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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 17 juin 1996

.1841

[Traduction]

Le coprésident (M. Dupuy): Nous tenons aujourd'hui la première réunion mixte du sous-comité que le Comité permanent des finances a chargé d'examiner la LMSI et du sous-comité du Comité permanent des affaires étrangères qui traite généralement des différends commerciaux, mais dans le cadre des réunions mixtes nous discutons de la LMSI avec nos collègues des finances.

M. Thomas Bernes est sous-ministre adjoint, Direction des finances et du commerce internationaux.

Bienvenue, monsieur Bernes. Vous êtes accompagné de quelques fonctionnaires. Si vous voulez nous les présenter, n'hésitez pas. Je vous cède la parole.

M. Thomas Bernes (sous-ministre adjoint, Direction des finances et du commerce internationaux, ministère des Finances): Merci beaucoup, monsieur le président et messieurs les membres du comité, de nous donner l'occasion de témoigner devant vous. Nous espérons pouvoir vous aider à mener à bien vos travaux.

Comme vous l'avez signalé, un certain nombre de fonctionnaires sont venus avec moi aujourd'hui, ce qui montre que la bonne marche du système de sanctions commerciales du Canada nécessite les efforts concertés de trois ministères fédéraux et d'un tribunal indépendant.

Revenu Canada est représenté ici par Brian Brimble, directeur général, Division des droits antidumping et compensateurs, et le Tribunal canadien du commerce extérieur a délégué l'avocat général Gerry Stobo. Ce sont là les principaux responsables de l'application de la Loi sur les mesures spéciales d'importation.

En outre, Affaires étrangères et Commerce international est représenté par John Gero, directeur des Recours commerciaux. Quant à M. Terry Collins-Williams, il est directeur des Relations économiques internationales au ministère des Finances.

Les Affaires étrangères et les Finances coordonnent étroitement l'application de la politique relative aux recours commerciaux, pour faire valoir nos intérêts en matière d'importations et d'exportations et harmoniser nos positions en vue des négociations sur le commerce international.

Je crois que nous avons distribué copie de certains commentaires, je vais donc faire rapidement mon exposé, puis nous serons heureux de répondre aux questions du comité.

J'imagine que la première question que l'on se pose concerne la raison d'être de l'examen de la LMSI. Il est de pratique courante pour le gouvernement de réviser des lois adoptées il y a dix ans, pour voir si elles donnent satisfaction. En partie pour répondre à un rapport du vérificateur général, qui suggérait un tel examen dans le cadre du budget de 1994, le ministre des Finances a annoncé que le gouvernement demanderait un examen de la LMSI.

Lorsqu'il a présenté cette requête au comité, le ministre a mentionné que la LMSI avait une incidence sur les activités et les intérêts d'un grand nombre d'entreprises et de consommateurs au Canada. Il est donc important, à notre avis, que l'examen permette à tous les intéressés d'exprimer leurs opinions.

Pour faciliter la tenue de l'examen, le ministre a aussi transmis au comité un document d'information sur la LMSI. Si vous me le permettez, je vais vous résumer les principales questions soulevées dans ce document afin de mieux dégager le cadre de l'examen.

.1845

Premièrement, qu'est-ce que la LMSI? La LMSI autorise le gouvernement à imposer des droits antidumping et compensateurs pour protéger les sociétés canadiennes de tout préjudice causé par les pratiques de dumping de sociétés étrangères ou par le subventionnement effectué par des gouvernements étrangers. Nos lois sont conformes aux règles internationales définies dans les accords de l'Organisation mondiale du commerce, l'ancien GATT.

Lorsqu'elle a été adoptée, en 1984, la LMSI visait à intégrer et à moderniser le système de recours commerciaux du Canada, qui est un des plus anciens systèmes de ce genre au monde. En 1984, la LMSI répondait aux recommandations du sous-comité parlementaire sur la politique d'importation, présidé par l'honorable Bryce Mackasey.

Les sanctions commerciales sous la forme de droits antidumping et compensateurs sont un volet important de notre politique d'importation, tout comme les tarifs et les mesures de sauvegarde. Elles suscitent la controverse et elles sont souvent source de tensions entre pays, et ce de plus en plus fréquemment en raison de l'interdépendance commerciale croissante entre les pays et de l'élimination de certaines des barrières commerciales traditionnelles, comme les tarifs.

Parce que l'imposition de droits antidumping ou compensateurs est une mesure exceptionnelle de la part d'un pays qui s'est engagé devant l'Organisation mondiale du commerce à ne pas élever de barrières tarifaires et à n'accorder de traitement particulier à personne sur le plan des importations - principe de la «nation la plus favorisée» - , le droit de recourir à de telles mesures doit être soigneusement circonscrit. Les accords de l'OMC comportent par conséquent des règles détaillées sur les droits et sur les obligations des pays qui utilisent un système de sanctions commerciales.

Dans le cadre fixé par l'OMC, le système canadien basé sur la LMSI est assez comparable aux systèmes en vigueur dans d'autres pays, notamment aux États-Unis, dans l'Union européenne, au Mexique et en Australie. L'OMC accorde toutefois une certaine latitude quant à l'application des lois portant les sanctions commerciales. On constate donc des variations dans les procédures et les institutions établies d'un système à l'autre; ces variations sont le reflet des circonstances économiques et du système juridique de chaque pays.

Comme je l'ai dit, la LMSI est conçue en fonction de la situation économique du Canada. Un des défis qu'avait à relever le sous-comité Mackasey, en 1984, consistait à mettre en place une loi qui permette de respecter un juste équilibre entre les intérêts des industries cherchant protection contre les préjudices commerciaux et les intérêts des consommateurs et des manufacturiers ayant à assumer les hausses de coût provoquées par l'application de droits antidumping et compensateurs. Ce même défi nous est posé aujourd'hui. La question essentielle, dans le contexte de l'examen de la LMSI, est la suivante: Est-il encore pertinent de vouloir maintenir le genre d'équilibre que vise la loi, étant donné notre situation économique et nos intérêts commerciaux. L'examen donnera lieu à des controverses, du fait même qu'il met en cause des intérêts nationaux contradictoires. Les entreprises et nos principaux partenaires commerciaux auront sans nul doute bien des commentaires à faire sur ce sujet.

Je ne vais pas expliquer dans le détail comment le système fonctionne. Ces renseignements se trouvent déjà dans le document d'information. Toutefois, je veux parler des éléments clés de la procédure d'enquête établie en vertu de la LMSI.

Deux conditions doivent être réunies pour qu'un pays puisse imposer des droits antidumping et compensateurs. Premièrement, il faut démontrer que les marchandises importées ont fait l'objet de dumping ou ont été subventionnées; ensuite, il faut établir que ces importations causent un préjudice aux producteurs de marchandises du même genre au pays. Aux termes de la LMSI, il appartient à Revenu Canada d'établir s'il y a eu dumping ou subventionnement, tandis que c'est le Tribunal canadien du commerce extérieur qui doit déterminer si un préjudice a été causé. La procédure suivie et les délais sont exposés dans mes notes, et je n'entrerai donc pas dans ces détails.

Permettez-moi de vous donner une idée de la fréquence des procédures d'enquête. À l'heure actuelle, le Canada mène 39 procédures antidumping, portant sur des importations en provenance de 40 pays différents. La valeur annuelle de ces procédures s'élève à environ 1 milliard de dollars, soit1 p. 100 du total des importations. Les pourcentages de dumping varient de 5 à 64 p. 100, la moyenne s'établissant à 37 p. 100. En comparaison, le taux tarifaire moyen s'établit à 1,6 p. 100. Les secteurs les plus souvent visés par les mesures antidumping sont ceux des métaux de première fusion - surtout l'acier - , des marchandises et produits divers et des textiles.

.1850

Avant de passer aux questions, j'aimerais encore dire quelques mots sur certains points clés qui risquent d'être mentionnés au cours de vos audiences.

Comme je l'ai déjà mentionné, l'application de sanctions commerciales suscite la controverse. Les sanctions constituent une dérogation aux principes fondamentaux du commerce international. Les mesures ont pour objet d'aider à court terme les producteurs canadiens, mais les coûts supplémentaires qui en résultent doivent être assumés par les utilisateurs des marchandises ainsi protégées c'est-à-dire, au bout du compte, par les consommateurs. Cet impact négatif pose des problèmes de plus en plus aigus à mesure que les compagnies élaborent des stratégies de production et de mise en marché fondées sur la mondialisation du commerce.

Dans le contexte de l'ALÉNA, le Canada a évalué les coûts et les avantages sociaux des sanctions commerciales et il a conclu qu'il était dans notre intérêt d'éliminer ce genre de mesures dans le cadre d'une zone de libre-échange. Cette position est fondée sur la logique économique et sur l'importance que revêt pour nous l'accès au marché de notre principal partenaire commercial.

Si le statu quo actuel persiste, que des sanctions commerciales continuent d'être appliquées systématiquement dans des circonstances données, cela créera un climat d'incertitude. Dans un tel climat, toutes choses étant égales par ailleurs, les investisseurs se tourneront vers les plus grands marchés, ce qui est au net désavantage du Canada sur le plan des investissements.

Comme vous le savez tous, nous ne sommes pas parvenus à convaincre les États-Unis que les sanctions commerciales n'ont pas leur place dans une zone de libre-échange où il y a eu intégration des marchés. En conséquence, certaines des compagnies qui comparaîtront devant vous demanderont que nous changions nos lois et que nous adoptions certaines des mesures en vigueur aux États- Unis, jugées plus rigoureuses. Leur argument sera le suivant: Puisque les États-Unis ne veulent pas considérer d'autres modes d'action, le Canada doit faire en sorte que les règles du jeu soient les mêmes pour tous.

Les dispositions relatives à l'intérêt public que l'on trouve dans la LMSI seront sans doute un autre des points abordés. La LMSI porte que les droits imposés peuvent être réduits, voire supprimés, s'il y va de l'intérêt public. Il s'agit là de l'un des aspects de la loi élaborés à la suite de l'examen que le sous-comité Mackasey a fait de la question des intérêts nationaux touchés par la LMSI.

Les dispositions générales que comporte la loi sous sa forme actuelle sont difficiles à interpréter, et les intervenants demanderont sans doute qu'elles soient clarifiées.

À notre avis, vous entendrez aussi des importateurs, des exportateurs et des petites et moyennes entreprises qui réclameront des modifications des procédures prévues par la loi. En effet, la procédure d'enquête est complexe et onéreuse, et l'accessibilité du système revêt une grande importance dans ce cas.

Je conclurai en disant que la procédure d'enquête et d'imposition de droits antidumping et compensateurs prévue par la LMSI présente une grande complexité et que l'application de ces droits peut avoir une incidence sur de nombreux intérêts nationaux et internationaux.

Selon moi, comme je l'ai dit, la question essentielle sur laquelle pourrait se pencher le comité au cours de l'examen peut être ainsi formulée: Dans le contexte économique actuel, la LMSI permet-elle de maintenir un juste équilibre entre le droit des industries à une protection contre les préjudices commerciaux indus et le droit de ceux qui subissent le contrecoup des sanctions commerciales ainsi imposées?

Parmi les facteurs importants à considérer, il faut tenir compte du principe de la transparence du processus de prise de décisions, de l'application d'une procédure fondée sur l'équité, de l'efficacité économique et administrative et de l'accessibilité. Au besoin, il faudra prendre des mesures correctrices.

Au nom des fonctionnaires de mon ministère et des autres ministères et organismes représentés ici aujourd'hui, je suis prêt à donner suite aux besoins et aux demandes du sous-comité. En raison des délais serrés qui vous ont été impartis, nous avons mis sur pied un groupe interministériel pour pouvoir combler aussi rapidement que possible vos besoins d'information.

Merci, monsieur le président.

Le coprésident (M. Dupuy): Merci beaucoup, monsieur Bernes.

[Français]

Monsieur Bélisle, est-ce que vous désirez prendre la parole et poser quelques questions?

M. Bélisle (La Prairie): Je vous remercie, monsieur le président. J'adresserai une première question à M. Bernes. Quels sont les événements qui justifient les modifications apportées à la Loi sur les mesures spéciales d'importation et quels seront les principaux changements qu'entraîneront ces modifications?

.1855

[Traduction]

M. Bernes: Comme je l'ai dit, je crois que la grande question que le comité veut examiner est de déterminer si l'équilibre des intérêts, ceux des industries qui demandent la protection de la loi et ceux des consommateurs, est bien assuré dans le cadre de la loi actuelle. Dans le document que nous vous avons fourni, nous n'avons pas exposé d'opinion à cet égard. En fait, c'est une question au sujet de laquelle nous sollicitons votre avis.

Comme je l'ai dit, certains groupes concernés soutiendront que l'équilibre actuel devrait être modifié, dans l'intérêt des industries qui demandent des sanctions commerciales, surtout si l'on tient compte du nouveau contexte établi par l'ALENA et de la nécessité d'encourager les États-Unis à abroger leurs lois sur les sanctions... mais tant que nous n'y serons pas parvenus, pour veiller à ce que les règles du jeu soient équitables sur les plans du droit et de son application. Les groupes de consommateurs, eux, soutiendront qu'il faut donner la préséance à l'intérêt de la population. Comme je l'ai dit, je crois que c'est la question essentielle qu'il faudra éclaircir, et nous aimerions avoir votre avis à cet égard.

[Français]

M. Bélisle: Ici, monsieur Bernes, on parle de la politique d'importation du Canada. A-t-elle un lien avec la politique d'exportation ou ces deux politiques sont-elles totalement indépendantes?

[Traduction]

M. Bernes: Les règles qui permettent aux pays d'imposer des sanctions commerciales constituent des dérogations aux principes fondamentaux adoptés par le GATT, par l'OMC. De toute évidence, il y a un lien entre nos exportations et nos propres lois. Le Canada, important pays commerçant où l'économie est ouverte, a toujours cherché, dans le cadre de l'ALE et de l'ALENA comme dans le contexte de l'Uruguay Round et des négociations précédentes, à faire imposer des limites adéquates à la capacité des pays de prendre des décisions unilatérales, en fonction de l'intérêt de nos exportateurs. Je crois qu'au cours de l'Uruguay Round, dans le domaine des droits compensateurs, nous avons fait de grands progrès relativement à nos principaux objectifs. Nous avons été moins heureux en ce qui concerne la modification des règles antidumping.

Dans le contexte de l'ALÉNA, nous avons nous-mêmes conclu, mais le secteur privé l'avait déjà indiqué fort clairement, que l'élimination des dispositions législatives relatives aux sanctions commerciales, tout comme dans l'Union européenne, tout comme dans la zone visée par l'accord de libre-échange entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande, lèverait le principal élément d'incertitude et aiderait les investisseurs à prendre des décisions basées uniquement sur les facteurs économiques.

[Français]

M. Bélisle: Je vous remercie.

Vous nous dites dans le document que vous nous avez présenté que la LMSI a été conçue en fonction de la situation économique du Canada. Parlez-vous de la situation économique du Canada à moyen ou à long terme, ou à une époque précise? Est-ce que vous pourriez nous donner plus de détails à ce sujet? Est-ce que c'est fondé sur notre situation économique à un moment ou sur notre situation économique actuelle ou encore à long terme?

[Traduction]

M. Bernes: Je crois que la loi reflétait essentiellement les recommandations du sous-comité Mackasey, présentées en 1984, au sujet de l'équilibre des intérêts entre producteurs et consommateurs. De toute évidence, depuis cette époque, la structure de l'économie canadienne a évolué. Nous avons signé un accord de libre-échange et l'ALÉNA et nous avons participé aux négociations de l'Uruguay Round, qui ont modifié les règles du système commercial international.

C'est donc en vérité dans ce contexte nouveau, compte tenu de nos nouvelles obligations commerciales, compte tenu des changements du flux de nos échanges commerciaux, compte tenu de l'importance accrue du commerce dans l'économie canadienne, même si la barre est haute... C'est dans ce contexte qu'il faut se demander si l'équilibre établi par la loi - l'équilibre entre les intérêts des producteurs et ceux des consommateurs - est toujours celui qui convient.

.1900

[Français]

M. Bélisle: Voici une dernière question, du moins pour le moment. Vous dites dans votre document:

Est-ce que le Canada consulte ses partenaires commerciaux dans l'élaboration de la législation et de la réglementation? Est-ce qu'on les consulte? Est-ce qu'on discute avec eux?

[Traduction]

M. Bernes: Au cours des négociations commerciales, cette question a évidemment fait l'objet de nombreuses discussions. En vertu des accords de l'OMC, il existe des comités qui examinent les questions liées aux sanctions commerciales et cherchent à préciser les règles encore un peu obscures et qui tentent de prévenir ou, le cas échéant, de gérer les différends.

En outre, dans le contexte de l'ALÉNA, un groupe de travail a été créé pour une période de deux ans - qui s'est terminée en décembre - ; il était chargé d'examiner la façon d'atténuer les différends dans le domaine des sanctions commerciales.

La question a donc été discutée. On constate des variantes dans les divers systèmes et, bien sûr, chaque pays croit que son propre système est logique et cherche, du point de vue des exportations, à obtenir des modifications qui aideront ses exportateurs lorsque ceux-ci seront confrontés à nos lois en matière de sanctions commerciales.

[Français]

M. Bélisle: Une toute dernière question, monsieur le président.

Le coprésident (M. Dupuy): Je vais devoir vous demander d'attendre au deuxième tour.

[Traduction]

Monsieur Grubel.

M. Grubel (Capilano - Howe Sound): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je suis économiste de profession. Je suis donc très heureux de vous rencontrer. C'est un sujet qui m'intéresse depuis le début de ma carrière.

Je dois dire que j'aurais ajouté quelque chose à une de vos réponses. Vous me pardonnerez de parler ici à titre d'économiste, mais les circonstances ont changé depuis que nous avons adopté des dispositions législatives de ce genre. En fait, le commerce international porte maintenant surtout sur des produits pratiquement interchangeables. Il existe très peu de produits pour lesquels un producteur ou un groupe de producteurs jouit d'une situation de monopole.

C'est donc dire que si un pays ou un groupe de producteurs pratique le dumping, ce pays ou ce groupe perdra de l'argent, par définition. Par conséquent, ils appliquent l'ancien modèle, ce qui signifie... Ceux qui pratiquent le dumping doivent s'attendre à devoir hausser le prix du produit après avoir éliminé le producteur canadien ou lui avoir causé un préjudice. Ils devront imposer un prix encore supérieur à ce que ce prix aurait été s'il n'y avait pas eu dumping, parce qu'ils sont obligés de récupérer leurs frais.

Dans le monde d'aujourd'hui, alors que très peu de fournisseurs exercent un monopole sur quoi que ce soit et que les sources d'approvisionnement sont nombreuses, il me paraît inconcevable qu'un producteur profite effectivement du dumping, parce que dès qu'il cherche à relever le prix au Canada, les produits de substitution arrivent de tous les coins du monde et rétablissent simplement le prix mondial.

C'est un changement très important qui s'est produit - et je ne sais pas si vous en parlez dans votre document - , mais les industries étaient autrefois beaucoup plus segmentées, il existait des monopoles techniques, etc.

Je dois vous dire qu'au cours de la dernière réunion de l'Association parlementaire Canada-États-Unis, un groupe s'intéressait au commerce et aux finances. J'ai mis la question sur le tapis et j'ai mentionné que ce n'était certainement plus acceptable dans le cadre de l'ALÉNA. La chose a été mal reçue, mais j'ai eu la nette impression que plusieurs sénateurs et membres du Congrès qui assistaient à la réunion connaissaient mal la question.

Cela m'a conforté dans mon opinion qu'au Congrès américain, vous suivez ce dossier seulement si vous comptez dans votre district une industrie qui s'agite. Sinon, les Américains s'intéressent tellement peu à ce qui se passe ailleurs que chez eux qu'ils sont sans doute à peu près indifférents à la question.

.1905

J'aimerais conclure par une question. Croyez-vous qu'il serait de l'intérêt du Canada d'abandonner unilatéralement les droits compensateurs ou les mesures antidumping? Je ne sais pas à quel titre. Je vous demande de répondre à cette question.

M. Bernes: Pour répondre au premier commentaire de M. Grubel, au sujet de l'évolution des marchés internationaux et de la mondialisation, et donc de la concurrence accrue, je suis certainement d'accord et je crois que la remarque est fort à propos.

En ce qui concerne la question précise qu'il me pose, monsieur le président, je la renvoie au comité. C'est, d'une certaine façon, la question que le ministre vous a posée, c'est-à-dire de déterminer si l'équilibre actuel, établi par la loi, est toujours adéquat compte tenu de l'évolution de la situation économique. Faut-il renforcer la loi ou faut-il chercher à alléger, ou même à éliminer, la réglementation? Dans le cadre de vos audiences, quand l'industrie viendra donner son point de vue, je crois que vous constaterez que c'est la question qui intéresse tout le monde et que c'est précisément à ce sujet que le gouvernement vous consulte.

Le coprésident (M. Dupuy): Monsieur Assadourian.

M. Assadourian (Don Valley-Nord): À la page 5 de votre mémoire, vous parlez de préjudice subi par les producteurs canadiens de produits de substitution. Un de mes électeurs s'est présenté à mon bureau il y a quelques mois. Il était propriétaire d'une petite usine de garnitures de frein où travaillaient une douzaine de personnes. Il venait se plaindre de ce qu'il ne pouvait concurrencer les producteurs chinois. À son avis, le taux horaire des travailleurs canadiens représente un mois de salaire pour un Chinois. Il a commencé à mettre des employés à pied parce qu'il ne peut pas soutenir la concurrence de la Chine.

Je lui ai demandé de rédiger un rapport sur le préjudice que lui causent ces importations, mais il ne m'a pas rappelé parce qu'il était très irrité et déçu. Le système ne fonctionne pas; il est bon pour les étrangers, pas pour les travailleurs; nous devons mettre des gens à pied. Cet homme était vraiment déçu que je ne puisse rien dire ni faire, si ce n'est de lui demander de rédiger un rapport que je présenterais au ministère. Il n'a jamais rédigé ce rapport.

Que peut-on faire dans un cas comme celui-là, quelle doit être l'étendue du préjudice pour que le ministère décide d'intervenir?

M. Bernes: Le processus, évidemment, est de nature juridique. Comme je l'ai dit, il comporte deux éléments. L'un relève de Revenu Canada: lorsqu'une plainte est déposée, ce ministère établit qu'il s'agit bien de produits de substitution et qu'il y a dumping ou subventionnement. Il procède à une évaluation préalable des préjudices. S'il conclut qu'il y a eu préjudice, Revenu Canada poursuit son enquête et le Tribunal canadien du commerce extérieur examine la question du préjudice en tenant compte d'un certain nombre de facteurs.

Je vais demander à mes collègues de m'aider. M. Brimble, de Revenu Canada, et M. Stobo, du TCCE, peuvent fournir des détails.

M. Brian Brimble (directeur général, Division des droits antidumping et compensateurs, ministère du Revenu national): Si un producteur canadien nous présente une plainte de ce genre, nous utilisons une trousse d'information spéciale pour communiquer avec lui. Nous demandons au plaignant de nous fournir de l'information pour montrer que le produit fait bel et bien l'objet de dumping ou de subventionnement. Nous examinons ensuite le préjudice que le produit cause à son entreprise, que ce soit sous la forme de mises à pied, de profits perdus, de ventes perdues, des choses de ce genre. Nous répondons très rapidement à toute société qui nous adresse une plainte et nous fournit le type d'information nécessaire, en vertu de la loi, pour que nous puissions agir.

.1910

Évidemment, ces mesures sont des questions commerciales graves qui ont d'importantes conséquences juridiques. Nous ne pouvons agir qu'après avoir d'abord vérifié qu'il y a eu dumping sur le marché, qu'il y a eu préjudice pour la société concerné et que c'est le dumping qui entraîne ce préjudice plutôt qu'un autre facteur, des difficultés internes au sein de la société, par exemple.

Il s'agit là de questions dont nous traitons à titre confidentiel avec chacune des sociétés concernées. Lorsque nous recevons une demande de la part d'une société, nous avons 30 jours pour l'évaluer et prendre une décision quant à l'opportunité d'une enquête.

M. Gerry Stobo (avocat général, Tribunal canadien du commerce extérieur): Je vais poursuivre sur ce que M. Brimble vient de dire. Le Tribunal canadien du commerce extérieur déclenche évidemment son processus lorsque Revenu Canada lui signale qu'il y a une affaire au sujet de laquelle il faut enquêter. Nous avons 120 jours, à partir de la date à laquelle Revenu Canada nous indique qu'il y a eu détermination préalable de préjudice et de dumping, pour mener l'enquête.

Entre autres facteurs dont nous tenons compte dans le cadre de notre enquête, il y a ce queM. Brimble vous a mentionné. Nous examinons l'utilisation de la capacité, l'emploi, et une éventuelle compression des prix. Lorsque nous recevons des preuves relativement à tous ces aspects, et nous acceptons évidemment les preuves soumises par l'industrie canadienne et par les importateurs et les exportateurs, nous nous demandons si l'industrie canadienne a bel et bien souffert d'un préjudice important à la suite du dumping de ces produits.

Le coprésident (M. Dupuy): Monsieur St. Denis.

M. St. Denis (Algoma): Merci, monsieur le président.

Merci, messieurs, d'être venus ici ce soir. Nous abordons certainement là un sujet passionnant. C'est une question qui a sans doute été étudiée à de nombreuses reprises au fil des ans.

Monsieur Bernes, vous mentionniez qu'une partie de votre mandat consistait à établir un certain équilibre, en particulier peut-être entre les États-Unis et le Canada. Ces deux pays ont la plus importante relation commerciale au monde, ou du moins une des plus importantes.

Existe-t-il des mesures quantitatives de l'équilibre ou s'agit-il véritablement de comparer des pommes et des oranges? Il y a la façon américaine et la nôtre d'envisager les importations. Je crois que nous pouvons convenir qu'elles sont très différentes. Y a-t-il des mesures quantitatives qui permettent de faire des comparaisons pour parvenir à un équilibre?

M. Bernes: Je crois qu'il existe certaines mesures quantitatives. On peut évidemment tenir compte du nombre d'ordonnances de droits antidumping qui ont été adoptées par le Canada et les États-Unis. Nous sommes à peu près à égalité. On peut aussi tenir compte du nombre des enquêtes. Il est intéressant de constater que les États-Unis n'ont pas entrepris d'enquête sur le dumping canadien depuis trois ans, mais je crois que nous en avons lancé dix sur des produits américains au cours de la même période.

Cela vous donne déjà une idée de la situation. On peut examiner les marges. Il y a certainement des chiffres qui, à notre avis, prouvent que les marges sont fort comparables. C'est donc un aspect de la question: le dumping se pratique-t-il avec la même fréquence et les marges sont-elles à peu près équivalentes? Nous pouvons certainement vous fournir plus d'information à ce sujet.

Une autre question se pose: Quel est le fardeau réel? Vous avez signalé que le système américain était plus contraignant. Cela signifie qu'il y a plus d'incertitude, dans une certaine mesure. Les coûts sont plus élevés pour les exportateurs canadiens qui tentent de défendre leurs intérêts aux États-Unis.

Le fonctionnement du système américain comporte des incertitudes qui peuvent avoir un effet négatif sur le commerce, un effet que notre système n'a pas. Là encore, il s'agit d'éléments plus ou moins quantifiables. C'est à ce sujet que vous voudrez sans doute entendre les opinions des industries concernées. Je suis certain qu'elles vous les communiqueront. Je sais que certaines sont représentées ici ce soir.

.1915

M. St. Denis: J'espère que vous me redonnerez la parole par la suite, monsieur le président. Merci.

Le coprésident (M. Dupuy): Merci. Monsieur Campbell.

M. Campbell (St. Paul's): Merci, monsieur le président. J'ai plusieurs questions à poser, je vais donc essayer de m'en tenir à quelques-unes pour l'instant, en espérant poursuivre au deuxième tour.

La question de M. Grubel m'intéresse, et le comité n'a pas souvent l'occasion de discuter de théorie économique. Ici, avec le droit commercial et la Loi sur les mesures spéciales d'importation, nous nous trouvons au croisement du droit, de l'économie et de la réalité.

M. Grubel a tout à fait raison: rien ne paraît justifier le dumping, parce qu'il faut toujours regarder ce que le concurrent compte faire par la suite. C'est précisément ce que M. Grubel a laissé entendre - hausser les prix - , et ce n'est tout simplement pas possible dans l'économie mondiale où nous vivons.

Il ne vous a pas posé la question suivante: Quelle est donc la raison du dumping? Si ce n'est pas pour me permettre d'augmenter les prix par la suite, pourquoi est-ce que je m'y livrerais?

M. Bernes: Je crois qu'il y a des situations, par exemple, dans les industries cycliques, où le dumping présente un intérêt parce qu'il permet de minimiser les pertes, d'écouler du stock à court terme. Même quand on perd de l'argent, on en perd moins que s'il fallait fermer l'usine.

Dans le secteur agricole, par exemple, il y a certainement des cas où vous avez une forte production, à cause des conditions climatiques, et des producteurs peuvent tenter d'écouler le produit avant qu'il ne se détériore parce qu'alors, il n'a plus aucune valeur. C'est pour récupérer une partie des fonds investis. Il y a donc certaines situations où, à court terme, le dumping se justifie pour les entreprises concernées.

M. Campbell: Je voulais vous poser la question, même si elle est de pure forme. Je connaissais la réponse, mais je voulais qu'elle soit donnée pour mémoire parce que je craignais qu'on puisse supposer que les producteurs étrangers agissaient à la légère. De toute évidence, de leur point de vue, c'est fort logique. Ils sont en situation de surproductivité.

Monsieur Grubel me montre du doigt. Je ne sais pas pourquoi.

Ils sont en situation de surproductivité ou ils éprouvent des difficultés temporaires qui les empêchent d'expédier leurs produits ailleurs, alors ils ont recours au dumping. Je voulais que nous prenions tous bien conscience de cette raison possible. Ce n'est pas nécessairement la perspective d'augmenter les prix par la suite.

Voici ma deuxième question. J'en poserai d'autres au deuxième tour. Ma question a trait aux exceptions accordées dans l'intérêt public.

Ai-je raison de dire qu'il s'agit là d'une nouvelle caractéristique du droit canadien? Ce principe ne s'applique certainement pas aux États-Unis. Je me demande si vous, monsieur Bernes, ou vos collègues pourriez nous en dire plus non pas tant sur la façon dont nous en sommes venus à créer une telle exception dans nos lois, mais sur la façon dont cette exception s'applique. Est-ce que vous comparez notre expérience à ce que vous avez vu dans d'autres pays qui ne font pas de telles exceptions? Quelle est la raison d'être de cette exemption et est-ce que notre loi en est plus efficace ou moins efficace, mieux équilibrée ou moins bien équilibrée?

M. Bernes: Comme vous le signaliez, monsieur Campbell, il est vrai que les États-Unis n'ont pas de disposition d'intérêt public. D'autres pays en ont. En fait, l'OMC a incité les pays à en adopter.

M. Campbell: Je suis désolé, monsieur Bernes, mais je veux que nous comprenions tous bien la façon dont cela fonctionne ou ce que cela signifie, est-ce que vous pourriez nous donner plus de détails?

M. Bernes: À la fin d'une enquête normale, comme l'ont décrit mes collègues de Revenu Canada et du TCCE, le TCCE peut décider de son propre chef ou à la demande du ministre des Finances d'entreprendre une enquête d'intérêt public. La question ne porte plus alors sur d'éventuels préjudices causés à l'industrie canadienne par le dumping ou le subventionnement, mais bien sur l'intérêt public en général, l'intérêt économique global, et il faut déterminer s'il convient de réduire ou d'éliminer tout simplement les droits. En théorie, il peut y avoir des situations où le dumping à l'importation entraîne un préjudice pour un monopole au Canada, mais on peut soutenir sur le plan économique que le fait de permettre la concurrence et de ne pas protéger la position de ce monopole sert l'intérêt public.

.1920

Dans le système canadien, la marge de dumping est le droit qui s'applique. Dans certaines circonstances, on constate que ce droit antidumping entraîne des coûts pour les consommateurs et crée des difficultés, et qu'il vaudrait mieux réduire les droits pour réparer le préjudice causé à l'industrie canadienne sans toutefois imposer des coûts trop élevés aux consommateurs.

C'est ce qui s'est passé dans le cas du maïs, et le TCCE a récemment mené une enquête au sujet du sucre. Il s'agit là de cas qui se sont présentés.

Au bout du compte, il y a une disposition d'intérêt public, mais les critères ne sont pas parfaitement définis et il faut s'efforcer de déterminer s'il convient de mettre de côté les règles habituelles. Cela, comme je l'ai dit, a déjà créé des problèmes. De quelle façon peut-on établir un équilibre dans ce contexte? De quelle façon peut-on dire à un groupe de producteurs qui demandent des sanctions commerciales que les règles ne s'appliquent pas dans leur cas?

M. Campbell: Et que pouvez-vous dire au sujet de notre expérience en comparaison de celle des États-Unis, par exemple?

M. Bernes: Les États-Unis n'appliquent pas ce principe. Ils considèrent qu'il est très difficile de porter des jugements de ce genre. Je crois qu'ils en sont venus à cette conclusion en partie à cause de la nature de leur économie. Elle est de toute évidence beaucoup moins tributaire des importations que celles du Canada, et c'est donc une question secondaire.

Par contre, l'Union européenne calcule les droits en fonction d'un principe qui lui permet de réparer un préjudice sans nécessairement récupérer entièrement la marge de dumping. En outre, elle a prévu des dispositions d'intérêt public.

Nous avons donc là deux exemples contraires. L'un nous vient de l'Union européenne, qui a plus d'expérience en ce qui concerne l'application de ce principe, mais la question est devenue très politique car les États membres veulent que leurs intérêts entrent en ligne de compte.

M. Penson (Peace River): J'aimerais aussi souhaiter la bienvenue au groupe.

Je suis impatient d'entendre l'industrie nous exposer ses préoccupations. À mon avis, quand nous avons parlé des importateurs par opposition aux exportateurs, c'était un peu comme s'il y avait deux groupes distincts. Je crois que les témoins de l'industrie nous dirons que les importateurs sont aussi des exportateurs et qu'ils sont gravement touchés par les droits compensateurs et le dumping, à tel point que c'est un coût qu'ils doivent souvent absorber lorsqu'ils exportent le produit fini.

Nous devrions être en mesure de répondre à la question suivante: Est-ce que des études avantage-coût ont été réalisées, au moins en ce qui concerne les droits compensateurs et les mesures antidumping, compte tenu du coût que supporte le Canada pour administrer tout le système en place? Il y a un coût très réel. Je sais que dans le cas de produits différents nous envoyons des fonctionnaires en Géorgie ou ailleurs pour vérifier le prix des tapis, etc. Nous savons donc qu'il y a un coût pour administrer ce système, mais est-ce que les droits recueillis paient au moins le coût de cette administration?

.1925

M. Bernes: Je vais demander à l'administrateur de répondre à cette question.

M. Brimble: Oui, je peux calmer vos inquiétudes au moins à ce sujet. Nous recueillons en fait plus que ce que le programme nous coûte. C'est du moins le cas pour Revenu Canada. Les coûts du programme sont de l'ordre de 9 millions de dollars, et nous recueillons en moyenne environ13 millions de dollars par année eau titre des droits antidumping et des droits compensateurs.

M. Penson: J'aimerais enchaîner sur ce sujet. À mon avis, il faudra se résoudre à une décision politique. Il me semble que les droits antidumping et les droits compensateurs n'ont guère leur raison d'être, surtout dans une zone de libre-échange. Il me semble que si le Canada veut essayer d'améliorer encore l'Organisation mondiale du commerce et le GATT au cours des prochaines négociations, nous devrions pousser ce dossier. Je suis donc impatient d'entendre ce que les représentants de l'industrie ont à nous dire. Votre contribution, ce soir, nous est très utile.

Je vais laisser le reste du temps qui m'est accordé à M. Grubel. Je crois, monsieur le président, qu'il a un commentaire à faire.

Le coprésident (M. Dupuy): Nous avons terminé le premier tour. Je dois dire que l'un des avantages de cette réunion mixte des deux sous-comités est que lorsqu'un président doit partir, comme c'est mon cas, il y en a un autre pour prendre la relève.

Je vous cède la place, Ron, pour le deuxième tour et la conclusion de la réunion.

[Français]

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Dupuy.

Je voudrais d'abord poser une question pour obtenir en quelque sorte une clarification.

[Traduction]

Nous parlons d'un équilibre entre les fournisseurs et les consommateurs. C'est toutefois un peu plus complexe, n'est-ce pas? Est-ce que la situation ne varie pas selon le secteur, selon l'industrie? Il me semble que ce n'est pas quelque chose que l'on peut globalement quantifier. Est-ce que quelque chose m'échappe? Quelqu'un peut-il me fournir des précisions à ce sujet?

M. Bernes: Non, je crois que vous voyez juste, monsieur le président. La situation varie selon le secteur. Je crois que si on prend l'exemple des industries fortement intégrées à l'échelle de l'Amérique du Nord ou du monde, les facteurs à considérer sont différents de ce qu'ils seraient lorsqu'une industrie est moins intégrée. La question est donc très complexe, et la situation varie selon les secteurs.

Le président: Avons-nous une idée de cette complexité? Nous parlons de plusieurs secteurs, de plusieurs types d'industrie? Quel est le degré de complexité? Si nous parlons de deux ou trois variables, c'est assez facile à gérer, mais si nous parlons de 33, c'est déjà beaucoup plus compliqué. Avons-nous une idée de ce qui se passe ici? Lorsque nous parlons de secteurs, combien y en a-t- il?

M. Bernes: Si on examine les secteurs qui ont le plus souvent eu recours aux sanctions commerciales...

Le président: Il y en a trois.

M. Bernes: C'est exact. Essentiellement, il y en a trois. Je crois donc que vous en entendrez parler.

Le président: Mais les possibilités... En dehors de ces trois secteurs, combien y en a-t-il?

M. Bernes: Je crois que la question est fonction du point de vue. On peut être plutôt satisfait aujourd'hui de l'équilibre qui s'établit dans le système et de la façon dont le système fonctionne. Si on envisageait des changements à ce système, d'autres secteurs pourraient être touchés. C'est pourquoi je crois avoir mentionné que vous voudrez entendre un large éventail de groupes concernés.

[Français]

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Bélisle, voulez-vous poursuivre, s'il vous plaît, pendant ce deuxième tour de questions?

M. Bélisle: Merci. Je voudrais poser certaines questions à nos témoins, car je m'interroge sur l'efficacité de nos mesures et outils pour contrer le dumping et les mesures de subvention. Est-ce que ce sont toujours les mêmes pays ou les mêmes entreprises de certains pays qui font du dumping dans des secteurs donnés au Canada ou d'un cycle économique à l'autre? Vous nous avez dit que ce phénomène se produisait généralement dans des secteurs qui fonctionnent par cycles. D'un cycle à l'autre, ces pays ou entreprises tentent de s'ajuster. Je pense à la Turquie, dans le domaine des aciéries. Est-ce que ce sont toujours les mêmes entreprises et les mêmes pays qui viennent effectuer du dumping au Canada dans des secteurs donnés ou d'un cycle économique à l'autre, comme si ces agents économiques essayaient de s'ajuster, si je puis dire?

.1930

[Traduction]

M. Brimble: Si nous nous tournons vers un horizon assez lointain, disons depuis les dix dernières années, dans certains secteurs on observe un continuum et dans d'autres, dans d'autres industries, on voit une situation totalement différente d'une année à l'autre.

Quand il s'agit de dumping, on constate que chaque source présente un problème particulier. Si le dumping vient de Taïwan, par exemple, et que vous réglez cette situation, il se peut que les manufacturiers de cet endroit se réinstallent ailleurs ou que de nouvelles entreprises voient le jour ailleurs, et une autre source devient un problème.

Je veux aussi faire observer que ces mesures sont en général adoptées pour une période de cinq ans. Évidemment, au cours de ces cinq ans, le ministère traite toujours avec les mêmes exportateurs qui sont les parties au dossier, et nous devons veiller à ce qu'ils pratiquent des politiques de prix équitables pour le produit au Canada.

[Français]

M. Bélisle: Merci. Encore une autre question. Il est dit ici dans le document de M. Bernes:

S'il y a dumping ou subventionnement sans préjudice, est-ce qu'on agit quand même en vue d'éviter que le dumping ne se reproduise ou si on laisse les agissements de ces pays et de ces entreprises se reproduire? Est-ce qu'on intervient même quand il n'y a pas préjudice?

[Traduction]

M. Brimble: Lorsqu'aucun préjudice n'est causé, aucune mesure n'est prise pour restreindre les importations. Cela est conforme à la loi car on considère que si des produits importés au Canada font l'objet de dumping, il est évident que ce sont des produits à bas prix, ce qui est un avantage pour les consommateurs. Si ces importations ne causent pas de préjudice aux sociétés canadiennes, c'est également un avantage pour l'économie de notre pays.

M. Bernes: Si vous me le permettez, monsieur le président, j'ajouterai que le ministère prend une décision provisoire. Il s'agit bien entendu d'une première décision qui autorise la mise en place de droits antidumping s'il s'avère qu'un préjudice est causé par le dumping ou le subventionnement; pendant ce temps, le ministère procède à une analyse plus complète et approfondie des chiffres et le tribunal détermine le préjudice causé. Lorsque ce préjudice semble exister, le système prévoit la mise en place de mesures destinées à y mettre fin.

[Français]

M. Bélisle: Vous prenez donc quand même action, parce que même s'il ne se produit pas de préjudice à court terme, il pourrait s'en produire un éventuellement, à l'occasion d'un autre dumping de même type. Vous répondez à ma question.

Dans votre document, vous dites également:

Deux cent dix jours font sept mois. Dans les faits, j'imagine qu'il s'agit d'un maximum. Est-ce que ce délai ne vous apparaît pas trop long? Est-ce que ce n'est pas pénalisant pour les entreprises canadiennes que la procédure puisse s'étendre sur sept mois avant qu'on puisse prendre action? Ne risque-t-on pas de porter préjudice à nos entreprises canadiennes?

[Traduction]

M. Brimble: La question de la durée des enquêtes a été examinée très en détail lors des audiences Mackasey, en 1984. Les délais inclus dans la loi étaient destinés à accélérer la prise des décisions après enquête.

Je tiens à préciser que lorsque nous lançons une enquête, nous prenons une décision provisoire dans les 90 jours qui suivent. C'est à ce moment que des droits provisoires peuvent être imposés, si nous constatons qu'il y a effectivement bradage des produits. Donc, 90 jours après le début de l'enquête, les producteurs canadiens peuvent bénéficier d'une protection provisoire en attendant les décisions finales.

.1935

[Français]

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Bélisle. Monsieur Grubel.

[Traduction]

M. Grubel: Pourriez-vous nous expliquer un peu plus en détail comment vous déterminez qu'il y a effectivement eu dumping? Lorsqu'un produit est vendu dans des conditions normales, son prix englobe le coût variable, le coût fixe, et un profit raisonnable ou, parfois, un profit excessif. Je suppose que s'il y a profit normal ou excessif, il vous est impossible d'établir quoi que ce soit.

Prenons maintenant le cas dont M. Campbell parlait, celui d'un repli conjoncturel de la demande et d'une diminution des extrants. Le prix ne couvre plus alors que le coût variable mais pas le coût fixe. Dans ces circonstances, pouvez-vous établir qu'une société pratique le dumping?

M. Brimble: Nous entrons là dans le détail des méthodes de calcul utilisées. Si le produit est vendu sur le même marché intérieur, nous examinons son prix de vente. La loi comprend des dispositions assez complexes qui nous permettent de déterminer si les ventes sont rentables.

Si les ventes sont rentables sur le marché intérieur, nous utilisons cela comme prix de référence afin de déterminer la valeur des produits importés au Canada. Lorsque les ventes ne sont pas rentables sur le marché intérieur, nous utilisons la méthode du prix coûtant majoré, qui nous permet d'inclure une certaine marge bénéficiaire. Si le produit est importé à perte dans les circonstances que vous décrivez, si j'ai bien compris, je pense que nous conclurions au dumping.

M. Grubel: Que faites-vous en ce qui concerne la durée du contrat, l'importance de la remise, et tout ce qu'on peut offrir aux divers consommateurs? Supposons que vous ayez une économie florissante et que vous vous engagiez sous contrat à fournir de l'acier à un certain prix pendant cinq ans à un gros utilisateur. S'agit-il du prix au-dessous duquel on ne peut pas vendre à l'étranger?

M. Brimble: La loi prévoit qu'il faut comparer ce qui est comparable et que certains aménagements sont nécessaires pour tenir compte des différences de niveau des échanges commerciaux, des différences de remise, et des différences des méthodes de commercialisation sur le marché de l'exportateur et au Canada. Si le comité souhaite que nous lui fournissions d'autres explications sur nos interprétations des règlements, nous nous ferons un plaisir de le faire.

M. Grubel: Tout ce que je peux vous dire c'est que j'ai participé à des séminaires et à des rencontres privées avec Anne Brunsdale, une ancienne présidente de la US International Trade Commission. Peut-être la connaissez-vous. Elle disait que lorsqu'on examine la théorie qui sous-tend toutes ces questions, on s'aperçoit qu'elle ne concorde pas du tout avec la théorie économique ni avec ce qu'on entend généralement par pratique commerciale. Il y a une foule d'études économiques qui concluent que nous ne savons pas vraiment ce qu'est un prix à moins de connaître tous les éléments qui entrent dans les remises sur quantité, les remises régressives, la durée des contrats, et tout le reste.

J'ai aussi rencontré Roger Phillips, le directeur général de IPSCO. Il a lourdement insisté sur le fait que, dans une entreprise commerciale ordinaire, lorsque la demande diminue, vous ne fermez pas l'usine sous prétexte que le prix tombe à un niveau auquel vous ne réalisez plus aucun profit. Vous gardez l'usine ouverte tant que vous êtes capable de couvrir les coûts variables.

Une des questions importantes qui se posent est donc de savoir s'il est vraiment dans l'intérêt des consommateurs américains et canadiens d'avoir des règlements complexes stipulant qu'à moins que vous ne couvriez également vos coûts fixes, il ne peut pas y avoir de ventes entre les deux pays en période de repli conjoncturel. Entre autres choses, cela perturbe la production. En fait, M. Phillips a prononcé sur ce sujet une conférence au Fraser Institute, à laquelle j'ai assistée.

.1940

Lorsqu'on entre dans le détail, tout cela devient donc très compliqué. Avez-vous encore des bureaux pleins d'imprimés d'ordinateurs sur les coûts moyens et variables, ou tout cela est- il maintenant sur disquette?

M. Brimble: Je peux vous assurer que nous recueillons une masse énorme de données, que c'est un processus complexe, et que les facteurs dont vous venez de parler sont ceux que nous nous efforçons de traiter en vertu de la loi. Je crois d'ailleurs que beaucoup de ces facteurs devront être examinés par le comité.

M. Grubel: Y a-t-il possibilité de contestation? Vous parlez des procédures fixées par la loi, mais votre réticence est évidente, et je vois que ces questions plongent ceux qui ne sont pas économistes dans l'ennui le plus profond. Quelqu'un conteste-t- il le bien-fondé des procédures que vous utilisez pour déterminer les coûts?

M. Brimble: Oh, certainement. Toutes nos décisions finales sont sujettes à appel devant la Cour fédérale et peuvent également être soumises au processus de règlement des différends binational dans le cadre de nos échanges commerciaux avec les États-Unis. Nous avons été contestés à de nombreuses reprises; cela fait partie du processus.

M. Grubel: Sur les points quelque peu obscurs dont je viens de parler?

M. Brimble: Sur de nombreux points très complexes. Je crois d'ailleurs que, dans la majorité des cas, le ministère a montré que notre interprétation de la loi était raisonnable.

Le président: J'imagine donc que nous avons essayé de simplifier les choses.

M. Grubel: C'est impossible.

Le président: Je vais maintenant donner la parole à M. Penson.

M. Penson: Je sais que le Canada est un des pays qui utilisent le plus fréquemment les mesures législatives portant sur les recours commerciaux. De nombreux pays, je crois, n'ont pas de législation compensatoire ou antidumping. À votre avis, cela fonctionne-t-il bien pour eux? J'imagine que oui. S'agit-il d'un groupe qui fait partie des pays industrialisés, des pays de l'OCDE, sont-ils tous liés par la loi commerciale?

M. Bernes: Non, tous les pays membres de l'OCDE ont des régimes de recours commerciaux. Certains d'entre eux ne les appliquent pas entre eux, et les membres de l'Union européenne, et l'Australie et la Nouvelle-Zélande ne le font pas non plus. Je crois que sur les 120 membres de l'OMC, 64 ont un régime de recours commerciaux.

On constate cependant que, de plus en plus, les pays en développement qui n'avaient pas de tels régimes mais utilisaient une protection tarifaire plus rigoureuse ainsi que d'autres barrières non tarifaires... Au fur et à mesure qu'ils se sont libéralisés et que l'effet protecteur de ces barrières traditionnelles s'est atténué, ils ont été soumis à des pressions internes en faveur de l'adoption du règlement de l'OMC et ils ont réagi positivement. Au cours des cinq dernières années, et en tout cas des dix dernières, nous avons donc constaté qu'un certain nombre de pays en développement qui n'avaient pas de système de recours commerciaux au départ en ont adopté un et commencent à l'utiliser.

M. Penson: Ma seconde question est la suivante. Au cas où le Canada déciderait unilatéralement qu'il ne veut pas de loi portant sur les recours commerciaux dans ces deux domaines, serait-il obligé de renforcer sa loi sur la concurrence pour mieux l'aligner sur les dispositions en vigueur aux États-Unis, notre principal partenaire commercial?

M. Bernes: C'est une des questions fondamentales qui se posent. Ce que l'on veut éviter c'est le recours à des pratiques anticoncurrentielles. Si les règles de la concurrence sont satisfaisantes, nous pouvons faire valoir, comme nous l'avons fait dans le contexte nord-américain, qu'il n'est ni opportun ni approprié d'avoir une loi sur les recours commerciaux. Je ne pense pas que cela entraînerait nécessairement l'harmonisation des règles sur la concurrence. Il est cependant clair que chaque partie voudrait avoir l'assurance que le système en vigueur dans l'autre pays permet de trouver des solutions satisfaisantes dans le domaine de la concurrence.

Le président: Monsieur Campbell.

.1945

M. Campbell: Ça me rappelle les derniers instants des matches de football au collège. C'est à moi de lancer les dernières questions qui traînent, après M. Grubel et M. Penson. Je voudrais revenir sur leurs commentaires à tous les deux.

En ce qui concerne le dernier point relatif au remplacement des dispositions antidumping par la loi sur la concurrence, je ne savais pas que vous envisagiez de remplacer les régimes de droits compensateurs par une loi sur la concurrence uniquement dans le domaine du dumping. Serait-ce logique - la pratique de prix abusifs à la place de mesures antidumping?

Il est bien évident que nous avons besoin d'une loi antitrust continentale harmonisée ou d'une loi continentale sur la concurrence, sans quoi nous serions obligés d'appliquer extraterritorialement notre loi sur la concurrence, ce que nous ne faisons pas actuellement. Les Américains utilisent cette méthode avec bonheur, mais nous nous en abstenons généralement.

Voudriez-vous préciser? Cela pourrait-il fonctionner en l'absence d'une loi harmonisée sur la concurrence?

M. Bernes: C'est une question qui a déjà été étudiée par un des groupes de travail de l'ALÉNA.

Peut-être devrais-je demander à John Gero, du ministère des Affaires étrangères, de répondre à ma place.

M. John Gero (directeur, Direction des recours commerciaux, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'avoir une loi américaine sur la concurrence, ni même une loi harmonisée sur la concurrence. Il ne s'agit pas nécessairement d'une application extraterritoriale de la loi sur la concurrence canadienne ou américaine. Après tout, ce qu'il faut déterminer c'est si, dans un pays, quelqu'un pratique des prix abusifs qui portent préjudice au marché canadien. On peut donc agir dans un contexte canadien en vertu de la loi canadienne, même s'il s'agit d'un fournisseur américain, par exemple, qui se livre à de telles pratiques. Il ne s'agirait donc pas nécessairement d'une application extraterritoriale de la loi canadienne.

M. Campbell: Vous avez tout à fait raison de soulever ce point. On s'appuierait donc sur ce qu'on appelait autrefois une doctrine des effets. Dans ce cas, l'effet se produirait au Canada.

M. Gero: C'est exact.

M. Campbell: Cela vous donnerait donc les pouvoirs requis pour prendre des mesures à l'égard du producteur étranger.

M. Gero: C'est exact.

M. Campbell: C'est intéressant.

Pour revenir à ce que M. Bélisle disait tout à l'heure au sujet de la question du préjudice, notre loi comprend une disposition à cet égard car l'accord international auquel nous avons souscrit nous contraint de prouver qu'il y a eu préjudice. C'est la raison pour laquelle notre loi contient cette disposition.

Il est bon de préciser que nous n'avons pas l'intention aujourd'hui, ni dans la suite de cet examen, de pousser plus loin que les droits antidumping et compensateurs, mais nous avons d'autres recours commerciaux. Seraient-ils également assujettis à la preuve de préjudice? Je pense au cas mentionné par M. Bélisle, dans lequel aucun préjudice n'avait été causé mais certaines mesures commerciales avaient manifestement été prises - le recours au dumping mais pas de préjudice, ni de poussée des importations, ni rien de ce genre.

M. Bernes: Nous disposons bien sûr d'autres instruments commerciaux. Lorsque les produits sont susceptibles de causer un préjudice sans pour cela être subventionnés ou faire l'objet de dumping, il est prévu que le gouvernement peut prendre une mesure de sauvegarde. Pour cela, il faut déterminer le préjudice, selon les critères de l'OMC qui sont plus rigoureux que ceux qui ont été établis pour le dumping ou pour les produits subventionnés.

M. Campbell: Cela ne jouerait donc pas pour l'exemple donné par M. Bélisle.

M. Bernes: Non, ce serait le critère le plus rigoureux qui jouerait. Et comme la vente des produits est conforme, en un sens, aux pratiques commerciales loyales, pour qu'un gouvernement puisse prendre des mesures pour protéger les produits, il faudrait qu'il offre des compensations à l'autre partenaire commercial, sous peine de s'exposer à des mesures de rétorsion.

M. Campbell: À propos de ce que M. Grubel a également dit de l'établissement des prix et de la théorie économique - et je n'y trouve rien à redire - il suffit de chercher un peu pour trouver des cas de dumping, ce qui m'amène à conclure - nous ne sommes d'ailleurs pas le seul pays à le faire - que la manière dont la loi est rédigée chez nous et la manière dont elle est rédigée et appliquée ailleurs donne pas mal de latitude aux réglementateurs qui veulent dépister des cas de dumping. La question pertinente à poser est donc la suivante: Vous nous avez donné des statistiques sur le nombre d'ordonnances antidumping existantes, mais dans quelle mesure cela correspond-il au nombre d'enquêtes effectuées par vous et à la situation dans d'autres pays?

.1950

M. Bernes: Nous serons très heureux de vous fournir, au comité et à vous-même, des renseignements plus détaillés là-dessus.

M. Campbell: Cela nous ramène vraiment à la question de M. Grubel. C'est intéressant. Si la théorie était exacte, il devrait être presque impossible de trouver des cas de dumping; pourtant, dans la pratique, on en trouve fréquemment.

M. Grubel: Lorsque cela arrange le politicien américain. Bien entendu notre système est libre de toute influence.

M. Campbell: Mais nous venons d'entendre dire, monsieur le président, que contrairement à ce que pense le public les mesures antidumping prises dans notre pays sont fort efficaces et que nous appliquons en fait plus souvent notre loi antidumping que les Américains.

Le coprésident (M. Duhamel): Vouliez-vous obtenir un commentaire de M. Bernes?

M. Campbell: Je crois qu'il a dit qu'il étudierait peut-être la question. Je ne pense pas avoir vraiment besoin de cette information; il s'agissait plutôt de poursuivre la discussion.

M. Grubel: S'il était facile de la trouver, je serais très heureux d'obtenir l'information suivante: le nombre d'actions intentées contre le Canada par les États-Unis, pondéré en fonction de la valeur des échanges commerciaux concernés, de manière à nous permettre de faire le total, et le nombre d'actions que nous avons intentées contre les États-Unis au Canada; ensuite, le pourcentage des décisions rendues contre les Américains et celui des décisions rendues contre nous, avec le nombre et la valeur des échanges commerciaux concernés. Il serait très intéressant de savoir tout cela.

M. Campbell: Monsieur le président, peut-être pourriez-vous le demander à nos témoins, à condition, bien entendu, qu'il leur soit facile de trouver cette information.

M. Grubel: Oui.

Le coprésident (M. Duhamel): C'est exactement ce que disait M. Grubel.

M. Campbell: Je ne voudrais pas les détourner de leur travail.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Grubel, suite à votre remarque, vous avez dit que vous aimeriez obtenir cette information mais seulement si, de l'avis de M. Bernes, qui prendra la décision, elle est facile à obtenir et n'exige pas qu'on engage trop de ressources.

Si vous me le permettez, je vous laisse le soin de décider, monsieur Bernes.

M. Grubel: Allez donc appuyer sur quelques touches d'ordinateur.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Campbell, avez-vous fini?

M. Campbell: Oui, merci.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur St. Denis.

M. St. Denis: Merci, monsieur le président.

Pour commencer, je voudrais un éclaircissement. J'ai écouté avec intérêt la discussion sur l'extraterritorialité et tout le reste, et il y a un point que je voudrais comprendre un peu mieux. Lorsque nous essayons de déterminer s'il y a eu dumping ou non, sommes-nous...?

Je me réfère à la page 11 de la note d'information, où il est indiqué que Revenu Canada établit les valeurs normales, c'est-à- dire, les valeurs d'exportation sans dumping. Essayons-nous de considérer le produit dans le contexte économique du pays d'exportation ou dans le nôtre? Opérons-nous une conversion, comme si c'était un produit canadien, afin d'essayer de déterminer s'il est bradé, ou accordons-nous le bénéfice du doute et tentons-nous de déterminer si c'est un prix d'exportation raisonnable dans le pays d'origine?

Comprenez-vous ce que je veux dire?

M. Bernes: C'est une excellente question, mais la réponse n'est pas tellement simple. Je vais donc demander à Brian Brimble de vous répondre.

M. Brimble: Essentiellement, la valeur normale est la valeur de ce produit sur le marché du pays exportateur.

Donc, si nous effectuons une enquête aux États-Unis, nous cherchons à déterminer le prix normal du produit exporté de ce marché. Idéalement, si le prix unitaire du produit était de 100$ sur le marché américain, il devrait être exporté au Canada pour le même prix, mais lorsqu'il arrive chez nous au prix unitaire de 85$, il s'agit manifestement d'un cas de dumping et on constate que la marge bénéficiaire est de 15$.

M. St. Denis: Ce serait probablement assez facile à déterminer s'il s'agissait d'un produit exporté des États-Unis, mais il doit exister une foule de pays où il est presque impossible de savoir ce qu'est la situation sur le marché intérieur. Est-ce que je me trompe en disant que c'est parfois difficile? Dans de tels cas, nous contenterons-nous d'adopter des chiffres favorables au Canada?

M. Brimble: C'est parfois difficile, mais lorsqu'on a affaire à des économies telles que l'économie américaine, que nous connaissons fort bien, la tâche est quelque peu facilitée.

Lorsqu'il s'agit de pays où l'économie est contrôlée par l'État, nous ne pouvons pas utiliser nos moyens d'investigation habituels. Il ne s'agit pas d'un marché libre sur lequel il est possible d'observer tout ce qui se passe. La loi nous autorise donc à chercher d'autres moyens d'établir la valeur des produits. Nous sommes alors obligés de pousser plus loin notre enquête pour trouver les valeurs normales spécifiques qui nous permettent de déterminer s'il s'agit d'un cas de dumping.

.1955

Le coprésident (M. Duhamel): Puis-je vous demander de conclure?

M. St. Denis: En fait, il s'agissait d'une question distincte, monsieur le président.

Le coprésident (M. Duhamel): Mais vous allez conclure?

M. St. Denis: Oui. Si vous me le permettez, à la page 10 on mentionne une récente étude comparative sur les systèmes canadien et américain, qui révèle qu'ils sont très comparables. Cette étude me serait-elle utile? Pourrions-nous en avoir des copies? Serait- elle utile ou, au contraire, serait-elle trop technique pour que la plupart d'entre nous - en tout cas certains d'entre nous - puissent l'utiliser?

M. Bernes: Nous sommes tout à fait disposés à vous la fournir. Je crois que vous trouverez le sommaire assez facile à assimiler. C'est un document plutôt volumineux. Certaines des parties les plus détaillées...

M. St. Denis: Oui. Encore une fois, je ne tiens pas à vous créer inutilement du travail mais si cela pouvait nous aider... Cela m'amène à demander où nous en sommes dans les négociations sur l'élaboration de codes de traitement du dumping et des subventions entre le Canada et les États-Unis. Sommes-nous prêts d'aboutir? Ou faudra-t-il encore attendre des siècles pour obtenir une décision? Je pense en particulier aux secteurs de l'acier et des produits laitiers, pour lesquels nous semblons piétiner.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Bernes, voulez-vous répondre?

M. Bernes: Oui. Dans le cadre de l'ALÉNA, on a créé un groupe de travail doté d'un mandat de deux ans, qui était chargé d'étudier les moyens de réduire les conflits dans le domaine des recours commerciaux. Ce groupe, dont le mandat a pris fin en décembre, doit présenter bientôt son rapport à une réunion de la commission, avec la participation des trois parties au niveau ministériel.

Il appartiendra à la commission de décider des autres mesures... L'objectif du gouvernement canadien demeure non seulement la réduction des différends dans ce domaine au sein de l'ALÉNA, mais aussi l'élimination des recours commerciaux dans le commerce nord-américain. C'est un objectif que nous continuerons à poursuivre par tous les moyens possibles.

Certains diront peut-être qu'une année électorale aux États- Unis n'est peut-être pas le meilleur moment pour cela. Je crois d'ailleurs qu'il convient de dire qu'il ne s'agit pas d'un objectif à court terme. Franchement, nous ne sommes pas prêts de convaincre les Américains de reconnaître la valeur de nos arguments.

M. St. Denis: Merci, monsieur Bernes. Merci, monsieur le président.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur St. Denis.

Messieurs, j'ai pris l'engagement de terminer à 20 h, et certains d'entre vous me compliquent la tâche. Ce soir cependant, je veux bien faire preuve d'un peu de souplesse.

J'invite maintenant M. Campbell à intervenir très brièvement. Je donnerai ensuite la parole à M. Bélisle, et je conclurai en quelques mots.

M. Campbell: Merci, monsieur le président. Je ne veux pas créer de précédent dès notre première réunion. Dans notre comité, nous voulons faire les choses comme d'habitude, en temps opportun et sans dépasser le budget.

Est-il juste de dire que notre loi actuelle ne nous aide pas dans la situation suivante? Encore une fois, il s'agit de la question du fonctionnement actuel de l'économie mondiale. Un producteur canadien défavorisé parce qu'un producteur étranger en Chine, par exemple - je n'ai pas d'exemple particulier à donner, mais j'utiliserai celui de la Chine - profite du dumping de certains produits d'un pays tiers dans son propre pays... Un producteur canadien est donc en concurrence avec un producteur chinois qui profite du dumping de certains produits américains importés chez lui.

Notre loi répond-elle à ces questions? D'après les conversations que j'ai eues, je crois savoir que de telles situations existent et que notre loi ne comporte pas de mesures qui leur sont directement applicables. Il n'y a donc peut-être pas de moyens d'intervenir. Dans l'exemple que je vous ai donné, si la Chine n'a pas de régime antidumping ou ne l'utilise pas dans ce cas, un producteur canadien est désavantagé et nous ne pouvons absolument rien faire.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Bernes.

M. Bernes: Puis-je demander à monsieur Brimble de répondre?

M. Brimble: Je crois effectivement que c'est juste. Les lois actuelles nous laissent impuissants dans les situations où des produits font l'objet d'un dumping.

M. Campbell: Merci, monsieur le président.

[Français]

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Bélisle.

M. Bélisle: Monsieur Bernes, vous avez parlé d'un rapport qui est sur le point d'être publié. Il porte sur les droits compensateurs, je crois. Dans combien de temps ce document pourrait-il être mis à la disposition des membres du comité?

.2000

[Traduction]

M. Bernes: Excusez-moi, vous faisiez allusion à...?

[Français]

M. Bélisle: Je peux poser ma question autrement.

[Traduction]

M. Bernes: J'espère que ce sera disponible plus tard cette semaine. En fait, certains membres du personnel l'ont déjà peut- être en main.

[Français]

M. Bélisle: Merci.

[Traduction]

Le coprésident (M. Duhamel): Je remercie les témoins.

Avant de mettre fin à cette réunion, je voudrais faire deux ou trois brèves remarques. Au cours des discussions informelles que j'ai eues avec les membres du comité, nous sommes convenus de ce qui suit, sous réserve des décisions finales du comité. Il conviendrait que notre recherchiste identifie les questions soulevées ce soir que nous voudrons examiner, mais il conviendrait également que les membres du comité soumettent des questions dont l'examen leur paraît nécessaire, en particulier celles que les discussions de ce soir leur ont inspirées. Peut-être pourriez-vous le faire rapidement. Cela facilitera la tâche de tout le monde.

On nous a également suggéré de préparer, au cours de l'été, un projet de plan de travail pour l'automne. Autrement dit, nous mettrions noir sur blanc des manières possibles de procéder, encore une fois sous réserve de la décision finale du comité. Cela nous permettrait de nous mettre sérieusement au travail à l'automne.

On a également invoqué la possibilité d'une réunion cet été. J'ai dit que j'y réfléchirais et que j'en discuterais avec mes collègues avant de prendre une décision définitive.

À moins que ce que je viens de dire ne comporte des inexactitudes ou des impropriétés, je déclare la séance levée. Avez-vous des questions, des remarques à faire ou des corrections à apporter?

[Français]

Merci à tous nos témoins.

[Traduction]

La séance est levée.

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