez pas que les groupes qui visent à défendre l'intérêt public ont demandé à se faire entendre dans une très faible proportion de ces cas. M. Cheng a dit que ces groupes ont demandé à se faire entendre dans 12 cas. Cela donne donc non pas un cas sur 83, mais un ou deux sur 12.

.1640

Pour ce qui est du recours à l'article 45, si vous examinez les cas en question, le tribunal a sans doute une bonne idée des critères qu'il doit appliquer pour déterminer s'il y a lieu de réduire les droits antidumping. N'oublions pas que la LMSI vise à protéger l'industrie canadienne; elle ne protège pas l'intérêt public en général. M. Flavell parle d'assurer un juste équilibre, mais il faut se méfier des éléments que nous allons inclure dans la loi sous prétexte d'assurer un juste équilibre. La LMSI met en oeuvre les accords du GATT sur les droits antidumping et les subventions. Je ne pense pas que nous puissions nous en écarter en essayant d'inclure une notion d'équilibre qui outrepasse le cadre de ces accords.

Le coprésident (M. Duhamel): Les autres témoins ont-ils quelque chose à ajouter? Monsieur Cheng.

Me Cheng: Monsieur Cullen, si vous le permettez, j'aurais plusieurs observations à faire.

Tout d'abord, la loi américaine ne contient pas de disposition concernant l'intérêt public qui se compare à l'article 45.

Deuxièmement, n'oubliez pas que l'article 45 concernant l'intérêt public contient également une autre disposition qui peut être utilisée au nom de l'intérêt public; elle a été invoquée une fois en vertu de la loi antidumping de l'époque. C'est maintenant l'article 14 de la LMSI qui confère au gouverneur en conseil le droit d'exempter des marchandises ou une catégorie de marchandises de l'application de la loi. On s'en est servi à l'époque de la Loi antidumping pour exempter certains dispositifs médicaux des conclusions de préjudice matériel et de l'application des droits antidumping.

Je voudrais toutefois en profiter pour en revenir à cette question de l'intérêt public et les moyens de clarifier les choses. Monsieur le président, certains de mes collègues ont dit, tout à l'heure, qu'on pourrait appliquer, par exemple, la règle voulant qu'on impose des droits moindres que la marge. Je vous demanderais de vous reporter d'abord à la page 9 de la documentation que je vous ai distribuée. J'ai exposé les questions que le tribunal a examinées pour appliquer cette disposition. Je n'ai pas entendu citer aujourd'hui un seul élément qui ne soit pas déjà sur cette page.

Deuxièmement, avant l'audience d'aujourd'hui, l'expression «règle du droit moindre» a été brandie devant votre comité. Cette expression a également été utilisée aujourd'hui. C'est un concept compliqué. Dans l'autre partie de la documentation que je vous ai remise, j'ai inclus des extraits de décisions rendues par le tribunal aux termes de l'article 45. À la page 6 figure le cas de la bière. Vous constaterez que le tribunal a mené une enquête approfondie pour déterminer quel était l'intérêt public en cause en vertu de l'article 45 et qu'au premier paragraphe, ses conclusions sont les suivantes:

Si je soulève la question c'est parce qu'à mon avis, la loi actuelle permet d'appliquer la règle dite du droit moindre. À moins que les législateurs ne puissent vraiment définir les droits moindres d'une façon qui puisse s'appliquer dans chaque cas où l'on conclut à un dommage, vous ne pourrez pas guider, plus que vous ne l'avez déjà fait, un organisme spécialisé qui a été constitué justement pour tirer ce genre de conclusions.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Cheng.

A-t-on de brefs commentaires à ajouter?

Me Flavell: Merci, monsieur Duhamel. J'aurais juste une ou deux observations, si vous le permettez.

Je dirais à M. Cheng que, pour régler le problème de l'intérêt public et de la réduction des droits il faut justement offrir une aide législative. Que personne n'aille croire que je critiquais le tribunal pour ne pas avoir agi. Le tribunal n'a pas reçu directement l'ordre de le faire et, par conséquent, il a préféré s'abstenir.

.1645

Il faudrait modifier l'article 45 de façon à préciser quels sont les critères et comment ils doivent être appliqués. Selon moi, cela réglerait la question.

Je voudrais revenir rapidement sur l'allégation souvent répétée par M. Herman ou, si vous préférez, l'idée selon laquelle la procédure canadienne, le TCCE, défavorise les producteurs canadiens. J'ai représenté des producteurs canadiens ainsi que des exportateurs-importateurs alors permettez-moi de prétendre à une certaine objectivité.

Il ne faut pas perdre de vue la nature de la cause. Le tribunal doit décider s'il est convaincu ou non que les producteurs canadiens ont subi des dommages. Les producteurs canadiens sont certainement ceux qui doivent faire la preuve de ces dommages. Par conséquent, dans un certain sens - et j'emploie l'expression «procédure modifiée» - les producteurs doivent présenter des preuves pour convaincre le tribunal qu'ils ont subi des torts.

Normalement, les producteurs produisent une importante quantité de preuves pour démontrer qu'ils ont été lésés, et c'est normal. L'avocat des exportateurs contre-examine cette preuve. J'ai vu des cas où les producteurs canadiens avaient produit 120 allégations de ventes perdues pour faire valoir les dommages qu'ils avaient subis. De l'autre côté de la table, nous devions procéder au contre-examen, car vous conviendrez avec moi que si nous pouvions prouver que ces120 allégations étaient injustifiées, cela allait se répercuter sur la décision du tribunal. Vous allez dire que le producteur se prétend lésé parce qu'il a perdu des ventes, mais comme il n'a perdu aucune vente, il n'a pas subi de dommage.

Telle est la nature de la procédure. Je trouve injuste de dire qu'étant donné la nature de la procédure, le plaignant canadien se trouve défavorisé. Le tribunal se contente de vérifier les allégations à l'appui d'une déclaration de dommage.

Le coprésident (M. Duhamel): Très bien, chers collègues, nous pouvons entamer un autre tour de table.

[Français]

Monsieur Paré.

M. Paré: Puisque tout le monde a eu la chance de réagir aux propos de M. Grubel, j'aimerais moi aussi faire un commentaire sur ses propos. Je serai d'ailleurs très bref et ne formulerai pas un commentaire d'économiste, mais celui d'un ancien directeur d'école.

M. Grubel part du principe que vendre des produits en bas du prix coûtant est impossible. Je dis pour ma part que c'est impossible à long terme, mais que c'est possible sur une partie marginale de la production. Je présume que dans tous les cas, c'est dans le but de faire disparaître des concurrents qui sont à l'étranger. Je présume que c'est dans ce contexte qu'on pratique ce procédé, qui est sans doute déloyal.

Le coprésident (M. Duhamel): Il vaudrait la peine qu'on poursuive sur ce point de vue. Est-ce qu'on agit ainsi uniquement lorsqu'on essaie de faire disparaître des concurrents? Je ne crois pas que ce soit le cas, bien que je sois pas un expert dans le domaine, je vous l'assure. J'ai entendu des témoignages qui indiquaient que cela pouvait être une raison, mais je crois qu'il y en a d'autres. Il y aura peut-être des réactions.

[Traduction]

Me Flavell: Si je puis me permettre, monsieur Paré, il est rare, selon moi, que l'exportateur étranger essaie d'éliminer des producteurs canadiens du marché.

En fait, le professeur Trebilcock, de l'Université de Toronto, a étudié chacune des causes portées devant le tribunal et n'a trouvé aucun cas d'exportateur étranger ayant l'intention manifeste d'évincer des concurrents du marché.

Apparemment, ce qui se passe d'habitude c'est que les grandes sociétés, surtout celles qui ont une capacité excédentaire, préfèrent utiliser leur usine pour vendre un produit à n'importe quel prix dépassant leurs coûts variables afin de réduire leurs frais généraux à l'unité. Il y a donc de nombreux cas de dumping, simplement du fait qu'un étranger tente de se débarrasser de certains produits et de gagner un peu d'argent par la même occasion, en gardant son usine occupée.

Le coprésident (M. Duhamel): D'accord. Pourrions-nous poursuivre un peu dans cette veine? Voulez-vous dire - je ne suis pas sûr que vous l'ayez dit - que ce n'est pas le cas parce que cela n'a pas été démontré ou simplement qu'on n'en a pas eu la preuve? Car ce n'est pas la même chose.

Me Flavell: Oui. Je dis que le professeur Trebilcock a constaté qu'il n'y avait pas de cas de prédation. Je suppose qu'il a examiné les dossiers et estimé qu'il n'était pas prouvé qu'on avait cherché à évincer des concurrents du marché - on n'a pas cherché à démontrer que cela avait été le cas. Cela semble logique étant donné qu'il n'est pas nécessaire que cette intention soit présente.

.1650

Le coprésident (M. Duhamel): Les témoins ont-ils quelque chose à ajouter?

Oui, monsieur Herman.

M. Herman: Ce n'est qu'un bref commentaire sur deux points dont les manoeuvres visant à évincer la concurrence. Bien entendu, la nature du processus ne permet pas au tribunal d'obtenir la preuve d'une telle intention, car il examine l'existence d'un dumping et le rapport de cause à effet entre ce dumping et les dommages subis par l'industrie canadienne. Je ne vois pas comment il pourrait obtenir la preuve d'une intention malveillante étant donné qu'il ne peut pas savoir ce que les directeurs d'une société étrangère d'un autre pays pouvaient avoir en tête lorsqu'ils ont décidé de vendre leur produit à un prix donné.

Deuxièmement, vous avez parfaitement raison de dire que, dans certains cas, un produit peut faire l'objet de dumping avec toute une gamme d'autres produits. On peut faire des conjectures quant au but visé, mais c'est souvent pour obtenir un avantage marginal dans un marché, et il ne faut pas oublier qu'un grand nombre d'industries exportatrices étrangères ont besoin de se procurer des devises fortes à pratiquement n'importe quel prix. C'est une réalité.

Troisièmement, M. Flavell a mentionné que c'est l'industrie qui doit démontrer que le dumping ou le subventionnement lui a causé un dommage, mais il y a aussi la question de la menace de dommage. La branche de production nationale peut être en mesure de présenter la preuve que le dumping lui a causé un dommage, mais la seule façon d'établir s'il y a vraiment menace de dommage est de contre-interroger les exportateurs. C'est seulement si l'on sait comment ces exportateurs opèrent sur le marché international qu'on peut prouver qu'il y a menace de dommage. À mon avis, la procédure n'est pas suffisamment exigeante pour permettre d'obtenir ces renseignements.

Le coprésident (M. Duhamel): Il faudrait également se demander si nous définissons tous de la même façon l'intention d'évincer un concurrent, mais je ne me lancerai pas là-dedans.

A-t-on quelque chose à ajouter à ce sujet?

[Français]

Monsieur Paré, est-ce suffisant pour le moment? Oui?

[Traduction]

Monsieur Grubel.

M. Grubel: Comment s'appelle le président de la compagnie sidérurgique de Regina? Roger Phillips? Je me souviens qu'il est venu en parler à l'Institut Fraser et qu'il s'est plaint que les Américains ne permettent pas d'adopter un bon comportement, économiquement rentable. Si vous avez un ralentissement économique et que votre chiffre d'affaires diminue, votre coût moyen va augmenter et vous devrez vendre au coût marginal. Les Américains le font ici. Cette loi autorise un comportement incroyablement irrationnel.

Je n'oublierai jamais la journée que j'ai passée avec Anne Brunsdale, qui était, comme vous le savez, la présidente de l'International Trade Commission des États-Unis, sous Ronald Reagan. Elle a quitté ce poste complètement dégoûtée. Pour vous répondre, monsieur Herman, une des choses qu'elle a dites est qu'au Canada, nous intentons davantage d'actions contre nos propres concitoyens que contre des sociétés américaines. Nous concluons à un pourcentage de dommages plus élevé que les Américains ne le font contre nous.

Nos médias n'en parlent pas, parce que l'intérêt public des consommateurs ne fait pas la manchette des journaux. Une usine de bicyclettes qui doit fermer ses portes aurait peut-être été obligée de le faire, de toute façon, parce qu'elle n'était plus concurrentielle. C'est une autre question.

Ce qu'Anne Brunsdale a déclaré aux colloques auxquels j'ai assisté m'a paru tout à fait logique. Pourquoi le Canada ne s'entend-il pas avec les États-Unis pour servir les intérêts du public canadien, s'entendre sur l'ALENA et se débarrasser de tout cela? Je sais où est votre intérêt, mais essayez de voir la question sous un autre angle.

Nous sommes dans la même situation qu'il y a 15 ans. Si quelqu'un avait parlé alors d'instaurer le libre-échange en Amérique du Nord, cette personne se serait fait lyncher. Les libéraux auraient sans doute lancé les médias contre celui qui aurait tenu de tels propos à la Chambre. Il ne s'en serait sans doute jamais remis.

Nous avons maintenant le libre-échange. Il faut parfois penser à l'impensable. Je voudrais vous demander pourquoi, à votre avis, il ne serait pas possible que le Canada ouvre la voie en disant qu'au sein de l'ALENA il faut se débarrasser de ce monstre appelé «Loi sur les recours commerciaux».

.1655

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Grubel, dites-vous que si nous étions tous d'accord, si nous partagions tous les mêmes valeurs, nos opinions n'auraient pas à diverger? J'ai l'impression que nous avons des valeurs différentes et des façons de voir différentes.

M. Grubel: Non.

Le coprésident (M. Duhamel): Voyons ce que nos témoins ont à dire.

M. Grubel: Le système politique favorise la récompense de groupes d'intérêts particuliers qui restent fidèles à ceux qui les ont récompensés et le coût est tellement dispersé que le système politique ne s'en soucie guère, car ces coûts sont seulement pour l'intérêt public. Voilà pourquoi nous avons beaucoup de lois de ce genre et pourquoi nous sommes habitués à une protection. Nous avons maintenant décidé que l'intérêt public était plus important et nous essayons de nous en débarrasser.

Le coprésident (M. Duhamel): Voyons si votre opinion est partagée.

M. Grubel: Je pense que le gouvernement, le gouvernement libéral...

Le coprésident (M. Duhamel): Vous êtes sur le point de dire quelque chose de gentil, alors attention.

M. Grubel: Même dans les années 90, les libéraux croient pouvoir se rendre immortels, être à tout jamais célèbres en tant que parti qui a commencé à se débarrasser de cette loi au sein de l'ALENA.

Le coprésident (M. Duhamel): Des commentaires, des réactions?

M. Herman: Monsieur Grubel, ce n'est pas nécessairement un dialogue de sourd. Premièrement, il faut faire preuve de prudence lorsqu'on parle d'intérêts particuliers. Il y a de nombreux intérêts qui sont reliés les uns aux autres et très complexes et pour la plupart, nous représentons des clients ayant des intérêts différents. Ils ne sont pas toujours les mêmes.

Je ne peux pas parler au nom du gouvernement canadien, mais je crois qu'il voulait conclure, avec les États-Unis, un accord qui, dans le contexte de l'ALENA, aurait éliminé les droits antidumping. Cela paraît parfaitement logique et un grand nombre des avocats qui exercent le droit dans ce domaine conviendront que, quand la frontière disparaît sur le plan des droits de douane et que vous avez un libre-échange, il devrait être impossible, en principe, de faire du dumping dans un autre marché. Vous le savez aussi bien que moi.

C'est, je crois, ce que préféreraient, un grand nombre de producteurs canadiens. Ils voudraient se débarrasser des mesures antidumping. Je crois que, dans l'accord signé avec le Chili et qui devrait être publié bientôt, le gouvernement canadien et le gouvernement chilien ont convenu d'abandonner les mesures antidumping dans le contexte du commerce Canada-Chili qui prévoit la suppression des droits de douane. L'Australie et la Nouvelle-Zélande en ont fait autant. Il est sans doute possible de le faire dans le contexte nord-américain, mais - et je ne saurais trop insister - je ne crois pas qu'il soit dans l'intérêt du Canada ou de vos concitoyens de supprimer ces mesures unilatéralement et de se mettre à la merci de nos autres partenaires commerciaux qui conservent leur loi antidumping.

Je ne crois pas un instant qu'un désarmement unilatéral - , si je peux utiliser cette expression - accomplirait quoi que ce soit. Je ne pense pas que ce soit la solution. Il va falloir entreprendre des négociations longues et pénibles dans l'espoir de convaincre les autres, comme nous avons réussi à convaincre le Chili que c'est certainement une possibilité. Espérons que les gens de Washington, nos amis des États-Unis et du Congrès finiront par comprendre.

Le coprésident (M. Duhamel): D'autres observations ou réactions?

Me Flavell: Monsieur Grubel, récemment, j'ai représenté les Américains un peu plus souvent que les Canadiens, et je peux vous assurer qu'à l'heure actuelle nos amis américains ne sont pas d'accord pour abolir les mesures antidumping. J'étais à Washington, jeudi dernier, et un charmant monsieur a dit: «Je suppose que maintenant, vous allez vous unir contre nous, avec le Chili, pour éliminer les mesures antidumping» et il s'est mis à rire bruyamment.

Je crois que les Américains ne sont pas prêts à renoncer à leurs recours commerciaux et, tant que ce sera le cas, aussi regrettable cela soit-il, je suis d'accord avec M. Herman pour dire qu'un désarmement unilatéral serait imprudent.

Le coprésident (M. Duhamel): Pourriez-vous nous en dire un peu plus? Pourquoi les choses en sont-elles là? Le problème s'est-il toujours posé et s'est-il seulement manifesté davantage? Quelle est votre interprétation?

Me Flavell: Je vais dire quelques mots, après quoi ce sera le tour de M. Herman.

.1700

Je crois qu'aux États-Unis, les recours commerciaux sont considérés comme une chose essentielle. C'est une vache sacrée. Cela vient de l'époque où les Américains avaient peur de l'Orient et de la concurrence en provenance de l'Orient. D'autre part, certaines industries américaines ont utilisé ces recours de façon très efficace. Plus récemment, elles ont décidé - pour des raisons trop techniques pour que je vous assomme de détails - d'inclure le Canada dans plusieurs de leurs actions, surtout en ce qui concerne l'acier. Nous avons donc un groupe d'industries qui voit les avantages des recours commerciaux et qui en profite par peur des industries orientales ou à bas prix de revient, et qui les applique, quand cela lui chante, au Canada.

Mais je pense que les Américains croient, en toute bonne foi, qu'ils doivent les conserver.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci.

Avez-vous un dernier commentaire à faire avant que je passe à M. Cullen? Monsieur Cullen.

M. Cullen: Merci, monsieur le président. Nous serons sans doute tous d'accord, avecM. Grubel, pour dire que c'est le genre de réalité vers lequel nous voulons nous diriger. Preston Manning pourra peut-être s'entendre avec Newt Gingrich et nous pourrons alors commencer à changer les choses.

M. Grubel: Je ne pense pas que cela dépende de Gingrich. C'est plutôt de Gephardt et des autres.

M. Cullen: D'accord, peu importe.

Je voudrais en revenir à la question de l'harmonie ou du manque d'harmonie, car je crois que nous avons mentionné le désarmement unilatéral. Une autre tactique consiste à renforcer nos règles commerciales. Par exemple, pour ce qui est de l'intérêt public, je ne vois pas ce qu'on pourrait faire, étant donné qu'on n'a pas fait grand-chose aux États-Unis et que chez nous, notre moyenne au bâton est seulement de un sur 83. Je voudrais y revenir plus tard, car parfois, si vous avez une moyenne de un sur 83 ou un sur 12, comme l'a dit M. Herman, c'est parce que vous n'avez pas le bon frappeur ou que le jeu n'en vaut pas la chandelle.

Pour ce qui est de l'harmonie, si nous prenons... Monsieur le président, je sais que vous voulez mettre l'accent sur l'intérêt public, mais j'essaie d'établir le lien entre les autres éléments des recours commerciaux américains et les nôtres. Un exemple est la méthode prospective d'évaluation des droits et la méthode rétrospective.

J'en reviens à un secteur que je connais davantage, celui des produits forestiers. Notre industrie aimerait beaucoup que l'approche rétrospective utilisée aux États-Unis disparaisse. Pour en revenir à la tactique à adopter vis-à-vis de cette législation commerciale, nous pouvons rendre notre loi plus stricte afin d'attirer l'attention des États-Unis et peut-être les inciter à assouplir certaines de leurs règles. D'autres diront qu'étant donné les rapports de force, les ricanements émis à l'idée que le Chili et le Canada se liguent contre les Américains, comme M. Flavell l'a dit...

J'ai l'impression qu'il s'agit notamment de trouver le moyen de rendre les choses plus équitables. Allons-nous changer notre système? Pouvons-nous inciter les États-Unis à modifier leurs règles ou devrons-nous subir éternellement ce déséquilibre des recours commerciaux?

Qui aimerait dire quelques mots à ce sujet?

M. Herman: J'en parlerai brièvement. Tout d'abord, il y a des gens qui ont étudié récemment les deux systèmes et en sont venus à la conclusion qu'ils étaient très comparables et que le système canadien est aussi efficace que le système américain si l'efficacité consiste à obtenir que le tribunal juge qu'il y a dommage.

La plupart des experts conviendront sans doute que certains aspects de la procédure américaine sont plus exigeants, difficiles, longs, contraignants et restrictifs à l'égard des importations à destination des États-Unis, mais en même temps, je trouve curieux que l'on veuille persuader un «mauvais garçon» de s'améliorer en se montrant aussi mauvais que lui.

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Nous semblons parler de leur damer le pion. Je n'aime pas l'idée d'adopter leurs mesures draconiennes pour retenir leur attention. Cela revient à dire que la solution à tous les problèmes consiste à donner un coup de poing dans le nez de son adversaire au lieu de recourir à la diplomatie. Vous retenez certainement son attention, mais je ne pense pas que vous puissiez obtenir de résultat.

Je ne suis pas du tout certain qu'on puisse dire que le système penche en faveur du Canada ou des États-Unis. Si l'on compare le nombre de causes gagnées et perdues devant le tribunal et l'ITC, je ne crois pas qu'il y ait de différence perceptible. J'ai examiné un tas de décisions rendues par le tribunal et, de 1993 à 1996, notre tribunal a conclu qu'il y avait eu dommage dans 11 cas. Je n'ai pas l'impression que ce soit là un système qui défavorise les Canadiens.

Le coprésident (M. Duhamel): Les témoins ont-ils autre chose à ajouter? Madame MacMillan.

Mme MacMillan: Je suis entièrement d'accord avec M. Flavell. Je ne pense pas que tout le monde soit d'accord pour dire que notre système est moins strict, dans l'ensemble, que celui des États-Unis. Deuxièmement, je me demande pourquoi, étant donné que nous avons des objectifs différents, une structure industrielle différente et un pays de taille différente, nous voudrions nécessairement émuler la politique commerciale américaine.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Herman et monsieur Cheng, dans cet ordre.

M. Herman: J'en reviens à ce que j'ai dit dans mon mémoire. J'ai peut-être trop télescopé certaines de mes observations. Je ne veux pas dire que nous devons copier le système américain ni adopter les lois américaines là où nos lois diffèrent. Loin de moi cette idée. Je dis que, dans un contexte de libre-échange comme celui de l'ALENA, nous devons faire en sorte que nos lois commerciales et celles de nos partenaires de l'ALENA soient à peu près comparables.

Je dis, dans mon mémoire, qu'il y a des cas précis - et je sais que c'est difficile à dire pour les Canadiens - les Américains ont peut-être une meilleure façon d'aborder certains éléments des mesures antidumping ou anti-subvention. J'ai mis en lumière certains domaines où j'estime qu'ils font cela mieux que nous et où nous pourrions suivre leur exemple. Je ne pense pas que ce soit un principe ou un concept tellement odieux.

Néanmoins, je ne suis pas certain d'être d'accord pour dire qu'en renforçant, sur le plan administratif, certaines dispositions de nos lois, nous allons nous montrer aussi mauvais que l'autre. Ce n'est pas du tout le cas. Je dis, dans mon mémoire, que nous devrions donner, à Revenu Canada, des pouvoirs suffisants pour recueillir les renseignements nécessaires afin que le ministère dispose de bonnes bases d'évaluation. Nous devons lui confier ces pouvoirs, et il y a d'autres domaines dans lesquels il faudrait les lui confier également.

Sans entrer dans les détails, il y a d'autres aspects du système que nous pourrions modifier pour le rendre plus comparable. Je ne parle pas de réviser entièrement nos lois commerciales. Je veux parler de certains domaines dans lesquels nous pourrions apporter quelques améliorations ici et là.

J'en reviens à ce que j'ai dit tout à l'heure. La LMSI fonctionne assez bien. Nous serons sans doute tous d'accord sur ce point. Elle remplit assez bien sa fonction qui est de protéger notre industrie nationale contre les effets négatifs du dumping ou du subventionnement, comme les accords du GATT et de l'OMC l'exigent.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Cheng.

Me Cheng: Il est important de ne pas perdre de vue certaines choses que M. Herman a dites. Un grand nombre des changements qui vous ont été suggérés ne visent pas nécessairement à amener les Américains à modifier leur système.

Il y a, tout simplement, certains aspects du système que les Américains administrent différemment. Si l'on propose de modifier notre loi, et s'il se trouve que c'est ainsi que procèdent les Américains, cela ne veut pas dire nécessairement que nous devrions nous montrer aussi durs avec eux qu'ils le sont avec nous. C'est simplement que leur façon de faire et leur loi permettent, comme l'a dit M. Herman, de régler certaines questions plus efficacement que les nôtres, tant du point de vue de l'exportateur que du point de vue de la branche de production nationale.

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Le coprésident (M. Duhamel): Allez-y.

Une voix: Monsieur le président, je voudrais faire une observation au sujet du taux de succès des branches de production nationale, du taux de un sur 83 ou un sur 12.

Au cours de nos discussions, vous avez mentionné certains problèmes, comme le fait qu'il n'y a pas de directives très claires quant à ce qui peut être ou non dans l'intérêt public. M. Flavell a également fait valoir que le contre-interrogatoire ou l'examen de la preuve permettait de déterminer qu'une plainte était injustifiée.

C'est purement subjectif, mais pensez-vous que ceux qui ont invoqué l'article 45 avaient une cause solide ou qu'ils ne l'ont pas bien présentée? Ont-ils manqué de preuves ou les lignes directrices n'étaient-elles pas suffisamment bien définies? Ou est-ce une combinaison des deux?

Me Flavell: La dernière réponse est la bonne.

Il n'y a pas de lignes directrices. L'article 45 est pour le moins nébuleux. J'espère ne jamais rencontrer le rédacteur législatif, parce qu'il pourrait m'envoyer son poing dans le nez.

Une voix: Elle.

Me Flavell: Elle.

C'est une disposition très permissive disant que le tribunal peut. C'est une approche très permissive.

Encore une fois, sans vouloir critiquer, le tribunal a interprété l'intérêt public et cette disposition de façon très limitée. La preuve en est que cette disposition a rarement été invoquée avec succès et que le tribunal n'a fait, au ministre des Finances, qu'une seule recommandation qui a été suivie.

Le législateur a essayé d'établir cet équilibre - ce mot très difficile qui revient toujours - en incluant l'article 45. Comme c'était sans doute considéré comme un acte de bravoure, les rédacteurs n'ont pas voulu se montrer trop braves dans le libellé. Si j'avais été chargé de la rédaction, j'aurais dit: voyons ce que cela donne pendant dix ans et, si le résultat n'est pas satisfaisant, nous apporterons des améliorations. Il est temps de régler le problème si vous voulez conserver cette disposition.

Nous sommes tous d'accord, je pense, ou c'est du moins ce que laissent entendre tous les documents que j'ai lus, sur le concept de l'équilibre. On a cessé de répéter que vous pourriez sauver 10 000 emplois chez les producteurs, mais en perdre 40 000 chez ceux qui se servent du produit comme facteur de production. Il faut donc établir un juste équilibre. C'est, je crois, ce que l'article45 devait faire, mais il n'a pas eu cet effet.

M. Herman: Monsieur le président, mon collègue M. Flavell reconnaîtra sans doute alors que le tribunal devrait avoir le pouvoir d'augmenter le montant des droits applicables s'il estime qu'il est dans l'intérêt public de le faire.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci.

Madame MacMillan.

Mme MacMillan: Les gens de Genève risqueraient toutefois de voir cela d'un mauvais oeil, monsieur Herman.

Je voudrais dire un mot sur la question de savoir pourquoi le ministre des Finances et le tribunal ont jugé bon de réduire les droits, dans l'intérêt public, seulement une fois. Je ne peux m'empêcher de penser que si le déséquilibre était vraiment important, comme c'est arrivé dans le cas du maïs-grain à la fin des années 80, les gens viendraient régulièrement à Ottawa pour invoquer cette disposition. Aucun groupe de l'industrie ou groupe d'intérêts particuliers n'a manifesté beaucoup d'intérêt, comme l'a dit M. Grubel.

D'autre part, je vous mets en garde, une fois de plus, contre la tentation d'attendre trop de la LMSI. Cette loi est censée aider les industries dans des circonstances très limitées, lorsqu'elles ont besoin d'une protection spéciale pendant une brève période. Si vous décidez d'aider une industrie parce qu'elle risque de disparaître en l'absence de droits et si vous demandez ensuite aux décideurs chargés de faire cette évaluation de recommander l'élimination des droits ou de les réduire dans une large mesure, vous attendez peut-être trop du système.

Je me demande si le mieux, si dans l'intérêt du grand public, il ne vaut pas mieux accorder cette protection spéciale uniquement dans un nombre très limité de cas, dans des circonstances très particulières et pendant très peu de temps. Si le système est conçu ainsi, les personnes qui ont entendu dire que l'industrie allait devoir fermer ses portes dans dix jours à moins qu'on empêche l'entrée des importations ne se feront pas dire ensuite par l'Association des consommateurs du Canada que ce n'est pas souhaitable.

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Ou bien il est souhaitable ou bien il est mauvais d'accorder une protection spéciale. Je préférerais que ce soit plus difficile à obtenir au départ, que les industries ne bénéficient pas de cette protection un jour de plus que ce n'est nécessaire. C'est ce qui serait, à mon avis, dans l'intérêt de...

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Cheng.

Me Cheng: J'aurais plusieurs choses à dire, peut-être pour éclaircir cette question.

Premièrement, je ne voudrais pas assumer la responsabilité de ces 12 cas sur 86 ou je ne sais quel chiffre, car il y a au moins un ou deux autres cas dans lesquels les décisions n'ont pas été rendues. Le tribunal a simplement indiqué que l'intérêt public n'était pas en cause si bien que le chiffre est peut-être maintenant de 14. Mais quel que soit ce nombre...

D'autre part, Mme MacMillan a indiqué que le processus permet, à l'heure actuelle, à quelqu'un d'autre que le tribunal d'aborder cette question. Comme vous le savez, le tribunal recommande au ministre des Finances de réduire les droits. Sur les deux recommandations que le ministre a reçues, un seulement précisait un chiffre et il s'agissait de 30c. le boisseau pour le maïs-grain.

Le ministre est intervenu, mais le décret pris prévoyait 46c. le boisseau. Il est donc possible d'émettre un deuxième avis, peut- être même sans consulter ceux qui ont imposé des droits antidumping.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Cheng.

Mon collègue, monsieur Grubel, a demandé à faire un bref commentaire ou à poser une brève question. Il y a une question que je voudrais poser et je vais demander à chaque témoin de nous faire peut-être un court résumé. Cela veut dire un résumé d'une minute ou moins.

Monsieur Grubel.

M. Grubel: Monsieur le président, si nous devons avoir ce tribunal, je serais tout à fait d'accord pour qu'on apporte des changements suivant les recommandations de Mme MacMillan.

Plus la durée de la protection offerte sera brève, moins nous aurons d'actions et moins cela nuira aux intérêts des consommateurs. S'il leur faut un jouet, qu'ils fassent le moins de dommage possible en jouant avec.

J'approuve également la recommandation de M. Flavell selon laquelle l'article 45 devrait se trouver sur un pied d'égalité avec l'article 42 et les deux articles devraient toujours être examinés conjointement.

Enfin, je recommanderais au ministre de ne pas renoncer. N'oubliez pas qu'il y a 15 ans, celui qui nous aurait dit que le libre-échange serait instauré en Amérique du Nord aurait été déclaré mûr pour l'asile. N'oublions pas non plus qu'un président ambitieux d'un comité du Congrès des États-Unis pourrait vouloir en faire son cheval de bataille et soyons prêts à décider, de notre côté, que l'abandon de ces règles dans le cadre de l'ALENA est ce qui servira le mieux les intérêts du Canada et des Canadiens.

Le coprésident (M. Duhamel): Y a-t-il un désaccord majeur? Dans le cas contraire, nous allons poursuivre. Je n'essaie pas de favoriser l'accord ou le désaccord, mais si quelqu'un veut réagir à ces commentaires, n'hésitez pas à le faire maintenant.

Je voudrais poser ma question et peut-être pourra-t-on me corriger si j'ai mal compris quelque chose. J'ai eu l'impression, à entendre certains témoins, non seulement aujourd'hui mais avant, qu'il serait souhaitable, aux yeux de certaines personnes, d'avoir des mesures administratives et législatives plus près de celles des États-Unis. Si c'est le cas - si j'ai bien compris - cela risquerait-il d'être contraire à certaines dispositions de l'ALENA, l'Accord de libre-échange nord-américain? Y a-t-il un équilibre délicat à respecter, si toutefois mes suppositions sont exactes? Quelqu'un peut-il m'aider à comprendre?

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M. Herman: Une disposition de l'ALENA nous oblige à consulter les États-Unis avant de modifier certains aspects de nos mesures antidumping et de nos droits compensateurs. Nous devons les consulter, mais ils n'ont pas de droit de veto et cela vise seulement les changements législatifs.

Deuxièmement, si les changements reflétaient simplement les dispositions américaines ou si nous changions nos lois pour les aligner sur celles des États-Unis, je ne vois pas comment ces derniers pourraient même manifester leur opposition dans le contexte de ces consultations. Mais ce n'est pas vraiment de cela dont il est question. Bien souvent, il s'agit d'apporter quelques modifications administratives pour améliorer la façon dont la LMSI est appliquée sur le plan administratif.

Le coprésident (M. Duhamel): Législatif.

M. Herman: C'est ce que je pense.

Le coprésident (M. Duhamel): Et vous supposez que les États-Unis n'iraient jamais qualifier d'injustes des lois reflétant les leurs?

M. Herman: Tout d'abord, je ne suggère pas de copier leurs lois. Je dis qu'il faudrait que nos lois soient comparables, mais du moment que c'est à peu près la même chose, je ne vois pas comment ils pourraient s'y opposer.

Le coprésident (M. Duhamel): Je ne vois pas comment ils le pourraient, mais je voulais savoir s'ils risquent de le faire, selon vous. Nous allons passer à vos collègues. Ils ont peut-être quelque chose à dire.

Monsieur Cheng, voulez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Me Cheng: D'après notre expérience passée avec les législateurs américains et les groupes d'intérêts particuliers canadiens, comme M. Grubel les a appelés, je suis certain qu'ils s'y opposeraient. Pour ce qui est des difficultés que nous aurions, je regrette, mais cela dépend beaucoup des dispositions que vous voudriez modifier.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Cheng.

Monsieur Flavell, puis madame MacMillan, peut-être aimeriez-vous faire un commentaire.

Me Flavell: Je fais souvent le rêve affreux qu'ils diraient en souriant: vous avez enfin eu le bon sens d'aligner davantage vos lois sur les nôtres. Je plaisante, bien sûr, mais je crains fort que si nous resserrons nos lois antidumping, que ce soit pour copier les États-Unis ou pour toute autre raison, notre pays ne dépende terriblement de ses exportations vers les États-Unis. L'inverse n'est pas vrai. Si nous rendons notre système plus difficile, les Américains vont, de plus en plus - et ils le font déjà - cesser simplement d'exporter un produit qui ne représente que 0,2 p. 100 de leurs exportations et qui ne signifie pas grand-chose pour eux. Je crains fort, et je pense que M. Grubel sera d'accord, qu'il ne faille faire preuve d'une grande prudence avant de resserrer cette loi, car nous sommes dans une situation très périlleuse.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci.

Madame MacMillan.

Mme MacMillan: Je suis entièrement d'accord et je pense aussi que, lorsque nous nous inquiétons de nos relations commerciales avec les États-Unis, il est facile de croire qu'elles ne sont pas bien bonnes alors qu'elles le sont tout à fait. Si nous nous réarmons ou si nous renforçons notre arsenal pour le cas où nous aurions un jour un différend commercial qui nous conduirait à nous tirer dessus de chaque côté de la frontière, cela risque de nous coûter cher à long terme.

Notre pays dépend beaucoup du commerce. Nous jouissons d'une excellente réputation dans le monde pour l'ouverture avec laquelle nous menons la plupart de nos relations commerciales. Il se fait beaucoup de travail dans d'autres tribunes multinationales comme l'OCDE et d'autres endroits dans le but de rendre le commerce plus ouvert et plus libéral. C'est là que nous devrions profiter de notre réputation au lieu de consolider l'arsenal dont nous disposons au niveau bilatéral.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci. M. Grubel sera sans doute d'accord pour rendre ces échanges plus ouverts et plus libéraux.

Cela dit, je voudrais remercier tous les témoins de leur contribution.

[Français]

Merci beaucoup. J'ai beaucoup apprécié la discussion.

[Traduction]

Je n'ai qu'une dernière observation à faire, à part vous remercier sincèrement. Certains ont qualifié ces questions, ce sujet, d'ennuyeux. Pas du tout. Il est question de l'intérêt public et des diverses possibilités - par exemple, un comportement prédateur, pour ce que cela veut dire. Il y a également l'harmonie et le manque d'harmonie; nos relations sont-elles harmonieuses ou non? Qu'est-ce qu'un dommage? Qu'est-ce qu'un groupe d'intérêts particuliers? Je pensais queM. Grubel allait dire que le Parti réformiste en était un, mais il ne l'a pas fait.

Merci.

[Français]

Merci et bonne journée.

La séance est levée.

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