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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 9 avril 1997

.1625

[Traduction]

La présidente (Mme Bonnie Hickey (St. John's-Est, Lib.)): D'accord, nous pouvons déclarer la séance ouverte. Je tiens à souhaiter la bienvenue à tous les participants de cet après-midi.

Comme je l'ai dit plus tôt, le programme est fort chargé aujourd'hui et nous allons donc tenter de respecter l'horaire, dans la mesure du possible. Chaque participant aura cinq minutes pour faire son exposé. Pour gagner du temps, le participant suivant enchaînera dès la fin d'un exposé.

Je vous demanderais de donner votre nom et celui de l'organisation que vous représentez, aux fins du procès-verbal. Nous aurons une période de questions lorsque tout le monde aura fait son exposé.

Mme Linda Newson (membre du conseil d'administration et présidente du Comité de bioéthique, Conseil national de la femme du Canada): Je m'appelle Linda Newson et je représente le Conseil national de la femme du Canada.

Le Conseil national de la femme du Canada est une organisation à but non lucratif et non confessionnelle fondée en 1893. Depuis 104 ans, nous formulons notre politique en fonction des enjeux sociétaux de l'époque. C'est essentiellement par son système de comités, dont les membres sont bénévoles, que le conseil effectue le gros de son travail.

En 1987, notre responsable des questions de santé nous a conseillé de mettre sur pied un comité de bioéthique pour fournir des conseils sur les problèmes soulevés par les progrès des nouvelles techniques de reproduction. Elle avait été sensibilisée à certaines de ces questions quand elle vivait en Australie, et qu'on discutait dans ce pays d'un projet de loi et de normes visant ces techniques qui progressaient rapidement.

Un guide d'étude a été préparé et distribué à tous nos conseils provinciaux et à nos affiliés nationaux. Tous les intéressés furent encouragés à établir un programme commun axé sur ce thème de manière à informer encore mieux nos membres des dimensions juridiques, éthiques et médicales des nouvelles techniques de reproduction.

Pour élaborer une politique par la suite, nous avons mis au point et diffusé un questionnaire. Nous avons retenu comme éléments de la politique toute réponse qui recueillait l'assentiment de65 p. 100 des répondants. L'ensemble des éléments retenus à ce stade a été ratifié comme politique lors de l'assemblée annuelle suivante. Au cours de la dernière décennie, nous avons enrichi cette politique sur les nouvelles techniques de reproduction de façon plus traditionnelle, soit par le biais de résolutions.

Au cours de la dernière décennie, nous avons fait des démarches auprès des divers gouvernements pour que soit créée une commission royale chargée d'étudier cette question complexe. Nous avons présenté notre politique à la commission lorsqu'elle a consulté les Canadiens. Nous avons réagi au rapport de la commission intitulé Un virage à prendre en douceur et nous avons exhorté le gouvernement à mettre en oeuvre ses recommandations.

Tout en doutant de la réussite du moratoire volontaire annoncé en 1995, nous avons été satisfaits d'y voir un réel signe d'intérêt de la part du gouvernement. Lorsqu'il est devenu évident que le moratoire ne donnait pas les résultats voulus, nous avons exhorté le ministre de la Santé à déposer un projet de loi. Nous vous exhortons maintenant à faire adopter le projet de loi C-47 le plus rapidement possible. La décennie tire à sa fin et notre patience également.

Bien que notre politique ne soit pas aussi exhaustive que celle énoncée par la commission royale ou dans le projet de loi à l'étude, je vais vous en faire brièvement le résumé puisqu'elle est pertinente à l'étude du projet de loi C-47. Je vous parlerai ensuite d'un aspect du projet de loi qui nous inquiète.

.1630

Les techniques de diagnostic prénatal visant à déterminer le sexe du foetus pour des raisons non médicales doivent être rendues illégales. Nous nous opposons à l'utilisation des nouvelles techniques de reproduction à des fins lucratives, notamment lorsqu'il s'agit de maternité de substitution, d'achat et de vente d'ovules, de sperme et d'embryons. Il y a lieu d'adopter des lois pour interdire les activités de toute société ou de tout individu qui souhaiterait commercialiser l'utilisation de nouvelles techniques de reproduction.

En matière de don de sperme, nous préconisons l'administration de test ainsi qu'une documentation et un contrôle rigoureux des naissances et une réglementation stricte du nombre de fois que l'utilisation du sperme d'un donneur particulier peut être autorisée.

Le clonage d'embryon humain et l'hybridation humaine animale résultant de la combinaison de gamètes animaux et humains doivent être considérés comme des infractions criminelles.

Tout en convenant avec les membres de la commission royale de la nécessité d'un organisme de réglementation en matière de délivrance de permis et de recherche, nous n'estimions pas nécessaire d'envisager une bureaucratie de si grande envergure. Nous nous sommes demandé si d'autres organismes de réglementation déjà existants ne pourraient pas se charger d'une bonne partie de la réglementation, même s'ils devaient peut-être créer un nouveau service à cet effet. Nous estimons toutefois qu'il est urgent de créer un organisme consultatif - ou, si vous voulez, un conseil national de bioéthique - qui pourrait donner au gouvernement des conseils et des avis par rapport à ce domaine aux progrès rapides.

Il nous faut également avoir une perspective d'ensemble, notamment pour toute la question de l'infertilité. Dans le cadre de notre politique, nous préconisons un financement accru de la recherche portant sur l'infertilité et des efforts plus considérables de recherche et de mise au point de méthodes contraceptives moins dommageables, plus efficaces, réversibles et bon marché. Il faut également assurer le financement de programmes d'éducation concernant les causes de l'infertilité.

Nous nous inquiétons du fait que, dans la mesure proposée, il semble que la rémunération minime versée aux donneurs de sperme sera illégale puisqu'elle sera assimilée à la vente de sperme. Dans le cadre des nombreuses rencontres que nous avons tenues au Canada en 1987 et 1988, les médecins qui ont parlé à nos membres ont décrit cette rémunération comme étant un honoraire visant à indemniser le donneur du temps nécessaire à la compilation des antécédents médicaux et à l'exécution de tests préliminaires.

Il se peut qu'une interprétation stricte de la mesure proposée favorise l'émergence d'un marché clandestin ou étranger où ne seront appliqués ni tests, ni lignes directrices, ni contrôles. Il est étrange par ailleurs que l'on ait consacré autant de temps, d'argent et d'efforts à mettre au point une excellente série de lignes directrices - l'annexe 721 de la Loi des aliments et drogues de juin 1996 - pour l'interdire un an plus tard.

Pour terminer, nous vous exhortons à adopter ce projet de loi dans les meilleurs délais. Au cours de la dernière année, nous avons été témoins de percées que personne n'aurait imaginées ou crues possibles il y a dix ans. La mesure législative proposée constitue un premier pas nécessaire de l'encadrement éthique, juridique et médical des nouvelles techniques de reproduction.

Ces nouvelles techniques qui progressent rapidement, nécessiteront de notre part, aussi bien que de la vôtre, une surveillance constante. Nous allons donc continuer à élaborer notre politique et à éduquer nos membres.

En adoptant ce projet de loi, vous garantirez aux Canadiens une plus grande responsabilité sociale en matière de techniques de reproduction. Les Canadiens ne méritent rien de moins.

La présidente: Merci.

Mme O'Brien.

Mme Eileen O'Brien (présidente, conseil d'administration, Disabled Women's Network of Canada (DAWN)): Je m'appelle Eileen O'Brien. Je suis la présidente du Disabled Women's Network of Canada.

Nous tenons à féliciter les députés qui ont participé à l'élaboration de cette mesure législative. Nous savons que ces techniques comportent des éléments dangereux et effrayants pour l'ensemble de la société.

Selon nous, le fait d'autoriser des pratiques déshumanisantes et eugéniques qui nous donnent l'illusion d'une société parfaite nous entraîne dans un monde où la diversité et bon nombre des caractéristiques de l'être humain risquent d'être jugées trop coûteuses. Cette mesure législative arrive à un moment où le Canada connaît certaines pénuries et l'histoire nous a appris que, dans ce genre de circonstances, les personnes handicapées ont été considérées comme quantité négligeable.

Nous souhaitons que certains principes de base soient ajoutés au préambule. Il s'agit notamment de la non-commercialisation, de l'égalité des droits des personnes handicapées, de l'égalité des droits des femmes, et de la protection contre l'ingérence judiciaire en matière de grossesse et de naissance. Les nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique auront de la valeur dans la mesure où elles pourront procurer des avantages aux personnes et aux groupes qui risquent d'être le plus touchés par elles, à savoir les femmes et les hommes handicapés et les femmes non handicapées.

.1635

Nous appuyons la position du Conseil canadien d'action sur le statut de la femme, qui doit comparaître bientôt et nous appuyons le projet de loi dans la mesure où les principes que je viens d'énumérer sont respectés. Nous avons collaboré avec le Conseil des Canadiens avec déficiences et nos inquiétudes les plus graves concernent ce que nous jugeons être un penchant eugénique du projet de loi. Nous vous invitons à vous pencher sur le libellé utilisé en vous demandant s'il n'a pas pour effet de banaliser des pratiques eugéniques.

À l'alinéa 3 a), il y a lieu d'évaluer avec soin l'utilisation des termes «santé et sécurité» qui, dans le contexte des nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique, risquent de favoriser l'eugénisme. Il ne faut pas perdre de vue que la présence d'une déficience ne fait pas de la personne atteinte une personne malade.

Le projet de loi C-47 ne réalise pas l'objectif fixé de protéger la dignité de tous. Le penchant eugénique du projet de loi C-47 constitue un affront pour toutes les personnes handicapées. Les alinéas 4 h) et 4 i) sont foncièrement eugéniques et cachent des intentions eugéniques derrière un souci de la santé. Il faut reformuler ces alinéas pour leur enlever tout penchant eugénique, de manière à ce qu'ils ne violent pas le principe de la diversité.

Le principe de la diversité exige que les nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique ne soient pas utilisées de telle sorte qu'elles aient un effet négatif disproportionné attribuable à une invalidité. Dans leur libellé actuel, les alinéas 4(h) et 4(i) permettent des essais médicaux pour des motifs liés à la santé du zygote ou de l'embryon.

Ils permettraient, par exemple, dans un cas où existent des antécédents d'hémophilie - l'hémophilie touche des sujets de sexe masculin - des interventions médicales visant à assurer la naissance d'un enfant de sexe féminin, et d'éliminer ainsi la possibilité que naisse enfant mâle hémophile. Voilà un exemple flagrant du penchant eugénique du projet de loi C-47. La déficience est sélectionnée comme caractéristique à exclure de la reproduction humaine.

Les alinéas 4 h) et 4 i) sont dangereux puisqu'ils sanctionnent officiellement les pratiques eugéniques qui ont déjà cours. Le fait même qu'on ait recours abondamment aux tests de diagnostic durant la grossesse pour détecter, aux fins de les éliminer, diverses conditions débilitantes prouve bien que des pratiques eugéniques existent bel et bien.

Il est particulièrement répugnant pour des personnes atteintes d'invalidité de supposer que tout test positif débouchera inévitablement sur un avortement. Cette supposition de pratiques eugéniques s'avère du fait que 90 p. 100 des amniocentèses à résultat positif débouchent sur la cessation d'une grossesse désirée. De tels chiffres envoient un signal d'alarme. Une telle façon de réagir à la déficience la stigmatise et contribue à accroître encore davantage la dévalorisation des personnes handicapées.

Nous voulons également signaler, pour l'avenir, que les Canadiens doivent avoir des garanties que les renseignements d'ordre génétique sur des personnes ne seront pas communiqués par les milieux médicaux à d'autres secteurs de la société comme les milieux de l'assurance, les employeurs, ou les autorités militaires. Seule la personne ayant fait l'objet d'un test devrait avoir accès à ces renseignements.

Nous vous demandons de ne pas inclure dans la mesure la sélection selon le sexe. Selon nous, le fait d'interdire la sélection selon le sexe sans interdire la sélection selon d'autres critères laisse entendre que le droit canadien va désormais sanctionner la sélection en fonction d'un mauvais état de santé. Or, ceux-ci augmentent de jour en jour.

Nous nous demandons où nous allons au juste: le bébé parfait, la race parfaite, le travailleur parfait. Nous ne nous débarrasserons jamais des déficiences, et la plupart d'entre elles n'ont rien à voir avec la génétique. Quelle est donc notre place dans la société?

La Disabled Women's Network of Canada s'attend à ce que cette mesure législative reflète les droits à l'égalité des personnes handicapées. Nous voulons continuer à éduquer, à informer et à tenter de tirer au clair les enjeux très déroutants pour la société de toute la question des nouvelles techniques de reproduction. Dans bien des cas, nous choisirons peut-être de ne pas légiférer. Cependant, comme l'a dit David Dingwall au début des audiences, notre façon de gérer ces techniques sera un reflet de notre identité et de nos valeurs.

Nous, femmes handicapées, ne voulons pas être considérées comme quantité négligeable.

La présidente: Merci, madame O'Brien.

Madame Morrison.

Mme Judy Morrison (Comité canadien d'action sur le statut de la femme): Je m'appelle Judy Morrison et je comparais au nom du Comité canadien d'action sur le statut de la femme. Certains de nos groupes membres sont également ici et je tiens donc à vous dire que je ne suis pas la seule à représenter notre organisme.

.1640

Vous devriez déjà avoir reçu certains de nos documents, auxquels je vais me référer. The Handmaid's Tale était un mémoire que nous avons fait parvenir à la commission royale en réponse au document Un virage à prendre en douceur. Nous avons également publié un ouvrage en deux volumes intitulé Misconceptions et plus récemment, nous vous avons soumis des mémoires. J'aimerais revenir très brièvement à notre position aujourd'hui.

Tout d'abord, je vous remercie de nous avoir invitées à comparaître aujourd'hui. Nous nous réjouissons du fait que vous preniez des mesures concrètes. Nous souhaitons que le projet de loi soit adopté rapidement. Nous sommes heureuses de constater la reconnaissance dans le préambule du fait que les techniques de reproduction et de manipulation génétique soulèvent des préoccupations qui vont au-delà de la santé et de la sécurité. En effet, par leur conception, leur mise au point et leur commercialisation, elles risquent d'avoir de très graves implications sur le plan social et le plan de l'éthique.

Cela dit, la mesure ne semble pas du tout reconnaître de façon explicite les personnes handicapées et le droit à l'égalité des femmes. L'utilisation d'expressions vagues comme la «dignité humaine» nous inquiète. Nous préférons la formulation plus explicite de «droits de la personne». En cela, nous voulons englober les droits des personnes handicapées et les droits des femmes, compte tenu des implications toutes particulières des nouvelles techniques pour ces catégories de personnes. C'est donc un changement que nous souhaitons pour le préambule.

Pour ce qui est des droits des femmes à l'égalité, cela ne veut pas simplement dire l'égalité d'accès ou l'égalité de traitement. Cela veut dire aussi l'égalité des résultats. Nous voulons dire par là que la grossesse et la naissance ne devraient faire l'objet d'aucune ingérence judiciaire et que notre organisation appuie sans réserve l'autonomie des femmes en matière de reproduction.

J'aimerais rappeler quels sont les éléments de la liste d'interdictions de la mesure proposée que nous sommes disposées à appuyer. Nous appuyons la criminalisation des pratiques suivantes: l'application du génie génétique aux cellules germinales, l'ectogénèse, le clonage d'embryon humain, l'hybridation humaine animale, le prélèvement d'ovules ou de sperme sur un cadavre ou un foetus, les recherches qui comportent la maturation de sperme ou d'ovules à l'extérieur du corps humain, les recherches portant sur des embryons humains après le quatorzième jour et la création d'embryons à des fins de recherche.

Pour ce qui est des autres aspects visés par le projet de loi...

[Difficultés techniques]

.1643

.1648

La présidente: Nous allons maintenant reprendre. Nos témoins peuvent poursuivre là où ils ont été interrompus. Merci de votre patience.

Mme Morrison: Puisque le temps file, je crois que certains de nos groupes membres pourront revenir à certains des aspects que j'ai soulevés plus tôt. J'aimerais tout simplement reprendre l'énumération que j'avais commencée.

Le Comité canadien d'action sur le statut de la femme appuie la criminalisation de pratiques comme l'application du génie génétique aux cellules germinales, l'ectogénèse, le clonage d'embryon humain et l'application du clonage à l'être humain d'une façon plus générale, l'hybridation humaine animale, le prélèvement de sperme ou d'ovules sur un cadavre ou un foetus, les recherches comportant la maturation de sperme ou d'ovules à l'extérieur du corps humain, les recherches portant sur les embryons humains après le quatorzième jour et la création d'embryons aux seules fins de la recherche.

Le Comité canadien d'action ne favorise pas la criminalisation des autres pratiques énoncées dans le projet de loi. Ce sont cependant des pratiques qui nous inquiètent grandement et dont nous souhaitons la réglementation. Cependant, la criminalisation compromettrait gravement les droits des femmes et leur autonomie en matière de reproduction, de même que les droits des personnes handicapées.

.1650

Je m'en tiendrai à cela.

La présidente: Merci beaucoup. Madame Miller.

Mme Fiona Miller (Alliance féministe sur la génétique et les nouvelles techniques de reproduction): Je m'appelle Fiona Miller. Voici Elizabeth Abergel. Nous représentons l'Alliance féministe sur la génétique et les nouvelles techniques de reproduction.

Tout d'abord, je tiens à vous féliciter d'agir et d'aller dans certaines des bonnes directions. Certaines initiatives assez fondamentales méritent d'être applaudies. Le fait par exemple de qualifier ces pratiques de nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique, le fait de reconnaître que les enjeux dépassent la santé et la sécurité, la volonté d'éviter la commercialisation d'éléments ou de produits du corps humain qui servent à la reproduction, et la reconnaissance de la nécessité d'interdire certaines pratiques.

Permettez-moi de vous expliquer brièvement la position de l'alliance, dont vous êtes tous déjà au courant. D'abord, l'absence d'une structure nationale réglementaire concurrente continue de nous inquiéter. Selon nous, le recours au Code criminel est souvent un moyen très rapide et déloyal de ne pas faire grand-chose.

Nous avons besoin d'un régime national, réglementaire et capable de surveiller ce qui se passe. Ce régime doit favoriser la contribution du public à l'élaboration de lois appropriées pour gérer et restreindre certaines de ces activités. D'après nous, cet organisme doit se composer de citoyens.

Deuxièmement, à notre avis, le projet de loi C-47 s'applique à deux genres de pratiques tout à fait différentes. Les premières groupent toutes les formes d'expériences répréhensibles sur l'être humain, par exemple, la manipulation germinale et génétique, le clonage, l'ectogénèse, etc. Il s'agit de la liste que Judy Morrison vous a lue. D'autre part, il y a un deuxième ensemble de pratiques qui portent sur la procréation. Il s'agit de l'échange commercial de produits ou d'éléments du corps humain servant à la reproduction, de sélection du sexe, et le reste.

Étant donné que nous considérons qu'il s'agit de deux ensembles distincts de pratiques, il serait logique d'après nous de régir ces deux genres de pratiques séparément. Ce n'est pas que nous croyons que toutes ces pratiques sont acceptables. Au contraire, il faudrait certainement prévoir des restrictions d'après nous. Cependant, le Code criminel ne doit pas servir à réglementer des questions d'ordre moral, mais plutôt à imposer des contrôles juridiques appropriés.

Nous nous inquiétons à propos des pratiques de reproduction. Puisque ces pratiques existent et que des femmes s'en servent et puisque nous savons, comme féministes, que le droit pénal a tendance à défavoriser les groupes les plus faibles, nous nous opposons à un recours au droit pénal pour restreindre les pratiques de reproduction de ce genre. Nous craignons que plus de femmes deviennent marginalisées dans les circonstances parce qu'elles ont recours à certaines de ces pratiques.

Par ailleurs, nous croyons que les diverses formes d'expériences répréhensibles sur l'être humain doivent être interdites et peuvent l'être en toute sécurité parce qu'elles ne sont pas utilisées maintenant individuellement par les femmes. Les décisions au sujet des pratiques de ce genre sont prises au moyen de processus très élitistes et nous devons pouvoir exercer un contrôle démocratique quelconque sur ces pratiques.

Je ne veux pas m'étendre trop longtemps sur cette question. Nous voudrions profiter des quelques minutes qui nous restent pour parler plutôt de certaines dispositions particulières du projet de loi.

Nous considérons le préambule et les objectifs du projet de loi comme importants parce qu'ils établissent les principes qui permettront de régir les techniques de reproduction et de manipulation génétique. Malheureusement, l'énoncé de ces principes est pour l'instant très vague et leur portée quelque peu étroite.

Même si le projet de loi stipule qu'il porte sur la santé et la sécurité, nous ne croyons pas que ce soit vraiment là-dessus qu'il porte. En outre, les préoccupations relatives à la santé et à la sécurité sont exprimées de façon un peu trop vague, comme le principe de la dignité humaine, d'ailleurs.

Dans le préambule et les objectifs de la loi, on devrait préciser que la mesure vise à protéger les droits à l'égalité des femmes et des personnes handicapées. De telles déclarations seraient claires, alors que la notion de dignité humaine n'est pas expliquée clairement.

Nous devons aussi adopter une loi qui soit dans l'intérêt de l'autonomie en matière reproduction. Pour être plus précises, nous voulons que la loi reconnaisse de façon explicite que les tribunaux ne doivent pas intervenir dans la grossesse et la naissance. C'est l'une des choses qu'avait recommandées la commission royale d'enquête. La commission disait dans sa recommandation273 que l'intervention des tribunaux dans la grossesse et la naissance pose un problème à cause de l'émergence des nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique et que nous devons faire le nécessaire pour limiter de telles interventions.

Enfin, parmi les objectifs du projet de loi, on déclare que l'un des principes dont on doit tenir compte pour appliquer la loi est la protection des intérêts des enfants. Cela nous préoccupe parce qu'il pourrait y avoir conflit avec les intérêts des femmes. Selon nous, cette déclaration est ambiguë.

À notre avis, il serait plus approprié de protéger les droits de la personne que d'énoncer des principes de régie. Nous voudrions qu'on modifie le principe et les objectifs du projet de loi en conséquence.

.1655

Pour ce qui est de certaines dispositions précises du projet de loi, il y a l'alinéa 4(1)a) qui porte sur le clonage. Vous avez certainement déjà constaté vous-mêmes qu'il faudrait modifier cet alinéa pour interdire le clonage des cellules somatiques. Quand le projet de loi a été rédigé, Dolly n'existait pas. Pour que le projet de loi interdise vraiment le clonage humain, on ne peut pas se contenter d'interdire le clonage des embryons ou des zygotes, mais il faut aussi interdire le clonage des cellules somatiques. C'est une modification qu'il faudrait apporter.

Les alinéas 4(1)h) et 4(1)i) portent sur le choix et la détermination du sexe. Ces pratiques seraient interdites sauf pour des raisons de santé.

Nous avons de graves inquiétudes au sujet de ces dispositions. Le libellé est vague. La notion de santé est vague. Selon nous, l'exception prévue est à la fois raciste et discriminatoire à l'égard des personnes handicapées. C'est de l'eugénique. Cette disposition ne peut pas fonctionner.

Sunera Thobani a présenté un excellent argument à propos de la disposition qui permettrait de choisir le sexe pour des raisons médicales. Nous avons déjà entendu la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada affirmer qu'elle considérerait que la possibilité de compléter la famille constituerait une raison médicale acceptable, alors que le choix du sexe par certains groupes ethniques serait inacceptable. Cette exception est donc raciste à notre avis.

En outre, comme l'a signalé DAWN, si la loi était adoptée, elle dirait de façon explicite qu'un choix en fonction de la capacité physique serait acceptable alors que le choix du sexe ne le serait pas.

Nous croyons donc que ces deux alinéas devraient être supprimés.

Il y a, bien entendu, d'autres choses qui nous préoccupent, mais nous aurons sans doute la chance d'en discuter plus tard. C'est tout ce que nous voulions dire pour l'instant. Merci.

La présidente: D'accord, merci beaucoup.

Voulez-vous commencer, docteur? Nous pourrons au moins entendre votre déclaration avant d'aller voter.

Dr Gregory Wolbring (membre, Conseil des Canadiens avec déficiences): Merci, madame la présidente.

Je tiens à vous remercier d'avoir présenté ce projet de loi et à vous féliciter. Je suis d'accord avec bien des choses qu'ont dites d'autres témoins et cela m'attriste un peu d'être au bas de la liste parce que je voulais moi-même dire bien des choses que vous avez entendues. Je ne le ferai pas.

Je représente le Conseil des Canadiens avec déficiences, qui regroupe au moins 20 ou30 organismes provinciaux. Je représente aussi l'Association des victimes de la thalidomide du Canada. J'exprime aussi mes opinions personnelles vu que je suis un biochimiste et un chercheur et que je m'intéresse donc de très près à la façon dont on utilise les produits de nos recherches pour le bien de la société.

Je parlerai donc seulement pour l'instant des dispositions relatives à l'eugénique, c'est-à-dire des alinéas 4(1)h) et 4(1)i). Pour les Canadiens avec déficiences, ces dispositions sont tout à fait inacceptables.

Nous avons deux choses à dire à ce sujet. Pour l'instant, les embryons, les foetus, et le reste, sont considérés comme des non-personnes, du moins selon le droit canadien. C'est à cause de cela que nous pouvons avoir notre Loi sur l'avortement. Nous supposons aussi que les femmes peuvent choisir librement l'avortement ou certaines techniques de reproduction.

Les alinéas 4(1)h) et 4(1)i) semblent laisser entendre que le libre choix n'existe plus parce que le choix du sexe est interdit. Cela veut dire que le choix est libre, mais doit être sanctionné par la société.

Le deuxième point est très intéressant. Il s'agit de la notion de droit selon laquelle une entité qui n'est pas reconnue par la loi, une non-personne, un foetus ou un embryon, peut avoir un attribut personnel comme le sexe. J'ignore si une telle notion serait maintenue par les tribunaux vu que cela équivaut à confondre certaines hypothèses de droit.

Je voudrais lire quelques citations pour montrer que les craintes des personnes handicapées à l'égard de l'eugénique sont réelles, profondes et malheureusement fondées vu qu'il existe maintenant de nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique qui permettent d'établir certaines limites pour améliorer la santé. Ce passage est tiré d'un document du gouvernement qui accompagne le projet de loi C-47 et qui figure à l'annexe A. Le gouvernement a essayé de défendre cette interdiction du choix du sexe pour des raisons autres que médicales en disant que c'était «contraire aux valeurs canadiennes d'égalité et de respect de la vie et de la dignité humaines...». C'est une forme de discrimination fondée sur le sexe.

Je voudrais vous poser une question. Est-ce que cela signifie que, s'il y a une déficience quelconque, le foetus ou l'embryon ne mérite pas tout autant l'égalité et le respect de la vie et de la dignité humaines? Est-ce que ce n'est pas de la discrimination en raison de la capacité physique? Selon moi, on ne peut pas d'une part affirmer qu'une telle chose constitue de la discrimination en raison du sexe et, d'autre part, nier catégoriquement que cela constitue aussi de la discrimination flagrante basée sur la capacité physique.

Soit dit en passant, le projet de loi est également flou sur ce point: qu'est-ce que cela signifie vraiment? Cela signifie-t-il que nous pouvons avorter uniquement des foetus ayant des déficiences liées au chromosome sexuel? Cela signifie-t-il que la sélection des déficiences est quand même une bonne chose, et que c'est uniquement à cause du lien entre le sexe et certaines déficiences que l'on a cette partie initiale dans le projet de loi? Les alinéas 4(1)h) et 4(1)i) n'apportent aucun éclaircissement.

Permettez-moi de citer certaines personnalités assez connues dans ce domaine pour vous montrer qu'effectivement, la crainte de l'eugénique est fondée.

.1700

La Dre Margaret Thompson, membre de l'Ordre du Canada et ancienne présidente de la Société génétique du Canada, en tant que témoin pour le gouvernement de l'Alberta dans l'affaire de la stérilisation de Leilani Muir - évidemment, elle était membre de l'Alberta Eugenics Board à l'époque - a déclaré:

Il semble donc que nous soyons simplement en train de changer la technique, mais nous avons la même intention ici.

Il est intéressant de signaler que les tribunaux de l'Ontario ont été saisis d'une affaire de naissance non désirée qui a été tranchée en faveur de la mère. Dans quelle mesure un conseiller génétique peut-il être objectif actuellement en donnant des informations, car il pourrait éventuellement être tenu pour responsable dans des poursuites relatives à des naissances non désirées? Il faudrait donc se pencher davantage sur ce genre de possibilité et de problème.

Je citerai également Helen Mary Warnock, qui était présidente du Comité Warnock, l'équivalent anglais de la Commission royale canadienne sur les nouvelles techniques de reproduction. À son avis, il serait plus sage d'avorter les enfants atteints du syndrome de Down.

Mary Warnock est également une généticienne très respectée en Angleterre. Ce sont des personnes très respectées qui font ce genre de déclarations.

Citons aussi le professeur Peter Singer de Melbourne, en Australie:

Vous constatez sans doute qu'il parle de bébés hémophiles. C'est dans un livre qu'il a écrit en 1979. Aujourd'hui, avec les examens prénataux, on peut dépister les troubles héréditaires liés à l'X, mais l'on a peut-être encore le même genre de...

La présidente: Pouvez-vous conclure? Votre temps est épuisé.

Dr Wolbring: Très bien, une dernière chose. Le 10 mars, Pamela Wallin de CBC Newsworld a déclaré que la thalidomide va probablement réapparaître sur le marché. La RDA est en train d'étudier les premières demandes à cet effet. Mme Wallin a demandé à un médecin, le Dr Jay Keystone, un chercheur du Tropical Disease Institute qui s'intéresse à la prescription de la thalidomide, ce qu'il ferait si elle le consultait pour en obtenir. Entre autres choses, il a déclaré qu'il irait plus loin; il lui demanderait de signer pour le moment - et peut-être pas à l'avenir - un formulaire de consentement attestant qu'elle comprenait les risques liés à ce médicament, et qu'elle devrait peut-être envisager un avortement si jamais elle devenait enceinte.

Il semble donc de moins en moins certain que les femmes aient véritablement le choix, compte tenu de ces renseignements et de ces connaissances et de ce que la société attend d'elles. La technique est visée par le projet de loi, mais en interdisant explicitement le choix du sexe, on se trouve plus ou moins à dire que, pour l'autre, ça va, puisqu'on n'interdit qu'une chose.

La présidente: Je vous arrête là, parce que vous avez de loin dépassé votre temps de parole.

Madame, voulez-vous commencer?

[Français]

Mme Louise Vandelac (témoigne à titre personnel): Bonjour. Je m'appelle Louise Vandelac et je suis professeure de sociologie à l'UQAM. J'ai été membre de la Commission royale sur les technologies de reproduction durant les deux premières années, ainsi que membre du Conseil national de la bioéthique en recherche sur les sujets humains.

Je ferai une intervention très brève et complémentaire à celles qui ont été faites.

.1705

Il y a deux semaines à peine, en écoutant une ligne ouverte à une émission de radio nationale à Radio-Canada portant sur le clonage, j'ai eu la surprise de constater qu'un médecin généticien, pédiatre de surcroît, affirmait qu'il ne voyait aucune espèce de raison de ne pas faire de clonage humain. Quand on ose dire des choses semblables à la radio nationale, c'est signe d'une banalisation du clonage quelque peu inquiétante, surtout quand on constate l'opposition manifeste de certains promoteurs des technologies de reproduction, s'opposant par exemple à l'interdiction de la production d'embryons humains pour la recherche ou à l'interdiction complète de thérapie génique.

Or, chaque délai supplémentaire, et nous avons au moins un délai de 15 ans au Canada comparativement à bon nombre d'autres pays développés, cautionne, avalise et accélère non seulement certains développements, mais même, dans certains cas, certains gestes qui s'apparent à la délinquance scientifique.

Il y a urgence, car bon nombre de ces technologies ont déjà commencé à modifier profondément la conception de l'espèce humaine. Qu'il s'agisse par exemple de la production sérielle de vivants, c'est-à-dire d'embryons destinés à naître ou à n'être que du matériel de recherche, ou encore de la production délibérée d'embryons à partir notamment d'ovaires de cadavres ou d'embryons, c'est une des premières fois que, derrière l'alibi du savoir, on s'autorise à réduire et à utiliser d'éventuels rejetons comme rats de laboratoire.

S'il y a urgence à criminaliser certaines pratiques, comme l'ectogénèse, le clonage, etc. - je ne le répéterai pas car le temps est court - , c'est surtout que ce n'est pas seulement la conception des êtres humains, mais bien la possibilité même de reproduction de l'espèce humaine qui est actuellement en jeu. J'ai été particulièrement étonnée de constater que ces questions étaient aussi peu abordées, à la fois dans le rapport de la commission et, par la suite, dans tous les débats qui ont eu lieu au cours des récentes années.

Nous savons, et 70 experts étaient récemment réunis au Smithsonian Institute à Washington par les Nations unies pour en discuter, qu'il y a une baisse très marquée de la spermatogenèse, qu'il y a également des incidences manifestes sur l'augmentation du cancer du sein et de l'endométriose liée aux xenoestrogènes, qu'on appelle en anglais estrogen-likes, et plus globalement en français les imposteurs endocriniens qui sont relâchés dans l'environnement et dont on commence à peine à connaître les effets réels.

Si c'est une question urgente pour un comité comme celui-ci, c'est qu'on va voir exploser littéralement, durant les 30 ou 40 prochaines années, les technologies de reproduction. Il est urgent d'intervenir maintenant sur ces questions. Pourquoi va-t-on les voir exploser? Entre autres, parce que déjà, depuis quatre ans, en France et en Belgique, on a commencé à développer l'ICSI. On l'a aussi utilisée aux États-Unis, au Canada et ailleurs, mais on la développe de façon très massive, si bien que déjà, en France, de 35 à 40 p. 100 des fécondations in vitro sont faites pour des problèmes de fertilité masculine. Autrement dit, compte tenu de la baisse de la spermatogenèse annoncée et compte tenu qu'on a déjà développé des technologies qui permettent d'utiliser un seul spermatozoïde, on risque de médicaliser de façon très massive la reproduction. On risque de multiplier le recours à la fécondation in vitro au cours des 30 à 40 prochaines années, avec des coûts sociaux, économiques et humains absolument astronomiques.

Il y a donc urgence que le Canada sorte enfin du laxisme qui l'a caractérisé concernant ces questions. C'est un des rares pays développés à n'avoir encore aucune loi. Certes, il y a l'annonce imminente d'une élection et je sais fort bien qu'il peut y avoir deux attitudes par rapport à cela: soit qu'on se dise qu'on n'a pas le temps et qu'on remette aux calendes grecques, auquel cas j'espère que nous aurons l'occasion de nous revoir l'automne prochain, soit qu'on prenne la décision de faire un projet qui, minimalement, permette de défendre un certain nombre de principes fondamentaux et surtout d'interdire un certain nombre de questions majeures. Je pense entre autres à celles qui ont été nommées par mes collègues un peu plus tôt.

.1710

Je terminerai en soulignant - je vois le couperet - qu'il y a un doute. La volonté de criminaliser m'apparaît très paradoxale, puisqu'on semble vouloir non pas utiliser une modification au Code criminel, qui relèverait des provinces, mais utiliser la loi fédérale. Or, quels seront précisément ces mécanismes? Rien n'est clair bien que j'aie cherché auprès de bon nombre de recherchistes du gouvernement pour tenter de comprendre où on en était avec cela.

Je pense que c'est une question de démocratie. Autrement dit, mon souci est d'éviter qu'il y ait dans ce pays une loi pour certains scientifiques et une loi pour les citoyens, et d'assurer que l'ensemble des citoyens puissent avoir un recours clair, précis et clairement annoncé par rapport à ces technologies. Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup.

Je tiens à remercier tous les témoins pour leur exposé. Nous passons maintenant à Mme Picard et nous débutons donc la période de questions.

[Français]

Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): Mesdames, docteur, merci de vous être déplacés pour venir nous informer de ce que vous pensez du projet de loi C-47. J'aimerais saluer Mme Vandelac; je suis très heureuse qu'elle ait accepté de venir nous parler ici, au comité. Je l'avais déjà rencontrée en 1993 et je sais qu'elle a mis beaucoup de temps et d'énergie à chercher et à se documenter au sujet des nouvelles technologies de reproduction.

J'aurais une question très brève, sachant que nous n'avons pas beaucoup de temps et que nous devons encore rencontrer plusieurs autres personnes. Madame Vandelac, que pensez-vous du projet de loi C-47 dans sa forme intégrale?

Mme Vandelac: Je pense qu'il y a bon nombre d'imprécisions et un bon nombre de problèmes de clarification. Je serais assez d'accord sur la majorité des commentaires qui ont été faits plus tôt. Donc, je ne m'étendrai pas sur le sujet. Je pense surtout qu'il y a des lacunes considérables, notamment en termes de possibilités pour le public d'avoir des outils au chapitre de la reproduction humaine qui puissent correspondre minimalement à ceux qui ont été développés dans ce pays au cours des 10 dernières années concernant les problèmes d'environnement. Autrement dit, il est possible d'avoir des audiences publiques concernant les problèmes d'environnement, les citoyens ont la possibilité de demander qu'elles soient tenues et d'avoir accès à l'information, etc.

Le comité dont on nous parle est pour l'instant très vague, et c'est pourquoi il est difficile d'avoir une position absolument ferme. Ce comité me semble néanmoins mériter d'être très sérieusement examiné et surtout assorti de bon nombre d'outils complémentaires dans une perspective visant à permettre aux citoyens d'intervenir directement sur ces questions.

Ce que je crains plus que toute chose, c'est le fait que tout se passe derrière des bureaux, entre pairs et que le public ait très peu de possibilité de suivre l'évolution de ces dossiers, et que par ailleurs on reste à la remorque de ce qui est en train de se faire dans d'autres secteurs. Autrement dit, si on ne fait pas de lien très direct avec le secteur agroalimentaire, par exemple, je pense qu'on est condamnés à suivre les technologies qui s'imposent.

Il est absolument fondamental que l'aspect prospectif de ce comité soit nettement plus développé et que les liens avec les autres ministères le soient également.

.1715

[Traduction]

M. Keith Martin (Esquimalt - Juan de Fuca, Réf.): Merci à vous tous d'être venus devant notre comité aujourd'hui.

J'essayerai d'être bref, puisque vous nous avez donné tellement de matière à réflexion, madame Vandelac. J'ai deux points à aborder. Tout d'abord, il me semble que la communauté scientifique exerce déjà un droit de regard sur ses propres activités. Elle s'autoréglemente déjà. Celui ou celle qui veut se livrer à des activités scientifiques qui dépassent les limites de la normalité le fera de toute façon.

Deuxièmement, vous avez évoqué la possibilité que les gens aient plus tendance à opter pour la fécondation in vitro. Les gens auront toujours tendance à... [Difficultés techniques]

Mesdames Miller et Morrison, j'ai deux questions à vous poser. Madame Miller, vous avez dit que vous étiez contre l'échange commercial de matériel de reproduction. Je me demande si vous êtes contre l'indemnisation de ceux et celles qui donnent de leur sperme ou de leurs ovules pour...

[Difficultés techniques]

.1717

.1724

La présidente: Bon, voilà pour la technique de pointe. J'aurais pu réparer cela moi-même. C'est ce micro-là, monsieur Martin, alors si vous pouviez poursuivre en utilisant le 17, il ne devrait plus y avoir de problème. Voilà qui est fait.

M. Keith Martin: Merci beaucoup.

Madame Miller et madame Morrison, revenons à notre sujet. Vous avez parlé de l'échange commercial de matériel de reproduction. Je me demande si vous êtes contre l'indemnisation de ceux et celles qui veulent donner de leur sperme ou de leurs ovules. Si nous ne permettons pas l'indemnisation de ces personnes, nous perdrons ainsi une source d'aide pour les personnes infertiles qui choisissent de recourir à cette technique pour avoir des enfants.

.1725

Enfin, vous avez indiqué que vous étiez contre la manipulation germinale et génétique. Il ne faut pas oublier que les modifications germinales constitueront sans doute un outil extrêmement important pour lutter contre certaines maladies très graves, depuis la fibrose kystique jusqu'à un certain nombre de tumeurs malignes, y compris le cancer du sein et l'adénome de l'intestin. Nous nous servons déjà d'outils génétiques pour modifier la composition génétique du cochon pour permettre une plus grande utilisation des valvules cardiaques et des organes de cet animal dans les greffes. Étant donné que c'est à cette fin que le matériel ainsi obtenu est utilisé, vous opposez-vous à une intervention génétique de ce genre?

Mme Miller: Puis-je commencer au tout début? Vous dites que la communauté scientifique pratique déjà l'autoréglementation. Je crois que vous avez justement mis le doigt sur le problème, car nous ne voulons pas d'une autoréglementation par la communauté scientifique. Nous voulons plutôt une forme de surveillance démocratique.

La communauté scientifique soutient depuis longtemps qu'elle est seule compétente pour décider de ces questions, qu'elle est en mesure de prendre les décisions voulues en ce qui concerne les activités de recherche et que le public ne devrait pas avoir de rôle à jouer, parce qu'il s'agit simplement de questions scientifiques. Nous savons que ce n'est pas le cas, et nous sommes maintenant aux prises avec les conséquences de cela. À un moment donné, il faut pouvoir exercer une surveillance démocratique.

Ce n'est peut-être pas la meilleure façon de procéder, mais au stade où nous en sommes, d'autant plus que dans tous les journaux, on a rapporté que, quand vous les avez rencontrés, les médecins ont commencé par dire: il faut nous laisser nous occuper de ces choses... pas plus tard qu'il y a deux ans, ils nous garantissaient que pareille éventualité était inconcevable. Ils disaient que nous devions nous en remettre à eux, qu'ils nous protégeraient, qu'ils ne s'engageraient pas dans cette voie-là. Or, il est clair qu'ils n'ont aucunement l'intention de respecter cet engagement. Nous savons déjà, d'après les lignes directrices des trois conseils, qu'ils trouvent que cela va contre la déontologie. Alors, pourquoi entendons-nous maintenant dire qu'ils sont prêts à le faire?

L'autoréglementation ne marchera pas. Cela dit, je poursuis, si vous le permettez.

M. Keith Martin: Puis-je vous interrompre un moment? Si un chercheur en manipulation génétique s'engage dans une voie que le public trouve complètement inacceptable, rien ne l'en empêchera?

Mme Miller: Nous l'interdirons.

M. Keith Martin: Rien ne va l'en empêcher de toute façon?

Mme Miller: Bien sûr, nous avons besoin d'un cadre réglementaire, mais cela ne suffit pas.

M. Keith Martin: Pourquoi?

Mme Miller: Parce que le cadre réglementaire permettra une certaine surveillance.

M. Keith Martin: Il existe déjà un cadre qui permet une certaine surveillance.

Mme Miller: Non, vous parlez d'un régime d'autoréglementation. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. Ce dont il s'agit, c'est de l'intérêt de...

M. Keith Martin: Je crois que l'objectif est d'empêcher certaines activités de manipulation génétique qui dépassent vraiment les bornes. Voici donc ma question: comment peut-on empêcher le chercheur qui veut se livrer à des activités de ce genre de le faire?

Mme Miller: Rien ne peut empêcher non plus le meurtrier de tuer quelqu'un, mais il y a quand même certaines limites qui sont imposées et il y a ensuite des conséquences qui sont prévues. Je crois que, si nous prévoyons une interdiction claire comme celle que prévoit le Code criminel à l'égard de certaines pratiques vraiment haineuses, les chercheurs ne se livreront tout simplement pas à des activités de ce genre, ou, s'ils le font, ils en paieront le prix. Bien entendu, je suis entièrement d'accord avec vous en ce qui concerne la surveillance. Nous ne savons pas ce qui se passe. C'est un sujet qui nous préoccupe.

M. Keith Martin: Ce n'est pas ce que j'ai dit.

Mme Miller: Je crois que c'est en quelque sorte le prolongement de ce que vous avez dit. C'est la conséquence.

M. Keith Martin: Non. Il existe déjà un cadre réglementaire et c'est celui de l'autoréglementation. Les lignes directrices ne sont pas invisibles; elles sont du domaine public. Vous pouvez aller les consulter si vous le voulez.

Mme Miller: Nous ne savons pas ce qui se passe.

[Français]

Mme Vandelac: Je voulais dire tout simplement que si cela avait aussi bien fonctionné que vous le prétendez, aucun d'entre nous ne serait ici. Il n'y aurait pas de commission royale ayant déboursé 30 millions de dollars et il n'y aurait pas ce projet de loi. Si l'autorégulation professionnelle fonctionnait, rien de tout cela n'existerait.

Il faut bien voir également que, ne serait-ce que pour des techniques relativement simples comme l'insémination artificielle, un des constats de la commission royale a été de voir à quel point on faisait un peu de tout et n'importe quoi et comment l'insémination artificielle animale était mieux protégée dans ce pays que l'insémination artificielle humaine, ce qui est quand même paradoxal.

Par conséquent, je pense qu'on a eu de nombreuses démonstrations que cette autorégulation était nettement insuffisante et, d'autre part, qu'il ne s'agit pas de pratiques qui n'ont qu'une incidence médicale. Ce sont des pratiques dont les incidences sociales, politiques et économiques sont fondamentales pour l'ensemble de la société et c'est dans ce sens-là qu'il est important qu'il y ait des mécanismes davantage démocratiques.

[Traduction]

M. Keith Martin: Sauf le respect que je vous dois à toutes les deux, je ne sais toujours pas quelles sont les activités auxquelles les scientifiques se livrent aujourd'hui au Canada que vous trouvez si abominables.

.1730

Mme Miller: Ce que j'ai voulu dire, en fait, c'est que les formes d'expérimentation humaine tout à fait répréhensibles se distinguent précisément des activités en matière de reproduction, en ce sens que les premières n'existent pas à l'heure actuelle. Nous avons donc l'occasion d'agir. L'alliance féministe ne croit pas qu'on puisse simplement interdire l'échange commercial de sperme. C'est quelque chose qui se fait depuis déjà longtemps. Nous voudrions plutôt qu'on s'engage dans la voie de la décommercialisation du transfert de gamètes, mais si, dès demain, vous interdisez...

M. Keith Martin: Voulez-vous dire qu'il a déjà une dimension commerciale?

Mme Miller: Oui.

M. Keith Martin: Dans quel sens?

Mme Miller: Il existe des cliniques commerciales. Il s'agit d'un processus commercial. Il est possible d'acheter du sperme.

M. Keith Martin: Ces gens reçoivent des fonds, n'est-ce pas?

Mme Miller: Oui.

M. Keith Martin: Et vous parlez de commercialisation?

Mme Miller: Exactement.

M. Keith Martin: Vous savez que les fonds qu'ils reçoivent leur sont versés à titre d'indemnisation.

Mme Miller: C'est ainsi qu'ils sont présentés.

M. Keith Martin: Vous savez qu'on ne s'enrichit pas à vendre ses gamètes.

Mme Miller: Tout à fait. Il y a toutefois une annonce qui a paru dans le journal de l'Université de Toronto, The Varsity, invitant les jeunes femmes blanches à vendre leurs ovules pour 2 000$. Excusez-moi, mais c'est là un incitatif pour les femmes qui veulent financer leurs études universitaires.

Nous essayons notamment de faire comprendre aujourd'hui qu'il s'agit là de questions complexes et que, selon nous, on ne peut pas opter pour une interdiction totale. Quand il s'agit toutefois de savoir comment on peut réglementer les activités de ce genre, comment elles pourraient être pratiquées sans que les femmes ne soient criminalisées, c'est là une autre démarche, et c'est dans cette voie qu'il faudrait s'engager.

M. Keith Martin: Je voudrais simplement que vous nous disiez où des gamètes sont vendus au Canada à des fins commerciales.

Mme Miller: Je viens de vous le dire.

M. Keith Martin: Quelle clinique le fait?

Mme Miller: Quelle clinique? Je n'en suis pas trop sûre mais c'est très facile à vérifier. Je m'excuse, mais je ne vois pas où vous voulez en venir. Nous savons que cela se fait. Il en est souvent question dans les médias. Tout le monde en parle.

M. Keith Martin: Le problème c'est que c'est faux. Ces gens sont payés, mais ce qu'ils reçoivent n'est qu'une indemnisation. Ils ne vendent pas leurs gamètes pour s'enrichir.

Mme Miller: Si vous voulez.

M. Keith Martin: C'est important.

Mme Miller: Non, parce que...

M. Keith Martin: Ce n'est pas «si vous voulez». C'est important.

Mme Miller: ... vous semblez suggérer que payer une femme 10 000$ pour porter l'enfant d'une autre n'est pas une activité commerciale. Il ne s'agit pas de savoir si cela permet de s'enrichir...

M. Keith Martin: J'aimerais que vous m'en donniez la preuve.

Quoi qu'il en soit, le problème, et il est important, reste que ce projet de loi vise à interdire la vente ou l'achat de gamètes. Cela revient à interdire aux couples infertiles l'accès de ces gamètes. Ceux qui font actuellement don de leur sperme ne le feront plus.

Mme Miller: Nous n'interdisons rien du tout. Soyons clairs. Ce n'est pas un projet de loi sur la reproduction assistée. C'est un projet de loi sur certains de ces paramètres. Nous ne sommes ni pour ni contre la reproduction assistée. Et nous ne tenons pas à tenir ce jugement moral. Nous disons que ce qui est fait en son nom... Et lorsque nous parlons d'échange d'organes humains, je crois qu'il nous faut opter pour un système analogue à celui que nous avons déjà pour les transplantations, pour le sang. Il est évident qu'il nous faut faciliter l'accès lorsque la demande est tout à fait justifiée, mais il ne faut pas commercialiser ces activités. Nous sommes malheureusement en train de le faire. Vous dites que la fin justifie les moyens. Nous disons à condition de respecter certains principes.

M. Keith Martin: Je dis simplement qu'il n'y a pas actuellement commercialisation. Les gens sont payés mais ce qu'ils reçoivent - et je vous invite vivement...

Mme Miller: C'est une question de définition.

M. Keith Martin: ... à vous renseigner.

Mme Miller: Je me suis renseignée.

M. Keith Martin: Si vous n'autorisez pas une compensation pécuniaire, les personnes qui donnent aujourd'hui leur sperme et leurs ovules ne le feront plus.

Mme Carolyn Parrish (Mississauga-Ouest, Lib.): Madame la présidente, j'invoque le Règlement. M. Martin dispute les arguments des témoins plutôt que de leur poser des questions.

La présidente: Il serait probablement préférable de s'en abstenir.

Madame, vouliez-vous ajouter quelque chose?

[Français]

Mme Vandelac: Simplement un point d'information, d'une part pour souligner qu'il y a des systèmes complets qui fonctionnent sans compensation monétaire, notamment le système français où il y a des banques de spermes et où aucune rétribution n'est offerte aux gens. Par ailleurs, je pense que plusieurs d'entre nous convenons de la nécessité d'adopter de toute urgence ce projet de loi, quitte, pour ce faire, à s'entendre d'abord et avant tout sur les pratiques les plus hautement condamnables comme l'ectogenèse, le clonage, etc. Je sais que cela fait partie des débats qu'on pourrait avoir pendant très longtemps, à savoir si c'est de la compensation ou non. Je veux éviter ce débat puisque le temps est extrêmement limité, mais sachez que cela existe dans d'autres pays d'une part, et d'autre part que ce n'est pas essentiel par rapport à d'autres questions beaucoup plus fondamentales actuellement, lesquelles mériteraient beaucoup plus d'attention que celle-là, qui pourra être traitée ultérieurement. Autrement dit, y-a-t-il possibilité encore maintenant de penser à ce que ce projet de loi ou certains des éléments essentiels puissent être adoptés avant une éventuelle élection?

[Traduction]

La présidente: Merci.

Madame Parrish, y a-t-il des questions que vous aimeriez poser?

Mme Miller: À propos de la troisième question de M. Martin qui concernait la manipulation génétique des lignées germinales, je ne suis pas certaine que vous nous ayez compris. Nous parlions de manipulation génétique des lignées germinales et il est possible, je crois, que vous ayez confondu avec les cellules somatiques. Et nous ne parlons pas des autres espèces pour le moment. Je crois qu'il est clair que ce projet de loi concerne l'espèce humaine et nous n'avons donc rien à dire sur la manipulation génétique d'animaux comme les porcs.

.1735

Nous estimons que la manipulation génétique des lignées germinales est une pratique totalement inacceptable. En fait, il y a quelques années, la communauté des sciences médicales l'avait condamnée à l'unanimité. Il est donc très alarmant de constater ce passage de l'impensable à l'envisageable, au nécessaire. Et encore une fois c'est une question d'interprétation des intentions.

Une des pièces du puzzle indispensable qui semble vous échapper est l'élément eugénique. Pourquoi vouloir perfectionner la lignée germinale humaine? Est-ce parce que notre objectif est la perfection humaine? Qu'est-ce que cela implique? Je ne pense pas que ce soit..

M. Keith Martin: Est-ce que vous êtes contre...

La présidente: Excusez-moi, madame Miller. Mme Parrish veut poser quelques questions et nous aimerions les entendre.

Mme Carolyn Parrish: Merci beaucoup.

Je me sens de nouveau sur terre. Le témoignage des scientifiques et des médecins il y a une ou deux semaines m'avait assez angoissée. J'avais l'impression que toutes ces initiatives devaient nous mener à cette race, comme vous l'appelez, surhumaine.

Je trouve notre travail très difficile car c'est une mesure législative qui est le fruit d'un comité au sein duquel vous avez siégé pendant deux ans - et j'apprécie tout ce que vous faites - et nous voulons simplement lui apporter la dernière touche. Les éléments de base sont là. J'aimerais vous poser des questions sur cette dernière touche à apporter car lors de leurs témoignages, les médecins et les scientifiques nous ont parlé d'un certain nombre de choses, avec insistance, et j'aimerais avoir votre opinion.

Auparavant, je tiens à signaler à M. Martin et au groupe ici présent que je ne crois pas à l'auto-réglementation. C'est comme dire à des athlètes qui prennent des anabolisants de faire preuve de discipline. Ils continuent à pousser leurs limites et à prendre des anabolisants pour y arriver. Je crois que les scientifiques sont très semblables. Ils sont très compétitifs. Ils veulent être l'auteur de la dernière découverte et ils veulent être à la une de tous les journaux. Nous aimons tous le succès. Je ne crois pas à l'autoréglementation. Je tiens à ce qu'on le sache. Et je suis d'accord avec vous sur ce point.

Une des choses qu'on n'a cessé de nous répéter est la difficulté d'interdire toute forme de paiement pour le don de sperme, par exemple, y compris des choses bêtes comme le stationnement et un déjeuner, un sandwich, par exemple.

Je vais vous poser mes trois questions et vous déciderez entre vous qui y répondra.

Comme groupe vous semblez très semblable. Est-ce que modifier légèrement ce projet de loi pour autoriser des remboursements de frais raisonnables - avec des vérifications périodiques pour s'assurer de la justesse de ces montants - vous poserait un problème? Je ne crois pas que donner un oeuf mérite 2 000$. Il y a certains coûts à justifier. Quarante dollars, 30$, 20$, quelque chose de raisonnable pour que les gens n'aient pas à débourser pour le faire.

Deuxièmement, j'ai entendu beaucoup de gens craindre l'utilisation du Code criminel pour faire respecter cette loi. J'ai entendu quelqu'un parler de la main beaucoup trop lourde du Code criminel. Mais les autres comme vous semblent convenir de cette nécessité parce que c'est le seul moyen de faire respecter les règles.

J'aimerais aussi avoir une précision au sujet des alinéas 4h) et 4i). Vous voulez supprimer le dernier membre de phrase: «sauf pour des motifs liés à la santé du zygote ou de l'embryon». C'est bien cela? Vous voulez le supprimer pour qu'on ne puisse pas choisir le sexe de l'enfant mais par contre qu'on puisse veiller à ce que l'enfant soit «normal», sans problème. Vous voulez supprimer ce membre de phrase ou vous voulez le modifier?

Mme Miller: Je vais commencer avec les alinéas 4h) et i).

Un des problèmes de l'alliance féministe est que nous ne pensons pas que pour ces pratiques reproductives, l'échange commercial, le choix du sexe et les mères porteuses rémunérées devraient être criminalisés. Le Code criminel est un instrument trop collectif pour sanctionner des actes très individuels.

Nous savons que ce projet de loi a été rédigé en essayant au maximum de ne pas pénaliser directement les femmes. Nous saluons l'effort et nous l'applaudissons. Cependant, les femmes qui deviennent mères porteuses pour de l'argent sont souvent des femmes vulnérables, des femmes qui ne sont pas disposées... Si cette activité entre dans la clandestinité et prend une aura d'activité criminelle, les plus marginalisées se laisseront faire sans rien demander si elles sont punies.

.1740

Mme Carolyn Parrish: Puis-je vous interrompre? Dans notre société, nous avons tendance à pénaliser les gens qui vendent des drogues en grosses quantités. La tendance n'est pas de pénaliser les gens qui consomment de la marijuana. Voulez-vous dire que le médecin ou le praticien qui fait tout cela devrait être frappé d'interdiction du Code criminel, alors que la personne qui est véritablement vulnérable ne devrait pas l'être?

Mme Miller: À mon avis, cela figure déjà dans le projet de loi. Si cela n'y est pas, c'est encore plus inquiétant. D'après ce que je comprends du projet de loi, ceux qui offrent ces services et ceux qui les organisent sont également visés, ce qui est une bonne chose. Toutefois, nous pensons que des femmes qui ne sont pas directement criminalisées vont s'apercevoir qu'elles se livrent à des activités qui, d'une façon générale, sont criminalisées. Le fait de porter des enfants à des fins commerciales et les aspects légaux... Les médecins ne sont pas censés faire cela, mais ils le font tout de même. Dans ce cas-là, cela devient une activité clandestine. Dans ce contexte des activités clandestines, ce sont des femmes qui sont déjà marginalisées que l'on rencontre. Avec ces dispositions, elles vont le devenir encore plus.

Il est question aussi de faire relever à nouveau du Code criminel certaines pratiques de reproduction. C'est un aspect qui nous inquiète considérablement. Nous savons que depuis longtemps on invoque le Code criminel lorsqu'il s'agit de femmes et de la reproduction. Nous ne sommes pas certaines que ce soit une bonne chose. D'un autre côté, nous pensons sincèrement que cela ne fonctionnera pas. Nous ne sommes pas certaines que la surveillance nécessaire au bon fonctionnement du système sera exercée. Le Code criminel a tendance à désavantager les individus exceptionnels, et quand on pense à quelque chose comme le choix du sexe, il est fort possible que la communauté originaire du sud de l'Asie soit visée alors que des activités de nature plus générale n'entreront pas dans ce cadre criminel...

Mme Carolyn Parrish: J'aimerais que vous développiez cet aspect.

Peut-être Mme O'Brien pourrait-elle répondre à ma question au sujet des alinéas 4(1)h) et 4(1)i). Est-ce que vous voudriez qu'on supprime le passage: «sauf pour des motifs liés à la santé du zygote ou de l'embryon»? C'est cela que vous nous demandez?

Mme O'Brien: Oui. Gregory, vous voulez commenter?

Dr Wolbring: Oui. Il ne s'agit pas seulement de l'aspect santé. C'est tout l'alinéa 4(1)h) et tout l'alinéa 4(1)i) qui doivent être supprimés.

Mme Carolyn Parrish: En entier?

Dr Wolbring: Oui, en entier. Si vous dites que le choix du sexe est interdit, cela sous-entend que d'autres choses sont autorisées. C'est une affaire de définition. On interdit uniquement des choses qui, ailleurs, dans d'autres termes, sont autorisées. On peut donc prétendre que puisqu'on ne mentionne pas le choix pour raison de capacité physique, cela devrait être autorisé. Pour être vraiment clair, il faut supprimer complètement les alinéas 4(1)h) et 4(1)i).

Mme Carolyn Parrish: Si vous les supprimez complètement, cela revient à dire à la profession médicale, par omission, que ce genre de chose est autorisée. Vous ne le mentionnez pas.

Dr Wolbring: Je ne vois pas comment vous pouvez accorder une protection spéciale à un foetus qui porte une certaine étiquette alors qu'un autre foetus qui ne porte pas la même étiquette ne jouit pas de la même protection. Je vous ai cité quelques cas tout à l'heure.

Mme Carolyn Parrish: Non, je comprends cela, en fait, et je suis assez sympathique à votre point de vue. Je me demande seulement comment nous pouvons faire ce que vous voulez sans perdre la notion que la manipulation du zygote est interdite.

Dr Wolbring: Non, ce n'est pas une question de manipulation. Comme tout à l'heure, il s'agit simplement de pratiquer un acte médical dans le but de déterminer le sexe. Si vous accordez un statut spécial au choix du sexe... Si vous pouvez déterminer que certains traitements sont efficaces contre certains types d'incapacité, comme l'hémophilie, vous pouvez contourner le problème, mais si vous acceptez ce genre de chose, vous devez également accepter qu'on l'utilise pour choisir le sexe. D'autre part, il y a beaucoup d'autres facteurs en ce qui concerne la manipulation d'une déficience, et cette déficience ici, c'est beaucoup plus l'optique de la société que la sélection du sexe.

Mme Carolyn Parrish: Pour l'instant, oui, mais cela pourrait changer au fur et à mesure que la population évolue.

Ma dernière question s'adresse à vous tous: je me demande si vous auriez quelque chose contre l'idée de fixer une limite pour pouvoir dédommager les gens pour des dépenses raisonnables. Je ne parle pas d'une offre de 2 000$ dans le journal de l'Université de Toronto, j'imagine assez bien l'effet que cela ferait sur une étudiante désespérée.

Mme Miller: Nous ne sommes pas bien placés pour déterminer ce qui... Le projet de loi rejoint déjà certaines exceptions: «Le paragraphe (1) ne s'applique pas à l'indemnisation d'une personne autre que le donneur des frais qu'elle a engagés...». Le problème, c'est que nous tenons beaucoup à ce qu'on décommercialise tout cela, mais nous ne pensons pas que le Code criminel soit l'instrument désigné.

J'aimerais vous répondre par une question parce que nous avons l'impression que Santé Canada a l'intention d'introduire cela progressivement. Comment cela va-t-il fonctionner? Avec une phase de transition, est-ce qu'il est possible en même temps d'introduire les autres éléments problématiques sans imposer de pénalité? Est-il possible de mettre en place un cadre réglementaire pour organiser tout cela? En l'absence de surveillance, en l'absence d'action systémique, le Code criminel va s'en prendre aux exemples les plus flagrants et cela ne réglera pas vraiment le problème.

.1745

Mme Carolyn Parrish: Heureusement, ce n'est pas à moi de répondre à la question, c'est à vous.

Mme Miller: Vous n'êtes pas là pour répondre aux questions.

Mme Carolyn Parrish: Je suis certaine que le ministère de la Santé a réfléchi à cet aspect et que des règlements seront élaborés pour élargir le cadre de tout cela.

Mme Miller: J'aimerais répondre à votre question au sujet de la suppression de la disposition relative à la sélection du sexe. Je suis d'accord avec Gregory: nous voulons que les deux articles soient supprimés complètement. Je ne pense pas que l'on puisse finauder avec ce genre d'articles. En modifiant le préambule et en indiquant clairement que nous recherchons des droits égaux pour les femmes, et cela dans un esprit qui correspond à l'«après Andrews», des droits à l'égalité des résultats et des droits à l'égalité pour des gens qui ont une déficience cela donne une bonne indication des principes que nous défendons. Avec cet instrument qui manque un peu de finesse, c'est peut-être la meilleure solution à laquelle on puisse s'attendre pour faire comprendre que la sélection du sexe n'est pas une idée très brillante, pas plus que la sélection eugénique sur une grande échelle, et c'est précisément ce que nous visons ici.

Mme Carolyn Parrish: Madame Vandelac, vous avez fait signe que vous étiez d'accord quand j'ai dit que nous aurions du mal à interdire la sélection si nous supprimons ces paragraphes. Avez-vous une suggestion?

Mme Vandelac: Je pense qu'on pourrait modifier l'énoncé français, et au moins remplacer la mention «à seule fin de» par «utiliser un test de diagnostic» pour déterminer le sexe du zygote. Si nous supprimons «à seule fin», cela change probablement le sens. C'est plus ou moins la même perspective, ou encore, comme les autres l'ont dit, on pourrait aussi changer le préambule. Il y a beaucoup de petits changements à apporter un peu partout dans ce projet de loi.

Mme Carolyn Parrish: De petits détails à régler.

Mme Vandelac: Oui.

[Français]

Je pense, par exemple, à l'«implantation d'un embryon» qui est un terme absolument inapproprié. Il faut parler de transfert d'embryon. Le problème, c'est justement l'implantation, mais c'est un transfert d'embryon et ça fait des différences très significatives au niveau de l'interprétation de la loi. Donc, il y a quelques termes comme ceux-là auxquels il faut être très attentif.

[Traduction]

La présidente: Docteur Wolbring, vous aviez une courte observation à ce sujet.

Dr Wolbring: Je m'interrogeais sur une autre question dont nous n'avons pas encore parlé. Ce projet de loi ne mentionne absolument pas l'assurance-maladie, l'assurance-vie et la protection des travailleurs. Je pense que les membres du comité devraient être conscients de cela. Si nous adoptons ce projet de loi, avons-nous d'autres projets de législation parlementaire pour régler ce genre de problèmes, problèmes qui ont évidemment un rapport direct avec la technologie eugénique?

La présidente: Merci.

Au nom de mes collègues, je tiens à vous remercier infiniment. Je vous demande de nous excuser, il semble que notre technologie de pointe ne fonctionne pas très bien aujourd'hui. Peut-être pourrions-nous faire une pause de quelques minutes pendant que le groupe de témoins suivants s'installe, et nous reprendrons la séance dès que tout le monde sera prêt.

.1748

.1754

La présidente: Je suis vraiment désolée. Je vous souhaite la bienvenue à tous et je vous demande de nous excuser pour ce retard. En fait, ce n'est pas si mal, nous n'avons que 45 minutes de retard. Nous avons eu des problèmes techniques, mais ces problèmes semblent maintenant réglés et j'espère que nous ne serons pas interrompus à nouveau.

.1755

Nous allons commencer immédiatement. Habituellement, je préfère commencer à partir de ma gauche, mais si vous voulez commencer à ma droite, libres à vous. Nous allons nous efforcer de vous limiter à cinq minutes, dans la mesure du possible. Je vais soulever ce marteau juste avant l'échéance, pour vous rappeler que votre temps est écoulé, car nous allons travailler tard et je ne veux pas retenir les gens plus longtemps que nécessaire. Quand chacun aura parlé, nous passerons aux questions.

Vous avez la parole.

Mme Irene Ryll (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Irene Ryll et voici mon mari, Peter Ryll. Je voudrais dire, pour commencer, que notre comparution ici aujourd'hui pour discuter de cette question très personnelle est le fruit d'une décision qu'il nous a été très difficile de prendre. Toutefois, nous avons beaucoup de réserves au sujet du projet de loi C-47 et des répercussions que cette mesure aura sur les Canadiens infertiles et nous estimons que nous ne pouvons pas garder le silence, même au prix de notre vie privée.

Nous espérons que nos enfants comprendront un jour pourquoi nous avons choisi de discuter ouvertement de notre expérience avec le gouvernement et avec des étrangers. Nous vous demandons d'être indulgents et compréhensifs.

Nous reconnaissons que le projet de loi C-47 et le régime réglementaire proposé par le gouvernement comportent des aspects positifs. Nous sommes d'accord avec l'interdiction de techniques inacceptables comme la création d'hybrides d'animaux et d'humains et le choix du sexe pour des raisons autres que médicales, et nous reconnaissons que le gouvernement se préoccupe de la santé et de la sûreté de la société dans son ensemble.

Nous estimons toutefois qu'en réunissant dans une même mesure législative les techniques de reproduction et la manipulation génétique, on rend un très mauvais service aux gens infertiles et on contribue à répandre les idées fausses qui existent déjà dans la société sur l'infertilité. Ce sont là des questions tout à fait distinctes, chacune ayant ses répercussions éthiques et morales, et nous sommes convaincus qu'en groupant ces deux questions dans un même projet de loi, on diffuse une perception négative de l'infertilité et des techniques de reproduction. Cette situation est d'ailleurs exacerbée par le refus du gouvernement de reconnaître l'infertilité comme état pathologique justifiant une attention médicale.

On a beaucoup insisté dans les médias sur l'urgence de cette mesure, étant donné les articles récents sur Dolly, l'agneau cloné. Le fait d'associer les techniques d'aide à la reproduction et les techniques de manipulation génétique, dans une ambiance d'hystérie digne de la science-fiction, est insultant et témoigne d'un manque de respect à l'égard des familles qui ont dû faire des choix personnels pour fonder leur famille.

Pour notre part, nous avons réussi à fonder une famille grâce à l'actuel système d'insémination par donneur. Nous étions contents que ce système existe et nous étions reconnaissants envers le donneur qui nous a fait ce don.

Dans le système actuel, le donneur est anonyme et est rémunéré pour sa participation au programme. Tout au long de ce processus, mon mari et moi-même n'avons jamais eu l'impression de nous livrer à une pratique immorale et inacceptable et nous avons été outrés que le gouvernement la décrive comme telle.

Le système peut sûrement bénéficier de changements pour le mieux. Toutefois, il n'y a absolument aucun besoin d'étiqueter le système actuel d'immoral. Nous ne voulons absolument pas que nos enfants aient l'impression qu'il y avait quoi que ce soit d'immoral dans la façon dont ils ont été conçus.

Nous trouvons que le ton général du document de discussion et les répercussions du projet de loi C-47 qui interdit la rémunération des donneurs donnent cette impression. Le fait d'associer cette tare aux enfants qui ont été conçus grâce au procédé de l'insémination par donneur n'est pas compatible avec l'intention énoncée par le législateur, qui est de protéger les enfants. Nous estimons que les donneurs doivent avoir le droit d'être rémunérés jusqu'à concurrence d'un montant maximal pour les dédommager de leurs frais et de leur dérangement. Les donneurs doivent subir des tests poussés et doivent s'engager envers le programme pour une période déterminée, et nous estimons qu'il n'est pas déraisonnable de les compenser pour cela.

Le gouvernement propose de mettre en place graduellement un système altruiste, mais il n'offre aucune explication quant à la façon dont cela fonctionnera. Nous craignons que le nombre de donneurs s'amenuise si l'on interdit la compensation, ce qui aurait pour résultat de réduire l'accès à ce service pour les Canadiens infertiles. Avant de légiférer pour criminaliser la rémunération, il y aurait lieu de mettre en place un projet pilote pour établir si cela aurait pour résultat de diminuer le nombre des donneurs.

On indique dans le projet de loi que l'intention est d'attirer un plus grand nombre de donneurs acceptables, ce qui donne l'impression que les donneurs passés et actuels sont, pour une raison ou une autre, indésirables. À notre avis, c'est extrêmement insultant pour tous les participants au programme.

Nous sommes d'accord avec les dispositions visant à établir des registres à l'intention de la progéniture des donneurs et nous convenons sans réserve que les familles doivent assurément recevoir de l'information d'ordre médical ne permettant pas d'identifier le donneur. Nous savons gré au gouvernement de reconnaître ce besoin d'information, car c'est très, très important.

Nous trouvons acceptable que l'on crée un système ouvert et que l'on puisse obtenir des renseignements permettant d'identifier le donneur, par consentement mutuel, mais il faudra pour cela un effort poussé de consultation et d'éducation.

.1800

Nous convenons également qu'il faut établir des normes quant au nombre d'enfants nés d'un seul donneur, afin que les gens n'aillent pas s'imaginer qu'une même personne puisse avoir engendré 7 000 enfants.

L'élaboration de normes de pratique pour la mise en place d'un système sûr est en fait prioritaire. Il est assurément souhaitable que les bénéficiaires et les donneurs aient accès à du counselling dans le cadre du système de donneurs de gamètes, et cela aide également le couple à prendre ce qui nous semble être une décision personnelle, à savoir s'il y a lieu de dévoiler tout cela à la famille.

Le projet de loi C-47 ne doit pas être adopté tel quel. Il laisse trop de questions sans réponses et l'adopter à la hâte sans une évaluation plus poussée et sans changements ne servirait pas le meilleur intérêt des Canadiens. Nous demandons au gouvernement de séparer le dossier de la reproduction et celui des manipulations génétiques.

Nous sommes très reconnaissants et nous nous estimons très chanceux d'avoir pu fonder une famille et nous en remercions le ciel tous les jours. Merci.

La présidente: Merci beaucoup pour votre mémoire.

Je vais donner un mot d'explication à tous ceux qui étaient absents. Nous donnons peut-être l'impression d'être un groupe très restreint; en fait, nous sommes un sous-comité du Comité de la santé. En ce moment même, d'autres membres de notre comité sont allés voter à la Chambre des communes. Nous sommes donc peu nombreux, mais nous sommes probablement les trois meilleurs éléments sur lesquels vous pouvez compter.

Vous pouvez poursuivre.

M. David Robertson (témoignage à titre personnel): Je suis content que nous soyons parmi les meilleurs.

Susan et moi-même tenons à vous remercier de nous avoir invités à prendre la parole devant vous ce soir. C'est un privilège pour nous d'être ici et, comme Irene l'a dit, c'est aussi très difficile pour nous de nous présenter devant vous, car nous partageons ouvertement avec vous une réalité qui, pour la plupart des gens, est affaire de vie privée.

Il y a un an et demi, nous avons découvert que nous avions un problème d'infertilité masculine. Dans notre cas, l'infertilité est probablement génétique. Les cellules qui produisent le sperme fonctionnent normalement, mais les cellules qui nourrissent le sperme et l'amènent à maturité ne sont pas à l'oeuvre. C'est un état pathologique. Il n'y a aucun moyen d'empêcher ou de traiter ce genre d'infertilité. Notre spécialiste de l'infertilité croit que c'est de naissance.

Mme Susan Lukey (témoignage à titre personnel): Pendant les six mois que nous avons dû attendre pour consulter un spécialiste à la Clinique de fertilité régionale de Foothills, à Calgary, nous avons commencé à envisager l'adoption. J'ai sept cousins qui sont adoptés et j'estimais donc que c'était une option possible. Nous avons été grandement découragés quand nous avons découvert qu'avec le système public d'adoption, nous pourrions être obligés d'attendre de 5 à 10 ans pour adopter un nouveau-né et jusqu'à 5 ans pour adopter un enfant plus âgé ou un enfant ayant des besoins spéciaux.

Notre découragement a été encore plus profond quand nous avons examiné les possibilités en matière d'adoption privée. L'attente était plus courte, seulement deux à trois ans, mais le coût était prohibitif, puisqu'il en coûte environ 6 000$ pour une adoption privée en Alberta. De plus, l'adoption et le placement d'enfants en familles d'accueil deviennent de moins en moins possibles depuis que notre gouvernement provincial a décidé de mettre l'accent sur des programmes visant à garder les enfants dans leur famille de naissance. Nous avons donc décidé d'attendre pour voir ce que le médecin de la clinique aurait à dire.

M. Robertson: Au cours de nos entretiens avec le médecin de la clinique d'infertilité, on nous a offert deux possibilités pour des procédures qui pourraient nous aider à obtenir une grossesse.

L'injection de sperme intercytoplasmique offrait une très faible possibilité de grossesse et nous avons rejeté cette procédure pour plusieurs raisons. Il était possible que l'infertilité masculine d'origine génétique soit transmise aux enfants. La procédure aurait été physiquement très difficile pour Susan et il lui aurait fallu prendre de nombreux médicaments. Nous ne pouvions pas nous permettre de défrayer le coût d'environ 8 000$ et il était possible que l'on fasse de toute façon appel à un donneur de sperme, puisque très peu de mes spermatozoïdes étaient susceptibles de survivre à cette procédure.

Nous avons donc décidé d'opter en faveur d'une insémination artificielle. Notre médecin de famille et notre spécialiste des questions de fertilité nous ont recommandé cette méthode compte tenu de notre situation.

Mme Lukey: L'enfant que je porte maintenant a été conçu à cause du don de sperme que j'ai reçu d'un donneur. Tous les jours quand je me lève et que je me regarde dans la glace, je me réjouis que David et moi puissions participer à cette chose miraculeuse.

David est le père de l'enfant parce que le mot père désigne un rapport. Celui qui a participé à la décision d'avoir un enfant. Celui qui va cultiver le rapport de père avec cet enfant avec toutes les joies et les douleurs que cela comporte et aussi toutes les responsabilités. L'enfant saura aussi qu'un donneur nous a aidés et que nous lui en sommes reconnaissants.

M. Robertson: Le projet de loi C-47 aura une conséquence directe pour nous et peut déterminer si nous aurons la possibilité d'essayer une autre grossesse.

Tout d'abord, nous estimons que le projet de loi C-47 devrait faire une distinction plus claire entre les actes visant l'expérimentation génétique, comme ceux prévus aux alinéas 4(1)a) jusqu'à 4(1)e) et les actes susceptibles de permettre aux couples infertiles de concevoir un enfant. Deuxièmement, nous sommes inquiets de l'interdiction de rétribuer les mères porteuses et les donneurs d'ovules et de sperme prévue aux paragraphes 5(1) jusqu'à 5(3) et aux paragraphes 6(1) et 6(2).

Mme Lukey: À l'heure actuelle, les programmes de banques de sperme ne trouvent pas facilement un nombre suffisant de donneurs. On nous a demandé d'indiquer quatre de nos préférences, et seulement quatre, concernant le donneur. En fin de compte, le centre a pu satisfaire seulement deux de ces préférences. Étant donné l'insuffisance de donneurs avec le niveau de rétribution actuellement offert, nous craignons une baisse encore plus importante si la rétribution est interdite. Vous voyez sur cette feuille de notre service de consultation que cela exige beaucoup de temps et d'actes médicaux de la part des donneurs et de nombreux candidats renoncent à leur intention en apprenant tout ce que cela implique. Il nous semble raisonnable de rétribuer le temps consacré par le donneur et de rembourser les dépenses encourues.

.1805

M. Robertson: Ayant lu le document de travail qui accompagne le projet de loi, nous sommes consternés par son ton et son orientation.

On parle souvent de la prévention de l'infertilité en laissant entendre que si les Canadiens faisaient preuve de davantage de responsabilité sexuelle, l'infertilité ne serait pas un problème aussi important. Comment prévient-on les oreillons, l'endométriose, l'infertilité génétique et le cancer de l'ovaire ou des testicules?

On parle aussi souvent de protéger les personnes vulnérables.

Nous ne sommes pas vulnérables, nous ne sommes pas mal informés. Nous sommes des personnes bien instruites avec d'importantes responsabilités dans notre collectivité. Au lieu d'avoir une réaction qui semble négative, sévère et condescendante concernant les nouvelles techniques de reproduction, il nous faut plutôt de l'appui du gouvernement afin d'obtenir du financement pour le traitement de fertilité, l'accès à des renseignements pertinents concernant des donneurs, un remboursement raisonnable des donneurs et des mères porteuses et la création d'un organisme de réglementation national.

Mme Lukey: Nous représentons le visage humain de l'infertilité. Comme la plupart des gens, nous pensions qu'il serait facile d'avoir un enfant et ce fut coup terrible pour nous d'apprendre que nous ne pourrions pas en avoir. Notre désir d'avoir un enfant ne s'explique pas par des pressions sociales, comme le laisse entendre le document de travail à la page 19.

Nous avons longuement réfléchi aux raisons pour lesquelles nous voudrions accueillir des enfants dans notre foyer. Nous avons consacré beaucoup d'énergie et d'amour à nos relations avec nos neveux et nièces, les enfants de nos amis et les enfants de l'église. Plus nous approfondissons nos rapports avec d'autres enfants, plus nous voulons l'expérience de la vie quotidienne avec nos enfants chez nous. Notre histoire s'est bien terminée. Notre enfant doit naître dans seulement sept semaines. Je vous remercie.

M. Robertson: Merci.

La présidente: Merci.

Mme Katherine Kimbell (coprésidente, Adoption Reform Coalition of Ontario): Je suis la coprésidente de la Adoption Reform Coalition of Ontario et je voudrais parler de la question du droit à l'accès aux renseignements pour les enfants nés grâce aux techniques de reproduction.

La position de notre groupe est appuyée par presque tous les autres groupes d'adoption au Canada.

Nous croyons que tous les êtres humains devraient avoir le droit inconditionnel de connaître les faits de leur naissance, leur ascendance et leur patrimoine génétique. C'est un droit qui est nié depuis longtemps aux personnes visées par les lois qui cherchent à protéger le secret de l'adoption. La vérité concernant soi-même est d'une importance fondamentale qu'il ne faudrait pas nier à qui que ce soit, quelles que soient les circonstances. À notre avis, le même principe devrait s'appliquer dans les cas d'adoption et d'utilisation de techniques de reproduction et la loi ne devrait jamais reposer sur le mensonge.

C'est assez curieux, à la première page de notre journal, l'Ottawa Citizen, on voit des articles concernant les retrouvailles de Joni Mitchell et de sa fille, et aujourd'hui ma fille rencontre sa mère biologique. Je m'en réjouis dans les deux cas.

D'après des recherches faites dans de nombreux pays, l'anonymat et le secret de l'information reliée à l'adoption ont un effet néfaste sur presque toutes les personnes impliquées. Si la prochaine phase du projet de loi C-47 devait reprendre les mesures destinées à garder le secret concernant les renseignements personnels, ce serait une injustice tragique pour les enfants concernés, compte tenu de tout ce que nous avons appris jusqu'à maintenant.

Permettez-moi de répondre à certaines opinions contraires.

Dans le document intitulé Setting Boundaries, on parle de la nécessité de concilier les besoins de l'enfant et des parents en «accordant davantage d'importance aux rapports familiaux qu'aux renseignements génétiques». C'est à la page 36. Nous estimons que cette position fait preuve d'un parti pris en faveur des parents contre les véritables intérêts de l'enfant.

Cette façon de voir le milieu comme plus important que le patrimoine génétique n'a aucune justification objective. Les personnes adoptées qui retrouvent leur parenté génétique donnent des preuves abondantes que l'aspect génétique est tout aussi important, plus ou moins. Si l'aspect génétique est sans importance, pourquoi consacrer tant d'efforts à le cacher? Une loi qui tolère le secret dans ce domaine est une loi hypocrite qui a des effets cruels sur l'enfant.

.1810

Le souci principal de cette loi semble être la protection des attentes des adultes: dans le cas du donneur, le secret; dans le cas du médecin, protéger ses donneurs; et pour ce qui est des parents, il s'agit peut-être de tromper l'enfant. Le rapport prétend qu'il accorde la priorité au bien-être de l'enfant, et à ce titre nous estimons que l'accès à des renseignements fondamentaux pour l'enfant doit l'emporter sur les intérêts contraires de l'adulte. Le maintien du secret et de l'anonymat va à l'encontre du bien-être de l'enfant.

Le rapport recommande que nous suivions les pratiques actuelles concernant la communication de dossiers et de renseignements en matière d'adoption en offrant seulement des renseignements qui n'identifient pas la personne; l'accès à des renseignements susceptibles d'identifier la personne est permis dans des conditions très strictes et limitées. Cette position n'a pas donné de bons résultats dans les cas d'adoption. Elle est vigoureusement contestée par les personnes concernées dans tout le Canada et dans bien d'autres pays, et cette contestation a porté fruit en Colombie-Britannique. Depuis quatre mois, 3 000 personnes adoptées ont demandé des renseignements concernant leurs parents biologiques... et il ne s'était écoulé que quatre mois depuis la modification de la loi dans cette province.

Si les enfants nés grâce aux nouvelles techniques de reproduction ne peuvent pas avoir accès à leurs renseignements personnels, il faudrait voir cette manoeuvre pour ce qu'elle est, la manipulation et le traitement discriminatoire d'autres êtres humains. Nous recommandons une série d'ajouts et de changements à la déclaration de naissance qui identifie tous ceux qui ont contribué au patrimoine génétique de l'enfant. Nous recommandons aussi que les praticiens soient licenciés, afin de maintenir la transparence dans ce domaine.

Il semble y avoir une collusion inconsciente entre le médecin qui contrôle le processus et la cliente en vue d'accepter une loi qui sacrifie les intérêts de l'enfant vulnérable aux intérêts de l'adulte. C'est une situation tragique qui ressemble beaucoup à ce qui s'est passé dans les cas d'adoption où les travailleurs sociaux et d'autres intervenants ont assumé un rôle tout-puissant par rapport à la vie de leurs clients. Nous avons maintenant compris que cette erreur était fondamentalement mauvaise, mais il nous a fallu longtemps pour le reconnaître. De grâce, ne répétons pas la même erreur cette fois-ci.

Merci.

M. Jim Kelly (Questions législatives, Parent Finders of Canada): Je suis responsable des questions législatives pour l'association Parents Finders of Canada.

J'ai fait distribuer plus tôt une brochure intitulée Le droit de l'enfant à préserver son identité. J'espère que les membres du comité l'ont reçue, car je vais m'y reporter dans mon exposé.

Je suis responsable des questions législatives pour l'association Parents Finders of Canada et je suis également adopté. En m'adressant à vous ce soir, je peux témoigner de ce qu'est la vie de quelqu'un qui vit dans un vide généalogique, imposé par les politiques d'anonymat concrétisées par la Loi sur l'adoption. J'ai une idée de l'incidence que la politique d'anonymat proposée dans le projet de loi C-47 aura sur les enfants qui naîtront par procréation artificielle.

L'association Parent Finders existe depuis 1974. Un de ses objectifs majeurs est de faciliter la rencontre entre des enfants adoptés devenus adultes et leur famille biologique. Actuellement, nous avons une base de données où figure le nom de 45 000 Canadiens qui essaient de retrouver leur famille biologique. Depuis ses débuts, l'association a servi d'intermédiaire lors de 11 000 rencontres.

Je vais aborder ce soir la question de l'accès aux dossiers du point de vue d'une personne adoptée. En fait, les enfants qui seront créés grâce à la procréation artificielle seront dans une situation identique.

À la première page de la brochure que je vous ai fait distribuer, vous trouverez un article du quotidien Vancouver Sun en date du 28 juin 1996, où l'on parle d'adolescents conçus anonymement qui se demandent qui leur père biologique peut bien être. Ainsi, il y a des enfants conçus grâce à cette méthode et qui se posent déjà des questions, tout comme nous, adultes adoptés, nous nous en posons depuis 20 ans.

.1815

À l'onglet A du document que je vous ai fait distribuer, vous trouverez un dépliant sur les nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique. J'ai souligné certains paragraphes où il est question de la politique d'anonymat.

Il y a tout d'abord quelque chose qui est tiré du rapport de la commission royale, qui recommandait que des renseignements non révélateurs de l'identité du donneur de gamètes soient donnés aux parents ou à l'enfant en tout temps, qui auraient aussi la possibilité d'obtenir des renseignements sur l'identité du donneur si des circonstances particulières l'exigeaient, mais ce, sous un contrôle très serré. Vous trouverez cela à la page 36.

À la page 38, vous pouvez lire la recommandation de la division de la politique en matière de santé. La division dit qu'on n'a pas l'intention pour l'heure de passer à un régime qui ne serait pas anonyme, c'est-à-dire qui permettrait de révéler l'identité du donneur à l'enfant sur demande.

Il est intéressant de constater que le rapport final de la commission royale a été déposé en novembre 1993 et qu'il a fallu attendre juin 1996 avant d'avoir celui de la division des politiques en matière de santé. Dans les deux cas, ces recommandations contreviennent directement à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, ratifiée par le gouvernement canadien en décembre 1991.

On se demande donc comment on en arrive à une politique exprimée par l'une et l'autre organisation qui soit en conflit flagrant avec une convention internationale à laquelle notre pays adhère. La réponse est toute simple. L'une et l'autre se sont fondées sur une hypothèse fausse. L'une et l'autre se sont fondées sur l'équilibre des droits.

La lecture de l'article 3 de la convention des Nations Unies nous apprend que:

Si l'intérêt de l'enfant est une considération primordiale, il est donc illogique de faire intervenir l'équilibre des droits, et il incombera à votre comité, après examen de tous les amendements qui seront proposés, de voir lesquels serviront l'intérêt supérieur de l'enfant. C'est seulement quand cela sera fait que vous pourrez envisager d'autres éléments.

Il est aussi intéressant de constater que dans le cas de la commission et de la division, même si elles considéraient que ces renseignements ne devaient pas être fournis à l'intéressé... J'ai ici un exemplaire du programme génétique médical provincial du Département de génétique médicale de l'Université de la Colombie-Britannique. Quand quelqu'un s'adresse à ce département pour obtenir de l'aide en vue d'une procréation assistée, on lui donne ce questionnaire. Il est précisé que la question vise le partenaire et l'intéressé et leurs familles - frères, soeurs, mères, pères, nièces, neveux, tantes, oncles, cousins et grands-parents. Ensuite, on donne la liste des problèmes de santé que ces personnes sont susceptibles d'éprouver, notamment l'hémophilie, la dystrophie musculaire et la fibrose kystique. La liste est longue.

Songez toutefois que si l'on obtient cette politique concernant l'anonymat des renseignements, un enfant qui aurait été conçu au moyen d'une méthode de procréation assistée et qui se présenterait à la clinique, dans 20 ans, pour obtenir un service semblable ne pourrait pas remplir ce formulaire. Cela lui serait impossible.

À l'onglet suivant, l'onglet D du cahier de renseignements que je vous ai fait distribuer, vous trouverez les articles pertinents de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Vous trouverez tout d'abord l'article 2. Cet article précise que toutes les politiques concernant l'enfant doivent être mises en oeuvre sans distinction aucune. C'est-à-dire sans distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou autre, d'origine nationale, ethnique ou sociale, de situation de fortune, d'incapacité, de naissance ou de toute autre situation.

L'article 7 précise que:

L'article 8 précise que:

Manifestement, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant exige qu'on donne accès à des renseignements permettant l'identification.

En fait, en vertu de l'article 44 de la même Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, le Canada doit soumettre aux Nations Unies, dans les deux ans suivant l'entrée en vigueur de la convention, un rapport sur ce qu'il a fait sur le plan de l'exécution et de la mise en oeuvre des politiques énoncées dans la convention, et par la suite il doit le faire tous les cinq ans.

.1820

Voici un exemplaire du premier rapport, et à l'onglet C vous trouverez copie de la réponse du Comité des Nations Unies sur les droits de l'enfant. J'aimerais attirer votre attention sur les paragraphes 9.20 et 9.23 de cette réponse.

La présidente: Nous essayons de nous en tenir à cinq minutes par intervenant. Je vous ai déjà accordé quelques minutes de plus. Pouvez-vous essayer d'abréger, s'il vous plaît?

M. Kelly: D'accord.

Le document que je vous ai fourni concerne essentiellement l'adoption. Cependant, les enfants adoptés et les enfants nés grâce à la procréation artificielle ont le même problème d'accès à leur identité. Ce droit leur est conféré à la fois par l'article 2 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, adoptée en décembre 1991, et par l'article 15 de la Charte, qui interdit la discrimination.

Reportez-vous au dernier document du cahier et vous constaterez que les droits de l'enfant figuraient dans les décisions de politique annoncées dans le dernier discours du Trône. Ainsi, le droit international et la loi du pays imposent une obligation que le Parti libéral a citée dans le dernier discours du Trône.

La présidente: Madame Jackson.

Mme Nancy Jackson (membre, Association canadienne de sensibilisation à l'infertilité Inc.): Bonjour. Je m'appelle Nancy Jackson. Je représente l'Association canadienne de sensibilisation à l'infertilité, l'ACSI. Je suis donc une parmi le demi-million de Canadiens qui sont infertiles. Je suis également la mère d'enfants issus du recours aux techniques de reproduction.

Si je n'avais pas pu avoir accès à la technique appropriée, mes enfants n'existeraient pas aujourd'hui. Cela est au coeur des nombreuses questions que soulève le projet de loi dont vous êtes saisis. Être parents ou ne pas être parents dépendra pour bien des Canadiens de l'adoption de ces dispositions.

Avant de commencer, je voudrais vous présenter le Dr Barwin. Le Dr Barwin est administrateur de l'ACSI depuis 1989. C'est un membre actif au sein de notre organisation, et il m'accompagne aujourd'hui pour la représenter. Il en a également été le président. Je dois également ajouter qu'il a été récemment décoré de l'Ordre du Canada.

L'Association canadienne de sensibilisation à l'infertilité est un organisme de bienfaisance national dont la mission est de s'assurer que les personnes souffrant d'infertilité aient accès à toutes les options de traitement, grâce à la sensibilisation, au soutien et à l'éducation. L'ACSI a été créée en 1989; des bénévoles ont permis la création de sections à Montréal, Toronto, Ottawa, Winnipeg, Moncton et Halifax.

L'ACSI souhaitait que la réglementation des techniques de procréation assistée, la PMA, permette un accès accru à l'information et une plus grande exactitude de celle-ci, davantage de sécurité et une meilleure sensibilisation à l'infertilité en tant que problème de santé, le maintien de la liberté de choix et l'accès aux traitements de l'infertilité en vertu de la Loi canadienne sur la santé. Le projet de loi C-47 ne fait rien de tout cela.

L'ACSI espérait que la PMA serait réglementée par un organisme de réglementation composé de professionnels et de consommateurs. Le document de discussion laisse entendre qu'un tel organisme sera créé, mais le gouvernement met la charrue devant les boeufs en présentant d'abord ce projet de loi. Ce projet de loi brutal et excessif est une réaction prématurée, alors qu'une réglementation efficace aurait suffi. D'ailleurs, un organisme de réglementation aurait permis l'accumulation des connaissances nécessaires pour informer le législateur.

Le projet de loi C-47 dans sa forme actuelle nuira aux techniques qui aident des Canadiens à fonder une famille. L'ACSI convient que l'article 6, interdisant de vendre, d'acheter ou d'échanger - notamment par troc - un ovule, du sperme, un zygote, un embryon ou un foetus, est raisonnable, mais le projet de loi va plus loin en interdisant l'indemnisation des donneurs pour leurs dépenses. D'après l'expérience d'autres pays, l'élimination de cette indemnisation va tout probablement supprimer les sources d'approvisionnement.

Bien que le concept de don altruiste soit louable, ce n'est pas raisonnable en pratique. On a fait beaucoup de comparaisons avec le système des banques de sang, mais il est important de comprendre que le don d'un embryon, de sperme, d'un ovule, ou même d'un foetus, n'est pas l'équivalent d'un don de sang. Le don de sang est une procédure relativement simple. Pour les collectes, on peut même envoyer un autobus vous chercher, ou installer chez votre employeur ce qu'il faut pour effectuer le prélèvement. Les dons de gamètes sont bien plus complexes. Même les donneurs de sperme doivent faire des visites répétées à la clinique, distancées de quelques mois, avant qu'on approuve l'utilisation de leur sperme.

Pour les donneurs, ces techniques sont associées à des coûts très réels. Le projet de loi C-47, en interdisant l'indemnisation des donneurs, va en fait mettre un terme aux programmes de dons d'ovules et sérieusement compromettre les programmes de dons de sperme.

En vertu du projet de loi C-47, aucune dépense associée au don d'embryon ne sera remboursée, et l'importation de gamètes des États-Unis ou de l'étranger pourrait également être interdite. Si le projet de loi est adopté, on peut s'attendre à une baisse dramatique de la disponibilité des dons de gamètes et d'embryons au Canada.

.1825

Le gouvernement s'est servi du prétexte de la «commercialisation» des dons de gamètes pour éliminer des techniques perçues par certains comme des problèmes. En refusant d'indemniser les donneurs pour leurs dépenses, le projet de loi veut régler le problème de la commercialisation. En fait, le projet de loi n'élimine pas le besoin pour des couples infertiles de payer pour les dons de gamètes et pour les traitements d'infertilité que ne rembourse pas l'assurance-maladie. Les couples infertiles devront tout de même payer pour pouvoir avoir un enfant. Le seul changement, c'est que les donneurs ne seront plus indemnisés. Malheureusement, ce seul changement peut dans les faits réduire la liberté de choix de bien des Canadiens.

Les peines prévues dans le projet de loi sont inappropriées. Rien ne prouve que des peines de cette sévérité sont nécessaires pour que la loi soit observée. Les donneurs et les couples infertiles devraient être exonérés de ces peines, comme le sont les mères porteuses. Les donneurs ne sont pas des criminels. Les couples infertiles ne devraient pas craindre de graves peines criminelles lorsqu'ils veulent utiliser les gamètes ou les embryons provenant de dons pour fonder une famille.

Si les dons de sperme et d'ovules sûrs se raréfient, ou si des gens craignent les peines prévues dans ce projet de loi, ceux qui ont les moyens financiers nécessaires iront aux États-Unis ou à l'étranger pour recevoir un traitement. D'autres Canadiens pourraient se tourner vers des pratiques dangereuses comme l'auto-insémination artificielle et le recrutement de leurs propres donneurs.

Beaucoup de gens ne se rendent pas compte des précautions que prennent les professionnels de la santé pour protéger la santé et la sécurité de ceux qui ont recours à la PMA. Les donneurs sont testés pour toutes les maladies transmissibles sexuellement ou pour toutes les maladies héréditaires, et les donneurs et les receveurs sont appareillés en fonction de certaines caractéristiques précises comme le facteur rhésus, ce qui est essentiel à la santé des femmes et des enfants.

Si le projet de loi C-47 est adopté et porte toujours sur les techniques de procréation médicalement assistée, l'article 6 doit être modifié.

Nous proposons les changements suivants:

(1) permettre explicitement le remboursement des dépenses des donneurs;

(2) permettre le remboursement des frais engagés pour les essais, et non pas seulement dans le cadre du prélèvement, du stockage ou de la distribution d'ovules ou de sperme;

(3) préciser qu'il est permis d'importer des gamètes des États-Unis et de l'étranger, où les donneurs sont indemnisés. Nous vous signalons que pour les gens de certaines minorités, c'est la seule source de gamètes possible.

Nous remarquons aussi qu'actuellement les embryons sont omis du paragraphe 6(2) du projet de loi. C'est peut-être parce qu'on croit, à tort, que cette situation est couverte indirectement en permettant l'indemnisation pour les frais liés au prélèvement, au stockage ou à la distribution de sperme et d'ovules. Si les embryons sont exclus du paragraphe 6(2), un couple ayant des embryons surnuméraires après une FIV, et qui veut les donner, sera obligé de payer les frais de stockage des embryons, jusqu'à ce qu'un couple receveur soit trouvé. Le couple donneur sera aussi responsable des frais de transport des embryons pour un transfert au couple receveur. Encore une fois, cela nuira au don altruiste et pourrait même tarir cette source de dons.

En terminant, je dirai que l'ACSI est en faveur, puisqu'elle en a fait la promotion, de l'élaboration de programmes de promotion de la santé, comme ceux décrits dans le document de discussion.

L'ACSI est ravie qu'on reconnaisse que les enfants issus de dons et leurs familles ont besoin de renseignements non nominatifs et médicaux au sujet des donneurs, comme le précise la proposition relative à un registre de donneurs et d'enfants issus d'un don. Nous espérons que des consultations seront menées pour que cela se fasse d'une manière efficace et respectueuse.

L'ACSI termine son exposé en soulignant au sous-comité que les couples infertiles ne sont pas des gens désespérés, prêts à tout pour avoir un enfant, comme on nous a souvent décrits. Nous voulons simplement avoir accès à des choix sûrs et efficaces pour fonder une famille. Nous craignons que le projet de loi C-47, dans son libellé actuel, ne limite la liberté de choix pour les personnes infertiles.

Ce genre de loi excessive répond à certaines préoccupations en éliminant virtuellement certaines options, mais aux dépens de la liberté de choix de certains. C'est peut-être la façon la plus expéditive de régler certains problèmes, mais pas la plus tolérante. Les personnes infertiles n'ont pas les mêmes possibilités que les autres pour bâtir une famille. Nous espérions un projet de loi qui accepterait, encouragerait et faciliterait des méthodes différentes de fonder une famille, qui à notre avis sont très valables et, ce qui est plus important, très respectueuses...

La présidente: Madame Jackson, je dois vous interrompre. Je suis désolée, mais je pense que nous avons à peu près tout compris.

Madame Allen, voulez-vous commencer?

Mme Diane Allen (directrice administrative, Infertility Network): Bien. Je suis Diane Allen. Je suis directrice administrative et cofondatrice de Infertility Network.

Nous sommes un organisme de charité situé à Toronto, mais offrant des services dans tout le Canada. Notre objectif est d'informer et d'appuyer les personnes infertiles afin qu'elles puissent faire des choix éclairés au sujet des possibilités de fonder une famille. Chacun des membres de notre conseil d'administration et de nos divers comités a fait personnellement l'expérience de l'infertilité. Nous estimons qu'un organisme de consommateurs doit, pour être crédible, être indépendant et aussi considéré comme l'étant.

Mon objectif aujourd'hui est de partager avec vous ce que nous avons tiré de la vaste expérience de nos membres. Depuis 1992, nous avons répondu à plus de 7 000 demandes d'information. Nous avons organisé 46 séances d'information, que nous avons filmées afin que les gens aient accès à l'information, peu importe où ils habitent.

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Notre prochain colloque semble arriver à point: il portera sur l'évolution des dons de sperme et d'ovules au Canada.

Nous avons mis sur pied un système de compagnonnage; fait fonctionner 80 groupes d'entraide; publié un bulletin de nouvelles, mis au point des bases de données très complètes sur les services reliés à l'infertilité et à l'adoption, et nous sommes allés dans des écoles secondaires parler des causes, du traitement et de la prévention de l'infertilité. Nous ne prétendons pas parler au nom des personnes infertiles. Il serait présomptueux de notre part, ou de tout organisme, d'agir ainsi, compte tenu surtout des divergences de vues actuelles.

Nous avons constaté que les personnes infertiles ne voient pas toutes le projet de loi C-47 du même oeil, selon le point où elles en sont dans leur démarche. Il semble y avoir une division entre ceux qui espèrent avoir un enfant ou un autre enfant grâce à ce genre de traitement et ceux qui ont déjà un enfant ou des enfants et qui n'ont plus recours au traitement.

Ceux qui désirent un enfant ont tendance à voir la loi proposée comme limitant leur accès à des méthodes pour fonder une famille, voire même comme écrasant leurs espoirs de voir naître leur enfant. Par ailleurs, ceux qui ont déjà un ou des enfants et qui n'ont plus recours à ces traitements et qui sont plus ou moins satisfaits de la taille de leur famille s'inquiètent davantage des besoins et des droits des enfants qu'ils ont et des enfants qui pourraient naître grâce aux nouvelles techniques de reproduction.

Le système actuel, avec le secret et l'anonymat des dons de gamètes et l'indemnisation des donneurs et des mères porteuses, néglige totalement les besoins et les droits des enfants. Le projet de loi C-47 vise à corriger cette situation.

Ces technologies ne visent pas seulement l'obtention d'un enfant. Comme pour l'adoption ou la naissance d'un enfant, ce bébé n'est que le début. Je vois peut-être les choses ainsi parce que mon fils a maintenant 12 ans et est à mi-chemin de l'âge adulte. Avant sa conception, je voulais être mère et je souffrais à cause de mes fausses couches. Mais ce n'était qu'une idée abstraite, et avoir un enfant était bien loin de tout ce que je pouvais imaginer.

Pendant longtemps, j'ai eu de la difficulté à résoudre la question suivante: le recours aux NTR est-il strictement une question personnelle ou, puisque cela touche à des enfants et à la création de la vie, est-ce un enjeu social, est-ce que la société a son mot à dire? J'en suis venue à la conclusion que nous avons tous notre mot à dire.

À cause de notre travail, des téléphones d'appui, des rencontres et des centaines de personnes auxquelles nous parlons, nous avons constaté cette évidence: les personnes infertiles sont très vulnérables. Leur peine et leur désespoir sont bouleversants. Il leur faut un système de réglementation et de contrôle qui protégera les intérêts, la santé et la dignité de ces personnes et de leurs enfants.

Ils ne sont pas bien servis par le système actuel, qui persiste à traiter les NTR comme une question simplement médicale, sans reconnaître les graves questions psychosociales qui y sont associées. Malheureusement, beaucoup de médecins continuent d'encourager leurs patients à recourir aux dons de sperme et d'ovules, ou même à la maternité de substitution, sans offrir de counselling sur ce que signifie la création d'une famille de cette façon et sur la façon de régler les problèmes qui surviendront inévitablement.

En terminant, j'aimerais vous parler d'un sondage que nous avons effectué auprès des patients figurant dans notre base de données, au sujet du projet de loi. Nous avons constaté un appui considérable aux interdictions, aux peines prévues et au cadre réglementaire. La plupart des répondants acceptaient que le sexage ne devrait être permis que pour des raisons médicales et que les donneurs de sperme, d'ovules et d'embryons ne devraient être indemnisés que pour une somme minimale correspondant à leurs dépenses. Il ne doit pas y avoir d'incitation financière, comme c'est le cas actuellement, pour donner les éléments de la vie.

La plupart des répondants reconnaissaient que la création d'une famille grâce à un don de sperme, d'ovules ou d'embryons soulevait bien des questions et qu'il devait y avoir du counselling avant le début des traitements. Ils reconnaissaient que les parents doivent déclarer à leurs enfants qu'ils sont issus d'un don, mais ne devraient pas ressentir la même obligation envers leur famille ou leurs amis. Ils veulent voir la création de registres de renseignements pour retracer les donneurs et limiter le nombre d'enfants qui en sont issus, pour relier les donneurs et les enfants qui en sont issus lorsque des problèmes de santé surviennent et pour permettre l'accès à des renseignements non signalétiques.

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Environ la moitié des répondants estiment que les enfants issus d'un don doivent avoir accès à des renseignements signalétiques. Ils veulent le consentement éclairé des donneurs avant que leur sperme, leurs ovules ou leurs embryons soient utilisés, pour quelque fin que ce soit, y compris la recherche, et souhaitent que le prélèvement de sperme ou d'ovules sur des cadavres ne soit permis que si la personne décédée a donné son consentement préalable ou si le couple était en traitement pour infertilité au moment du décès.

Des répondants ont reconnu qu'il fallait mettre fin à certaines pratiques, notamment l'extraction d'ovules des foetus, la création d'embryons à des fins de recherche et le clonage d'embryons.

La présidente: Pouvez-vous conclure votre exposé, s'il vous plaît?

Mme Allen: Pour conclure, je dirais que des répondants à notre sondage étaient d'accord pour dire que si une technologie ou un service donné était interdit par la loi, quiconque offrant ce service devrait être mis en accusation pour cette infraction, ainsi que toute personne disposée à payer pour obtenir ce service. Ils tiennent vraiment à ce qu'on exige l'obtention d'un permis pour offrir quelque service que ce soit en matière de traitement de l'infertilité.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup à tous.

Si l'on peut commencer immédiatement la période des questions, je demanderai à Mme Picard si elle en a.

[Français]

Mme Pauline Picard: Je n'ai pas de questions.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Martin.

M. Keith Martin: Merci à nouveau à tous d'être venus.

Madame Jackson, merci de vous être portée avec autant d'éloquence à la défense des couples infertiles qui ont besoin de gamètes. C'était très bien.

Monsieur Kelly, vous avez parlé de la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant. Je me demande si vous ne détournez pas un peu l'intention de cette déclaration. Est-ce que le but initial n'était pas de permettre aux enfants et à leurs parents biologiques de se retrouver si les deux parties le désiraient? Elle résultait de terribles situations auxquelles avaient donné lieu nombre de conflits destructeurs pendant la guerre au cours desquels beaucoup d'enfants sont devenus orphelins.

Je pose ma dernière question à quiconque peut y répondre. Je me demande si l'accès aux renseignements nominatifs concernant les donneurs de gamètes à des couples infertiles aura des répercussions sur les donneurs potentiels. Je pense que l'accès à ces renseignements réduira considérablement le nombre de personnes qui seront disposées à faire le don de gamètes.

M. Kelly: Je suis heureux que vous souleviez cette question, et j'aimerais en parler. Le même argument a aussi été invoqué dans d'autres pays quand des personnes adoptées ont essayé d'avoir accès aux renseignements nominatifs. On reprend donc cette même idée que si des personnes adoptées ont droit d'accès à leurs renseignements nominatifs, il n'y aura plus d'adoption.

Je réfute cet argument et vous invite à voir ce qui s'est passé là où l'on permet l'accès des personnes adoptées à leurs renseignements nominatifs. On peut penser au cas de la Colombie-Britannique, par exemple. L'adoption là-bas n'a pas disparu depuis qu'on a modifié la loi sur l'adoption le 4 novembre 1996.

Si l'on veut avoir plus de recul, une étude a été faite en Nouvelle-Zélande, où les dossiers d'adoption sont ouverts depuis 1986. On peut même remonter plus loin en Angleterre, soit jusqu'en 1968, je crois. Ce même argument a été invoqué dans ces pays, à savoir que le fait de permettre...

M. Keith Martin: Est-ce que cela se rapporte vraiment au don de gamètes?

M. Kelly: Non, je parle d'adoption, mais je parle de la question de l'accès aux dossiers. Dans ces cas, on disait que l'accès aux dossiers par des personnes adoptées mettrait fin à l'adoption dans ces pays.

C'est le même argument que vous avancez ici, à savoir que si ces enfants qui ont été créés par des techniques de reproduction artificielle ont accès à ces renseignements, cela aura une incidence négative. C'est une prétention non fondée eu égard à ce qui se passe en réalité et à ce qui s'y compare le plus possible, c'est-à-dire l'accès aux dossiers dans les pays qui permettent l'accès aux renseignements nominatifs par des adultes qui ont été adoptés. Cela ne tient pas.

M. Keith Martin: Ce n'est pas la même chose que le don de gamètes. L'adoption ne se compare pas au don de gamètes. Je vais vous poser une question. Est-ce que dans les faits quelqu'un a vraiment étudié scientifiquement cette question et demandé à des donneurs potentiels s'ils seraient disposés à faire un don s'ils risquaient d'être retracés plus tard par un jeune de 20 ans qui viendrait frapper à leur porte?

Mme Allen: J'aimerais répondre à votre question. Je sais qu'un des derniers intervenants a fait un sondage et en parlera. J'aimerais dire qu'il me semble que le bassin actuel de donneurs pourrait diminuer.

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Ce que nous ne savons pas, c'est s'il y a des donneurs potentiels qui ne feraient pas de dons sous le régime actuel. Nous ne savons pas non plus si, par le biais de l'éducation et d'une meilleure sensibilisation du public à l'importance de faire des dons de gamètes, il n'y aurait pas davantage de donneurs.

M. Keith Martin: Vous dites donc qu'on manque maintenant de donneurs, bien qu'ils ne soient pas identifiés...

Mme Allen: Je dis que nous ne le savons pas.

M. Keith Martin: ... mais qu'ils pourraient faire des dons s'ils étaient identifiés?

Mme Allen: Ce que je dis, c'est que sous le régime actuel, moyennant l'indemnisation financière, sous la protection de l'anonymat et sans l'existence d'une campagne d'éducation du public, les donneurs actuels ne continueront probablement pas de faire des dons sans indemnisation financière. Ce que nous ne savons pas, c'est s'il pourrait se trouver des gens qui feraient des dons sous un autre régime. La façon de s'y prendre, c'est sans doute de procéder à des essais et de voir ce qui se passera.

Je ne pense pas que quiconque puisse soutenir qu'il vaut mieux payer pour les fondements mêmes de la vie.

M. Keith Martin: Je parle d'identification, et non pas d'indemnisation, question dont a fort bien traité Mme Jackson.

Mme Allen: Ah, c'est bien.

M. Kelly: J'aimerais aussi parler de cette question.

J'aimerais vous rappeler l'article 3 de la convention. Cet article 3 dispose essentiellement que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. Je pense donc que vous posez mal le problème. Vous devriez plutôt demander en quoi le refus de divulguer cette information sert l'intérêt supérieur de l'enfant. C'est ce qu'il faut se demander.

M. Keith Martin: Il y a ici deux groupes de défense des droits. On ne peut pas le nier.

M. Kelly: Pas si le droit de l'enfant doit être une considération suprême et primordiale.

M. Keith Martin: On ne parle pas de considération suprême; on parle de considération primordiale.

M. Kelly: Son intérêt est primordial. C'est le premier droit.

M. Keith Martin: On parle de considération primordiale.

M. Kelly: Une seule chose peut être primordiale.

M. Keith Martin: Il y a des tas de considérations primordiales, mais nous n'allons pas entrer dans ce débat.

Mme Kimbell: En Nouvelle-Zélande, quand on a permis aux enfants qui ont vu le jour grâce au recours à des techniques de reproduction d'avoir accès à ces renseignements, oui, le nombre de donneurs a diminué, pour remonter après. Les faits montrent qu'en Nouvelle-Zélande, oui, la qualité des donneurs a changé. Les nouveaux donneurs qui savaient que leurs noms pouvaient être communiqués et qu'ils pouvaient être retracés étaient plus souvent des hommes mariés qui le faisaient parce qu'ils savaient quelle importance ont les enfants.

Nous pensons que c'est une erreur de dire qu'on ne doit pas communiquer l'information parce que le nombre de donneurs risque de diminuer. C'est faire primer les besoins du donneur sur ceux de l'enfant. Ceux d'entre nous qui ont été des enfants à qui on a refusé l'accès à ces renseignements savent que c'est la pire chose dont on puisse être privé, quelque chose qui revêt une importance fondamentale pour tous les citoyens, quels qu'ils soient. Qui vous êtes? Quelle est votre filiation génétique? Il n'y a rien de pire que cela.

En Nouvelle-Zélande, l'adoption ouverte fonctionne très bien et à la satisfaction générale. Il n'y a presque plus personne pour réclamer que cela se passe en secret.

M. Keith Martin: J'aimerais savoir ce qu'en pense Mme Jackson.

Mme Jackson: J'aimerais que vous sachiez un peu ce qu'il en est des expériences menées en Australie et en Suède à propos de cette question, et le Dr Barwin serait sans doute le mieux placé pour vous en parler.

M. Keith Martin: Je vous écoute.

Dr Norman Barwin (membre, Association canadienne de sensibilisation à l'infertilité): Merci.

L'étude australienne, qui est une étude portant sur des donneurs de sperme, a révélé que quand on leur demandait s'ils continueraient de donner du sperme s'ils pouvaient être identifiés, 30 p. 100 ont répondu oui et 70 p. 100 non.

L'expérience menée en Suède, par ailleurs, a permis de constater que quand on a demandé aux donneurs s'ils consentiraient à ce que leurs noms continuent de figurer aux dossiers, ils se sont retirés de l'étude, et il a fallu aller en France pour recruter un bon nombre de donneurs. Ça, c'était l'expérience suédoise.

Entre parenthèse, dans la sélection des donneurs, les parents récepteurs obtiennent beaucoup de renseignements, ce dont nous parleront certainement les représentants de ReproMed. Ils obtiennent les renseignements non pas sur la seule page qu'on a montrée; ils obtiennent aussi des renseignements sur les grands-parents paternels et maternels, sur chacun des membres de la famille. On leur remet un arbre généalogique, les résultats de toutes les analyses ainsi que les caractéristiques physiques principales, de même qu'un relevé des talents et des passe-temps du donneur. On fournit donc beaucoup de renseignements.

M. Keith Martin: Je peux certainement comprendre l'intérêt de cela sur le plan médical. Si pendant l'enfance ou à l'âge adulte un problème médical devait surgir, on voudrait certainement connaître les antécédents génétiques du donneur. Ce dépistage visant à évaluer les antécédents de quelqu'un avait eu une incidence assez négative sur le nombre de donneurs disponibles.

Dr Barwin: C'est juste. Je peux vous dire par expérience, puisque je suis dans ce domaine depuis 23 ans, que je n'ai été pressenti qu'une seule fois. J'ai retracé l'information par numéro, et il s'agissait d'un homme qui avait donné du sperme il y a une vingtaine d'années, le sperme avait été congelé, et un couple avait choisi ce donneur. L'enfant était né avec des doigts palmés, et j'ai effectivement retracé le donneur, qui était un médecin, un chirurgien en fait, de la Saskatchewan, pensez donc, qui a été très étonné que je l'appelle 22 ans plus tard, et a accepté de me dire qu'il avait eu deux enfants et qu'ils étaient tout à fait normaux. Il n'y avait aucun antécédent familial de ce genre. Nous avons pu établir ce lien et informer les parents récepteurs qu'en fait il n'y avait aucun antécédent génétique.

.1845

Ce genre de renseignement nominatif est disponible, et le numéro du donneur et le lien avec l'individu est une question de tenue de dossiers. Et c'est à ce propos que nous espérons que la loi aura un grand effet sur l'autorisation des banques de sperme, eu égard à la tenue de livres de manière que ceux-ci contiennent des renseignements nominatifs, même de façon anonyme.

M. Keith Martin: À des fins médicales.

Dr Barwin: À des fins médicales.

M. Keith Martin: Merci.

La présidente: Je pense que Mme Lukey aimerait intervenir.

Mme Lukey: Le Dr Barwin a dit que des couples obtenaient les renseignements voulus. Nous n'avons reçu aucune information au sujet de notre donneur, aucun renseignement médical, aucun renseignement non nominatif d'aucune sorte. Tout ce que nous savons, c'est qu'il y avait un donneur et qu'il avait les cheveux bruns et qu'il était de constitution moyenne. C'est tout ce que nous savons. Je pense donc qu'il y a incohérence, et c'est pour cela qu'il serait utile qu'on assure une uniformisation au moins en ce qui a trait aux renseignements non nominatifs.

La présidente: Madame Parrish, voulez-vous poser des questions aux témoins?

Mme Carolyn Parrish: Non. En fait, j'aimerais cependant faire une observation à propos des premiers intervenants.

Je suis navrée d'entendre dire que vous pensez que tout cela se produit dans le sillage du clonage de la brebis Dolly. En fait, on en parle depuis pas mal de temps. Il y a plusieurs années, il y a eu une commission royale d'enquête là-dessus, et nous avons eu des groupes d'études qui ont parcouru le pays pour étudier ce projet de loi avant qu'il ne soit proposé. Il ne s'agit donc pas d'une réaction à une nouvelle sensationnaliste parue dans les médias. Ce n'est pas du tout le cas. C'est pourquoi nous tenons ces audiences, aussi, afin qu'on puisse davantage compter sur la participation des gens qui sont les plus directement visés.

J'ai aussi été un peu étonnée quand vous avez dit que vous pensiez que les donneurs de sperme devraient être remboursés pour leurs dépenses, ce qui semble courant, et vous avez aussi parlé des inconvénients. J'aimerais assez savoir à quel montant vous évalueriez les inconvénients.

Mme Ryll: Vous parlez d'argent? Je n'ai aucun montant à l'esprit.

Mme Carolyn Parrish: Peut-être que je ne saisis pas bien ce que vous avez dit.

Mme Ryll: Je ne suis pas sûre de bien comprendre ce dont vous parlez.

Mme Carolyn Parrish: Vous avez laissé entendre que les donneurs de sperme devraient être remboursés pour leurs dépenses et les inconvénients qu'ils subissent.

Mme Ryll: Comme le stationnement ou le fait d'être obligé de s'absenter du travail. C'est ce que je veux dire quand je parle d'inconvénients.

Mme Carolyn Parrish: C'est donc strictement des dépenses.

Mme Ryll: Je ne sais pas trop ce que vous pensiez que j'avais voulu dire.

Mme Carolyn Parrish: C'est pourquoi j'ai posé la question.

Mme Ryll: En plus, je ne pense pas que tout cela vienne simplement de la question du clonage de Dolly. Si c'est ce que vous croyez, je suis désolée que vous n'ayez retenu que cela de mes propos.

Mme Carolyn Parrish: Non, ce n'est pas tout ce que j'ai retenu, mais je voulais simplement préciser qu'il s'agit d'un processus qui a pris beaucoup de temps.

Mme Ryll: En effet, je le comprends.

Mme Carolyn Parrish: ... et que nous avons entendu beaucoup d'interventions de tout le pays.

Mme Ryll: Je le comprends bien.

Mme Carolyn Parrish: Merci.

La présidente: Madame Beaumier.

Mme Colleen Beaumier (Brampton, Lib.): Vous avez fait une observation. Vous avez dit qu'à l'heure actuelle on est payé lorsque l'on fait un don. Cela donne actuellement droit à une rémunération?

Mme Allen: J'ai dit que le système actuel prévoit des incitatifs financiers, ce qui n'est pas du tout la même chose qu'une rémunération.

Mme Colleen Beaumier: C'est ce que je pensais que vous aviez dit. Et quel est cet incitatif financier?

Mme Allen: Je dirais personnellement que pour un donneur de sperme, quand on reçoit 40$ par don et que l'on se présente deux fois par semaine à la banque de sperme pendant un an, c'est un bon incitatif financier pour un étudiant. Cela représente beaucoup d'argent. Cela peut faire la différence entre poursuivre ses études et ne pas les poursuivre. Et 2 500$ pour donner un ovule - ou 2 000$, comme je crois avoir entendu Fiona le dire tout à l'heure - c'est un incitatif.

La présidente: Docteur Barwin.

Dr Barwin: Pour votre gouverne, je tiens à préciser que la Loi sur les sciences de la santé interdit d'acheter ou de vendre des tissus humains. Les donneurs se font rembourser leurs frais. Et le montant habituellement remis, même dans la grande ville de Toronto, est de 40$, sachant que le donneur peut être obligé de venir plusieurs fois pour subir au moins deux tests de dépistage du VIH sur une période de six mois, en plus des échantillons qu'il doit donner et des séances d'assistance sociopsychologique, etc. Donc, personnellement, si l'on considère cette somme, je ne pense pas que ce soit un montant astronomique quand on considère les frais subis. Je ne crois pas du tout qu'un étudiant puisse payer ses études universitaires de cette façon.

.1850

La présidente: Monsieur Kelly.

M. Kelly: On a parlé de la question des donneurs pour plusieurs enfants, et j'aimerais m'arrêter un instant là-dessus.

Si l'on suit le principe selon lequel les dons ne sont pas identifiés et que l'on permet à une personne de faire plusieurs dons... je pense au médecin aux États-Unis qui a fécondé une centaine de femmes par sa méthode de reproduction artificielle. Il n'y a pas d'identification, et tous ces enfants se trouvent dans la même région, ne se connaissent pas, ont à peu près le même âge, et pourraient très bien avoir des relations incestueuses.

La présidente: Merci beaucoup.

Je vous donne le dernier mot, monsieur Robertson.

M. Robertson: Je répondrai brièvement à cela en disant que nous avons interviewé les gens de notre clinique à Calgary, parce que c'est un problème très réel. À Calgary, la méthode prévoit sept - naissances par région et «région» signifie l'Alberta - par donneur.

La présidente: Si mes collègues n'ont pas d'autres questions à poser, je voudrais vous remercier tous beaucoup d'être venus nous faire part de vos expériences personnelles. Merci beaucoup.

Prenons une pause de cinq minutes afin que les témoins puissent changer.

.1852

.1903

La présidente: Nous reprenons la séance.

J'aimerais rappeler aux témoins qui n'étaient pas ici tout à l'heure que nous aimerions que vos exposés ne dépassent pas cinq minutes parce qu'il est tard et que nous n'avons pas beaucoup de temps.

J'aimerais commencer à ma gauche et vous prendre ensuite dans l'ordre. Nous passerons d'un groupe à l'autre. Veuillez donner votre nom et indiquer le groupe que vous représentez. Nous allons donc commencer par quelqu'un qui est probablement un peu plus sage que nous tous dans cette salle. Il est avec sa maman, et je lui donne la parole.

Mme X (Gamete Donation Advocacy and Support Group): Merci.

Avant de commencer, j'aimerais demander aux médias de respecter le besoin de notre famille de garder l'anonymat pour la discussion que nous avons aujourd'hui. Mon fils et moi sommes ici aujourd'hui pour parler d'une question tout à fait personnelle et intime pour notre famille et surtout en ce qui concerne l'origine de mes enfants. Nous insisterons essentiellement sur les concepts de dignité et de respect. Nous vous demandons ainsi de respecter notre besoin de maintenir notre dignité et de protéger ces renseignements personnels en nous laissant vous parler de façon anonyme. Merci.

Je vous présente donc mon fils. Je suis la mère de deux enfants, nés à la suite d'un don de gamètes. J'ai également une fille de six ans qui est dans la salle avec sa gardienne. Je suis coordonnatrice du Gamete Donation Advocacy and Support Group, groupe de soutien national aux familles ayant bénéficié de dons de gamètes. Au cours des deux dernières années, notre groupe s'est beaucoup occupé d'aider les familles qui ont reçu des dons et celles qui en attendent et de défendre notre point de vue sur des questions qui ont une telle incidence sur nos familles. Beaucoup de ces sujets sont abordés dans le projet de loi C-47 et dans le document qui l'accompagne.

.1905

Je tiens à vous remercier de nous avoir permis de participer à vos délibérations. Pour les familles d'enfants issus de dons de gamètes, le projet de loi C-47 et le document qui l'accompagne, Fixer des limites et protéger la santé, représentent un rêve devenu réalité. Pour nos familles, il est magnifique et grand temps que l'on puisse espérer un cadre de réglementation qui respecte mieux les besoins des enfants et des familles touchées par ces techniques.

Le projet de loi et le document en question contiennent beaucoup d'éléments positifs pour les familles. En particulier, nous estimons qu'il est nécessaire d'adopter un cadre de réglementation pour la prestation de ces services; un registre national des naissances résultant de dons de gamètes, permettant l'entreposage à long terme de tous les renseignements connexes, notamment les renseignements n'identifiant pas et identifiant les donneurs; des séances d'information et d'assistance sociopsychologique sur les conséquences d'un don de gamètes pour tous les participants; la réforme du système juridique visant à protéger tous les participants au processus de don de gamètes; l'égalité d'accès à ces services pour tous ceux qui en ont besoin et la tendance vers des services plus altruistes plutôt que vers une commercialisation du processus.

Au cours des deux dernières années, notre groupe a beaucoup discuté de ces questions avec tout un éventail de groupes et de particuliers: des gens qui essayent d'avoir une famille, des familles qui existent déjà du fait de dons de gamètes, des médecins, des politiques, des conseillers en matière de politiques et des universitaires. J'ai constaté au cours de ces discussions que la plupart semblent reconnaître qu'une réglementation s'impose, que les choses évoluent très rapidement et qu'il faut améliorer le système pour qu'il incorpore les valeurs auxquelles tiennent les Canadiens. Ces valeurs sont bien définies dans le projet de loi C-47 et dans le document qui l'accompagne et se résument en deux mots: dignité et respect.

Plus précisément, le système de dons de gamètes au Canada doit reposer sur la compréhension des besoins des familles et, surtout, des enfants nés grâce à ces méthodes. Le système doit d'autre part reconnaître dans la dignité et le respect le don magnifique que font les donneurs de sperme et d'ovules. Sans ces donneurs, il n'y aurait ni enfants ni familles.

Nous croyons donc que la réification et la commercialisation non déguisées du système de dons de gamètes au Canada vont à l'encontre des fondements mêmes de la dignité humaine. Les dons de sperme et d'ovules sont nécessaires à la procréation et devraient donc recevoir le respect et la dignité qu'ils méritent et ne pas être exposés aux caprices du marché.

Permettez-moi de m'expliquer très clairement. La discussion qui entoure ce projet de loi ne vise pas à déterminer qui peut se permettre d'acheter un enfant ou quel niveau de revenu il faut pour avoir un enfant; ces discussions ne portent pas non plus sur le choix entre un emploi chez Pizza Hut ou la vente d'ovules ou de sperme pour payer ses frais de scolarité à l'université. De plus, il ne s'agit pas de déterminer quel prix le marché peut accepter parce que les gens veulent avoir des enfants à tout prix et qu'ils sont prêts à accepter pratiquement n'importe quel coût.

Le projet de loi C-47 est une discussion sur les valeurs qui sous-tendent la procréation et les choses que les Canadiens ont à coeur. Il s'agit d'une discussion sur nos enfants, issus du don des éléments constitutifs de la vie. Il ne s'agit pas d'une discussion sur l'achat d'une voiture ou la fabrication de meubles. La discussion qui entoure le projet de loi C-47 porte sur la création d'un être humain et sur les besoins psychologiques et émotionnels de cette personne. Il s'agit d'une discussion sur la création de ma fille et de mon fils, de leurs droits et de leurs besoins.

Au fil des ans, on a ignoré ou simplement oublié les besoins des enfants issus de dons. Le mercantilisme non réglementé du système de dons de gamètes au Canada favorise le manque de respect à l'égard de ces enfants et de leur famille en laissant les valeurs du marché avoir priorité sur nos valeurs morales. Nos enfants ont le droit d'être traités avec dignité et respect. Qui parlera en leur nom si vous, à titre de membres de ce comité, ne le faites pas?

.1910

Les conseillers en matière de politique à Santé Canada ont étudié de très près comment on pouvait instaurer au Canada un système de dons altruiste. Des experts bien connus de ce secteur ont offert des conseils sur la façon dont ce système pourrait fonctionner après son entrée en vigueur progressive.

Si nous apportons tous notre contribution pour que le processus soit perçu d'une façon plus respectueuse et plus digne, nous pourrons améliorer le système. Il est irresponsable et immoral de menacer de supprimer le système de sorte que personne n'ait accès aux dons à moins que le système ne demeure ce qu'il est maintenant - un marché commercial non réglementé. Nous devrions tous chercher plutôt à assurer une prestation plus digne et respectueuse de ce service.

Le projet de loi C-47 parle de progrès et d'innovation. Nos enfants méritent tout au moins que nous déployions les plus grands efforts possible pour assurer ce changement positif.

M. X (Gamete Donation Advocacy and Support Group): Je suis au courant de mes antécédents depuis que je suis tout petit. Mes parents ont décidé d'être très honnêtes avec moi et m'ont expliqué la situation très clairement avec beaucoup d'amour.

Sans ce magnifique don, je ne serais pas ici. Je voudrais un jour rencontrer le donneur, mais je sais que je ne pourrai pas le faire.

Ma soeur et moi ne sommes que deux des milliers d'enfants issus de dons qui naissent au Canada chaque année. Nous avons les mêmes besoins et les mêmes droits que vos enfants.

Le projet de loi C-47 vise à assurer que nous pouvons naître de façon respectueuse, digne et sécuritaire. Écoutez-nous, s'il vous plaît, et modifiez le système pour qu'il tienne compte de nos besoins.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup.

Docteur Sullivan.

Dr Robert Sullivan (professeurs d'université chargés de la recherche et du diagnostic dans le domaine de l'infertilité masculine): Je travaille à l'Université Laval, à Québec. Je représente mes collègues de toutes les régions du pays qui sont des professeurs d'université chargés de la recherche et du diagnostic dans le domaine de l'infertilité masculine.

On vous a dit qu'un couple sur dix a des problèmes de fertilité. Chez 50 p. 100 de ces couples, c'est l'homme qui est entièrement ou en partie responsable du problème.

Nous sommes venus aujourd'hui pour vous faire part de nos graves préoccupations à l'égard de l'interdiction de la rétribution des donneurs de sperme. Cette interdiction aura trois répercussions très importantes. Tout d'abord, elle entraînera la cessation des programmes de recherche sur l'infertilité masculine et de tous les travaux de recherche portant sur l'évaluation des produits ou des composantes chimiques qu'on retrouve dans le sperme humain. Elle limitera de façon dramatique nos chances de découvrir les causes de l'infertilité masculine et donc d'assurer son traitement. Enfin, elle entraînera un mauvais diagnostic des causes de l'infertilité des couples qui consultent des cliniques d'infertilité.

Cette interdiction prévue au projet de loi C-47 qui porte sur la rétribution des donneurs de sperme aura pour effet de nous empêcher d'obtenir un nombre suffisant d'échantillons de sperme auprès d'hommes normaux.

Pour vous expliquer pourquoi nous avons adopté cette position j'aimerais faire ressortir trois points importants. Tout d'abord, dans tous les pays que nous avons étudiés, soit 15 pays sur cinq continents, nous avons constaté que la rétribution est monnaie courante.

On nous a dit dans tous ces pays que cette interdiction mettra en péril les programmes de recherche. Même en France, où d'après les fonctionnaires de Santé Canada l'indemnisation du donneur de sperme est autorisée, les donneurs reçoivent un dédommagement, et non pas un paiement. En fait, l'erreur des fonctionnaires de Santé Canada est attribuable au fait qu'on n'a pas fait la distinction entre paiement et indemnisation ou dédommagement.

De plus, les fonctionnaires de Santé Canada disent qu'au Canada aucune indemnité n'est accordée aux donneurs de tissus ou de fluides organiques. Il est vrai qu'aucune indemnité n'est versée aux donneurs de sang destiné aux transfusions, ou aux donneurs d'organes destinés à la transplantation. Cependant, ce n'est certainement pas le cas des donneurs de liquides ou de fluides qui participent à des programmes de recherche.

Même le Conseil de recherches médicales du Canada, qui accorde des subventions pour la recherche fondamentale et la recherche clinique, reconnaît que ceux qui participent à une étude de recherche non seulement peuvent, mais doivent être indemnisés. Le conseil dit

.1915

Le troisième point que je veux présenter porte sur le rapport présenté par la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction. Après de longues consultations elle a convenu que les Canadiens acceptaient l'indemnisation des donneurs de sperme jusqu'à concurrence de 75$ par échantillon. La majorité des laboratoires de recherche qui se penchent sur la recherche et le diagnostic dans le domaine de l'infertilité masculine offrent habituellement aux donneurs de sperme entre 25$ et 45$ par échantillon au Canada.

Pourquoi voulons-nous des échantillons de sperme d'hommes normaux? Dans tous les programmes de recherche, qu'ils portent sur le cancer ou sur l'infertilité masculine, il faut absolument inclure des échantillons témoins ou des sujets témoins pour valider l'étude.

Si quelqu'un veut étudier si le virus du sida a un impact sur la répartition de classes particulières de globules blancs et de sperme humain, par exemple, il faut inclure dans le protocole le sperme d'un homme normal et s'en servir comme point de référence.

Des échantillons de sperme d'hommes normaux sont également utilisés pour déterminer, par exemple, si c'est l'homme ou la femme dans un couple qui a un problème d'infertilité.

J'aimerais rappeler que la majorité des échantillons de sperme humain utilisés pour la recherche et le diagnostic dans le domaine de l'infertilité masculine sont des échantillons de sperme frais. Ainsi, ces échantillons sont utilisés le jour même du prélèvement. Ce qui reste à la fin de la journée est simplement détruit; par contre, les échantillons de sperme prélevés pour les programmes d'insémination par donneur peuvent être conservés congelés pendant plusieurs années.

D'aucuns diront qu'il est possible de créer un système de dons de sperme purement altruiste. Les centres que nous avons consultés dans toutes les régions du monde n'étaient pas d'accord avec cet énoncé, et c'est d'ailleurs pourquoi l'indemnisation des donneurs de sperme est généralisée.

Dans le projet de loi C-47, Santé Canada propose l'interdiction totale de l'indemnisation des donneurs de sperme après une entrée en vigueur progressive de ces dispositions sur une période de deux ou trois ans. Au lieu d'interdire l'indemnisation des donneurs de sperme, sans pouvoir démontrer de façon probante que le nombre d'échantillons de sperme disponibles sera adéquat pour les travaux de recherche et de diagnostic ainsi que pour l'insémination par donneur, le gouvernement devrait supprimer la disposition qui porte sur l'interdiction de l'indemnisation dans le projet de loi C-47 et attendre d'avoir les preuves scientifiques nécessaires avant d'agir. Le système altruiste est une option valable pour établir une source d'échantillons de sperme aux fins de la recherche.

Bref, j'exhorte le comité à ne pas interdire l'indemnisation des donneurs de sperme dont les échantillons sont utilisés pour la recherche ou le diagnostic. Si cette interdiction est maintenue dans le projet de loi C-47, les recherches de haute qualité effectuées au Canada prendront tout simplement fin, et dans bien des cas il ne sera plus possible de procéder au diagnostic des cas d'infertilité. Cela entraînera un mauvais diagnostic et un mauvais traitement de l'infertilité de certains couples, et une réduction ce la capacité du Canada de profiter de la recherche effectuée dans un domaine fort important.

Merci.

La présidente suppléante (Mme Carolyn Parrish): Merci, docteur Sullivan.

Madame Ruberto.

Mme Cathy Ruberto (directrice adjointe de clinique, ReproMed Ltd.): Je suis accompagnée du Dr Alfonso Del Valle, notre directeur médical.

ReproMed est une banque de sperme de renommée internationale qui offre des services à la plupart des receveuses d'un don de sperme, par l'entremise de leurs médecins ou de cliniques dans tout le Canada. Les services assurés par ReproMed et par d'autres banques de sperme sont une nécessité dans notre pays.

Nous sommes venus aujourd'hui vous faire part de nos graves préoccupations à l'égard du projet de loi C-47 et vous dire comment le projet de loi pourrait être modifié. Nous ne nous opposons pas au projet de loi. Cependant, nous voudrions qu'un organisme responsable de la réglementation soit mis sur pied avant qu'une mesure législative sur la question ne soit adoptée.

Nous croyons que l'on cherche à adopter à la va-vite ce projet de loi au comité et au Parlement, car l'on craint que des élections ne soient déclenchées et qu'il n'y ait dissolution du Parlement. Nous sommes d'avis que le gouvernement fait face aux pressions qui sont exercées sur lui pour qu'il règle la question le plus rapidement possible; on semble oublier que chaque proposition de ce projet de loi est fort complexe.

Nous sommes inquiets, car le gouvernement désire criminaliser un domaine qu'il comprend à peine, simplement parce qu'il a peur de l'inconnu.

Au 1er juin 1996, le Bureau des produits biologiques de Santé Canada assurait la réglementation des banques de sperme et des services de procréation assistée en vertu du règlement sur le traitement et la distribution de sperme, à des fins de procréation assistée, qui incorpore les lignes directrices de la SCFA. Nous avons annexé à notre mémoire copie de la loi pertinente et des documents d'enregistrement qui doivent être préparés par l'établissement qui désire offrir les mêmes services que nous.

Il importe de mentionner cette loi, parce que le sperme humain destiné à la procréation assistée fait déjà l'objet d'une réglementation, et tous les intervenants doivent respecter les dispositions pertinentes de la Loi sur les aliments et drogues.

.1920

ReproMed et la SCFA ont joué un rôle essentiel dans l'établissement de ce règlement, en étroite collaboration avec le Bureau des produits biologiques. Nous continuerons d'entretenir des relations étroites avec ce service pour veiller à la tenue à jour du règlement, en concordance avec les normes de procédure courantes en matière de stockage de sperme.

Santé Canada et certains membres du comité craignent qu'un donneur ne puisse fournir de faux renseignements sur son état de santé s'il donne du sperme simplement pour des raisons financières. L'indemnisation du donneur n'a rien à voir avec notre capacité de nous procurer des renseignements médicaux détaillés et précis sur le donneur.

Personne ne voudrait se fier à la mémoire d'une autre personne quand les renseignements désirés revêtent une importance primordiale pour la vie d'autres personnes. On se fie plutôt aux antécédents médicaux fournis dans le dossier du patient chez son médecin. De toute façon il n'existe pas de problème, puisque le Bureau des produits biologiques assure le respect des règlements pertinents.

Le libellé du projet de loi et les commentaires qui ont été faits lors des audiences du sous-comité démontrent que ce projet de loi ne vise pas du tout à empêcher la transmission des maladies ou garantir la santé et la sécurité publiques. Cette loi légifère sur des opinions morales et religieuses.

Nous n'avons pas été consultés par la commission royale. En fait, les documents de recherche recueillis sur les banques de sperme ne provenaient même pas d'une banque canadienne. Le gouvernement canadien s'est tourné vers les expériences vécues par d'autres pays lorsqu'il a préparé une loi régissant les techniques de reproduction assistée plutôt que de s'inspirer des expériences des Canadiens qui seront directement touchés par cette mesure législative.

En fait, Santé Canada a étudié les lois de la Suède, du Royaume-Uni et de la France, et les expériences de Ken Daniels en Nouvelle-Zélande, pour rédiger la loi canadienne. Nous ne croyons cependant pas que l'expérience de ces pays, où la majorité de la population est de race blanche et d'origine anglo-saxonne, représente vraiment la diversité ethnique que l'on retrouve au Canada.

Le Canada est un creuset multiculturel où l'on retrouve des gens venant de toutes les régions du monde, qui vivent en harmonie et qui respectent les croyances et les particularités des autres. Pourtant tout semble indiquer que Santé Canada a jugé bon de se faire la brigade des moeurs de tous les Canadiens.

Comme vous pouvez le constater dans notre mémoire, nous avons effectué une étude à l'échelle internationale des lois et des règlements régissant l'insémination par donneur, les tendances, les perceptions de ces règlements et leur impact sur les services d'insémination par donneur.

Si l'on veut connaître la perspective religieuse et morale, il serait peut-être à ce moment-là utile d'étudier l'expérience d'Israël, où la population ressemble plus à celle du Canada.

Un pourcentage important des Israéliens sont juifs, chrétiens ou musulmans. En raison de ces caractéristiques démographiques, et de façon à éviter un conflit entre les communautés laïques et confessionnelles et entre les différentes religions, le problème légal de l'ID a été réglé non pas par des lois, mais par un règlement publié par le ministre de la Santé d'Israël.

La position sous-jacente à cette approche, c'est que l'État et ses instances ne s'occupent pas de questions de morale ou de religion. La décision est laissée aux couples et aux donneurs. Le règlement porte sur les exigences techniques, les problèmes de santé et les questions de confidentialité concernant le couple, le donneur et l'enfant à venir.

En Espagne, les lois morales contraignantes du régime catholique national du général Franco ont retardé l'entrée de l'Espagne dans les rangs des principaux pays qui appliquent des techniques de procréation assistée. Cependant, l'Espagne a progressé rapidement depuis la mort de Franco. Bien que les citoyens soient surtout catholiques, les lois espagnoles sur les techniques de procréation assistée reflètent une certaine ouverture d'esprit, en plus d'être souples et de se prêter à l'adaptation aux connaissances scientifiques.

Lors des sondages effectués, nous avons appris que 71 p. 100 des donneurs cesseraient de participer au programme s'ils n'étaient plus indemnisés, et 73,5 p. 100 ont dit qu'ils cesseraient d'y participer s'il n'y avait plus d'anonymat.

Nos statistiques sur les attitudes des donneurs envers l'anonymat et l'indemnisation ressemblent aux données obtenues dans les autres pays étudiés. Nous nous attendons à de graves pénuries de sperme et nous croyons qu'il sera difficile d'utiliser le sperme dont la quarantaine n'est pas terminée.

.1925

Par la suite, on devra s'attendre à une réduction radicale de services comme la recherche sur les attitudes des receveuses et la divulgation du donneur, la recherche relative aux enfants et la recherche sur les techniques de cryopréservation, impossible à mener sans réserves suffisantes de sperme.

Comme le laisse supposer la documentation disponible sur les autres pays qui ont adopté une législation de même type, il faudra du temps pour recruter un nouveau type de donneur et pour mettre en quarantaine de six mois les prélèvements de sperme afin d'assurer la sécurité. On craint que les banques de sperme du pays ne doivent interrompre leurs activités et ne réussissent jamais à remonter la pente, comme cela s'est produit en Suède et au Royaume-Uni.

Comme on l'a vu en Suède et au Royaume-Uni, des directives spéciales s'appliquent à l'importation de sperme en provenance d'autres pays, qui doivent strictement respecter la législation intérieure. Cependant le projet de loi C-47 ne traite pas de cette question. En effet, le projet de loi C-47 permet d'importer directement des États-Unis et d'ailleurs du sperme qui provient de donneurs indemnisés dont l'anonymat est respecté, ce qui permet de poursuivre l'épanouissement du capitalisme là-bas. Cela va à l'encontre du but recherché par la législation canadienne. Les Canadiens devront se rendre aux États-Unis pour obtenir un don de sperme ou devront utiliser le sperme provenant de donneurs américains.

Une des plus importantes recommandations que nous aimerions vous faire aujourd'hui...

La présidente: Je m'excuse. Vous avez utilisé plus de temps que prévu. Je dois vous demander de conclure votre exposé.

Mme Ruberto: Puis-je terminer? Je n'ai qu'un dernier commentaire à faire.

La présidente: Très bien.

Mme Ruberto: Nous ne voulons pas assister à une autre enquête Krever en raison d'un financement gouvernemental inefficace ni à un éventuel abandon des activités de procréation assistée. Pour reprendre l'exemple des banques de sang - car les banques de sperme y sont souvent comparées - en raison de l'enquête Krever tous les donneurs de sang doivent désormais prendre une heure pour répondre à un questionnaire détaillé chaque fois qu'ils donnent du sang. Nous savons pertinemment - et ce fait nous attriste - que le nombre de donneurs de sang a chuté de façon dramatique, à un point tel que nos approvisionnements sont à un niveau critique. Le public canadien a perdu toute confiance dans ce système en raison de sa mauvaise gestion et en raison du fait qu'on ne comprend pas vraiment les questions de base qui entourent l'entreposage de tissus.

Nous devrions apprendre de l'expérience de notre pays et ne pas adopter des lois découlant de l'ignorance, de la crainte et de pressions politiques. Notre principale préoccupation devrait être de ne pas faire de tort, primum non nocere; ainsi, les principes de la bienfaisance, de la non-malfaisance, de l'autonomie et de la justice distributive doivent être les fondements d'une approche qui nous encouragera à faire la part des choses entre les droits et les responsabilités, les torts possibles et les avantages qui pourraient découler de ces technologies.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup.

Docteur, voudriez-vous...? Je m'excuse, allez-y.

Mme X: Je m'excuse. Je sais que ce n'est pas mon tour. Mais j'ai beaucoup de difficulté à accepter qu'une entreprise commerciale dispose de deux fois plus de temps que moi, une mère receveuse.

La présidente: Non, ils n'ont pas reçu deux fois plus de temps que vous.

Mme X: La situation est très difficile pour les familles qui reçoivent des gamètes au Canada; elles doivent se cacher, et elles n'ont jamais l'occasion de donner la réplique à de tels commentaires.

La présidente: Je m'excuse. Tout ira très bien. Cette dame a eu quelques minutes de plus que prévu, tout comme vous, et comme d'autres gens qui ont déjà pris la parole aujourd'hui. Parfois, il est très difficile de respecter la période de cinq minutes religieusement; souvent il est très difficile d'interrompre quelqu'un après cinq minutes.

Nous allons poursuivre les exposés, puis vous aurez l'occasion d'intervenir à la période de questions.

Mme X: Merci.

La présidente: Allez-y.

Mme Shirley Pratten (New Reproductive Alternatives Society): Je suis membre fondatrice de la New Reproductive Alternatives Society, qui a été mise sur pied en 1987; il s'agit du premier groupe de soutien au Canada pour les parents et leurs enfants conçus au moyen de techniques d'insémination par donneur.

Au cours des dix dernières années nous avons déployé des efforts importants auprès des décideurs fédéraux et provinciaux ainsi que des médias pour essayer d'assurer des modifications qui seraient surtout à l'avantage des quelque 1 500 à 6 000 enfants qui naissent chaque année au Canada, et aussi à l'avantage des autres intervenants dans le processus.

Mon époux avait des problèmes de fertilité. Nous ne pouvions pas concevoir normalement. J'ai une fille de 15 ans, et elle ne sait absolument rien du donneur. Nous n'avons aucun renseignement. ReproMed donne des renseignements, mais malheureusement je suis devenue enceinte avant que cette société n'existe.

J'aimerais aborder deux grandes questions en ce qui a trait au projet de loi C-47. Nous sommes d'accord avec ce projet de loi et nous croyons que certaines questions méritent une plus grande attention. Notre groupe appuie de façon générale les objectifs visés par le projet de loi et appuie les interdictions et les contrôles d'application prévus, quoique je ferai des commentaires particuliers sur les paragraphes 6.(1) et 6.(2) plus tard.

.1930

Nous croyons que le projet de loi devrait reconnaître de façon générale que les techniques de reproduction ont aidé les gens qui ne pouvaient pas avoir d'enfants à en avoir; le projet de loi devrait également reconnaître certains de ces cas problèmes. Permettez-moi de vous donner un exemple; j'ai travaillé très fort ces 10 dernières années pour assurer des modifications du système d'insémination par donneur; grâce au ciel, le système existait lorsque j'ai voulu un enfant. Sinon, je ne serais pas mère d'une fille.

En ce qui a trait au paragraphe 6.(1) et au paragraphe 6.(2), nous croyons que ces dispositions nous permettront d'avoir un système d'insémination par donneur plus sain et plus ouvert. Cependant, même si nous croyons que la non-rémunération des donneurs serait la chose idéale, nous convenons comme d'autres experts du domaine qu'il faudrait qu'on apporte ces modifications très lentement, dans le cadre d'une politique d'éducation du public, et seulement si on a prévu un filet de sécurité afin de compenser la diminution du nombre de donneurs. À titre de personnes qui ont déjà eu des enfants grâce à cette méthode, nous voulons appuyer et protéger ceux qui veulent avoir des enfants de cette façon.

Nous appuyons le paiement de frais et débours divers. J'ai écouté les commentaires qu'ont faits les autres intervenants sur cette question. On semble avoir des difficultés à s'entendre sur le montant qui pourrait être payé au donneur.

Nous avons dans notre organisme un ancien donneur. Il a donné régulièrement du sperme en Colombie-Britannique pendant quatre ans, à raison de trois ou quatre fois par semaine, et il recevait 50$ pour chaque don. Il est évident qu'il a gagné de l'argent grâce à cela. Il venait d'abandonner ses études de médecine et vivait avec un groupe de musiciens qui participaient au programme en tant que donneurs. Il est allé s'installer avec eux et a voulu savoir comment ils réussissaient à partir fréquemment en vacances vers des destinations exotiques. Les musiciens lui ont proposé de donner comme eux du sperme dans le cadre de ce programme d'insémination, et c'est ce qu'il a fait.

Il dit que c'était indiscutablement une source de revenu pour lui. Le programme lui rapportait 700$ ou 800$ par mois, alors qu'il n'était qu'un pauvre étudiant. S'il n'avait donné du sperme que pendant une courte période, les 50$ n'auraient pas représenté grand-chose. Il est devenu membre de notre groupe parce qu'il en a gardé un lourd sentiment de culpabilité. Depuis qu'il est lui-même devenu parent, il se souvient de l'époque où il donnait du sperme. Il se reproche d'avoir profité du programme en se faisant payer. Il reconnaît sa responsabilité et dit qu'il gagnait de l'argent de cette façon-là.

Nous considérons que la société doit trouver des façons autres que monétaires pour récompenser les donneurs, par exemple en faisant la promotion du statut de donneur de sperme comme on l'a fait pour ceux qui font des dons d'organes ou de sang, et dont la contribution est reconnue publiquement.

Malheureusement, Rona Achilles est malade aujourd'hui. C'est la sociologue qui a fait l'essentiel de la recherche dans ce domaine. Je me souviens de ce qu'elle disait il y a quelques années. Elle disait qu'on ne voit jamais de donneurs de sperme se promener avec un macaron où l'on peut lire: «J'ai donné du sperme», comme on le voit dans le cas des donneurs de sang. C'est parce que la fertilité et la reproduction sont liées à notre sexualité. Le don de sperme implique la masturbation, d'où son caractère plus clandestin. C'est la raison sous-jacente pour laquelle les gens ne sont pas informés de la nécessité des banques de sperme.

Grâce aux changements de ce genre, la société a plus de respect et plus de considération pour les enfants conçus par l'insémination du sperme d'un donneur. De nombreux adultes ont été conçus de cette façon. Il existe aux États-Unis un groupe appelé Donnors' Offspring (descendants de donneurs). Ils disent avoir été très contrariés d'apprendre que leurs pères donneurs avaient été rémunérés pour participer à leur conception.

Pour résumer, nous sommes favorables au projet de loi et nous considérons qu'il s'agit d'une étape importante vers la résolution de questions médicales, juridiques et sociales extrêmement complexes entourant les technologies de la reproduction, et vers la mise en oeuvre de ces technologies dans une structure sûre, éthique et responsable. Nous estimons que l'esprit du projet de loi devrait traduire le fait que ces technologies viennent en aide à certaines personnes, et qu'il devrait également bien exposer les sujets de préoccupation.

En ce qui concerne les paragraphes 6.(1) et 6.(2), nous avons pour objectif à long terme la mise en oeuvre d'un système altruiste de don du sperme qui accorde aux donneurs des récompenses autres que monétaires. À notre avis, il importe de modifier progressivement le système en informant soigneusement la population. La priorité absolue devrait être accordée à la dignité et au respect des enfants conçus de cette façon.

.1935

Nous remercions les membres du comité de nous avoir écoutés. Nous sommes heureux d'avoir pu vous faire part de notre expertise et de notre expérience vécue auprès d'enfants conçus par insémination et qui ont été informés des origines de leur conception.

La présidente: Merci beaucoup à tous.

Avant de passer aux questions, je rappelle au public que nous ne tolérerons aucune manifestation brillante d'opinions. Tous les membres de la table ronde sont considérés comme témoins et ont droit à leurs opinions. Nous vous saurions gré de respecter cela. Nous sommes ici pour nous informer et pour comprendre le problème.

Nous allons commencer les questions en donnant la parole à Mme Picard.

[Français]

Mme Pauline Picard: Bienvenue à tous. J'aimerais poser une question à Mme Ruberto. Premièrement, j'ai été un peu surprise de vous entendre dire que cela ne pressait pas, que le gouvernement avait déposé un projet de loi à la toute vitesse parce qu'il fallait absolument qu'il y ait une loi sans que soit tenues de consultations. Je fais partie de l'Opposition officielle et, depuis 1993, je presse le gouvernement de déposer un projet de loi sur les nouvelles technologies de reproduction.

J'ai 50 ans et j'ai milité pendant plusieurs années auprès des groupes de femmes. Depuis 20 ans, on parle de nouvelles technologies de reproduction. On a formé une commission royale d'enquête qui a oeuvré pendant quatre ans et qui a rencontré plusieurs Canadiens et Canadiennes, et pas seulement des gens de l'extérieur. On a recueilli beaucoup d'information. Si vous voulez vous taper le rapport Baird, je vous invite à lire ces deux grosses briques où figurent 293 recommandations. Ce n'est pas une affaire qui a été faite à toute vitesse et qui nous arrive à brûle-pourpoint. Il y a même d'autres groupes qui nous demandent de légiférer le plus vite possible parce que c'est urgent. J'ai été très étonnée de vous entendre dire qu'on était trop pressé.

Pourriez-vous préciser l'organisme que vous représentez? Est-ce une clinique commerciale qui vend le sperme aux hôpitaux ou aux scientifiques qui font de la recherche? J'aimerais que vous nous expliquiez de quoi il s'agit et la façon dont vous fonctionnez. Vous avez donné l'exemple des donneurs de sang à qui on demande actuellement beaucoup d'information pour éviter que ne se répète la tragédie du sang contaminé. J'imagine que chez vous, on doit aussi faire ce genre d'expertise pour éviter toute tragédie. Alors, est-ce que vous pourriez m'expliquer un peu?

[Traduction]

Mme Ruberto: Tout d'abord, je voudrais parler des délais. Comme l'a dit Mme X à quelques reprises, nous n'avons eu que cinq minutes pour présenter notre déclaration. Il nous a été très difficile de vous donner en si peu de temps un aperçu complet du programme des banques de sperme et de toutes ses ramifications. Dans le cadre d'une table ronde, nous avons jugé préférable d'échanger avec vous plutôt que de vous soumettre un document de 20 pages.

Je vais demander au Dr Del Valle de répondre sur les deux éléments que vous avez abordés.

M. Alfonso P. Del Valle (directeur médical de ReproMed Ltd.): Faute de temps, Cathy n'a pas présenté une déclaration qui figurait dans ce document. L'une de nos recommandations les plus importantes est de reformuler le projet de loi de façon à y inclure non seulement les pratiques les plus choquantes pour l'ensemble des Canadiens, comme le clonage, les hybrides humains, l'eugénisme et toutes les autres questions qui ont été évoquées précédemment. Comme d'autres l'ont dit, tous les autres aspects de ce projet de loi seront sans doute traités par voie de règlements.

.1940

Je voudrais signaler que ReproMed est un organisme privé bénéficiant de fonds privés, qui s'est constitué au Canada en 1990, à une époque où environ 70 p. 100 du sperme utilisé dans ce pays venait des États-Unis. Aujourd'hui, en 1997, c'est l'inverse, et 70 p. 100 du sperme utilisé dans ce pays est fourni par des donneurs canadiens.

En revanche, depuis notre création, nous avons totalement abandonné la formule de la banque de sperme «aux portes closes». Le personnel de la banque de sperme passe davantage de temps à parler aux bénéficiaires. S'il se trouve dans cette salle des bénéficiaires qui ont eu recours aux services de notre clinique, elles pourront en attester.

L'ouverture s'est faite précisément à l'époque où la commission royale commençait à recueillir de l'information. Nous avons publié un document où nous abordions les thèmes de la non- divulgation et de l'ouverture, et ce fut, du reste, le premier document publié au Canada à ce sujet.

Curieusement, bien que Rona Achilles ait fait des recherches approfondies... Je tiens à la féliciter du travail considérable qu'elle a fait alors qu'elle a reçu très peu d'argent pour le faire, car il s'agit là de la technologie de reproduction la plus importante et sans doute la plus couramment utilisée - je veux parler de l'insémination artificielle - alors que c'est celle qui a reçu le plus petit budget. Je voudrais citer Rona Achilles - c'est dommage qu'elle ne soit pas ici... Mais la seule chose qu'on puisse dire à l'issue de son travail, c'est qu'il reste encore bien des progrès à faire, ou autrement dit, qu'il reste bien des questions à résoudre, et...

La présidente: Monsieur Del Valle, si vous me le permettez... Je ne suis pas certaine...

Madame Picard, je n'ai peut-être pas bien suivi votre question, et je ne suis pas certaine queM. Del Valle y réponde correctement. Peut-être pourriez-vous relancer le débat en reposant votre question.

[Français]

Mme Pauline Picard: Non. Compte tenu du temps, je pense qu'il vaudrait mieux passer àM. Martin. C'est suffisant pour moi. Merci.

[Traduction]

M. Keith Martin: Il est important de s'en tenir aux faits. Même si la question suscite beaucoup d'émotions, il faut s'en tenir aux faits.

La représentante du Gamete Donation Group a dit à juste titre que sans donneurs, nous n'aurions pas d'enfants. Elle a également signalé qu'il fallait faire quelque chose pour remédier au mercantilisme qui ternit les dons de gamètes.

Je voudrais demander à M. Del Valle, s'il est courant, d'après son expérience, que les personnes qui donnent des gamètes fassent de cette activité une source de revenu.

Deuxièmement, vous avez dit à juste titre, madame, que les enfants doivent être traités avec respect. Vous ne trouverez sans doute personne ici pour en disconvenir. Je voudrais vous demander en quoi la formule actuelle manque de dignité ou de respect.

Troisièmement, on vient de nous dire que la suppression de la rémunération ferait chuter le nombre des donneurs de 71 p. 100 et que la suppression de l'anonymat le ferait chuter de 73 p. 100; dans ce contexte, pensez-vous qu'il convienne de supprimer la rémunération et l'anonymat du programme?

Finalement, je voudrais vous demander de vous poser en conscience la question suivante: si l'on supprime l'anonymat et la rémunération et que le nombre des donneurs diminue, pensez-vous qu'il est préférable de ne pas avoir de donneurs plutôt que de ne pas avoir d'enfants?

Mme X: Tout d'abord, je ne pense pas que toutes les personnes présentes dans cette salle respectent les enfants nés grâce à un don de gamète, car si elles les respectaient, elles comprendraient les besoins de ces enfants, qui sont très simples. Par exemple, de nombreuses sociétés commerciales sont présentes dans tout le réseau des dons de gamète, et elles ont un représentant ici ce soir.

Je dois vous dire que je connais très bien ces gens-là. J'ai été en contact avec eux. J'ai déjà été traitée par le Dr Del Valle.

Je m'oppose à certains arguments formulés par les sociétés commerciales, car les familles n'ont pas la possibilité de leur donner la réplique. On peut féliciter Mme Pratten, car elle prend position sur cette question depuis 10 ans, et c'est sans doute la seule personne au Canada à l'avoir fait.

.1945

M. Keith Martin: Mais en quoi y a-t-il un manque de respect? C'était le sens de ma question.

Mme X: Laissez-moi finir, laissez-moi m'exprimer.

Ces gens-là ne peuvent pas s'adresser à la presse pour exprimer bruyamment le point de vue des familles, car toute cette question est restée à l'index pendant très longtemps.

Il y a bien des choses sur lesquelles nous ne sommes pas d'accord, à commencer par les statistiques brandies par les sociétés commerciales et les médecins qui prétendent que le système va s'effondrer. A-t-on fait un effort d'éducation auprès des donneurs? Non. On dit que 71 p. 100 des donneurs cesseraient leurs activités... Est-ce qu'on a rencontré ces donneurs pour leur dire: «Écoutez, il ne s'agit pas ici de produire un livre. Vous allez produire un être humain, quelqu'un qui aimerait avoir de l'information sur vous, même sans connaître votre identité.» On pourrait leur proposer de s'identifier plus tard, s'ils sont d'accord et si la famille estime que cela profitera à l'enfant, et qu'éventuellement, lorsque l'enfant sera devenu adulte, à l'âge de 21 ans, on pourrait envisager une rencontre.

En tant que mère, si j'avais eu la possibilité de choisir un donneur qui était prêt à rencontrer l'enfant à l'âge de 21 ans et à donner de l'information le concernant, même sans révéler son identité, j'aurais choisi ce donneur, car j'ai toujours veillé au respect de l'enfant et de l'être humain qui est le produit de cette opération.

Je n'ai pas eu cette possibilité, pas plus que Mme Pratten ou les nombreuses personnes qui n'ont pas recours à une société commerciale comme ReproMed. De très nombreuses familles n'ont pas cette possibilité. ReproMed s'est constituée récemment. Vous pouvez demander à Mme Pratten, à moi-même ou aux gens de notre groupe comment les donneurs ont été choisis.

Vous voulez savoir comment le mien a été choisi? Je peux vous le dire. Mon médecin m'a dit: «Revenez le 14 mai, et on va vous inséminer». Lorsque nous avons demandé si nous pouvions avoir de l'information, le médecin m'a regardée et m'a dit: «Posez encore une question de ce genre et vous ne reviendrez pas le 14; c'est compris?»

Si bien qu'actuellement, mes deux enfants ne savent absolument rien. Voilà pour l'absence de respect. Le fait que l'argent intervienne dans ce processus est aussi un manque de respect. Une femme, une étudiante qui vend un ovule pour 2 500 ou 6 000$ - je ne me souviens plus du tarif en vigueur l'été dernier - , il y avait des petites annonces dans les journaux universitaires... C'est un manque de respect envers l'enfant; il pourrait apprendre un jour que sa mère biologique était une étudiante qui a vu là l'occasion de gagner facilement de l'argent. C'est un manque de respect.

On pourrait demander aux donneurs s'ils sont toujours prêts à participer au processus sachant que l'enfant qui naîtra grâce à eux va grandir et qu'il va vouloir connaître ses origines; peut-être qu'un grand nombre de donneurs actuels vont renoncer. Mais si on les éduque, comme on l'a fait dans d'autres pays, on aura des donneurs différents et plus matures.

Je m'inscris en faux - et je suis d'accord sur ce point avec Mme Picard - contre ceux qui disent que le gouvernement intervient à cause de toute l'attention accordée à cette brebis appelée Molly ou Dolly. Cela fait des années, dix ans, que nous nous consacrons à cette question - demandez à Mme Pratten.

M. Keith Martin: J'aimerais vous ramener à notre sujet, si vous me le permettez.

Mme X: Le sujet dont je parle, ce sont toutes ces questions. J'ai tout consigné dans mon document. Ce projet de loi n'a pas été présenté à la dernière minute; il a fait l'objet d'une longue réflexion. Le gouvernement a proposé un changement progressif.

M. Keith Martin: Là n'est pas ma question.

Mme X: La question, c'est de savoir s'il y aura encore des donneurs. Il faut les rééduquer.

M. Keith Martin: Eh bien...

Mme X: Peut-être que la moitié d'entre eux vont accepter, mais je sais que ReproMed a des statistiques indiquant qu'il y en a déjà 23, 25 ou 27 p. 100 qui accepteraient de s'identifier, bien qu'aucune campagne d'information n'ait encore été entreprise. Après une telle campagne, on en aura peut-être 50 ou 60 p. 100. Les choses ne peuvent pas changer du jour au lendemain.

M. Keith Martin: On vient d'établir que 73 p. 100 refuseraient.

Mme X: C'est parce qu'ils n'ont pas été informés. Est-ce qu'on leur a posé les bonnes questions? Monsieur Martin, c'est une société commerciale qui a posé la question. Ne vous est-il jamais venu à l'idée que cette société a pu faire preuve de partialité dans la formulation de cette question. Je pense que si l'on recueille davantage...

M. Keith Martin: Il faudrait demander à M. Del Valle de répondre à cette question.

Mme X: M. Del Valle a eu beaucoup de temps pour répondre aux questions, et les médias ont déjà accordé beaucoup de temps à Cathy Ruberto. Ce n'est pas notre cas.

M. Keith Martin: Je lui ai posé une question.

Monsieur Del Valle, veuillez répondre, s'il vous plaît.

M. Del Valle: Bien, je voudrais brièvement mettre un terme à toute cette question de mercantilisme, parce qu'on en fait tout un plat. En réalité, nous sommes un organisme privé. Ceux qui en font partie y gagnent leur vie comme ils le feraient en milieu hospitalier. Nous avons réussi à satisfaire aussi bien nos médecins que nos patients. Nous avons fait de la recherche... Je voudrais que les gens qui sont dans cette salle posent les mêmes questions aux donneurs.

.1950

Voilà le problème que nous avons à résoudre. Nous devons avoir foi en notre action. Est-ce que j'ai intérêt à payer les donneurs? J'économiserai de l'argent en ne les payant pas, mais là n'est pas la question. L'important, c'est ce à quoi je m'intéresse, et tous ceux qui me connaissent savent que c'est la population des bénéficiaires. Notre organisme a consacré beaucoup de temps, de travail et d'argent à ce problème. Il se trouve même que personnellement, je subventionne la banque de sperme. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte.

Nous savons qu'actuellement, si nous posons la question aux donneurs, 73 p. 100 d'entre eux vont dire qu'ils ne veulent plus donner de sperme s'ils doivent renoncer à l'anonymat. Il faut certainement continuer sur cette question, et j'insiste sur le fait que nous aimerions évoluer vers une plus grande ouverture. Il faut faire de la recherche. Nous devons mieux comprendre le point de vue des bénéficiaires dans cette mosaïque culturelle très diversifiée qui est la nôtre.

M. Keith Martin: Quel est le pourcentage des donneurs qui font de cette activité une source de revenu plutôt qu'une compensation pour compléter leur...

M. Del Valle: Dans le cas de notre clinique, ils se présentent une fois par semaine. Nous surpassons toutes les normes publiées ou appliquées ailleurs dans le monde, y compris en Nouvelle-Zélande.

M. Keith Martin: Au sujet de la compensation par opposition à l'enrichissement, je voudrais savoir, parmi votre population de donneurs, quel pourcentage comptent là-dessus comme source de revenu.

M. Del Valle: Calculez 40$ par semaine multipliés par 12. Qu'est-ce qu'on peut acheter avec ça? Je ne pense pas que ça puisse payer les frais de scolarité à l'université ou rien du genre.

M. Keith Martin: Je trouve difficile à croire que quelqu'un puisse s'enrichir en vendant ses gamètes.

M. Del Valle: Ce n'est pas une transaction; c'est une compensation. Toute la question est là et il faut que ce soit bien clair pour les membres du comité. Ce n'est pas un paiement, c'est une compensation.

Il n'est pas juste que le type qui vient donner doive payer les frais de stationnement, de transport, les repas, etc. Le montant doit être minimal, précisément pour ne pas attirer les gens qui sont intéressés purement pour des raisons financières. Voilà toute la question: il faut que la compensation soit minime, pour qu'elle demeure une forme d'indemnisation seulement.

La présidente: Merci.

Colleen Beaumier, vous avez la parole.

Mme Colleen Beaumier: Il me semble que nous nous attardons uniquement à l'argent. Je vous le dis bien franchement, je ne pense pas que quiconque puisse s'enrichir avec cela, mais ça paie probablement la bière. Par contre, il y a la dignité. Je ne suis pas certaine qu'il y ait quoi que ce soit de digne ou d'indigne dans la conception elle-même. La dignité, c'est ce qui arrive par la suite. Laissons donc tomber ces deux questions.

Voici ce que j'aimerais savoir. Si je me présente à la clinique, combien cela me coûtera-t-il pour un essai? Vous avez affaire ici à une politicienne et non pas à une technicienne. Expliquez-moi donc tout depuis le début. Fait-on un profit sur ce sperme?

M. Del Valle: Je voudrais énoncer quelque chose de très important et que le Dr Barwin a déjà mentionné. L'interdiction de vendre des gamètes figure déjà dans la Constitution canadienne. Il est interdit de vendre ou d'acheter des ovules. C'est très clair. La bénéficiaire paie pour tous les services qui y sont associés: la prestation de tous les renseignements anonymes; la rémunération de tous les gens qui s'occupent du programme, en termes de sélection des donneurs et de suivis, etc. Voilà à quoi servent les honoraires. Nous avons calculé que le coût de tout cela est de 500$.

Mme Colleen Beaumier: Pour la première tentative de conception?

.1955

M. Del Valle: Oui. Nous avons estimé que des honoraires minimums permettraient de payer tous les aspects accessoires et que des frais raisonnables...

Mme Colleen Beaumier: Pour deux inséminations?

M. Del Valle: Oui, pour deux inséminations.

Mme Colleen Beaumier: C'est drôle, parce que j'ai une amie qui m'a dit que ça coûtait entre 3 000$ et 5 000$.

M. Del Valle: Peut-être qu'il faut réglementer tout cela. Autrement dit, ce sont ces aspect qui doivent être réglementés par un organisme quelconque. Il ne doit pas exister des écarts aussi importants - à moins que ces gens-là fournissent un service que nous ne connaissons pas.

Mme Colleen Beaumier: Vous dites que quelqu'un proposait l'égalité d'accès. Vous voulez dire que l'assurance-maladie défraierait...?

Mme X: Je crois que le montant varie d'une clinique à l'autre. Dans le sud de l'Ontario, où il y a un grand nombre de cliniques, ça peut varier. Vous n'avez pas pris en compte le coût des médicaments inducteurs d'ovulation que la bénéficiaire doit prendre. Si l'on tient compte du coût de ces médicaments, cela peut devenir phénoménal. Je pense que les chiffres de 3 000$ à 5 000$ cités par votre amie représentaient peut-être le coût de la fécondation in vitro, mais pour moi, 500$ par cycle, c'est le minimum absolu. Cela pourrait atteindre 8 000$ ou 9 000$. Cela dépend des médicaments inducteurs d'ovulation qu'on administre.

Mme Colleen Beaumier: Bon, et ce montant de 500$ comprend tous les frais.

M. Del Valle: Oui.

Mme X: Les gens demandent spécifiquement ces services. J'ai parlé de la question des couples du même sexe et des personnes seules. Il y a aujourd'hui au Canada beaucoup de cliniques qui ont décidé de n'accepter que les couples hétérosexuels mariés. Et cette décision est fondée sur un caprice du directeur ou je ne sais trop quoi.

Mme Colleen Beaumier: Eh bien, il me semble que c'est un peu la même chose. En dépit du fait que le Code criminel ne fait pas mention de l'avortement, il y a des médecins qui refusent de faire des avortements et ils ne sont pas obligés d'en faire.

Mme X: Cela dépend de l'endroit où l'on est au Canada. À Toronto, il y a un million de médecins - enfin, pas tout à fait - mais au Manitoba, il n'y en a qu'un. Je trouve qu'il faut avoir accès aux services, peu importe où l'on se trouve.

Mme Colleen Beaumier: Vous avez parlé de la possibilité de subventionner votre propre programme. Vous n'essayez pas de nous dire que vous dirigez un organisme de charité, n'est-ce pas?

M. Del Valle: Oui, c'est exactement le cas et je peux vous le prouver. C'est un domaine qui m'intéresse. Si vous pouviez voir le nombre de services que nous rendons... Nous avons fait de la recherche sur des questions psychosociales, nous avons fait de la recherche sur la congélation du sperme qu'aucune autre organisation ne fait, même dans un cadre universitaire.

Nous avons réussi, par exemple, à mettre au point un mécanisme permettant de transporter le sperme depuis aussi loin que le Yukon. Nous entreposons dans nos installations le sperme de patients atteints du cancer qui n'ont pas accès à ce service. C'est un aspect des banques de sperme dont on n'a pas parlé. Les banques de sperme ne sont pas destinées uniquement aux donneurs, mais aussi aux hommes qui subissent des traitements pour le cancer et dont la capacité de reproduction est menacée par ces traitements. Cela permet à ces hommes d'avoir plus tard dans leur vie des enfants biologiques, au moment où ils le souhaitent. C'est un aspect sur lequel nous avons beaucoup travaillé et nous avons réussi à venir en aide à des couples à Yellowknife.

Je pense que toute la notion des banques de sperme est en train de changer. C'est un domaine très dynamique. Ce n'est plus seulement un endroit où l'on entrepose du sperme. Ce que nous voulons, c'est vraiment comprendre à fond tout le dossier de l'insémination par donneur. Quels sont les besoins des donneurs? Pourquoi voient-ils les choses de cette façon? C'est dans ce cadre que nous avons également réussi à comprendre les besoins des bénéficiaires.

Nous devons y travailler. Nous devons faire de la recherche pour comprendre ce qui se passe au Canada. Il nous faut de l'argent pour cela. Je pense que c'est une bonne chose d'avoir un projet pilote dans mon installation, où nous examinons toutes ces questions dans le cadre d'un programme altruiste transparent.

.2000

Mme Colleen Beaumier: Ne croyez-vous pas qu'il serait préférable que ce soit financé à un moment donné par le ministère de la Santé, au titre de la recherche et du développement? Quand on parle de remboursement, 40$ ou 50$, c'est un peu beaucoup pour un simple remboursement. J'imagine que mon fils ne dédaignerait pas empocher 50$ de temps à autre.

Je ne veux pas m'appesantir là-dessus, mais je crois que nous sommes en présence d'un spectre et que la solution et la vérité se situent quelque part entre les deux extrêmes.

Mme X: Quand une personne donne du sperme ou des ovules, il y a aussi une question de dignité et de respect, parce que cette personne sait qu'elle vient en aide à une famille, par opposition à quelqu'un qui voudrait seulement toucher 3 000$ pour éviter d'avoir à travailler chez Pizza Hut. Cette attitude témoigne d'un manque de dignité et de respect envers l'enfant qui peut en résulter et qui saura que le donneur biologique...

Mme Colleen Beaumier: Il faut dire que bien souvent, il n'y a pas beaucoup de dignité dans la conception et je ne suis pas certaine que ce moment précis pèse très lourd dans la vie des gens.

Mme X: Puis-je faire une observation? Au cours du dernier exposé, je crois que les gens qui étaient assis ici ont dit «cela n'arrive jamais chez nous» en parlant du nombre de naissances, des 100 bébés qui ont vu le jour grâce à un médecin. Que vouliez-vous dire à ce moment-là? Que nous n'avons pas de médecins qui font cela, ou bien que le nombre de naissances...

La présidente: Madame Beaumier.

Mme Colleen Beaumier: J'ai terminé. À mon avis, nous sommes en présence de deux parties antagonistes et quelque part au milieu, il faut...

La présidente: Puis-je interrompre et m'approprier la minute et demie dont disposait encore Colleen, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, avant que Mme Parrish pose ses questions?

Je voudrais demander au docteur ce qu'on obtient pour les 40$. À quoi correspond ce montant de 500$? Qu'obtenez-vous en échange de ces 500$? Est-ce en tout ou en partie couvert par le régime d'assurance-maladie provincial ou par l'OHIP en Ontario?

M. Del Valle: Oui, si le gouvernement provincial ne payait pas un sou pour ces visites médicales et tout cela, il est évident que tous ces coûts augmenteraient considérablement. Ces coûts correspondent à la fourniture du service et c'est ce qu'il importe de retenir.

Fondamentalement, le service offert, c'est la fourniture, dans un cadre sûr et efficace, de gamètes pour fonder une famille.

La présidente: Rien de...

M. Del Valle: Cela comprend le traitement du sperme, le recrutement des donneurs, tous les coûts additionnés. Je peux vous dire très carrément que si vous dépensez 100$, vous pouvez le diviser et obtenir le montant de ce qu'il vous en coûte pour fournir le service pour chaque éprouvette. C'est aussi simple que cela.

Je pense que c'est ce qui arriverait, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé, n'importe où.

Cela répond-il à votre question?

La présidente: Non. Supposons que je sois un homme et que je vienne vous donner du sperme. On me remet la somme de 500$, mais pourquoi, à quel titre?

M. Del Valle: Non, non, vous ne m'avez pas compris.

La présidente: On touche 40$ à chaque visite, n'est-ce pas?

M. Del Valle: Oui.

La présidente: Jusqu'à concurrence de 500$?

M. Del Valle: Non, non, c'est 40$.

Mme Colleen Beaumier: C'est 500$ pour le premier essai de fécondation.

Une voix: Si vous voulez un bébé, c'est 500$.

M. Del Valle: Si vous vous présentez à la clinique et réclamez le traitement, le coût sera de 500$ pour le cycle au complet.

La présidente: C'est clair.

Mme Carolyn Parrish: J'aurais deux ou trois questions à poser au Dr Sullivan, et j'aimerais qu'on s'efforce de répondre de façon concise.

À votre clinique, vous vous intéressez particulièrement à l'infertilité masculine. Quel pourcentage du sperme donné par des hommes sert aux expériences médicales et quel pourcentage est effectivement utilisé pour inséminer des femmes?

[Français]

Dr Sullivan: Je représente ici des professeurs d'université qui font de la recherche en andrologie. Lorsqu'on parle de donneurs de sperme pour la recherche, toute la semence est utilisée la journée même pour des fins de recherche. Aucune semence n'est congelée ou utilisée pour un traitement clinique.

.2005

[Traduction]

Mme Carolyn Parrish: Par conséquent, la totalité du sperme est utilisée exclusivement pour des expériences?

[Français]

Dr Sullivan: Oui.

[Traduction]

Mme Carolyn Parrish: D'après ce que vous connaissez de ce secteur d'activité, faute d'un meilleur terme, quel pourcentage de tous les dons de sperme servent à l'expérimentation, à la recherche, pour trouver le gène de la fibrose kystique, etc., et quel pourcentage sert à inséminer des femmes?

[Français]

Dr Sullivan: C'est une bonne question.

[Traduction]

Mme Carolyn Parrish: Je suis payée pour poser de bonnes questions.

[Français]

Dr Sullivan: Il y a de la recherche qui est subventionnée par les conseils de recherche médicale pour régler des problèmes d'infertilité ou de santé associés à la fonction reproductrice qui font l'objet de vérifications de la part de comités d'éthique internes de ces organismes, que ce soit en milieu hospitalier ou universitaire.

[Traduction]

Mme Carolyn Parrish: Non, ma question...

[Français]

Dr Sullivan: Oui, je comprends bien; j'y arrive.

[Traduction]

Mme Carolyn Parrish: Je suis très impatiente et vous devez donc en arriver rapidement au fait.

[Français]

Dr Sullivan: Dans ce contexte, toute la semence est utilisée pour des fins de recherche. Parallèlement, il existe aussi des cliniques de fertilité qui sont un réseau privé, où la transparence n'est pas la même. On ne sait pas exactement à quoi la semence est utilisée dans ces milieux.

[Traduction]

Mme Carolyn Parrish: Ça fait un moment que vous tergiversez. Si vous deviez deviner, diriez-vous que c'est 50-50?

[Français]

Dr Sullivan: Je dirais que pour les donneurs, c'est extrêmement clair: certains donnent pour la recherche et d'autres donnent pour l'insémination artificielle. Souvent, les gens qu'on recrute pour la recherche sont des donneurs de sperme clinique qui sont à leur retraite. On les récupère pour la recherche. Il n'y a pas vraiment de mélange entre les deux dons, dirais-je. Il y a des dons qui sont utilisés pour des fins d'insémination ou des buts cliniques, tandis que d'autres sont utilisés pour des fins de recherche.

[Traduction]

Mme Carolyn Parrish: Voici où je veux en venir. On a laissé entendre que si nous cessions subitement de payer, nous aurions beaucoup moins de bébés. Comme dans ce projet de loi on interdit beaucoup d'expériences, on pourrait en déduire qu'une grande partie du sperme qui est donnée et qui sert aux expériences pourrait être détournée et utilisée pour la fécondation. Vous ne connaissez pas la réponse et je suppose que ce n'est pas juste de vous poser la question, je devrai donc trouver la réponse ailleurs.

Vous avez dit autre chose que je n'ai pas compris. J'ai besoin d'explications. Vous avez dit que quand vous faites des tests pour vérifier si l'homme est infertile, il serait impossible de faire ces tests si nous ne pouvions payer l'homme. Je ne vois pas le rapport. Si, par exemple, M. Robertson veut découvrir l'origine du problème, je ne pense pas qu'il veut être rémunéré par vous. Il me semble que ce serait lui plutôt qui serait prêt à vous payer. Je ne comprends pas le rapport.

[Français]

Dr Sullivan: Notre recherche a pour but d'identifier les causes et de trouver des traitements de l'infertilité masculine; c'est le but de notre recherche. Pour comprendre les problèmes d'infertilité, nous devons comprendre la physiologie normale. Nous devons avoir un témoin interne positif auquel seront confrontés des échantillons qui proviennent de gens infertiles. Ce sont les gens qui sont fertiles, les donneurs normaux qui sont rémunérés; il est évident que les gens infertiles nous produisent leur semence sans rémunération.

[Traduction]

Mme Carolyn Parrish: Merci.

Je voudrais demander à Mme Ruberto ce qu'elle voulait dire quand elle a fait allusion à l'ethnicité et quand elle nous a qualifiés de brigade des moeurs. Vous étiez plutôt enflammée à ce moment-là, mais je n'ai pas compris ce que vous vouliez dire.

Mme Ruberto: Fondamentalement, ce que j'essayais de dire, c'est que la recherche dans ces dossiers ne se fait pas au Canada, mais plutôt dans des pays essentiellement anglo-saxons, comme la Suède, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. Notre pays a une population très diversifiée sur le plan ethnique et il est donc difficile de comparer des pays comme la Suède, la France, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande au Canada et de conclure que les règlements qui existent en Suède pourraient s'appliquer ici. Nous avons au Canada des groupes de gens qui sont essentiellement catholiques, juifs et musulmans. Je crois qu'en Suède, la plupart des gens sont luthériens.

Mme Carolyn Parrish: Je crains que je ne vois toujours pas le rapport, mais laissons tomber.

.2010

Mme Ruberto: Je veux simplement m'assurer que l'on compare des choses comparables.

Mme Carolyn Parrish: Pour quelqu'un qui fait de la recherche scientifique pure, les composantes fondamentales d'une cellule humaine sont les mêmes de toute manière. Ce que vous voulez dire, je crois, c'est que certains groupes ethniques n'aimeraient pas cette mesure parce qu'ils aiment bien choisir le sexe de leur enfant.

Mme Ruberto: Non, pas du tout. Cela ne m'est même pas venu à l'esprit.

Mme Carolyn Parrish: Cela n'a jamais été fait dans votre clinique?

Mme Ruberto: Le choix du sexe? Jamais.

Mme Carolyn Parrish: D'accord. Mme Picard m'a probablement coupé l'herbe sous le pied. J'avais aussi des craintes à ce sujet.

Nous nous sommes rencontrées tout à l'heure à mon bureau et je vous ai dit que le plus important, pour votre comparution devant le comité, c'était de signaler de façon très neutre les faits saillants de la mesure que vous trouvez bons et ceux que vous voudriez voir changer. J'ai été quelque peu déçue de voir que vous vous êtes plutôt lancée dans un discours enflammé. Vous avez parlé d'ignorance, de peur et de commodité politique et j'en suis très déçue.

Merci.

La présidente: Je voudrais poser une question qui s'adresse à n'importe quel membre du groupe au sujet d'un point sur lequel nous aimerions avoir votre avis. Est-ce que ceux qui donnent du sperme à des fins de recherche uniquement pourraient être compensés différemment de ceux qui en donnent pour la fécondation?

Mme Ruberto: Ce serait très difficile. Je fais aussi de la recherche dans notre laboratoire. Souvent, les spécimens donnés par un donneur particulier en un jour donné serviront uniquement à la recherche et non pas à l'insémination artificielle.

La présidente: Docteur Sullivan, avez-vous quelque chose à ajouter?

[Français]

Dr Sullivan: Traditionnellement, les gens qui donnent de la semence pour l'insémination artificielle reçoivent des montants plus élevés que ceux qui en donnent pour des raisons de recherche uniquement. Par exemple, notre centre de recherche donne 25$ pour un don de sperme, alors qu'au Québec, les cliniques d'insémination artificielle donnent entre 40$ et 50$.

[Traduction]

La présidente: Merci, docteur Sullivan.

Madame Pratten, je vous invite à avoir le dernier mot.

Mme Pratten: Vous avez demandé à M. Del Valle quel pourcentage de ses donneurs comptaient sur la compensation à titre de revenu. Premièrement, si l'un ou l'autre de ses donneurs se faisait de l'argent avec cela, il ne le lui dirait pas. Deuxièmement, si M. Del Valle savait qu'ils faisaient de l'argent avec cela, il ne vous le dirait pas à une réunion comme celle-ci.

M. Keith Martin: Je crois que vous devriez laisser M. Del Valle répondre lui-même à la question. Je suis sûr qu'il peut se débrouiller.

La présidente: Si mes collègues n'ont plus de questions à poser, il ne me reste plus qu'à remercier tous les membres du groupe, ainsi que notre jeune témoin, qui n'est pas avec nous en ce moment même, mais qui est probablement en train de suivre la partie de hockey et de faire autre chose de vraiment intéressant.

Nous allons faire une pause d'une minute pour entendre les témoins suivants.

.2013

.2020

La présidente: Dès que nous serons prêts, nous pouvons reprendre la séance. La journée a été longue, et je vous demande donc de nous excuser si nous plissons les yeux en vous regardant.

Je voudrais d'abord vous remercier d'être venus. Merci d'avoir attendu aussi longtemps avant de vous faire entendre. Si vous n'étiez pas là pendant la journée, je vous rappelle que nous vous demandons de vous limiter à cinq minutes. Juste avant l'échéance, je vais brandir mon marteau - j'espère qu'il ne me glissera pas des mains, cela pourrait blesser quelqu'un - pour vous faire savoir que vos cinq minutes sont presque écoulées. À l'expiration du délai, je donnerai un coup de marteau et nous passerons au suivant. Quand vous en aurez tous terminé, mes collègues voudront vous poser des questions.

Veuillez donner votre nom et préciser l'organisme que vous représentez. Ensuite, vous pourrez commencer votre exposé.

Mme Suzanne Rozell Scorsone (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Suzanne Rozell Scorsone et j'ai travaillé comme commissaire à la commission royale. Je suis une des personnes qui ont signé l'ensemble du document et je suis également la personne à qui l'on doit la série d'opinions qui figurent à l'arrière du document.

Je sais que vous avez lu et relu ce projet de loi et je ne vais donc pas revenir sur toute la question et tous les points. Vous avez probablement lu également le rapport de la commission et pris connaissance de ce que j'ai pu y contribuer. J'ai donc remis mon mémoire détaillé au comité et je vais maintenant me borner à certains points techniques pour aujourd'hui.

Tout d'abord, permettez-moi de vous dire que ce projet de loi me plaît beaucoup. Il s'agit d'un merveilleux projet de loi. J'espère que vous allez l'adopter rapidement. J'espère qu'il ira à l'étape de la troisième lecture et qu'il sera ensuite adopté au Sénat avant le dépôt des brefs puisque j'estime qu'il s'agit d'une contribution d'envergure dans un domaine très délicat et que, si nous ne profitons de l'occasion qui nous est offerte d'agir, nous risquons d'avoir à revenir à la case départ. Or, à ce moment-là, il se peut que certaines positions soient plus fermes ou bien établies et qu'il soit très difficile de les modifier.

Lorsque cela aura été fait, les Canadiens pourront passer à l'étape de la réglementation, s'interroger sur les modalités et les limites d'utilisation des technologies.

D'une façon générale, le projet de loi me semble excellent. Je vais me borner à signaler certains aspects qui mériteraient d'être clarifiés de manière à ce que la mesure soit aussi efficace que prévue, sans cependant en modifier le fond.

L'alinéa 4(1)b) stipule que personne ne peut «produire la fécondation d'un ovule humain au moyen du sperme d'un animal ou la fécondation de l'ovule d'un animal au moyen de spermes humains, en vue d'obtenir un zygote susceptible de différenciation». On ne vise pas ici la production d'hybrides humain-animal. Ainsi, c'est le mot «différenciation» qui pose problème. La différenciation a rapport à la séparation des tissus, à leur spécialisation. C'est ce qui se passe au début de la troisième semaine.

Ainsi, en théorie, selon le libellé du projet de loi, on permettrait la production des zygotes d'hybrides humain-animal pour les deux premières semaines de l'existence du zygote ou de l'embryon, ce qui n'est pas, me semble-t-il, ce que le gouvernement souhaitait. Ce n'est certainement pas ce que souhaitaient les personnes qui ont comparu devant la commission. Il est probable que la formulation ait été destinée à permettre le «test du hamster» qui permet de déterminer la fertilité de l'homme en mesurant la capacité du sperme humain de pénétrer l'ovocyte. Or, il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'à la syngamie, à savoir la fusion des chromosomes, pour ce faire. Il suffit que le spermatozoïde pénètre la membrane cytoplasmique, après quoi on peut mettre fin à l'essai. On n'a pas besoin de deux semaines pour cela.

Je propose donc un libellé plus précis. On pourrait dire: «en vue d'obtenir un zygote qui a subi la syngamie», à savoir la fusion, ou on pourra employer une expression comme «capable de réplication». Quelle que soit la formulation choisie, il suffit d'arrêter avant la syngamie pour réaliser l'objectif souhaité.

L'alinéa 4(1)j) stipule que personne ne peut sciemment «conserver un embryon à l'extérieur du corps humain». Cette disposition est probablement destinée à interdire l'ectogénèse, c'est-à-dire la création d'un milieu utérin artificiel. C'est l'expression «conserver un embryon» qui pose problème. En effet, selon les diverses définitions, on parle de zygote jusqu'à 14 jours et d'embryon par la suite. Cependant, tout le monde sait bien que la plupart des gens utilisent le terme «embryon» de façon générale, même pour le stade du zygote. Ce que je crains, c'est que l'expression puisse être interprétée par certains comme faisant obstacle à la cryoconservation des embryons, soit la congélation. Cette expression pourrait également faire obstacle aux pratiques normales de conservation qui se rapportent aux fertilisations in vitro. Il se pourrait donc que toutes les dispositions soient invalidées par les tribunaux pour permettre ces deux types d'activités, que la société va probablement continuer de juger souhaitables, et que, du même coup, on perde la protection relative à l'ectogénèse.

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Encore ici, on pourrait rendre le libellé encore plus explicite, en disant: conserver un embryon ou un foetus en développement hors d'un utérus humain à des fins d'ectogénèse ou pour toute autre forme de gestation à l'extérieur de l'utérus humain.» Il s'agit donc de préciser le libellé pour qu'il soit vraiment adapté à l'objectif.

Selon le paragraphe 6.(1),

Ici, j'aimerais ajouter «tissu foetal», puisque certains pourraient croire que «foetus» signifie le foetus en entier. Or, bon nombre de questions relatives au traitement, à l'expérimentation et ainsi de suite ont rapport au tissu foetal. Il me semble donc utile d'ajouter «tissu foetal».

Dans le document de discussion intitulé Les nouvelles techniques de reproduction et de génétique: fixer des limites et protéger la santé, on affirme que la loi interdit la recherche sur les embryons humains plus de 14 jours après la conception. Or, à ma connaissance, le projet de loi ne reprend pas cet énoncé de façon explicite. Pourquoi ne pas le dire très clairement?

Enfin, j'aimerais vous demander d'inclure l'interdiction de commercialisation des lignées cellulaires. Les lignées cellulaires contiennent le génome naturel complet de l'être humain et servent à fabriquer des produits comme des médicaments, des hormones et ainsi de suite. Les lignées cellulaires contiennent le génome humain complet. À l'heure actuelle, elles peuvent être achetées et vendues. Je serais très heureuse de vous entendre dire que vous interdisez leur commercialisation.

La présidente: Monsieur Read.

M. James Read (Evangelical Fellowship of Canada): Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de prendre la parole.

J'ai une formation en philosophie. Je travaille surtout à l'heure actuelle dans le domaine de l'éthique et de l'éthique appliquée. Je suis également directeur exécutif du centre d'éthique de l'Armée du Salut. Vous avez reçu notre mémoire et je vais tenter d'en dégager certains aspects saillants.

L'Evangelical Fellowship of Canada est une association nationale de chrétiens protestants qui regroupe des églises locales, des organismes en marge de l'église et des individus de 28 confessions religieuses. Le mandat de l'EFC consiste notamment à être le porte-parole de ses membres pour les questions qui les concernent et également des questions qui concernent l'ensemble de la société canadienne. Ainsi, non seulement nous avons déposé un rapport concernant le projet de loi à l'étude, mais également nous avons soumis un mémoire dans le cadre des travaux de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction en 1992.

Nous nous réjouissons des objectifs du projet de loi C-47 visant à interdire les technologies qui sapent ou nient le respect des êtres humains. L'EFC est favorable à l'interdiction de certaines techniques de manipulation génétique et à l'interdiction de la commercialisation de la reproduction humaine, ce que vise le projet de loi. Cependant, bien que nous appuyions l'esprit général du projet de loi, son préambule et ses objectifs, nous aurions certaines propositions à faire pour l'améliorer.

Toute perspective est fondée sur un certain nombre de principes directeurs. Dans notre évaluation du projet de loi à l'étude, nous nous fondons sur trois grands principes du droit canadien, à savoir le respect de la dignité humaine, la compassion à l'égard de la vie humaine, et la responsabilité familiale.

Vu notre conviction profonde que la vie est un don de Dieu et que les êtres humains, créés à son image, ont une dignité et une valeur inhérente, nous estimons que la vie humaine doit être chérie, respectée et protégée à toutes ses étapes. Et cela, nous l'affirmons non seulement au nom de ceux qui partagent nos valeurs chrétiennes, mais également en pensant à ce qui est cher à tous les Canadiens de même qu'à l'esprit de nos lois.

Il est essentiel que nous retenions le principe de la dignité humaine dans l'évaluation des processus qui ont une incidence directe sur les débuts de la vie et qu'ils doivent englober tout ce que nous pensons, tout ce que nous disons, tout ce que nous souhaitons en matière de procréation, et notamment lorsqu'il est question de ceux qui n'ont aucune voix ni aucun pouvoir, soit les enfants, et qui, si nous n'y prenons garde, risquent de devenir de simples produits de la technologie plutôt que des membres à part entière de la communauté humaine.

.2030

Le deuxième principe, celui de la compassion à l'égard de la vie, découle de notre conviction que toute vie humaine est précieuse aux yeux de Dieu et doit être nourrie physiquement, émotivement et spirituellement. Aimons les autres comme nous nous aimons. Cela ne traduit pas uniquement un principe d'action individuelle, mais également un principe de solidarité sociale, comme le prouve le fait que notre société se préoccupe des pauvres et des vulnérables. Il faut donc établir un cadre de compassion à l'égard de la vie lorsque l'on parle de techniques de reproduction et de manipulation génétique, techniques qui ont autant le potentiel d'aider et de guérir que d'exploiter et d'exclure certains membres de notre société.

Le troisième principe, celui de l'intégrité familiale, se fonde dans une réalité: nous sommes tous nés de parents, d'un homme et d'une femme, et nous dépendons tous d'autrui lorsque nous naissons. La famille existe pour subvenir aux besoins matériels, psychologiques et spirituels de ses membres. La responsabilité associée aux liens de parenté est reconnue dans notre droit, puisque l'on exige des parents qu'ils prennent soin de leurs enfants, notamment. Les techniques de reproduction sont liées de façon intrinsèque à ce principe d'intégrité familiale, puisque leur raison d'être, c'est d'aider à la formation de familles.

Nous ressentons de la compassion à l'égard de ceux qui ne peuvent avoir d'enfants et sommes convaincus que certaines de ces mesures prônées sauront les aider. Nous sommes du même avis que les législateurs et reconnaissons que bien que ces techniques de reproduction puissent offrir de l'espoir, elles ont également le potentiel de blesser, d'exploiter et d'exclure.

Voilà un bon projet de loi, à notre avis, et l'Evangelical Fellowship of Canada souscrit à toutes les interdictions proposées dans le projet de loi.

Le projet de loi vise à combattre le risque que des couples sans enfants puissent être exploités par des cliniques ou par des contrats commerciaux conclus avec des mères porteuses. Ces mères porteuses peuvent à leur tour - comme le reconnaît le projet de loi - être exploitées parce qu'elles cherchent la stabilité financière ou par appât du gain. Nous vous recommandons de pousser encore plus loin votre projet de loi et d'interdire toute relation de substitution non commerciale. À notre avis, l'incitatif financier ne fait qu'exacerber la relation de maternité de substitution qui est au départ malsaine.

Comme l'affirme le projet de loi, il est toujours possible que l'on ne traite pas les zygotes et les embryons avec tout le respect qui leur est dû et que l'on tente sur eux des expériences qui ne seraient pas sanctionnées s'il s'agissait d'autres êtres humains. Nous vous faisons ici certaines suggestions très précises et vous recommandons d'aller encore plus loin dans le projet de loi: nous vous suggérons d'interdire toute expérimentation non thérapeutique sur les foetus, les embryons et les zygotes, qu'ils aient ou non été créés pour cette fin et que les parents aient accordé leur consentement ou pas.

En troisième lieu, nous nous interrogeons sur les dons de sperme, particulièrement les dons de sperme anonymes. En effet, l'anonymat empêche peut-être tout lien social, mais n'empêche pas les liens biologiques et refuse pourtant aux enfants toute réponse aux questions qu'ils pourraient se poser sur leur propre identité. Cela serait...

La présidente: Monsieur Read, je m'excuse, mais le temps qui vous était imparti est maintenant terminé. J'ai oublié l'horloge pendant un instant, et je regrette d'avoir empiété sur le temps de quelqu'un d'autre.

Madame Jeffs, voulez-vous y aller?

Mme Jakki Jeffs (directrice exécutive, l'Alliance pour la vie - Ontario): Bien.

Bonsoir, je m'appelle Jakki Jeffs et je suis directrice exécutive de l'Alliance pour la vie, chapitre ontarien. Notre conseil national m'a demandé de le représenter ce soir. Je croyais avoir15 minutes à ma disposition. Comme je n'ai jamais rien su faire en cinq minutes, c'est tout un défi.

La présidente: Vous avez une merveilleuse occasion de vous prouver.

Mme Jeffs: J'espère que votre greffier vous a remis notre mémoire.

L'Alliance pour la vie est l'organisme national de coordination de 240 groupes d'éducation affiliés et associés pour la vie au Canada. Cela fait 28 ans que nous nous penchons sur toutes les questions de vie et nous avons suivi de très près l'évolution au cours des sept dernières années des mesures législatives portant sur les nouvelles techniques de reproduction.

Nous félicitons le gouvernement d'avoir déposé ce projet de loi destiné à régir le recours à plusieurs techniques de reproduction. Nous en sommes ravis, puisque contrairement à un moratoire volontaire, le fait qu'il s'agisse d'un projet de loi nous prouve que le gouvernement reconnaît la gravité de la question et les dangers que peuvent poser certaines techniques et certaines transactions pour les citoyennes et les citoyens et pour la société canadienne en général.

Nous sommes ravis de constater que le préambule reconnaît la nécessité de mesures visant à protéger et à promouvoir les intérêts des enfants et visant à empêcher l'exploitation des femmes et des enfants. Toutefois, nous ne voyons nulle part ni dans le préambule ni dans l'objet du projet de loi que le gouvernement a l'intention de protéger l'être humain en développement, dont la vie commence à la conception.

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Grâce à des preuves irréfutables, nous savons que la vie humaine commence à la conception, et nous en sommes convaincus. Par conséquent, puisque nous reconnaissons la présence d'un autre être humain, il faut aussi reconnaître qu'il fait partie de notre espèce humaine et qu'il a droit à la protection et aux soins de la société.

Passons maintenant rapidement à nos recommandations. Dans notre première recommandation, nous suggérons d'ajouter ce qui suit, au préambule:

ATTENDU que le Parlement du Canada se préoccupe du fait que certaines techniques de reproduction et de manipulation génétique menacent de porter atteinte à la vie humaine et à la dignité humaine...

Passons à la définition du développement de l'être humain: ce qui nous inquiète, c'est la distinction que l'on fait entre les termes zygotes, embryons et foetus, étant donné que le document de discussion parle de recherches pouvant aller jusqu'à 14 jours. Autrement dit, du point de vue technique, l'être humain défini comme étant un zygote peut faire l'objet de recherches. Nous ne sommes pas d'accord à ce que l'on fixe de façon arbitraire cette limite de 14 jours.

Étant donné que la vie humaine est continue de la conception à la mort naturelle, nous aurions préféré que l'on parle de foetus, dont la définition de l'être humain avant la naissance. La Commission de réforme du droit, dans son document de travail no 58, établit que l'expression «conception jusqu'à la naissance» inclut le foetus, et voilà pourquoi nous préférerions que l'on trouve ce seul terme du début à la fin du projet de loi.

De plus, nous sommes perplexes devant l'utilisation que l'on fait de l'expression «organisme humain». Dès après la conception, il s'agit d'êtres humains. Notre troisième recommandation suggère de préciser l'humanité du foetus à toutes les étapes de son développement, pour que le projet de loi, dans son libellé et dans son objet, le reflète beaucoup plus clairement.

En quatrième lieu, nous recommandons de modifier l'alinéa 4(1)b) pour que l'on interdise la conception d'hybrides entre l'animal et l'être humain. Nous savons que lorsque l'on veut vérifier si le sperme peut fertiliser convenablement un ovule, on implante un sperme dans l'ovule d'un hamster, ce qui par le fait même produit un hybride animal-humain. Nous demandons au Parlement d'interdire toute conception d'un hybride animal-humain.

Nous croyons que l'alinéa 4(1)h) traduit une tentative louable du gouvernement d'interdire toute discrimination prénatale en vue d'obtenir un sexe déterminé; toutefois, cela nous préoccupe toujours un peu, étant donné qu'il pourrait y avoir une certaine discrimination pour cause d'incapacité physique ou mentale. Nous ne sommes pas encore tout à fait sûrs de nous là-dessus. Notre cinquième recommandation suggère d'interdire toute procédure médicale ou diagnostique qui entraînerait la destruction d'un zygote, embryon ou foetus humain pour cause d'incapacité physique ou mentale. Encore une fois, nous préférerions que vous utilisiez le terme «foetus» pour refléter toute vie dans le sein de la mère.

En sixième lieu, nous recommandons que l'alinéa 4(1)j) soit modifié pour que l'on parle de «conserver un zygote, embryon ou foetus à l'extérieur du corps humain». En ajoutant le zygote et le foetus, nous pensons que cela refléterait plus exactement le fait qu'il s'agit d'un être humain avant la naissance.

Nous aimerions que vous réexaminiez l'alinéa 4(1)k). Bien qu'il soit louable d'interdire la fécondation d'un ovule à l'extérieur du corps humain pour les fins de recherche, nous craignons qu'une fois que le zygote aura été produit à l'extérieur de l'organisme humain pour d'autres fins, il puisse être utilisé pour la recherche. Nous craignons que l'on contourne ainsi l'objectif, valable en soit, du gouvernement.

Le paragraphe 5(4) qui vise à définir la mère porteuse nous laisse tout à fait perplexes, à vrai dire. Au paragraphe 6(1), nous approuvons sans réserve l'ajout de l'expression «tissu foetal», et nous suggérons de modifier le paragraphe 5(3) en supprimant les termes «n'est pas la mère porteuse». À notre avis, la maternité de substitution devrait être illégale au Canada.

La présidente: Merci. Vous avez fait quelque chose d'admirable aujourd'hui, surtout parce que vous l'avez fait en moins de 15 minutes. C'était superbe.

Mme Jeffs: Mais je n'ai pas fini.

La présidente: Il est donc possible de le faire en moins de 15 minutes.

Mme Jeffs: Effectivement.

La présidente: Merci.

Monseigneur.

[Français]

Son excellence monseigneur Bertrand Blanchet (Conférence des évêques catholiques du Canada): Je m'appelle Bertrand Blanchet et je prends la parole au nom de la Conférence des évêques catholiques du Canada. J'ai une formation en biologie et, pour bien utiliser le temps alloué, je lirai un résumé du mémoire qui vous a déjà été présenté.

.2040

La Conférence des évêques du Canada se réjouit de l'occasion qui lui est offerte d'analyser le projet de loi C-47 et de soumettre ses commentaires. Ce projet de loi traite de questions fondamentales qui préoccupent beaucoup les Canadiens et Canadiennes car il se rapporte à l'origine et au respect de la vie, à la dignité humaine et à la protection des personnes vulnérables.

La Conférence félicite le gouvernement pour le dépôt d'une loi qui non seulement remplace le moratoire volontaire par une loi impérative, mais prohibe aussi un plus grand nombre d'usages des techniques de reproduction. L'interdiction de pratiques déshumanisantes - je crois qu'on en énumère 13 dans le projet de loi - démontre un authentique respect de la vie et de la dignité humaine, particulièrement celle des femmes, ainsi que des valeurs de la population canadienne.

Tout en approuvant l'interdiction de ces formes d'utilisation des technologies énumérées dans le projet de loi, la CECC demande que celui-ci soit modifié de manière à interdire toute atteinte à l'intégrité ou à la dignité de la vie humaine à quelque stade que ce soit du développement prénatal.

Par rapport au projet de loi, la préoccupation première de la Conférence a trait aux interventions qui pourraient porter atteinte à la dignité ou à l'intégrité de la vie humaine, qu'il soit question de zygotes, d'embryons ou de foetus. La majeure partie des professionnels du droit, de la santé et de l'éthique font valoir que l'être humain existe dès le moment de sa conception. Pour sa part, l'Église catholique croit que nous avons reçu la vie de Dieu, qui nous a créé à son image, et que par conséquent la vie humaine et sa dignité doivent être protégées et respectées dès le commencement. Ce principe fondamental de respect et de promotion de la vie humaine dès son commencement a d'évidentes ramifications dans certaines parties du projet de loi.

Je soulève ici quelques préoccupations particulières. Nous souhaitons que dans l'article du projet de loi portant sur les définitions, l'expression «être humain» remplace celle d'«organisme humain» pour définir «embryon, foetus ou zygote». Deuxièmement, le préambule et les objectifs devraient mentionner l'intérêt que porte le Parlement du Canada à la protection de la vie humaine à toutes les étapes de son existence.

À l'alinéa 4(1)b), on nous signale que l'expression «susceptible de différenciation» peut avoir une portée trop large. C'est un peu ce que rapportait Mme Scorsone tout à l'heure et je ne reprendrai pas son propos.

Les notes explicatives accompagnant le projet de loi indiquaient que celui-ci interdirait la recherche sur les embryons humains 14 jours après la conception. Le projet de loi ne semble pas confirmer explicitement cette intention. Quoi qu'il en soit, la CECC recommande vivement que le Parlement modifie le projet de loi de sorte que toute recherche ou expérimentation sur des zygotes, des embryons ou des foetus soit interdite, à moins que celle-ci ne soit manifestement thérapeutique et à la condition qu'aucune autre forme de thérapie ne soit possible. Une intervention non thérapeutique ne respecte pas la dignité des êtres humains non encore nés et met leur vie en danger.

Le gouvernement mérite nos éloges pour l'alinéa 4(1)k) qui interdit, pour fins de recherche, la fécondation d'un ovule à l'extérieur du corps humain. Mais qu'est-ce qui empêchera qu'un zygote produit pour une fécondation in vitro ne devienne objet de recherche?

Dans la pratique de la fécondation in vitro, le nombre d'embryons est souvent supérieur à celui qui est requis pour une implantation dans le sein maternel. Sans aucunement approuver la fécondation in vitro, mais désireux d'en limiter les préjudices, nous demandons que le projet de loi soit modifié afin d'interdire la création et la congélation d'embryons surnuméraires. Pensons à ce qui s'est passé en Angleterre, le 1er août 1996, quand on a détruit plus de 3 300 embryons congelés. L'expérience anglaise n'enseigne-t-elle pas qu'il faudrait suspendre immédiatement la production et la congélation d'embryons en surplus?

Les partisans de la fécondation in vitro eux-mêmes ne devraient-ils pas mettre l'accent sur la recherche de méthodes de congélation d'ovules ou d'autres techniques évitant le recours aux médications hyperstimulatrices de l'ovaire? La notion que le processus de fécondation in vitro rend tolérable la destruction d'embryons humains doit être extirpée.

L'alinéa 4(1)h) devrait être modifié pour faire mention du foetus.

Nous constatons avec satisfaction que l'article 6 interdit de commercialiser un ovule, du sperme, un zygote, un embryon ou un foetus. Toutefois, le tissu foetal devrait être ajouté à cette liste.

Nous sommes étonnés que l'article 11 stipule qu'aucune poursuite pour infraction à la loi ne peut être intentée sans le consentement du procureur général du Canada ou de son représentant. Cette disposition, qui prête flanc à l'ingérence politique et à des divergences dans l'application de la loi, jette un doute sur l'engagement du gouvernement à interdire ces techniques de reproduction déshumanisantes.

.2045

Notre participation au débat public ne signifie pas que nous approuvons toutes ces techniques de reproduction artificielle autorisées par la loi, mais nous savons que le point de vue de l'Église n'est pas universellement partagé et nous espérons que notre participation ici contribuera à ce que le projet de loi soit vraiment accepté et aussi à valoriser la vie humaine.

Il y a par ailleurs une incohérence qu'on veut souligner. Le gouvernement se propose de protéger le zygote et l'embryon, mais il n'y a à l'heure actuelle aucune protection accordée au foetus. J'ai assisté récemment au symposium de bioéthique du Conseil de l'Europe et on a été pris avec cette même incohérence. On se disait que même si la plupart des pays du Conseil de l'Europe acceptaient l'avortement, il fallait quand même affirmer la nécessité de protéger le zygote et l'embryon, ce que la loi veut faire, et on en est heureux. Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup. Madame Picard.

[Français]

Mme Pauline Picard: Je voudrais remercier nos derniers témoins. Leur exposé était fort intéressant et j'en ai pris bonne note. J'ai trouvé que les valeurs exposées au niveau de l'éthique étaient très encourageantes. Il est toujours très rassurant d'entendre parler du respect et de la dignité humaine. Puisque tout était clair, je suis très heureuse et je n'ai aucune question à poser.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup, je vous en suis reconnaissante.

Monsieur Epp, avez-vous des questions à poser à nos témoins?

M. Ken Epp (Elk Island, Réf.): Moi aussi, j'aimerais exprimer notre gratitude à nos témoins.

J'ai une question à poser. Votre démarche semble axée plutôt sur les aspects moraux ou spirituels. Je n'ai pas entendu la totalité de votre exposé, madame Rozell Scorsone, et je n'en ai pas non plus un exemplaire.

Mme Rozell Scorsone: Est-ce que ce sera distribué?

La présidente: Oui.

Mme Rozell Scorsone: En fait, c'était assez technique.

M. Ken Epp: D'après ce que j'ai entendu, effectivement.

Je m'adresse à vous tous, j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'idée d'en faire un élément du processus décisionnel à la Chambre des communes. Je pense à la façon dont tout cela affecte les Canadiens.

Mme Jeffs: Excusez-moi. Pouvez-vous répéter ce que vous avez dit au début au sujet...

M. Ken Epp: Je résume ma question: est-ce qu'une dimension spirituelle a sa place dans nos discussions lorsque nous prenons des décisions de ce genre?

Mme Jeffs: Vous voulez répondre?

Je ne vois pas vraiment de dimension spirituelle à mon intervention, mais je suis tout à fait disposée à répondre sur le plan éthique ou sur d'autres plans.

M. Ken Epp: Éthique, spirituel.

Mme Rozell Scorsone: Comment la Chambre des communes peut-elle travailler sans aucune considération déontologique? Pour avoir une opinion fondée sur des considérations éthiques, il n'est pas nécessaire de partager exactement la même cosmologie ou d'être d'accord sur tous les détails d'un système religieux ou même d'un climat spirituel. Mais c'est un élément qui a toujours sa place dans la législation.

Tout ce que fait la Chambre des communes a une connotation éthique et morale. Quand vous prenez des décisions sur l'aide étrangère, quand une municipalité prend une décision au sujet de la signalisation routière, dans tous ces cas-là on se fonde sur certaines valeurs en ce qui concerne la vie et la dignité humaine, on accorde une valeur particulière à certains éléments. Et avec le temps, tout cela finit par constituer un ensemble de postulats moraux et, bien que nous ayons tous des antécédents différents, la Chambre des communes est là pour défendre les intérêts de l'ensemble de la population, pour trouver un point d'équilibre entre ces différents intérêts et ménager un consensus véritable.

M. Ken Epp: Merci d'avoir répondu à la question que j'aurais voulu poser. Vous l'avez rendue beaucoup plus claire.

Mme Jeffs: Vous permettez? J'espère pouvoir répondre à votre question. Si je dis cela, c'est en pensant au travail d'éducation que je fais pour le mouvement pro-vie. Nous considérons que nous sommes une association de défense des droits de la personne, et les gens qui ne sont pas d'accord avec nous nous accusent souvent de spiritualité ou de religion, et ce genre de choses doit nous remettre à notre place, ou du moins c'est l'intention.

.2050

Je vous prie de m'excuser, je suis certaine que ce n'était pas votre intention. Cette notion du droit à la vie, de respect pour la vie humaine... «Le droit à la vie», c'est une expression qui vient directement de notre Charte. À mon avis, nos lois sont le reflet de notre Charte et de nos valeurs déontologiques, elles expriment le respect que nous avons pour chaque vie humaine. Voilà la dimension importante de notre intervention.

Évidemment, dans notre société il y a également une dimension spirituelle. Toutes ces questions ont beau être à la mode en 1997, elles ne peuvent être envisagées sans tenir compte de ce que les gens pensent dans l'ensemble du pays. Cela comporte de nombreux éléments, considérations ethniques, moralité, spiritualité, considérations biologiques et scientifiques, etc.

[Français]

Mgr Blanchet: J'aimerais ajouter un autre élément de réponse. À titre de comparaison, il est intéressant de considérer par exemple la Charte des droits des Nations unies. Si on avait essayé de faire une entente sur les différentes conceptions de l'être humain qui sont sous-jacentes à ces droits, je crois qu'on n'y serait jamais arrivé. Par ailleurs, chacun arrivant avec sa perspective propre, son anthropologie, si je puis dire, on est quand même arrivé à des précisions qui respectent dans l'ensemble les visions de l'être humain qui sont sous-jacentes.

Il est évident que dans une société pluraliste, il faut présenter des lois qui vont être acceptables à la majeure partie par la population. Si une loi, parce qu'elle présente des visions de l'être humain qui sont inacceptables à une portion d'entre elle, était adoptée, on n'arriverait pas à la faire respecter, bien sûr.

Par ailleurs, en termes de spiritualisation, que fait l'Évangile? De mon point de vue, il veut humaniser la vie, humaniser l'être humain. Saint Irénée disait autrefois que la gloire de Dieu, c'est l'être humain vivant. Alors, tout ce qu'on demande, c'est que ce qui touche la reproduction humaine soit proprement humain. Et à cet égard, il y a une dimension culturelle, une dimension symbolique qui va s'exprimer différemment suivant les conceptions religieuses, mais qu'il est quand même important de maintenir.

[Traduction]

M. Read: J'aimerais ajouter quelque chose. Tout à l'heure, j'avais l'air de chercher mes mots, mais ce que je trouve admirable dans ce projet de loi, dans son préambule, c'est qu'on n'essaie pas de considérer cela comme une question purement technique ou financière. Ce projet de loi témoigne de la signification profonde de l'être humain, et également des liens qui existent entre tous ces gens qui vivent ensemble, entre les individus, entre les membres de la communauté. Je pense donc moi aussi que cela est axé sur des valeurs profondément morales, et d'autres personnes l'ont observé également.

D'autre part, j'ai eu l'occasion de discuter avec des collègues de la position que nous pourrions adopter. Nous pourrions faire des aveux, par exemple, et déclarer: pour ma part, cela vient d'une conviction profonde en ce qui concerne la dignité de la vie humaine, et cette conviction est ancrée dans des considérations théologiques.

Je considère que c'est un privilège considérable de pouvoir parler sur la base de ces considérations spirituelles et théologiques sans avoir le sentiment d'enfreindre un tabou, mais à mon avis, les législateurs sont là pour trouver le point d'intersection de toutes ces opinions morales, un point qui existe j'en suis convaincu.

M. Ken Epp: Maintenant je peux vous avouer pourquoi j'ai posé cette question piège. Je suis convaincu que notre réalité morale et spirituelle est aussi importante que notre réalité physique. C'est la raison pour laquelle je viens de vous donner l'occasion d'exprimer des convictions que je partage profondément.

Combien de temps me reste-t-il?

La présidente: Rien du tout.

M. Ken Epp: D'accord, je cède la parole.

La présidente: Madame Parrish.

Mme Carolyn Parrish: Je tiens à remercier Mme Rozell Scorsone pour un exposé particulièrement éclairé et rapide. J'aimerais vous emmener à la maison, vous me seriez très utile pour tous les rapports que je suis en train de rédiger. Je tiens aussi à vous remercier pour toutes les années que vous avez consacrées à la commission.

Je pense que ce sont des gens comme vous qui ont rendu possible un résultat qui est acceptable pour vous tous, et tous les trois, grâce aux encouragements de M. Epp, avez brossé un tableau très fidèle des difficultés d'un organe législatif comme celui-ci. En effet, nous devons trouver des solutions qui fonctionnent non seulement sur le plan scientifique, mais qui tiennent compte également des valeurs morales et des opinions du public canadien. Pour moi, c'est un véritable soulagement car les deux premiers groupes de témoins étaient des chercheurs purs, et ils jugeaient les choses uniquement sur le plan scientifique.

Je pense à un monsieur en particulier, un monseigneur qui travaille dans un hôpital au Québec. J'ai essayé de le pousser dans ses retranchements, je lui demandais s'il y avait des prêtres dans leur conseil d'administration, parce que pour eux, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il m'a répondu que non. L'idée qu'on puisse prendre un zygote de 16 jours, qu'on puisse le triturer n'importe comment avant de l'écraser d'un coup de pouce, c'est une image que j'ai trouvée particulièrement choquante.

.2055

Indépendamment de cela, je ne dois pas me laisser influencer par mes propres opinions morales, et vous nous avez rappelé à quel point il est important lorsque nous adoptons des lois de tenir compte des désirs de la population. Plus tôt nous avons entendu des parents, nous avons entendu des chercheurs, nous vous avons écoutés également, et tout cela est pour nous une expérience remarquable. Mais en fin de compte, je suis heureuse de terminer avec des témoins comme vous, car vous répondez à des questions qui nous ont été suggérées par ceux qui vous ont précédés: les valeurs dont nous témoignons sont les valeurs de qui? À mon avis, ce sont vos valeurs dont nous témoignons, et je vous en remercie.

La présidente: Merci beaucoup, madame Parrish.

Quelqu'un d'autre, monsieur Volpe.

[Français]

M. Joseph Volpe (Eglinton - Lawrence, Lib.): Merci, monseigneur, pour votre présentation. Mme Picard a déjà posé toutes les questions que j'avais. Je voudrais alors faire un commentaire que vous aimerez peut-être commenter à votre tour.

[Traduction]

Certains d'entre vous ont exprimé des réserves. En fait, vous avez exprimé des réserves au sujet de la législation et vous, madame, vous êtes allée plus loin, vous avez exprimé des réserves bien précises. Si le comité se trouvait dans l'impossibilité de donner suite à toutes les observations, est-ce que vous nous recommanderiez tout de même d'adopter le projet de loi?

Une voix: Oui, faites tout votre possible.

Monseigneur Blanchet: Pour ma part, je vous recommande fortement de l'adopter.

[Français]

Pour ma part, si j'avais une recommandation parmi toutes celles que j'ai faites à laquelle je tiendrais davantage, ce serait celle qui touche la congélation d'embryons. Encore une fois, je soulève le fait que j'ai eu l'occasion d'assister à un symposium de bioéthique du Conseil de l'Europe. Après de longues discussions d'au-delà de trois jours, on est arrivés à une sorte de consensus qui était à peu près le suivant: il faudrait en arriver à des techniques qui nous amènent à stimuler beaucoup moins les femmes pour qu'elles produisent des ovules, à produire moins d'embryons pour qu'on soit obligé d'en implanter moins et pour qu'on ne soit pas obligé d'en congeler et d'en détruire. Il y avait vraiment un consensus à cet égard. Si j'avais un souhait à faire, c'est qu'en restreignant certaines de ces pratiques par la loi, on suscite une meilleure recherche afin qu'on fasse les choses de façon moins dommageable pour les embryons et pour les femmes.

[Traduction]

M. Read: Même sans les changements qui nous semblent justifiés, nous considérons que cette loi serait tout même admirable. Ce que je n'ai pas eu le temps de dire tout à l'heure, c'est qu'à notre avis, cette mesure est un élément d'un ensemble qui va beaucoup plus loin. Nous attendons avec impatience d'autres mécanismes réglementaires dans un domaine où ils sont rendus nécessaires par de nouvelles technologies. Comme je l'ai dit, il faut souhaiter que ces autres mécanismes auront le même respect pour la dimension humaine.

Mme Jeffs: J'aimerais faire une remarque. Le paragraphe 7(3) nous préoccupe particulièrement nous aussi. Il est formulé comme suit: «Il est interdit d'utiliser un zygote ou un embryon aux fins de recherches.» Nous recommandons de supprimer complètement les mots «aux fins de recherche».

Lorsqu'il s'agit de consentement, nous ne pouvons pas nous empêcher de penser à toutes ces atrocités qui remontent au Code de Nuremberg et qui se sont produites partout au monde. Ces incidents nous ont rendus plus conscients de la recherche et des expériences faites sur les êtres humains. Nous avons de vives réserves au sujet du paragraphe 7(3) qui dit ceci: «aux fins de recherches ou d'implantation dans le corps d'une femme sans avoir obtenu, pour l'utilisation visée, le consentement des donneurs de l'ovule ou du sperme qui en sont à l'origine».

Comment consentir à des expériences sur un être humain? Cela me préoccupe beaucoup. Comment agir dans l'intérêt de la justice et de la bienfaisance sans protéger ces débuts de vie humaine? Nous recommandons que l'article soit modifié par suppression des mots «aux fins de recherche».

M. Joseph Volpe: Je vous demande pardon; c'était une question injuste.

Mme Jeffs: Mes cinq minutes sont écoulées.

[Français]

M. Joseph Volpe: Y a-t-il du mérite dans la position que la communauté scientifique nous a présentée à plusieurs reprises, et nous présentera sans doute à nouveau, voulant qu'il y ait des occasions où il soit bien justifié de se prêter à des expérimentations?

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[Traduction]

Mme Rozell Scorsone: Je pense qu'il y a beaucoup d'autres façons d'aborder les questions scientifiques valables qui sont soulevées. Par exemple, dans le cas de la dystrophie musculaire, on peut faire proliférer des cellules musculaires. Dans le cas de la fibrose kystique, on peut travailler avec des cellules qui proviennent des poumons. On peut les faire proliférer dans le labo et faire beaucoup de travail sans reproduire tout le génome humain.

J'ai été très bouleversée d'entendre les gens dire que le clonage des êtres humains, la création d'une Dolly humaine, serait acceptable. Franchement, je n'ai pas de problème avec les moutons, mais j'ai beaucoup de mal à accepter le clonage des êtres humains. J'ai entendu des gens à la télévision dire qu'il faut faire cela afin de trouver les moyens de guérir certaines maladies. Je n'arrive pas à penser à une justification de cette pratique. Je pense plutôt que ceux qui veulent faire ces choses pour faire avancer leur propre recherche invoquent ces raisons pour qu'on ne les empêche pas de faire ce qu'ils veulent faire, si vous me suivez. Ils évoquent des résultats merveilleux sans expliquer comment de telles pratiques peuvent servir à y parvenir.

Il est possible de faire du travail à partir des lignées cellulaires, des tissus reproduits et des modèles animaux. Il est possible qu'à un moment donné il y ait quelque chose que l'on puisse apprendre uniquement grâce au clonage des êtres humains. On pourrait apprendre beaucoup de choses si on faisait des expériences à double anonymat avec des êtres humains, comme on en fait avec des rats, qu'on sacrifie, ou avec des moutons ou même des singes. Mais on n'en fait pas avec les êtres humains. Nous savons qu'on ne saura jamais certaines choses, parce que la fin ne justifie pas les moyens. Le clonage des êtres humains est justement un de ces cas- là.

Lorsqu'il est question du génome humaine complet, qui correspond à un être humain même à un niveau très rudimentaire, il est question d'un être humain. Si on veut le traiter avec respect, si on veut le traiter comme une entité humaine, il ne suffit pas de s'en faire un cas de conscience et de se confondre en belles paroles à son égard, pour ensuite dire que certaines choses sont permises et d'autres ne le sont pas. En y mettant du sien, on peut parvenir au but souhaité par d'autres voies. Selon moi, il n'y a vraiment rien qui nous échappera si nous procédons d'une autre façon.

M. Joseph Volpe: La réponse à ma question est donc non.

La présidente: Je tiens à remercier tous nos témoins. Comme ma collègue, Mme Parrish, je suis heureuse de clore cette longue journée avec ce groupe, qui a un sens de l'humour.

Je m'excuse de ne pas vous avoir reconnu tout de suite quand vous êtes entré, monsieur Epp. Vous êtes arrivé au beau milieu d'une discussion très intéressante.

M. Ken Epp: Je suis tout petit. On ne me voit jamais arriver.

La présidente: C'est exact. On ne le voit ni arriver ni sortir.

Nous vous remercions tous. Nous vous sommes très reconnaissants de votre participation.

La séance est levée.

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