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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 10 avril 1997

.1540

[Traduction]

La présidente (Mme Bonnie Hickey, St. John's - Est, Lib.): Nous pouvons commencer.

Bienvenue au comité. Nous allons commencer immédiatement. Voilà la procédure que nous voudrions suivre: vous disposerez de cinq minutes chacun pour présenter votre mémoire, et pour ma part, j'essaierai de vous en tenir à cinq minutes. J'ai l'intention de surveiller l'horloge et je vous préviendrai si vous dépassez le temps qui vous est imparti. Nous allons commencer à ma gauche et faire le tour, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Je vous invite tout d'abord à indiquer votre nom et celui du groupe ou de l'organisation que vous représentez. Après les exposés, nous ouvrirons la période des questions pour ceux qui seront là. Vers 17 h 30, nous devrons partir pour un vote. Nous allons sans doute être obligés de faire ce que nous avons fait hier soir, c'est-à-dire que nous nous répartirons en deux groupes de deux; deux personnes partiront, et deux personnes resteront. Si nous avons la possibilité de faire cela, nous poursuivrons les audiences du comité entre-temps; sinon, nous allons devoir interrompre la séance et revenir par la suite.

Quelqu'un pourrait-il proposer que le coût du déjeuner d'hier soit à la charge du comité?

Mme Carolyn Parrish (Mississauga-Ouest, Lib.): Je dois partir à 18 heures.

La présidente: Quelqu'un pourrait-il proposer une motion pour le paiement du déjeuner d'hier?

Mme Carolyn Parrish: Non, je ne propose pas de motion. Si moi je ne reste pas, vous ne mangerez pas.

La présidente: Attendez; hier soir nous aurions dû proposer une motion...

Mme Carolyn Parrish: Je propose la motion pour le repas d'hier.

La présidente: Merci infiniment.

Mme Carolyn Parrish: De rien.

La présidente: Nous préférons manger d'abord, et payer après.

[Français]

Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): Je ne pourrai pas rester, même pour le vote, parce que j'ai une activité dans ma circonscription ce soir. Donc, je resterai jusqu'à 17 h 15.

[Traduction]

La présidente: Nous avons réglé les questions administratives. Je demanderais donc à la personne assise à ma gauche de présenter son mémoire. Merci.

[Français]

Mme Tamra L. Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien): Merci, madame la présidente.

[Traduction]

Je m'appelle Tamra Thomson. Je suis directrice de la législation et de la réforme du droit pour l'Association du Barreau canadien. Je suis accompagnée aujourd'hui du professeur Timothy Caulfield de l'Université de l'Alberta.

L'Association du Barreau canadien est une association nationale qui représente plus de 34 000 juristes d'un bout à l'autre du Canada. Nous sommes ravis d'avoir l'occasion de comparaître devant le comité qui étudie le projet de loi C-47. Le mémoire que nous vous présentons aujourd'hui a été préparé par la section nationale du droit de la santé, conjointement avec la Section nationale du droit constitutionnel et des droits de la personne, la Section nationale du droit pénal et du droit de la famille, et le Comité permanent sur l'égalité des sexes.

Les principaux objectifs de l'Association sont l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. Voilà donc le contexte des remarques que nous allons formuler aujourd'hui. J'invite maintenant le professeur Caulfield à vous présenter nos arguments détaillés au sujet du projet de loi.

M. Timothy Caulfield (membre, Section nationale sur le droit de la santé, Association du barreau canadien): Merci.

Je voudrais tout d'abord remercier l'Association du Barreau canadien et le gouvernement de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui d'aborder le projet de loi C-47 et les nombreuses questions qu'il soulève. Je voudrais également remercier mes coauteurs et collègues, Marie Hirtle et Sonia Le Bris, pour l'excellent travail qu'elles ont accompli dans le cadre de ce projet.

Comme les membres du comité l'auront certainement déjà entendu à maintes reprises, nous vivons à une époque de progrès médicaux et scientifiques des plus exaltants. Mais ces progrès qui continueront sans doute à se réaliser dans le domaine de la génétique et des techniques de reproduction soulèvent en même temps un certain nombre de questions fondamentales fort complexes. Nous nous devons donc de féliciter le gouvernement de s'être attaqué à ces questions complexes qui constituent, et continueront de constituer un défi de taille.

Comme l'a dit un commentateur, la recherche et les techniques génétiques représentent de puissantes forces du changement. Or le droit est un moyen de maintenir la stabilité. En se heurtant, ces deux forces entrent nécessairement en conflit. Je pense que nous avons, dans le projet de loi C-47, de nombreux exemples de ce conflit. En réalité, bien que le projet de loi C-47 expose bon nombre des difficultés fondamentales que présentent les nouvelles techniques, il le fait souvent de façon maladroite et inappropriée. Par conséquent, même si nous favorisons et encourageons l'élaboration de mécanismes réglementaires, nous vous invitons respectueusement à réexaminer cette mesure législative à la lumière de nos recommandations et d'un certain nombre de principes généraux que je vais vous présenter maintenant.

.1545

D'abord, le gouvernement doit justifier et expliquer le recours aux sanctions pénales que prévoit le projet de loi, et ce en tenant compte des considérations suivantes:

Premièrement, le principe important, voire même primordial, de l'autonomie individuelle. Ce principe revêt une importance particulière pour les décisions qui sont prises relativement aux techniques de reproduction.

Deuxièmement, l'inflexibilité inhérente des mesures criminelles, notamment en ce qui concerne la recherche scientifique.

Troisièmement, le manque de consensus concernant bon nombre des actes prohibés. C'est le cas de la plupart des actes prohibés du projet de loi C-47, allant de l'indemnisation des donneurs de sperme aux thérapies de cellules germinales.

Quatrièmement - l'effet important de dissuasion de cette mesure législative sur la recherche et les thérapies valables.

De plus, le gouvernement devrait expliquer les raisons pour lesquelles un régime réglementaire plus souple ne permettrait pas de répondre aux objectifs de la politique que souhaite établir le gouvernement par le biais de ce projet de loi. Il devrait évidemment le faire avant de prévoir des sanctions criminelles aussi sévères.

Enfin, je voudrais attirer votre attention sur les nombreux problèmes de formulation qui sont exposés dans notre mémoire et qu'il faut également régler.

Je comprends que le comité doit se sentir frustré par tout cela. Il reste que le Canada qui, à mon sens, a acquis une certaine expertise dans ce domaine, a maintenant l'occasion de profiter de l'expérience d'autres pays et d'élaborer une politique sur les techniques de reproduction humaine et de manipulation génétique qui soit éclairée, nuancée et judicieuse. C'est une question importante, et il convient par conséquent de bien faire les choses dès le départ.

Merci infiniment. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente: Merci. Madame Majury.

Mme Diana Majury (membre, Groupe de travail sur les questions de santé et de reproduction, Association nationale de la femme et du droit): J'enseigne à la Faculté de droit de l'Université Carleton à Ottawa. Ma collègue, Diana Ginn, enseigne à la Faculté de droit de l'Université Dalhousie à Halifax. Nous sommes les porte-parole de l'Association nationale de la femme et du droit, un organisme national à but non lucratif composé d'avocates, d'étudiantes en droit, d'universitaires spécialisées dans le droit, et de juges qui favorisent l'égalité des femmes par le biais de la défense des droits des femmes, de la réforme du droit, de la recherche et de l'éducation.

L'ANFD s'intéresse depuis longtemps aux questions touchant les techniques de reproduction et de manipulation génétique et défend vivement les droits des femmes dans ce domaine. Nous sommes donc ravies d'avoir l'occasion de réagir au projet de loi et au document intitulé Fixer des limites et protéger la santé, qui cadrent évidemment avec notre mandat, à savoir les femmes et le droit. Nous espérons d'ailleurs qu'on accordera une attention particulière à l'ensemble des éventuels effets du projet de loi sur la vie des femmes, et notamment sur celles qui sont doublement ou triplement désavantagées en raison d'un handicap, de leur race, de leur orientation sexuelle, ou de leur classe sociale.

J'aimerais maintenant passer rapidement en revue avec vous le préambule et l'objet du projet de loi en vous exposant nos préoccupations concernant la possibilité d'un recours excessif au droit criminel. Ma collègue Diana va ensuite expliquer la nature précise de nos préoccupations et faire quelques observations au sujet du document intitulé Fixer des limites et protéger la santé.

En ce qui concerne le préambule et l'article explicitant l'objet du projet de loi, c'est-à-dire l'article 3, nous acceptons et appuyons de façon générale les sentiments exprimés dans le préambule et à l'article 3, mais à notre sens, ces deux dispositions devraient être renforcées. Le concept de la dignité humaine est extrêmement important, et nous trouvons positif qu'on les mentionne de façon explicite dans le préambule et l'article qui précise l'objet de la loi. Il reste que ce concept est assez vague dans le contexte du droit canadien.

Par contre, nous élaborons progressivement une jurisprudence substantielle sur les questions d'égalité au Canada. Nous recommandons par conséquent que la clé de voûte explicite du projet de loi et de ses prémisses soit justement le concept de l'égalité. Nous proposons donc l'adjonction, au préambule et à l'article 3, d'une déclaration qui préciserait que le principe de l'égalité est le fondement même du projet de loi.

La reconnaissance explicite de l'incidence potentielle du projet de loi sur les femmes et les enfants est également très importante. Nous estimons cependant que d'autres groupes au sein de la société seront sensiblement touchés par ce projet de loi, et nous proposons par conséquent qu'on fasse référence à ces autres groupes dans le préambule et l'article 3. Nous songeons tout particulièrement aux personnes handicapées, de même qu'aux groupes raciaux et aux personnes défavorisées sur le plan socio-économique.

.1550

Pour ce qui est du recours au droit criminel, bien que nous acceptions la criminalisation de certaines pratiques énumérées dans le projet de loi, nous estimons que d'autres pratiques que vise cette mesure devraient faire l'objet d'autres formes de réglementation. Il faut faire preuve d'une grande prudence dans ce domaine et ne recourir au droit criminel que lorsqu'il n'existe aucune autre solution. Dans ce contexte, il convient de prêter une attention particulière à l'incidence de la criminalisation sur l'autonomie de la femme en matière de reproduction.

Généralement, utiliser le droit criminel comme moyen de réglementation n'est guère efficace dans de nombreuses situations. Il s'agit au contraire d'une méthode extrêmement lourde, inflexible et invasive. Elle présente par ailleurs le risque que bon nombre de ces actes soient pratiqués clandestinement. Elle pose également d'énormes problèmes d'application de la loi - le droit criminel actuel pose déjà d'énormes problèmes d'application, et cette mesure ne fera qu'aggraver ces difficultés. Enfin, le droit criminel a tendance à être appliqué plus sévèrement à l'endroit des membres les plus défavorisés de notre société, c'est-à-dire les femmes, les groupes raciaux, et les pauvres.

Criminaliser de nouveaux actes qu'il vaudrait mieux réglementer serait tout à fait contraire à l'orientation actuelle du droit criminel. De façon générale, nous mettons de plus en plus l'accent sur la déjudiciarisation et la justice réparatrice.

Diana va maintenant vous expliquer en détail les différents éléments du projet de loi qu'il faut conserver ou éliminer.

Mme Diana Ginn (membre, Groupe de travail sur les questions de santé et de reproduction, Association nationale de la femme et du droit): Nous sommes particulièrement préoccupées par la criminalisation de certains actes, les tests de diagnostic visant à déterminer le sexe du foetus, les contrats de maternité de substitution ou de grossesse, et la vente ou l'achat de gamètes, de zygotes et de foetus. Nous tenons à vous faire remarquer que même si nous ne cautionnons pas de tels actes, à notre avis, il existe des moyens plus efficaces de limiter leur pratique, notamment le régime de réglementation et de délivrance de permis. Autrement dit, le fait de ne pas pratiquer de tels actes pourrait devenir une condition préalable à l'obtention d'un permis, de même que le fait de les pratiquer pourrait faire perdre à un médecin ou à une clinique le permis qui est délivré par les autorités réglementaires. Nous recommandons également que les administrations provinciales et territoriales soient encouragées à adopter une loi qui forcerait les professionnels de la santé à prendre des mesures disciplinaires à l'endroit de leurs membres qui pratiquent de tels actes.

En ce qui concerne les contrats de maternité de substitution ou de grossesse, nous recommandons au gouvernement d'encourager les administrations provinciales et territoriales à modifier leurs lois afin que les contrats de grossesse ne soient pas exécutoires contre la mère utérine et que l'abandon de ces droits soit conforme aux modalités du régime d'adoption actuel.

Comme je vous l'ai déjà dit, nous ne sommes pas en faveur de ces pratiques, mais à notre avis, la criminalisation n'est pas le moyen le plus approprié ou efficace de régler de tels problèmes.

Nous accepterions la criminalisation d'autres interventions énumérées dans le projet de loi, que nous jugeons tout à fait répréhensibles, surtout que, dans ce contexte, il y a moins de risque que les choix qui s'offrent aux femmes en matière de procréation fassent l'objet de sanctions criminelles.

Nous recommandons également au comité d'ajouter une disposition à ce projet de loi pour préciser que toute intervention dans la grossesse d'une femme, sans son consentement, constitue un acte criminel. Et enfin, si certains actes vont faire l'objet de sanctions criminelles dans le cadre de cette mesure législative, nous espérons que le gouvernement prendra les mesures qui s'imposent pour renforcer son régime réglementaire en conséquence.

Pour aborder brièvement le régime prévu dans le document intitulé Fixer des limites et protéger la santé, nous sommes d'accord pour dire qu'un régime de délivrance de permis constitue le moyen le plus approprié de répondre aux nombreuses questions que soulèvent les nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique. Nous préconisons cependant la mention explicite, dans le projet de loi C-47, des principes directeurs de l'autonomie et de l'égalité. Encore une fois, nous recommandons que le gouvernement reconnaisse de façon explicite dans le projet de loi C-47 que les droits des femmes à l'autonomie ne sont aucunement diminués par la grossesse, de même que le droit commun et les lois sur le consentement au traitement ne sont nullement abrogés par la grossesse.

En ce qui concerne le principe de protection des personnes les plus vulnérables, nous convenons avec le ministère de la Santé qu'il faut inclure tous les groupes énumérés, mais nous aimerions ajouter à cette liste les gais et les lesbiennes. Nous souhaitons aussi que le gouvernement exprime, par le biais de cette mesure législative, sa volonté d'appuyer les personnes handicapées et de répondre à leurs besoins.

Enfin, pour ce qui est de la composition et des modalités de fonctionnement de l'organisme de réglementation, il va sans dire que ces éléments influenceront dans une très large mesure la façon dont ce dernier accomplira son travail. Nous recommandons par conséquent que les femmes et d'autres membres de groupes défavorisés soient bien représentés parmi les décideurs et le personnel de l'organisme proposé et que ces mêmes décideurs et employés aient de l'expertise dans le domaine du droit à l'égalité, des principes féministes, et de la prise de décisions en fonction de principes déontologiques.

.1555

Je dirais, pour conclure, que l'ANFD est ravie d'avoir eu l'occasion de vous faire part de ses vues sur la question. Nous sommes très contentes de voir que le gouvernement dépose un projet de loi dans ce domaine crucial. Toutefois, si le gouvernement décide de recourir au droit criminel, nous lui conseillons de faire preuve de la plus grande prudence, de s'assurer que les sanctions criminelles ne visent que les personnes pour qui cette méthode est vraiment la plus appropriée, qu'il s'engage de façon énergétique et explicite à respecter le principe de l'égalité, non seulement dans ce domaine, mais dans toute loi concernant l'organisme de réglementation. De plus, nous recommanderions que les femmes et les membres d'autres groupes défavorisés participent à part entière à l'élaboration du régime de réglementation.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup.

Madame McTeer, vous avez la parole.

Mme Maureen A. McTeer (à titre personnel): Je m'appelle Maureen McTeer. Je suis avocate et j'ai une maîtrise en droit de la santé de l'Institut du droit de la santé de l'Université Dalhousie, où Tim a également fait ses études. Ma thèse portait justement sur l'ensemble de ces questions, c'est-à-dire les structures réglementaires permettant de contrôler le recours aux techniques de reproduction et de génétique humaines. J'ai enseigné un cours sur la question à la Faculté de droit de l'Université de Calgary, et j'ai l'intention d'enseigner le même cours à la Faculté de droit de l'Université de la Colombie-Britannique à l'automne. J'ai également été membre de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction pendant deux années très mouvementées.

[Français]

Je vais faire mes remarques en anglais et il me fera plaisir de répondre aux questions qui suivront nos présentations.

[Traduction]

Dans son livre intitulé Treat Me Right, l'écrivain britannique, Ian Kennedy, écrit ce qui suit:

Donner des règles aux génies de la reproduction et de la génétique, voilà ce dont traite le projet de loi C-47. Son double défi est de s'assurer que les Canadiens profiteront au maximum de la recherche génésique et génétique sans perdre leur liberté et leurs droits individuels. C'est effectivement un défi de taille que d'autres pays du monde ont tout autant de mal à relever.

Il s'agit donc de savoir si le projet de loi C-47 établit cet équilibre délicat qui consiste à encourager la recherche scientifique et médicale dans ce secteur tout en protégeant les droits de la personne. À mon sens, la réponse est non, et ce pour plusieurs raisons.

D'abord, le projet de loi C-47 n'établit pas le contexte dans lequel les Canadiens, soit directement, soit par l'entremise du Parlement, pourront décider de quelle façon et pour quelles fins ces importantes techniques et interventions médicales et scientifiques seront employées. Or, en l'absence d'un contexte précis, on peut difficilement justifier l'intervention judiciaire dans la réglementation de ces techniques et pratiques.

Deuxièmement, sous prétexte de protéger la sécurité et la santé humaine, ce projet de loi propose de criminaliser la recherche scientifique et médicale, de même que les médecins, les scientifiques et les avocats, et d'infliger à nouveau des sanctions criminelles à certains choix que peuvent faire les femmes ou à certaines décisions qu'elles peuvent prendre en matière de reproduction.

Troisièmement, bien que l'objet de la loi, tel qu'il est énoncé dans le projet de loi C-47, est de garantir la non-commercialisation de la procréation et de certains actes génétiques, en réalité, cette mesure législative a l'effet inverse, puisqu'elle crée une nouvelle catégorie d'actes que je qualifierais de prostitution génésique.

Quatrièmement, ce projet de loi ne fait pas de distinction entre les techniques de reproduction et les techniques de manipulation génétique. À mon sens, il s'agit là d'un très grave défaut, étant donné que les techniques et pratiques génésiques posent des dangers de nature et d'une gravité différentes par rapport aux techniques de manipulation génétique, et appellent nécessairement des approches différentes. La première catégorie soulève surtout des questions de gestion, alors que la deuxième nous oblige à répondre aux questions difficiles qu'elle soulève pour protéger le public.

Cinquièmement, le projet de loi C-47 ne reconnaît pas la réalité constitutionnelle canadienne dans le domaine de la santé et n'en tient aucun compte. En cherchant à soumettre ces questions à l'autorité fédérale, par l'entremise du droit criminel, le gouvernement nie aux provinces le rôle constitutionnel légitime et nécessaire qu'elles ont à jouer dans la gestion et le contrôle de ces techniques et des personnes qui les emploient.

Comment donc peut-on espérer atteindre ce double objectif de l'optimisation des fruits de la recherche scientifique et médicale et de la protection des Canadiens? Voici donc mes propres recommandations à ce sujet.

D'abord, le point de départ de ce projet de loi doit être la création d'un organisme national, peut-être selon le modèle britannique, qui serait chargé de dégager des consensus et de prévoir un processus de discussion et de résolution de ces questions cruciales. Il aura besoin d'un mandat très large et de ressources humaines et financières suffisantes pour garantir que ces experts et ces non-spécialistes informés suivent sur une base quotidienne l'évolution de ce dossier.

Pourquoi commencer là? Eh bien, parce que ce débat ne concerne que partiellement les techniques proprement dites. Consacrer tout notre temps à l'élaboration de mesures législatives qui visent des techniques et interventions précises est parfaitement futile, à mon avis. À titre d'exemple, rappelons l'événement qui a déclenché le récent regain d'activité au sein du comité, à savoir le clonage d'une cellule adulte sous la forme de la fameuse Dolly, pratique qui n'est même pas visée par le projet de loi, tel qu'il est actuellement formulé.

.1600

Au lieu de se laisser obnubiler par les aspects répréhensibles et bizarres de ces technologies, il faut songer à élaborer une structure pour l'examen sérieux de ces techniques, à créer un mécanisme qui va permettre de prévoir leur développement et leur utilisation futures, et donner aux Canadiens l'occasion de conseiller les autorités appropriées sur ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.

Bref, ce projet de loi doit atteindre deux objectifs. D'abord, il doit créer un organisme national, financé par les deniers publics, qui serait composé de représentants gouvernementaux, d'experts et de non-spécialistes informés qui auraient pour mandat général d'élaborer des règlements, de faire de la recherche, de consulter et d'éduquer le public, et de proposer des politiques dans ce secteur. Deuxièmement, le comité doit s'assurer que ce projet de loi explicite les valeurs et les principes clés que nous souhaitons protéger. Bien entendu, certains d'entre eux sont évidents: la non-commercialisation de la vie humaine; l'élimination des normes et des définitions du droit des biens en ce qui concerne le commerce et la propriété du moment qu'il est question d'êtres humains et de substances humaines; l'égalité des femmes; l'intérêt des enfants qui viendront au monde au moyen de ces techniques; la protection du public; et l'accès de l'ensemble des Canadiens aux services médicaux. Tous ces principes nous amèneront de façon naturelle - sans vouloir prétendre que cela se fera sans controverse - à déterminer les limites juridiques qu'il est justifié d'imposer pour empêcher des abus potentiels et réels des fruits de la recherche scientifique et médicale. Voilà donc les paramètres de l'activité de cet organisme national et du Parlement.

Je vais vous donner un exemple, si vous permettez. Si nous acceptons que le corps humain, de même que les différentes parties et processus du corps humain, ne sont pas des objets commerciaux et ne peuvent pas être achetés ou vendus ou faire l'objet d'un brevet, nous pouvons également admettre que toute activité qui ne respecte pas ce critère est légalement inacceptable.

Cela nous permettrait, par exemple, de répondre à l'argument de ceux qui prétendent qu'il s'agit là d'une simple question de propriété. Ces derniers estiment que notre corps nous appartient et que nous devrions par conséquent avoir le droit d'acheter, de vendre ou de louer notre corps. Dans ce contexte, l'achat ou le commerce des humains, des parties de leur corps servant à la reproduction ou de la capacité procréative serait un simple choix individuel que la société en général, représentée par l'État, n'aurait aucunement le droit de contrôler. Si tel était le cas, les lois antiesclavagistes empêcheraient une personne qui voudrait se vendre de devenir esclave, et les lois qui empêchent la vente de bébés seraient considérées comme une limitation injustifiable à l'exercice des droits individuels.

Conformément à votre demande, j'ai inclus des projets de modification au projet de loi, tel qu'il est actuellement libellé, que je soumets à votre examen. Mais je me présente devant vous aujourd'hui pour vous exhorter à remanier de fond en comble ce projet de loi, plutôt que de simplement tenir compte des points que d'autres personnes et moi-même avons soulevés quand vous préparerez une version modifiée du projet de loi actuel. Dans sa forme actuelle, ce projet de loi est non seulement incomplet, mais nous amène à criminaliser des actes d'une manière qui est contraire au bon sens tout à fait inacceptable dans un pays qui s'enorgueillit de ses réalisations scientifiques et de son engagement vis-à-vis des droits individuels et des droits de la personne.

La présidente: Merci à tous nos témoins. Je passe directement à Mme Picard, qui va entamer la période des questions.

[Français]

Mme Pauline Picard: Bienvenue au Sous-comité sur le projet de loi C-47. Vos exposés ont été fort intéressants. J'aurais une question pour Mme McTeer.

J'ai trouvé que vous avez apporté des points très positifs. Cependant, je suis un peu embêtée par ce que vous dites. Actuellement, nous avons un projet de loi. À mon avis, il est très urgent d'agir sur certaines dispositions, surtout en ce qui a trait au clonage et à toutes les dispositions du projet de loi criminalisant les hybrides de l'humain et de l'animal.

On en parle depuis plusieurs années et il est urgent d'agir rapidement, à mon avis. Vous êtes dans le domaine et vous savez qu'à tous les jours, il y a une nouvelle technologie ou une technique plus avancée qui sort. Nous sommes presque dépassés, même par le sujet dont on parle actuellement. Donc, que suggéreriez-vous au comité en ce qui a trait au projet de loi C-47?

On ne peut pas commencer une autre étude qui va durer un an ou deux. Il faut se pencher sur certaines dispositions et, à mon avis, il est urgent de le faire. Que doit-on faire?

Mme McTeer: Je ne suggère pas qu'on fasse un autre rapport. Je pense qu'on a dépensé suffisamment de temps et d'argent. Il est un peu triste qu'à deux semaines du déclenchement des élections, on soit en train d'étudier ce genre de questions. Il ne faut pas se faire d'illusions: ce n'est pas un projet de loi qui sera adopté avant les prochaines élections.

.1605

Donc, vous avez la possibilité de créer la base d'un projet de loi futur. Si vous voulez travailler uniquement à ce projet de loi, vous pouvez faire certaines choses. Vous avez bien raison de dire que cela fait des années que des groupes féministes et des groupes d'avocats d'un peu partout au pays travaillent à cela et demandent au gouvernement de réagir.

Je ne suis pas ici pour dire: Tuez ce projet de loi. Cependant, je suis avocate et je puis dire qu'il ne sert à rien d'adopter un projet de loi qui deviendra la loi du pays si, à la fin, cela n'aboutit à rien. Personnellement, je ne veux pas gaspiller le temps de quiconque, mais je pense qu'il faut être réaliste. Si c'est une loi qui, dès le premier jour, devra passer deux ou trois ans devant la Cour d'appel, cela ne vaut pas grand-chose.

Vous pouvez certainement y apporter des amendements pour au moins créer le mécanisme par lequel toutes les décisions devront être prises. Il ne s'agit pas seulement de la question de mettre un terme à deux ou trois techniques qu'on n'aime pas ou à des pratiques génétiques qu'on n'aime pas, parce qu'on ne peut les traiter à part. Celle-là est bien, celle-là est moins bien et celle-là, je ne l'aime pas ou ma mère ne l'aime pas. Il faut prendre cela au sérieux. Il faut avoir un contexte dans lequel nous pourrons réagir.

C'est pour cela que je crois qu'il est obligatoire de créer un mécanisme comme celui de la Grande-Bretagne. Il y a d'autres possibilités. Ce mécanisme devrait être suffisamment large pour nous permettre de dire: Dans ce contexte, comme gouvernement, nous disons que certaines choses seront carrément refusées comme sujets de recherche. On peut certainement inclure plusieurs choses, mais pas nécessairement dans le contexte du Code criminel.

Dans mes commentaires, j'ai fait quelques suggestions d'amendements possibles. Toutefois, il est d'important de savoir qu'il ne s'agit pas que de techniques. Les techniques, ce sont les outils. La question est plutôt de savoir comment nous allons nous assurer que nos valeurs et nos principes soient protégés et respectés et comment nous allons protéger ceux et celles qui sont vulnérables, comme les enfants à naître, etc.

Que ferez-vous demain, lorsqu'il y aura une autre technique que vous n'aimerez pas? Allez-vous vous présenter en Chambre et proposer d'autres amendements? Qui décide et dans quel cadre? C'est ce qui est important.

Je ne vous demande pas de tout jeter par terre, mais vous devez être réalistes et savoir que vous décidez maintenant de la base.

Mme Pauline Picard: Merci.

[Traduction]

La présidente: Allez-y.

Mme Majury: Merci.

Je comprends très bien que certaines personnes s'inquiètent de constater, surtout que des mesures semblent particulièrement urgentes dans ce secteur, que rien n'a été fait jusqu'à présent, mais à mon sens, il est tout aussi dangereux de s'illusionner sur l'utilité de ses actes que de craindre l'inaction. En voyant ces mesures, les gens ont tendance à croire qu'on a complètement réglé ce problème, alors que si nous n'avons pas de mécanisme d'application de la loi et sommes dans l'impossibilité de faire respecter ces mesures, je pense qu'on pourrait soutenir que l'action dans ce cas-ci aura été pire que l'inaction.

Le week-end dernier, j'étais dans un restaurant à Toronto où des gens fumaient tout autour de moi. Le restaurateur m'a dit qu'il informe ses clients qu'ils enfreignent le règlement quand ils décident de fumer, mais qu'il n'y peut absolument rien. La situation est maintenant beaucoup plus grave qu'elle ne l'était quand les restaurants avaient une section réservée aux non-fumeurs. Donc, quand nous adoptons des mesures extrêmes, les conséquences sont parfois plus graves que si l'on n'avait rien fait.

M. Caulfield: Je voudrais revenir sur le point que vous et Mme McTeer avez soulevé tout à l'heure, à savoir que la technologie évolue très rapidement et que tous les jours de nouveaux progrès techniques sont annoncés. Notre amie Dolly la brebis en est un excellent exemple. L'Australie et la Grande-Bretagne croyaient avoir prévu une interdiction on ne peut plus sûre et avant-gardiste du clonage. En fait, les mesures qu'elles ont adoptées ne visent même pas le type de clonage qui a permis de créer Dolly l'agneau. Donc, au lieu d'être un exemple de dispositions législatives avant-gardistes, ces mesures ont fourni la preuve que les sanctions criminelles ne sont pas nécessairement appropriées ou opportunes dans le contexte des techniques de reproduction et de manipulation génétique.

Merci.

La présidente: Madame Beaumier.

.1610

Mme Colleen Beaumier (Brampton, Lib.): Bon nombre des médecins qui ont comparu devant le comité sont d'avis que nous devrions leur laisser le soin de prendre les décisions à cet égard. En ce qui les concerne, ils devraient avoir le droit de décider de l'éthique professionnelle des médecins.

Vous parlez sans arrêt de Dolly. Par contre, aux États-Unis, ils ont réalisé le clonage de primates. Quand les responsables du FBI ont eu vent de tout cela, ils se sont empressés de détruire tous les dossiers et de faire entrer les choses dans l'ordre.

Ces propositions couvrent un champ très vaste. Êtes-vous en train de nous dire que ce projet de loi ne serait pas un bon point de départ, même s'il était modifié? En vous écoutant parler des différents problèmes qu'il présente, il me semblait que bon nombre d'entre eux concernaient surtout les autorités provinciales. Pensez-vous que ce projet de loi soit mauvais, même en tant que fondement ou pierre angulaire d'un nouveau régime?

M. Caulfield: Votre question s'adresse à moi?

Mme Colleen Beaumier: À n'importe qui.

M. Caulfield: Oui, car même si je respecte beaucoup les efforts du comité, j'estime que le projet de loi C-47 est un mauvais projet de loi. N'oublions pas qu'il s'agit d'un domaine particulièrement problématique. Bon nombre des prohibitions sont très précises. Je pense que plusieurs collègues vous ont déjà signalé que ces interdictions, au lieu d'exposer ou d'établir une série de principes, visent des actes précis qui représentent essentiellement le pire scénario. L'idéal serait d'élaborer une politique nationale, quel que soit le mécanisme reconnu. Deuxièmement, il y aurait des règlements. Ensuite, certains actes pourraient effectivement être frappés d'interdiction quand c'est absolument nécessaire et lorsqu'il existe un véritable consensus au sujet des mesures à prendre.

Mais dégager un véritable consensus dans un domaine comme celui des techniques de reproduction et de manipulation génétique est extrêmement difficile. Pour chacun des actes prohibés du projet de loi C-47, vous trouverez des Canadiens qui sont vraiment convaincus que ces actes, y compris le clonage et les thérapies de cellules germinales, ne devraient aucunement être frappés d'interdiction. En fait, les thérapies de cellules germinales ont récemment connu un regain de popularité. Certaines personnes dans le monde estiment que nous sommes à même - ou que nous le serons dans un avenir très rapproché - de profiter de l'application des thérapies de cellules germinales dans le cadre d'autres enquêtes scientifiques. Je peux ne pas partager leur point de vue, mais cela illustre bien l'évolution des normes scientifiques et sociales. Ce projet de loi ne peut être le fondement d'un régime apte à répondre à ce type de changements.

Comme je l'ai déjà dit à maintes reprises, je comprends très bien la frustration des gens. Nous avons eu une commission royale, dont les travaux étaient utiles, et qui a réuni une quantité impressionnante de données scientifiques et sociales qui peuvent servir. Je ne prétends pas qu'il faille partir de zéro, mais essayons tout de même d'agir sur cette problématique en profitant de l'ensemble des connaissances et des données qui existent dans ce domaine.

Mme Colleen Beaumier: J'aimerais bien entendre la réponse de nos autres témoins.

La présidente: Madame Ginn.

Mme Ginn: Je suis tout à fait d'accord avec Timothy Caulfield en ce qui concerne la nécessité d'élaborer une politique nationale et un régime de réglementation pour ce secteur.

Vous avez dit - à juste titre, d'ailleurs - que le premier projet de loi que nous adoptons dans ce domaine sera l'élément constitutif du régime qui va suivre. Il est donc clair que ce premier élément constitutif revêt une importance critique. Il aura tellement d'impact sur les autres composantes, que même si nous sommes d'accord avec vous tous pour dire que c'est une question très importante et que nous ne préconiserions jamais que le gouvernement traîne les pieds, simplement pour le plaisir, il est nécessaire d'avoir une idée très précise, dès le départ, des activités qu'il convient de criminaliser et de celles qui devraient plutôt être visées par des exigences d'octroi de licences. Ceci permettrait de prendre d'ores et déjà les mesures qui s'imposent pour établir ce régime.

Au début de vos remarques, vous avez dit que certains témoins, qui sont des médecins, d'après ce que j'ai pu comprendre, recommandent de laisser au corps médical le soin de réglementer ces activités. Je ne serais pas du tout en faveur d'une telle solution. Ces questions revêtent une trop grande importance pour nous, en tant que particuliers, et pour la société dans son ensemble pour qu'on permette à un segment ou un autre de la population d'en assumer la responsabilité exclusive. Il est vrai que cette question soulève un certain nombre de problèmes médicaux, mais ce qu'il faut surtout, c'est de l'expertise sur les questions d'éthique, d'égalité, etc. On ne peut pas se contenter de l'expertise du corps médical.

Nous avons besoin de législation complète dans ce domaine, mais comme c'est une question tellement critique, assurons-nous de donner suite aux recommandations qui vous ont été faites aujourd'hui dans cette même législation.

Mme Colleen Beaumier: Pourrais-je également demander à Mme McTeer de répondre?

Mme McTeer: Il y a tellement d'éléments importants, qu'il est toujours difficile de savoir par quoi il faut commencer. Au risque de me répéter, je dois insister à nouveau sur la nécessité de créer un mécanisme qui va permettre à un plus grand nombre de personnes de discuter de toutes ces questions, c'est-à-dire pas simplement à l'étape de l'étude en comité et pas simplement au sein du corps médical ou scientifique.

.1615

L'un des problèmes qui se posent est l'ignorance de la grande majorité des Canadiens à ce chapitre. Pour ma part, j'étudie la question depuis une dizaine d'années. La moitié du temps, je suis obligée de relire dix fois le même chapitre d'une revue scientifique pour essayer de comprendre de quoi on parle, alors que j'ai d'assez bonnes bases dans certains de ces domaines.

L'avantage d'un mécanisme de grande envergure, c'est qu'on peut y incorporer plusieurs éléments. Le mandat peut inclure la recherche. Par exemple, quand cette question est revenue sur le tapis au Royaume-Uni, à l'expiration de la période de dix ans, il a été décidé qu'il fallait prendre une décision au sujet des embryons congelés non réclamés. Il s'agissait évidemment d'une question très difficile sur le plan politique. Alors ils ont décidé de s'adresser à un tribunal indépendant, avec les responsables de la fécondation et de l'embryologie humaine et de lui donner comme mandat de tenir des consultations et de préparer un document d'orientation sur le traitement des embryons congelés. Ce document d'orientation est devenu ensuite un document public. Il a été critiqué par le public et mis à la disposition des groupes.

Là je ne parle pas de propagande. La sensibilisation du public est extrêmement importante. À quoi cela sert-il d'exprimer le souhait que le public participe au processus, si nous ne lui donnons pas les outils nécessaires pour participer en connaissance de cause?

Je pense que c'est là qu'il faut commencer. Il faut commencer par reconnaître que ces questions vont devenir de plus en plus compliquées, plutôt que l'inverse, et de plus en plus difficiles à régler.

Nous qui avons vécu les discussions sur l'avortement voulons surtout éviter de répéter cette expérience dans le contexte des techniques de reproduction et de manipulation génétique. Nous aurons à payer le prix du non-règlement de cette question. Et le prix à payer sera considérable si nous ne trouvons pas de solutions aux questions fondamentales que soulèvent les techniques de reproduction et de manipulation génétique.

Alors, que ferais-je en premier lieu? Je commencerais par créer un organisme. Je ne partirais pas de zéro. Je déciderais même de faire appel à des organismes existants qui sont financés par les deniers publics, de façon à créer un bassin représentatif de connaissances. À mon sens, ce serait utile. Comme l'a recommandé la commission royale, il faudrait s'assurer d'équilibrer l'apport des hommes et des femmes et des différentes professions à cet organisme.

Mais si nous nous contentons d'imaginer les techniques les plus répréhensibles possibles pour les frapper d'interdictions criminelles, nous n'aurons jamais fini ce travail, puisque ces techniques continueront d'être mises au point. De toute façon, les tribunaux ne soutiendront pas ce recours au droit criminel, à mon avis, surtout dans certains des cas prévus par le projet de loi. Pourquoi donc perdre notre temps devant les tribunaux? Il serait beaucoup plus utile de partir du principe que les gens infertiles ont besoin de ces techniques, et de voir comment on peut leur fournir ces services tout en éliminant toute possibilité d'abus grâce aux instruments juridiques qui existent déjà.

La présidente: Allez-y.

Mme Majury: Je vais essayer d'être brève.

En réponse à la question de savoir si ce projet de loi peut être le fondement d'un nouveau régime, à mon avis, c'est impossible, puisque ce projet de loi n'aborde pas les principes et tous les autres éléments dont nous parlons depuis un moment. Pour moi, il s'agit d'une tentative d'action face à une situation devenue urgente. Si tel est le cas, nous ferions mieux de limiter l'envergure de notre action tant que nous n'aurons pas établi des principes bien clairs. Nous ne devrions aller de l'avant que lorsque nous aurons une idée très précise des conditions dans lesquelles il convient de recourir au droit criminel. Il faut donc laisser de côté les questions au sujet desquelles il subsiste des doutes en attendant d'établir ces principes et d'élaborer une mesure qui pourra vraiment être le fondement d'un nouveau régime, car à mon sens, ce projet de loi ne peut répondre à ce besoin.

La présidente: Très bien. Merci infiniment. Mme Picard a une autre question.

[Français]

Mme Pauline Picard: Madame McTeer, vous avez parlé de ce qui existe en Grande-Bretagne. Vous semblez approuver cette loi ou ce modèle et cette réglementation des nouvelles technologies. Vous avez été membre de la Commission Baird, n'est-ce pas?

Mme McTeer: Oui, pendant deux ans.

Mme Pauline Picard: Avez-vous rencontré les gens qui avaient mis sur pied cette loi en Grande-Bretagne?

Mme McTeer: J'ai écrit ma thèse de maîtrise en droit sur ces questions. J'ai étudié de façon assez approfondie le modèle de la Grande-Bretagne. Ce n'est pas le seul, mais il y a beaucoup de choses sur lesquelles je ne suis pas d'accord. Je retourne en Angleterre chaque année pour me mettre à jour sur les amendements à leur loi.

Ce qui m'intéresse, c'est qu'il s'agit d'un mécanisme auquel le grand public peut participer. L'un des problèmes de tout cela, c'est qu'on se sert de nos connaissances sur ces questions pour exclure au lieu d'inclure monsieur et madame Tout-le-Monde. Il est essentiel que le grand public puisse jouer un rôle dans tout cela.

.1620

Comme je l'ai dit plus tôt en anglais, je m'inquiète beaucoup qu'on demande aux gens de participer sans leur donner les outils nécessaires. C'est bien beau de leur demander de se prononcer sur quelque chose, mais cela ne marche pas du tout.

En Angleterre, ils ont un mandat énorme, mais au moins, on sépare la génétique et la reproduction. La question de la reproduction en est une de management, pas plus. Ce ne sont pas de grandes questions sérieuses: est-ce que le sperme sera...

Mme Pauline Picard: Le don sera-t-il rémunéré?

Mme McTeer: ...infecté par un virus? Ce n'est pas le sida. Ce sont des questions techniques auxquelles la profession peut répondre.

Cependant, les grandes questions de société auxquelles on doit faire face exigent non seulement la participation des élus qui siègent au Parlement, mais aussi celle de spécialistes dans le domaine et de gens d'un peu partout. Ce que je cherche, c'est un mécanisme pour atteindre cela. Sinon, qui dit que le clonage ne vaut pas grand-chose?

Si un médecin affirme que le clonage peut garantir qu'il n'y aura plus de cancer, qui va décider que c'est une bonne ou une mauvaise chose? Vaut-il la peine de limiter un peu les droits de la personne pour s'assurer qu'il n'y aura plus de cancer? Le diagnostic prénatal soulève ces questions. Cela nous permet de faire avant la naissance ce qu'on n'a pas le droit de faire par la suite. C'est la technologie qui nous pose ces questions.

Mme Pauline Picard: Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente: J'ai une seule question à poser, et je l'adresse à tous les témoins qui voudraient y répondre.

J'aimerais savoir si, d'après vous, certaines des pratiques dont il est question dans le projet de loi devraient être considérées comme des infractions criminelles, et dans l'affirmative, lesquelles?

Mme Ginn: Oui, certains des actes énumérés dans le projet de loi C-47 devraient être criminalisés. Mais nous insistons à nouveau sur le fait que la criminalisation ne doit pas être la seule méthode retenue. Comme le disait Timothy Caulfield il y a quelques minutes, les sanctions criminelles constitueraient le troisième volet d'un système à trois paliers. Je pense que c'est la meilleure façon de décrire ce système potentiel.

Si la politique et l'autorité réglementaire étaient en place, il semblerait tout à fait approprié d'envisager des sanctions criminelles en dernier recours. Si toutes ces mesures ne devaient pas donner les résultats escomptés, nous pourrions recourir à la criminalisation dans le cas d'activités comme le clonage. Le clonage engloberait les éléments suivants: le jumelage artificiel; toute combinaison d'éléments ou de produits humains et animaux servant à la reproduction par le biais de la fécondation, du fusionnement des zygotes, ou de la transplantation croisée d'embryons; le prélèvement d'ovules ou de sperme après la mort pour des fins de reproduction; la fécondation d'un ovule à l'extérieur du corps humain pour la recherche; et l'offre de rétribution pour l'un quelconque de ces actes.

À notre avis, il conviendrait de recourir à des sanctions pénales si toutes les autres mesures prises en cours de route n'avaient pas réussi à enrayer des activités de ce genre. Toutefois, la méthode la plus efficace dans ce contexte consisterait d'après nous à exiger l'obtention d'un permis pour l'utilisation de ces nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique. Ensuite il s'agirait de dire au titulaire: il vous est interdit de pratiquer certaines interventions, sinon on vous retirera votre permis. On vous imposera une amende et vous ferez l'objet de mesures disciplinaires que vous imposera la profession si vous commettez de tels actes.

La présidente: Merci.

Y a-t-il d'autres témoins qui voudraient répondre?

M. Caulfield: Je pense qu'on a déjà parlé d'un certain nombre d'interventions. Les deux qui me viennent tout de suite à l'esprit sont le clonage et les thérapies de cellules germinales. Le consensus qui existe à l'échelle internationale à ce sujet ne semble pas se dissiper. Mais encore une fois, même dans le cas de ces interventions, il convient de répéter ce qu'ont dit mes collègues à ce sujet. Il serait préférable, à mon sens, que ces sanctions criminelles soient déclenchées par un autre type de mécanisme, que ce soit un régime de délivrance de permis ou autre chose.

La présidente: Merci.

Est-ce que mes collègues ont d'autres questions?

Je voudrais donc vous remercier de votre présence et de nous avoir fait part de vos opinions sur la question. Je vous assure que nous traitons ces questions avec le plus grand sérieux.

Peut-être pourrions-nous faire une petite pause pour permettre au groupe suivant de s'installer.

.1625

.1633

La présidente: Nous allons reprendre nos audiences, en espérant que Linda arrivera avant la fin de la réunion.

Mes collègues et moi aimerions tout d'abord vous souhaiter la bienvenue au comité. Pour ceux et celles qui n'ont pas assisté à la séance précédente, il convient que je précise que vous aurez chacun cinq minutes pour présenter votre mémoire, après quoi nous aurons dix minutes pour les questions de mes collègues. Je vous invite tout d'abord à nous donner votre nom, de même que celui de l'Association ou du groupe que vous représentez.

Mme Carole Pressault (association des infirmières et infirmiers du Canada): Merci. Je m'appelle Carole Pressault et je représente l'Association des infirmières et infirmiers du Canada.

Je suis accompagnée de Lesley Myers, qui représente également notre association. Mme Myers est...

[Français]

professeure de sciences infirmières à l'Université McGill, où elle a travaillé, enseigné et fait de la recherche dans le milieu de la santé des femmes pendant plusieurs années.

Je remercie le comité de son invitation. C'est un sujet de première importance pour nous. En tant que principal groupe de professeurs de la santé au Canada et en tant que groupe composé principalement de femmes, les infirmières s'intéressent tout particulièrement à la santé sexuelle et à l'hygiène de la reproduction.

Les infirmières sont en contact direct avec la plupart des consommateurs de soins de santé, que ce soit à l'hôpital, en milieu communautaire ou à domicile. C'est pourquoi nous pensons qu'elles occupent une position privilégiée pour porter un jugement sur le choix de services de santé et leur utilité à la population, y compris sur les conséquences des techniques de reproduction.

.1635

[Traduction]

Les infirmières ont une responsabilité particulière à l'endroit des utilisateurs des techniques de reproduction. Elles permettent aux particuliers, aux familles et aux collectivités de faire des choix éclairés concernant leur santé génésique et sexuelle. Les infirmières aident les particuliers, et notamment les femmes, à conserver le contrôle de leurs décisions et pratiques en matière de reproduction et de comportement sexuel. Les responsabilités de l'infirmière comprennent l'éducation, la diffusion d'information, le counselling, les services cliniques, et la défense du droit du client à accéder aux services dont il a besoin.

L'Association des infirmières et infirmiers du Canada, ou l'AIIC, est la porte-parole nationale de la profession infirmière au Canada. Nous sommes une fédération de onze associations d'infirmières provinciales et territoriales qui représentent 110 000 membres qui sont tous des infirmiers ou des infirmières. Notre mission consiste à faire progresser la profession infirmière dans l'intérêt du public.

Nous continuons à défendre un régime de soins de santé qui s'appuie sur les principes des soins primaires. L'AIIC estime que les soins de santé primaires sont d'importance primordiale pour assurer la santé des Canadiens, et que ces principes doivent être la clé de voûte de notre système de prestation des soins médicaux. Ce cadre continue d'orienter l'apport de l'AIIC aux politiques gouvernementales. Notre exposé devant la Commission royale des nouvelles techniques de reproduction en septembre 1990 insistait sur la nécessité d'adopter une démarche analogue à celle qui sous-tend les soins de santé primaires pour relever ces nouveaux défis.

En novembre dernier, le conseil d'administration de l'AIIC réaffirmait que les stratégies de promotion de la santé et de prévention des maladies pour traiter des causes connues d'infertilité doivent être considérées prioritaires, et cette même conviction sous-tend notre réponse au projet de loi C-47.

Même si nous sommes heureuses de constater les progrès qu'accomplit le gouvernement en établissant un cadre législatif et réglementaire pour les techniques de reproduction, nous craignons que l'approche curative l'emporte sur des stratégies sanitaires axées sur la prévention.

Dans le mémoire que nous avons transmis au comité en janvier dernier, nous avons recommandé que le projet de loi C-47 soit modifié pour garantir qu'une stratégie de promotion de la santé orientera toute initiative législative et réglementaire, et que l'on tiendra compte des intérêts des femmes et des enfants.

Je voudrais vous présenter les points saillants de certaines de nos recommandations. Nous avons demandé au comité de réexaminer les stratégies de prévention de la maladie relatives à la santé sexuelle et génésique. Nous avons demandé au gouvernement de prévoir des crédits pour financer la recherche sur les causes de l'infertilité. À notre avis, il convient de faire des études plus poussées sur les effets des techniques de reproduction sur les femmes et les enfants.

Nous avons proposé que le préambule du projet de loi C-47 soit modifié pour privilégier les intérêts des femmes touchées par les techniques de reproduction - vous avez d'ailleurs le texte du préambule que nous avons proposé dans notre mémoire. À notre avis, il y a lieu d'élaborer des lignes directrices cliniques ou des pratiques ou méthodes normalisées pour régler la question de l'identification du sexe des enfants.

Nous avons également recommandé que l'organisme de réglementation élabore des lignes directrices nationales sur la consultation pour les éventuels utilisateurs des nouvelles techniques de reproduction, et que des services de consultation soient assurés par les professionnels de la santé qui ne traitent pas directement les clients de ces programmes.

Enfin, nous avons recommandé que le gouvernement fédéral travaille de près avec les administrations provinciales et territoriales pour garantir l'accès par l'ensemble des Canadiens aux techniques de reproduction, y compris aux consultations prétraitement et postcure.

Nous sommes très heureuses d'avoir eu l'occasion cet après-midi de prendre la parole devant vous, madame la présidente, et nous savons fort bien que ce débat est empreint d'émotion et de considérations éthiques et morales. C'est un débat sur le droit de faire des choix. C'est aussi un débat sur le droit des femmes, des enfants et des familles. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

La présidente: Merci. Je vous en prie, docteur.

Dr John Hamerton (membre et ancien président, Collège canadien des généticiens médicaux): Je suis le Dr John Hamerton, et je représente le Collège canadien des généticiens médicaux. Le Collège canadien des généticiens médicaux est très heureux d'avoir aujourd'hui l'occasion de présenter son point de vue sur le projet de loi C-47, Loi sur les techniques de reproduction humaine et de manipulation génétique.

Le collège a été fondé en 1975 pour garantir l'accès des Canadiens à des services génétiques de qualité élevée. Le Collège comprend soixante-dix-sept médecins et soixante-dix-neuf titulaires de doctorat qui ont terminé des programmes de formation agréée et réussi aux examens préparés par le Collège, ou dans le cas des médecins, soit par le Collège, soit par le Collège Royal des Médecins et Chirurgiens du Canada, qui reconnaît depuis 1987 la spécialité du génie médical.

Sept universités canadiennes dispensent actuellement des programmes de formation agréés par le CCGM. Il existe des programmes agréés de prestation de services dans dix hôpitaux et centres médicaux canadiens, et nous en avons fourni la liste complète.

En général, les services que dispensent les médecins généticiens à leurs patients prennent la forme de services de diagnostic, de counselling et de conseils. Les membres du Collège qui sont titulaires de doctorats vont souvent être directeurs de laboratoire de services génétiques. Dans bon nombre, sinon la majorité, des cas, ni les médecins ni les titulaires de doctorats ne peuvent diriger des programmes de recherche génétique financés par le Conseil de recherches médicales ou d'autres conseils subventionnaires.

.1640

La Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction a reconnu l'utilité du travail d'agrément des services génétiques lorsqu'elle a recommandé que l'agrément du CCGM soit une condition préalable à l'obtention d'un permis dans le cadre d'un régime de réglementation national. La commission royale a par ailleurs rejeté la démarche fragmentaire du gouvernement fédéral - «nous rejetons l'intervention fragmentaire et progressive dans le domaine des nouvelles techniques de reproduction pour des raisons tant conceptuelles que pratiques...» - et a recommandé la mise sur pied d'une Commission nationale des techniques de reproduction dotée de pouvoirs d'octroi de permis et de réglementation adéquats. Le CCGM estime que la création d'une telle commission nationale, dotée de pouvoirs de réglementation et d'octroi de permis qui travaillerait en étroite collaboration avec les provinces et les organismes de réglementation et d'octroi de permis déjà en place, serait à même d'élaborer un cadre de travail axé sur des principes et des moyens d'action clairs qui constituerait le fondement de toute loi future et d'éventuelles sanctions criminelles, dans des cas exceptionnels.

Le CCGM continue de soutenir l'élaboration d'un mécanisme améliorée de régulation des NTRMG et s'engage à travailler avec le gouvernement fédéral pour donner suite aux préoccupations d'ordre déontologique que suscitent les progrès réalisés dans le domaine des techniques de reproduction et de manipulation génétique. Le CCGM juge prématurée et tout à fait inappropriée la démarche actuelle, qui consiste à fonder le projet de loi sur des sanctions criminelles. Comme vous l'ont fait remarquer les représentants de l'Association médicale canadienne, la criminalisation représente une mesure réglementaire extrême. Elle représente une atteinte à l'autonomie des patients, des médecins et des chercheurs, et menace l'intégrité des relations entre le médecin et son patient.

Il ne faut pas conclure, cependant, qu'aucun danger ou préjudice n'est associé aux NTRMG. Mais ces techniques présentent également des avantages, et la criminalisation de certains actes que propose le projet de loi C-47 pourrait compromettre les avantages fort productifs et positifs de la médecine et des sciences, et ce au détriment de futures générations de Canadiens. Le CCGM exhorte donc le gouvernement à retirer le projet de loi en attendant l'élaboration d'une politique et d'une structure de réglementation complètes.

Le CCGM approuve la réaction de l'Association médicale canadienne au projet de loi, de même que ses documents d'appui, et s'accorde avec l'AMC pour dire que les principes qui sous-tendent les propositions du gouvernement ont besoin d'être clarifiés et assortis de justifications adéquates démontrant qu'elles représentent la solution la moins restrictive, et que toute contrainte imposée est proportionnelle au préjudice. Nous avons déjà signalé dans nos remarques détaillées sur le projet de loi qu'il n'est pas du tout certain que les Canadiens jugent inacceptables les actes que le projet de loi envisage d'interdire.

Nous tenons également à souligner, comme l'ACM, d'ailleurs, que même si les NTR et les techniques de manipulation génétique sont liées dans certains cas, les nouvelles techniques de manipulation génétique ont un champ d'application beaucoup plus important, vont toucher un plus grand nombre de Canadiens et soulever des considérations éthiques aussi importantes, sinon plus. À l'exception de la génétique prénatale - le diagnostic et le dépistage prénataux - les nouvelles techniques de manipulation génétique et de reproduction vont le plus souvent être appliquées par les praticiens dans des contextes fort différents. De nombreuses applications des nouvelles techniques de manipulation génétique n'auront rien à voir avec la reproduction et devront néanmoins faire l'objet de contrôles réglementaires appropriés. Nous estimons par conséquent qu'il convient de traiter les nouvelles techniques de manipulation génétique et les nouvelles techniques de reproduction de façon distincte dans le projet de loi.

Le CCGM est conscient des dilemmes éthiques et moraux que pose l'évolution des techniques de manipulation génétique et de reproduction mais est persuadé que les Canadiens seront mieux servis par une discussion rationnelle et des politiques et mesures législatives judicieusement formulées par l'ensemble des intéressés, que par des dispositions législatives improvisées qui vont certainement être dépassées par les événements, ne s'appuient sur aucun ensemble de principes clairs, nécessiteront sous peu des modifications, et ne favorisent certainement pas la santé et la sécurité de nombreux Canadiens.

Pour vous donner un exemple de l'évolution rapide des connaissances dans ces domaines, un rapport publié dans The Lancet du 1er mars 1977 sur la correction permanente du phénotype de la mucoviscidose dans les souris au moyen de la thérapie génique in utero donne de l'espoir à de nombreux couples canadiens qui risquent d'être atteints de cette maladie héréditaire à la fois grave et courante. L'application de cette technique aux humains nécessitera de la recherche, de l'expérimentation et des essais cliniques. Le Canada a été un chef de file dans la recherche sur la mucoviscidose; un groupe canadien a été le premier à identifier le gène et à déterminer son mode de fonctionnement. La recherche sur le traitement de la mucoviscidose au moyen de l'échange génique in utero pourrait faire l'objet d'une interdiction au Canada aux termes de cette loi. Est-ce vraiment ce que souhaitent les Canadiens?

Un récent article sur le premier vrai clone mammalien dans la revue Nature semble avoir entraîné énormément de confusion tout en suscitant de très vives émotions. Cette percée technologique - c'est-à-dire la reprogrammation d'une cellule somatique par le cytoplasme maternel de l'ovule - a d'immenses répercussions scientifiques sur le vieillissement, la recherche sur le cancer, la production de protéines humaines bénéfiques dans les animaux, et sur l'agriculture, dans l'optique de la production de lignées d'élite d'animaux domestiques.

.1645

La diffusion subséquente d'un rapport sur la production de singes génétiquement identiques, même si la technique employée était différente, nous rapproche encore plus de l'éventualité du clonage d'humains, ce qui fait le bonheur de nos médias les plus sensationnalistes. Il ne fait aucun doute que le clonage d'êtres humains pourrait, en théorie, se réaliser d'ici quelques années. Mais dans la pratique, l'éventualité du clonage d'êtres humains au Canada reste tout aussi lointaine. Comme le faisait récemment remarquer un éditorialiste de la revue The Lancet, il n'y a aucune raison médicale ou scientifique de tenter ce genre de clonage. Des lois interdisant le clonage d'êtres humains sont déjà en vigueur dans un certain nombre de pays occidentaux, et la majorité d'entre eux ont également une commission de réglementation d'une forme ou d'une autre où il est possible de débattre de ces questions. L'éditorialiste de la revue The Lancet a ajouté ceci: «La seule façon de renforcer l'interdiction internationale du clonage humain serait de mettre un terme à toute recherche ayant une telle orientation».

Le récent document provisoire préparé par le groupe de travail inter-conseils donnant les grandes lignes d'un code de conduite pour la recherche impliquant les humains déclare ce qui suit à l'article 16.10:

Une fois que ce document aura été accepté par les trois conseils, ce qui est prévu en 1997, ce code devrait être suffisant pour empêcher les établissements publics de faire de la recherche au Canada dans ces différents domaines. Une loi traitant spécifiquement du clonage d'humains viendrait renforcer la déclaration des trois conseils qui aurait l'avantage de viser l'ensemble des Canadiens.

L'alinéa 4.(1)a) du projet de loi C-47 semble interdire le clonage d'humains, mais il aurait également pour résultat de criminaliser la segmentation d'embryons en vue d'obtenir des jumeaux monozygotes, intervention qui pourrait être bénéfique à certaines femmes infertiles et qui n'est guère différente de la technique qui consiste à sectionner le zygote pour obtenir des jumeaux monozygotes. En ce qui nous concerne, il n'y a pas de raison d'interdire cette intervention, et encore moins d'en faire une infraction criminelle.

En conclusion, le CCGM exhorte le comité à demander le retrait de ce projet de loi par le gouvernement du Canada, et conseille vivement à ce dernier de préparer, en consultation avec les provinces et les organismes d'octroi de permis et professionnels existants, des mesures législatives visant à créer une Commission des nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique, comme celles proposées par la commission royale, pour permettre de discuter de ces questions complexes, de réglementer les activités qui y sont associées et d'établir des modalités de délivrance de permis de manière rationnelle et efficace, eu égard aux intérêts de générations futures de Canadiens.

La présidente: Merci infiniment, docteur.

Docteur Lin Tan, vous avez la parole.

Dr Seang Lin Tan (Association des professeurs d'obstétrique et de gynécologie du Canada): Merci, madame la présidente et honorables membres du Comité permanent de la santé. Je voudrais tout d'abord vous remercier du privilège que vous m'accordez en m'invitant à comparaître devant vous aujourd'hui.

Je suis professeur et président du Département de l'obstétrique et de la gynécologie à l'Université McGill. Avant de venir au Canada, je dirigeais l'un des plus importants programmes d'infertilité et de FIV en Grande-Bretagne, avec le professeur Robert Edwards, qui est celui qui a inventé la fécondation in vitro.

On m'a demandé de comparaître aujourd'hui au nom de l'Association des professeurs d'obstétrique et de gynécologie du Canada, qui est l'organisme qui représente officiellement l'ensemble des seize facultés de médecine du Canada. L'APOG est en faveur de l'élaboration de normes nationales pour les nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique. Nous appuyons d'ailleurs bon nombre des interdictions que prévoit le projet de loi C-47, comme celles qui visent l'ectogénèse, la création d'hybrides animal-humain, le transfert d'embryons entre les espèces, l'utilisation d'embryons sans le consentement du donneur, et la recherche sur les embryons au-delà du quatorzième jour. Nous avons toutefois de graves préoccupations au sujet du libellé actuel du projet de loi.

D'abord, le ton de ce projet de loi est entièrement négatif. Si cette mesure législative est une sorte de prélude à l'organisme de réglementation qui a été proposé, nous craignons que l'accès aux services de PMA, de même que le soutien de ces services, ne soient gravement compromis. Il convient de vous faire remarquer que seulement 5 p. 100 des Canadiens infertiles ont accès aujourd'hui à la FIV, c'est-à-dire une proportion bien inférieure à celle de pays développés comparables et aux 25 p. 100 de patients infertiles qui profiteraient d'une telle thérapeutique. Cela s'explique en partie du fait que le régime d'assurance-soins médicaux n'assure pas les coûts associés aux techniques de procréation médicalement assistée au Canada.

À notre sens, le ton du projet de loi risque d'aggraver la situation. Le gouvernement devrait investir dans des initiatives qui vont aider les Canadiens qui le souhaitent à fonder des familles, au lieu d'imposer des mesures qui, d'après le libellé actuel, vont simplement réduire l'accès à ces services, augmenter le coût des traitements, et décourager les gens d'opter pour cette thérapeutique.

Deuxièmement, même si de longues consultations ont été entreprises au Canada par le biais de la commission royale, il convient de vous faire remarquer que les dispositions du projet de loi, telles qu'elles sont actuellement formulées, dépassent de loin ce qui a été recommandé par la commission. Cette dernière a accepté l'idée que les donneurs de sperme et d'ovules soient dédommagés de leurs dépenses et que des embryons puissent être produits pour la recherche. Le projet de loi C-47 vise à interdire ces deux pratiques, pratiques qui sont autorisées dans tout autre pays du monde.

.1650

Troisièmement, le projet de loi parle de la protection des femmes, un geste qui est certainement positif. Nous trouvons cependant ironique que certaines dispositions du projet de loi compromettent au contraire la sécurité des femmes qui veulent subir certains traitements. Le projet de loi va interdire la recherche sur la maturation in vitro des ovocytes et la congélation des ovules, alors que ces deux techniques revêtent une grande importance pour les femmes. Il sera également plus difficile de former des embryologues à pratiquer l'injection intracytoplasmique de spermatozoïdes (IICS), une intervention récemment mise au point qui a révolutionné le traitement de l'infertilité masculine.

Je voudrais maintenant aborder différentes parties du projet de loi et soumettre à votre examen des projets de modification. D'abord, nous recommandons que le préambule reflète la contribution des NTRMG à l'amélioration de la situation des patients infertiles et à la progression des connaissances scientifiques. Nous espérons que le gouvernement fédéral va suivre les conseils de la commission royale et les pratiques d'autres pays en exhortant les administrations provinciales à inclure les techniques de procréation médicalement assistée dans les services assurés par le régime d'assurance-maladie. Si cette solution est jugée trop onéreuse, le gouvernement devrait au minimum encourager les assureurs à couvrir les traitements d'infertilité, y compris les techniques de PMA, comme le font de nombreux États américains.

Deuxièmement, en ce qui concerne l'alinéa 4(1)b), la fécondation d'un ovule humain au moyen du sperme d'une espèce différente, ou vice versa, en vue d'obtenir un zygote susceptible de différenciation est biologiquement impossible en raison de l'incompatibilité de l'ADN. Cependant, de nombreux centres de traitement de l'infertilité font ce qu'on appelle le test de pénétration de l'oeuf de hamster, qui permet d'évaluer la capacité fécondatrice du sperme humain. Nous recommandons que les épreuves diagnostiques de cette nature continuent d'être autorisées et que cet alinéa soit modifié pour ajouter à la fin: «à l'exception des épreuves diagnostiques d'infertilité, ou implanter le zygote ainsi obtenu».

L'alinéa 4(1)e) interdirait essentiellement la thérapie génique. À l'heure actuelle, nous ne savons pas encore quelles maladies pourraient éventuellement être guéries au moyen de ce traitement, et nous ne devrions donc pas supprimer complètement ce moyen thérapeutique, qui pourrait éventuellement profiter grandement à nous tous. La thérapie génique doit faire l'objet d'une réglementation sérieuse, mais il ne convient absolument pas de l'interdire. Nous recommandons par conséquent la suppression de cet alinéa du projet de loi C-47.

Pour ce qui est des alinéas 4(1)f) et g), la recherche sur les embryons humains est absolument essentielle pour favoriser la progression des traitements d'infertilité, élargir nos connaissances en ce qui concerne les causes des maladies congénitales et des avortements spontanés, et trouver des moyens de déceler la présence d'anomalies génétiques ou chromosomiques dans l'embryon. Vu l'évidente rareté des ovules humains, il convient d'autoriser la recherche sur les ovules prélevés sur des cadavres ou des foetus avortés. Cette recherche serait contrôlée et ne serait autorisée que si le consentement écrit et éclairé de la femme en question avait été obtenu pour cette raison précise. Nous recommandons par conséquent la suppression de ces alinéas, qui sont très semblables.

Quant aux alinéas 4(1)h) et i), si l'on interprète ces dispositions de façon littérale, ils auraient pour résultat d'empêcher une femme de subir une échographie pour déterminer le sexe de son bébé, à moins que ce soit pour des motifs liés à la santé de ce dernier. Étant donné que cette disposition vise très clairement à interdire l'interruption d'une grossesse en raison du sexe de l'enfant, il convient d'expliciter cette intention dans le projet de loi. Nous recommandons donc que ces alinéas soient modifiés pour interdire tout test de diagnostic visant à déterminer le sexe de l'embryon quand l'intention de l'intéressé est d'interrompre la grossesse, ou quand aucun motif médical valable n'a été fourni.

En ce qui concerne l'alinéa 4(1)k), si cette disposition avait été intégrée dans la loi il y a une vingtaine d'années, la FIV et l'IICS n'existeraient pas aujourd'hui.

La présidente: Je vous demanderais de conclure rapidement, parce que nous avons déjà bien dépassé le temps qui vous était imparti.

Dr Lin Tan: Très bien. La préoccupation selon laquelle les femmes pourraient faire l'objet de pressions pour subir inutilement des traitements de déclenchement artificiel de l'ovulation a été examinée par la commission royale et jugée sans fondement. Nous recommandons par conséquent que cet alinéa soit supprimé.

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Le paragraphe 6(2) interdit l'indemnisation des donneurs de sperme et d'ovules. Encore une fois, il s'agit d'une mesure qui n'existe dans aucun autre pays du monde, et à notre avis, cette indemnisation devrait être autorisée. Nous recommandons par conséquent la suppression de cet article.

Enfin, nous insistons sur l'importance de modifier certains articles du projet de loi. Certains types de recherche qui vont grandement profiter aux femmes ne peuvent être menés que si l'on produit la fécondation d'un ovule à l'extérieur du corps humain, et je pourrai évidemment vous expliquer en détail cette procédure pendant la période des questions.

Je voudrais donc conclure, étant donné que notre temps est limité, en vous disant que nous sommes actuellement à un tournant décisif en ce qui concerne le traitement de l'infertilité au Canada. Le bilan du Canada dans ce domaine est assez médiocre, par rapport à la plupart des autres pays développés, étant donné que nous ne dispensons des soins qu'à 10 ou 15 p. 100 des Canadiens qui ont du mal à avoir des enfants. Ce projet de loi ne fera qu'aggraver la situation.

Le projet de loi C-47, tel qu'il est actuellement libellé, ne favorise pas la santé. Il réduit l'accès au traitement, augmente le coût des thérapeutiques, et fait obstacle à la recherche même qui vise à rendre ces traitements plus sûrs pour les femmes. La réalisation des aspirations et rêves de milliers de Canadiens infertiles dépend de votre décision. Nous vous exhortons vivement à ne pas adopter le projet de loi dans sa forme actuelle.

Je voudrais vous remercier encore une fois de m'avoir accordé ce temps de parole.

La présidente: Merci, docteur Lin Tan.

Linda, je vous invite à faire vos remarques liminaires.

Dre Linda Surh (généticienne, membre du Comité de la bioéthique médicale, Collège Royal des Médecins et Chirurgiens du Canada): Je me présente. Je suis la docteure Linda Surh.

Je crois comprendre que l'objet de cette table ronde est de recueillir des renseignements de même qu'une gamme représentative d'opinions, pour refléter la réalité du contexte canadien. Vu le peu de temps dont nous disposons, je voudrais, avec votre permission, vous présenter tout d'abord mon point de vue général et ensuite aborder les deux plus importants problèmes que pose le projet de loi C-47 à mon avis.

Je me présente devant vous aujourd'hui dans mon rôle officiel, rôle qui m'a permis justement de comparaître devant le comité - c'est-à-dire en tant que représentante du Collège Royal des Médecins et Chirurgiens du Canada. Il s'agit d'un organisme professionnel bénévole qui représente 30 000 médecins spécialisés dans tout le Canada, et par le biais duquel des normes de formation et d'éducation sont établies pour les spécialistes canadiens.

Je me présente également devant vous dans mon rôle de professionnelle, puisque j'exerce la médecine ici à Ottawa. En fait, je dirige un laboratoire provincial directement financé par le ministère de la Santé de l'Ontario qui fait des épreuves diagnostiques de l'ADN. Donc, j'emploie les nouvelles technologies de manipulation génétique pour dispenser de véritables services médicaux à des patients.

Je me présente aussi devant vous à titre de médecin et de chercheuse expérimentée, étant donné que je suis médecin depuis une quinzaine d'années et titulaire de doctorat depuis une dizaine d'années, ce qui me permet de rapprocher la médecine, où l'accent est mis sur les soins dispensés aux malades, des sciences fondamentales, où l'accent est mis sur la recherche menée en laboratoire.

Enfin, je me présente devant vous à titre personnel, étant à la fois femme et membre d'une minorité visible.

Pendant les quelques minutes qui suivent, je voudrais me concentrer sur les deux plus importants défauts de ce projet de loi, défauts qui auront des effets à long terme non seulement graves mais alarmants sur la santé humaine et la recherche qui permet d'améliorer l'état de santé de la population. J'espère donc que nous n'allons pas négliger les petits défauts qui, pris ensemble, démontrent clairement les graves déficiences du projet de loi C-47 et la faible probabilité que cette mesure puisse vraiment être appliquée de façon responsable, si elle était adoptée.

Pour ce qui est du premier grand défaut, je vous fais remarquer que les différences entre les techniques de reproduction et les techniques de manipulation génétique sont des différences substantielles, du point de vue non seulement de leurs objectifs médicaux mais des méthodes qui permettent de les atteindre. Les mettre ensemble sous la rubrique des nouvelles techniques revient un peu à dire, si je peux me permettre une analogie, que le Bloc québécois et le Parti réformiste sont pareils puisqu'ils forment l'opposition. J'insiste sur le fait que les nouvelles techniques de manipulation génétique touchent non seulement la reproduction mais d'ores et déjà toutes les autres branches de la médecine - les maladies les plus courantes au Canada, comme le cancer, les maladies cardiaques et le diabète - et de nombreux autres secteurs, comme le faisaient remarquer les témoins précédents - c'est-à-dire l'agriculture, l'élevage des animaux et l'industrie pharmaceutique. Le gouvernement entend-il criminaliser toutes ces activités, étant donné que ce projet de loi ouvre la porte à cette possibilité?

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Cela m'amène à vous parler du deuxième grand défaut, à savoir la criminalisation de certaines activités, ce qui implique nécessairement la mise en place d'une toute nouvelle structure pour faire des inspections, contrôler l'application de la loi, et donner suite à ces contrôles. Ce genre de nouvelle structure débouche justement - et vous me pardonnerez cette terminologie - sur le genre de doctrine fasciste qui a fait surface au cours de ce siècle, pendant les années quarante, et explique les nombreuses Inquisitions de l'histoire.

N'oublions pas qu'à une époque, les interventions chirurgicales sur le corps humain étaient considérées comme une atteinte à la prétendue «dignité humaine» dont il est question dans le projet de loi C-47. Si l'on appliquait la logique de ce projet de loi aux croyances de cette période de l'histoire de la médecine - période qui n'est pas si éloignée que ça - l'ablation chirurgicale de l'appendice serait considérée comme un acte criminel alors qu'il s'agit d'une intervention simple mais nécessaire à la survie.

En criminalisant l'indemnisation des donneurs de sperme, nous risquons de favoriser l'activité clandestine, et donc d'accroître la propagation de maladies transmissibles comme le SIDA et d'autres affections qui sévissent actuellement, de même que la perte de l'assurance et du contrôle de la qualité, en ce qui concerne notamment la consanguinité.

L'histoire nous démontre que même les croyances et les principes déontologiques les plus enracinés évoluent au fur et à mesure que progresse notre savoir. À l'heure actuelle, les connaissances évoluent à une vitesse que nous n'aurions jamais pu prévoir jusqu'à présent. Par exemple, le diagnostic prénatal des maladies héréditaires ne prévoit que trois choix: (1) le choix de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie héréditaire; (2) le choix de ne pas donner naissance à un enfant atteint d'une maladie héréditaire; ou (3) le choix de ne jamais avoir d'enfants.

À l'heure actuelle, aucune recherche n'est menée sur les cellules germinales au Canada. Mais souhaitons-nous, ou la population canadienne souhaite-t-elle écarter à tout jamais les thérapies de cellules germinales, si l'on sait qu'il serait peut-être possible de rectifier un gène qui est à l'origine d'un grave trouble génétique?

Cela ne veut pas dire que nous avons tort de craindre l'inconnu ou de vouloir éviter les abus potentiels. Au contraire, il est très important de le faire. Il nous faut confronter et solutionner activement ces difficultés de façon moralement responsable et éclairée. Mais - et vous m'excuserez encore une fois mon choix de mots - les Canadiens sont sages. Nous n'avons pas l'habitude d'employer les nouvelles techniques de façon irréfléchie et frivole. Laissez à la majorité leur liberté, et n'imposez pas de limites à la satisfaction de leurs besoins légitimes à cause des rares abus d'une petite minorité.

L'histoire ancienne et récente nous démontre que les lois, et encore davantage les sanctions criminelles, répondent toujours aux besoins du moment mais ne visent que très rarement une situation ou des circonstances bien précises.

Il existe déjà une solution de rechange tout à fait satisfaisante: premièrement, soutenir et renforcer les lignes directrices actuelles, comme les principes déontologiques relatifs à la recherche et l'application de la recherche aux humains élaborées par le comité inter-conseils du Conseil de recherches médicales; deuxièmement, accorder à cet organisme les ressources dont il a besoin pour contrôler la recherche. À l'heure actuelle, nous avons un bon mécanisme d'examen des normes déontologiques, mais peu de ressources financières ou humaines sont prévues pour assurer le contrôle permanent de ces activités.

Pour conclure, je voudrais vous remercier de m'avoir donné aujourd'hui l'occasion de représenter le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. J'espère que le projet de loi C-47 va prendre fin ici, ayant atteint son objectif le plus important, qui était de susciter un débat au sein de la société canadienne en général et parmi des gens comme vous, c'est-à-dire nos décideurs politiques, sur les questions fondamentales que soulèvent les techniques de reproduction et de manipulation génétique. Je tiens donc à vous en remercier.

La présidente: Merci.

Merci à vous tous pour vos mémoires. Avant de donner la parole aux députés, je voudrais poser une première question, si madame n'y voit pas d'inconvénient.

[Français]

Mme Pauline Picard: Je n'ai pas de questions.

[Traduction]

La présidente: Cette question s'adresse à ceux ou celles qui voudraient bien y répondre. Il a été recommandé que les techniques de manipulation génétique et les nouvelles techniques de reproduction soient traitées de façon distincte. Est-il possible de faire cette distinction, et dans le cas de quels actes médicaux dont il est question dans le projet de loi peut-on vraiment faire la distinction? Est-il vraiment possible de séparer les deux?

Dr Hamerton: Le Collège canadien estime que les techniques de manipulation génétique et les nouvelles techniques de reproduction - sauf peut-être dans le cas de la génétique prénatale, du diagnostic prénatal et du dépistage prénatal - sont des questions bien distinctes. La génétique a un champ d'application beaucoup plus large que les nouvelles techniques de reproduction, aura une incidence beaucoup plus importante du point de vue de l'information génétique qui sera disponible sur les particuliers au fur et à mesure que le projet du génome humain portera ses fruits, et touchera de plus nombreux aspects de notre vie, y compris les assurances, la sécurité d'emploi, etc.

Donc, nous sommes d'avis qu'il faut les traiter de façon distincte dans la loi, même si une seule commission pourrait se charger des deux branches car, comme le disait quelqu'un tout à l'heure, il s'agit surtout de gestion dans un cas, et d'examen et de discussion, dans l'autre.

.1705

La présidente: Merci. D'autres témoins voudraient-ils répondre?

Dr Lin Tan: Oui. Je suis d'avis qu'il est possible de séparer les deux. Si je peux me permettre de parler carrément, l'un des plus grands défauts de ce projet de loi, c'est qu'il cherche à assimiler certains actes que nous trouvons tous répréhensibles - c'est-à-dire l'ectogénèse, la création d'hybrides animal-humain, etc. - à des pratiques qui existent au Canada depuis de nombreuses années, et qui sont acceptées partout dans le monde, et à condamner l'ensemble de ces actes ou interventions en leur appliquant les mêmes sanctions criminelles et peines.

D'abord, cette façon de faire est selon moi contraire à l'un des principes de la justice pénale, à savoir que les sanctions doivent être adaptées à la gravité de l'infraction, par rapport à la méthode qui consiste à tout criminaliser et à prétendre que c'est du pareil au même, alors qu'il est évident que ce n'est pas le cas.

La présidente: Merci beaucoup.

Madame Picard, avez-vous des questions?

Mme Pauline Picard: Non.

La présidente: Madame Parrish?

Mme Carolyn Parrish: Oui, j'ai des questions et des commentaires.

D'abord, je dois dire que je suis très sensible aux propos des porte-parole de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada concernant la nécessité de consacrer un peu plus d'énergie à l'éducation sur l'infertilité. À mon sens, c'est tout à fait essentiel. Il y aurait peut-être lieu de réorienter un peu nos efforts vers l'éducation, au lieu de nous concentrer sur l'interdiction de certaines activités.

Vous avez également parlé de la consultation; au départ, j'aurais eu du mal à croire qu'il n'y a pas de consultation complète avec les gens qui recherchent ce genre de traitement, mais les groupes qui ont comparu devant le comité nous ont tous dit que c'est purement et simplement un acte médical - autrement dit, ils font ce qu'il y a à faire et passent aussitôt au suivant. Ils n'ont donc pas accès à tellement de counselling, ce qui correspond tout à fait aux témoignages que nous avons reçus. Merci donc infiniment d'avoir attiré notre attention sur ces deux aspects importants.

Je n'ai pas bien compris votre remarque au sujet de l'identification et du choix du sexe. Pourriez-vous me donner quelques éclaircissements à ce sujet?

Mme Lesley Myers (Association des infirmières et infirmiers du Canada): Avec plaisir. C'est un point au sujet duquel nous partageons l'avis de nos collègues, à savoir qu'il est très difficile et sans doute inopportun de prévoir des sanctions criminelles pour ce genre de chose. La plupart des femmes canadiennes ont au moins une ou deux échographies pendant leur grossesse, même si les organismes médicaux ne le recommandent pas nécessairement. Une femme peut facilement s'arranger avec son obstétricien pour faire faire une première échographie au début de sa grossesse, sans prévenir son médecin qu'elle a l'intention de se faire avorter si l'enfant est d'un sexe ou d'un autre; elle n'a qu'à aller ailleurs pour se faire avorter.

De toute évidence, il est impossible de réglementer ce genre de chose. Ainsi nous recommandons que les pratiques soient fondées sur des éléments probants, à savoir qu'on ne fasse pas d'échographie s'il n'y a pas de raison médicale de le faire, et que le désir de connaître le sexe de son enfant, même s'il est très vif dans le cas de certains couples ou certaines femmes, ne soit pas considéré comme une raison médicale suffisante.

Un rapport a récemment été publié par un groupe de chercheurs de l'Université de la Colombie-Britannique qui étudiaient le recours excessif à l'échographie au Canada. Il a constaté que la fréquence des échographies était très élevée, et que souvent elles ne reposaient pas sur des motifs médicaux.

Nous recommandons qu'un organisme de réglementation se penche sur la question du recours automatique à l'échographie et établisse des protocoles plus stricts qui indiquent les conditions dans lesquelles une échographie serait considérée justifiée sur le plan médical. Ceci permettrait de diminuer les coûts - nous pourrions alors réorienter une partie de ces crédits vers... Je suis d'accord avec le Dr Lin Tan concernant la nécessité de faire en sorte que des traitements d'infertilité éprouvés et efficaces soient accessibles à l'ensemble des femmes et couples canadiens. Donc, nous pourrions faire diminuer les coûts, réaffecter une partie de ces crédits, et en même temps, régler en partie le problème de l'emploi abusif des échographies de la part de gens qui veulent un enfant d'un certain sexe et sont prêts à se faire avorter s'il le faut.

Mme Carolyn Parrish: C'est intéressant - et cela n'a rien à voir avec le projet de loi - mais j'ai entendu dire un peu par hasard que la Grande-Bretagne avait interdit les échographies sauf en cas d'urgence, car le fait de passer une échographie augmente les risques que le bébé soit hyperactif. J'ai regardé toute une émission là-dessus. J'ai eu deux échographies avec un de mes enfants, une fille, qui a été effectivement hyperactive. C'est la preuve, non?

Mme Myers: Il est très difficile d'établir de telles corrélations.

Mme Carolyn Parrish: Oui, je sais, mais il paraît qu'ils ont mené des études exhaustives. La fréquence de l'hyperactivité semble être à la hausse au Canada également, et nous faisons grand usage de toutes ces techniques médicales.

Mme Myers: Dans les propositions de certains organismes médicaux que j'ai vues jusqu'à présent, la liste des raisons médicales est assez large. Bon nombre de femmes continueraient d'avoir une échographie pendant leur grossesse, et la proportion de femmes qui ont plusieurs échographies, comme c'est le cas actuellement, serait beaucoup moins élevée.

Mme Carolyn Parrish: Très bien.

Docteur Hamerton, vous et plusieurs autres témoins avez vraiment mis l'accent sur un problème qui vous semble particulièrement grave, à savoir la criminalisation. Un de vos arguments consistait à dire qu'aucun d'entre nous ne ferait ce genre de chose. Autrement dit, pourquoi en faire un acte criminel si personne ne serait jamais tenté de le faire? Mais corollairement, si vous n'allez jamais le faire, à ce moment-là les sanctions criminelles ne vous toucheront pas. Dans toute loi de ce genre, quand on a affaire à des gens...

.1710

J'admire beaucoup les esprits scientifiques. Pour moi ils sont un peu comme les athlètes qui participent aux Jeux olympiques. Ils font de la recherche scientifique parce qu'ils veulent aller plus loin que leurs collègues. Et parfois dans le feu de l'action, il y a quelqu'un qui va un peu trop loin. Comme vous le dites vous-même, ces sanctions criminelles ne vont pas toucher 99 p. 100 des gens, et même ceux qui dépasseront les limites ne le feront pas pour des raisons répréhensibles. Ça ne les intéresse pas de cloner une autre Dolly.

Je trouve préoccupant que vous soyez aussi réticent à accepter la criminalisation de certains actes. Pourriez-vous m'expliquer votre réticence?

Dr Hamerton: L'un des membres du comité a soutenu tout à l'heure que des mesures dans ce secteur deviennent urgentes; qu'il faut absolument agir. Mais je ne suis pas du tout convaincu qu'il soit urgent de prendre des mesures. Le rapport de la commission royale a été publié il y a quatre ans et maintenant on dépose un projet de loi visant à criminaliser certains de ces actes.

À mon avis, il n'y a pas urgence, car nous sommes très loin de pouvoir faire toutes ces choses. Sur le plan scientifique, il s'agit encore de possibilités lointaines. L'efficacité du procédé de clonage qui a permis d'obtenir Dolly était extrêmement faible. Je pense qu'ils ont obtenu un seul animal à partir de 277 fécondations. De toute la série d'expériences, ce procédé a abouti dans le cas de seulement trois ou quatre animaux sur 800. Donc, tout cela est encore bien éloigné. Pour le moment, il n'est même pas certain qu'on réussisse à le faire chez l'homme.

Mme Carole Parrish: Permettez-moi de vous interrompre. Tout le monde parle de Dolly et de la question de savoir si c'est urgent ou non. Mais le fait est que ce gouvernement et celui qui l'a précédé travaillent sur ce dossier depuis un certain temps.

Dr Hamerton: C'est exact.

Mme Carolyn Parrish: Ce qui est proposé n'est qu'un cadre de travail. C'est une sorte d'amalgame, si vous voulez, de la réflexion scientifique. Nous avons reçu l'autre jour les représentants d'associations d'adultes et de personnes handicapées en général. Nous avons également reçu des scientifiques, et des responsables religieux et communautaires. Donc, personnellement, j'y vois l'achèvement d'un long processus auquel ont participé une vaste gamme de personnes, dont vous ne partagez certainement pas toujours les avis. Mais certains des témoins que nous avons reçus hier auraient sans doute très mal accueilli votre position.

En tant que législateurs, il nous faut proposer un cadre de travail qui correspond plus ou moins aux besoins de tout le monde. En prévoyant la criminalisation de certains actes, nous affirmons que le gouvernement et l'ensemble des Canadiens traitent cette question avec le plus grand sérieux. Je me sens un petit peu comme Salomon.

Non, l'exemple est mal choisi. Il ne s'agit pas de couper des bébés en deux, mais...

Dr Hamerton: Comme quelqu'un l'a souligné au cours de la séance précédente, nous sommes très conscients du dilemme auquel le comité se trouve confronté.

Mme Carolyn Parrish: J'aimerais vous poser une question. Vous avez parlé de la fibrose kystique. Hier nous avons reçu une dame qui était membre de la commission royale. Je présume qu'elle est médecin. Elle nous a dit qu'il est possible de faire le même genre d'expériences que vous menez actuellement sur des zygotes avec du tissu pulmonaire. Est-ce possible, d'après vous?

Dr Hamerton: Oui, peut-être; mais dans le cas de la fibrose cystique, il s'agissait d'expériences sur des animaux, ou plus précisément d'études expérimentales sur des souris dont le gène normal avait été remplacé par le gène de la mucoviscidose. Ils ont pu donc réaliser la correction au moyen de la thérapie génique in utero. Il est évident que cela ne pourrait pas se faire dans le tissu pulmonaire. C'est justement un grand point d'interrogation dans ce projet de loi, à savoir si de telles expériences pourraient effectivement être menées au Canada et déboucher sur ce genre de traitement.

Vous avez soulevé la question de la criminalisation de certains actes dans ce projet de loi. À notre avis, ce projet de loi est prématuré en ce sens qu'il nous faut tout d'abord établir une commission de réglementation pour poursuivre le débat sur toutes ces questions. Par la suite, certains actes pourraient éventuellement faire l'objet de sanctions criminelles, s'il le faut absolument. Mais la commission de réglementation aurait le pouvoir de délivrer des permis, d'établir des règlements, d'imposer des sanctions, etc. Ce genre de mesures donne de très bons résultats au Canada.

Comme l'a dit la Dre Surh, la procédure d'examen de l'éthique professionnelle est très efficace dans les écoles de médecine du Canada. Le problème...

Mme Carolyn Parrish: Si je peux me permettre de faire une analogie un peu boiteuse, c'est un peu comme l'oeuf et la poule. On parle ici d'un projet de loi qui va faire l'objet d'un vote à la Chambre des communes et dont le résultat sera soit de l'adopter, soit de le rejeter. Une fois qu'il aura été adopté - car c'est certain qu'il le sera; il fera l'objet d'un vote à la Chambre avant les élections et je suis convaincue qu'il sera adopté, avec certaines modifications, grâce à ces audiences - on élaborera les règlements d'accompagnement. Si le projet de loi n'est pas adopté, à quoi cela nous aurait servi d'élaborer au préalable un ensemble complet de règlements si la volonté de la Chambre des communes est de ne pas adopter le projet de loi?

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Dr Hamerton: Mais s'il s'agit d'un seul élément constitutif, comme on l'a dit tout à l'heure, ou de la toute première étape du processus, il me semble que c'est un peu comme la construction d'une maison: autrement dit, si les fondations sont mal faites, la maison va s'effondrer. J'ai l'impression que ce projet de loi aura très rapidement besoin d'être modifié tout simplement à cause de la rapidité avec laquelle la recherche scientifique évolue actuellement.

Mme Carolyn Parrish: Madame la présidente, pourrais-je poser une question au Dr Lin Tan concernant le test du hamster...

La présidente: Oui?

Mme Myers: Pourrais-je faire une brève observation à ce sujet? Je suppose que je n'ai pas la même optique ayant suivi le travail de la commission et ayant lu non seulement le rapport de cette dernière mais les critiques formulées au sujet de ce rapport. À mon sens, c'est cela qui doit être le fondement de ce projet de loi et du mandat de l'organisme de réglementation. Je ne sais pas très bien à quel moment il faut le faire intervenir dans tout ce processus, mais en ce qui me concerne, c'est un élément très très important.

Mme Carolyn Parrish: Pour nous aussi.

Mme Myers: Donc, je n'accepte pas la notion selon laquelle le mandat de l'organisme de réglementation reposera sur ce projet de loi. À mon avis c'est le travail de la commission qui doit être le point de départ du projet de loi et du mandat de l'organisme de réglementation. Comme vous le savez, un moratoire volontaire a été imposé sur neuf actes ou interventions qu'un groupe représentatif de Canadiens, de professionnels et de non-professionnels jugeait répréhensibles, d'après la commission. À mon sens, nous avons déjà tenu les consultations requises. Nous avons déjà eu ce débat en profondeur. Le nombre de personnes et de groupes que la commission a consultés est vraiment impressionnant.

À mon avis, il est faux de prétendre que le point de départ du mandat de l'organisme de réglementation doit être ce projet de loi. Pour moi, ce projet de loi ne représente qu'une infime partie du travail de la commission. En réalité, c'est peut-être l'organisme de réglementation qui sera l'élément le plus important car si nos espoirs sont fondés - bien que je ne sois pas aussi optimiste que mes collègues au sujet de ce qui va ou ne va pas se faire - très peu d'individus - et peut-être aucun - voudront jamais tenter de faire ces choses-là.

Et une dernière observation, si vous me permettez. Je pense que la grande diversité des opinions, même au sein de ce groupe, souligne justement la nécessité de mettre sur pied un organisme de réglementation multidisciplinaire qui inclue également un certain nombre de non-professionnels. Personnellement - et je ne me rappelle plus qui l'a dit - s'il y a une chose que les Canadiens trouveraient répréhensible, à mon avis, ce serait l'utilisation de tissus embryonnaires ou génétiques prélevés sur des cadavres ou des foetus avortés.

Mme Carolyn Parrish: Je vous ai vu sursauter. Ne jouez jamais au poker.

Mme Myers: Mais c'est une opinion personnelle. Ce n'est pas nécessairement la position de l'AIIC. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que les avis sont très partagés à ce sujet. Il est très difficile d'en arriver à un compromis acceptable, et j'avoue que j'hésite même à parler de compromis, car ce terme me paraît tout à fait déplacé dans ce contexte.

Mme Carolyn Parrish: En fait, ce qui m'est venu à l'esprit...

Mme Myers: Je voulais simplement insister sur le fait que la commission doit être la fondation ou le point de départ. Elle a fait un excellent travail, travail qui a justement débouché sur ce projet de loi. Nous recommandons, bien entendu, qu'au moins trois articles soient modifiés, comme vous le verrez dans notre mémoire. Nous recommandons vivement de faire en sorte que l'organisme de réglementation...

Mme Carolyn Parrish: Je ne voudrais pas vous induire en erreur. J'essaie simplement de vous dire que nous sommes déjà saisis du projet de loi; nous invitons différents groupes et personnes à se prononcer sur cette mesure, et nous avons l'intention de la modifier. Quand elle sera renvoyée à la Chambre, si jamais elle n'est pas adoptée, il faudra tout recommencer; c'est généralement comme ça à la Chambre.

La question que je voulais poser au Dr Lin Tan est celle-ci: Vous avez parlé du test du hamster, que je trouve intéressant. Et vous avez mentionné, dans le même ordre d'idées, la période des quatorze jours. Je ne comprends pas le procédé utilisé pour ce test. Est-ce que vous devez maintenir en vie ce tissu pendant quatorze jours pour pouvoir effectuer votre analyse?

Dr Lin Tan: Non. Si je vous ai donné l'impression que c'était lié à la période de quatorze jours, je me suis trompé. On ne le conserve pas pendant quatorze jours.

Mme Carolyn Parrish: Ah, bon; c'est pour cela que je vous pose la question.

Dr Lin Tan: Je voudrais cependant donner quelques précisions concernant la différence entre un règlement et une sanction criminelle. Le gouvernement peut décider que tous les centres qui dispensent ce genre de traitement devront être agréés par un organisme de réglementation. Au sein de cet organisme seraient représentés les non-spécialistes, de même que les porte-parole d'une vaste gamme d'organismes qui existent déjà, tels que le CRM, les collèges royaux, la SOGC, etc.

Quelle est la différence entre les deux? Permettez-moi de vous l'expliquer. Quand vous adoptez un règlement, vous avez la possibilité de le modifier facilement pour tenir compte de l'évolution de l'état des connaissances. Mais quand vous criminalisez certains actes, vous devez adopter une autre loi pour modifier les dispositions législatives en vigueur.

Songez, par exemple, aux conséquences différentes de ces deux options dans le domaine de la recherche. Si vous décidiez d'interdire la recherche sur les embryons, vous élimineriez certaines interventions qui sont en fait bénéfiques aux femmes. À l'heure actuelle, par exemple, nous avons la possibilité de congeler les embryons, mais non les ovules. Si nous réussissons à congeler les ovules, une jeune femme atteinte d'un cancer qui va subir une chimiothérapie pourra préserver ses ovules comme une garantie de sa fécondité future. Mais pour arriver à congeler les ovules, il nous faut tout d'abord en congeler un certain nombre, les dégeler, les féconder et voir si les embryons se développeront normalement, avant de pouvoir employer ce procédé sur le plan clinique. Donc, si on n'a pas le droit de produire la fécondation d'un ovule au moyen de sperme pour des fins de recherche, on ne pourra plus faire de recherche sur la congélation des ovules.

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De la même façon, à l'heure actuelle, nous devons, dans le cadre de la FIV, administrer des médicaments à une femme qui subit ce traitement pour stimuler ses ovaires. Mais si nous pouvons trouver le moyen de prélever les ovules qui sont à un stade inférieur de développement au début du cycle menstruel et de provoquer la maturation en laboratoire - ce que nous appelons la maturation in vitro des ovocytes - une femme pourrait à ce moment-là subir un traitement de FIV sans prendre de médicaments. Il en résultera une diminution des coûts et des effets secondaires des médicaments, etc., ce qui serait nécessairement un grand progrès pour les femmes. Encore une fois, pour réaliser la maturation in vitro des ovocytes, nous devons obligatoirement produire la fécondation des ovules au moyen du sperme pour voir si les embryons se développent normalement, avant de pouvoir mettre à l'épreuve ce procédé dans le cadre des essais cliniques. Encore une fois, ce projet de loi interdirait la recherche sur la maturation in vitro des ovocytes au Canada, ce qui ne peut certainement pas être l'objet du projet de loi, qui vise au contraire à protéger les femmes.

Troisièmement, à l'heure actuelle l'un des principaux traitements dispensés dans ce domaine est l'injection intracytoplasmique d'un spermatozoïde (IICS). Avec cette technique, on introduit un seul spermatozoïde dans l'ovule, ce qui permet de produire la fécondation de l'ovule, et c'est une technique qui a donné d'excellents résultats chez des hommes dont la numération des spermatozoïdes est très faible. Ce traitement est maintenant dispensé couramment au Canada. Mais il faut un technicien très habile pour pratiquer cette intervention. Comment cette personne pourra-t-elle apprendre à le faire? Dans la pratique, nous demandons la permission aux patients qui subissent un traitement de FIV. Autrement dit, au lendemain de leur traitement de FIV, si l'ovule n'a pas été fécondé au moyen du traitement conventionnel de FIV, la pratique est de jeter l'ovule. Mais si le patient est d'accord, le technicien va recourir à l'IICS pour voir s'il est possible de produire la fécondation de l'ovule en utilisant cette méthode. C'est uniquement quand le technicien aura démontré qu'il a les compétences requises pour pratiquer cette intervention qu'on lui permettra de pratiquer ce traitement. Encore une fois, si vous interdisez la fécondation de l'ovule au moyen d'un spermatozoïde pour des fins de recherche, il ne sera plus possible de former convenablement les embryologues dans la technique de l'injection intracytoplasmique d'un spermatozoïde.

Mme Carolyn Parrish: Puis-je vous interrompre une seconde? Nous menons cette étude depuis un moment, et je comprends donc assez bien le procédé. Pourquoi vos étudiants ne peuvent-ils pas se servir de tissu animal pour s'exercer?

Dr Lin Tan: Eh bien, au départ, ils apprennent la technique en pratiquant cette intervention sur du tissu animal; mais à un moment donné, ils doivent s'essayer avec du tissu humain avant de pouvoir vraiment dispenser ce traitement, parce que sur le plan technique, il y a tout de même une différence entre injecter un spermatozoïde dans un ovule de souris et l'injecter dans un ovule humain.

Mme Carolyn Parrish: Merci beaucoup. J'imagine que vous avez beaucoup de succès dans les cinq à sept.

Des voix: Oh, oh!

La présidente: Madame Beaumier, avez-vous une question à poser, ou c'est tout pour vous?

Mme Colleen Beaumier: Je voudrais plutôt faire une observation.

Nous avons reçu énormément de groupes, et je dois dire que j'apprécie beaucoup les témoignages des représentantes de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada et du Dr Lin Tan. Vous savez bien que cela ne sert à rien d'arriver en nous disant qu'il faut mettre de côté ce projet de loi et repartir de zéro, puisque cela ne se produira jamais. Donc, j'apprécie grandement les observations précises que vous avez faites au sujet du projet de loi, car elles nous aideront peut-être à préparer des modifications.

La présidente: Merci, madame Beaumier.

Au nom de mes collègues, je vous remercie tous de votre présence aujourd'hui. Merci d'avoir pris le temps de préparer vos mémoires et de nous les transmettre. Je suis sûre qu'ils seront utiles quand viendra le moment de préparer l'ébauche définitive. Merci infiniment.

La prochaine réunion se tiendra mercredi à 15 h 30.

La séance est levée.

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