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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 8 octobre 1996

.1532

[Traduction]

Le président: Reprenons notre table ronde, thème numéro trois. Nous plongeons cette fois dans l'éthique de la biotechnologie, aspect qui a été soulevé devant le comité mais auquel on n'a pas donné l'importance que certains d'entre nous auraient voulu. Nous aimerions donc nous rattraper aujourd'hui en quelque sorte et entendre des opinions à ce sujet.

Comme vous le savez, l'aspect éthique est important dans cet examen du rôle de la biotechnologie. Bien sûr, le corollaire est de savoir si l'on peut tenir compte de considérations éthiques dans un système réglementaire. J'espère que c'est le cas, même si ce n'est pas chose facile. J'aimerais entendre des opinions à ce sujet aussi.

Il y a une autre question qui a été abordée, si mon souvenir est exact, et c'est la question de savoir s'il est approprié et acceptable, sur le plan éthique et moral, de transférer des gènes entre des organismes différents qui n'échangeraient pas normalement de matériel génétique. C'est une question assez fascinante.

Pour ce qui est de la hiérarchie des préoccupations, la question est de savoir s'il est acceptable de modifier la composition génétique des micro-organismes dans les plantes, par exemple, mais moins acceptable de modifier la composition génétique d'animaux supérieurs, et l'on songe ici particulièrement au transfert des gènes humains.

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Puis se pose la question difficile des avantages et des désavantages des brevets sur les formes de vie. L'éthique de la propriété des formes de vie est une question importante. Il y a aussi la question de la biotechnologie et du développement durable, qu'on aura peut-être le temps de débattre cet après-midi.

Autant que possible, nous aimerions discuter de toutes ces questions. Sans plus attendre, j'aimerais qu'on fasse un tour de table et que chacun se présente, après quoi nous aurons un bon échange. Nous allons commencer par le greffier, s'il vous plaît.

Le greffier du comité: Je m'appelle Norm Radford. Je suis le greffier du comité.

M. Ted Schrecker (directeur adjoint, Éthique environnementale, Westminster Institute for Ethics and Human Values): Je m'appelle Ted Schrecker; je travaille au Westminster Institute for Ethics and Human Values de London, en Ontario.

M. Steckle (Huron - Bruce): Paul Steckle, député de la circonscription de Huron - Bruce.

M. Knutson (Elgin - Norfolk): Je m'appelle Gar Knutson. Je représente ici la circonscription d'Elgin - Norfolk. C'est sur le lac Érié. Je siège au Comité de l'environnement.

Mme Joy Morrow (Comité d'éthique et des droits de propriété intellectuelle de l'Association canadienne de l'industrie et de la biotechnologie): Je suis avocate spécialiste de la propriété intellectuelle et je représente l'Association canadienne de l'industrie et de la biotechnologie.

Mme Jennings (Mission - Coquitlam): Je m'appelle Daphne Jennings. Je suis députée de Mission - Coquitlam, Colombie-Britannique, et je siège aussi au Comité de l'environnement.

[Français]

M. Asselin (Charlevoix): Je m'appelle Gérard Asselin. Je suis député de Charlevoix et membre du Comité permanent de l'environnement et du développement durable.

[Traduction]

M. Brewster Kneen (auteur): Brewster Kneen, de Mission, Colombie-Britannique. Je suis l'auteur et l'éditeur d'un bulletin d'information mensuel sur l'agroalimentaire.

Mme Joyce Groote (directrice administrative, Food Biotechnology Communications Network): Joyce Groote, directrice administrative du Food Biotechnology Centre. Je représente plusieurs secteurs - l'université, les gouvernements, l'industrie, les groupes d'intérêt et les professionnels de la santé. J'aimerais vous communiquer les expériences que j'ai vécues dans les tribunes qui traitaient de l'éthique.

M. Taylor (The Battlefords - Meadow Lake): Len Taylor, député néo-démocrate de la Saskatchewan, membre associé de ce comité et du Comité de l'agriculture.

M. Jim Fischer (producteur laitier et physiologiste): Je m'appelle Jim Fischer. Je suis vice-président d'AGCARE, Agricultural Groups Concerned about Resources and the Environment. Je vis à environ deux heures au nord-ouest de Toronto. Ma femme et moi possédons une exploitation laitière de 250 acres et de 70 vaches.

Mme Payne (St. John's-Ouest): Jean Payne, députée de St. John's, Terre-Neuve. Je suis vice-présidente du comité, et si je ne pose pas de questions, c'est parce que je suis ici pour écouter.

Mme Margaret Somerville (professeur de droit, titulaire de la chaire Gale, Centre de médecine, d'éthique et de droit de l'Université McGill): Margaret Somerville, associée à la Faculté de droit et à la Faculté de médecine de l'Université McGill et au Centre de médecine, d'éthique et de droit.

M. David Waltner-Toews (Département de la médecine de la population, Ontario Veterinary College, Université de Guelph): Je m'appelle David Waltner-Toews, professeur d'épidémiologie vétérinaire à l'Université de Guelph.

M. Paul Brassard (coordonnateur du Ministère rural catholique): Je m'appelle Paul Brassard. Je suis du Ministère rural catholique, qui est basé à Regina, Saskatchewan.

M. Tom Curran (recherchiste du comité): Je m'appelle Tom Curran. Je suis du Service de recherche de la Bibliothèque du Parlement, et je suis le recherchiste attitré du comité.

Le président: Je m'appelle Charles Caccia. Je suis le député de Davenport, Toronto.

Comme nous l'avons fait ce matin, tâchons d'être brefs et percutants dans nos interventions. Voyons si nous pouvons commencer par l'aspect éthique et partir de là. Y a-t-il quelqu'un qui voudrait ouvrir la marche? Vous faut-il plus de préparation? Qui veut nous faire part de quelques considérations éthiques?

Monsieur Kneen.

M. Kneen: Plus je songe à la question, plus la réponse m'apparaît facile. Toute considération relative à la biotechnologie doit être liée à l'éthique dans son fondement même parce que l'éthique fait toujours intervenir la qualité des relations interpersonnelles. C'est un vaste sujet. Il peut s'agir des rapports entre êtres humains, ou entre êtres humains et le monde. Il s'agit de la qualité de ces rapports - et chose certaine, la biotechnologie influence ces rapports - ou il s'agit de la modification de ces rapports. C'est pourquoi l'éthique est au coeur même du débat.

Le président: Pourquoi vous arrêter là, pourquoi nous laisser sur notre faim? Auriez-vous l'obligeance de compléter votre pensée?

M. Kneen: La question est telle que l'éthique fait intervenir des éléments socio-économiques et culturels, et je pense que c'est vrai. Lorsqu'on commence à s'interroger, particulièrement lorsqu'il s'agit de réglementation ou même du sujet lui-même, nous devons soulever des questions au sujet des diverses interventions et de la qualité de ces interventions.

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Pour passer à un autre niveau, je dirais que la nature de la biotechnologie telle qu'elle est pratiquée, et j'emploie ce terme dans un sens large, j'entends par là le génie génétique, lorsque la pratique est plus pointue, et je pense que la biotechnologie est également une expression de notre tradition particulière en matière de pratique scientifique... Je ne veux pas dire que c'est tout à fait distinct, mais il me semble que les deux caractéristiques de la biotechnologie, ou du génie génétique en particulier, qui soulèvent un grand nombre de questions sont ces... Il s'agit d'une pratique axée sur un but. La pratique est telle en biotechnologie que le chercheur se propose un objectif et s'emploie ensuite à réaliser cet objectif. Ce qui suscite toute une approche d'intervention, que je considère de plus en plus comme étant intrinsèquement violente, et par conséquent, cela soulève des questions d'éthique profondes auxquelles nous n'avons pas l'habitude d'accorder tant d'importance.

Il y a quelques jours, je me trouvais à l'Exposition laitière mondiale au Wisconsin, et j'ai assisté à une démonstration technologique qui avait trait à la détermination du sexe de l'embryon et à sa segmentation. Cette entreprise avait mis au point ce système qui devait être utilisé sur la ferme et qui fonctionnait de telle manière qu'on pouvait extraire les embryons, en déterminer le sexe et les segmenter sur-le-champ, après quoi on pouvait les congeler. Lorsque j'ai vu le vidéo où l'on segmentait l'embryon, j'ai été étonné. On avait magnifié ce qui passe en réalité. Il aurait pu s'agir d'un embryon humain. On aurait fait la même chose. C'est comme si on disait qu'il n'y a plus de frontière. Qu'adviendrait-il si l'on appliquait la nouvelle éthique aux humains - s'il n'y a pas de frontière à ce niveau, comment pouvons-nous faire des distinctions entre les animaux et comment allons-nous traiter les animaux?

Donc, je suis contraint de prendre du recul et de repenser à un tas de choses que nous tenons pour acquises. S'agit-il de pratiques acceptables sur le plan éthique? Si nous avons certaines normes à ce niveau et qu'il n'y a pas de frontière arbitraire, il nous faut alors repenser notre éthique de fond en comble. Je pense que cela contredit toute notre tradition culturelle de domination de la nature, et nous commençons à nous poser de sérieuses questions quant à savoir si nous en savons suffisamment pour exercer ce genre de contrôle technologique. Sommes-nous moralement capables de faire cela, ou avons-nous l'orgueil de penser que nous en savons plus que nous croyons? Je pense que la question se pose plus tôt que nous pensions, nous sommes obligés de nous demander dans quelle mesure nous sommes sages et de nous interroger sur les conséquences des choses que nous faisons, qui pourraient même dépasser notre imagination aujourd'hui. Donc lorsque nous parlons éthique, c'est tout cela qui intervient.

Le président: Merci, monsieur Kneen.

C'est maintenant le tour de Ted Schrecker, Margaret Somerville et David Waltner-Toews.

M. Schrecker: Merci beaucoup. Je pense que vous nous avez donné de quoi discuter pendant trois jours environ.

Je voudrais revenir à un point. Il me semble que nous réexaminons la question de ce matin, qui est de savoir si le génie génétique est spécial et si les produits et les possibilités qui en découlent ont une certaine singularité. De toute évidence, c'est l'une des questions dont nous devrons débattre constamment. Elle ne sera pas réglée autour de cette table aujourd'hui, mais ce débat revêt une importance capitale.

Le président: Il a justement lieu cet après-midi.

M. Schrecker: C'est tout ce que nous avons pour le moment.

Le président: Margaret Somerville, s'il vous plaît.

Mme Somerville: Je reviens aux propos de M. Kneen, qui a déclaré que l'éthique est une question de relations. C'est un aspect de l'éthique propre à une école de pensée. Quand j'ai lu le document qui nous a été envoyé avant cette réunion, j'ai pensé qu'il était nécessaire, compte tenu de mes antécédents, de structurer la discussion sur l'éthique. L'éthique ne consiste pas seulement à se sentir bien ni même à faire ce que votre conscience juge bon. C'est une discipline, et vous pouvez chercher à déterminer les différentes perspectives éthiques. Les réponses ne sont pas toujours claires, et la démarche peut être relativement structurée, et j'estime que l'on a besoin d'une démarche structurée pour examiner les questions que vous posez ici.

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Par exemple, j'ajouterai à votre éthique des relations beaucoup d'autres conceptions de l'éthique, qui sont comme des lunettes à travers lesquelles vous pouvez voir le problème posé. Si toutes ces conceptions vous donnent la même réponse, vous n'avez pas de dilemme. Vous connaissez le problème. Souvent, dans une société pluraliste, des écoles différentes peuvent accorder la priorité à des valeurs différentes. Nous appartenons souvent à des écoles différentes.

Ma deuxième observation préliminaire se rapporte aux propos de M. Schrecker, qui soulignait l'importance de savoir s'il existe une différence fondamentale entre ce que nous faisons de la biotechnologie et ce que nous avons fait par le passé.

La langue n'est pas neutre. Elle façonne notre impression des choses. Les intuitions morales sont très importantes en éthique. Par exemple, je viens de lire dans les documents l'observation de Mme Press-Merkur selon laquelle, dans la recombinaison de l'ADN, la barrière des espèces est franchie. Cela m'a fait penser à l'idée de franchir le mur du son ou de voyager dans l'espace. C'est une image extrêmement puissante qui nous indique que nous faisons quelque chose de très différent.

Pour sa part, M. Meyers a dit que nous combinons des milliers de gènes provenant de deux plantes ou de deux animaux quand ces derniers se reproduisent. Quant à nous, nous ne combinons qu'un ou deux gènes spécifiques, et ce n'est pas nécessairement une mesure radicale, car, en ce qui concerne l'ADN, il y a plus de similitudes que de différences entre les espèces. Des organismes très différents ont beaucoup d'ADN en commun.

Contrairement à ce qu'il disait, à savoir qu'il s'agit d'une toute petite mesure à prendre, en combinant quelques gènes différents, je pense que le fait que nous ayons autant d'ADN en commun et que nous soyons si différents - une plante, un animal ou une espèce différente d'animal - illustre l'extrême importance de ces petits changements et, par conséquent, l'extrême importance de prendre très au sérieux ce que nous faisons lorsque nous changeons des choses par choix et non pas par hasard. J'estime que le changement par choix relève d'un ordre moral différent que le changement par hasard. C'est la différence fondamentale entre ce que nous faisons maintenant et ce que nous faisions par le passé.

Le président: Merci. Nous vous serions très reconnaissants de nous indiquer les valeurs dont il faudrait tenir compte quand on parle de la biotechnologie et de l'intérêt public. Nous avons besoin de connaître les valeurs qui doivent guider notre société.

David Waltner-Toews.

M. Waltner-Toews: Je voudrais intervenir sur un certain nombre de points. Comme le disait Margaret, on est en train de franchir le mur du son ou la barrière des espèces. Je pense que c'est important. J'y reviendrai dans un instant.

La différence entre les processus de reproduction que nous avons utilisés au cours des dernières décennies et la combinaison biotechnologique des gènes ressemble au passage des automobiles et des camions aux avions. On peut estimer qu'il ne faut pas grand-chose pour passer du transport terrestre au transport aérien, mais en réalité, cela crée tout un tas de problèmes nouveaux.

À mon avis, les avantages et les coûts se situent sur des échelles de temps différentes. Les gens qui assumeraient les coûts des mesures que nous prenons aujourd'hui ne sont pas les mêmes que ceux qui en obtiendraient les avantages. Il me semble que cela crée des problèmes éthiques, car les personnes et les animaux qui en assumeraient les coûts ne sont pas à cette table, ils ne le pourraient probablement pas avant une génération.

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Si l'on accélère le rythme du changement dans un système agricole de telle sorte que l'évolution des institutions sociales et culturelles et de la structure écologique ne puissent pas suivre, on risque de provoquer une grande catastrophe. En ce qui concerne l'agriculture, nos pratiques agro-pastorales ont évolué en parallèle, et nous sommes passés de la reproduction naturelle à l'insémination artificielle. Parallèlement, on a assisté à une évolution graduelle des institutions. Il me semble que nous sommes en train d'accélérer considérablement les choses maintenant, et les conséquences se feront sentir ultérieurement.

Par exemple, quand je pense à un domaine parallèle, celui des intoxications alimentaires, dans lequel je travaille, si nous prenons des choses comme la maladie de la vache folle, la maladie du hamburger, la salmonelle dans les salades, les cryosporidies dans notre eau potable, nous y sommes confrontés maintenant parce que les politiques économiques d'il y a 10 ou 15 ans ont influé de certaines façons sur la structure de nos institutions agricoles et suscité l'émergence de bactéries et de parasites qui n'existaient pas auparavant.

Les changements biotechnologiques relatifs à la préservation et à la distribution des aliments modifient les conditions de vie des bactéries et des microbes d'une façon que nous ne pouvons prédire qu'en partie.

Ainsi donc, nous accélérons les choses, et il me semble que dans un système naturel, l'objectif, si l'on peut parler d'objectif... Du point de vue fonctionnel, en raison de l'existence des espèces et de l'absence de chevauchement entre les espèces, les gènes ont tendance à se regrouper de façon à freiner l'évolution. Tout n'est pas possible. Il est impossible de réaliser toutes les combinaisons possibles de gènes.

Le système comporte des freins. Il y a donc beaucoup d'innovations en ce qui concerne les mutations génétiques, mais il y a aussi des mesures de précaution. Il me semble que si l'on peut envisager les systèmes socio-économiques humains de la même façon, le rôle des entrepreneurs est d'innover, de créer de nouvelles choses. C'est merveilleux, mais j'estime que le rôle d'un bon gouvernement est de créer un ensemble de mesures préventives pour contrôler ce genre de choses afin que nos institutions culturelles et sociales évoluent d'une façon satisfaisante pour nous. À mon avis, c'est à ce niveau que se posent les plus grandes questions d'ordre éthique.

Le président: Merci. Gar Knutson.

M. Knutson: Merci beaucoup. Je profite de cette occasion pour faire part au groupe des témoignages que nous avons entendus. Nous étudions cette question depuis quelques mois, et je vais essayer de vous en présenter un aperçu en une minute.

D'un côté, nous avons les industriels, qui disent au gouvernement que le Canada ne peut pas se permettre d'accuser du retard dans ce domaine; il doit demeurer compétitif par rapport au reste du monde, sinon nous manquerons l'occasion d'accroître considérablement notre niveau de vie et notre prospérité, et de réaliser des progrès énormes en médecine et en génie génétique.

De l'autre, nous avons les entreprises, qui mettent l'accent sur le nombre d'emplois créés et la prospérité que ces derniers apportent, et qui ne sauraient s'accommoder d'un cadre de réglementation trop contraignant. Personne ne nie que la sécurité doit primer et, bien entendu, on ne saurait négliger les problèmes de santé et d'environnement, mais pour l'amour du ciel, ne nous ensevelissez pas sous les règlements!

Il semble y avoir consensus contre l'adoption d'une loi spéciale sur la génétique, et on s'accommode assez bien du cadre réglementaire actuellement en place. Mais que l'on ait à passer par Agriculture Canada ou par Santé Canada, ce que l'on refuse, c'est un groupe de spécialistes qui, dans un ministère donné, s'occuperaient de génie génétique.

Puis nous avons les scientifiques, dont la majorité semblent dire - tout au moins d'après les témoignages que j'ai entendus - qu'il ne s'agit pas d'un bond en avant. Nous entendons constamment citer, dans ces interventions, le professeur Somerville. C'est ainsi que la semaine dernière encore un scientifique du ministère des Pêches et des Océans affirmait qu'en matière de dangers pour l'environnement on se concentrait trop sur la biotechnologie ou le génie génétique, et pas assez, par exemple, sur le changement climatologique.

Dans mon rôle de parlementaire et de législateur potentiel j'essaie d'y voir clair. Ce que je voudrais soumettre à votre réflexion, c'est qu'on peut discuter d'éthique, mais qu'à un certain moment nos conclusions doivent se refléter dans le genre de loi que nous voulons mettre en place. Dites-moi ce que vous en pensez.

Le président: Mme Somerville et M. Brassard.

Mme Somerville: Je répondrai à ceci que la première question que nous devons nous poser - question fort désuète et quasi blasphématoire pour l'orthodoxie politique - c'est de savoir si le transfert génétique est mauvais en soi. Si nous disons qu'il ne l'est pas en tant que technologie, nous devons nous demander s'il en existe des exemples où le mal est inhérent.

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L'un des cas qui suscite de grandes appréhensions pour beaucoup de gens - à tel point qu'il y a eu des lois pour l'interdire et qu'il y a, au Canada, un projet de loi à cet effet - ce sont ces hybridations entre l'homme et l'animal, par exemple. Il devrait toutefois y avoir des exceptions à cela, car si nous allons utiliser des organes d'animaux pour les greffer à des êtres humains, il y a des travaux en cours où l'on introduit des éléments humains dans les porcs, par exemple, pour arriver à un organe, comme le coeur, qui soit moins aisément rejeté par les personnes sur lesquelles on pratique une greffe du coeur.

Ce que nous devons alors faire, j'imagine, c'est adopter des critères pour décider - si tout n'est pas mauvais et si tout n'est pas bon - ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Ce sera là ma position personnelle. Je pense en effet qu'il y a des actes qui sont mauvais en soi, et que le désaccord portera sur la ligne à tracer entre ce que nous jugerons acceptable et ce que nous repousserons.

Ce qui est important, c'est qu'en tant que société - nous ne devons pas juger simplement en tant qu'individu, ou de scientifique, du point de vue de nos intérêts industriels ou économiques, mais pour la société dans son ensemble - nous devons donc bien nous rendre compte que le jugement que nous porterons là-dessus, en particulier au sein du Parlement, notre cathédrale séculière la plus importante, donne le ton à ce que l'on peut appeler le paradigme de la société... C'est un jugement de valeur que nous adoptons tous, et qui nous dit ce que nous pensons de nous-mêmes, de l'identité de la personne, d'autrui et de ce que cela signifie de faire partie de la société canadienne.

Ce sont là des questions d'une importance considérable quand on se rend compte de leurs répercussions: il ne s'agit pas simplement de décider que nous pouvons fabriquer de meilleurs médicaments - ce qui est très important - ou des aliments qui auront moins tendance à s'avarier, ou si nous pouvons, ce faisant, réaliser des bénéfices ou obtenir un avantage économique pour le Canada. Ce sont là, certes, des considérations importantes, mais c'est pourquoi elles soulèvent des questions morales aussi profondes: elles touchent au tréfonds de la nature humaine et de la façon dont nous établissons des liens avec les autres, comment nous transmettons nos gènes et si, par exemple, nous donnons une valeur sacrée - au sens laïc - à notre fonds commun de gènes humains, fonds qui jusqu'à présent nous a été inaccessible. Nous sommes la première génération en mesure de le faire et je suis persuadée que nous ne devrions pas nous y lancer à corps perdu. Je ne dis pas pour autant que nous devons nous en abstenir, mais cela mérite certainement mûre réflexion.

Le président: Je vous remercie. Monsieur Brassard, vous avez la parole.

M. Brassard: Je voulais vous signaler que j'ai fait faire plusieurs exemplaires de certaines de mes réflexions en matière d'éthique et que je les ai remis au greffier.

On parle ici du point de vue d'une province qui s'est lancée à fond dans la biotechnologie: dans ce domaine, me dit-on, l'Université de la Saskatchewan, à Saskatoon, se place en quatrième ou en cinquième position, parmi les universités qui se spécialisent dans ce domaine, et il n'y a pas que l'université, c'est tout le secteur industriel qui s'est mis sur cette piste. La difficulté, c'est que nous sommes dans l'ignorance la plus complète sur ce qui se passe vraiment, on n'en parle pas et en plus de tout cela, nous avons le porte-parole du secteur de biotechnologie agronomique qui est devenu sous-ministre de l'agriculture. C'est devenu un vrai problème, parce qu'à notre avis, il n'y a pas d'équilibre.

J'examinais certaines des questions et cela me fait penser à l'anecdote où on demande à un joueur de football s'il est gaucher ou droitier. La question essentielle, c'est de savoir quelle direction on prend, qui tient les rênes, et qui est responsable envers qui. Comment la société traitera-t-elle des groupes d'entreprise très puissants qui auront le pouvoir de faire breveter et de vendre les gènes d'aliments, de médicaments et d'énergie? Comment la société bénéficiera-t-elle vraiment d'une révolution dans les sciences de la vie, révolution qui est prise en main entièrement par des conseils d'administration?

À l'heure actuelle, les entreprises, le gouvernement et certaines au moins des universités sont tous du même bord: nous n'avons plus le contrepoids qu'autrefois assuraient les universités. Je suis heureux d'apprendre que certaines universités assument encore ce rôle, mais à notre avis, c'est à l'université de s'en charger, parce que nous avons besoin de gens qui connaissent ces questions et peuvent en débattre.

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Je ne suis ni scientifique ni ingénieur; je suis un citoyen ordinaire qui devra subir les conséquences de cette évolution.

C'est ainsi que la tendance à prendre des brevets pour des plantes dans certains cas est moralement inacceptable et fondamentalement injuste. Ce qui se passe, c'est qu'une seule société peut imposer ses conditions d'accès à des processus de manipulation de plantes ainsi qu'aux plantes mêmes; voilà de quoi faire peur. Cela vous donne une idée générale de la situation dans laquelle nous nous mettons et vous montre combien il est essentiel de pouvoir maîtriser cette évolution.

Le président: Nous allons maintenant donner la parole à M. Lincoln, puis à Mme Groote.

M. Lincoln (Lachine - Lac-Saint-Louis): Monsieur le président, ce que disait M. Brassard éveille en moi une résonance parce que j'ai avancé le même argument ce matin, me trouvant dans la même situation que lui. On nous demande de formuler des lois et des règlements dans des domaines si complexes et en mutation si rapide que nous nous sentons vraiment perdus. Nous avons besoin d'intermédiaires pour nous apporter des opinions et pour nous donner une idée de ce qui se passe.

Où sont les jours d'antan, où la vie paraissait facile et sûre, et où notre rôle était de décider si on construirait une meilleure route ou si on installerait des feux à un carrefour, comme vous le disiez si bien ce matin. L'évolution est devenue si rapide et si complexe qu'en matière d'éthique on tâtonne dans l'obscurité. Il est très difficile de se faire une opinion nette sur ces questions avant d'aborder la législation et les règlements.

Nous parlons d'éthique et de considérations morales; or ces dernières sont subjectives et de plus en plus discutables. Je voudrais que les personnalités invitées, qui sont spécialisées tant dans l'évolution des sciences que dans l'éthique, nous disent comment elles envisagent le rôle du législateur, de celui qui décide, pourrait-on dire, des règlements et des lois. Est-ce que nous devrions avoir une société sur laquelle s'exerce un contrôle strict? Ou bien une société plus ouverte, où les freins et contre-poids se mettent en place d'eux-mêmes? Devrions-nous assurer, en quelque sorte, la protection des profanes, qui sont complètement perdus dans ce monde et qui ne savent à qui s'adresser pour se protéger?

J'aimerais que certains des scientifiques ici présents, qui s'intéressent également aux questions d'éthique, nous fassent part de leur point de vue.

Le président: Mme Joyce Groote pourrait peut-être répondre à cette question.

Mme Groote: J'avais l'intention, en fait, de commenter une question soulevée par Margaret Somerville quand elle a parlé de la difficulté de concilier la morale d'une société avec la morale individuelle. C'est un problème avec lequel je me suis colletée en prenant la parole à diverses tribunes et la question de la morale d'une société a vraiment de quoi vous plonger dans la perplexité.

Il y avait certes des questions sur lesquelles on pouvait arriver à s'entendre, mais à un niveau très général, par exemple quand il s'agit de santé et de sécurité de l'environnement, et de sécurité pour les êtres humains et les animaux. On pouvait également dégager certaines idées communes sur la prise en main et la responsabilité, mais sitôt qu'il s'agissait de morale individuelle, la discussion s'enlisait, parce que la question se posait alors: de la morale de qui s'agit-il?

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Sur la question de morale individuelle nous ne sommes parvenus à dégager aucun consensus. Il y a eu des entretiens avec divers ministères, et une autre tribune au sein de la collectivité tout entière, dont certains participants sont ici présents.

La conclusion qui s'est dégagée, c'est que nous ne pouvons prendre certaines de ces décisions pour les consommateurs eux-mêmes; ces derniers doivent prendre leurs propres décisions, et le seul moyen pour eux de le faire, c'est de mieux s'informer. Ils doivent prendre mieux conscience des problèmes et des questions à examiner. Cela ne veut pas dire pour autant que le débat ne soit pas vraiment important.

Cela m'amène à mon second argument, à savoir la question de prise en main et de responsabilité. Les entreprises et sociétés sont souvent considérées comme étant celles qui dominent la situation et qui devraient être rendues responsables, mais il convient de faire remarquer que c'est la collectivité dans son ensemble qui a, en fait, pris un lourd engagement, celui de fournir l'information au consommateur, car c'est le consommateur qui, en dernier ressort, en décidant s'il achète ces produits ou non, tient la situation en main.

Le président: En ce cas, vous diluez de nouveau la question et en faites une affaire de choix individuel. Est-ce là votre conclusion?

Mme Groote: Non, il y a certes une morale de société, et nous reconnaissons tous qu'il s'agit là de questions fondamentales et de grande importance. Nombreux étaient, en fait, les représentants du gouvernement qui considéraient que c'est au gouvernement de prendre la responsabilité d'imposer des normes dans le système juridique, en se basant sur la morale de la société et sur ses normes, mais ces valeurs ne sont pas immuables, et nous devons suivre leur évolution.

Mais quand il s'agit de prescrire des règlements, par exemple, en matière de salubrité des aliments, on part du point de vue moral qu'il faut assurer à notre société des aliments salubres. Mais quand on en arrive aux décisions individuelles, à savoir quels sont les produits que le consommateur veut acheter, ce sera à lui, je pense, de prendre ces décisions, car si ce n'est lui, qui en a le droit?

Quand je travaillais autrefois pour le gouvernement et m'entretenais avec mes collègues, beaucoup d'entre eux hésitaient beaucoup à prendre des décisions pour la société dans son ensemble. Ils avaient l'impression qu'il valait beaucoup mieux prendre des décisions basées sur la sécurité, et s'en remettre aux gens pour prendre leurs propres décisions, mais celles-ci devaient être prises en connaissance de cause et pour cela il fallait donner aux gens l'information nécessaire.

Le président: Je vous remercie. Madame Joy Morrow, vous avez la parole.

Mme Morrow: Je ne sais si je réponds ou non aux normes de M. Lincoln: je n'ai pas fait d'études officielles en éthique, mais j'ai travaillé dans les sciences pendant plusieurs années, tant dans la recherche que dans l'enseignement. Je suis ensuite devenue avocate et depuis une quinzaine ou une vingtaine d'années, je me spécialise dans le droit de la propriété intellectuelle, des brevets et des marques de commerce. Dans notre profession, bien entendu, il faut tenir compte de problèmes d'éthique.

Je voudrais aborder certaines questions qui ont été soulevées par M. Brassard, dont les appréhensions me semblent fort légitimes, car je pense que je serais peut-être en mesure de le rassurer sur plusieurs points.

Ces questions évoluent avec le temps. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. La technologie évolue avec le temps tout comme la réaction des gens.

Ce n'est pas aujourd'hui que nous nous entendrons sur une norme éthique qui soit acceptable à tout jamais. Manifestement, il faut continuer à examiner la question, à s'assurer que la norme répond aux besoins de la société de l'avenir. Nos valeurs changent de temps à autre. Si nous regardons en arrière, nous nous rendons compte que nous avons maintenant des valeurs différentes sur la famille, par exemple, que dans les années 50. Cela ne signifie pas que la société d'aujourd'hui soit pire ou meilleure. Cela signifie que les valeurs ont changé et c'est justement un domaine où les valeurs sont appelées à changer.

Donc, il n'y a pas de bonne réponse, à mon avis. Nous pouvons viser la meilleure réponse aujourd'hui, mais nous devons rester aux aguets en vue d'adapter la réponse au cours des années à venir.

Deuxièmement, j'aimerais mentionner que pour une personne qui n'a pas de formation scientifique dans ce domaine, ces technologies peuvent faire peur. Néanmoins, elles ne sont pas plus à craindre que les autres nouvelles technologies qui se sont implantées au fil des ans - câbles de fibres optiques, rayons laser, téléviseurs - qui font maintenant partie de notre quotidien.

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Vous vous rappellerez tous, j'en suis persuadée, que de temps à autre, on s'interrogeait sur la sécurité des appareils de télévision: produisaient-ils des émissions qui allaient être nocives pour nos enfants s'ils étaient assis trop près?

Ces questions ne sont donc pas uniques à la biotechnologie. Voilà le message que je tente de faire passer. Elles ne sont pas uniques à la biotechnologie et il ne faut donc pas exiger que dans ce domaine, on se conforme à des normes particulières.

Ce qu'on ne saurait trop dire, c'est qu'il est essentiel de communiquer.

Monsieur Brassard, vous avez mentionné un exemple précis dans l'Ouest. Vous avez parlé d'un sous-ministre qui est maintenant au gouvernement mais qui à l'époque dirigeait une entreprise de communication.

À mon avis, son entreprise, AG-West Biotech, était un excellent exemple - et continue de l'être - d'une entreprise qui communique - à un niveau que toute personne intéressée peut comprendre - ce qui se passe dans le domaine de la biotechnologie et de quelle façon nous en sommes touchés, à tous les jours.

Je pense que nous devrions tous lire ce genre de publications et poser des questions à ce sujet.

Troisièmement, je veux revenir à ce que Mme Groote a dit. Je l'ai noté avant qu'elle ne commence. Je serai donc très brève.

De la morale de qui s'agit-il? Il y a plusieurs perceptions différentes chez les Canadiens et nous ne nous entendrons jamais sur un code unique qui convienne à tous. Évidemment, nous aimerions trouver un point acceptable pour la plupart des Canadiens qui reflète les valeurs que nous avons au Canada. Toutefois, nous ne parviendrons jamais à satisfaire tout le monde et je ne pense pas que cela doive être l'objectif. Nous y perdrions tous.

À mon avis, le gouvernement doit faire tout son possible pour assurer la sécurité des produits - de tous les produits, pas uniquement des produits biotechnologiques. Ensuite, comme l'a dit Mme Groote, le consommateur montrera son désaccord en décidant de ne pas se procurer le produit.

Merci.

Le président: Merci.

Nous entendrons maintenant M. Schrecker.

M. Schrecker: Je partage un grand nombre des opinions avancées et je vais donc me limiter à parler de celles que je rejette, parce que c'est beaucoup plus amusant ainsi.

Tout d'abord, j'ai l'impression qu'il est peut-être vrai que dans le cas des produits agricoles, ce seront les consommateurs qui décideront. Toutefois, nous aurions tort de supposer que ce sera la même chose dans les autres domaines biotechniques. Le consommateur, par exemple, ne va pas décider - et ne saurait le faire - des risques associés aux essais pratiques de plantes transgéniques ou de micro-organismes qui ne sont pas encore commercialisés.

Deuxièmement, prétendre qu'il n'y a pas lieu de craindre les technologies de génie génétique plus que les autres technologies que nous connaissons et aimons, n'est pas une idée qu'un grand nombre de Canadiens, apparemment, acceptent. En outre, comme Bill Leiss l'a fait remarquer ce matin, il y a d'excellentes raisons de ne pas accepter ce point de vue.

Reprenons l'exemple de la télévision et afin d'animer le débat, disons que l'on peut sans doute s'asseoir près des téléviseurs en toute sécurité - du moins, à notre connaissance - mais l'institution de la télévision a détruit la qualité du discours politique en Amérique du Nord. Or, c'est sans doute un résultat que certains auraient souhaité éviter, si possible.

Cela m'amène à parler d'une norme unique pour les produits de la biotechnologie. Faut-il assujettir la biotechnologie à une norme unique extrêmement élevée de sécurité ou d'utilité sociale? Probablement pas. Faut-il imposer une norme spéciale, en ce sens que nous nous posons sur la biotechnologie et ses effets sur la société des questions que nous ne nous posons pas au sujet de la nouvelle génération de disques rigides ou de systèmes d'injection de carburant? Probablement, bien que l'on puisse en discuter longtemps.

Enfin, le point de M. Brassard sur la compétence est à mon avis essentiel sans être limité au domaine de la biotechnologie.

.1615

Notre société est témoin d'une expansion sans précédent de l'influence sur notre vie quotidienne, à tous les niveaux, directement et indirectement, de la recherche scientifique et technologique extrêmement complexe.

La possibilité que le diagnostic génétique permette très bientôt à un organisme gouvernemental de vous imposer, s'il le veut, un ticket modérateur parce que vous choisissez d'avoir des enfants alors que l'on a identifié chez vous une prédisposition à certains problèmes médicaux, en est un exemple. Les compagnies d'assurance chez notre voisin du Sud le font justement à la moindre occasion.

En même temps, nous constatons que les législateurs sont de moins en moins capables de contrôler ces questions et la population de moins en moins en mesure d'obtenir accès à l'information associée, à tort ou à raison, à la poursuite d'intérêt particulier.

Ce que vous avez dit au sujet des universités est très pertinent. Celles-ci sont en partie responsables, mais les gouvernements le sont aussi. On a dissous le Conseil des sciences, par exemple, faisant disparaître le point de vue éclairé que le conseil apportait à ce genre de débats. On a éliminé la Commission de réforme du droit, perdant ainsi sa contribution dans le domaine des codes de déontologie et du droit biomédical, etc.

Le président: Merci. Jim Fisher, je vous en prie.

M. Fischer: Merci, monsieur le président.

J'aimerais revenir à quelques-unes des réponses que j'ai entendues. Je vais donc m'éparpiller un peu.

Au tout début, nous avons entendu M. Kneen nous expliquer l'influence considérable que la biotechnologie a, à son avis, sur l'éthique. Je partage cette opinion. Ce sera sans doute le cas comme avec d'autres technologies par le passé. Dans ce contexte, j'aimerais vous faire part de nos expériences, la mienne, celle de mon père et de mon grand-père sur notre exploitation agricole.

Je me souviens que mon grand-père disait à quel point il avait été mis au ban de la société lorsqu'il a commencé à utiliser l'insémination artificielle et comment ses voisins prétendaient que ses veaux auraient deux têtes ou des cornes et Dieu sait quoi d'autre encore. Or, aujourd'hui, tout ce que je peux dire, c'est Dieu merci pour cette technologie. Je suis persuadé que nous étions menacés dans nos croyances les plus profondes par cette nouvelle technologie. Toutefois, sans celle-ci tout comme sans bien d'autres sur notre ferme laitière, je dirais que depuis 19 ans que mon épouse et moi pratiquons de l'agriculture, nous n'aurions peut-être eu que les deux tiers des vaches laitières que nous avons, et nous aurions utilisé plus de terrain pour une moins grande production. Et ce n'est qu'un exemple.

Cela est vrai pour de nombreuses technologies et, à mon avis, la biotechnologie ne fait pas exception. Je dois reconnaître que le génie génétique est fondamentalement différent, mais cela ne me pose pas de problème.

Le deuxième élément, comme l'a dit M. Waltner-Toews, c'est qu'effectivement, nous accélérons le mouvement dans la progression de ces technologies. Je prétends même que dans certains cas, nous n'allons pas assez vite. Je sais que là-dessus vous ne serez pas d'accord avec moi.

Pour illustrer mon propos, je vais reprendre l'exemple du troupeau dans notre exploitation agricole. Nous avons fait de la reproduction sélective pendant des années pour conférer certains caractères spécifiques à nos animaux et pour obtenir certains résultats comme ceux dont je viens de parler en matière de production, par exemple, comme mes ancêtres l'avaient fait.

Il a donc fallu trois générations d'éleveurs pour obtenir ce troupeau, même s'il a pris de l'expansion, et peut-être neuf ou dix ou douze générations de vaches pour obtenir le résultat actuel, c'est-à-dire l'obtention de caractères spécifiques comme l'amélioration des pattes et des sabots qui permet à l'animal de vivre plus longtemps, lui confère une meilleure santé et se traduit par une plus forte production. Cela ne me pose aucun problème, c'est ce que nous voulons.

Si le génie génétique nous permet, par un transfert de gènes, par exemple, de nous dispenser d'administrer un vaccin - vous voyez certainement ce que cela signifie - ou un antibiotique pour préserver ou améliorer l'état de santé des animaux, j'y suis tout à fait favorable. Et je suppose qu'il en va de même de l'ensemble des agriculteurs. Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement.

Mme Somerville a demandé si le transfert de gènes posait un problème d'ordre éthique. À mon avis, il n'en pose aucun. Vous avez parlé de transplantation cardiaque où l'on utilise le coeur d'un porc qui a subi des transferts de gènes d'origine humaine. Je peux vous donner l'exemple suivant: si mon fils ou si l'un de vos enfants était victime de brûlures et avait besoin d'une membrane de protection provenant d'un porc dont on a modifié le bagage génétique, eh bien, je serais tout à fait favorable à ce genre d'opération. Et de ce point de vue, je ne pense pas qu'il y ait de délimitation entre le domaine médical et le domaine alimentaire quant aux considérations éthiques de la société. Comme l'ont dit Mme Morrow et Mme Groote, c'est en définitive à la société de décider de ce qu'elle veut.

.1620

Monsieur Schrecker, comme vous l'avez dit, on ne s'est pas préoccupé des risques inhérents à certaines nouvelles technologies, mais il en a été de même lorsqu'on a mis au point le laser ou l'insémination artificielle; je suis sûr que certains se préoccupaient des risques de ces deux technologies et de bien d'autres lorsqu'elles sont apparues. La science n'est pas une activité sans risque. Nous en sommes tous conscients, mais il faut aller de l'avant. C'est une réalité incontournable, qui tient à la nature humaine.

Le président: Merci, monsieur Fischer. Margaret Somerville, nous vous écoutons.

Mme Somerville: Je voudrais revenir aux propos de M. Fischer, de Mme Groote et de Mme Morrow. Dans le domaine de l'éthique, l'analyse peut se situer à trois niveaux différents. C'est très simple: il y a le niveau individuel, le niveau intermédiaire, qui concerne les institutions ou les groupes, et le niveau supérieur, qui concerne les pouvoirs publics ou l'ensemble de la société.

Je pense que la plupart de ce que vous avez dit, monsieur Fischer en particulier, relève de l'éthique au niveau individuel. Vous parlez des technologies qui sont profitables au niveau individuel, dont on comprend les implications; vous avez parlé des techniques qui seraient utiles à votre fils s'il subissait des brûlures, et que vous considérez comme des techniques souhaitables. C'est pour vous l'argument déterminant. C'est aussi l'argument le plus facile à faire valoir dans l'immédiat, en particulier à la télévision, car on peut présenter quelqu'un comme vous qui va avancer ce genre d'argument, tout le monde va s'identifier à vous et va vous trouver très convaincant, ce qui est normal, mais il convient de savoir que l'éthique se situe ici au niveau individuel.

Mais pour l'analyse éthique de notre action, nous ne pouvons pas nous contenter du niveau individuel. En tant que parlementaires, en particulier, vous devez analyser votre action au niveau des pouvoirs publics et de la société, et là, je ne pense pas que les choses soient aussi claires.

Pour en revenir à ce que disait Mme Groote, vous avez dit penser qu'il faudrait s'en remettre à des décisions individuelles. Mais à mon avis, il faut tout d'abord déterminer si le risque encouru est fondamentalement acceptable pour la société et c'est seulement après que l'on peut en faire une simple question de décision individuelle prise en connaissance de cause.

Le problème que pose la biotechnologie actuellement, c'est que nous ne savons pas si les risques qu'elle comporte, ne serait-ce que les risques matériels, sont acceptables pour la société. Le débat concerne essentiellement les risques matériels et les risques de pertes économiques auxquelles on s'exposerait en refusant d'agir. C'est un coût d'opportunité, c'est une perte réelle. Mais nous devons également penser aux autres risques encourus au niveau de la société, et il est beaucoup plus difficile d'en parler en termes concrets.

J'ajouterais simplement que des travaux récents se sont intéressés à la façon dont les gens considéraient les risques auxquels ils étaient exposés. Dans un article paru dans le magazine The Guardian, Martin Wollacott affirme que la plupart des gens considèrent le chômage, la pollution et les grands cataclysmes comme les plus grands risques auxquels ils soient exposés. Ils estiment n'avoir aucune maîtrise de ces risques qui les menacent, et ils s'attendent à ce que les pouvoirs politiques gèrent ces risques en leur faveur. C'est la gestion du risque au niveau de la société, et je pense que c'est de cela dont il devrait être question ici.

Le président: Merci.

Conrad Brunk.

M. Conrad Brunk (professeur agrégé de philosophie, Conrad Grebel College, Université de Waterloo): Merci, monsieur le président, de m'accueillir de nouveau à cette table, puisque j'ai déjà pu m'exprimer ce matin. Je ne veux pas spolier ceux qui voudraient intervenir cet après-midi, mais j'aimerais soulever quelques questions et avancer quelques arguments.

L'une des caractéristiques de la biotechnologie et des autres technologies nouvelles, c'est que leur niveau de complexité est tel que leurs avantages sont immédiatement évidents et chiffrables. Les risques qu'elles comportent, en revanche, sont tout à fait imprécis et incertains, à tel point qu'il est souvent impossible de les évaluer concrètement. Donc, si l'on procède comme on le fait habituellement pour définir l'orientation des affaires publiques, c'est-à-dire en faisant la somme des avantages et en la compensant par les risques et les coûts des nouvelles technologies, on obtient un résultat qui va nécessairement nous inciter à aller de l'avant le plus vite possible.

.1625

La question fondamentale, c'est de savoir comment prendre une décision éthiquement acceptable lorsqu'il existe une telle disparité entre les avantages évidents et les risques incertains. Comment gérer un tel degré d'incertitude d'une façon qui soit éthiquement acceptable? Mme Somerville a signalé que cette question comporte certains éléments qui débouchent sur des considérations inacceptables au plan éthique. En matière éthique, il existe différentes écoles de pensée qui peuvent donner des résultats différents, mais d'autres questions sont... Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il ne faut pas que notre action ait des conséquences néfastes, mais nous ne connaissons pas ces conséquences futures. Il s'agit donc de savoir quelle attitude nous devons adopter au plan éthique face à une telle incertitude. C'est là que le recours au principe de prudence prend toute son importance dans le débat éthique. J'espérais qu'il en serait question dans le débat de ce matin, puisque c'était l'un des thèmes qu'on devait aborder, mais nous n'en avons pas vraiment parlé.

Ce qui me préoccupe dans la façon dont le principe de prudence est défini et utilisé dans les documents du comité, c'est que l'on affirme - et je cite:

Je voudrais indiquer que même énoncé de cette manière, le principe de prudence impose toujours le fardeau de la preuve à ceux qui prétendent qu'une technologie nouvelle comporte un risque inacceptable. Pour ne prendre que l'exemple des préoccupations formulées au cours du débat d'aujourd'hui, la plupart d'entre elles sont impossibles à étayer quant au risque encouru, sur des preuves scientifiques prépondérantes. En revanche, il est très facile de faire la preuve des avantages prévisibles.

Que faire en de telles circonstances? Peut-être faudrait-il appliquer le principe de prudence avec plus de rigueur en renversant le fardeau de la preuve pour l'imposer à ceux qui produisent le risque ou qui en bénéficient, et qui devraient alors prouver que ce risque est acceptable. Même si le risque n'est qu'éventuel, il devrait être acceptable. En particulier dans le cas des risques de proportion catastrophique, même si la probabilité du risque est très faible, il convient de s'interroger sur ce qui pourrait se passer à l'avenir. Si le risque est tel que les générations futures pourront considérer rétrospectivement que nous n'aurions pas dû le prendre, nous devons appliquer le principe de prudence à ce risque avec la plus grande rigueur.

Je voudrais revenir à la question du choix des consommateurs. Si nous laissons le consommateur décider, il convient de se demander s'il a reçu l'information nécessaire pour faire un choix éclairé quant aux risques et aux avantages. Encore une fois, si les avantages sont évidents alors que les risques sont incertains, le consommateur peut-il véritablement choisir en connaissance de cause? Je remarque avec intérêt que les représentants de l'industrie demandent souvent que l'on laisse le choix au consommateur, mais lorsqu'on essaie de renforcer les exigences en matière d'étiquetage, ces mêmes représentants s'y opposent. Je ne vois pas comment un consommateur peut faire un choix éclairé s'il n'est pas bien renseigné par l'étiquetage.

Le président: Merci. Brewster Kneen

.1630

M. Kneen: Je voudrais revenir un peu en arrière. Il me semble qu'on a accepté sans discuter un certain nombre d'hypothèses, qui apparaissent dans des formules comme «aller de l'avant», «amélioration», etc., qu'on emploie fréquemment dans le domaine de la biotechnologie et qui constituent des jugements de valeur qui ne reposent ni sur les faits, ni sur l'expérience. Tout dépend de la perspective qu'on adopte. Je pense que les questions de langue sont importantes.

Je voudrais maintenant aborder le sujet du marché. Nous supposons que le marché est un mécanisme démocratique. Évidemment, je n'ai pas besoin de préciser que ce mécanisme n'est nullement démocratique. Il faut tout d'abord y avoir accès, il faut ensuite en décoder la langue, puis il faut le rejoindre et surtout, il faut avoir l'argent nécessaire.

Nous supposons que tout le monde est sur un pied d'égalité. C'est totalement faux, notamment à cause de l'échec de nos politiques fiscales, qui ne taxent pas équitablement l'ensemble des contribuables. La situation s'aggrave donc de jour en jour, mais on s'acharne à considérer le marché comme un mode démocratique de prise de décisions. C'est une erreur fondamentale.

L'autre question, et Margaret Somerville en a très bien parlé, est le fait que le marché ne peut s'occuper de ces questions, dans un certain sens, qu'à un niveau individuel. On élude la question de l'affectation des ressources et du rôle du gouvernement. Le gouvernement actuel plus particulièrement, et même depuis une décennie environ, nous avons vu au Canada - et c'est le cas aussi ailleurs - le gouvernement jouer un rôle très biaisé en poussant les entreprises à investir notamment dans la recherche et le développement de produits.

Ce que dit le gouvernement actuellement, c'est que si vous voulez étudier quelque chose, trouvez-vous un partenaire dans l'industrie pour vous financer et allez de l'avant; le gouvernement dit qu'il accordera un financement de contrepartie ou un financement en complément. En réalité, il subventionne d'une façon très partisane un groupe d'intérêts particuliers.

Je parle d'intérêts particuliers parce que je ne pense pas que les intérêts des entreprises, dans le domaine de la biotechnologie, soient ceux de la population canadienne, ou qu'ils puissent l'être ou même prétendre l'être. Lorsque je voyage par avion et que je vois la petite proportion de l'appareil occupé par la classe affaires, je suis porté à croire qu'il s'agit d'intérêts particuliers.

Je pense que nous en revenons à la question du rôle du gouvernement. À mon avis, ce rôle consiste à représenter les intérêts de la population dans son ensemble et je pense que nous en sommes maintenant loin. De jour en jour, nous nous éloignons rapidement de la notion selon laquelle le gouvernement a une responsabilité à cet égard. Je pense que c'est tragique. Je pense que nous le regretterons un jour lorsque nous verrons les inégalités et les injustices qui en résulteront.

En ce qui concerne la biotechnologie, par conséquent, nous devons dire qu'une grande partie de ce qui arrive sur le marché, de ce qui est offert sur le marché, n'a absolument aucune valeur sociale. Il n'y a là aucun avantage social. Quelqu'un qui a suffisamment d'argent pour y avoir accès en profitera peut-être personnellement, parce que sa vie sera prolongée ou parce qu'une maladie sera guérie. Nous ne pouvons cependant pas permettre que cela nous fasse oublier la question sociale, c'est-à-dire le fait que l'affectation des ressources pour aider une personne, aux dépens des soins de santé offerts à la grande majorité de la population, est une question d'ordre moral. Sur quoi fondons-nous cette décision que nous prenons maintenant? Ce n'est pas fondé sur un débat parlementaire, c'est certain. Je pense que c'est la question qui est soulevée ici.

Le gouvernement a-t-il la responsabilité de s'occuper des intérêts de l'ensemble des Canadiens, quelle que soit leur classe économique ou leur pouvoir politique? Ce n'est certainement pas ce qu'il fait aujourd'hui.

J'espère que nous pourrons déterminer qu'en ce qui concerne la biotechnologie, il n'y a aucune raison de se hâter de mettre de nouveaux produits sur le marché maintenant. Nous avons agi à la hâte et je pense que c'est immoral. Il faut se demander si ce sera dans l'intérêt général, à l'avantage de la population, à long terme. Et dans le cas de la biotechnologie, il est clair que la question ne porte pas seulement sur les gens qui sont ici maintenant, mais sur mes enfants, vos enfants, leurs petits-enfants et les autres générations à venir. Sommes-nous prêts à faire cela? Nous ne devons pas agir à la hâte. Je pense que cette question de rapidité a déjà été soulevée à plus d'une reprise.

Nous adorons dire que nous pouvons faire des choses très rapidement. Je pense que c'est une caractéristique totalement négative en l'occurrence, pour des motifs d'ordre moral. Il est préférable de ralentir. Je pense qu'il incombe au gouvernement de poser beaucoup d'obstacles et si les intéressés parviennent à les surmonter, qu'il en soit ainsi. Autrement, qu'on trouve autre chose de mieux à faire. Il y a énormément à faire.

.1635

Le président: Merci. David Waltner-Toews, s'il vous plaît.

M. Waltner-Toews: J'aimerais faire des commentaires dans la même veine que ceux de Marg et de Conrad, au sujet des avantages immédiats et des conséquences à long terme, car je pense qu'il est beaucoup question ici de proportion et du fait que tout est étroitement relié.

Lorsque nous parlons de processus et de produits biotechnologiques, il ne s'agit pas d'un processus industriel. C'est une illusion de prétendre que c'est équivalent au remplacement du carburateur d'une voiture. Dans les domaines de l'agriculture et de l'alimentation, il y a partout des interactions sociales et écologiques. On ne change pas une chose sans en changer une autre.

Certains exemples me viennent à l'esprit. J'ai fait beaucoup de travail à l'échelle internationale. J'ai travaillé dans des endroits où l'on éprouvait de graves pénuries alimentaires après la Seconde Guerre mondiale. La révolution écologique est venue et on s'est mis à produire des récoltes qui pouvaient croître très rapidement. Les agriculteurs ont fait plus d'argent. Leurs récoltes ont supplanté les cultures locales. Ils ont utilisé beaucoup de pesticides et d'engrais, ce qui a rendu impossible la pisciculture traditionnelle. On a perdu une source de protéines. Parce que les agriculteurs faisaient plus d'argent grâce à ces cultures à croissance rapide, ils ont supplanté un grand nombre de cultures locales, de sorte qu'on voit maintenant se répandre la malnutrition et les malformations congénitales, notamment l'arriération mentale grave, dans un grand nombre de ces collectivités.

Il y a donc ces effets à long terme, parce que tout est relié. L'encéphalopathie bovine spongiforme, la maladie de la «vache folle», dont j'ai parlé tantôt, est une conséquence directe de la promotion de la production à grand volume et à faible coût et de l'efficacité dans le système. La conséquence naturelle est qu'on crée des voies pour ces éléments pathogènes. Je n'ai pas du tout été surpris lorsque c'est arrivé.

Je suis d'accord avec M. Fischer. J'ai travaillé beaucoup avec des agriculteurs et j'aimerais essayer d'accroître leur production dans les limites du système socio-écologique. Je pense que c'est là le problème dans tout ce système.

Une industrie peut examiner son bilan et dire qu'elle ne peut pas ajouter telle ou telle chose pour modifier ses dépenses en capital. Un agriculteur pourrait dire qu'il ne peut pas se payer une nouvelle grange. En tant que société, nous devons aussi nous dire que nous ne pouvons pas nous permettre de laisser les choses continuer ainsi sans restriction, parce qu'il en résultera probablement des changements institutionnels qui nous poseront de graves problèmes en bout de ligne.

Nous avons résolu certains problèmes de santé publique grâce à la centralisation de l'agriculture - et je participe à plusieurs des programmes en question - en passant par des points de contrôle centralisés. Le point final pourrait être quelque chose comme l'irradiation des aliments, qui règle le problème immédiat en transformant des événements à haute probabilité et à faible conséquence en événements à faible probabilité, mais à conséquence élevée.

Nous avons des épidémies importantes, des centaines de milliers de cas de salmonella, et une épizootie amène la fermeture de grandes entreprises laitières, alors que de multiples petites épizooties seraient plus faciles à contrôler. Il ne s'agit pas de dire qu'un extrême est mieux que l'autre. Nous ne voulons pas revenir à l'agriculture de subsistance, mais la question est de savoir comment nous pourrions trouver une sorte d'équilibre.

Il me semble que le rôle du gouvernement est de parvenir à déterminer quel genre de société nous voulons. Voulons-nous des collectivités rurales? Quelles sortes d'exploitations agricoles voulons-nous? Il devrait ensuite demander quelles sont les conséquences de cette vision de notre société, afin de déterminer comment il faut réglementer l'innovation au sein de cette société. Il me semble qu'on ne doit pas simplement permettre... L'innovation est une bonne chose, mais toute innovation n'est pas bonne. C'est comme les mutations génétiques, qui peuvent donner toutes sortes de merveilleux résultats, mais qui peuvent aussi se terminer en catastrophes.

Il me semble qu'en tant que société, nous devons prendre les choses en main au lieu de nous contenter de dire que ce sont là des effets systémiques trop importants et qu'il faut laisser le marché décider. Le marché ne décidera pas. Si nous voulons un type de société particulier, nous devons décider ce que nous voulons et ensuite aller dans cette direction d'une manière délibérée et volontaire.

Le président: Merci. Ted Schrecker.

M. Schrecker: Cette discussion devient de plus en plus lugubre, alors permettez-moi d'essayer de l'égayer un peu. Lorsqu'on parle d'éthique et de technologie, on risque de passer pour une sorte de néo-Luddite qui voit toutes les choses qui pourraient arriver, et dans une certaine mesure nous sommes tombés, moi y compris, dans ce piège au cours des débats sur la biotechnologie.

.1640

Comme Jim Fischer nous l'a rappelé, les avantages pouvant découler de la recherche biotechnologique sont extrêmement variés. Ils vont bien au-delà des applications en matière de biotechnologie agricole et s'étendent à une variété d'interventions dans le secteur des soins de santé.

Il est tout à fait possible d'apprécier tous ces avantages et même de soutenir, comme je le ferais dans certains contextes, que nous avons un certain devoir moral de les rechercher, tout en admettant et même en adoptant le point de vue selon lequel le génie génétique est différent. Il n'est pas nécessairement meilleur ni pire, mais il est différent et présente une gamme différente de perspectives, tout comme la possibilité de risques de perte. C'est le premier argument que je tenais à présenter.

Le deuxième concerne plus précisément le principe de prudence, qui est, dans une certaine mesure, un principe moral. Le problème vient du fait qu'il est également, à un certain point de vue, vide de sens. Ce principe ne nous dit rien du degré de prudence qu'on est moralement requis d'exercer ou qui est moralement permise. Autrement dit, c'est un principe pouvant aider à organiser la prise de décisions, mais il n'a pas en soi beaucoup de contenu.

Il n'y a rien de mal à cela. La plupart des décisions éthiques, en matière de questions d'intérêt public, sont prises à partir de tels principes. Le problème plus fondamental est le suivant. J'écris depuis de nombreuses années des articles sur les mérites du principe de la prudence tel qu'on l'applique, par exemple, aux substances toxiques et aux processus industriels. Je suis moins certain de la façon dont on pourrait l'appliquer à toute une gamme de progrès technologiques pouvant amener des transformations.

Je diminue peut-être ainsi la valeur des analogies que j'ai faites moi-même tantôt avec la télévision. Je ne sais pas exactement comment le faire, en particulier, parce que - et à ce sujet je ne suis pas d'accord avec Conrad Brunk - je ne suis pas certain que les avantages soient nécessairement évidents et que les risques soient difficiles à identifier et à évaluer. C'est peut-être vrai en ce qui concerne la recherche et le développement motivés par des intérêts commerciaux à court terme ou motivés principalement par des intérêts commerciaux à court terme. Je pense que c'est moins vrai de la recherche fondamentale en laboratoire et il est donc encore plus difficile d'appliquer tout le principe de prudence.

Le président: Merci. Gar Knutson.

M. Knutson: Merci beaucoup. Je tiens à répliquer à M. Kneen.

Disons que je sois, par exemple, ministre de l'Industrie, et qu'à toutes fins utiles je sois une personne convenable. Je me préoccupe des enfants affamés. Je sais que la cause fondamentale de la pauvreté chez les enfants dans ce pays est le haut taux de chômage et je suis donc préoccupé par le nombre d'emplois et la prospérité générale du pays. Or tous ces fonctionnaires me disent que si nous ne suivons pas le mouvement et n'appuyons pas l'industrie ou les industriels, ou encore la création d'emplois de haute valeur que nous voulons dans notre pays, avec des salaires élevés et des produits que nous pouvons exporter, tout en ayant la prudence de mettre en place les bons règlements, ils iront ailleurs. Dans ce cas, nos problèmes actuels en termes d'équité, aussi graves soient-ils, empireront encore.

En tant que ministre de l'Industrie, je reconnais les dangers du capitalisme. Je ne l'appuie pas sans réserve. Je n'accepte pas ce principe selon lequel il faut simplement laisser le marché décider. Je reconnais qu'il faut trouver un équilibre, imposer la quantité de règlements qui convient.

Je ne peux pas parler au nom du gouvernement, mais il me semble que la solution ne consiste pas simplement à mettre un frein à tout. Nous ne sommes pas disposés, dans ce pays, à dire que nous allons ralentir la croissance économique qui pourrait découler de ces innovations tant que nous n'aurons pas tout compris. Nous allons nous débrouiller tant bien que mal. Si j'étais ministre de l'Industrie, je pourrais être très satisfait de cela, parce que nous avons besoin des emplois. Je ne penserais pas avoir fait quelque chose d'immoral.

.1645

Je me demande seulement ce que vous en pensez.

M. Kneen: Je pense pouvoir comprendre dans quelle situation difficile vous vous trouveriez avec ce scénario. Je ne pense pas cependant que je verrais la biotechnologie comme la solution au problème du chômage. Je ne pense simplement pas qu'il y ait de grandes chances pour cela. C'est un secteur formé d'une élite et à forte intensité de capital et il ne résoudra pas ce problème.

On soutient qu'on pourra produire plus d'aliments, mais je n'ai pas remarqué qu'on en manque au Canada. Certaines personnes manquent désespérément d'aliments, mais lorsqu'on va à l'épicerie, on voit bien qu'il y a suffisamment d'aliments pour tout le monde. Le problème réside ailleurs. Ce n'est donc pas un problème de production.

Je répète qu'à mon avis, la biotechnologie appliquée à l'agriculture ou ailleurs ne résoudra pas le problème de l'emploi, ou encore le problème de la production d'aliments, parce que nous n'en manquons pas.

Je dois donc me demander de quoi il est vraiment question ici. Il me semble que les deniers publics consacrés à ce secteur, pour des raisons fallacieuses à mon avis, pourraient être affectés à certains des problèmes sociaux qui nous préoccupent.

Je vais dire quelque chose qui paraîtra probablement une hérésie aux yeux de la plupart des gens, mais j'ai fait de l'agriculture assez longtemps dans ma vie pour connaître personnellement ce secteur. En agriculture en particulier, il existe des solutions autres que l'agriculture à haute technologie et à forte intensité de capital. La grande majorité des peuples du monde ne s'adonnera pas à notre style d'agriculture. Elle détruirait tout.

Je pense que nous devons - et l'on en a parlé ce matin d'une manière assez articulée - au lieu d'investir de l'argent dans la biotechnologie, qui est pour une élite, investir dans l'agriculture durable.

Je sais que mes deux enfants aimeraient exploiter une ferme, mais il y a peu de chances que cela se produise, parce que nous poussons les gens à déserter les fermes aussi vite que nous le pouvons, au nom de l'efficacité et du progrès. Vous pourriez trouver beaucoup de gens qui aimeraient travailler dans le secteur de l'agriculture sur une échelle différente, c'est-à-dire dans la production agricole à forte intensité de main-d'oeuvre, et cela permettrait de s'attaquer d'une manière incroyablement directe au problème de l'emploi. Au lieu de dire, par conséquent, que nous avons un demi de 1 p. 100 de Canadiens qui s'adonnent à l'agriculture, nous pourrions dire que nous en avons 5 p. 100 et que nous progressons vraiment.

M. Knutson: Souvent, un agriculteur ne peut survivre que s'il est capable d'exporter. En soi, cela crée un problème de concurrence, à moins que nous subventionnions directement l'agriculture au moyen de transferts directs de revenus du contribuable à l'agriculteur, ce qui n'est pas le cas.

Pour que les agriculteurs puissent exporter, ils doivent faire face à la concurrence sur les marchés internationaux et ils ont besoin des outils dont disposent leurs concurrents. Je pense que c'est évident, que je fasse confiance ou non au capitalisme. Que ce soit bon ou mauvais, je pense qu'il en est ainsi.

À moins que l'agriculteur veuille travailler pour 4 $ l'heure tout en voulant ce que la plupart des Canadiens considèrent comme un niveau de vie raisonnable, je ne vois pas vraiment comment cela serait possible, avec 5 p. 100 de la population qui produirait le même volume de produits.

Mon principal argument, je suppose, est que nous vivons dans un régime capitaliste. Tant que nous n'en changerons pas, c'est dans ce contexte que nous devons vivre. Et je n'entrevois pas que nous en changions dans un proche avenir.

Le président: Merci. Nous entendrons Mme Margaret Somerville, suivie de Paul Steckle, Paul Brassard, Daphne Jennings et Jim Fischer.

.1650

Mme Somerville: J'ai seulement deux arguments à présenter.

Premièrement, monsieur Brunk, j'ai été surprise d'entendre ce que vous avez dit sur le principe de prudence, parce que j'ai lu le même passage que vous et je l'ai interprété d'une façon exactement opposée à la vôtre. Je pense qu'on peut en tirer une bonne leçon. Nous devons être extrêmement prudents dans le choix des mots que nous utilisons. Quand vous avez dit cela, je suis allée relire ce passage. J'y ai lu que dans les cas où l'on ne disposerait pas de toute la certitude scientifique voulue au sujet des risques, le gouvernement interviendrait au moyen de règlements, ce qui concorde avec le principe de prudence, tandis que vous y avez lu que le gouvernement n'interviendrait pas tant qu'il ne saurait pas qu'il existe des risques très graves.

Cela m'amène au premier point, qui est à mon avis important, c'est-à-dire que ce qui importe le plus c'est de définir le principe de base dont on part. On a quatre possibilités. La première consiste tout simplement à dire que la biotechnologie est une bonne chose, qu'il n'est pas nécessaire de la réglementer. On dit donc oui, bravo à la biotechnologie. Le principe tout à fait à l'opposé est de dire non. C'est le principe luddite de Ted Schrecker: c'est terrible; il faut l'interdire; on ne veut pas de la biotechnologie à aucun prix. Je pense qu'au Canada, nous n'allons pas adopter l'un ou l'autre de ces principes. Je l'espère en tout cas.

Les deux autres possibilités sont très différentes, ce qui n'est pas immédiatement évident. L'un des autres principes fondamentaux consiste à dire oui à la biotechnologie, sauf si certains risques sont présents. C'est ainsi, je crois, que M. Brunk interprète le principe de prudence.

L'autre possibilité consiste à dire oui à la biotechnologie à moins... «À moins» que nous sachions qu'il est raisonnablement sûr et moralement acceptable de le faire. Ce sont les deux conditions que j'exigerais. C'est un principe de prudence qui serait le même que celui que nous utilisons à l'heure actuelle pour commercialiser les nouveaux médicaments et appareils médicaux aux termes de la Loi sur les aliments et drogues au Canada. C'est un principe du «non à moins» qu'on ne donne pas le feu vert avant de s'être assuré que c'est raisonnablement sécuritaire. Outre l'aspect raisonnablement sécuritaire, je dirais qu'il faut que ce soit également acceptable sur le plan moral.

Il s'agit ensuite de déterminer qui va mettre cela en oeuvre. Je pense que l'un des facteurs les plus importants ici est la confiance du public. Il y a une crise à cet égard, non seulement dans ce domaine mais de façon générale.

Je pense que si vous envisagez la biotechnologie dans un contexte alimentaire, vous comprendrez. Il y a environ un siècle, les gens mangeaient des aliments qu'ils avaient cultivés eux-mêmes, tués eux-mêmes, ou qu'ils avaient obtenus de leurs parents ou voisins. Il n'y avait pas tellement de gens, d'endroits ou d'événements en qui il fallait avoir confiance pour savoir que les aliments étaient sans danger. Paradoxalement, à notre époque, alors que nous avons tendance à croire qu'il y a moins de confiance dans notre société, nous devons faire confiance à un nombre considérable d'inconnus quant à l'innocuité de nos aliments. Si on ajoute à cela le fait que parfois ces aliments ne sont même pas naturels, qu'ils sont le produit de la biotechnologie, on peut comprendre que cela rende les gens un peu nerveux.

Je pense que nous devons réfléchir longuement avant de décider quel sorte d'organisme nous pourrions mettre sur pied pour donner au public le sentiment qu'il a gagné sa confiance et non pas une confiance aveugle. Lorsqu'on gagne la confiance de quelqu'un, c'est qu'on peut démontrer que cette personne peut nous faire confiance, ce qui signifie qu'il faut constamment gagner cette confiance. Demander à quelqu'un une confiance aveugle c'est lui demander de nous faire confiance parce que nous savons ce qui est le mieux pour vous et nous avons le statut, le pouvoir de vous dire ce que vous devez faire. Ce genre de confiance aveugle de la part du public n'est pas possible avec la biotechnologie.

Le président: J'aimerais revenir rapidement à la quatrième possibilité: on ne donne pas le feu vert à la biotechnologie à moins que ce soit raisonnablement acceptable sur le plan moral. Pouvez-vous définir ce qui est moralement acceptable?

M. Somerville: Pour revenir à ce que disait Mme Morrow et Mme Groote, il est vrai que le niveau individuel d'éthique varie et que nous ne sommes pas nécessairement toujours d'accord sur nos valeurs. Mais nous pouvons faire une analyse de l'éthique.

Par exemple, prenez les théories de M. Michael Walzer, qu'il appelle l'éthique riche et l'éthique pauvre. Dans une éthique riche, il y a de nombreux principes. Avant de dire que quelque chose est moralement acceptable, il y a de nombreux principes à respecter. À l'opposé, on a une éthique pauvre en principe.

La forme la plus pauvre d'éthique consiste tout simplement à prendre un groupe de gens que l'on considère comme ayant un sens moral, qui ont des connaissances au sujet de ce qu'ils font, un groupe qui représente divers intérêts mais où il n'y a pas de conflit d'intérêts. Ce groupe de gens dit que c'est acceptable. On peut donc dire que c'est acceptable sur le plan moral.

Je pense que nous devrions nous situer quelque part entre l'éthique riche et l'éthique pauvre, et qu'en tant que société nous pouvons nous entendre sur certains principes. Par ailleurs, nous aurons besoin d'un code de moralité qui devra susciter la confiance du public.

.1655

Le président: Dans le cas de l'énergie nucléaire, pensez-vous que la bombe aurait été lâchée en 1945 si on avait appliqué le principe de ce qui est moralement acceptable?

Mme Somerville: C'est une question très intéressante. Une chose contre laquelle j'aimerais vous mettre en garde lorsqu'on a un groupe qui prend ce genre de décision, c'est que nous savons par expérience qu'en médecine par exemple, un comité d'éthique peut collectivement approuver certaines recherches médicales et décider qu'il est acceptable de faire telle ou telle chose, mais si on demande individuellement à chaque membre du comité par la suite ce qu'il en pense, il est possible qu'il réponde: «Je n'aurais pas donné mon approbation personnellement, mais tous les autres ont en quelque sorte créé l'atmosphère qui a fait en sorte que j'ai pensé que nous devrions l'approuver». Il faut donc se méfier du phénomène de groupe qui peut diluer l'effet de la morale individuelle. Nous avons besoin à la fois d'éthique individuelle et d'éthique collective.

Pour ce qui est de la bombe, je me demande constamment s'il existe un principe d'éthique universel. Ce qui s'en rapproche le plus à mon avis c'est l'interdiction de la torture. Même là, certains ont déjà dit: «Mais pourquoi pas un petit peu de torture si cela permet de sauver beaucoup de vies?» Est-ce que cela n'est pas alors acceptable sur le plan moral? Je ne sais pas... Je pense qu'il y a sans doute des interdictions d'ordre moral. Par exemple, en ce moment je dirais que la morale interdit que l'on fasse des croisements entre les animaux et les humains. Je considérerais qu'il s'agit-là d'une interdiction d'ordre moral.

Le président: Merci. Paul Steckle.

M. Steckle: Je ne sais pas trop où commencer. Je suis d'accord avec une bonne partie de ce qui a été dit et je suis également en désaccord avec beaucoup... Je pense que s'il y a une chose qui ressort ici aujourd'hui, c'est que nous avons un consensus de désaccord, ce n'est pas surprenant à propos d'un tel sujet.

Nous avons parlé de la biotechnologie, et aujourd'hui nous parlons d'éthique et de morale. Je me demande vraiment comment nous, autour de cette table aujourd'hui, pouvons penser qu'un jour il sera possible de déterminer ce qui est bien et ce qui est mal et jusqu'où nous devons aller, étant donné que nous avons de nombreux exemples où il clair qu'on a donné aux gens le choix de participer ou non d'acquérir certaines habitudes: fumer; consommer de l'alcool; sur le plan de la sexualité, le VIH - nous connaissons les conséquences de toutes ces choses, pourtant notre société a-t-elle changé ses habitudes? Est-il juste que les gens continuent dans la même voie, lorsqu'on sait que tous les contribuables doivent se partager le coût de ces conséquences? Comment pouvons-nous alors nous attendre à pouvoir nous attaquer à l'inconnu?

Comme mon collègue Jim Fischer, qui ne vit pas très loin de chez moi et qui partage les mêmes intérêts que moi, je ne suis pas contre la biotechnologie, car sans la biotechnologie, en agriculture nous n'en serions pas là où nous en sommes aujourd'hui pour ce qui est d'atteindre nos objectifs de 20 milliards de dollars d'exportations d'ici l'an 2000. Je pense que ce sont là d'excellents objectifs que nous nous sommes fixés.

Étant donné que nous pourrions produire des produits aujourd'hui et que nous pouvons produire des récoltes beaucoup moins coûteuses, notre collègue au bout de la table dit que nous pourrions remettre les gens au travail. Absolument. Il y a bien des gens qui pourraient retourner travailler à la ferme. Mais nous n'allons pas abandonner les moissonneuses batteuses et revenir à la houe. Nous n'allons tout simplement pas faire cela.

Ma question est donc la suivante: étant donné que nous avons tellement d'exemples de gens qui ont choisi de faire certaines choses dont nous connaissons les conséquences - ces exemples nous les connaissons - ainsi que les conséquences de leurs actes - pouvons-nous espérer pouvoir régler les problèmes dont nous parlons aujourd'hui? Je me le demande.

J'aime le principe de prudence de Margaret Somerville. Est-ce que nous exerçons ce principe en ce qui a trait à la cigarette et tout le reste que j'ai mentionné? Je me demande vraiment si nous allons pouvoir régler cette question. Cela va peut-être envenimer le débat, mais je pense qu'il fallait le dire aujourd'hui.

Mme Somerville: Voyez-vous, en ce qui a trait à l'alcool et à la cigarette si n se demandait qui décide, selon quels principes, dans quel but, et quelles sont les valeurs en jeu, on parle alors d'une liberté individuelle qui représente un coût pour la société, car nous devons tous payer le prix des soins de santé de la collectivité. Mais en l'occurrence, nous avons décidé que le respect de la liberté individuelle l'emporte sur nos autres préoccupations.

.1700

Ce que vous avez dit démontre que nous devons faire deux choses. Nous devons mettre en place une structure conceptuelle pour savoir ce à quoi nous devons nous attaquer. C'est comme une grande mosaïque et l'on connaît l'image que représente la mosaïque. Lorsqu'on se penche sur un problème, il s'agit d'une toute petite partie de cette mosaïque, non pas de tout le tableau, et dans son esprit, on doit faire les deux choses simultanément.

Il se peut donc bien que dans un cas donné on dise non, la liberté individuelle l'emporte, non seulement à cause de l'individu, mais parce qu'il est important pour la société de maintenir la valeur de la liberté individuelle. Dans un autre cas, par contre, on dira non, et le pendule va dans l'autre sens.

C'est ce que j'appelle vivre dans la zone «rose-violacée», car je trouve le gris ennuyant. C'est aussi la couleur de la dépression. Le rose-violacé c'est la couleur de l'imagination. On ne vit ni dans le pôle rouge, ni dans le pôle bleu, mais dans ce monde imaginatif, un peu entre les deux, où on a à la fois 'exaltation et l'expérience mais également la responsabilité de prendre des décisions difficiles.

Ce qu'on peut faire, c'est se donner un avantage dès le départ en comprenant les concepts sous-jacents et en établissant une structure qui aidera à prendre ces décisions.

On ne peut jamais être absolument sûr d'avoir pris moralement une bonne décision - ce n'est pas possible. On peut cependant être absolument certain d'avoir fait son possible pour prendre moralement la bonne décision. On ne peut être absolument certain que cela s'avérera être absolument la bonne décision.

M. Steckle: Vous avez certainement apporté de la couleur à notre comité. Je ne me rendais pas compte que toutes ces couleurs existaient. Habituellement, nous sommes plutôt dans les teintes de vert, mais il semble que nous nous en soyons éloignés.

Il y a cependant une question que je me pose toujours. Lorsque le gouvernement constate que nous avons commis une erreur, ou que nous avons commis une erreur de jugement sur le plan de la politique, à quel moment nous apercevons-nous qu'il est nécessaire de faire volte-face et d'aller dans l'autre direction?

Mme Somerville: D'après mon expérience dans le domaine des fautes professionnelles médicales, je dirais qu'il faut mettre les gens en garde à l'avance lorsque qu'on n'est pas certain. Il n'est pas facile pour les hommes et les femmes politiques de faire une telle chose, car ils considèrent que cela nuit à la viabilité politique. Nous savons que les gens deviennent très fâchés et hostiles lorsqu'ils ont l'impression qu'on a abusé de leur confiance, par exemple, qu'on leur a dit qu'une chose était sécuritaire alors qu'elle ne l'est pas.

Il faudra donc adopter une nouvelle attitude et dire que l'on n'est pas certain que ce soit absolument sécuritaire, mais que l'on a tout fait pour s'assurer que c'est la meilleure décision à prendre, que c'est ce qu'on va faire et que l'on tiendra les gens au courant au fur et a mesure.

Il y a un contraste intéressant entre ce que nous avons fait avec le VIH et ce que nous venons tout juste de faire avec la maladie de Creutzfeldt-Jacob, lorsque Santé Canada a décidé d'informer le public, au fur et à mesure, de ce qui se passait dans ce dossier.

Le président: Merci.

Paul Brassard, suivi de Daphne Jennings.

M. Brassard: J'aimerais tout simplement répondre à M. Steckle.

Je ne voudrais certainement pas qu'il ait l'impression que nous disons que la biotechnologie est une mauvaise chose et que nous devrions l'interdire. Ce que nous disons, c'est qu'il y a des limites.

Je suis d'accord avec M. Brunk, et je vais vous donner un exemple concret. De toute évidence, on a mis au point un canola extrêmement résistant au roundup. Le roundup tue tout ce qui est aux alentours, mais pas le canola. Il n'est pas nécessaire d'être un scientifique pour reconnaître qu'avec le temps, les mauvaises herbes vont elles aussi développer une résistance au roundup. Les avantages sont donc réels pour le moment, mais on peut se demander si sera le cas à long terme.

Le président: Merci.

Daphne Jennings, bienvenue à notre comité.

Mme Jennings: Tout d'abord, j'ai trouvé cela très intéressant. Il y a certainement beaucoup d'opinions différentes. Le langage joue un grand rôle dans tout cela, j'en conviens - qui nous sommes, d'où nous venons et quelle est notre expérience personnelle.

Il y a quelques petites choses qui me dérangent. Pour tous ceux d'entre vous qui ne me connaissent pas, je suis nouvelle au Comité de l'environnement, mais j'ai enseigné et travaillé avec des étudiants pendant 30 ans dans le domaine de l'environnement. J'ai trouvé récemment ce rapport des experts conseils environnementaux de KPMG. Il s'agit d'une étude où l'on compare l'expérience aux États-Unis avec celle du Canada. Dans ce rapport, on dit entre autres: «Par rapport aux États-Unis, le Canada dispose d'un régime de réglementation efficace des produits dérivés de la biotechnologie». Ma première question est la suivante: Selon quelles normes? Pourquoi dit-on une telle chose?

.1705

J'ai passé une bonne partie de ma vie dans les tribunaux. Même si je ne suis pas avocate, je me trouvais de l'autre côté. On ne se sent pas très à l'aise dans une telle position, de telle sorte que je me méfie de bien des choses que je lis.

On dit plus loin dans ce rapport: «Il (le Canada) a besoin d'une voix forte de l'industrie ou d'un milieu public favorable pour influencer la politique de réglementation et l'examen pertinent en faveur de la biotechnologie». Pourtant, à la page suivante, on dit: «La R-D en biotechnologie est largement répandue, qu'elle ait recours aux méthodes traditionnelles ou aux techniques de manipulation génétique des plus récentes. Elle est généralement bien acceptée du public...». C'est tout à fait contradictoire.

Je ne m'y connais pas beaucoup en biotechnologie, et je ne suis certainement pas contre la biotechnologie. Nous avons déjà de très bons fruits et légumes que j'aime bien manger et je n'aimerais pas les voir disparaître. J'ai décidé d'intervenir à cause de la question de la STBr qui est injectée aux vaches laitières. J'ai beaucoup lu sur la question pour être peut-être en mesure d'en arriver à un niveau qui me permettrait d'en discuter avec certains d'entre vous ici. Plus je lisais sur la question, moins je me sentais à l'aise. J'ai donc demandé à mes électeurs ce qu'il savaient de la STBr. D'après ce que je lis ici, le public est assez bien informé. Pourtant, 94 p. 100 de mes électeurs n'en avaient même jamais entendu parler. Pourquoi n'informons-nous pas le public de ce qui se passe?

Mes électeurs viennent d'un milieu universitaire très actif. Ce sont des bûcherons, des pêcheurs. Ils sont très instruits. Je leur ai donc présenté les deux côtés de la question, ce que j'ai toujours fait avec mes étudiants. Je ne sais rien de la question, alors j'essaie de leur présenter les deux côtés. Un pourcentage très élevé, soit 4,6 p. 100, ont répondu à mon sondage, et 94 p. 100 d'entre eux ont dit: «Nous ne voulons pas que vous injectiez ce produit à nos vaches». Bon nombre d'entre eux ne comprenaient pas pourquoi nous voulions injecter un produit à nos vaches laitières alors que nous jetons le lait au Canada. Je n'avais pas de réponse à leur donner. Qu'est-ce que j'aurais pu vraiment leur dire?

Madame Somerville, je me rallie à votre opinion sur un point. Vous avez parlé de confiance et de choses qui déconcertent les gens. Il va de soi que les gens sont déconcertés face à ce qu'ils ne comprennent pas.

J'estime que le travail de politique qui est le mien exige que je rende des comptes à la population et que je fasse preuve de responsabilité. Lorsque les gens m'abordent pour me confier leurs craintes, il faut que d'une façon ou d'une autre je réponde à cette crainte. Voilà pourquoi je vous consulte, vous qui êtes des experts aux prises avec ces questions quotidiennement. Je pense que vous avez raison. Il faut que cette confiance soit méritée. C'est la seule façon de procéder.

Les citoyens veulent avoir la certitude que cette confiance existe toujours, et on devrait pouvoir compter qu'elle sera là. Madame Somerville, la population peut-elle être partie au processus décisionnel concernant les principes de société sur lesquels nous nous entendrons? Je pense, comme vous, qu'elle devrait l'être.

Monsieur Fischer, il va de soi que cela ralentirait le processus que vous souhaitez accélérer. Nous savons tous que plus les intervenants sont nombreux, moins les choses vont vite.

À mon avis, il faut faire preuve de prudence car il n'est pas question des mêmes choses qu'il y a un siècle. C'est de gènes qu'il s'agit et de la possibilité de modifier ce qui existe à l'heure actuelle.

Je ne voudrais pas qu'on m'accuse d'être pessimiste. En fait, un grand nombre des percées technologiques sont fantastiques. Nous orientons-nous dans la bonne direction et, si tel est le cas, pourrait-on formuler cela en langage clair et expliquer à la population de quoi il retourne? Bien des citoyens ne seraient pas très à l'aise d'être assis autour de cette table maintenant. Ils ne pourraient sans doute pas comprendre grand-chose à nos propos et se sentiraient probablement exclus. Or, cela me dérange.

D'une part, je vous félicite d'avoir pris le temps de venir comparaître pour nous conseiller et, d'autre part, je sollicite votre aide car, à titre de politique, j'ai besoin de cette aide.

Merci.

Le président: Le document mentionné par Daphne Jennings est un document qui a été présenté et discuté la semaine dernière.

Jim Fischer, s'il vous plaît.

M. Fischer: Merci, monsieur le président.

Je vais digresser un petit peu et ensuite, je reviendrai à ce qu'a dit Mme Jennings.

.1710

Monsieur Knutson, tout à l'heure vous avez fait un excellent commentaire au sujet d'un scénario hypothétique. Je suppose que c'était pour contrer les propos de M. Kneen qui souhaitait faire obstacle à cette technologie au moyen du cadre réglementaire, quoique cela n'ait pas été dit explicitement.

Nous sommes ici autour de cette table pour discuter d'éthique, de telle sorte que ce n'est pas une question strictement personnelle, madame Somerville. Je n'ose imaginer les ramifications éthiques si nous devions être les seuls parmi les pays industrialisés du monde à ne pas permettre l'entrée de ces produits alimentaires, ou ce qui arriverait à nos agriculteurs si nous mettions autant d'obstacles que semble souhaiter M. Kneen.

Je pense que vous avez posé une très bonne question. Je m'inquiéterais beaucoup de cela en effet. Si nous devions être sensiblement à la remorque à un moment où, je le soupçonne, les consommateurs seront appelés à choisir entre un nombre croissant de produits, les conséquences seraient plutôt inquiétantes. Et je n'essaie pas d'être alarmiste.

J'aimerais revenir brièvement sur ce qu'a dit Mme Jennings. Qu'on ne s'y méprenne pas, je ne suis pas un champion de la biotechnologie, mais il y a certains aspects du génie génétique que je peux décider d'utiliser oui non. Je considère cela comme un outil, comme n'importe quelle autre nouvelle technologie, qu'il s'agisse de quelque chose de physique - c'est-à-dire une pièce d'équipement - ou d'une percée informatique. C'est peut-être difficile à comprendre, mais je pense que notre ferme laitière est unique par rapport à celle de mon voisin du bout du rang. Par conséquent, c'est à ma femme et à moi-même qu'il appartiendra de décider si nous allons ou non opter pour cette voie. Cela dit, je vous remercie de vos commentaires.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci. Clifford Lincoln, s'il vous plaît.

M. Lincoln: En entendant Mme Jennings, ma collègue de l'opposition, avec qui je n'ai guère eu l'occasion de m'entretenir jusqu'ici, j'ai été frappé de l'entendre exprimer dans une grande mesure mon sentiment profond au sujet de notre travail de parlementaire. Je partage l'avis de M. Brewster Kneen au sujet des groupes d'intérêt et du fait que le gouvernement est toujours là, ou censé être toujours là, pour représenter un vaste éventail de personnes, soit l'ensemble des citoyens. Quant au gouvernement, il est composé de personnes comme Mme Jennings, M. Caccia, moi-même et mes collèges ici présents.

Je sais que la biotechnologie est nécessaire. Je pense que c'est une évolution essentielle pour notre avenir et que nous ne pouvons lui tourner le dos. Mais entre la première option énoncée par Mme Somerville - embrasser cette technologie à toute vapeur - ou l'option de l'interdire totalement, deux extrêmes dont nous ne voulons pas, il reste les points trois et quatre qu'elle a préconisés: «allons de l'avant sous réserve de...» ainsi nous ajoutons de façon délibérée un critère de sécurité. Nous ajoutons le facteur éthique. Nous pouvons plus ou moins prendre le pouls de la société puisque nous en faisons partie.

Dans la vie de tous les jours, lorsque nous sommes appelés en tant que caucus à décider, par exemple, d'autoriser ou de ne pas autoriser la somatotrophine bovine recombinante, je pense que nous reflétons l'opinion d'un grand nombre de Canadiens. Cela nous met mal à l'aise. C'est quelque chose que nous craignons parce que nous n'en savons pas grand-chose et qu'il est difficile de se renseigner. Deux camps sont en présence - peut-être deux écoles de scientifiques - dont l'un dit que cette hormone est sans danger alors que l'autre affirme que nous devrions invoquer le principe de prudence car elle est très dangereuse. Les Américains affirment y avoir recours, et les Canadiens disent que si les Américains s'en servent nous devrions faire de même pour demeurer concurrentiels.

En fait, nous devons prendre une décision qui relève de l'éthique, une décision qui sera propre à chacun de nous sur un sujet sur lequel il est difficile de s'informer, peu importe que nous en discutions avec des experts car ils sont divisés entre eux.

.1715

Il est très difficile pour nous de prendre des décisions clairvoyantes et entièrement objectives. En disant cela, je crois refléter l'opinion d'un grand nombre de mes collègues avec qui j'ai discuté de la STB recombinante. Aujourd'hui, en venant de la Chambre, mon collègue M. Forseth et moi-même discutions de l'opportunité d'interdire ou non le MMT. Il estime qu'il n'y a pas de preuve concluante dans un sens ou dans l'autre. Notre parti est d'avis qu'au contraire, les preuves sont suffisantes. Adoptons donc le principe de précaution. Nous avons tous deux abordé la question de bonne foi, et pourtant, nous sommes arrivés à des positions tout à fait divergentes.

Le principe de prudence, qui est en fait un outil de prévention des maux à long terme de la société, doit s'appliquer. J'écoutais M. Schrecker lorsqu'il a mentionné que nous pouvions auparavant compter sur la Commission de réforme du droit, cet organisme objectif qui nous guidait et nous aidait à légiférer, mais que malheureusement il a été démantelé. Il y avait aussi le Conseil consultatif scientifique, qui lui aussi a été démantelé. Bon nombre de ces organismes étaient là pour nous guider de façon objective.

Permettez-moi d'explorer une idée. En l'occurrence, nous ne discutons pas de choses pratiques aisément accessibles au profanes comme nous... dans un domaine comme l'insémination artificielle, nous pouvons nous renseigner, nous pouvons absorber des connaissances. Mais en l'occurrence, nous parlons d'un domaine beaucoup plus problématique, du domaine de la mutation génétique et des espèces transgéniques. Et je serais le premier à admettre que je suis passablement perdu dans ce dossier. Je lis ce que je peux lire. J'essaye d'appréhender le sujet de la façon la plus intelligente possible compte tenu de mes antécédents, de mes moyens et du petit effectif dont je dispose. Au bout du compte, je reste aux prises avec de sérieux doutes lorsqu'il s'agit de trancher dans un sens ou dans l'autre.

Pensez-vous qu'il y a place pour nous? Et franchement, lorsque j'ai entendu Paul Steckle mentionner qu'il y avait énormément de désaccord entre nous, j'avoue que c'est le genre de désaccord qui me fait plaisir. Pour moi ce n'est pas vraiment un désaccord. C'est l'expression de points de vue différents qui... Parallèlement, si demain, un organisme comme celui qui est ici - oubliez-nous, les parlementaires - en arrivait à un consensus, cela me mettrait beaucoup plus à l'aise. En effet, ce consensus s'articulerait autour de personnes diverses comme M. Fischer, cet agriculteur qui en fait l'expérience quotidiennement, et des scientifiques, des éthiciens et des avocats, qui ont une perspective tout à fait objective de ce genre de choses. Il va de soi qu'ils peuvent avoir un parti pris, mais... En fait, si un tel organisme en arrivait à une décision après avoir étudié la BPS recombinante, cela influencerait certainement ma façon de voir les choses.

Compte tenu des questions que soulève la biotechnologie - question d'éthique - pensez-vous qu'il devrait exister un organisme consultatif quelconque qui pourrait faire objectivement des recommandations à des gens comme nous qui avons un besoin criant d'aide de ce genre? Je pense que Mme Jennings l'a réclamé et, personnellement, je serais certainement ravi de pouvoir compter sur un tel organisme.

Mme Somerville: Puis-je répondre, monsieur le président?

Le président: Oui, brièvement.

Mme Somerville: Oui, je pense qu'un tel organisme devrait exister. Vous serez intéressé d'apprendre que le président Clinton vient de nommer pour les États-Unis un comité consultatif national de la bioéthique qui sera présidé par le Dr Harold Shapiro, président de l'Université Princeton. Ce comité se réunira pour la première fois le mois prochain et on a demandé qu'un Canadien soit présent à cette rencontre.

Le président: Merci.

Brewster Kneen est le prochain et ensuite, le mot de la fin ira à Joyce Groote.

M. Kneen: Il y a deux questions d'éthique dont il n'a pas été question mais qui, d'une certaine façon, concrétisent les principes sociaux normatifs incontournables de notre époque.

.1720

Il y a deux semaines environ, j'ai reçu un communiqué de presse - je ne sais pas trop d'où - au sujet de l'organisme canadien responsable de l'inspection des aliments. Ce communiqué comportait une phrase qui amène le bref commentaire que je veux faire: «La protection du consommateur et la promotion des intérêts commerciaux du Canada seront les principaux objectifs de l'organisme.» J'avoue trouver cela problématique. Je ne sais pas comment on peut parler, dans un même souffle, de la protection du consommateur et de la promotion des intérêts commerciaux du Canada.

Ce que nous avons entendu ici - et qui a été énoncé très clairement - , c'est qu'il nous faut exporter nos produits agricoles et être compétitifs sur les marchés mondiaux. Ces deux énoncés soulèvent pour moi des problèmes éthiques sérieux car je vois mal comment le Canada a un droit absolu ou un droit moral d'exporter des produits agricoles. Il faut se demander quels pays importent nos produits et quels sont les effets de l'importation de nos aliments sur leur économie locale.

Je ne peux accepter que l'on dise que c'est notre droit. Les États-Unis affirment la même chose. Tout le monde convient qu'il est nécessaire d'exporter, alors que moi je dis: «Un instant. Qui est l'autre partie au marché et comment ces gens-là se tirent-ils d'affaire?» Cela est loin d'être limpide à mes yeux et il n'est pas non plus évident que ce soit là un principe moral auquel je peux adhérer. Je ne le peux pas.

Je crains, encore une fois, devoir prendre le contre-pied du courant général. La compétitivité n'est pas pour moi un principe éthique primordial. En fait, il est plutôt loin sur ma liste, pour peu qu'il y figure. La façon dont je traite mes voisins et dont je respecte autrui est beaucoup plus importante que la façon dont je leur fais concurrence car, à mon avis, le principe de la concurrence détruit le tissu social sur lequel repose notre survie.

Et ensuite, on se demande pourquoi il y a de la violence et pourquoi nous vivons dans une société troublée. Nous créons délibérément cet état de choses en parlant constamment de compétitivité. Je n'aime pas cela car c'est complètement contraire à l'éthique. Et nous devons examiner la biotechnologie dans ce contexte. Je ne pense pas qu'il soit justifié d'affirmer qu'il nous faut poursuivre cet objectif sans quoi nous ne serons pas compétitifs. À mon avis, ce n'est pas du tout un principe moral qui justifie d'embrasser la biotechnologie. Ce serait plutôt l'inverse.

Le président: Merci. Joyce Groote, s'il vous plaît.

Mme Groote: Merci beaucoup. Je dois dire que je vais papillonner quelque peu moi aussi. J'aimerais réagir à certains propos.

Je ne suis certainement pas experte en matière d'éthique, mais j'ai déjà participé à un certain nombre de discussions comme celles-ci. D'après mon expérience, l'une des grandes difficultés réside dans le fait qu'il nous faut non seulement définir la langue que nous parlons, mais aussi le niveau de langue que nous choisissons. À un moment donné nous parlons de biotechnologie et puis, tout de suite après, nous parlons de produits comme la STBr.

Vous avez tout à fait raison de dire que bien des gens ne comprennent pas du tout ce qu'est la biotechnologie. Par contre, si vous leur parlez d'ADN, ils font le rapport avec O.J. Simpson ou Bernardo. Si vous leur parlez de STBr, ils diront également qu'ils en ont entendu parler. Ils ont donc connaissance de certains produits, mais ils ne comprennent pas vraiment la technologie.

Nous avons, dans un premier temps, tenter d'expliquer la biotechnologie à un niveau général, et les gens ne s'y sont tout simplement pas intéressés. Ce qui les intéresse essentiellement c'est savoir comment tel ou tel produit va les toucher. Je crois que la discussion des questions morales va devoir se dérouler à peu près de la même façon.

Au niveau de l'éthique, nous avons tenté d'aborder certains domaines comme la thérapie génique, la propriété intellectuelle et l'agriculture. La discussion tournait en rond. Dans une autre circonstance, nous avons voulu ne parler que de biotechnologie. La discussion a duré deux ans et n'a toujours pas abouti. Dans une troisième démarche, nous nous sommes penchés sur la biotechnologie alimentaire. Nous avons convenu d'en étudier les composantes éthique, économique et sociale. Encore là, nous avons eu des difficultés. Nous n'avons vraiment commencer à aborder le sujet que lorsque nous traitions de produits bien précis, et ce serait peut-être là une bonne façon de faire avancer le débat.

Il s'agit d'un débat important, selon moi. Il nous faut définir certains principes dont s'inspirent les normes sociétales. Mais nous devons également, comme agents économiques, comprendre à fond quelles sont les implications de nos décisions.

En tentant de répertorier l'ensemble des questions qui pouvaient concerner l'aspect moral de la biotechnologie, nous avons aussi appris que la liste de ces questions devenait bien courte si l'on ne retenait que celles qui étaient spécifiques à la biotechnologie. Il me semble donc que, dans cette démarche, la biotechnologie est une sorte de catalyseur qui nous oblige à nous interroger sérieusement sur des sujets essentiels qui sont peut-être ceux sur lesquels il nous faut maintenant nous pencher.

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Par ailleurs, je voudrais également réagir à la discussion entre M. Knutson et M. Kneen. Nous sommes devant l'inévitable en quelque sorte: les produits biotechnologiques sont là. À l'heure actuelle, 24 produits sont disponibles sur le marché. Il y en a encore bien plus aux États-Unis et si nous n'exportons pas ces produits, nous allons certainement les importer. Nous sommes en mesure d'en tirer partie, ou de ne pas le faire. En termes très pragmatiques, si nous consommons ces produits - prenons par exemple les produits alimentaires - devons-nous les avoir mis au point chez nous, ou devons-nous les importer d'ailleurs?

Comme dernier élément, j'estime qu'il faut continuer à réfléchir à la biotechnologie. Nous nous obstinons à y voir une fin en soi. Pourtant il ne s'agit que d'une très petite composante d'un ensemble beaucoup plus vaste. Il s'agit d'un instrument, d'une démarche. La technologie n'est en elle-même ni bonne ni mauvaise. Nous pouvons par contre nous pencher sur certaines applications particulières de la technologie et décider si telle ou telle application, tel ou tel produit, est bon ou mauvais.

Ainsi, il serait peut-être utile, pour faire avancer la discussion, d'étudier, à un moment donné, certains produits ou applications précises. À ce niveau, nous sommes tous en mesure de saisir bien concrètement les enjeux.

Merci.

Le président: Merci.

[Français]

Monsieur Asselin, à vous la parole.

M. Asselin: D'abord, je pense que le problème posé par la biotechnologie est relié à un manque de producteurs. On se rappelle qu'il y a quelques années, nous avions tous notre petit jardin et produisions nos propres légumes; on se procurait la viande chez nos oncles ou chez notre grand-père. Maintenant, on s'aperçoit qu'il y a de moins en moins de producteurs agricoles.

Par ailleurs, il y a de plus en plus de consommateurs. Il y a de moins en moins de producteurs et de plus en plus de consommateurs dans un monde capitaliste, dans un monde de production et de quotas. C'est donc dire que le cultivateur essaie de faire produire de plus en plus de lait par un troupeau de vaches de moins en moins nombreux. On s'arrange pour qu'une vache produise le double de lait et, pour rester dans les limites du quota, on se départit de la moitié de ses vaches.

Il en va de même pour les légumes; on essaie de produire de plus en plus de légumes sur de moins en moins de terres. C'est beaucoup plus rentable. Tout cela, encore une fois, est lié à un problème de quotas dans un système capitaliste. Les viandes? Je me rappelle que dans le temps de mon grand-père, monsieur le président, les animaux étaient élevés à l'herbe durant l'été et l'hiver, au foin et au grain, des produits naturels.

Aujourd'hui, grâce au procédé de l'insémination artificielle et aux hormones, on essaie d'obtenir deux veaux par vache à chaque année, sinon la vache n'est pas rentable. Vous savez qu'aujourd'hui, un poulet, de l'éclosion à la maturité, peut être produit en 37 jours. Après 37 jours, le poulet est prêt pour la distribution et la consommation.

On sait que la croissance de ces poulets est forcée par la consommation d'hormones. De plus, souvent on redonne au poulet le lendemain ce qui est sorti par derrière la veille. Le poulet, vivant exclusivement en cage, grossit sans avoir le temps de digérer ce qu'il a consommé la veille. On lui redonne ses excréments de la veille.

Autrefois, on se contentait d'un oeuf à deux jaunes. Aujourd'hui, on essaie de faire pondre par la poule deux oeufs par jour. C'est beaucoup plus rentable.

On a dit aussi plus tôt qu'on craignait de créer un monstre avec la biotechnologie. Je pense que le monstre existe déjà. Il existe actuellement, et c'est le cancer. Aujourd'hui, de plus en plus de consommateurs ont le cancer de la peau, du foie, des intestins ou les reins, qui sont des organes vitaux. Tout cela, monsieur le président, est lié au domaine chimique et à la consommation des produits de la biotechnologie. Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Asselin.

[Traduction]

Y a-t-il d'autres commentaires? Dans le cas contraire, il me semble que Clifford Lincoln a très bien résumé l'état de la réunion, cet après-midi, au moment de son intervention.

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Pour ma part, je retiendrai de cette rencontre certaines observations qui ont été faites au cours de nos travaux, et notamment celle selon laquelle la technologie influe sur l'éthique. Voilà un aspect que nous devons analyser plus à fond. Également, a-t-on dit, la technologie est complexe et elle comporte des avantages évidents, tout comme des risques encore inconnus. Voilà une autre observation à la fois utile et fondamentale.

La quatrième option que nous propose Margaret Somerville à certainement un grand attrait pour ce qui est de la protection de l'intérêt public. Elle propose de n'accepter la biotechnologie que si elle est raisonnablement sure et acceptable sur le plan moral. Je suppose que bon nombre des électeurs de Daphne Jennings seraient d'accord. J'ose le supposer sans même connaître une seule personne de sa circonscription, et je m'en excuse.

La proposition de Clifford relative à un conseil consultatif me semble tout à fait opportune. Tout au moins, une chose est claire. La vitesse du progrès technologique par rapport à la capacité de l'humanité de s'y adapter fait penser à la course entre le lièvre et la tortue. Nous prenons de plus en plus de retard et nous avons beaucoup de difficultés à définir les mesures qui nous permettront de rattraper les percées technologiques.

L'écart se creuse. Prenons, par exemple, la commission royale sur les nouvelles technologies de reproduction, qui a publié son rapport il y a un peu plus de trois ans, je crois. Le ministère de la Santé vient tout juste de répondre au rapport, il y a six mois, et nous n'avons pas encore de mesures législatives. Pourtant, les technologies de reproduction font des bonds en avant à une vitesse fulgurante et nous laisse tous loin derrière.

Nous nous situons dans le contexte de ce vaste débat. Aujourd'hui, nous avons fait un petit pas en avant, mais au moins c'est déjà ça.

Je vais terminer avec une observation que vous saurez juger à sa juste valeur. Nous pourrions peut-être nous inspirer des pensées et réflexions en matière d'éthique des grands philosophes à travers les siècles. En effet, il se peut que nous soyons bien guidés encore aujourd'hui par ce qu'ils ont dit et par ce que nous avons appris de leurs enseignements à l'école. Peut-être serait-il opportun de tenir une autre séance, à laquelle ne participeraient que des philosophes. Il serait peut-être intéressant de savoir où cela nous mènerait.

Je vous vois sourire. Puis-je vous proposer de formuler un commentaire final, après quoi nous terminerons, monsieur Brunk.

M. Brunk: Ce serait vraisemblablement désastreux.

Le président: Cela dit, la tâche revient très clairement aux législateurs, aux parlementaires. Ils n'ont pas été obligés de se porter candidats. S'ils sont ici, c'est parce qu'ils croyaient avoir des solutions. Nous avons donc intérêt à montrer que nous en avons. N'est-ce pas?

Merci beaucoup. La séance est levée.

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