[Enregistrement électronique]
Le mercredi 20 novembre 1996
[Traduction]
Le président suppléant (M. Maloney): Je déclare la séance ouverte.
Notre témoin de cet après-midi est M. Roderick A. Macdonald, professeur à l'Université McGill.
Monsieur Macdonald, nous avons environ 45 minutes à vous consacrer. Je vous recommande de prendre 25 minutes pour faire votre présentation, ce qui nous permettra d'avoir une période de questions de même durée. Nous avons fait distribuer le mémoire que vous nous avez envoyé, monsieur Macdonald. La parole est maintenant à vous.
M. Roderick A. Macdonald (professeur, Faculté de droit, Université McGill): Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à comparaître devant le comité. Je sais que la journée a été longue et voilà pourquoi je me propose de résumer ce que je comptais vous dire et de vous présenter les faits assez carrément. Je serai un peu plus nuancé dans les réponses aux questions qu'on me posera.
On m'informe que, de façon générale, vos témoins précédents se sont dits favorables au projet de loi. Moi, je ne le suis pas. J'estime que ce projet de loi comporte plusieurs importantes lacunes sur lesquelles je veux maintenant attirer votre attention. Je ne me fais aucune illusion sur le processus parlementaire, mais j'estime néanmoins qu'il importe de signaler les problèmes que pose ce projet de loi.
Je regrette de ne pas avoir pu vous fournir une version française de mon mémoire. Je n'ai jamais jusqu'ici présenté un mémoire à un comité parlementaire, que ce soit à Ottawa ou à Québec, qui ne soit pas dans les deux langues officielles, mais comme la date qui y figure le confirme, ce n'est qu'il y a deux jours que j'ai trouvé le temps voulu pour réfléchir à cette question.
J'ai d'abord des observations d'ordre général à formuler au sujet du projet de loi, après quoi je passerai à des observations plus détaillées.
Il convient d'abord de se demander quelle est la raison d'être d'un projet de loi comme celui-ci. À mon avis, deux réponses sont possibles.
Premièrement, ce projet de loi est censé fournir un cadre ou une constitution servant de structure au processus aux termes duquel la législation déléguée est adoptée, mise en oeuvre et promulguée.
Deuxièmement, il vise à prévoir, de façon générale, des sanctions à imposer en cas de violation des conditions énoncées dans la loi constituante.
À mon sens, il importe au plus haut point qu'un projet de loi de ce genre soit complet. Je me permets d'abord de faire remarquer qu'il définit ce qu'on entend par règlement de façon assez formelle et particulière. En outre, il comporte de nombreuses dispositions permettant au gouverneur en conseil de soustraire certains règlements au processus réglementaire qu'il institue. Par ailleurs, comme en témoignent les 100 dernières dispositions, ce projet de loi prévoit plusieurs exemptions explicites au processus réglementaire.
Enfin, le projet de loi est trop ambitieux en se fondant sur une seule définition. Chacun sait que chaque fois qu'on prend un règlement, cela comporte des conséquences pour ce qui est de la mise en oeuvre de la Charte des droits et libertés, de l'article 133 de la Loi constitutionnelle et des principes de common law comme le delegatus non potest delegare. Le projet de loi définit de façon très particulière le terme règlement et cette définition ne répond pas à toutes les préoccupations que j'ai énoncées.
La partie générale de mon mémoire porte sur quatre points et j'aimerais maintenant attirer votre attention sur deux d'entre eux.
Premièrement, chaque fois qu'on définit de façon formelle un texte législatif, cela risque de donner lieu à des abus. Quand on définit formellement ce qui constitue une loi, un règlement - ou pour prendre un autre exemple d'un domaine que je connais bien - une sûreté sur un bien meuble, vous pouvez être assurés que ceux qui veulent contourner la procédure trouveront un moyen de soustraire leur texte législatif ou réglementaire à l'application de votre définition. Un projet de loi de ce genre ne devrait jamais reposer sur une définition qui n'est pas téléologique ou fonctionnelle. On doit toujours définir un règlement de façon téléologique.
Deuxièmement, ce projet de loi fait intervenir le principe dit «tacitement permis». Le meilleur exemple de loi de ce genre que je peux vous donner est la Loi dite de l'accès à l'information. Quiconque a étudié cette loi sait qu'elle énonce des critères d'accès aux documents publics, mais qu'elle fournit aussi au gouvernement une excuse à toute épreuve, soit une justification péremptoire, pour refuser l'accès à un document. Comme vous le savez, ce qu'on reproche surtout à la Loi sur l'accès à l'information, c'est que si un document n'appartient pas aux catégories de documents auxquels l'accès est permis, le gouvernement n'a pas à justifier son refus de communiquer un document. Il lui suffit simplement de dire que le document n'appartient pas à la catégorie de documents dont l'accès est permis.
La même chose vaut pour ce projet de loi. Il prévoit des exclusions péremptoires sans que le gouvernement n'ait à fournir de motifs. Ainsi, le paragraphe 5(1) énonce ceci:
- 5.(1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, soustraire tout règlement au
processus réglementaire.
- Aucune obligation n'est faite au gouvernement de justifier sa décision. En outre, on ne précise
nullement les règlements auxquels on songe. Il s'agit d'une exclusion péremptoire. Or, les
exclusions de ce genre sont inacceptables dans un document constitutionnel de ce genre qui est
censé instituer le processus réglementaire devant s'appliquer au niveau fédéral.
Veut-on une loi secrète? Non. Dans ce cas, il faudrait prévoir une norme générale en matière de publication. Ce projet de loi prévoit-il une norme de ce genre? Malheureusement, ce n'est pas le cas.
Veut-on qu'une loi soit rétroactive? En principe, je suppose qu'on ne veut pas de loi rétroactive. Or, l'alinéa 23(1)(a) autorise les règlements rétroactifs, dans la mesure où un règlement peut entrer en vigueur avant la date d'enregistrement et même avant la date de prise du règlement. Tout règlement qui peut entrer en vigueur avant la date de prise du règlement est un règlement rétroactif. Ce qui est permis aujourd'hui peut devenir une infraction demain.
De façon générale, on souhaiterait qu'une loi sur les règlements prévoie des sanctions. On voudrait même que ces sanctions soient suffisamment rigoureuses pour avoir un effet dissuasif. Or, les sanctions prévues ne sont pas rigoureuses du tout. Il est même permis de s'interroger au sujet de l'article 11 qui énonce ceci:
- 11. Aucune sanction ne peut découler du non-respect d'un règlement qui, à la
date du fait reproché, n'avait pas été publié... sauf... si le contrevenant avait connaissance...
Mon mémoire fait état des problèmes que cela soulève. Voyons ce qu'il en est au paragraphe (b):
- b) soit des mesures raisonnables avaient été prises pour que les intéressés en
soient informés.
- Autrement dit, même si un règlement n'a pas été publié, une personne peut être reconnue
coupable d'une infraction aux termes de ce règlement - non publié - si «des mesures
raisonnables avaient été prises» pour le lui faire connaître. Si cet article est considéré conforme
à l'article 7 de la Charte des droits et libertés, je pense que la Cour suprême devrait démissionner
en bloc. C'est un simulacre de justice. On dit bien cependant dans ce texte: «des mesures
raisonnables avaient été prises» pour signaler l'existence du règlement aux intéressés. Une loi
secrète, des mesures raisonnables, et cela suffit pour condamner quelqu'un. C'est tout à fait
inacceptable dans un texte de loi régissant le pouvoir réglementaire.
L'alinéa 2(2)c) me sidère parce qu'il donne à entendre qu'on peut modifier une loi par voie réglementaire. Il est inexcusable qu'une loi sur les règlements puisse être invoquée pour modifier une loi au moyen d'un texte législatif subordonné. Je crois même que c'est inconstitutionnel et j'espère que la Cour suprême statuera que c'est aussi contraire à la Charte. Le projet de loi le prévoit néanmoins.
Voici ce qu'on lit au paragraphe 5(1):
- 5.(1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, soustraire tout règlement au processus
réglementaire.
Je vais un peu plus loin. Voyons la sanction prévue au paragraphe 9(2):
- (2) Le greffier peut toutefois refuser d'enregistrer tout règlement qui n'a pas été examiné alors
qu'il aurait dû l'être aux termes de l'article 7.
Le paragraphe 10(4) énonce ceci:
- (4) Le fait que le règlement n'a pas été publié conformément au présent article ne constitue pas
un motif d'invalidité.
Passons maintenant à l'article 16 portant sur l'incorporation par renvoi. De nombreux organismes dont des associations professionnelles et des associations normatives ont consacré beaucoup de temps à établir des normes s'appliquant à une vaste gamme d'activités. Il serait donc tout à fait superflu qu'un organisme de réglementation réinvente la roue dans ce domaine.
L'incorporation par renvoi n'est pas en soi un mal. C'est un mal si c'est une façon d'adopter des normes qui ne sont pas bilingues, ce qui est souvent le cas, ou si c'est une façon d'adopter des normes qui n'ont pas été adéquatement examinées par le sous-ministre et qui n'ont pas été publiées comme il se doit. Voyons ce que prévoit le paragraphe 16(5):
- (5) [...] l'incorporation par renvoi peut viser le document avec ses modifications successives.
- On pourrait ici parler d'incorporation ambulatoire. Il découle de ce paragraphe qu'un
règlement pourrait prévoir l'incorporation des règlements forestiers adoptés par l'Association
forestière canadienne et énumérer ceux-ci. On croit avoir un régime réglementaire. Or, le jour
suivant, l'Association forestière change ses règlements et ceux-ci ont tout de suite force de loi.
Deux autres observations. J'attire votre attention sur les articles 21 à 24. J'ai déjà fait remarquer que le paragraphe 23(1)a) rend possible la prise de règlements rétroactifs. J'aimerais savoir comment on peut envisager la possibilité qu'un texte législatif délégué entre en vigueur avant d'être publié et pas avant qu'il soit pris. L'alinéa 23(1)a) va plus loin que tout ce qu'on pourrait imaginer. Je comprends mal pourquoi on veut se donner comme principe général qu'un règlement peut entrer en vigueur avant sa publication. Ce principe m'apparaît tout à fait inadmissible.
Enfin, voici ce que prévoit l'article 25:
- Le comité, soit du Sénat, soit de la Chambre des communes, soit mixte, chargé de contrôler les
règlements en est saisi d'office.
Non seulement un règlement peut ne pas être examiné, publié et enregistré, mais il peut aussi être soustrait à l'examen d'un comité parlementaire. Qu'on me corrige si j'ai tort, mais c'est la façon dont je comprends le paragraphe 25(1).
En outre, le paragraphe 25(2) incorpore le paragraphe 26(g) où il est dit que le gouverneur en conseil peut exempter tout règlement des exigences de publication, y compris l'insertion dans les index, et de communication - pour consultation ou par distribution d'exemplaires - qui serait renvoyé devant un comité parlementaire. Non seulement tout un ensemble de textes délégués ne sont pas définis comme étant des règlements et sont par conséquent exemptés de toutes les étapes du processus réglementaire, mais même si un règlement s'inscrit dans le cadre de la définition donnée, le gouverneur en conseil peut avoir toutes sortes d'exemptions à son égard. Pour quelle raison? Parce que le règlement se rapporte à la conduite par le gouvernement des affaires fédérales-provinciales.
Or, comme chacun sait, tout peut être considéré au Canada comme une affaire fédérale-provinciale. Cela vaut pour les affaires internationales, la défense du Canada... Je concède que ce peut être le cas en matière de défense, mais dans les deux premiers cas...
Si l'on veut exempter un règlement véritable du processus réglementaire, il faudrait le faire par voie législative. On ne le fait pas par voie réglementaire. On ne cache pas le fait qu'on veut cacher quelque chose.
Je regrette d'avoir été aussi énergique dans ma présentation, mais je sais que la journée a été longue, que vous êtes fatigués et que vous avez sans doute entendu beaucoup de gens vous faire les éloges du projet de loi. Moi, si j'étais ministre de la Justice, je rougirais à l'idée que mon nom soit associé à ce projet de loi.
Je vous remercie.
Le président suppléant (M. Maloney): Je vous remercie, monsieur Macdonald.
Monsieur Lebel.
[Français]
M. Lebel (Chambly): Je vous remercie, professeur. On s'excuse de vous avoir fait attendre si longtemps. Si vous avez attendu aussi longtemps, c'est que vous intéressez beaucoup à ce projet de loi.
Je ne reviendrai pas sur les points que vous avez mentionnés, car on les comprend tous très bien. Je les comprends et je les partage pour la plupart. Vous dites que la version française du projet de loi est supérieure à la version anglaise. Pourriez-vous nous expliquer brièvement pourquoi? Vous n'en n'avez pas parlé.
M. Macdonald: Parmi les critiques les plus importantes de l'ancienne Loi sur les textes réglementaires, on disait que le français et l'anglais utilisés étaient difficiles à comprendre, que la grammaire et la syntaxe n'étaient pas élégantes. Je trouve qu'au point de vue purement linguistique, grammatical, la version française est mieux rédigée que la version anglaise. C'était une question de pure forme.
M. Lebel: D'accord. Je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur l'alinéa 2(2)c) qui stipule que, par règlement, on peut abroger une loi. Je l'avais moi-même relevé dans le passé. C'est vraiment usurper les pouvoirs de la Chambre des communes. Je prends bonne note de votre recommandation là-dessus et je vous félicite pour votre exposé. Pour ma part, il me satisfait grandement. Je vous remercie. Je n'ai pas d'autres questions, étant donné l'heure tardive.
[Traduction]
Le président suppléant (M. Maloney): Monsieur Kirkby, n'avez-vous pas une question à poser?
Il semblerait, monsieur Macdonald, que votre présentation a laissé le comité bouche bée.
J'aimerais rappeler aux membres du comité que M. Macdonald a annulé le cours qu'il devait donner ce soir à McGill pour être parmi nous. Nous lui savons gré d'avoir changé son emploi du temps pour nous.
Nous apprécions aussi la clarté de votre mémoire et le fait qu'il fait ressortir les points faibles ainsi que les points forts du projet de loi. Le comité tiendra certainement compte de vos observations. Elles sont excellentes. Il est vrai que certains de nos témoins ont été favorables au projet de loi, mais d'autres ont fait ressortir les mêmes lacunes que vous.
[Français]
M. Lebel: Est-il trop tard pour poser une autre question?
Le président: Monsieur Lebel, allez-y.
M. Lebel: D'autres professeurs sont venus avant vous. Êtes-vous au courant de La loi québécoise sur les règlements? Je présume que oui.
M. Macdonald: Oui.
M. Lebel: Vous savez qu'on parle de consultation préalable dans la loi québécoise. Vous ne vous êtes pas prononcé sur ce type de consultation préalable. Qu'en pensez-vous? Peut-on vous le demander? Je n'ai pas eu la traduction de votre mémoire et je n'ai pas lu toute la version qui m'a été remise. C'est pour cela que je sors du sujet.
M. Macdonald: L'objectif principal de mon mémoire était d'avancer la thèse qu'une loi sur les règlements est, d'une certaine façon, la constitution des règlements. Je me suis donc concentré uniquement sur les aspects de la loi où, à mon avis, le principe posé était mauvais, où il fallait élaborer un principe à 100 p. 100. Je trouve qu'il y a plusieurs lacunes ici.
Quant aux questions relatives à l'idée d'une consultation préalable, je ne dirai pas que tout règlement doit nécessairement mettre en branle un tel processus. Donc, je n'ai pas porté mon attention là-dessus. Si j'avais un principe à énoncer, j'essaierais d'identifier un certain type de règlement; on dirait que pour tel ou tel type de règlement, il faut ajouter un processus de consultation préalable. Cela ne fait cependant pas partie des critères fondamentaux que je voulais signaler.
M. Lebel: Je comprends bien. Je vous remercie.
[Traduction]
Le président suppléant (M. Maloney): Rien d'autre?
Monsieur Macdonald, nous vous remercions encore une fois de votre présence. Nous nous excusons...
M. Macdonald: Me permettez-vous de prendre deux minutes pour conclure?
Le président suppléant (M. Maloney): Certainement.
M. Macdonald: Je suis convaincu que le moment est venu de légiférer dans ce domaine. Ce n'est pas ce que je conteste. J'appuie aussi sans réserve l'idée de base du projet de loi... Il est bon que les règlements soient examinés par le ministère de la Justice et il est aussi bon qu'il y ait un processus d'enregistrement, de publication et de renvoi devant un comité parlementaire. L'orientation générale du projet de loi est donc bonne.
Ce que je déplore, c'est que la Constitution qu'on cherche à établir dans le domaine réglementaire prévoit tant d'exceptions qu'elle n'a plus sa raison d'être. Une loi aussi fondamentale que celle-ci ne peut être qu'un ramassis de voeux pieux.
C'est tout à fait fondamental pour un processus législatif délégué et quand on croit à un principe, il faut le prouver. Il faut ne rien oublier. Il faut aussi restreindre la marge de manoeuvre de ceux qui voudraient contourner le processus. Il ne faudrait pas qu'on puisse contourner le processus sans donner des motifs valables. Voilà essentiellement ce qui me préoccupe. Je ne conteste pas l'orientation générale du projet de loi qui est, à mon avis, bonne. Je déplore cependant son manque de rigueur.
Le président suppléant (M. Maloney): Merci beaucoup encore une fois.
Le comité se réunira à huis clos lundi à 15 h 30. La séance est maintenant levée.
Merci, messieurs.