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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 11 juin 1996

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[Traduction]

Le président: Bonjour. Les quinze minutes réglementaires s'étant écoulées, nous ne sommes plus tenus d'attendre qu'un député de l'opposition soit présent pour commencer. Il y a quorum et nous allons donc entamer notre examen de la biotechnologie dans le cadre de la LCPE.

Nous avons le plaisir ce matin d'accueillir le professeur Leiss de l'Université Queen's. Il est également président de Eco Research et auteur: son ouvrage le plus récent, intitulé Risk and Responsibility, a été préparé conjointement avec Christina Chociolko. On me dit que la lecture de ce livre s'impose à tous les membres de notre comité. L'auteur y aborde diverses questions depuis la gestion du risque jusqu'aux produits chimiques antitaches, aux négociations avec les divers intervenants, en passant par Alar, ce qui pourrait être extrêmement avantageux car nous avons appris notre leçon dans ce dossier dans les années quatre-vingt. Le dernier chapitre s'intitule «Leçons utiles». Je vous en recommande fortement la lecture. Cet ouvrage est publié par les presses universitaires McGill.

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Il est rare, professeur Leiss, que notre comité fasse de la publicité pour des auteurs. Nous vous souhaitons la bienvenue et vous invitons à présenter votre exposé en nous laissant suffisamment de temps pour les questions et réponses. Nous sommes censés lever la séance vers 10 heures pour aller à la Chambre où nous entendrons un discours du président du Mexique, pour ceux d'entre nous que cela intéresse. Cela nous laisse au moins une bonne heure et quart. Encore une fois, nous vous souhaitons la bienvenue.

M. William Leiss (président, Eco Research, Université Queen's): Merci, monsieur le président.

Je suis ici surtout étant donné ma grande expérience des systèmes de réglementation visant un grand nombre de procédés et de substances présentant des risques pour la santé et l'environnement. Cela englobe les pesticides, la destruction des déchets nucléaires, les médicaments d'ordonnance et le tabac.

Étant donné que la biotechnologie semble être, du moins dans certains milieux, une question très controversée, je tiens à vous préciser ma position en prenant la parole devant vous ce matin. Je ne suis ni un adversaire ni un partisan de la biotechnologie. Ce qui m'intéresse, c'est la politique en général et le meilleur système de réglementation, ainsi que le plus crédible qu'il soit possible de mettre en place, car c'est dans l'intérêt de tous.

À cet égard, je n'ai pas besoin de vous convaincre que si, dans une société industrielle, nous avons un avenir à long terme, ce qui est loin d'être certain, la biotechnologie sera à la base de l'économie industrielle d'ici les 50 ou 100 prochaines années. Tout comme la grande révolution industrielle du XIXe siècle se fondait sur le génie chimique et celle du XXe siècle sur la physique nucléaire, le XXIe siècle sera celui du génie génétique. D'où l'importance de notre discussion d'aujourd'hui, car nous en sommes aux balbutiements de ce qui deviendra un jour une entreprise industrielle de très grande envergure.

J'aimerais faire quatre observations aujourd'hui.

Premièrement, j'aimerais parler de la structure de réglementation fédérale en vigueur visant la biotechnologie, qui comme vous le savez se fonde sur un «réseau de distribution» des responsabilités entre divers ministères. À mon avis, ce système n'est pas vraiment crédible si on le considère sous l'angle d'une bonne pratique de réglementation.

En second lieu, étant donné que ce système manque de crédibilité aux yeux de la population, les personnes les plus menacées sont celles qui se font les partisans de la biotechnologie. À mon avis, elles devraient prendre la question au sérieux.

Troisièmement, il y a lieu de se demander pourquoi la réglementation est structurée de cette façon. Il y a une justification, fondée sur la distinction entre les produits et les procédés. J'ai examiné cette raison d'être et je ne lui ai trouvé aucune base logique.

Quatrièmement, pour cette raison même, il nous faut un système nouveau. Il nous faut adopter une législation distincte pour les «entités transgéniques»; c'est-à-dire les organismes modifiés sur le plan génétique. Je vais vous expliquer pourquoi.

En conclusion, j'estime que l'existence d'un tel système serait à l'avantage de tous.

En un mot, l'inquiétude des Canadiens au sujet de la biotechnologie au Canada et de la crédibilité du système de réglementation converge en dernier ressort sur une seule question précise, mais qui est d'une importance extrême. Il s'agit de la création d'entités transgéniques, soit d'organismes modifiés sur le plan génétique, grâce à la science et à la technologie, par le transfert d'ADN d'une espèce à l'autre ou la suppression d'une partie de l'ADN d'un organisme.

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Cette question est, à mon avis, au coeur des préoccupations à long terme des Canadiens quant à la biotechnologie et à ses effets éventuels. Si le système de réglementation en place ne permet pas de calmer ces inquiétudes essentielles, c'est qu'il n'est pas bon. C'est un système qui ne répond pas de façon satisfaisante aux préoccupations principales des gens.

Commençons par mon premier point. Quel est le système de réglementation en vigueur pour la biotechnologie? D'après les mémoires et les exposés présentés à votre comité quant au fonctionnement du système actuel, une demande d'approbation est assujettie à des lois appliquées par l'un des cinq ministères en cause, ou plusieurs d'entre eux, même si Transport Canada n'est qu'un intervenant mineur - il y a l'Agriculture, l'Environnement, les Pêches, la Santé et les Transports - et que deux autres ministères, Industrie Canada et Ressources naturelles Canada, dont relève le Service canadien des forêts, s'intéressent de près à la biotechnologie, bien qu'ils ne s'occupent pas directement de la réglementation dans ce domaine. Nous avons donc un système qui relève d'un grand nombre de centres de responsabilités.

La première chose qui cloche, à mon avis, c'est le grand nombre de ministères fédéraux en cause, car cela sape la crédibilité du système aux yeux des gens tout en créant un mécanisme lourd et difficile à appliquer. C'est une sorte de machine à la «Rube Goldberg» faite de pièces assemblées à partir de petits morceaux provenant d'autres instruments. D'après moi, l'incident en matière de réglementation risque de survenir d'un moment à l'autre.

Le genre d'incident auquel je pense sape la confiance qu'ont les gens dans le système de réglementation. C'est pratiquement inévitable dans les circonstances actuelles. Il y a lieu de se demander pourquoi.

Dans le premier cas, le système actuel n'existe que par pure commodité administrative. Il a été conçu pour être commode pour les bureaucrates en place. Il n'a pas été conçu à d'autres fins. En fait, ce système a été mis sur pied à la suite d'une décision du même ordre prise par les États-Unis. Il y a tous les intervenants qui s'agitent en se disant qu'il existe déjà une série de services qui se fondent, comme on vous l'a déjà dit, sur les prétendues lignes de produits: alimentation ou agriculture, santé, poisson et autres choses du même genre, alors pourquoi ne pas continuer de procéder de cette façon?

Parallèlement, ils veulent tous être les partisans de la biotechnologie en plus d'être responsables de la réglementation. À mon avis, aucun d'entre eux ne semble avoir compris la précarité des mandats qui se chevauchent en matière de réglementation et de promotion et ce, pour une raison très simple. Pour que la réglementation soit crédible dans tous les domaines, il faut qu'il existe une distinction nette et précise entre le responsable de la réglementation et les intérêts économiques qui relèvent de sa compétence. Étant donné qu'ils veulent tous à la fois assurer la réglementation et faire la promotion du secteur, y compris Environnement Canada depuis peu, cette distinction très nette n'existe plus entre les activités de réglementation et de promotion. C'est pourquoi je dis qu'un incident en matière de réglementation risque de survenir d'un moment à l'autre.

Il y a bon nombre d'industries et d'autres secteurs qui sont assujettis à la réglementation. Je ne connais aucun autre système de réglementation au Canada où les responsabilités sont réparties entre un aussi grand nombre d'intervenants, qui sont tous en même temps les défenseurs du secteur réglementé, ce qui présente de sérieux risques.

Il y a un autre argument beaucoup plus simple. Nous en avons eu un exemple au Canada dans un dossier qui a vivement préoccupé la population, à savoir l'enregistrement et la réglementation des pesticides. Pendant longtemps il n'y avait qu'un seul ministère, Agriculture Canada, qui était responsable aux termes de la Loi sur les produits antiparasitaires. Puis, à compter des années 80, pour réagir aux inquiétudes de la population face à la crédibilité du ministère en tant qu'organisme de réglementation qui semblait toujours faire la promotion du secteur qu'il était chargé de réglementer, nous avons mis sur pied un système de partage des responsabilités.

Aux termes de protocoles d'entente, certaines responsabilités, bien que continuant de relever d'Agriculture Canada sur le plan juridique, ont été réparties entre les ministères de la Santé, de l'Environnement et des Pêches. Ce système a été en vigueur pendant toutes les années quatre-vingt mais, en 1990, on s'est aperçu qu'il était imparfait. Un processus a alors été mis sur pied qui continue d'être appliqué aujourd'hui et en vertu duquel les pouvoirs législatifs visant l'élaboration de cette réglementation relève d'un même ministère, Santé Canada, par l'entremise d'un organisme de réglementation de la lutte antiparasitaire.

L'historique de la réglementation des pesticides laisse présager, à mon avis, la réglementation de la biotechnologie. Si nous prenons les mesures qui s'imposent, les choses se passeront de la même façon.

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Pourquoi faudrait-il s'en inquiéter? Surtout parce qu'un système où tant de mandats se chevauchent et où il y a confusion entre les activités de réglementation et de promotion ne peut être crédible aux yeux du public, de par sa nature même. À l'occasion le gouvernement reconnaît que la population se méfie énormément des biotechnologies et du régime de réglementation. Ensuite, il enchaîne tout aussi rapidement, en disant qu'il faut sensibiliser la population et lui faire comprendre que le système qu'il a structuré est le meilleur possible. Mais ce n'est pas vrai et la population ne le croira jamais, à mon avis.

Cela tient surtout au fait que pour justifier l'architecture actuelle du système, on s'appuie sur la distinction entre les produits et les procédés. C'est cette raison qu'on cite pour expliquer pourquoi les choses doivent être faites comme elles le sont à l'heure actuelle. C'est ce qu'on dit très simplement lorsqu'on explique que les systèmes de réglementation de la biotechnologie «réglementent le produit et non le procédé». Vous vous êtes fait dire cela à maintes reprises, particulièrement par les fonctionnaires fédéraux.

Je réponds à cela qu'il est difficile de comprendre pourquoi cette distinction est si importante. En réalité, elle ne l'est pas. Elle n'est pas du tout significative. En fait, c'est une affirmation maquillée en argument. Je le répète, il faut s'appuyer sur des structures de réglementation comparatives, desquelles nous avons une longue expérience. Songez aux secteurs comme la pétrochimie ou celui des pâtes et papiers qui sont strictement réglementés et depuis fort longtemps. Par exemple, le secteur des pâtes et papiers est celui qui suscite les plus vives inquiétudes en matière d'environnement en raison des effluents industriels. Concluriez-vous qu'il est sensé de réglementer les produits du secteur des pâtes et papiers mais non les procédés de fabrication? Non. Nous réglementons les procédés. Nous réglementons rarement les produits.

Plus près de chez nous, Agriculture Canada est un organisme de réglementation traditionnel depuis longtemps déjà. Dans le cas de l'inspection des viandes, l'activité réglementaire est la plus fondamentale et la plus ancienne puisqu'elle date du début du siècle où l'on s'inquiétait de l'innocuité des aliments. L'inspection des viandes a toujours inclus le contrôle des procédés et des produits. Il n'y a là aucune distinction.

Prenez le cas de Santé Canada, principal organisme de réglementation en ce qui a trait à l'innocuité des aliments. Le ministère a toujours réglementé les procédés de fabrication de produits alimentaires aussi bien que les produits. D'ailleurs, le comité a entendu M. Bailey de Santé Canada qui expliquait le système du ministère. Il a dit:

Alors, pourquoi instaurerions-nous un système qui fait une distinction entre les produits et les procédés si nous ne réglementons pas les procédés mais seulement les produits, alors que nous avons un organisme de réglementation important qui vous dit qu'il réglemente aussi les procédés? C'est insensé.

J'ai étudié les arguments d'Agriculture Canada, par exemple. J'y ai trouvé deux affirmations contradictoires. Je cite une publication du ministère lui-même. Dans la première on peut lire: «... les organismes issus du génie génétique ne sont pas foncièrement différents des organismes issus de modes de culture traditionnels». Mais on peut lire ailleurs dans la même publication que la nouvelle technologie permet certaines choses «qui ne sont pas possibles avec les méthodes de culture traditionnelles».

C'est une contradiction pure et simple. Ces deux affirmations sont incompatibles.

Vous avez entendu un exposé du Dr Morrissey qui vous a brossé un tableau d'ensemble. Il a dit que la biotechnologie c'est l'évolution sur 5 000 ans des manipulations de la nature par l'homme - ce qui est vrai - la première étape étant la culture des plantes et l'élevage des animaux, la deuxième étant la sélection des plantes et des animaux, la troisième étant le transfert de gènes entre sujets de même espèce et la dernière étant le transfert de gènes entre sujets d'espèces différentes.

C'est un processus en quatre étapes qui est présenté ici comme processus continu, sans rupture. À mon avis, cette description est trompeuse. J'estime qu'il y a eu une rupture nette. À la page 12 de mon exposé, j'ai tiré un trait entre la troisième et la quatrième étape. À mon avis, c'est là que le trait doit être tiré et cela pour une raison très simple.

Pour les trois premières étapes, qui recouvrent effectivement l'histoire documentée de la civilisation humaine, nous sommes intervenus dans la nature pour tenter d'en tirer certains avantages par la culture et par la sélection. Nous avons essentiellement cherché à accentuer des processus existant dans la nature - de les accélérer, en fait.

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Dans le cas des entités transgéniques - transfert entre espèces de matériel génétique - je crois que nous sommes passés à une nouvelle étape. Ce n'est pas que ces transferts soient inconnus dans la nature mais plutôt qu'ils constituent des anomalies, des écarts par rapport à la norme.

Voici donc ma conclusion. Je crois qu'il est possible d'instaurer un régime de réglementation qui serait plus crédible aux yeux de la population que le régime actuel, et de le faire assez simplement.

À mon avis, on peut soutenir que la quatrième étape, la création d'entités transgéniques par des moyens scientifiques et par des manipulations constituent un procédé suffisamment distinct pour qu'il puisse lui-même faire l'objet d'un régime réglementaire imposé par une législation distincte. Nous créerions ainsi un régime plus crédible puisque c'est là l'aspect de la biotechnologie qui inquiète les Canadiens moyens. Et comme c'est ce qui les inquiète, il faudra agir. De fait, ce sera la principale forme d'application des biotechnologies à l'avenir. Nous devons agir. Nous devons dissiper ces inquiétudes.

Je suis le premier à admettre que dans la nature et dans la société rien n'est jamais parfait. Il y a toujours des imprévus. Dans le cas des entités transgéniques, même s'il s'agit surtout de créations humaines... je ne dis pas qu'elles n'existent pas dans la nature. Mais en réalité, si vous examinez la loi, vous verrez que nous construisons sans cesse des compartiments qui sont plutôt arbitraires étant donné les contraintes qu'impose la réglementation.

Il y a de nombreux exemples de cela. Les pesticides sont un bon exemple. Nous avons une loi distincte depuis 50 ans. Ce n'est pas nécessaire. Les pesticides ne sont que des produits chimiques toxiques. Ils pourraient être réglementés en vertu de la LCPE ou en vertu de tout autre régime de réglementation des substances toxiques mais nous créons une catégorie distincte pour des raisons bien précises. Ce n'est pas nécessairement logique, mais c'est ce que nous avons fait.

La Loi sur les produits dangereux crée aussi une catégorie de procédés assujettis à des mesures législatives spéciales. Comme nous le savons, c'est très arbitraire. Il est complètement illogique que la Loi sur les produits dangereux ne s'applique pas au tabac, mais il y a à cela des raisons historiques. Ce n'est pas logique. C'est historique.

Dans la Loi de l'impôt sur le revenu, eh oui, vous trouverez une définition de la recherche scientifique aux fins du crédit d'impôt pour la R-D. C'est complètement arbitraire, mais c'est là pour des raisons pragmatiques.

Enfin, on trouve dans la LCPE une définition du mot «toxique» qui ne correspond pas à l'acception usuelle de ce terme. C'est délibéré.

Comme pour tous ces exemples, nous pourrions pour une raison précise - cette raison étant la crédibilité aux yeux de la population - désigner une catégorie d'entités transgéniques et dire qu'elles seront assujetties à un règlement spécifique puisqu'elles constituent des innovations qui suscitent des inquiétudes dans la population et qu'elles doivent être assujetties à une loi et à un règlement qui soient clairs et simples par contraste avec la structure réglementaire confuse et lourde qui existe actuellement.

Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Il existe trop de contraintes. La carrière et les intérêts de trop de gens sont étroitement liés au système actuel.

Je ne crois pas que l'on puisse y parvenir en apportant des rajustements mineurs dans le contexte de l'examen de la LCPE. Par ailleurs, je ne crois pas qu'il y ait lieu de modifier les dispositions actuelles de la LCPE relatives à la biotechnologie. Elles doivent être maintenues jusqu'à ce que nous mettions en place un meilleur système.

Ce meilleur système implique qu'on crée une catégorie d'entités transgéniques qui seraient visées par la LCPE ou une autre loi. À mon avis, il faudrait probablement une loi distincte puisque la LCPE est déjà rigidifiée, et tous les arguments qu'on invoque - surtout en coulisse entre ministères du gouvernement - sont tout simplement agaçants. Ils ne servent pas les intérêts de la population.

Quelle que soit la façon dont nous nous y prenons, si nous pouvons nous entendre pour créer une catégorie d'entités transgéniques, nous le faisons pour une question de crédibilité parce que nous voulons avoir un règlement tout à fait crédible concernant les risques pour la santé et l'environnement.

Cela signifie que les ministères fédéraux logiquement concernés sont Environnement Canada et Santé Canada. Ce serait des organismes de réglementation tout à fait crédibles dans cette situation s'ils pouvaient se contenter de faire de la réglementation et ne pas s'occuper de promotion. Que quelqu'un d'autre s'occupe de promotion.

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Santé Canada apparaît très crédible et relativement efficace pour ce qui est de la réglementation et des risques pour la santé en général. Environnement Canada n'a pas encore acquis cette crédibilité. Ce serait pourtant important car les entités transgéniques ne peuvent être réglementées de façon crédible sans l'intervention du ministère fédéral de l'Environnement.

Le dégagement dans l'environnement d'organismes modifiés génétiquement est ce qui inquiète depuis toujours le grand public. Il faut s'en occuper. Quand on dit donc que ce doit être réglementé séparément soit aux termes de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, soit en fonction d'une autre loi relevant de Santé et d'Environnement, Environnement Canada doit jouer son rôle de réglementation et être considéré comme efficace en la matière et crédible du point de vue scientifique. Je crois que c'est possible mais que ce n'est pas encore le cas.

Merci.

Le président: Monsieur Leiss, c'est la première fois que nous voyons la fin du tunnel, qu'au moins j'ai l'impression de comprendre un peu la question et nous avons eu beaucoup de chance qu'Ed Norrena recommande que le comité vous entende. Cela nous a été très utile et je suis sûr que mes collègues voudront vous poser des questions.

Je demanderais d'abord à Mme Guay si elle veut commencer. D'accord, madame Guay?

[Français]

Mme Guay (Laurentides): Puisqu'on parle justement de biotechnologie, hier soir, j'écoutais une émission vulgarisée à l'intention de la population où on parlait de l'ADN. On demandait à des spécialistes de l'ADN si nous serions un jour capables de déceler des maladies 30 ou 40 ans avant qu'elles ne se développent et si cela ne présentait pas un danger. Dans l'exemple qu'on donnait, on parlait de l'ablation immédiate du sein chez une femme qui risquait d'avoir un cancer du sein 20 ans plus tard. N'est-ce pas un risque énorme?

On discutait aussi des couples qui voulaient des enfants et qui pourraient en quelque sorte magasiner comme dans un catalogue et décider d'avoir un enfant aux cheveux de telle couleur et aux yeux de telle couleur. Est-ce que la biotechnologie se rendra jusque-là? Est-ce vraiment souhaitable ou nécessaire?

Il y a un côté de la biotechnologie qui est passionnant, mais il y en a un autre qui est inquiétant, qui fait un peu peur. Qu'en pensez-vous?

Notre comité a beaucoup parlé de l'importance de l'étiquetage sur tous les produits basés sur la biotechnologie afin que les gens sachent qu'ils utilisent un tel produit. Quelle est votre opinion?

[Traduction]

Le président: Merci, madame. Monsieur Leiss.

M. Leiss: Il y avait une brève référence à ce sujet dans le document, que je n'ai pas lu, à propos de l'intervention médicale fondée sur notre capacité à intervenir en ce qui concerne les matériaux génétiques.

C'est un exemple du type de capacité de ce qu'on appelle la nouvelle biotechnologie, ce qui va soulever d'autres problèmes de dimensions énormes et, dans ce cas, sur le plan de l'intervention médicale, des dilemmes éthiques fondamentaux. Vous parlez du dépistage de l'ADN pour les maladies transmises génétiquement ou pour la prédisposition à une maladie et ceci est déjà possible à certains égards. Cela peut présenter un avantage énorme pour les maladies comme la fibrose kystique, etc. mais cela soulève des questions terribles lorsque les gens se mettent à la recherche de bons gènes. Je vais vous donner un exemple.

La sociologie nous a appris que dans notre société les gens plus grands gagnent habituellement plus d'argent que les plus petits. Il y a un genre d'interaction sociale qui fait que la taille des gens est liée à leur succès économique. Étant donné que c'est un fait assez bien établi, il se pourrait que des parents recherchent le type de gène qui donnerait à leurs enfants un avantage économique du fait qu'ils sont plus grands. Toutefois, il est évident que logiquement, un beau jour, quand tout le monde est plus grand, tout cela devient ridicule.

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Bref, ce sont en effet des problèmes très complexes. Nous aurons dans un avenir assez proche une description complète du génome humain. Cela signifie que nous pourrons savoir où et comment intervenir dans tous les aspects de la composition de l'entité humaine. Une telle connaissance peut donner des résultats très positifs mais risque aussi de présenter des risques importants et des dilemmes d'ordre éthique.

C'est la raison pour laquelle je déclare dans ce document, même s'il ne porte pas directement sur les interventions médicales, qu'il nous faut disposer du système le plus crédible possible car ces nouvelles découvertes présentent de nombreux aspects qui sont à la fois effrayants et difficiles à contrôler.

Maintenant, rapidement, sur l'étiquetage, vous avez beaucoup discuté de cela. J'ai un point de vue à ce sujet car mon domaine de spécialisation est la communication de risques. En général, j'estime qu'on en arrive à la conclusion qu'il est préférable de divulguer davantage de choses que moins. À long terme, encore, c'est à la fois avantageux pour les producteurs et pour les consommateurs. Pour des produits uniques, comme la pomme de terre NewLeaf, etc., où il est facile d'émettre un avis, qu'on le fasse. Puisque l'avis est complexe, on prend un numéro 1-800 de sorte que les gens qui veulent toute l'information disponible puissent l'obtenir - et que tout le monde ne soit pas obligé de la voir.

Je n'ai entendu qu'une question qui à mon avis relève de l'objection pratique - à savoir que dans le contexte de la transformation des aliments, lorsqu'il y a beaucoup d'ingrédients, dont certains ont peut-être été modifiés génétiquement, si l'on essaie de tout étiqueter, on risque de ne pas avoir la place de le faire sur l'étiquette. Il faut alors là pendre une décision pragmatique.

Je suis un peu comme ceux qui favoriseraient l'étiquetage négatif. À savoir qu'on ne peut finalement étiqueter tout ce qui peut contenir quelque chose mais qu'on peut permettre à ceux qui veulent mettre au point une ligne de produits d'exclure certains éléments. C'est comme «organique». Si on veut qualifier quelque chose d'organique, du moins en Californie, il faut suivre des règles très rigides. Cela signifie que l'on n'a pas utilisé certaines choses.

On peut prendre l'exemple de la somatotrophine dans le lait. Ce sera habituellement plus coûteux mais si les producteurs veulent produire une série de produits sur lesquels ils indiquent: «Ne contient pas de lait de vaches auxquelles on a administré de la somatotrophine», qu'ils le fassent. À l'heure actuelle, ce n'est pas permis et les gens sont contre. C'est à mon avis tout à fait ridicule.

En définitive, je crois que les gens ne s'inquiéteront pas trop lorsque les organismes de réglementation leur auront dit qu'il n'y a pas de risque ou que le risque est très faible. Je pense que la majorité ne s'inquiétera pas du risque que présente la somatotrophine mais s'il y en a que ça inquiètent et s'ils veulent le savoir, qu'ils le sachent. Nous pouvons trouver des solutions qui satisfassent le grand public. Ce n'est pas au-dessus de nos moyens.

[Français]

Mme Guay: Les gens veulent simplement savoir. On a toujours donné l'exemple de la somatotrophine bovine; quand les consommateurs achètent du lait, il veulent savoir s'il a été traité avec des hormones ou si c'est du lait naturel, si on peut ainsi dire. Il est important que les gens puissent choisir l'un ou l'autre. Lorsque j'achète une pinte de lait, j'aime bien savoir comment elle a été fabriquée et si elle contient des hormones. Vous avez bien raison de dire qu'on ne peut pas tout écrire sur une étiquette; vous suggérez d'inscrire simplement «produit issu de la biotechnologie» et un numéro de téléphone que les gens pourraient composer pour obtenir plus d'information sur le contenu du lait.

[Traduction]

M. Leiss: Nous ne pouvons pas trouver la solution parfaite ici. Tout ce que je dis c'est que nous pouvons trouver de bonnes solutions. Finalement, c'est tout le monde qui en profite - notamment dans le cas de la somatotrophine, Monsanto qui la fabrique - pour que le grand public soit rassuré. C'est à mon avis une question de bon sens et nous pouvons le faire. À long terme, ce ne sera pas un problème.

Il faut éviter des termes tels que «naturel» parce qu'en fait nous manipulons la nature depuis très longtemps et que la vache moderne n'est pas une création naturelle. En fait, toute cette histoire de naturel peut être trompeuse. Le terme «organique» présente aussi des problèmes, à moins que les producteurs s'auto-réglementent.

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Tout ce que je veux dire c'est que nous pouvons trouver des solutions qui satisfassent le public. Je trouve dommage que ceux qui s'occupent de promotion disent qu'ils n'accepteront pas l'étiquetage négatif. C'est dommage parce que si c'est ce qui rassure le consommateur, il faut le faire. Ce n'est de toute façon pas ça qui va arrêter le développement de la biotechnologie.

[Français]

Mme Guay: Vous disiez plus tôt que le système réglementaire n'était pas adéquat, que trop de ministères intervenaient dans cette réglementation. Est-que cela retarde vraiment le développement de la biotechnologie ici, au Canada? Que pourrait-on faire pour améliorer la situation?

[Traduction]

M. Leiss: En fait, pour moi qui m'intéresse aux méthodes de réglementation, je m'intéresse aussi aux méthodes efficaces de réglementation et je ne crois pas qu'il soit acceptable d'avoir recours à un tel processus simplement pour ralentir le développement industriel. C'est au contraire inacceptable. Un processus de réglementation devrait avoir un mandat très clair et des règles très claires et permettre que des décisions rapides et responsables soient prises en fonction de ces règles car, sinon, c'est très injuste pour les innovateurs qui risquent beaucoup d'argent pour mettre au point un nouveau produit qui pourrait leur rapporter de gros bénéfices.

J'ai essayé dans mon document d'offrir une solution, que je n'ai pas décrite en détail et qui permettrait en fait de garantir un maximum d'efficacité. À la page 12, j'ai établi une ligne de démarcation, et j'ai dit qu'à mon avis les ministères actuels peuvent continuer, aux termes des diverses lois, comme la Loi relative aux semences qui est administrée par Agriculture et Agroalimentaire Canada et d'autres, à réglementer les produits découlant des trois premières phases de ce qu'on appelle la biotechnologie traditionnelle; si l'on retient ma proposition, il y aura une nouvelle phase distincte des autres.

À mon avis, cela permettrait d'accroître l'efficacité du système et non de la diminuer, puisqu'on pourrait définir l'aspect de la biotechnologie qui suscite la plus vive controverse. L'adoption de ma proposition indiquerait aux Canadiens qu'on prend des mesures particulières pour calmer leurs craintes; ainsi, seuls les ministères de l'Environnement et de la Santé s'occuperaient de la question parce qu'après tout les préoccupations qui existent touchent les risques pour l'environnement et la santé. Si vous suivez mes conseils, vous allez demander à ces deux ministères de ne plus s'occuper de promotion, mais simplement de réglementation. Si c'est le cas, je crois que tout cela peut être fait de façon fort efficace.

On me dit que si vous voulez franchir toutes les étapes nécessaires pour le rejet d'une substance dans l'environnement à la fois aux États-Unis et au Canada, il faut obtenir quelque 30 approbations distinctes. C'est absolument ridicule.

[Français]

Mme Guay: Merci.

Le président: Merci, madame.

[Traduction]

M. Lincoln sera suivi de M. Steckle et du président, à moins que d'autres souhaitent poser des questions. Vous avez la parole, monsieur Lincoln.

M. Lincoln (Lachine - Lac-Saint-Louis): Monsieur Leiss, j'aimerais revenir à certaines remarques que vous avez faites parce que je veux m'assurer d'avoir bien compris.

Tout d'abord, vous avez dit que les risques pour la santé et pour l'environnement recevraient la priorité, et que le cadre réglementaire actuel est très lourd et pratiquement inapplicable. Vous avez dit qu'il était dangereux à la limite et qu'à moins de le modifier pour créer un système unique efficace, il faudrait laisser le système actuel tel quel.

J'allais vous demander, puisqu'il existe maintenant un conflit d'intérêts entre l'organisme de réglementation et le promoteur, si nous devrions également inclure les procédés de fabrication ainsi que les produits et s'il faudrait faire de sorte que le système soit suffisamment efficace pour ne pas ralentir la fabrication de nos produits.

D'après ce que vous et d'autres témoins avez dit, pour que le système soit efficace, il faut qu'on accorde la priorité aux risques pour l'environnement et pour la santé, que tous les produits et les procédés de la biotechnologie soient touchés; il faut éviter tout conflit d'intérêts entre le promoteur et le responsable de la réglementation, il faut que le système tienne compte des modifications avant la fabrication et avant l'importation, qu'il inclue une évaluation efficace et appropriée des produits, et qu'il prévoie un système d'avis destiné au public et de participation de ce dernier.

M. Leiss: C'est vrai.

M. Lincoln: S'agirait-il, selon vous, de critères appropriés à tous les systèmes de réglementation?

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M. Leiss: J'émets cependant une réserve importante. En acceptant ma proposition selon laquelle il n'est pas logique de faire la distinction entre les produits et les procédés de fabrication, vous avez dit qu'il fallait assurer la réglementation des produits découlant de tous les procédés.

J'ai essayé de ne pas alourdir le système à cet égard. À la page 12, je propose que l'on prévoie un procédé unique distinct. Dans la nouvelle biotechnologie, par opposition à la biotechnologie traditionnelle, ce procédé unique est défini comme suit:

Il s'agit là d'un procédé particulier, mais je crois que c'est le domaine de l'avenir, et c'est là où toute l'innovation et les découvertes biotechnologiques se produiront, tout au moins les plus fondamentales.

Il s'agit également du procédé qui inquiète le public. C'est pourquoi il devrait être distinct et faire l'objet d'un contrôle réglementaire et juridique particulier et unique.

Les procédés qui font partie des catégories un, deux et trois, qui sont décrites - lesquelles, à mes yeux, représentent la biotechnologie traditionnelle - font à mon avis l'objet d'une réglementation adéquate aux termes des lois actuelles, comme la Loi sur les semences, la Loi sur les engrais et la Loi sur les aliments et drogues. Ce système peut être maintenu.

Le procédé prend une forme différente, mais le système actuel ne le reconnaît pas. On prétend que le procédé n'est pas du tout différent alors qu'il l'est.

M. Lincoln: Serait-il possible, au point de vue juridique et à d'autres égards, de décrire cette catégorie, la phase quatre, qui touche les procédés de transfert entre espèces et les procédés transgéniques, et les produits connexes, de sorte qu'il n'existe aucun doute ni aucun conflit?

M. Leiss: Je crois que oui. J'ai essayé de l'expliquer en fonction des paramètres scientifiques. J'ai dit dans mon document que je crois que c'est tout au moins possible. Si quelqu'un vient me dire que je ne connais rien aux sciences et que je me trompe, bon, qu'on m'explique pourquoi. Si l'on peut me convaincre c'est parfait, j'abandonnerai cette idée.

Cependant personne ne l'a fait. En fait, je serais très étonné qu'on le fasse, mais je serais disposé à écouter ce qu'on me dira. Je soutiens que c'est un argument plausible. Tant qu'on ne pourra me prouver le contraire, on devrait prendre cette proposition au sérieux, ce qui n'a malheureusement jamais été fait.

M. Lincoln: Cela met fin à mes questions. Vous semblez être du même avis que l'association de la biotechnologie qui a déjà témoigné devant nous. On avait posé à ces témoins la même question, si je ne m'abuse.

À défaut de modifier le système de la façon adéquate que vous nous avez décrite aujourd'hui, nous ne devrions donc pas toucher au système actuel tant que nous ne pourrons pas le faire de façon appropriée.

M. Leiss: Je fais allusion aux suggestions et aux préoccupations qui ont été exprimées si l'on doit modifier à nouveau le système actuel en fonction de la notion selon laquelle les produits qui sont ou peuvent être réglementés aux termes des lois actuelles... C'est l'argument que vous ont présenté d'autres témoins. Je crois qu'il ne faudrait pas toucher au système. Si nous ne pouvons pas nous attaquer au gros problème, qui se pose maintenant, il faut pas toucher au cadre de réglementation actuel mais plutôt mettre au point un mécanisme d'examen qui nous permette de décider s'il y a lieu d'adopter un système différent.

M. Lincoln: Merci.

Le président: Merci, ces commentaires ont été fort utiles.

M. Steckle suivi de Mme Payne et de Mme Kraft Sloan.

M. Steckle (Huron - Bruce): Merci, monsieur le président.

Monsieur Leiss, j'ai été fasciné par la discussion de ce matin. À la deuxième page de votre mémoire, vous dites que vous avez travaillé dans le secteur de la gestion des risques, tout particulièrement en ce qui a trait aux déchets nucléaires hautement radioactifs. J'aimerais que vous nous expliquiez la différence qui existe entre les déchets nucléaires hautement radioactifs et les déchets faiblement radioactifs, si en fait ce type de déchets existe. Peut-être pourriez-vous également nous parler de la participation du Canada au projet de combustible MOX où l'on utiliserait du plutonium.

Je m'intéresse tout particulièrement à la question parce que cette installation se trouve dans ma circonscription. J'ai donc un intérêt personnel, mais je me demande ce que vous pensez du niveau de sécurité associé à l'entreposage des déchets provenant de ces sites. Croyez-vous que ce que l'on fait actuellement est acceptable? Avons-nous parfois commis des erreurs?

M. Leiss: Je peux répondre rapidement à cette question. Les déchets faiblement radioactifs dont vous parlez sont ceux de Port Hope. On se demande s'il faut les envoyer ailleurs, ce qui est sujet à controverse. Il s'agit des déchets provenant du traitement de l'uranium. Ces déchets sont actuellement enfouis dans divers sites près de Port Hope.

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Les déchets nucléaires hautement radioactifs sont, évidemment, ceux qui se trouvent maintenant dans les réacteurs piscines. On a entrepris un vaste processus d'audiences dans tout le pays au sujet du concept de l'enfouissement en profondeur de ces déchets dans le bouclier canadien. Voilà donc la différence.

J'ai comparu devant la commission qui étudie la question de l'enfouissement en profondeur. Personnellement, puisqu'on n'a jamais étudié de façon adéquate le concept du risque acceptable... Quand il y a controverse, il faut habituellement prendre une décision assez rapidement; dans le cas qui nous occupe, nous avons tout le temps. Ces déchets sont entreposés de façon adéquate actuellement dans les réacteurs piscines. Nous pouvons attendre dix ou vingt ans pour trouver la meilleure solution au problème de l'enfouissement de ces déchets.

En fait, je crois qu'enfouir ces déchets très profondément n'est pas une bonne idée, mais c'est une autre histoire. Nous n'avons pas besoin de prendre une décision immédiatement. Nous avons beaucoup de temps pour y penser. Je crois que le système est adéquat pour mettre le public à l'abri des risques associés aux déchets nucléaires hautement radioactifs. Nous ne pouvons pas le faire jusqu'à la fin des temps, mais nous avons suffisamment de temps pour concevoir un autre système qui soit à la fois rentable et acceptable au point de vue risques.

Pour ce qui est du traitement du plutonium, un des matériaux les plus dangereux, les principaux risques font surface lorsqu'on déplace ce produit d'un endroit à un autre. Il est nettement à l'avantage du public de recycler les matériaux des ogives nucléaires pour les rendre moins dangereux. Quant à savoir s'il faut amener ce produit ici et nous en servir dans nos réacteurs, c'est une question très complexe qui devrait être étudiée de très près, compte tenu principalement des risques associés au déplacement de ces produits.

M. Steckle: Pouvez-vous m'expliquer pourquoi il y a plus de risques si l'on déplace ce plutonium à basse teneur alors qu'il a déjà été déplacé dans...

M. Leiss: Non, ce n'est pas le cas.

M. Steckle: Le risque n'est pas plus grand?

M. Leiss: Non. À mon avis, les déchets qui sont à Port Hope devraient rester là.

M. Steckle: Ce que je veux savoir, c'est s'il est plus dangereux de déplacer ce plutonium des États-Unis sous une autre forme au Canada. On a déjà déplacé des ogives nucléaires d'un bout à l'autre du pays sans incident.

M. Leiss: Pas au Canada.

M. Steckle: Non, mais est-ce plus dangereux de le faire au Canada qu'aux États-Unis? Je me fais l'avocat du diable, et je veux simplement que vous m'en disiez plus long là-dessus.

M. Leiss: Je ne dis pas que c'est plus dangereux. Je crois que c'est une grande source d'inquiétude qui mérite réflexion.

M. Steckle: Très bien. Je vais passer à autre chose. Pouvez-vous m'expliquer ce que vous dites à la page 5. Je crois que mon collègue a peut-être déjà abordé la question. Pouvez-vous nous donner un exemple d'accident dans le secteur de la réglementation? Pouvez-vous nous en dire un peu plus long?

M. Leiss: Dans une note en bas de page, j'ai dit que le type d'incident dont je parle sape la confiance du public à l'égard du système de réglementation.

En février dernier, des articles ont été publiés dans The Globe and Mail et d'autres journaux sur la pomme de terre NewLeaf. Certains ont dit que des pommes de terre provenant de parcelles expérimentales ont été mises en marché avant d'avoir reçu l'approbation définitive nécessaire. Un responsable d'Agriculture Canada a présenté une lettre d'explication quelques jours plus tard. Je n'ai pas trouvé ça très très convaincant.

C'est là un exemple des dangers qui existent. Si les sens pensent qu'on manipule un peu le système, parce que les préoccupations sont très graves, cela risque vraiment de compliquer les choses. Que cela se soit produit ou pas dans ce cas-là, je ne le sais pas, mais c'est ce que je veux dire. Les gens pensent que certaines choses ont échappé au contrôle, parce que le système est trop éparpillé et que trop d'intervenants sont en cause. Voilà le problème.

M. Steckle: J'aimerais poser une dernière question. Comment faire véritablement la distinction entre ceux qui ont un intérêt acquis dans une nouvelle technologie et ceux qui réglementent le système? Il y a toujours eu des gens, et je ne crois pas que les choses changeront, des gens qui veulent appuyer un secteur scientifique en particulier ou une technologie donnée. Nous étudions le thème général de la biotechnologie, et c'est inévitable. Comment vraiment faire la distinction entre ces deux groupes d'intervenants? Serait-il possible de séparer ceux qui ont un intérêt particulier dans la biotechnologie et ceux qui sont responsables de sa réglementation?

M. Leiss: Je ne crois pas que ce soit vraiment difficile dans le cas qui nous occupe si vous acceptez le principe qu'il faut désormais créer une autorité législative distincte pour les entités transgéniques. Les ministères compétents au fédéral sont ceux de la Santé et de l'Environnement. Ils ne font pas de promotion, simplement de la réglementation. Les ministères des Forêts et de l'Agriculture et les autres ministères peuvent s'occuper de promotion s'ils le désirent, même si, à mon avis, cette activité incombe normalement à l'industrie. Je ne sais pas vraiment pourquoi le gouvernement s'occupe de promotion de toute façon. Quant aux ministères de la Santé et de l'Environnement, s'ils sont responsables de la réglementation, ils ne font pas de promotion, c'est aussi simple que ça.

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M. Steckle: Mais puisque les politiques participent à l'élaboration de règlements et que les groupes intéressés s'adressent à eux pour...

M. Leiss: Nous avons un système crédible aujourd'hui, à mon avis, pour réglementer les produits antiparasitaires. À Santé Canada, l'agence de réglementation pour la lutte antiparasitaire ne s'occupe pas de promotion, contrairement à ceux qui s'occupaient de la question quand elle relevait d'Agriculture Canada, lesquels étaient en fait des superpromoteurs. Je crois que nous avons aujourd'hui un système très crédible, qui permettra de régler le problème de façon efficace.

Le président: Cela devrait faire très plaisir à M. Lincoln qui a mené la campagne pour que ces changements soient apportés. Vous vous êtes fait un nouvel ami aujourd'hui!

Je donne maintenant la parole à Mme Kraft Sloan qui sera suivie de Mme Payne, puis du président.

Mme Kraft Sloan (York - Simcoe): Merci, monsieur le président.

M. Leiss, avez-vous des idées sur ce que pourrait faire Environnement Canada en vue d'améliorer sa réputation de responsable de la réglementation?

M. Leiss: Je suis convaincu que lorsque le ministère aura acquis une certaine expérience, sa réputation sera meilleure. Le ministère est encore un novice dans ce domaine.

Là encore, c'est une question de perception. J'oeuvre dans le secteur depuis longtemps. Il existait, tout particulièrement dans les années quatre-vingt, et il existe toujours une perception qu'Environnement Canada est devenu - un peu comme Agriculture Canada avant lui - trop proche de ses propres utilisateurs, comme les agriculteurs, etc. Environnement Canada a trop à coeur les intérêts des organismes environnementaux. En fait, ce ministère n'a pas suffisamment gardé ses distances avec ces groupes, dont il finançait un grand nombre.

Je parle ici de perception. Mais dans le domaine du risque, la perception, c'est la réalité, comme on dit. Il existe donc certainement, dans certains milieux, une perception que cet organisme fédéral appuyait les objectifs et partageait les idées des organismes environnementaux. Ainsi, Environnement Canada avait des liens très étroits avec les groupes d'intérêt alors qu'il aurait dû s'en éloigner. Je crois que c'est vrai dans un certain sens.

Les gens s'intéressent moins à ce secteur maintenant parce qu'il y a moins de financement à distribuer. Le problème s'est peut-être réglé de lui-même. Mais, encore une fois, je crois qu'un responsable de la réglementation crédible doit être indépendant de tous les groupes d'intérêts. En fait, je crois que le régime démocratique est beaucoup plus solide lorsqu'il y a un système pluraliste de groupes d'intérêts qui se bagarrent entre eux.

Je crois qu'on obtient de cette façon de bons résultats et c'est pourquoi j'appuie cette façon de procéder. Mais le ministère responsable de la réglementation devrait se tenir à l'écart de toute cette affaire et établir des règlements bien clairs, après avoir évalué les avantages et les risques. Il devrait y avoir un facteur risque acceptable, et ces règlements devraient être administrés de façon juste, équitable et efficace.

À mon avis, il y a beaucoup trop de choses faites en coulisses dans le secteur de la réglementation des produits chimiques toxiques, etc. Nous n'avons pas encore établi...

Comparons la situation à Santé Canada qui s'occupe de réglementation depuis plus longtemps. Depuis le début du XXe siècle, l'innocuité des aliments est l'une des principales préoccupations visées par la Loi sur les aliments et drogues. J'accepte en quelque sorte le genre de petit effort de promotion que fait Santé Canada sur l'innocuité des aliments au Canada. Ce ministère est responsable de la réglementation des denrées alimentaires. L'innocuité des aliments est une question complexe. Dans l'ensemble, le ministère de la Santé n'est pas parfait; il fait des erreurs comme tout le monde. Cependant, ce ministère est un organe de réglementation crédible, parce qu'il a une vaste expérience dans ce domaine.

S'il le désire, Environnement Canada pourra lui aussi être crédible. Mais il doit d'abord décider s'il désire l'être. Je n'en suis pas convaincu. Je voudrais bien croire que c'est ce que désire Environnement Canada; je souhaite que ce ministère prenne cette décision et il pourra ensuite devenir crédible.

Mme Kraft Sloan: Vous proposez de créer une autorité réglementaire distincte pour les produits transgéniques. Quelles pourraient être les incidences pratiques d'une telle décision? Faudrait-il nommer des évaluateurs spéciaux?

M. Leiss: Non, les évaluations de risques ne seront pas différentes. Je soutiens que le système actuel se fonde sur le principe que ces entités ne sont pas différentes de tout ce que l'on produit depuis 5 000 ans. J'ai dit que cette hypothèse n'est pas plausible et qu'il faut faire la distinction entre ces produits.

Cela veut simplement dire qu'il faut désigner ces produits comme des entités distinctes qui font donc l'objet de procédés distincts. Cela veut dire que cette catégorie d'entités à l'avenir, qui sera en fait la plus importante des produits fabriqués dans le secteur de la biotechnologie, qui présentera le plus de problèmes et qui nous inquiétera le plus... Cela veut dire qu'on prendra ces éléments et qu'on dira que puisque les autres produits visés par les étapes un, deux, trois représentent la biotechnologie traditionnelle, des produits qui peuvent être classés sous le régime actuel... S'il s'agit d'une semence, on peut la réglementer aux termes de la Loi sur les semences, s'il s'agit d'un engrais, aux termes de la Loi sur les engrais; si c'est une drogue, en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. Il faut maintenir l'ancien système, il n'y a absolument rien qui change.

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Mais en l'occurrence, il existe une structure en vertu de laquelle la santé et l'environnement sont les principales préoccupations et personne d'autre ne s'en occupe. Un point c'est tout. Cela veut dire que personne d'autre n'intervient, que deux ministères seulement sont responsables de la réglementation, et ne font que peaufiner le mécanisme d'évaluation qui existe déjà. Cela ne change donc aucunement le processus d'évaluation. Je crois que le système sera désormais plus efficace, et non le contraire.

Mme Kraft Sloan: Certains nous ont dit à plusieurs reprises que la biotechnologie est le seul secteur qui nous permettra de nourrir une population toujours croissante, et que les produits transgéniques qui seront créés auront un impact plus grand que la révolution verte. Compte tenu de cette explosion démographique dont nous sommes témoins, si nous n'appuyons pas le secteur transgénique, la famine sévira dans toutes les régions du monde. Je me demande ce que vous pensez de tels commentaires.

M. Leiss: N'oubliez pas que j'ai dit que ces ministères ne devaient pas assurer la promotion ou la défense d'intérêts particuliers. Ces commentaires sont très intéressants. Vous savez ce qu'il est advenu de la révolution verte. En fait, c'est un cercle vicieux. Si vous croyez que le secteur transgénique est une solution au problème de la famine dans le monde, vous rêvez en couleur. Lorsqu'il y aura plus d'aliments, il y aura plus de gens. Alors on tourne en rond. J'espère qu'il y aura d'autres solutions, par exemple au niveau de la structure sociale, mais la technologie ne peut pas à elle seule régler les problèmes sociaux.

Mme Kraft Sloan: D'autres témoins ont dit que si un arbre pousse cinq ou dix fois plus rapidement qu'un autre arbre, il consommera dix fois plus d'éléments nutritifs. Ainsi, il faut dépendre encore plus des éléments nutritifs artificiels, des produits chimiques et de choses de ce genre, ce qui aura toute une série d'incidences environnementales.

M. Leiss: Ce n'est pas vraiment mon domaine de compétence. Je me contenterai simplement de dire que l'un des gros problèmes que nous éprouvons au niveau du contrôle social de la technologie, c'est que les gens aiment vous proposer une solution bien emballée en insistant sur les grands avantages que cela offre, pour se rendre compte par la suite que cela a eu d'autres répercussions à d'autres niveaux de l'écosystème.

Pour avoir une évaluation fiable et réaliste, il faut étudier toutes les répercussions possibles, et si on le fait, il n'y a pas de problème. En principe, je ne crois pas qu'il y ait de problème, mais il faut s'assurer que l'évaluation porte sur toutes les conséquences possibles à tous les niveaux et qu'on n'a pas interrompu l'étude à un moment donné en se disant que cette proposition est très intéressante, pour constater plus tard qu'on en a retenu uniquement les aspects positifs.

Mme Kraft Sloan: Est-il possible d'entreprendre une telle évaluation au Canada?

M. Leiss: Certainement.

Mme Kraft Sloan: Certains témoins nous ont dit qu'il n'existait qu'une capacité limitée pour procéder à une évaluation de l'incidence sur les écosystèmes des nouveaux produits biotechnologiques.

M. Leiss: Les scientifiques vous diront toujours qu'ils ont besoin de plus de travaux scientifiques et de plus d'argent. Je crois que nous avons une très bonne capacité, y compris dans le domaine des sciences des écosystèmes. Je ne crois pas qu'il y ait lieu de s'inquiéter.

Le président: J'aimerais vous poser quelques questions pour mettre fin à ce premier tour.

Monsieur Leiss, vous nous avez dit que s'il nous est impossible de mettre sur pied un système ordonné bien organisé, comme vous le proposez dans votre document, il vaut mieux conserver celui que nous avons déjà. Que pensez-vous de la réponse du gouvernement au rapport sur la LCPE, comme solution de rechange au système qui existe déjà?

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M. Leiss: J'ai lu tous ces documents, ainsi que certains des commentaires présentés. Je n'ai pas tout compris; je ne sais pas vraiment ce qu'on proposait, par opposition au système actuel.

Je sais que certains laissent entendre que le système actuel est affaibli en raison de la disposition ou du libellé selon lequel la LCPE ne s'appliquerait pas aux catégories de produits qui sont déjà réglementés en vertu des lois canadiennes. À mon avis, la réponse du gouvernement à cet égard n'était pas très claire et je n'ai pas vraiment compris si c'est ce que l'on essayait de faire. Je n'appuie pas ce type de changements parce que cela reviendrait à tripoter le système actuel, tout simplement; ce qu'il faut faire, à mon avis, c'est une étude beaucoup plus détaillée de tout ce secteur.

Dans la réponse du gouvernement je n'ai pas vraiment saisi ce qui allait être changé. Vous pouvez peut-être me l'expliquer parce que, en fait, vous connaissez mieux le domaine que moi.

Le président: Nous avons longuement discuté du rôle du filet de sécurité - à savoir s'il est nécessaire ou pas. Qu'en pensez-vous?

M. Leiss: Dans les circonstances actuelles, compte tenu du système en vigueur, il faut un filet de sécurité, car sinon, il pourrait y avoir des problèmes. Personne, je pense, ne s'oppose à ce filet de sécurité.

Certains ont dit que ce filet de sécurité sera nécessaire moins souvent parce que d'autres mécanismes permettront de rattraper certaines choses qui auraient pu nous échapper. Encore une fois, je crois que c'est une caractéristique de la généralité intolérable du système actuel qui pourrait être source de confusion. À mon avis, il est très difficile de déterminer quelles pourraient être les vraies répercussions.

Le président: Au bas de la page 13 de votre document, vous nous expliquez comment cette loi fonctionnerait. Pouvez-vous nous en dire un peu plus long sur la loi que vous proposez?

M. Leiss: J'y dis simplement, en fonction de ma connaissance fort limitée de cet aspect de la biotechnologie, en ce qui a trait au processus en quatre étapes, qu'il est possible de définir un objet ou une classe d'objets qui seront visés par un système réglementaire. La définition est offerte entre guillemets à la fin de la page 13: «la création d'entités transgéniques grâce à la science et au génie». C'est une allusion bien claire; nous pouvons ainsi désigner précisément le procédé dont nous parlons. Ainsi -

Le président: Dans ce contexte, n'est-ce pas?

M. Leiss: Oui. Et je soutiens, parce que tout cela est fondé sur la crédibilité, que c'est justement là l'aspect de la biotechnologie qui suscite de vives préoccupations chez le public - ce, à juste titre, à mon avis.

De plus, c'est l'aspect de la biotechnologie moderne qui représente l'avenir, et c'est précisément là que les innovations les plus importantes seront créées. Nous poursuivrons ce qu'on appelait les activités de biotechnologie traditionnelles, et c'est très bien. Ce n'est pas un problème.

Mais cette nouvelle biotechnologie présente un problème. Elle devrait donc être distincte du reste. Il ne s'agit pas simplement de crédibilité. On pourra alors dire au public: nous vous avons écouté, nous savons que ceci vous préoccupe et nous allons mettre sur pied un système qui nous permettra d'évaluer de façon appropriée les risques connexes, un système transparent, simple et facile à comprendre et à appliquer; ainsi, il n'y aura aucune ambiguïté; on saura qui sera responsable de quoi. Dans le système actuel, à mon avis, il existe beaucoup d'ambiguïté.

Le président: Pouvez-vous nous donner quelques exemples en ce qui concerne votre vision des procédures. Vous dites: «... tous les produits de la biotechnologie naturelle continueront de relever des lois actuelles s'appliquant à des produits spécifiques.»

M. Leiss: Par exemple, l'élevage sélectif est encore une activité courante, et au point 3, concernant le transfert de gènes entre les espèces, nous avons d'autres types d'activités où nous essayons d'améliorer les variétés - les semences, diverses cultures etc., en manipulant les différentes caractéristiques génétiques, qu'il s'agisse du blé, de l'avoine ou d'un autre produit. Nous le faisons depuis longtemps et nous continuons à le faire. Le processus continue, et les produits qui en découlent font l'objet d'une réglementation pertinente.

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Prenons le cas des entités transgéniques. Vous avez entendu parler du poisson transgénique. Vous savez que l'on a pris un gène de la morue pour l'implanter dans une autre variété de poisson. En ce moment, je ne sais pas qui s'en occupe; le ministère des Pêches peut-être; je n'en ai pas la moindre idée. En tout cas, il s'agit d'une entité transgénique. À mon avis, cela relèverait du nouveau système de réglementation, tandis que si nos activités appartenaient aux catégories 1, 2 et 3, elles continueraient d'être réglementées par le système actuel.

Le président: Il y aurait donc une loi sur les entités transgéniques, si l'on peut dire, et cette nouvelle espèce de poisson relèverait de cette loi? Quel serait le ministère responsable?

M. Leiss: Il faudrait le créer.

À mon avis, comme dans le cas de la LCPE, ce serait une initiative conjointe des ministères de la Santé et de l'Environnement, car les risques existent dans ces deux domaines. Les entités transgéniques seraient donc régies par ces deux ministères. Ce n'est pas comme dans l'autre système où nous déterminons d'abord le type de produit - s'agit-il d'un poisson, d'une plante ou d'un médicament? - avant de choisir la démarche à suivre. Non. Il faudrait que les choses soient très claires: s'il s'agit d'une entité transgénique, il n'y a qu'une seule démarche à suivre.

Le président: Actuellement, recommanderiez-vous que cette responsabilité incombe au ministère de la Santé plutôt qu'au ministère de l'Environnement?

M. Leiss: Non, les deux ensemble, comme dans le cas de la LCPE.

Comme je l'ai dit dans la dernière partie de mon mémoire, le rejet environnemental des entités transgéniques - en plus des répercussions sur la santé humaine - est l'une des préoccupations fondamentales. Il faut régler ce problème, et si le ministère fédéral de l'Environnement ne le fait pas, à quoi sert-il?

Le président: Et le gouvernement ne s'occuperait plus de promotion?

M. Leiss: Certainement pas ces ministères. Personnellement, je préfère que les gouvernements se retirent de la promotion pour que l'industrie s'en occupe, mais si les autres ministères qui seront exclus des entités transgéniques veulent continuer dans ce domaine, très bien, qu'ils le fassent.

Le président: Deuxième tour de questions. Monsieur Clifford Lincoln.

M. Lincoln: Monsieur Leiss, j'aimerais que vous nous apportiez des éclaircissements sur la distinction entre la promotion et la réglementation.

Récemment, j'ai demandé à un représentant du ministère de l'Agriculture, et je pense qu'il s'agissait de M. Morrissey, ce qu'il pensait du communiqué de presse publié par Agriculture et Agroalimentaire Canada le 14 novembre 1995, car j'ai vraiment pensé que le ministère allait beaucoup trop loin en confiant la supervision du cadre réglementaire à l'industrie. Dans ce document, intitulé «Privatisation de la génétique laitière», il est dit:

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M. Morrissey m'a dit que ce n'était pas très grave parce que cela concernait des choses comme le poids des... Cela n'entraîne-t-il pas une progression logique, où l'on dit à un moment donné que l'industrie surveille très bien les poids, etc., et l'instant d'après, on se demande pourquoi elle ne pourrait pas, par exemple, s'occuper du transfert génétique proprement dit, car elle est très bien équipée maintenant? Nous avons quitté ce domaine et nous n'avons pas d'experts. Elle en a. N'est-ce pas là un autre cas de conflit d'intérêts?

Dr Leiss: En fait, je n'utilise pas ce terme. D'autres personnes utilisent le terme «conflit d'intérêts». Quant à moi, je parle de «chevauchement de mandats».

À mon avis, vous mentionnez là un cas de manque de confiance. Je pense que c'est bien fondé en raison du chevauchement de la promotion et de la réglementation. Nous ne savons vraiment pas quelle fonction l'industrie assume à un moment donné, n'est-ce pas? Cela fait partie du problème. Et cela entraîne des doutes.

Nous savons aussi qu'il y a en quelque sorte la maladie de la déréglementation qui nous vient des États-Unis et qui a infecté certains Canadiens - heureusement pas beaucoup, ce qui fait que nous en sommes assez bien protégés. Le problème réside dans les doutes suscités par la confusion qui existe entre la promotion et la réglementation. Par conséquent, nous ne savons jamais quelle fonction l'industrie assume, et nous ne savons pas si elle porte des jugements, car elle travaille entièrement à huis clos.

Je serai très franc à ce sujet. Ceux d'entre nous qui s'intéressent aux activités du gouvernement savent que les fonctionnaires ont mené une lutte acharnée dans des dossiers comme la responsabilité de la biotechnologie, dans le cadre de l'examen de la LCPE. Cela s'est essentiellement déroulé dans les coulisses, car les conseils aux ministres sont évidemment confidentiels.

Compte tenu du chevauchement des mandats - et c'est l'une des raisons pour lesquelles vous pourriez très bien recommander que tous les ministères se retirent de la promotion - le problème vient en partie du fait que nous savons que si vous ne le faites pas, même si nous avons un bon système de réglementation en coulisses, les autres ministères vont toujours intervenir pour essayer de servir les intérêts de leurs clients en agissant sur le système.

Si nous visons la crédibilité - et je crois qu'il est dans l'intérêt de l'industrie d'avoir un système de réglementation crédible - il faut être clair: il faut s'occuper soit de réglementation, soit de promotion, et non des deux. Sinon, nous ne saurons jamais à quel titre vous entreprenez telle ou telle activité. Cela pourrait très bien être tout à fait innocent. Ces doutes bien fondés existent parce qu'on ne sait jamais quels sont les intérêts que l'on défend.

Le président: Merci. Madame Kraft Sloan. Non, excusez-moi, monsieur Knutson d'abord.

M. Knutson (Elgin - Norfolk): Merci beaucoup, monsieur le président. Veuillez excuser mon retard.

Monsieur Leiss, l'élément majeur, pour ne pas dire crucial de votre thèse est la distinction entre les procédés ou les produits transgéniques et les produits plus traditionnels. Vous dites qu'ils sont fondamentalement différents.

J'aimerais que vous nous apportiez des éclaircissements sur cette différence fondamentale, car il existe un autre risque inhérent à la nouveauté de ce domaine ou à la suspicion générale du public. Est-ce pour ces raisons fondamentales que vous préconisez l'adoption d'une loi distincte? Ai-je bien compris?

Dr Leiss: Oui. Je crois qu'il existe une différence fondamentale. En fait, je crois qu'on le dit dans le document d'Agriculture Canada que j'ai cité.

Il y est dit que ces choses-là ne peuvent pas se faire. Que les méthodes de sélection traditionnelles ne le permettent pas... qu'il y a une différence fondamentale.

M. Knutson: Que dites-vous à la personne qui vous demande: et alors? Faut-il trouver un moyen de lier cette question à la gestion du risque ou à l'acceptabilité du public, qui semblent faire partie de ce genre de choses?

M. Leiss: Effectivement. Même si on le décrit correctement comme une chose qui peut se produire de façon naturelle, - autrement dit, d'après mes renseignements, cela arrive lorsque les hôtes de virus interagissent - ce n'est pas la norme. L'échange d'ADN entre espèces différentes n'est pas normal. Cet échange constitue plutôt l'exception. Par conséquent, à l'heure actuelle, nous nous aventurons sur un terrain exceptionnel et une plus grande prudence s'impose donc. Le niveau de prudence exigé est supérieur. Permettez-moi de vous donner un exemple.

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Ma plus vaste expérience récente porte sur un projet toujours en cours à Forêts Canada; il vise à trouver, du moins je l'espère, un organisme produit par manipulation génétique que l'on a mis au point. On utilise cet organisme dans la lutte contre la tondeuse de bourgeons d'épinette. On l'appelle le baculovirus, une version de Bt produit par manipulation génétique.

On fait de la manipulation génétique pour une raison précise. On ne veut pas augmenter la tolérance des ravageurs au Bt, mais on ne veut pas non plus se servir des vieux produits chimiques traditionnels. C'est une bonne chose, c'est quelque chose de positif, et ceux qui s'occupent de la gestion des ravageurs forestiers devraient en tenir compte. C'est une science très compliquée.

J'ai découvert que, pour augmenter la puissance de ce virus produit par manipulation génétique, on pourrait y intégrer un gène de scorpion.

M. Knutson: De scorpion?

M. Leiss: Un gène de scorpion, oui. J'ai discuté longuement de cette question avec le biologiste qui a mis au point ce gène à l'Institut pour la répression des ravageurs forestiers à Sault Ste. Marie.

N'ayant pas de formation scientifique, je représente le grand public. Si je veux aider à communiquer le message au grand public, je dois d'abord le comprendre.

Je sais que ces gens sont convaincus qu'ils arriveront à le faire en limitant les risques de conséquences néfastes. En d'autres mots, ils veulent aller de l'avant, parce que ce virus ne cible que la catégorie d'insectes qui les intéressent. Ce virus est non seulement spécifique aux insectes par rapport au mammifères, mais également à ce genre d'insectes. Par conséquent, si l'on fait cette manipulation génétique et qu'on l'introduit dans le milieu pour mieux contrôler la tordeuse de bourgeons d'épinette, on est convaincu que le risque que ce virus s'attaque aux organismes non ciblés est très bas. Mais le risque n'est pas nul. C'est surtout ça que nous devons expliquer.

Nous devons expliquer pourquoi nous faisons ceci. Il n'y a aucun doute, le contrôle des tordeuses de bourgeon d'épinette constitue un avantage important au Canada. J'accepte qu'il faut procéder ainsi car nos options disparaissent. Je suis convaincu que c'est le cas. Je sais que les scientifiques croient fermement que le risque que cet organisme s'attaque à des espèces d'insectes non ciblées est très bas, mais il n'est pas nul.

La crainte qu'on introduise un organisme qui a ensuite des effets imprévus très néfastes est bien légitime. Contrairement aux autres erreurs qu'on peut rectifier, on ne pourrait jamais rattraper cet organisme une fois qu'on le libère. Nous pouvons nettoyer les déversements. Nous pouvons renverser les tendances produites par bon nombre d'anciennes technologies - c'est-à-dire l'impact des produits chimiques - en cessant de faire quelque chose. Prenons même le cas du DDT et de son impact sur l'environnement. Au fil des ans, ce produit ne sera plus présent chez les oiseaux, et les rapaces, les faucons vont revenir, et ainsi de suite.

La crainte découlant de ce genre de manipulation génétique, vient de ce que, une fois que l'organisme est libéré, si quelque chose d'imprévu arrive, on ne peut plus faire marche arrière. C'est pourquoi il nous faut un meilleur système d'évaluation et de compétence. En fait, je crois que l'évaluation scientifique qui s'impose n'est pas différente de ce que nous faisons maintenant, sauf que la science progresse toujours. Cependant, je crois que le niveau de confiance du public doit s'améliorer pour qu'on puisse se protéger de la meilleure façon possible contre les conséquences imprévues.

Le président: Merci.

La parole est à Mme Kraft Sloan qui sera suivie du président, à moins que quelqu'un d'autre ne désire...

Mme Kraft Sloan: Monsieur Leiss, pourriez-vous nous dire qui défend l'intérêt public.

M. Leiss: Vous voulez dire à part moi? À mon avis, l'intérêt public est défendu par un processus qui permet à tous les intéressés de se faire entendre et d'être pris au sérieux. Nous décidons quels sont les changements qui, avec le temps, serviront le bien commun.

Ce genre de choses évolue. Pour ce qui est des pesticides, on a estimé pendant longtemps que l'ancien système, selon lequel Agriculture Canada administrait à lui seul la Loi sur les produits antiparasitaires, était le meilleur. À compter des années 70 et 80, on s'est dit que ce n'était pas dans l'intérêt public. Nous avons changé les choses une première fois, puis une nouvelle fois.

L'évolution est donc continue. Mais je crois qu'on le doit à un dialogue ouvert, franc et sérieux entre les intéressés et les experts, tout comme vous avez besoin de ce dialogue dans un système démocratique et parlementaire. Nous ne sommes pas parfaits, mais nous nous débrouillons assez bien.

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Mme Kraft Sloan: Vous ne diriez donc pas que les organismes ou groupements environnementaux servent nécessairement l'intérêt public dans le domaine de l'environnement.

M. Leiss: Non, mais ce sont des parties prenantes. Elles ont leur point de vue et je suis d'accord avec certaines d'entre elles, mais pas toutes. Nous avons tendance à les qualifier de groupes d'intérêt public uniquement parce qu'ils n'ont pas d'intérêts financiers en jeu, mais ils prennent des positions, dont un bon nombre portent sur des questions stratégiques.

Greenpeace, qui est selon moi une organisation très efficace, prend constamment des positions stratégiques. Le public la juge crédible, peut-être même un peu trop parfois, car les gens s'imaginent à tort qu'elle n'a pas d'intérêts en jeu. L'intérêt public est le résultat de l'interaction avec tous les intervenants et il ne devrait pas être associé à un groupe plutôt qu'à un autre.

Mme Kraft Sloan: Comment garantissez-vous que le processus soit démocratique, équitable et transparent?

M. Leiss: Nous faisons des efforts continus. Dans le cas des pesticides, pendant longtemps... Il a été difficile de définir comment favoriser une plus grande participation. Les gens y ont beaucoup travaillé. Cela soulève des questions très techniques - toute cette toxicologie est confidentielle et nous ne pouvons pas en parler, mais nous réglons le problème en signant des accords de confidentialité. C'est très difficile.

Nous avons également un régime politique parlementaire dans lequel la responsabilité est confiée au ministre et la reddition de compte est assurée par l'électorat, si bien qu'il faut faire toutes sortes de concessions de part et d'autre. Je ne pense pas que nous ayons réglé le problème dans les domaines à risque, car il faut établir un juste équilibre entre la nécessité de prendre des décisions et le fait que quelqu'un doit assumer la responsabilité de ces décisions étant donné que nous tirons énormément profit de toute cette technologie.

Si vous prenez des médicaments issus de la biotechnologie et la possibilité de résoudre le problème des maladies transmises sexuellement grâce à des substances modifiées génétiquement, lesquelles remplaceront les produits sanguins traditionnels pour ceux qui ont besoin d'un approvisionnement régulier de ces produits, cela représente un avantage formidable. Nous sommes témoins de la tragédie sur laquelle enquête la Commission Krever. Il est très important que des solutions technologiques puissent réduire le risque que cela se reproduise. Nous avons grand besoin de produits de ce genre et il nous faut donc un système qui permettra de trouver des solutions et de les produire, même si ce n'est pas parfait, en établissant un juste équilibre. C'est toujours une question d'équilibre et la perfection n'est pas de ce monde.

Mme Kraft Sloan: Vous avez dit qu'avec le temps, la notion d'intérêt public avant changé. Personnellement, je me demande si l'intérêt public est toujours servi.

M. Leiss: Par...?

Mme Kraft Sloan: Par certaines de ces positions qui évoluent. Vous avez dit tout à l'heure que la déréglementation de ce côté-ci de la frontière était un fléau assez limité. Je ne le vois pas aussi limité, et je n'en suis pas si certaine. Je ne dis pas qu'il faut réglementer pour le simple plaisir de la chose et je conviens avec vous qu'il faudrait envisager une réglementation plus crédible et plus efficace.

M. Leiss: Au Canada, nous n'avons pas besoin de la déréglementation, il nous faut une réglementation plus efficace.

Mme Kraft Sloan: Je suis d'accord avec vous. Par conséquent, lorsque la tendance est à la déréglementation, à la veille d'entamer un nouveau siècle où il y aura de plus en plus d'entités transgéniques en biotechnologie et où il faudra prendre davantage de précautions, comme vous l'avez dit, à cause des anomalies, je pense que l'intérêt public peut être remis en question...

M. Leiss: Dans le cas des produits sanguins, nous pouvons sans doute bénéficier énormément...nous avons besoin de ce genre de choses. Si les adversaires estiment qu'il faut ralentir le système à tel point que rien ne sera jamais approuvé, je ne suis pas d'accord. Je ne pense pas que le problème se pose. Je ne pense pas que nous ayons besoin d'un système moins réglementé, mais plutôt d'un système plus efficient et plus crédible et nous pouvons y parvenir.

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Mme Kraft Sloan: Pourquoi estimez-vous que ce système serait meilleur pour l'industrie?

M. Leiss: Parce qu'en fin de compte, je pense qu'elle bénéficiera d'un système qui jouira d'une meilleure crédibilité aux yeux du public. Même si certaines conséquences inattendues surviennent, car c'est le genre de chose qui arrive, nous pourrons toujours dire que nous avons tout examiné et que nous avons fait de notre mieux en fonction de nos connaissances actuelles. Le public estimera sans doute alors que s'il y a eu un problème, ce n'est pas parce que la confusion régnait quant à notre rôle, que nous avons pris nos responsabilités très au sérieux et que c'est une simple erreur. Cela risque d'arriver, mais sans remettre en question tout le système.

Mme Kraft Sloan: Si c'est meilleur pour l'industrie, pourquoi cette dernière exerce-t-elle des pressions aussi intenses pour éviter le genre de choses dont vous parlez?

M. Leiss: Elle ignore où est son intérêt, j'en ai peur.

Mme Kraft Sloan: Dans ce cas, pourquoi ne pas faire valoir où se situe l'intérêt public si la discussion doit avoir lieu entre les parties prenantes?

M. Leiss: Continuons seulement à leur taper sur la tête.

Le président: Voilà pourquoi nous avons des politiques qui sont des représentants élus.

Pour conclure, monsieur Leiss, se pourrait-il qu'un produit soit en partie traditionnel et en partie nouveau? Dans ce cas, le promoteur de ce produit devrait-il refaire deux fois les démarches en vertu des deux régimes?

M. Leiss: Cela entrerait dans l'un ou dans l'autre. Dans l'exemple que j'ai donné à la page 13, j'ai dit que toute législation est dans une certaine mesure arbitraire. Elle définit des catégories. S'il est clair que vous faites partie ou non d'une catégorie, c'est cela qui compte. Il y aura aussi des zones grises. Les dispositions doivent être suffisamment claires pour vous dire que si vous faites ceci, vous entrez ou non dans une catégorie, c'est dans l'une d'entre elles, mais pas les deux. C'est nécessaire pour une question d'efficacité.

Je vous ai donné l'exemple controversé de la somatotrophine bovine. Si j'ai bien compris, il ne s'agit pas d'une entité transgénique. C'est une substance controversée, mais pour d'autres raisons. Elle n'entre pas dans la nouvelle catégorie, mais peu importe du moment que vous savez dans quelle catégorie elle entre.

Le président: Merci.

Avez-vous d'autres questions? Au cas contraire, je vous remercie au nom du comité. Cette matinée a été très fructueuse. Peut-être organiserons-nous une autre réunion avec un groupe plus important de témoins, dans le cadre d'une table ronde ou autrement, en septembre, pour explorer davantage cette nouvelle approche que certains d'entre nous du moins trouvent extrêmement intéressante.

M. Leiss: Merci.

Le président: La séance est levée.

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