[Enregistrement électronique]
Le mercredi 12 juin 1996
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. Veuillez excuser mon retard. Je m'étais trompé de salle.
Nous allons commencer par entendre nos témoins, après quoi nous devrons sans doute tenir une petite réunion à huis clos pour discuter de la façon dont nous comptons organiser nos travaux.
[Français]
On pourrait commencer puisque ces messieurs sont là et discuter ensuite entre nous de la façon dont nous organiserons notre programme.
Vous aurez vu à l'ordre du jour que nous recevons aujourd'hui M. Jonathan Fried, directeur général de la politique commerciale et coordinateur de l'ALENA. Bienvenue à vous, monsieur Fried, à vous, monsieur Serge Fréchette, avocat-conseil à la Direction du droit commercial international, et à vous, monsieur John Gero, directeur de la Direction des recours commerciaux.
Sans autre introduction, je vous invite à prendre la parole.
[Traduction]
M. Jonathan Fried (directeur général, Politique commerciale, et coordonnateur de l'ALENA, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs.
On nous a dit qu'il s'agissait de la première réunion du sous-comité. Après avoir consulté le président, nous avons pensé que le plus utile pour vous serait de vous expliquer les principaux mécanismes et procédures de règlement des différends commerciaux, tant au niveau multilatéral dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce qu'au niveau bilatéral ou régional dans le cadre de l'ALENA, l'Accord de libre-échange nord-américain.
Nous avons préparé à votre intention un document de référence intitulé Aperçu des mécanismes de règlement des différends commerciaux. On y donne beaucoup de détails sur les mécanismes, les procédures, les échéanciers, ainsi que sur les différents participants à chaque étape des procédures. Vous trouverez aussi en annexe à ce document deux tableaux. Le premier énumère tous les différends dont est actuellement saisi l'Organisme mondial du commerce, tant ceux qui mettent en cause le Canada que ceux qui touchent d'autres pays. Le deuxième qui provient du Secrétariat de l'ALENA présente toutes les affaires qui font l'objet d'un différend commercial relatif à l'imposition de droits antidumping et de droits compensateurs, ainsi que de différends de gouvernement à gouvernement qui sont réglés ou en voie de l'être dans le cadre de l'ALENA et de l'Accord de libre-échange bilatéral qui l'a précédé.
Ce document a été préparé, monsieur le président, non pas tant en prévision de la réunion d'aujourd'hui, mais plutôt pour que le comité puisse s'y référer dans le cours de ses travaux.
Si cela vous convient, nous avons pensé vous dire quelques mots au sujet des divers types de différends en matière de droit international et des modes de règlement de ceux-ci. Je m'inspirerai pour cela largement du résumé de ce document.
Dans le domaine du commerce international, les principaux et plus anciens mécanismes de règlement des différends existant de gouvernement à gouvernement. Après tout, les obligations commerciales des pays figurent dans les traités. Les traités sont essentiellement des contrats conclus entre gouvernements à l'échelle internationale et les parties à ces contrats sont celles qui ont recours aux mécanismes de règlement des différends prévus dans ces documents.
La remarque que je viens de faire s'appliquait au GATT et s'applique maintenant à l'Organisme mondial du commerce. Elle vaut aussi pour l'ALENA comme elle valait pour l'Accord de libre-échange bilatéral.
Ce qu'il importe de remarquer, et j'insiste là-dessus, c'est que les termes des mécanismes de règlement des différends prévus dans le cadre de l'OMC et de l'ALENA ont force exécutoire en droit international, mais n'ont pas force de loi automatiquement au Canada, pas plus qu'aux États-Unis ou dans d'autres pays, à moins que le gouvernement du pays visé prenne les mesures législatives ou réglementaires voulues pour mettre en oeuvre cette décision. Aucun traité ne peut être appliqué automatiquement par un tribunal canadien. Il faut d'abord que la loi ou le règlement pertinent soit modifié pour refléter ce traité.
Nous faisons ressortir dans le document d'information le fait que nous avons constaté une évolution dans les procédures de règlement des différends à l'échelle internationale. Au moment de la création du GATT en 1948, les procédures de règlement des différends visaient plutôt à faciliter les négociations. Il s'agissait de trouver un moyen d'amener les parties à accepter un compromis. Au cours des 40 dernières années, le processus s'est officialisé et a pris un caractère de plus en plus juridique, ce qui a finalement abouti aux nouvelles procédures de règlement des différends instituées dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce lesquelles sous-tendent plus clairement un processus d'application des droits et de défense des obligations. Par conséquent, les décisions en matière de règlement des différends sont de plus en plus officielles et précises et, bien qu'elles ne soient pas appliquées par les tribunaux nationaux, elles exercent, si elles sont bien motivées, une influence sur les décisions subséquentes.
La deuxième amélioration que nous avons constatée en ce qui touche les mécanismes de règlement des différents, et c'est ce que nous voulions obtenir dans le cadre de l'ALENA et de l'OMC, c'est une plus grande certitude de la procédure. Pour ce qui est du GATT, il était possible aux pays de s'opposer à la création d'un groupe spécial. On pouvait aussi paralyser l'organisme en s'opposant au mandat ou au choix des membres du groupe. Dans le cadre de l'OMC et de l'ALENA, le processus est beaucoup automatique. Les accords comportent des échéanciers auxquels les pays qui ont recours aux mécanismes prévus ne peuvent s'opposer.
Troisièmement, monsieur le président, je crois que les décisionnaires eux-mêmes ont acquis plus d'expérience tant au niveau multilatéral que dans le cadre de l'ALENA. Les pays membres de l'OMC se sont entendus sur une liste de spécialistes du monde entier qui sont répartis par domaines de compétence, ce qui assure leur objectivité. Au terme du mécanisme de règlement de gouvernement à gouvernement prévu dans l'ALENA, les gouvernements proposent une liste de candidats pour les groupes spéciaux qui, selon le traité lui-même, doivent posséder une expérience particulière dans le domaine visé par le traité, qu'il s'agisse de commerce extérieur, de droit ou de réglementation, ainsi que dans des disciplines pertinentes.
Nous constatons une quatrième amélioration en ce qui touche l'OMC, soit un deuxième palier de vérification des décisions rendues par les groupes spéciaux. Il s'agit de l'organisme d'appel. Les pays estimant qu'un groupe spécial a outrepassé son mandat peuvent demander à un organisme d'appel composé de personnes indépendantes de vérifier si ce groupe spécial n'a pas erré en droit.
Enfin, aux termes de l'ALENA et de l'Organisation mondiale du commerce, il est stipulé beaucoup plus clairement que dans le GATT ou l'ALE qu'un équilibre doit exister entre le droit d'obtenir des réparations d'un autre pays à l'échelle internationale et le droit d'user de représailles à son endroit. L'ALENA précise clairement qu'un pays qui a formulé une plainte dont on a reconnu le bien fondé et qui, malgré cela, n'a pas obtenu réparation, peut user de représailles, mais non de façon excessive. Cette action même peut faire l'objet d'un recours en vertu d'un mécanisme de règlement des différends.
La procédure de règlement des différends prévue dans le cadre de l'ALENA est décrite au chapitre 20 de l'accord - c'était le chapitre 19 dans l'ALE. Pendant les cinq années où l'accord de libre-échange Canada-États-Unis a été en vigueur, malgré le volume énorme des échanges entre nos deux pays, seulement cinq différends commerciaux ont été soumis, aux termes du chapitre 18 de l'accord, à un groupe spécial. Comme vous le savez, dans le cadre de l'ALENA, un seul différend en est arrivé à l'étape du groupe spécial, celui touchant le tarif imposé par le Canada sur les produits laitiers et la volaille.
Le deuxième type de mécanisme de règlement des différends, monsieur le président, qui est propre à l'Amérique du Nord et a été institué à la demande du Canada, est l'objet du fameux chapitre 19, celui que les gens associent le plus souvent au règlement des différends. La numérotation du chapitre est la même dans l'ALE et l'ALENA. Il s'agit d'un système unique en son genre de révision par un groupe spécial au niveau supranational des décisions nationales touchant les droits antidumping et les droits compensatoires.
Autrement dit, le Canada, les États-Unis et maintenant le Mexique ont accepté de créer un organisme international pour remplacer un tribunal national de révision. Même si cet organisme se compose de spécialistes internationaux, il est chargé d'appliquer la loi du pays importateur.
Ce système résulte évidemment d'un compromis et constitue, de l'avis du Canada, une solution moins que satisfaisante à laquelle on en était venu dans le cadre de ALE et qui a été reprise dans l'ALENA. Cette solution s'est cependant avérée à l'avantage des Canadiens. Cet organisme rend ses décisions beaucoup rapidement que les tribunaux des États-Unis. Les exportateurs canadiens qui ont une expérience du système estiment que les décisions rendues par cet organisme sont claires et bien motivées. Comme le montre la première page de l'annexe 2, la plupart de ces décisions ont été unanimes. Dans un cas seulement sur 71, les membres composant le groupe spécial ont rendu une décision selon leur nationalité. Dans tous les autres cas, les décisions ont été impartiales.
L'objectivité et l'impartialité des décisions sont également assurées par un autre palier d'intervention. Il s'agit d'un comité de contestation extraordinaire et les négociateurs comptaient bien qu'il soit «extraordinaire». Bien que 71 affaires aient fait l'objet d'un différend, certaines ayant attiré plus d'attention que d'autres, on a eu recours au comité de contestation extraordinaire en trois occasions seulement: dans le cas du porc, du porc vivant et, le cas le plus célèbre, je suppose, le bois d'oeuvre résineux exporté du Canada.
Dans chacune de ces affaires, le comité de contestation extraordinaire, qui se compose de juges en fonction ou de juges à la retraite des deux pays, s'est assuré que la décision du groupe spécial ne dépassait pas le cadre du traité.
Troisièmement, pour la première fois en vertu de l'ALENA, on a créé un nouveau mécanisme de règlement des différends, soit l'arbitrage mixte ou l'arbitrage par l'état investisseur.
En ce qui touche les obligations des investisseurs étrangers ainsi que les obligations de certains monopoles et de certaines entreprises d'État, l'ALENA prévoit un mécanisme aux termes duquel un investisseur étranger qui s'estime lésé peut soumettre son cas directement au gouvernement hôte sans qu'il ait à demander à son gouvernement d'intervenir dans l'affaire ou de soumettre celle-ci à un tribunal local.
Bien que ce mécanisme soit nouveau dans le cadre d'un accord commercial, il existe cependant depuis longtemps. Il figure dans les accords de protection des investissements étrangers dont le Canada est signataire. Au lieu de soumettre leurs plaintes à un tribunal dans le pays où ils ont investi, nos investisseurs peuvent compter sur un mécanisme d'arbitrage neutre.
Les traités sur les investissements bilatéraux conclus par les États-Unis comportent des dispositions analogues et le système lui-même s'inspire d'un système parrainé par la Banque mondiale sous les auspices du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, soit le CIRDI, dont le siège social est à Washington.
Il s'agit d'un mécanisme nouveau dans le cadre d'un accord commercial. Il n'était pas prévu ni dans l'ALE ni dans le GATT.
Jusqu'ici, aucune affaire n'a été soumise à ce genre d'arbitrage.
J'aimerais faire deux autres brèves remarques.
Ce document aborde également la question - mais je ne compte pas m'étendre là-dessus aujourd'hui à moins que vous n'ayez des questions à me poser à ce sujet - des procédures de règlement des différends prévues dans l'ALENA pour ce qui est de la coopération dans le domaine du travail et de l'environnement.
Enfin, monsieur le président, ce document fait également ressortir le fait que les mesures d'information et les procédures régulières qui font maintenant partie de l'OMC et de l'ALENA constituent en elles-mêmes des mécanismes de règlement des différends, car elles permettent d'éviter que des litiges mineurs ne s'aggravent.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Comme l'ALE le faisait auparavant, l'ALENA exige que les trois pays signataires prévoient, pour ce qui est des décisions touchant les marchés publics, un mécanisme de révision indépendant des soumissions et des offres.
Au Canada, cette tâche est confiée au Tribunal canadien du commerce extérieur qui est habilité à exiger que les marchés publics fassent l'objet de nouvelles offres lorsque c'est nécessaire pour que le processus soit juste et transparent. Nos fournisseurs peuvent recourir à ce mécanisme aux États-Unis ainsi qu'au Mexique.
S'il est possible de régler un problème au niveau administratif, cela évite qu'un petit problème devienne un différend national d'envergure politique.
Ce n'est qu'un exemple. L'Organisation mondiale du commerce comme l'ALENA essaient d'appliquer ce principe dans de nombreux domaines allant des douanes aux marchés publics, en passant par les décisions touchant l'octroi de permis et licences. Plus les échanges commerciaux seront assujettis à la règle de l'équité et de la procédure régulière, plus nos investisseurs, nos commerçants, nos soumissionnaires et nos fournisseurs auront un accès certain, garanti et prévisible aux marchés étrangers.
Voilà donc, monsieur le président, un autre élément du système des mécanismes de règlement des différends.
En conclusion, monsieur le président - et ce n'est pas tant pour donner du travail aux avocats que parce que nous nous devons d'être francs - le Canada continue de rechercher des améliorations aux divers mécanismes de règlement des différends. Étant donné que le Canada est une puissance moyenne, il a tout avantage à ce que les relations commerciales soient régies par des règles et non par des effets de levier économique.
Il est dans notre intérêt national de s'assurer que les règles sont constamment améliorées, et le document décrit les efforts du gouvernement pour réaliser cet objectif dans le cas des échanges commerciaux relevant de l'ALENA, de l'Organisation mondiale du commerce et de diverses initiatives régionales, comme l'APEC et l'Accord de libre-échange des Amériques.
Nous espérons vous avoir donné une introduction et un survol utiles. Mes collègues et moi-même sommes évidemment à votre disposition pour répondre aux questions que vous pourrez avoir aujourd'hui. Nous sommes aussi prêts à revenir ultérieurement pour discuter plus en détail de certaines questions.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup.
M. Fréchette et M. Gero vont-ils faire d'autres déclarations?
M. Fried: Non.
Le président: Ils sont là pour vous appuyer, monsieur Fried, n'est-ce-pas?
[Français]
Monsieur Sauvageau, vous avez la parole.
M. Sauvageau (Terrebonne): Monsieur Fried, je vous remercie d'abord pour l'ensemble de votre exposé, mais surtout pour sa dernière partie où vous avez dit que si nous avions besoin de vous encore une fois, vous vous feriez un plaisir de venir nous rencontrer. C'est très aimable de votre part, car nous aurons sûrement besoin de vos judicieux conseils. Je vous remercie aussi pour l'excellent document que vous avez déposé.
J'ai quelques questions dont quelques-unes proviennent d'un document émanant du Service de recherche. Je n'ai pas lu le document que vous avez remis plus tôt. Ma première question pourra paraître un peu bizarre, mais j'aimerais quand même avoir un éclaircissement sur un point.
J'ai souvent interrogé le ministre en Chambre sur le projet de loi Helms-Burton. Le président du Mexique est venu nous parler contre le projet de loi Helms-Burton. Il y a eu unanimité, exception faite des États-Unis et d'un autre pays du Sud, pour s'opposer au projet de loi, en Europe et un peu partout.
Ma première question s'adressera à M. Fried qui est coordonnateur de l'ALENA. Selon le document que vous nous avez remis, est-ce que le Canada peut, dans le cadre de l'ALENA, contester le projet de loi Helms-Burton?
[Traduction]
M. Fried: Monsieur le président, ce document se veut uniquement une description des mécanismes et ne prétend aucunement offrir un jugement d'ordre juridique ou autre, à l'égard des procédures.
Toutefois, comme les ministres Axworthy et Eggleton l'ont dit et confirmé, le Canada a déjà invoqué les dispositions de consultation de l'ALENA au sujet de la Loi Helms-Burton adoptée aux États-unis et il analyse actuellement les autres mesures possibles en vertu de l'ALENA et d'autres procédures internationales.
[Français]
M. Sauvageau: Je vous remercie.
L'autre question, dont on a parlé lors d'une réunion précédente, porte sur les sujets dont on pourrait discuter ici. Un de ces sujets se trouve à la page 22 du Livre rouge, que je n'ai pas ici. Je ne suis pas du parti qu'il faut pour l'avoir dans ma bibliothèque.
Il s'agit des groupes de travail sur les droits antidumping et les droits compensateurs. Ces groupes de travail, si je ne m'abuse, auraient dû déposer en janvier dernier un rapport sur l'état des travaux relatifs aux droits antidumping et aux droits compensateurs, ce qui n'a pas été fait. Plus tôt dans votre exposé, vous nous avez dit que les travaux sur ces droits étaient prévus dans l'Accord de libre-échange et qu'ils le sont aussi dans l'Accord de libre-échange nord-américain.
Si ces groupes de travail ont été maintenus, est-ce qu'un rapport a été produit sans qu'on le sache ou bien une date a-t-elle été prévue pour le dépôt d'un tel rapport? Et est-ce que le Mexique fait maintenant partie de ces groupes de travail ou si seulement le Canada et les États-Unis y sont représentés?
[Traduction]
M. Fried: Monsieur le président, puis-je répondre à la deuxième question en premier?
Même si les trois pays sont partie à l'ALENA et, de ce fait, au chapitre 19, le régime prévoit toujours des groupes spéciaux binationaux. Dans l'hypothèse où, par exemple, les États-unis appliqueraient des droits antidumping contre des produits canadiens et mexicains, deux groupes binationaux distincts seraient constitués pour examiner ces situations, l'un comprenant des membres américains et mexicains, et l'autre, des membres canadiens et américains. En résumé, l'ALENA ne modifie pas la procédure en vigueur pour protéger les exportateurs canadiens depuis l'adoption de l'ALE.
Au sujet des groupes de travail, le document en dit un mot à la page 19. Les fonctionnaires ont terminé leur travail et les ministres des trois pays ont été saisis de leur rapport. Je ne peux me substituer au ministre pour vous dire quelles mesures lui-même et ses homologues américain et mexicain souhaitent prendre en l'occurrence. Tout ce que je peux vous dire, comme je l'ai déjà fait, c'est que le Canada continue de vouloir apporter des améliorations au régime de base. Les droits antidumping et compensateurs ne sont pas des instruments opportuns dans une zone de libre-échange. Le Canada poursuivra ses efforts pour réaliser son objectif à long terme d'éliminer le recours à ces instruments de protection spéciale.
[Français]
M. Sauvageau: Merci.
Ai-je le temps de poser une dernière question, monsieur le président?
Le président: Allez-y, mais ensuite votre temps sera épuisé.
[Traduction]
Nous allons accorder une question supplémentaire à M. Sauvageau.
[Français]
M. Sauvageau: Le Canada fait partie de l'ALENA et aussi de l'OMC. En cas de conflit avec les États-Unis ou avec le Mexique, le Canada a-t-il le choix de s'adresser au tribunal de l'un ou l'autre de ces organismes et de quelle façon ce choix est-il déterminé? Y a-t-il des facteurs, des caractéristiques qui déterminent si on s'adresse au tribunal de l'OMC ou à celui de l'ALENA?
[Traduction]
M. Fried: Pour répondre officiellement à cette question, je peux vous donner une réponse brève ou une réponse très longue et juridique. La réponse brève, c'est que nous avons conservé dans l'ALENA tous les droits de présenter des plaintes en vertu du GATT et de l'OMC. Si le Canada veut déposer une plainte à l'endroit des États-unis ou du Mexique et que celle-ci peut être contestée sous l'égide de l'OMC ou de l'ALENA, il a le droit de choisir l'organisme de son choix.
Évidemment, dans la foulée de notre accord avec le Mexique et les États-unis, nous savions que si ces deux pays voulaient se plaindre contre le troisième et que l'un choisissait le GATT - ou maintenant l'OMC - et l'autre l'ALENA, le pauvre tiers pays en question devrait se défendre deux fois, devant pratiquement une double menace. L'ALENA encourage donc les pays en question à essayer de s'entendre sur une tribune, mais à défaut d'accord, l'ALENA confirme la liberté de choisir le GATT, l'OMC ou l'ALENA, selon le bon vouloir du pays en cause.
Il y a à cet égard une règle spéciale qui vise certaines catégories de différends sur le plan environnemental mettant en cause des questions détaillées de nature scientifique ou technique.
Les trois pays signataires de l'ALENA estiment avoir mieux réussi à formuler certains éléments spéciaux du mécanisme de règlement des différends que nous avons pu le faire au plan multilatéral avec l'OMC. Des dispositions spéciales prévoient la contribution d'expériences scientifiques au processus pour s'assurer qu'on ne recourt pas à une réglementation en apparence consacrée à la santé ou à l'environnement pour des motifs protectionnistes.
Nous voulions des évaluations objectives de ces domaines extrêmement complexes. Dans des cas comme celui-ci, si le pays défendeur estime qu'il peut prouver que de telles questions sont en jeu - des questions scientifiques objectives - il peut se plaindre et dire: «Même si vous souhaitez que j'aie recours à l'OMC, étant donné la nature de l'affaire, j'insiste pour avoir recours à la procédure de l'ALENA pour pouvoir bénéficier de cette vérification scientifique supplémentaire». Mais cela mis à part, comme je l'ai dit, si cette question relève des deux ententes, c'est une question de libre choix.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Penson.
M. Penson (Peace River): Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être venus comparaître aujourd'hui. L'information que vous nous avez apportée nous sera très utile tout au long de nos travaux. Au cours de l'été, nous aurons sans doute l'occasion d'étudier les documents et j'espère qu'à l'automne, nous pourrons revenir là-dessus et faire progresser le dossier. Je pense que nous vous demanderons probablement de revenir pour aider le comité.
D'après ce que nous ont dit les représentants des Finances et ce que vous avez dit vous-même, les droits antidumping et compensateurs ne sont guère constructifs dans un contexte de libre-échange, et je suis tout à fait d'accord. Mais lorsque l'on traite avec un partenaire qui n'est pas disposé à abandonner ces mesures...
Premièrement, est-il déjà arrivé qu'un pays abandonne unilatéralement le recours à des droits antidumping ou compensateurs?
Votre ministère ou un autre organisme a-t-il fait une étude, une analyse de coût-avantages des recours commerciaux? Par exemple, a-t-on comparé le coût du Tribunal canadien du commerce extérieur par rapport aux revenus générés par les droits et tarifs? Autrement dit, nous avons une bureaucratie qui administre cela et qui nous coûte une certaine somme. Existe-t-il des droits compensateurs qui permettent de la financer?
M. Fried: Merci.
Pour répondre à la première question, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'inverserais presque la réponse. Tous les pays du système commercial international n'ont pas une législation antidumping. Un très petit nombre de pays ont activement recours à cet instrument. Le Canada est à l'avant-garde, avec les États-Unis et l'Union européenne. C'est en effet l'un des pays qui a le plus souvent recours à un régime de droits antidumping et compensateurs pour se protéger contre des importations étrangères déloyales.
Unilatéralement, un grand nombre de pays ont choisi de ne pas adopter de loi antidumping. L'Uruguay Round précise que si un pays choisit d'en adopter une, il doit procéder de telle façon plutôt que de telle autre.
Évidemment, sur le plan bilatéral et régional, il y a de nombreux exemples de l'élimination de recours commerciaux dans le contexte d'une zone de libre-échange préférentiel. Dans l'accord de libre-échange conclut entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande, le Closer Economic Relations Agreement, les deux pays ont volontairement décidé d'appliquer, à la place d'une loi antidumping, une loi sur la concurrence interdisant la pratique des prix abusifs et la différenciation.
Le Traité de Rome, qui est à la base de l'Union européenne, dans la mesure où il permet le libre-échange entre les pays membres, établit que ces derniers invoqueront les principes antitrust et de concurrence énoncés aux articles 85 et 86 plutôt qu'à une loi antidumping dans cette région.
J'imagine que cela répond à votre première question. Je demanderais maintenant à M. Gero, notre expert en recours commerciaux, de faire état des études qui ont été effectuées ou qui sont disponibles.
M. John Gero (directeur, Direction des recours commerciaux, ministère des Affaires extérieures et du Commerce international): Vous recevrez sans doute certaines réponses aux questions que vous vous posez concernant les coûts et avantages macro-économiques des lois sur les recours commerciaux lorsque le comité de la Chambre, chargé d'examiner la LMSI, commencera ses travaux sur ce sujet. Les opinions sur ces questions divergent et je suis sûr que les témoins fourniront au comité diverses analyses de ce qu'ils considèrent comme les avantages ou les coûts de nos propres régimes antidumping et droits compensateurs.
Dans une certaine mesure, tout va dépendre du point de vue: certains secteurs, j'en suis sûr, vont vous vanter les avantages de la LMSI et essayer de vous convaincre de la nécessité de renforcer cette loi afin de mieux les protéger contre les pratiques commerciales déloyales; d'autres, je n'en doute pas, insisteront sur les coûts de la LMSI et sur le fait qu'elle augmente les coûts de leurs intrants, entre autres. L'examen de la loi vise précisément, à mon avis, à obtenir une réponse au genre de questions que vous venez de poser à ceux qui représentent l'économie canadienne.
M. Penson: Plusieurs d'entre nous participeront à cet examen de la LMSI mais la question à laquelle je voulais une réponse - tout en sachant que cela dépend du secteur et qu'il faudra entendre les deux sons de cloche - c'est le coût-avantage réel pour le gouvernement. Si l'on tient compte des employés chargés de faire appliquer cette loi, les droits perçus en compensent-ils le coût?
M. Fried: Je ne puis vous répondre que de notre point de vue: Or, ce n'est pas notre ministère qui est responsable de ce financement. Ce n'est pas nous qui régissons le Tribunal canadien du commerce extérieur, et nous ne savons pas ce que reçoit Revenu Canada par ce processus. Notre ministère n'a pas à sa disposition d'études ni de calculs, ni accès aux chiffres, qu'il s'agisse des effectifs ou des coûts des transactions.
M. MacDonald (Dartmouth): Je vous souhaite la bienvenue au comité. Vous avez devant vous, John, à l'exception de quelques membres, le même comité qui va procéder à l'examen de la LMSI, de sorte que vous nous êtes d'une grande utilité, car vous nous permettez de comprendre le contexte dans lequel cet examen devrait se faire. Ce que vous avez à nous dire aujourd'hui sera également très précieux pour la plupart des membres du comité lors de nos délibérations sur l'examen de la LMSI.
Pour nous éclairer un peu les idées, car il faut bien reconnaître que tous ces documents semblent parfois bien abstrus, avec leur surabondance d'acronymes, de numéros de chapitres et autres - serait-ce pour embrouiller le profane, mais je crains que cela ne finisse également par embrouiller les spécialistes - pourriez-vous envisager une plainte hypothétique, mettons aux termes du chapitre 22 de l'ALENA, et nous faire parcourir la filière, les étapes à franchir et les délais. En effet, quand il y a consultation, il y a certainement délai. Expliquez-nous comment on engage une consultation et dans cette même situation hypothétique, faites-nous franchir les diverses démarches devant l'OMC. Ce serait peut-être une bonne façon de nous donner une idée des diverses étapes à franchir et du fonctionnement du système.
M. Fried: Je vais essayer de faire de mon mieux. Dans les deux cas, la procédure comprend, en fait, deux étapes ou deux étapes et demie, comme c'est le cas pour tout contrat dans une relation permanente. En cas de différend, la première mesure à prendre est de demander un entretien en tête-à-tête.
Aux termes de l'ALENA de même que de l'OMC, la première chose à faire, pour un règlement de différend, est de demander une consultation. Dans le cas de l'ALENA, on procède en adressant une lettre à la partie avec laquelle on veut s'entretenir, en envoyant une copie au tiers pays afin que celui-ci soit au courant de la situation et sache qu'il n'y a pas de tractations secrètes dirigées contre lui.
De même, dans le cas de l'OMC, la demande de consultation est adressée à l'autre gouvernement, avec avis adressé à tous les pays du GATT. Avec l'ALENA, la date de ces consultations doit être fixée, si vous insistez sur vos droits, dans les 30 jours. Il est naturellement loisible aux deux pays de prendre plus de temps si les discussions se déroulent de façon satisfaisante, et peut-être s'il y a moyen d'arranger les choses à l'amiable.
Avec l'OMC la période est un peu plus longue, mais également de 30 jours à la première étape, me dit mon conseiller juridique. Ces consultations sont de nature juridique, de gouvernement à gouvernement, non par goût du secret, mais plutôt parce qu'à cette étape, si ce que vous essayez de faire est de trouver une solution à l'amiable, il vaut mieux, comme dans les séances à huis clos, mener des tractations loin de l'oeil des projecteurs où l'on adopte des positions plus rigides en posant pour la galerie.
Au second stade de l'ALENA, il y a une étape intermédiaire: si vous ne parvenez pas à composer avec l'autre partie dans la période de 30 jours ou plus, selon ce que vous étiez convenu, vous pouvez demander une réunion de ce qu'on appelle la délégation commerciale de l'ALENA. Cette dernière n'est ni la Commission européenne ni un organisme international et indépendant, mais ce sont les trois ministres du Commerce de l'ALENA agissant collectivement pour examiner l'accord dans son intégralité. Demander à s'adresser à cette délégation, c'est clairement indiquer que la question est grave et importante et que l'on veut qu'elle se règle au niveau politique.
Cette commission doit se réunir dans les dix jours; elle peut le faire même par téléphone ou par téléconférence, et elle dispose aussi de 30 jours au maximum, sauf entente mutuelle de prolonger ce délai pour régler le différend.
À ce stade, toujours pour en rester à l'ALENA, on peut demander, et l'affaire n'a toujours pas été résolue, la mise sur pied d'un comité de règlement des différends.
Avec l'OMC, le stade intermédiaire n'existe pas, bien qu'il soit loisible aux pays, bien entendu, de demander une seconde ou une troisième série de consultations.
Revenons-en à l'ALENA. Le règlement des différends et la demande d'un comité déclenchent le processus de mise sur pied du comité, le dépôt des mémoires, etc. La durée de ce processus dépend du temps qu'il faut pour choisir les cinq membres du comité.
Pour compléter cette description, je vous signale une innovation intéressante de l'ALENA, de nature, à notre avis, à assurer l'objectivité du processus. Cette mesure permet également de s'écarter de ce qu'on peut appeler un modèle d'arbitrage des conflits du travail, où les deux parties choisissent leur champion et s'entendent ensuite pour en choisir un troisième. Avec l'ALENA, ce qui se produit, c'est que l'on choisit ceux de la partie adverse: dans un différend entre le Canada et les États-Unis, le Canada doit nommer deux Américains, les États-Unis deux Canadiens, et on s'entend sur un troisième, qui est neutre.
Le processus de sélection du comité prend normalement de 30 à 45 jours, parce qu'il faut un certain temps pour vérifier qu'il n'existe pas de conflit d'intérêts, que les formulaires de divulgation sont correctement remplis et que la personne est irréprochable pour toutes les parties. Au lieu de vous donner la ventilation des catégories, je préfère, en guise d'indication, vous dire que la procédure, après les 60 jours, dure environ 190 jours, soit environ six à sept mois pour le stade du comité. Le processus de règlement des différends dans le cadre de l'ALENA prend donc en tout un peu moins d'un an, soit environ 315 jours, ce qui, à l'époque où nous avons négocié cela, était beaucoup plus court que les procédures d'alors dans le cadre du GATT.
Avec l'OMC, le stade du comité s'est aligné sur celui de l'ALENA, et dure de six à neuf mois. Mais comme il faut choisir des membres du comité appartenant à un troisième, quatrième et cinquième pays et non simplement des nord-américains, et puisqu'il est plus difficile parfois d'organiser des réunions multipartites, une partie du calendrier du GATT ou de l'OMC dépend du temps que l'on met à organiser une audience et là, je ne peux que vous donner un délai moyen.
L'objectif des négociateurs de l'OMC était également de terminer le processus dans les limites d'un an maximum, d'un bout à l'autre, et pour les quelques comités qui ont achevé leurs travaux, vous constaterez, d'après le tableau, qu'ils s'en sont dans l'ensemble tenus à ce calendrier.
Que se passe-t-il à la fin du processus? Dans les deux cas, après audiences orales et présentations écrites ou mémoires ou plaidoyers - appelés soumissions - le comité est requis de reproduire un projet de rapport, un rapport préliminaire. Cela vise à donner aux parties en litige, dans une certaine mesure, le contrôle permanent du processus, car il s'agit d'ententes commerciales conclues par les membres. C'est pour dire au comité que ce n'est pas vraiment ce que nous attendions de lui, que nous pensons qu'il s'est écarté de son objectif et que nous avons des commentaires à lui adresser.
En vertu de l'ALENA, on est libre de commenter le rapport entier; dans le cadre de l'OMC, le commentaire ne porte que sur les fondements factuels sur lesquels se baseront les conclusions juridiques.
Quoi qu'il en soit, c'est un processus qui prend une quinzaine de jours, aux termes de l'ALENA. Lorsque nous recevons ce rapport préliminaire, si nous sommes partie à une affaire, nous avons une quinzaine de jours pour adresser des commentaires au comité, qui dispose à son tour d'une quinzaine de jours pour réviser ou amender son projet, en prenant en compte les commentaires du gouvernement.
Dans le cadre de l'OMC le comité dispose de délais un peu plus longs - quatre semaines, d'après M. Fréchette - pour prendre en compte les commentaires du gouvernement. Là encore, le comité tiendra compte de ces commentaires avant de publier son rapport définitif.
Actuellement, les différences ne sont donc pas très grandes. Quand nous avons négocié l'ALENA, nous étions bien en avance par rapport au système multilatéral, et en créant un précédent, nous avons contribué, je pense, à un modèle plus efficace de règlement des différends dans le cadre de l'OMC.
Enfin, monsieur le président, j'ai mentionné que l'OMC a ajouté un second stade, celui d'un organisme d'appel: il s'agit d'une procédure très rapide, en partie parce l'examen devait être limité. Si ce processus est déclenché, il faut ajouter, le cas échéant, 90 jours, comme cela se serait produit avec les États-Unis dans le cas de l'essence reformulée, par exemple. Est-ce que j'ai bien répondu à votre question?
M. MacDonald: C'est très bien.
Le président: Monsieur Assadourian.
M. Assadourian (Don Valley-Nord): Je vous remercie.
Je vais revenir sur la question de M. MacDonald. Pourriez-vous mettre ce que vous avez dit sous une forme qui nous permette de suivre les étapes une à une? Je fais de mon mieux pour en suivre le déroulement, mais je ne suis pas avocat.
M. Fried: Nous pouvons certainement vous présenter ce déroulement sous forme graphique, en étapes successives accompagnées de légendes.
M. Assadourian: Ce serait très bien.
J'ai quelques petites questions, dont la première ne devrait pas vous prendre beaucoup de temps. Si nous sommes perdants lors d'un recours dans le cadre de l'ALENA, pouvons-nous porter l'affaire devant l'OMC, et inversement?
M. Fried: Non.
M. Assadourian: Un rejet est donc définitif.
M. Fried: Oui. La raison en théorie - ce qui est d'ailleurs dans l'intérêt du Canada - c'est ce qu'on appelle l'autorité de la chose jugée: si c'est la même mesure, la même question qui est en jeu, pourquoi porter deux fois l'affaire devant un tribunal? Si vous vous considérez comme le défendeur, vous ne tenez pas à être attaqué deux fois, devant deux tribunaux différents.
Si l'on est le plaignant, pourquoi tenter deux fois sa chance, en particulier puisque dans de nombreux domaines, les règles de l'OMC et de l'ALENA sont identiques? L'ALENA, en effet, incorpore la règle de l'OMC pour les principes fondamentaux de traitement national et de non-discrimination à la frontière, de sorte qu'en réalité, on fait appliquer ses droits et obligations dans le cadre de principes identiques. On est donc libre, au départ, de choisir l'un ou l'autre, mais non de s'adresser à l'autre faute d'avoir obtenu ce que l'on attendait du premier.
M. Assadourian: Il me reste une autre question: Qui paie pour déclencher le processus? Est-ce votre ministère, le plaignant, ou l'association des gens d'affaires? Comment est-ce que cela fonctionne?
M. Fried: Cela ne relève pas du ministère, sauf erreur. Je vais devoir demander plus de détails là-dessus, mais c'est certainement le gouvernement qui paie en partageant les frais avec les parties gouvernementales participant au processus.
Comme il ne s'agit pas d'un tribunal permanent, mais une simple procédure en référé, celle-ci n'est pas très coûteuse. Les membres reçoivent une indemnité journalière pour chaque jour où ils siègent, et il suffit d'un petit secrétariat, une sorte de registraire de tribunal maintenu dans chacune des trois capitales à des fins administratives.
M. Assadourian: Ma dernière question ne porte ni sur l'ALENA ni sur l'OMC ni sur l'entente commerciale avec les États-Unis, mais sur l'engagement que nous sommes sur le point de signer avec Israël. Pouvez-vous nous assurer que nous aurons, dans le cadre de cette entente, un mécanisme semblable de règlement des différends, basé sur les principes de l'ALENA ou de l'OMC?
M. Fried: Monsieur le président, je ne suis pas en mesure, bien entendu, de discuter d'une entente qui n'a pas encore été signée, mais je peux vous dire que l'accord de libre-échange Canada-Israël, comme les autres, doit se conformer au GATT et à l'OMC, ce qui signifie que les droits et obligations seront de même nature. On peut prévoir que les gouvernements considéreront que ce genre de procédures conviennent le mieux, de gouvernement à gouvernement, pour veiller à ce que soient respectés les droits et obligations semblables; en outre, selon toute prévision, la procédure de gouvernement à gouvernement ressemblera à celle de l'OMC et s'alignera sur le chapitre 20 concernant le règlement des différends.
M. Assadourian: En serait-il de même de tous les pays? Si vous concluez une entente de libre-échange aux termes de l'OMC ou...
M. Fried: Ce que j'essaye de dire, monsieur le président, c'est la chose suivante.
Je n'ai pas fait d'étude approfondie de la centaine d'ententes de libre-échange qui existent actuellement dans le monde entier; je peux seulement dire que la procédure de comité, précédée de consultations de gouvernement à gouvernement, avec sélection des membres du comité selon les besoins est fort répandue, a fait ses preuves, pendant les 40 ans d'application du GATT, et continue à les faire actuellement, avec l'OMC et les autres ententes de libre-échange.
M. Assadourian: Très bien. Je vous remercie.
Le président: Je vais invoquer mon privilège de président pour vous poser une question: quand un comité prend une décision, est-elle définitive ou peut-on interjeter appel, par exemple, devant la Cour suprême des États-Unis?
M. Fried: Avec l'OMC, comme je le mentionnais, monsieur le président, le rapport du comité est définitif, à l'exception seulement d'un organisme d'appel qui constaterait qu'il y a eu erreur fondamentale de droit. Avec l'ALENA, nous avons manifesté suffisamment de confiance dans l'objectivité et l'équité du comité même et prévu seulement ce rapport préliminaire, afin d'axer correctement le comité sur la question; aucun organisme d'appel n'a été prévu.
D'entrée de jeu, j'ai déclaré clairement, monsieur le président, que les délibérations de ce comité, tant dans le cadre de l'OMC que de l'ALENA au niveau international, applique le droit international, le droit de l'un ou de l'autre traité.
Aussi les obligations et les droits internationaux ne sont-ils pas de nature à être mis en vigueur par les tribunaux internes, mais c'est plutôt l'inverse: c'est le comité international qui détermine si la plainte provenant d'un organisme administratif, ou en vertu d'une loi ou est conforme à vos obligations internationales.
Le rapport du comité, une fois publié ou définitif ou agréé par un organisme d'appel, est publié au niveau international, mais il n'a pas d'effet automatique: il n'abroge pas de loi, il n'en supprime pas comme le ferait une décision fondée sur la Charte devant un tribunal canadien. Il dit simplement: si nous gagnons notre cause contre les États-Unis, pour prendre un exemple hypothétique, vous, les États-Unis, avez l'obligation, devant les nations, de vous conformer à cette décision.
Cela revient à dire qu'il incombe aux États-Unis soit de modifier leur loi, soit de changer leur règlement ou procédure administrative de façon à aligner leur pratique interne sur cette décision. Nous, en tant que Canadiens, nos pourrions nous adresser directement à un tribunal américain en lui demandant d'intervenir pour arriver à ce résultat.
Mais si les États-Unis ne se conforment pas à cela, ou si nous ne parvenons pas à un autre compromis pendant la période de réflexion de 30 jours qui suit, ils sont dans l'obligation - cela a toujours été le cas avec le GATT - soit de nous indemniser, ce qui revient à nous accorder des concessions de tarif ou autres de valeur équivalente au préjudice qu'ils nous ont causé en maintenant une barrière déloyale, soit, en cas de refus ou si nous considérons leur offre inacceptable, nous avons le droit de prendre des mesures de représailles correspondantes au préjudice commercial qu'ils nous ont causé.
J'espère avoir ainsi établi clairement la relation entre les procédures de droit de pays et de droit international.
Le président: Oui, certes, mais je pensais encore à un autre aspect de la question.
Quand un arbitre, un tribunal ou un comité d'arbitrage prend une décision en droit international, cela ne signifie pas pour autant que le droit d'un pays ou sa constitution donnera les pouvoirs nécessaires pour appliquer cette décision.
Mais dans le cas actuel, le comité décide sur un point de droit interne - par exemple, de droit américain - et non sur un point de droit international. La question se pose de savoir si les États-Unis accepteront qu'un organisme international porte un jugement définitif sur ses propres lois dont l'interprétation relève, en dernier recours, de la Cour suprême. Peut-on envisager que le tribunal de dernier ressort soit la Cour suprême, parce que c'est une loi américaine qui fait l'objet d'une interprétation?
M. Fried: Monsieur le président, vous voulez sans doute que je vous parle du chapitre 19, le système d'examen du droit national par un groupe international d'experts.
À l'époque où l'Accord de libre-échange a été approuvé avec la procédure prévue au chapitre 19, le Congrès et l'administration des États-Unis ont tenu à veiller à ce qu'un organisme international appliquant une loi nationale voit ses décisions respectées, tant dans leur propre système que dans le nôtre, par l'article 96, cours supérieures du Canada. Un examen approfondi a été entrepris, en fait, par le Congressional Standing Committee on the Judiciary (Comité permanent du Congrès sur le système judiciaire) quant au caractère constitutionnel de cette procédure.
De même qu'au Canada, nous pouvons décider, quel que soit le régime, que si l'on veut interjeter appel, il faut s'adresser à tel ou tel tribunal, de même les États-Unis ont décidé qu'avec leur système on serait libre, aux termes de la législation du Congrès sur la mise en vigueur de l'Accord de libre-échange et également de l'ALENA, de dire qu'en cas de contestation d'une décision américaine antidumping ou de droits compensateurs, on pourra faire appel en vertu du système énoncé au chapitre 19, tel qu'appliqué dans notre droit national et que nous, Congrès des États-Unis, donneront à ces décisions signées par le Président, force de loi nationale.
Ceci est vrai pour la International Trade Commission des États-Unis, et conformément à un ordre du Président, qui est d'autorité permanente, il ordonne à tous les fonctionnaires américains d'agir en conformité avec la décision du groupe d'experts international, ce qui revient à ordonner au département du Commerce d'obéir et d'agir de façon non contraire à la décision du groupe d'experts international.
De même qu'au Canada, aux termes de la Charte des droits, quelqu'un peut soulever la question de savoir si un système est constitutionnel, de même aux États-Unis la possibilité existe, pour une partie lésée, de remettre en question la constitutionnalité de tout le système. Aucune contestation de ce genre n'a été faite depuis les six ou sept ans que l'Accord de libre-échange, puis l'ALENA, sont en vigueur.
Il est arrivé à l'occasion, une ou deux fois, qu'un secteur envisage la chose et fasse peut-être la première démarche, mais d'après notre interprétation de la documentation disponible sur ce sujet - en précisant toutefois que de toute évidence, nous ne sommes pas des spécialistes du droit américain - le consensus de l'opinion juridique, la vaste majorité aux États-Unis semble sûre de la constitutionnalité légitime du système du chapitre 19 au sein du système juridique des États-Unis.
M. Penson: Je voudrais un éclaircissement sur le point que vous avez soulevé. Quand un différend commercial se présente et qu'il y a règlement final, si l'une des parties choisit de ne pas effectuer les changements requis, l'autre partie a le droit de prendre des mesures de représailles en imposant des droits de douane. Ces derniers doivent-ils s'appliquer à ce secteur ou à tous les secteurs auxquels on choisira de les appliquer? C'est la précision que je voudrais avoir.
M. Fried: Il existe là une mesure intermédiaire: Si la partie perdante n'obtempère pas, ne modifie pas sa loi ou ses pratiques, elle devrait - le conditionnel s'impose en l'occurrence - proposer une autre indemnisation. Quand nous obtenons gain de cause, les États-Unis pourraient dire: «Nous ne pouvons abaisser les droits de douanes sur tel ou tel article, cela pose trop de problèmes politiques; accepteriez-vous que nous les abaissions sur un autre article, jusqu'à concurrence du même volume de ventes?» Dans ce cas, il s'agit d'une offre d'indemnisation d'effet commercial équivalent.
En cas d'inaction totale, le Canada, de toute évidence, a droit de représailles.
Ce n'est pas limité aux droits de douanes, c'est limité en effet. Le terme technique exact est «retrait d'avantages équivalents». Les avantages qu'auraient autrement les États-Unis au terme de l'accord, dans mon cas hypothétique, ne sont pas seulement tarifaires, mais portent également sur les services, les investissements et autres.
Si les États-Unis ne modifient pas leur loi et si nous n'obtenons pas d'indemnisation, nous devrions envisager le retrait d'avantages de nature non tarifaire. L'ALENA de même l'OMC manifestent une préférence marquée pour limiter la portée du différend, et bien qu'il ne s'agisse pas d'une obligation exécutoire, les deux accords indiquent, par le choix des termes, que les parties devraient, dans toute la mesure du possible, envisager ce retrait dans le même secteur ou dans des secteurs connexes.
Ce n'est pas toujours possible: il se peut qu'il n'y ait pas de commerce dans l'autre direction, mais ce qu'on veut éviter, c'est une situation où un différend dans une partie du pays concernant une catégorie de denrées gagne tout à coup le secteur bancaire, à l'autre bout du pays, car cela risque d'avoir des effets perturbants.
M. Penson: C'est peut arriver.
M. Fried: En effet.
M. Penson: Cela créerait quantité de problèmes, car un secteur innocent ou une partie innocente peut être affecté sans qu'il y ait faute de sa part, ce qui aurait des conséquences sérieuses si cela se produisait.
M. Fried: Par ailleurs, monsieur le président, voilà 40 ans que cette même règle existe dans le cadre du GATT, tout au moins dans le domaine des droits de douanes sur les marchandises, et parfois cette offre d'indemnisation est utile. Si vous ne pouvez vous résoudre à prendre rapidement une décision pour un secteur, mais que vous tenez à ce que les échanges se poursuivent harmonieusement entre vos deux pays, vous pouvez toujours proposer, par exemple: «Nous ne pouvons céder sur le tabac, mais que penseriez-vous si l'on cédait sur le cuir?» De cette façon, un sain équilibre entre importations et des exportations est maintenu.
Le président: Chers collègues, il est un peu plus de 16 h 40 et nous sommes censés terminer la séance à 17 heures. D'après ce que je constate, nous pourrions aisément la prolonger jusqu'à 17 h 30, mais à ce moment-là, il y aura la sonnerie et il faudra lever la séance. Je voudrais donc vous consulter: je suis disposé à passer à la deuxième série de questions, compte tenu du fait que nous empiéterons alors sur le temps dont nous avons besoin pour notre discussion en privé.
Monsieur Sauvageau.
[Français]
M. Sauvageau: Pourrait-on demander à nos invités s'ils peuvent rester plus longtemps?
[Traduction]
Le président: Certainement, C'est ce qu'ordonne la politesse.
Si vous êtes disposé à prolonger la séance, messieurs...
M. Fried: Nous sommes à votre service.
Le président: Je vous remercie. Pensez-vous avoir le temps pour une seconde série de questions?
M. Assadourian: Je dois partir à 17 h 30.
M. MacDonald: Monsieur le président, si les témoins sont disposés à rester... nous sommes en train de tâter le terrain, et ils nous ont apporté beaucoup de matière à réflexion. Même si certains membres du comité doivent partir, il reste encore des questions à poser si les témoins, eux, peuvent nous consacrer encore quelques instants.
Le président: Parfais, nous passons donc à la deuxième série de questions.
Monsieur Sauvageau.
[Français]
M. Sauvageau: Ma première question sera très courte et probablement que la réponse le sera également. Pourriez-vous nous parler de l'entente bilatérale Canada-Israël? Pourriez-vous nous dire quels sont les délais? On nous a parlé de juillet, de janvier ou de plus tard. Quel délai est prévu?
[Traduction]
M. Fried: Monsieur le président, je ne peux vraiment pas vous parler de cela en détail. Certes, avec les élections qui viennent d'avoir lieu en Israël, des contacts ont été établis par le biais de notre ambassade à Tel Aviv pour veiller à ce que cette question reste une priorité pour le nouveau gouvernement, mais nos spécialistes ne m'ont pas accompagné aujourd'hui, et je ne puis donc vous fournir aucun détail à ce sujet. Mais si vous pensez que cela pourrait vous être utile, nous sommes certainement disposés à répondre à cette question par écrit.
[Français]
M. Sauvageau: Je vous remercie et je comprends...
[Traduction]
M. Assadourian: J'apprécierais grandement une copie de la lettre que vous avez envoyée.
M. Fried: Nous l'adresserons au président du comité.
Le président: Très bien. Nous la ferons distribuer.
[Français]
M. Sauvageau: Si je peux me permettre, j'aimerais changer un peu l'orientation de la discussion et aborder la question du bois d'oeuvre. Dans l'entente concernant ce dossier, si je ne m'abuse, les quotas permis aux entreprises exportatrices sont les mêmes que les quotas correspondant à la production de 1995, soit 14 milliards de pieds linéaires. Je ne me rappelle pas tous les détails. De quelle façon une entreprise qui naît aujourd'hui et s'oriente vers l'exportation peut-elle se voir accorder des quotas d'exportation? Est-ce défini dans l'entente entre le Canada et les États-Unis?
[Traduction]
M. Fried: Monsieur le président, si vous me le permettez, je demanderais à M. Gero de répondre.
M. Gero: Il y a deux volets à la question. D'abord, la formule selon laquelle le Canada attribue les 14,7 milliards de pieds-planche ne fait pas partie de l'accord. C'est au Canada d'en décider.
L'engagement pris envers les États-Unis stipule que 14,7 milliards de pieds-planche ne seraient pas assujettis à des droits d'exportation. Nous sommes en train de déterminer la formule d'attribution des 14,7 milliards de pieds-planche entre les entreprises, les sociétés et les producteurs et je crois qu'il y a avec les entreprises et les provinces des consultations poussées prévues par l'accord - elles sont en cours - dans le but d'en arriver le plus tôt possible à une décision quant à la répartition du total de pieds-planche.
Il ne serait pas faux de dire en réponse à la question que vous avez posée quant à la formule d'attribution qui sera utilisée: sera-t-elle strictement fonction des expéditions historiques ou tiendra-t-on compte des augmentations de capacité ou de l'arrivée sur le marché d'un nouveau producteur, étant donné les investissements réalisés ces dernières années? Ce sont autant d'éléments qui seront pris en compte pour établir la formule d'attribution.
[Français]
M. Sauvageau: Pour préciser, monsieur le président, le chiffre total a été fixé en fonction des exportations totales de 1995, mais la répartition par entreprise n'a pas encore été déterminée.
[Traduction]
M. Gero: Le total de 14,7 milliards de pieds-planche a été négocié entre le Canada et les États-Unis. Bien entendu, il a fallu tenir compte des totaux historiques, mais comme ce n'était pas le total en 1995, cela ne figure pas dans l'accord. C'est un chiffre établi lors des négociations. Quant à la formule d'attribution au Canada, j'imagine qu'elle sera fonction des expéditions historiques et de la capacité actuelle ou de la capacité future résultant de nouveaux investissements.
[Français]
M. Sauvageau: Mais d'ici ce temps - vous ne pouvez peut-être pas nous dire quel sera le délai pour l'entente finale - , est-ce qu'une entreprise qui vient d'acheter des appareils pour un montant totalisant deux ou trois millions de dollars pour se moderniser et qui décide de faire l'exportation du bois d'oeuvre peut le faire ou est-ce qu'elle doit attendre que les fonctionnaires aient terminé de tergiverser dans leurs négociations?
[Traduction]
M. Gero: À l'heure actuelle, ceux qui veulent exporter aux États-Unis expédient du bois d'oeuvre de résineux. Rien n'empêche une entreprise canadienne d'expédier du bois d'oeuvre aux États-Unis. La seule restriction, comme vous le savez, en plus du total annuel de 14,7 milliards de pieds-planche, c'est un mécanisme d'endiguement des importations qui prescrit qu'au cours d'un trimestre donné, les expéditions en franchise ne dépasseront pas 28,75 p. 100 du total de14,7 milliards de pieds-planche.
Ainsi, tant que le Canada n'aura pas établi la formule d'attribution, tous les producteurs pourront expédier leurs produits jusqu'à ce que le total national atteigne 28,75 p. 100 pour un trimestre donné, après quoi toutes les expéditions seront assujetties à des droits d'exportation de 50$. Mais là encore, cela ne vaut que pour un trimestre et dès le 1er juillet les compteurs seront remis à zéro et les exportations en franchise pourront reprendre.
Nous avons aussi indiqué clairement à tous les exportateurs que la formule d'attribution s'appliquera du 1er avril au 31 mars, période couverte par l'accord, et que les expéditions faites au cours des deux premières périodes intermédiaires avant l'établissement de la formule d'attribution seront défalquées de l'attribution annuelle de chaque producteur. Ainsi, toutes les expéditions seront défalquées de l'attribution individuelle; le problème, c'est qu'il faut du temps pour établir la formule d'attribution.
Le président: Monsieur Penson.
M. Penson: Je veux aussi vous interroger sur le litige du bois d'oeuvre. Le système en place actuellement est difficile à administrer et les entreprises de ma circonscription s'en plaignent. Ce n'est toutefois pas ce dont je veux parler. Je veux plutôt parler des différends en général. En l'occurrence, c'est le bois d'oeuvre. Vous me corrigerez si je me trompe, parce que je ne suis pas certain d'avoir bien compris.
Si un secteur connaît des difficultés et si ses représentants décident de demander au gouvernement du Canada de soumettre les différends à un groupe spécial de l'ALENA, tout ce qui arriverait dans ce cas, c'est que le gouvernement américain serait tenu d'appliquer ses lois nationales. Dans le cas du bois d'oeuvre, la loi a été modifiée légèrement depuis que nous avons dû la dernière fois régler un différend avec les États-Unis, si bien qu'il est très difficile pour nous de gagner notre cause. C'est ce que je crois savoir.
Si c'est le cas, pourquoi le gouvernement du Canada ne soumet-il pas le litige à l'Organisation mondiale du commerce? Aurions-nous plus de chances d'avoir gain de cause dans ce cas? Si les États-Unis ne changent leur loi que pour mettre des obstacles sur notre chemin, comme dans l'affaire du bois d'oeuvre, ceux qui entendront la cause à l'OMC ne le verront-ils pas, sans compter qu'un plus grand nombre de pays en font partie?
Aidez-moi à comprendre cela un peu mieux. Il me semble que nous avons eu des ennuis avec les États-Unis, qui essaient de contourner la filière.
M. Gero: Je ne crois pas que les États-Unis essaient de contourner la filière. Il s'agit de savoir quelles sont les règles. Il faut savoir qu'il existe deux mécanismes distincts de règlement des différends.
Dans le cas des États-Unis, dans le cadre de l'ALENA, le chapitre 19 permet aux parties - non seulement les gouvernements mais aussi les particuliers - de demander à un groupe binational de déterminer si une entité américaine a appliqué la loi américaine en conformité avec la loi américaine. Cette instance remplace en fait la Cour d'appel du pays. C'est un recours non seulement pour le gouvernement, mais aussi pour le secteur privé. De fait, dans la grande majorité des cas - par exemple, pour les mesures antidumping par rapport aux mesures compensatoires - les gouvernements ne sont même pas en cause et ce sont les secteurs privés qui ont invoqué le chapitre 19.
On examine si les entités administratives américaines ont étudié l'affaire en conformité avec la législation de ce pays et c'est la procédure exposée au chapitre 19. C'est un processus unique en son genre.
Dans le cadre de l'ALENA, actuellement, il n'y a pas de règles particulières sur ce que devrait être le contenu de ces lois dans le cadre des recours commerciaux comme les droits antidumping et les droits compensateurs. Toutefois, il y a un mécanisme d'appel. Nous avons exercé beaucoup de pressions pour que les lois de l'ALENA s'appliquent à ces questions, mais jusqu'à présent cela n'a pas été possible.
M. Penson: Vous parlez des groupes de travail?
M. Gero: Oui, des groupes de travail. C'est cela. Essentiellement, les pays ont le droit de modifier leurs lois parce que l'ALENA n'impose aucune obligation à ce propos.
Je vais maintenant parler de l'OMC, où il existe des règles précises sur ce que doivent contenir les lois. Certaines règles sont générales, d'autres plus précises, mais il en existe aussi bien sur les mesures compensatoires que sur les mesures antidumping.
Si l'on soumet un différend à l'OMC, il n'est pas question de déterminer si une entité administrative américaine a appliqué la loi américaine en conformité avec la loi américaine. On examine plutôt la question de savoir si la loi américaine elle-même cadre avec les obligations internationales des États-Unis à l'OMC. Comme John l'a dit, il y a ici règlement de différends d'État à État, car le Canada traduirait les États-Unis en justice pour que le tribunal stipule que la loi américaine ne cadre pas avec ses obligations à l'OMC. Il s'agit donc de deux choses différentes.
M. Penson: En l'occurrence, il s'agirait de la loi canadienne, n'est-ce pas?
M. Gero: Non, il s'agit de la loi américaine, parce que dans une affaire américaine de droits compensateurs, il s'agit d'une entreprise américaine qui affirme qu'il existe des subventions canadiennes injustes. En vertu du droit américain, elle demande au ministère du Commerce de statuer d'abord que ces subventions existent bel et bien. Puis elle demande à l'International Trade Commission des États-Unis de statuer que ces subventions canadiennes déloyales, si le ministère du Commerce constate l'existence de subventions canadiennes déloyales ainsi que de subventions pouvant faire l'objet de mesures compensatoires, portent préjudice aux producteurs américains.
M. Fried: J'aimerais ajouter que, pour boucler la boucle, les changements dont vous avez parlé dans les lois américaines ont été apportés à la suite de la mise en oeuvre par les États-Unis des accords de l'Uruguay Round. Nous avions tous des objectifs lors de ces négociations, notamment de resserrer les règles sur les subventions, les droits compensateurs, et les droits antidumping. Comme les négociations faisaient intervenir 120 pays, nous n'avons pas obtenu toute la précision que nous souhaitions.
Vu tout ce que nous avons dit jusqu'à présent à propos des autres litiges de gouvernement à gouvernement, contester la loi américaine pour manquement aux obligations de ce pays à l'OMC prendrait environ un an, comme nous l'avons dit. Deuxièmement, l'issue n'est pas garantie aux termes de ces nouvelles règles qui n'ont pas autant de précision que nous l'aurions voulu. Troisièmement, comme vous l'avez dit plus tôt, même si nous avons gain de cause, les États-Unis pourraient décider de ne pas appliquer immédiatement la décision dans ce secteur, auquel cas il faut envisager des dédommagements ou des représailles.
Dans ces circonstances, comme le ministre lui-même l'a dit, une solution - qui n'est peut-être pas la situation idéale, mais une option que le secteur lui-même et les gouvernements provinciaux ont tous appuyé - serait pour nous d'intervenir plus rapidement, d'établir une certaine certitude dans nos échanges commerciaux et de savoir exactement quelles seront les conditions pour les cinq prochaines années au moins. Le ministre voulait prendre les mesures ce que le secteur et les provinces appuieraient.
M. Penson: Nous avons contracté des obligations à l'OMC nous aussi, lors des discussions sur le GATT. L'une d'entre elles est le respect du droit international. Peut-être est-il temps de voir si nos droits de coupe respectent cet engagement. Au cas contraire, ne faudrait-il pas les changer pour veiller à nous conformer au droit international?
Je comprends que certaines entreprises puissent ne pas le souhaiter, mais cela nous donnerait au moins une certaine stabilité dans ce secteur. Nous espérons tous avoir cinq ans d'accalmie grâce à cette entente, mais je crois que cela crée un mauvais précédent de toujours être en train de négocier des plafonds. À un moment donné, il faudra peut-être bien aborder nous-mêmes de front cette question. J'imagine que ce n'est pas à vous de nous donner la réponse, mais c'est mon avis en tout cas.
Le président: Monsieur Assadourian.
M. Assadourian: Merci beaucoup.
Je vais vous donner un exemple hypothétique. Disons qu'un secteur décide de soumettre un cas et que dans la première année, il ait des problèmes et que vous décidiez de présenter le cas. Vous décidez de vous adresser à l'OMC - avec les États-Unis. Les États-Unis disent qu'à leur avis, il ne faut pas s'adresser à l'OMC mais qu'il vaut mieux invoquer l'ALENA. Qui décide?
M. Fried: J'ai essayé de répondre à cette question tout à l'heure, monsieur le président. Dans tous les cas sauf un, c'est nous qui décidons. Le plaignant décide. S'il veut s'adresser à l'OMC, c'est à lui de décider. La seule exception à cette règle, ce sont les affaires de nature environnementale qui comportent des aspects techniques et scientifiques, parce que nous-mêmes acceptons que le régime prévu par l'ALENA est meilleur et plus souple. Dans tous les autres cas, donc, si nous portons plainte contre les États-Unis, c'est nous qui décidons.
M. Assadourian: Vous pouvez décider quelle voie emprunter.
M. Fried: Oui.
Le président: Monsieur MacDonald.
M. MacDonald: Merci, monsieur le président.
Comme mon collègue du Parti réformiste, j'ai moi-même essayé ces cours des deux derniers mois de me familiariser avec ce dossier et je me suis posé les mêmes questions. Les fonctionnaires pourront peut-être me dire si j'ai appris suffisamment de choses.
Dans l'affaire du bois d'oeuvre, nous avons déjà eu du succès. Après consultation avec l'industrie et les représentants du secteur, on a décidé qu'au lieu d'invoquer à nouveau le chapitre 19 pour déterminer si les lois américaines avaient été appliquées comme il se doit, les représentants de l'industrie on dit vouloir une période d'accalmie. Ils ne voulaient pas refaire le même chemin et remporter une victoire morale, pour voir ensuite que l'accès au marché leur était encore une fois fermé. Le gouvernement pouvait donc compter sur un consensus parmi les intervenants, y compris les provinces touchées, qui trouvaient que c'était la voie à suivre. Ce n'était peut-être pas la solution préférée du ministère ou du gouvernement, mais après consultation, c'est le consensus qui s'est dégagé. J'ai le sentiment que c'est bien ce qui s'est passé.
Il est intéressant de faire une comparaison entre les deux. Dans le cas du bois d'oeuvre, il s'agit de l'application de lois américaines, sur les mesures compensatoires et les mesures antidumping, ce que permet l'accord de libre échange, l'ALENA. Dans le cas de la Loi Helms-Burton, que vous n'avez pas évoqué, mais qui est elle aussi intéressante, il s'agit de savoir si une loi adoptée par les États-Unis, parce qu'elle est de nature différente, contrevient à une entente internationale, au droit international.
Je pense qu'il est bon d'illustrer les différences entre les deux. Dans un cas il s'agit de mesures compensatoires et de mesures antidumping et du droit accordé par l'ALENA d'employer des recours commerciaux. Je crois comprendre que l'une des choses que nous avons cherché à obtenir par l'intermédiaire du groupe chargé des recours commerciaux qui examine la chose, c'est un accord avec les États-Unis pour que la loi relative aux recours commerciaux soit exclue de l'entente sur le libre-échange. Si c'était le cas, certains de ces problèmes n'existeraient pas.
Je veux vous poser une question précise à propos de ces deux ententes commerciales: la première sur l'OMC et l'autre sur l'ALENA.
Dans les deux cas mais surtout dans celui de l'ALENA, nous avons remporté des victoires de haute lutte, surtout en ce qui concerne le secteur culturel. Si les États-Unis présentaient une contestation - nous savons que cela les préoccupent - nous sommes beaucoup mieux protégés parce que nous avons expressément négocié ces dispositions dans l'ALENA. Toutefois, si les États-Unis décidaient de s'adresser à l'OMC, les exemptions obtenues de haute lutte dans l'ALENA n'existent pas à l'OMC.
M. Fried: Non, ce n'est pas ainsi que je décrirais les choses.
M. MacDonald: Vous avez parlé de l'autre secteur, où c'est à l'État qui est mis en cause de choisir l'instance.
M. Fried: En toute déférence, je conteste vos prémisses. L'ALENA traite de la culture de façon très explicite au moyen d'une exemption. Par sa structure, l'accord est différent. Aux termes de l'ALENA, si l'on prend par exemple le secteur des services, nous faisons le commerce des services. Dans le secteur culturel, dans l'ALENA, si nous ne précisons rien, tous les services sont visés à moins d'une réserve expresse. C'est donc un accord qui englobe tout ce qui n'a pas été expressément exclu.
À l'OMC, il y a un accord appelé l'Accord général sur le commerce des services (AGCS). Même s'il comporte certaines obligations minimales à propos de la transparence, comme la nécessité de traiter tout le monde aussi bien ou aussi mal que n'importe qui d'autre, ce qui est le principe de la NPF, aucun secteur des services n'est visé à moins d'être volontairement placé sur la liste. Donc, si vous n'avez pas de votre propre gré inclus une industrie culturelle dans la liste, il n'est pas nécessaire d'avoir une exemption ou une réserve en toutes lettres pour l'en exclure.
Telle est notre position, que nous soutenons depuis le début: les industries culturelles sont tout autant protégées par l'ALENA que par l'OMC, même si le résultat identique est atteint au moyen de techniques juridiques différentes, soit par action, soit par omission.
J'ignore si mes collègues veulent ajouter quelque chose.
M. Gero: Non, c'est cela.
M. MacDonald: Vous dites donc que même si les mécanismes et les textes sont différents, le gouvernement estime qu'une attaque contre nos industries culturelles pourrait être défendue devant l'une ou l'autre instance.
M. Fried: Nous sommes convaincus de nos arguments.
M. MacDonald: Entendu.
Le président: Avant de vous présenter nos remerciements, j'aimerais discuter d'un point soulevé par M. Sauvageau. Si vous deviez nous suggérer les cas les plus intéressants à étudier pour bien comprendre les mécanismes de règlement des différends, que nous proposeriez-vous à brûle-pourpoint?
M. Fried: Monsieur le président, vous demandez peut-être à un fonctionnaire de formuler un jugement à mauvais escient. Je vais donc vous répondre uniquement du point de vue technique ou d'un point de vue de fonctionnaire.
Nous ne pouvons pas vous être d'une grande utilité en ce qui concerne les litiges actuellement à l'étude devant des groupes spéciaux ou en voie de règlement. Tout comme une question dont sont saisis les tribunaux ne doit pas être discutée en public, il y a des dossiers devant des groupes spéciaux ou en voie de règlement à propos desquels nous, fonctionnaires, ne pouvons pas nécessairement communiquer beaucoup de renseignements.
Par conséquent, vous pourriez tirer davantage de leçons en ce qui a trait aux données techniques - et je dis cela après avoir réfléchi au genre d'informations dont vous pourriez disposer - en ne vous intéressant pas uniquement aux différends actuels. Vous pourriez obtenir davantage d'informations en étudiant les différends passés et l'évolution de ces dossiers.
Quant à l'avenir et aux améliorations que nous réclamons dans les procédures entre gouvernements et en ce qui a trait aux dossiers de libre-échange... ce sont des dossiers où il serait dans notre intérêt de poursuivre les négociations.
Voilà le genre d'aide que vous pourriez obtenir de notre ministère.
Le président: Merci. Ce fut une séance très utile et il se peut que nous vous demandions de revenir un peu plus tard. Merci.
M. Fried: Merci de votre patience.
La séance se poursuit à huis clos.