[Enregistrement électronique]
Le jeudi 21 novembre 1996
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Nous souhaitons la bienvenue aux représentantes du Sierra Club, de la Coalition canadienne sur les espèces menacées et de la Coalition canadienne pour la biodiversité.
Veuillez présenter votre groupe et commencer votre exposé.
Mme Catherine Austen (coordonnatrice de la campagne, Coalition canadienne sur les espèces menacées): Je m'appelle Catherine Austen. Je suis coordonnatrice de la campagne pour la Coalition canadienne sur les espèces menacées et je suis accompagnée d'Elizabeth May, directrice administrative du Sierra Club du Canada, et de Cendrine Huemer, coordonnatrice de la Coalition canadienne pour la biodiversité.
La plupart d'entre vous connaissent la Coalition sur les espèces menacées mais, pour mémoire, elle a été formée il y a un peu plus de deux ans par six des groupes environnementaux les plus influents au Canada: la Fédération canadienne de la nature, la Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada, le Sierra Club du Canada, le Sierra Legal Defence Fund, l'Union québécoise pour la conservation de la nature et le Fonds mondial pour la nature Canada. Ces six groupes membres et bon nombre des autres groupes qui nous appuient viendront témoigner en personne devant votre comité.
Pour commencer, nous apprécions le dépôt d'un projet de loi fédéral pour la protection des espèces menacées. Nous respectons le travail du ministère et assurément du ministre et de son personnel qui ont fait avancer le dossier au point que nous devons faire connaître nos réactions face à un projet de loi. Toutefois, la coalition a plusieurs graves inquiétudes à propos du projet de loi, surtout parce que certaines dispositions sont trop discrétionnaires pour garantir l'efficacité de la loi. J'espère que votre comité permanent pourra dissiper nos inquiétudes.
Je vais commencer par les bonnes dispositions contenues dans le projet de loi C-65. Les articles concernant la désignation d'espèces par le COSEPAC sont généralement très bons, surtout le contenu du rapport de situation, y compris l'identification de l'habitat essentiel et les menaces qui pèsent sur les espèces. Ils sont excellents. Au début, au stade de la confection de la liste, cela permet à un comité d'experts impartiaux de dresser un profil de chaque espèce et des besoins à satisfaire pour assurer sa survie. Ces rapports constitueront une assise solide pour les plans de rétablissement aux stades ultérieurs.
Les interdictions automatiques quant aux activités qui pourraient nuire directement aux individus et à leurs résidences, avec des amendes sévères pour les infractions, sont généralement bonnes, même si j'aurais deux ou trois commentaires à émettre à leur sujet.
Le fait d'exiger rapidement des plans de rétablissement et des plans de gestion pour les espèces vulnérables est également très bon. Ces critères nous plaisent énormément.
Le but du projet de loi est exemplaire, car il vise à empêcher l'extinction et à prévoir le rétablissement des espèces disparues du pays, en voie de disparition et menacées. Malheureusement, la coalition estime que beaucoup de dispositions du projet de loi laissent trop de place au hasard pour atteindre ces objectifs. Je vais passer rapidement en revue ces dispositions qui comportent des faiblesses en matière de pouvoirs discrétionnaires.
Tout d'abord, le projet de loi a une application limitée. Je suis en fait fiévreuse aujourd'hui, mais j'ai apporté mon aspirine pour faire une remarque sur les utilisations des espèces sauvages. L'aspirine est tirée du saule blanc, une espèce sauvage. Plus de 50 p. 100 des médicaments délivrés sur ordonnance en Amérique du Nord sont tirés d'espèces sauvages, surtout végétales. Les découvertes futures présentent un potentiel énorme. Seulement 5 p. 100 des espèces végétales ont fait l'objet de recherches sur leur valeur médicinale.
Je ne pense pas que quiconque d'entre vous puisse contester le fait que les espèces sauvages sont importantes et que la conservation de la biodiversité est cruciale. Cette astuce visait simplement à vous faire remarquer que c'est capital et que l'application du projet de loi est trop limitée. Moins de 25 p. 100 des plantes canadiennes en péril seraient protégées par ce projet de loi. Les végétaux ne sont pas protégés par les dispositions transfrontalières. Les végétaux ne se déplacent pas, alors ils n'ont pas autant de chances de se retrouver sur les territoires domaniaux.
La coalition est donc un peu déçue de la portée limitée du projet de loi. Nous estimons qu'il devrait s'appliquer aux espèces aquatiques et à leurs habitats, tel que mentionné dans le projet de loi, aux oiseaux visés par la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs et à leurs habitats, pratiquement dans les termes du projet de loi, aux espèces et à leurs habitats qui se trouvent sur les territoires domaniaux, comme dans le projet de loi, mais également, dans une province qui n'a pas de loi équivalente, aux espèces qui franchissent les frontières internationales ou interprovinciales et à leurs habitats.
La coalition respecte l'accord national pour la protection des espèces en péril au Canada, mais seulement quatre provinces disposent actuellement de textes législatifs sur les espèces en voie de disparition, et seulement six ont signé l'accord national. Il faudra peut-être jusqu'à dix ans à une province pour faire adopter une loi complémentaire et les espèces qui sont en voie de disparition sont menacées d'extinction. Nous n'avons pas le temps d'attendre. Nous estimons que lorsqu'une province n'a pas de législation équivalente, le gouvernement fédéral devrait réglementer les espèces qui traversent toute frontière politique.
L'Association du barreau canadien a admis que le gouvernement fédéral a la compétence sur toutes les espèces qui traversent les frontières. Nous avons une lettre à cet effet et nous pourrions vous en transmettre une copie si cela vous intéresse.
En outre, le groupe de travail a recommandé que le gouvernement fédéral puisse prendre des mesures réglementaires et établir des critères en vue d'amorcer des plans de rétablissement pour les espèces qui traversent la frontière internationale. Je ne sais pas pourquoi cette disposition a surpris des personnes qui ont participé au groupe de travail.
Dans son rapport, le groupe de travail précise que la loi devrait exiger du ministre qu'il amorce et coordonne les plans de rétablissement et de gestion des espèces internationales, et qu'il y participe. Quant aux espèces qui franchissent les frontières du Canada, le ministre pourrait établir, par règlement, les mesures nécessaires pour s'assurer que les décisions prises au Canada n'aient pas une incidence négative sur une espèce canadienne menacée ou en voie de disparition partagée avec un autre pays. Il s'agit donc d'une recommandation du groupe de travail permettant au gouvernement fédéral de prendre des mesures réglementaires dans le cadre de ce projet de loi.
Pour atteindre de façon efficace les objectifs du projet de loi concernant les oiseaux migrateurs, il suffit d'apporter une modification simple au libellé de l'alinéa 3(1)b). Il stipule dans sa forme actuelle que le projet de loi s'applique aux espèces d'oiseaux migrateurs et à leur habitat qui sont protégés par la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs. En opérant une légère modification qui se lit «aux espèces d'oiseaux migrateurs qui sont protégées par la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs et à leur habitat», nous nous assurerions que leurs habitats seront protégés en vertu de ce projet de loi.
La question du niveau de protection de l'habitat, garanti par la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs elle-même, reste ouverte. Elle s'applique aux nids et prévoit certaines dispositions pour les régions importantes utilisées par les oiseaux migrateurs. Toutefois, le gouvernement fédéral possède nettement le pouvoir constitutionnel de réglementer les oiseaux migrateurs et la Constitution lui confère le pouvoir de faire le nécessaire pour garantir les résultats. Il faut donc apporter cette modification à l'application du projet de loi aux oiseaux migrateurs.
Pour que le projet de loi s'applique aux espèces qui franchissent les frontières, les changements nécessaires sont plus compliqués. Dans le mémoire, nous offrons deux options. L'une consiste à élargir l'application directe de la loi dans l'article 3 pour y inclure les espèces qui traversent ou chevauchent les frontières internationales ou interprovinciales, et ensuite à limiter l'application de la disposition concernant les espèces qui traversent les frontières afin qu'elle n'opère pas dans le cas des provinces qui disposent déjà de mesures législatives pour protéger ces espèces.
Une deuxième option consiste à modifier l'article 33, qui traite des interdictions concernant les espèces transfrontalières. La modification exigerait que cet article ne s'applique pas uniquement aux espèces animales, mais également aux espèces végétales. Actuellement, il ne s'applique qu'aux espèces animales. Il faudrait que cette disposition soit élargie aux frontières interprovinciales et aussi internationales et instaurer une sorte de seuil de déclenchement du rétablissement. À l'heure actuelle, rien n'oblige ni n'autorise le gouvernement fédéral à amorcer des plans de rétablissement pour ces espèces.
Il importe également de noter que les textes législatifs provinciaux en vigueur ne comportent pas beaucoup de mesures de rétablissement. Le Comité de rétablissement des espèces canadiennes en péril (RESCAPÉ), organe bénévole, s'occupe du rétablissement des espèces et les lois provinciales n'exigent aucun rétablissement, si bien qu'il est indispensable que le gouvernement fédéral joue un rôle non seulement dans la protection de ces espèces qui traversent les frontières mais aussi dans leur rétablissement.
Que l'application du projet de loi soit modifiée ou non pour y inclure toutes les espèces qui traversent les frontières, un autre changement s'impose à l'article 3. À l'heure actuelle, la portée limitée du projet de loi dans les provinces n'est pas simplement une limitation des interdictions et des règlements qui peuvent être rédigés dans le cadre des plans de rétablissement et des arrêtés d'urgence, mais c'est aussi une application limitée de l'article 30, qui concerne l'inscription des espèces en péril.
Je ne comprends pas vraiment pourquoi l'article 30 est limité dans son application. Cela laisse à penser que la liste n'englobera que les poissons, les oiseaux migrateurs protégés par la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs (LCOM) et les espèces se trouvant sur les territoires domaniaux, et que les espèces en péril à l'échelle nationale au Canada, mais qui ne se trouvent pas sur les territoires domaniaux et ne sont pas des espèces aquatiques ou d'oiseaux migrateurs, ne seront même pas inscrites sur la liste nationale des espèces fauniques en péril.
Je suggère fortement d'éliminer cela. Que vous vouliez limiter les interdictions et les règlements, c'est une chose, mais vous ne devriez pas restreindre l'inscription de ces espèces sur la liste. L'une des principales raisons, c'est que cette liste sera un outil pédagogique et que les efforts que pourraient déployer les groupes locaux de conservation, les guides, les propriétaires fonciers et bien d'autres pour protéger ces espèces ne se feront pas si les espèces ne sont même pas inscrites sur la liste. Il faudrait donc y inscrire toutes les espèces en voie de disparition à l'échelle nationale au Canada.
Essentiellement, il faut élargir la portée du projet de loi pour protéger efficacement les espèces sauvages en voie de disparition à l'échelle nationale au Canada. À l'heure actuelle, moins du quart des espèces végétales en péril du Canada se trouvent sur des territoires domaniaux, et moins de la moitié des espèces animales en danger du Canada ont des populations importantes sur des territoires domaniaux pendant leur cycle vital. Le projet de loi ne peut donc pas atteindre efficacement ses objectifs visant à protéger et à rétablir les espèces en péril, à moins d'en élargir la portée.
Même lorsque le projet de loi s'applique, il comporte de grosses lacunes. Je vais passer brièvement en revue le processus énoncé dans le projet de loi depuis la désignation jusqu'au rétablissement.
Tout d'abord, une espèce est désignée par le COSEPAC. Les dispositions pertinentes sont généralement bonnes, même si nous aimerions avoir quelques détails supplémentaires sur le processus décisionnel du COSEPAC pour savoir s'il prend ses décisions à la majorité ou par consensus, etc.
Après la désignation, vient l'inscription sur la liste. Ce point a été soulevé hier et reviendra sans cesse sur la table, à savoir que le pouvoir discrétionnaire des politiciens dans le processus d'inscription sur la liste n'est pas acceptable. L'identification des espèces en péril est une question de biologie de la conservation qui devrait être laissée aux experts membres du COSEPAC. Il s'agit de déterminer le problème. L'identification des solutions devrait assurément impliquer des considérations politiques et les autres intervenants, mais la détermination du problème lui-même devrait être laissée à la compétence des personnes nommées au sein du COSEPAC.
Par conséquent, il faudrait modifier l'article 30(1) pour stipuler que le ministre doit, par règlement, établir et modifier la Liste des espèces en péril, incluant toutes les désignations et classifications d'espèces sauvages effectuées par le COSEPAC. Si cela s'avère politiquement impossible pour des raisons de responsabilité, alors il faudrait modifier l'article pour que le règlement, la liste, comporte toutes les désignations et les classifications du COSEPAC. En outre, l'article devrait être modifié afin que, lorsqu'une désignation ou une classification du COSEPAC n'est pas incluse par le ministre sur la Liste des espèces en péril, ce dernier soit tenu de fournir un motif raisonnable de la divergence et que la décision soit ouverte à un examen public.
La plupart des parties s'inquiètent du fait que la liste ne tiendra pas suffisamment compte de la science. Il faudrait une option pour justifier les divergences et pour ne pas tenir compte de l'avis du COSEPAC, et cette mesure devrait être ouverte à un examen public. J'aimerais faire remarquer ici que les arrêtés d'urgence devraient suivre le même processus. Lorsque le COSEPAC procède à une désignation ou à une reclassification d'urgence, si le ministre n'émet pas un arrêté d'urgence fondé sur cette mesure, sa décision devrait faire l'objet d'une justification et donner lieu à un examen public.
En l'absence de telles modifications, le projet de loi pourrait fort bien comporter une liste d'espèces en péril n'incluant aucune espèce au Canada. Il est peu vraisemblable que cela arrive. Cela m'étonnerait que quelqu'un puisse le croire, mais cela ne devrait pas être possible.
Les interdictions sont généralement bonnes mais soulèvent quelques inquiétudes. Elles devraient également s'appliquer aux espèces disparues du pays, en plus des espèces en voie de disparition et menacées. Les efforts de rétablissement sont déployés avant qu'une espèce soit reclassifiée. Par exemple, 790 renards véloces ont été relâchés au Canada, même si l'espèce est toujours considérée comme disparue du pays. Pour s'assurer que les efforts de rétablissement ne soient pas vains, les interdictions devraient également s'étendre aux espèces disparues du pays. Je ne vois pas pourquoi une telle mesure pourrait être contestée.
En outre, il devrait être interdit de perturber les résidences, en plus de les endommager ou de les détruire. De nombreuses espèces ne tolèrent pas d'être perturbées et abandonneront leurs petits en cas de perturbation par l'homme. On peut couper la branche d'un arbre où se trouve un nid et la déplacer sans endommager ni détruire le nid, mais c'est la perturbation qui provoquera des résultats nuisibles voire fatals pour l'espèce qui utilise le nid.
À propos des restrictions concernant la résidence, il faudrait redéfinir le terme «résidence» pour tenir compte de la diversité biologique des espèces. Ce ne sont pas toutes les espèces qui construisent ou utilisent des structures pour avoir des petits et les élever. De nombreuses espèces retournent au même endroit pour se reproduire. Elles ont des aires de reproduction précises mais aucune structure physique pour les marquer. On peut citer comme exemple les terrains de mise bas et les frayères. Le projet de loi ne semble pas vouloir protéger automatiquement tous ces endroits dans lesquels des espèces habitent ou résident vraiment. Il faudrait inclure les zones d'alimentation, les aires de repos, les voies migratoires et les autres endroits du genre, mais le projet de loi semble vouloir protéger automatiquement les sites précis utilisés par les individus pour avoir leurs petits et les élever, à savoir les terriers et les nids. En élargissant la définition du terme résidence qui se lirait «aire spécifique, tel un terrier, un nid, une aire de reproduction ou tout autre endroit semblable habituellement occupé», nous pourrons offrir une protection plus égale à toutes les espèces en péril. Il s'agit de tenir compte de la biodiversité, des différents comportements.
On pourrait se demander si une telle définition élargie pourrait être appliquée, étant donné qu'un nid ressemble toujours à un nid avec ou sans oiseau, tandis qu'un endroit dans le sable où l'oiseau dépose ses oeufs sans construire de structure physique ne ressemble pas à un nid. Mais je ne suis pas d'accord pour dire que cela exigerait que le public soit mieux informé que dans le cas de l'application des interdictions touchant la résidence, telle que définie dans le projet de loi, car je ne pense pas que le Canadien moyen pourrait identifier de lui-même le nid d'une espèce en voie de disparition. Je ne sais pas à quoi ressemble le nid d'une paruline orangée. J'aurais besoin d'aide pour le savoir et je ne pense pas qu'il faudrait plus d'aide pour montrer où une espèce se reproduit sans fabriquer un nid. J'estime qu'il faudrait élargir la définition de résidence.
Au chapitre des interdictions, je tiens également à mentionner que les exceptions générales en vertu de l'article 36 sont trop vastes. Elles n'exigent pas de registre public et il n'est pas nécessaire d'envisager des mesures de rechange ou des mesures d'atténuation. Il s'agit d'exceptions pour des activités se rapportant à la sécurité nationale ou du public et à la santé. Ces exceptions générales ne devraient exister que pour les cas d'urgence et les situations non urgentes devraient passer par le processus normal de délivrance d'un permis, prévu à l'article 46. Il n'y a aucune raison d'accorder une exception générale aux situations non urgentes.
Moyennant ces quelques modifications, les interdictions protégeant les individus et leurs résidences seront convenables. Malheureusement, elles sont insuffisantes pour protéger efficacement les espèces. Comme bon nombre d'entre vous le savent, c'est l'habitat qu'il faut protéger. Le projet de loi a besoin d'une sorte de troisième interdiction contre l'endommagement ou la destruction de l'habitat essentiel des espèces disparues du pays, en voie de disparition ou menacées, et une telle interdiction pourrait entrer en vigueur soit au stade de l'inscription sur la liste, soit au stade du rétablissement.
Ceci m'amène à l'étape suivante, les plans de rétablissement. La synchronisation des plans de rétablissement et des plans de gestion est très bonne dans le projet de loi C-65. En règle générale, le contenu des plans est acceptable. Leur principale lacune provient de leur mise en oeuvre qui n'est jamais exigée. On exige des exposés de mise en oeuvre, on exige les plans eux-mêmes, mais on n'exige aucune mesure pour assurer le suivi de ces plans de rétablissement.
L'article 42, qui permet au ministre de prendre des règlements à la suite des plans de rétablissement, devrait exiger qu'il le fasse. C'est une modification capitale car, en vertu du libellé actuel du projet de loi, c'est le seul article dans lequel la protection de l'habitat peut être offerte autrement que dans des situations d'urgence. C'est au stade du rétablissement que la protection de l'habitat est offerte, et cette protection est capitale pour la survie et le rétablissement des espèces en péril. Il est donc impératif d'atteindre les objectifs contenus dans le projet de loi.
Vous avez beaucoup entendu parler de la protection de l'habitat et vous en entendrez encore parler par d'autres groupes membres de la coalition. Je serai donc brève.
Il faut protéger l'habitat pour plusieurs raisons. Premièrement, la protection est nécessaire pour sauver les espèces figurant sur la liste elle-même et pour atteindre les objectifs contenus dans le projet de loi. Parmi les espèces canadiennes en péril, 80 p. 100 le sont en raison de menaces à leur habitat, de la perte de leur habitat. Les autres raisons sont la pollution et la surexploitation, mais la perte de l'habitat constitue le facteur limitatif le plus important sur les espèces en péril. Pour atteindre les buts contenus dans la loi, il faut donc assurer la protection de l'habitat.
Deuxièmement, la protection de l'habitat est nécessaire pour conserver un habitat sain qui peut servir à empêcher d'autres espèces de devenir des espèces en voie de disparition. Si vous examinez la liste des espèces en péril, il y a des points chauds. Les prairies comptent plusieurs espèces en péril dans une région concentrée. En Ontario, le Canada carolinien a plusieurs espèces en péril. En règle générale, lorsqu'il y a une perte d'habitat, plusieurs espèces qui en dépendent en souffrent. Par conséquent, lorsque vous protégez l'habitat d'une espèce, vous permettez à l'écosystème de supporter d'autres espèces en péril.
Il convient de faire remarquer ici que le COSEPAC ne classe pas toutes les classifications taxonomiques des espèces. Les espèces apparemment insignifiantes, comme les vers et les abeilles, les petites choses que nous avons généralement tendance à juger insignifiantes mais qui effectuent en réalité la plus grosse part du travail sur la planète pour ce qui est de maintenir en vie d'autres espèces et nous-mêmes, ne sont pas prises en considération par le COSEPAC. Par conséquent, la seule façon de garantir leur protection consiste à élargir le filet de protection pour les espèces clés qui figurent sur la liste, de façon à y inclure l'habitat, et ensuite nous pourrons protéger l'ensemble de l'écosystème, toutes ces petites créatures qui ne sont pas inscrites sur la liste.
Troisièmement, il faut mettre en oeuvre les plans de rétablissement pour garantir un certain rendement sur l'investissement des contribuables. Dans son libellé actuel, le projet de loi C-65 pourrait largement aboutir à la rédaction de rapports sans que des mesures soient prises en dehors des interdictions. Si on veut que le projet de loi soit efficace sur le terrain, il faut donc mettre en oeuvre les plans de rétablissement.
Je tiens à faire remarquer que si les plans de rétablissement doivent être mis en oeuvre, ou même si cette mesure est laissée à la discrétion des politiciens, les clauses de consultation contenues à l'article 39, à savoir une consultation avec les parties touchées, les peuples autochtones dont les revendications territoriales touchent les espèces fauniques, ou les propriétaires fonciers privés, devront vraisemblablement être renforcées pour garantir une contribution plus efficace de ces participants au plan de rétablissement.
Comme nous l'avons écrit dans notre mémoire, vous pourriez rédiger un plan de rétablissement et ensuite aller parler à ces gens et les en informer. Il s'agirait d'une consultation avec les propriétaires fonciers ou les autochtones touchés. Cela ne se traduirait pas par de bonnes mesures sur le terrain. Ces gens doivent participer au processus de planification du rétablissement depuis le début, surtout si l'on exige la mise en oeuvre des plans de rétablissement.
Un sondage Angus Reid effectué en 1995 a révélé non seulement que 94 p. 100 des Canadiens et des Canadiennes appuient les mesures législatives fédérales concernant les espèces en voie de disparition, mais également que 89 p. 100 des habitants des régions rurales seraient disposés à laisser au moins une partie de leurs terres dans leur état naturel pour assurer la protection d'une espèce végétale ou animale en voie de disparition qu'elles abritent. Ces réponses ne tenaient pas compte d'une éventuelle compensation financière. Pour conserver ce fort pourcentage de participation, la planification du rétablissement doit réunir dès le départ les personnes qui sont touchées - les autochtones et les propriétaires fonciers privés sur les terres desquels se trouvent les espèces.
C'était là une des principales recommandations formulées par les participants aux consultations de juin 1996 portant sur la législation fédérale, et elle a été acceptée tant par les propriétaires fonciers que par les groupes de conservation. C'est important pour le rétablissement sur le terrain.
Pour revenir à un point soulevé hier par Stewart Elgie, du Sierra Legal Defence Fund, les dispositions contenues dans ce projet de loi à propos de la révision préalable sont insuffisantes. Ce dernier stipule en gros que les projets qui exigent déjà une évaluation environnementale en vertu de la LCEE la subiront et que ces évaluations engloberont les incidences possibles sur les espèces en voie de disparition ou menacées. C'est insuffisant. D'une certaine façon, il faut modifier le projet de loi et la LCEE pour préciser que tous les projets susceptibles de toucher une espèce inscrite sur la liste ou son habitat essentiel doivent subir une évaluation environnementale et être assujettis aux mesures visant à amoindrir et à contrôler les effets préjudiciables qui sont énoncés à l'article 49 du projet de loi C-65. Ceci est important pour adopter une démarche préventive.
Le président: Merci beaucoup.
Je demanderai aux deux autres témoins de respecter le temps qui leur est imparti.
Mme Cendrine Huemer (coordonnatrice, Coalition canadienne pour la biodiversité): Je suis la coordonnatrice de la Coalition canadienne pour la biodiversité, qui est composée de neuf organismes non gouvernementaux du Canada: l'Association for Biodiversity Conservation; le Canadian Biodiversity Institute; la Fédération canadienne de la nature; le Falls Brook Centre, au Nouveau-Brunswick; Le Rêve, au Québec; l'Écho de l'océan; Rare Breeds Canada; le Sierra Club du Canada; et la West Coast Environmental Law Association.
La représentation de tous ces groupes traduit le fait que la biodiversité couvre vraiment tout et que les espèces en voie de disparition ne sont qu'un indice de la perte de notre biodiversité.
Vous avez déjà entendu plusieurs exposés et je préférerais vraiment insister sur deux points. Je serai brève. Le premier touche les espèces visées et le deuxième concerne le statut du COSEPAC. Je tiens à ajouter que nous sommes heureuses de constater que le projet de loi a enfin été déposé. C'est un pas important pour la protection des espèces fauniques au Canada.
La Convention sur la diversité biologique, que le Canada a fièrement signée en 1992, souligne clairement à l'alinéa 8(k) la nécessité de protéger les espèces en voie de disparition et menacées, en ces termes:
- Chaque partie doit, dans la mesure du possible et selon les besoins, élaborer ou conserver les
mesures législatives nécessaires ou d'autres dispositions réglementaires pour assurer la
protection des populations et des espèces menacées.
L'Association du barreau canadien a conclu dans son étude que le gouvernement fédéral est investi du pouvoir de protéger toutes les espèces.
Permettez-moi de vous donner quelques chiffres tirés de Canada's Biodiversity, ouvrage publié en 1995. C'est la «Canada Country Study on Biodiversity».
Exclusion faite des organismes unicellulaires, il existe au Canada environ 53 000 espèces enregistrées, et probablement autant qui ne sont pas enregistrées. Le COSEPAC vise uniquement les vertébrés - c'est-à-dire les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les poissons et les amphibiens. Il vise les plantes vasculaires et, depuis peu, a vu son mandat élargi pour englober les mollusques, les papillons et les papillons de nuit.
Cela représente au total quelque 8 000 espèces, soit 15 p. 100 de toutes les espèces au Canada. Le COSEPAC n'en a analysé jusqu'à présent qu'une portion et n'en a inscrit que 276, et le projet de loi n'en vise qu'environ la moitié.
Une autre préoccupation provient en réalité d'un de nos membres, Rare Breeds Canada, qui s'inquiète de la perte de races domestiques rares, de constater que le projet de loi ne s'applique pas aux races d'animaux domestiques en voie de disparition.
En deuxième lieu, je voudrais aborder le statut du COSEPAC. En vertu de l'article 13, le COSEPAC se contente de conseiller le ministre, lequel décidera en bout de ligne quelles espèces seront inscrites. Sous sa forme actuelle, le projet de loi donne une orientation politique à des décisions d'ordre scientifique. La décision d'inscrire une espèce est confiée au ministre, sans qu'existent des paramètres dictant quand et comment le gouvernement doit suivre les recommandations du COSEPAC ou s'en éloigner.
Pour que la liste soit juste sur le plan scientifique, le COSEPAC doit pouvoir décider quelles espèces seront inscrites, lesquelles deviendront moins prioritaires et lesquelles seront, souhaitons-le, retirées de la liste.
Permettez-moi de vous donner un exemple de l'influence du pouvoir politique sur la protection des espèces en voie de disparition. Je peux citer un exemple qui nous vient des États-Unis. Dans ce pays, une action a été intentée contre le Fish and Wildlife Service au début des années 90, je crois, parce qu'il avait refusé d'inscrire la chouette tachetée sur la liste des espèces en voie de disparition. Le tribunal a donné raison au plaignant et le Service a finalement inscrit la chouette. Mais il a attendu avant de désigner l'habitat essentiel, arguant qu'il était impossible de le faire à ce moment-là.
En fait, cet habitat se trouvait dans des forêts anciennes de grande valeur commerciale que certains voulaient exploiter. Nous nous retrouvons donc confrontés à un besoin politique qui influe sur des décisions biologiques.
Finalement, le tribunal a jugé que le Service n'avait pas rempli ses obligations en vertu de la loi et qu'il devait désigner l'habitat essentiel nécessaire à la protection de la chouette.
J'ai cité cet exemple simplement pour vous montrer comment ces questions peuvent prendre beaucoup de temps et d'argent. Elles peuvent causer des conflits dans les collectivités et opposer l'économie à l'environnement, alors que nous savons que l'un dépend de l'autre.
Quant à nos recommandations spécifiques, l'article 3 du projet de loi doit comprendre toutes les espèces, particulièrement celles qui traversent des frontières internationales. Le libellé du projet de loi doit être très clair afin d'éviter les débats longs et coûteux, comme dans le cas de la chouette aux États-Unis. Nous ne voulons pas que chaque décision prise en vertu de la loi soit contestée en cour. Les espèces en voie de disparition n'ont pas le temps d'attendre. Ce genre de conflit peut prendre des années à résoudre.
Pour éviter toute ambiguïté, il faut que la loi permette que les décisions scientifiques soient prises par des scientifiques et que les décisions politiques soient prises par des politiciens. En vertu du projet de loi, la protection des espèces devient une question politique. Il faut y remédier.
Pour illustrer cette situation, il faut modifier le niveau de langue qui doit passer du ton permissif «peut» au ton obligatoire «doit» afin d'éliminer les échappatoires. Par exemple, à l'article 33, l'expression clé stipule actuellement que «Le ministre peut, par règlement, interdire...». Il devrait se lire à peu près comme suit: «Le ministre doit, par règlement, interdire» ou encore «Personne ne tuera», etc.
Une décision du COSEPAC d'inscrire une espèce ne doit donc ouvrir aucune porte de sortie.
[Français]
Le Canada a déjà pris les devants et les autres pays attendent que nous donnions le bon exemple quant à la protection des espèces menacées.
Un bon exemple serait d'adopter une loi qui serait assez efficace pour protéger toutes les espèces menacées, tous les habitats et, en fin de compte, nous-mêmes.
Le président: Merci.
Madame.
[Traduction]
Mme Elizabeth May (directrice administrative, Sierra Club du Canada): Merci, monsieur le président.
Je m'appelle Elizabeth May. Je suis la directrice administrative du Sierra Club du Canada.
J'ai fait des études en droit de l'environnement et j'ai l'avantage, qui est parfois une malédiction, de me souvenir de ce que j'ai appris en droit constitutionnel à propos des pouvoirs fédéraux, des concepts de suprématie et des cas où le gouvernement fédéral a l'obligation d'agir en vertu de la Constitution. Ces jours-ci, j'estime qu'il vaudrait mieux ne rien savoir sur ces questions car, lorsque vous vous rappelez ce que la loi est censée faire, c'est tout un supplice de lire quelque chose du genre de ce que nous avons devant les yeux aujourd'hui.
J'ai témoigné pour la première fois devant votre comité sous le gouvernement précédent. Certains d'entre vous, qui sont membres à vie de ce comité - j'espère que M. Caccia demeurera membre à vie de ce comité et je pense que M. Taylor était présent à l'époque - , s'en souviennent peut-être.
Stewart Elgie, du Sierra Legal Defence Fund, et moi-même, du Sierra Club du Canada, avions témoigné pour affirmer que le gouvernement ne pouvait pas ratifier la Convention sur la biodiversité sans disposer des instruments juridiques appropriés pour la mettre en oeuvre. Nous avions alors affirmé, il y a quatre ans, qu'il fallait adopter des mesures législatives concernant les espèces en voie de disparition, et nous voilà ici présentes aujourd'hui. Nous avons enfin un projet de loi et c'est avec joie que nous constatons que quelque chose a bougé.
Bon nombre de mes collègues ont déjà soulevé certains points contenus dans mon mémoire.
Le président: Je vous fais remarquer que si le gouvernement du Canada ne l'avait pas ratifiée, nous n'aurions même pas de projet de loi aujourd'hui.
Mme May: C'est exact. Oh, je suis très fière que le Canada ait été le premier pays industrialisé à signer la convention et le premier industrialisé à ratifier la législation. Merci de me rappeler à l'ordre, monsieur le président, car je ne voudrais pas donner l'impression de penser que nous n'aurions pas dû ratifier la convention tant que la loi n'avait pas été adoptée. Les mesures législatives sont présentées ici même aujourd'hui.
Je vais passer à mon premier point, qui a trait à ce qui suit. J'aimerais soulever trois sujets principaux plus un autre. Certains ont déjà été abordés par d'autres témoins, si bien que j'essaierai de m'en tenir, sur ces sujets, à des choses quelque peu nouvelles, si cela est possible devant votre comité.
Le premier sujet porte sur l'envergure de la loi, le second sur le pouvoir discrétionnaire des politiciens, le troisième sur l'habitat et le dernier sur les actions des citoyens.
[Français]
La portée de la loi relativement au manque de protection pour toutes les espèces menacées au Canada est ce qu'il y a de plus inacceptable. Il y a deux raisons pour lesquelles la portée de cette loi est problématique: la première raison est conceptuelle, la deuxième est politique.
[Traduction]
Ce sont des choses qui sont connues mais qui ne font pas très souvent l'objet d'un débat au sein du comité.
À mon avis, le premier sujet est nouveau. Ce projet de loi a été inutilement entravé par une mauvaise interprétation initiale. Dès le début, depuis l'époque où l'ancienne ministre de l'Environnement, l'honorable Sheila Copps, s'était engagée à proposer ce projet de loi à l'intérieur du système, le problème avait été perçu comme une question touchant les espèces fauniques.
La nature et les origines de la nécessité de légiférer sur les espèces en voie de disparition découlent d'une crise mondiale de la biodiversité, d'une fusion biologique, d'un taux d'extinction inconnu depuis l'époque des dinosaures. Dans le monde, nous perdons des espèces à un rythme1 000 fois supérieur aux normes considérées évolutives. Comme l'a souligné le président plus tôt ce matin, la raison de cette extinction massive est le comportement humain, purement et simplement.
Nous faisons face à une crise de la biodiversité, pas à un jeu politique au sujet de la gestion fédérale-provinciale des espèces fauniques.
N'est-il pas vrai que le Canada court le risque de se retrouver sérieusement dans l'embarras sur la scène internationale lorsque nous nous lèverons pour dire que si une espèce... Disons que, dans dix ans d'ici, une espèce pas encore inscrite ou inscrite mais en réalité au bord de l'extinction devient un cri de ralliement pour les groupes écologistes allemands qui disent: «Mais assurément, vous n'allez pas laisser s'éteindre le caribou des bois. Vous devez faire quelque chose pour l'alque marbrée.» Le ministre canadien de l'Environnement doit préciser, pendant une conférence internationale: «Bien sûr que nous aimerions le faire, mais c'est une espèce provinciale. Le gouvernement du Canada ne peut rien y faire.» Il se peut que la politique de l'heure signifie que nous ne pouvons rien y faire, mais j'estime que c'est une tragédie.
Ceci m'amène à mon deuxième sujet qui traite de la situation bizarre dans laquelle nous nous trouvons. Après avoir mal interprété la situation en la traitant de problème faunique, nous avons importé dans ce dossier les notions de juridiction sur les espèces fauniques. Certes, les provinces prennent chaque année des décisions sur les quotas pour la chasse aux cervidés. Cela ne signifie par qu'elles constituent l'endroit approprié pour protéger les espèces au point que ces dernières risquent de s'éteindre.
Il s'agit d'une préoccupation d'envergure nationale. Si la volonté politique était présente et si le climat politique était différent, sur une base strictement constitutionnelle, il ne fait aucun doute que le gouvernement fédéral possède tous les pouvoirs nécessaires pour protéger toute espèce en voie d'extinction, où qu'elle se trouve au Canada.
Mais les politiques sont différentes. Ceci étant dit, et avec tout le respect que je porte aux tensions fédérales-provinciales qui créent à l'heure actuelle une situation dans laquelle
[Français]
nous avons un pays menacé aussi, au même titre que les espèces menacées, je pense qu'il est possible de rectifier l'article 3 en y apportant peu de changements.
Si les territoires sont assujettis à la loi fédérale à moins qu'ils ne puissent démontrer qu'il y a des dispositions équivalentes dans la loi territoriale, pourquoi ne pas faire de même avec les provinces? C'est à cause de ces tensions politiques avec le Québec, que je connais bien, que la loi fédérale est si faible. Mais le gouvernement du Québec a déjà adopté une loi pour protéger les espèces menacées. La quête du gouvernement québécois pour l'indépendance ne doit pas excuser l'Alberta d'adopter ses lois.
La façon dont le projet de loi C-65 est présentement rédigé excuse toute motivation de la part de l'Alberta, de Terre-Neuve ou de la Colombie-Britannique d'adopter leurs propres lois équivalentes. Seule une critique publique pourra forcer la décision.
Cependant, des espèces menacées, comme la martre de Terre-Neuve qui ne compte plus qu'à peine 300 individus, pourront disparaître.
Vous, messieurs du Bloc québécois et membres de ce comité, pouvez accomplir plus que n'importe quel autre officiel élu pour les espèces menacées. Personne au niveau fédéral ne veut se battre avec le Québec au sujet d'un problème qui lui semble si peu important.
[Traduction]
Je suis triste de dire cela, mais c'est mon sentiment à l'égard de la politique. Je dois vous demander à un niveau très personnel... Au Sierra Club, nous ne nous préoccupons pas de la politique. En tant que citoyens, nous avons nos opinions. Nous nous préoccupons d'aider les espèces en voie d'extinction et de nous élever au-dessus de la politique.
Une tentative a été faite à Charlottetown, avec l'accord, pour y parvenir et pour créer un esprit s'élevant au-dessus de la politique. Tous les gouvernements présents, y compris le ministre du Québec - pour lequel j'éprouve beaucoup de respect parce que je le connaissais à l'époque de Grande-Baleine, M. Cliche - ont signé cet accord. Mais il ne comporte pas d'échéanciers ni de délais. Ce ne sont que des voeux pieux.
À moins que le projet de loi ne crée un incitatif, nous courons le risque que rien ne se passe dans les nombreuses provinces qui ne disposent pas de loi à l'heure actuelle. Nous avons déjà entendu les ministres de certaines provinces interpréter leurs engagements en vertu de l'accord de Charlottetown comme étant si vagues et si malléables qu'ils pourraient peut-être s'acquitter de leurs obligations sans prendre aucune autre initiative dans leur programme législatif provincial. Cette position a été adoptée publiquement par au moins un ministre dans un contexte provincial.
Nous sommes donc très préoccupés par le fait que le gouvernement fédéral, le Parlement fédéral, en adoptant ce projet de loi, n'abandonne la chance de créer un effet de levier - pour dire que oui, ce sera du rafistolage; oui, les provinces feront les choses qui relèvent de leur compétence, mais seulement une fois qu'elles auront prouvé qu'elles ont une loi provinciale équivalente.
J'ai proposé un libellé de l'article 3 qui ira dans ce sens. Les autres ajouts concernent tant les espèces interprovinciales qu'internationales.
Dans mon mémoire, j'ai soulevé un point en réponse à une question que M. Caccia avait posée à un témoin précédent au nom du gouvernement fédéral - à savoir si cette protection des espèces transfrontalières serait différente, pire ou meilleure. J'ai estimé que la réponse n'était pas appropriée. Je vous ferai grâce de tous les détails; je les énonce dans le mémoire. Il est clair que la protection des espèces qui franchissent les frontières internationales sera beaucoup plus faible que tout le reste, étant donné les espèces qui sont considérées fédérales à l'article 3.
En outre, la décision d'abandonner le rôle que le gouvernement fédéral joue sur les espèces qui traversent les frontières interprovinciales ou font la navette entre plusieurs provinces est une incroyable abdication définitive de la responsabilité fédérale en matière de jurisprudence. Le gouvernement fédéral est le seul palier de gouvernement qui peut élucider un problème exigeant la collaboration des provinces. J'estime que c'est un dangereux précédent pour le gouvernement fédéral, dans son propre projet de loi, d'abandonner les espèces qui franchissent les frontières provinciales.
Notre deuxième préoccupation est le pouvoir discrétionnaire des politiciens. Mes collègues et d'autres témoins ont fait mention du processus d'inscription sur la liste. Le processus d'exemption est également ouvert. Il prête le flanc à des abus. Les exemptions figurant aux articles 36 et 46 exigent d'autres consultations et une révision.
En outre, il existe un certain nombre d'articles que nous désignons comme des «options d'extinction», des possibilités pour les ministres, de nouveau à leur discrétion et selon leur jugement, de juger que c'est soit impossible soit faisable - et ce n'est même pas clair qu'il ne s'agit pas seulement d'une décision économique - de rétablir une espèce.
Toutes ces discussions exigent un renvoi à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale et la possibilité d'effectuer une révision complète avec la participation du public.
À propos de la protection de l'habitat, bon nombre de mes collègues ont soulevé les points importants. Je ne suis pas d'accord avec mon amie Gisèle Jacob, qui a témoigné devant vous plus tôt aujourd'hui, que la définition du terme «résidence» est vague. Pour nous, elle est exagérément restrictive, étriquée et rigoureuse. La définition d'une résidence est tout à fait claire. Elle n'englobera pas de nombreux éléments cruciaux si nous voulons rétablir une espèce, même jusqu'au concept de leur lieu de résidence réel en tant qu'individus, encore moins la préoccupation concernant l'habitat essentiel. Nous avons donc formulé certaines recommandations pour que l'expression «habitat essentiel» soit utilisée dans l'article portant sur les interdictions et pas seulement le terme «résidence».
Enfin, l'élément de ce projet de loi qui nous permet quelque peu de croire qu'il pourrait vraiment protéger les espèces au bord de l'extinction, si tout le reste échoue dans le contexte politique, ce sont les dispositions concernant les actions des citoyens. Malheureusement, elles ont peu de mordant car elles doivent attendre une décision d'un ministre. Cette décision fait ensuite l'objet de la plainte - parce qu'elle a été soit injustement rejetée, soit jugée non fondée.
Le projet de loi comporte des délais, si bien que dans une situation d'urgence un citoyen ne pourrait pas se rendre en cour. Nous avons suggéré d'ajouter un paragraphe à l'article 60. Si l'infraction présumée, qui fait l'objet de l'enquête, crée une menace imminente envers une espèce en voie de disparition ou son habitat essentiel, cela permettrait à un citoyen de demander de l'aide devant les tribunaux.
Pour appuyer certains des commentaires qui ont été soulevés plus tôt aujourd'hui par des témoins qui pensaient que l'article 60 allait trop loin, il est assez fréquent que, lorsqu'un projet de loi propose une initiative donnant accès aux citoyens, l'on prétende que cela ouvrira d'une certaine façon les portes et que le système sera congestionné par les plaintes.
Je me rappelle lorsque la LCPE a été étudiée devant votre comité il y a 10 ans. À propos des dispositions très modestes contenues dans ce projet de loi au sujet des droits de pétition, à savoir que les citoyens pourraient faire des pétitions pour enquêter sur une plainte, les gens avaient déclaré que cela bloquerait le système. Au cours des 10 dernières années, je crois qu'il a eu deux pétitions concernant la LCPE. Cela n'a pas ouvert les vannes. Un certain accès a été créé. Même la disposition de la LCPE concernant les pétitions n'exige pas d'aller en cour.
Les décisions de se présenter en cour... pour à peu près les mêmes raisons que Mme Jacob a mentionnées. Elles sont coûteuses et elles sont menaçantes. Les groupes de citoyens préféreraient faire presque n'importe quoi plutôt que d'aller devant un tribunal. Nous ne formons pas ce genre de société. L'une des raisons réside dans le fait que notre système judiciaire invoque la règle des frais qui échoient aux personnes qui perdent en cour.
À maints égards, c'est donc un climat différent de celui des États-Unis. Lorsque vous avez une espèce qui est en voie de disparition, que son habitat n'est protégé par rien et qu'un projet quelconque de grande envergure est sur le point de la supprimer, si personne ne peut avoir accès au système pour faire cet appel de dernière minute en faveur de la protection de cette espèce, et si nous n'avons pas accès aux tribunaux pour ce cas qui arrive tous les trente-six du mois, alors nous courons le risque d'une extinction.
La seule chose qui rend ce projet de loi différent, fondamentalement différent, de toute autre mesure législative ayant fait son chemin à la Chambre, c'est que si nous faisons une erreur, nous ne pouvons pas la réparer après coup. L'extinction est le résultat le plus définitif, plus définitif que la mort d'un individu. Nous parlons de la perte d'une espèce entière.
C'est la raison pour laquelle ce projet de loi doit être plus rigoureux. C'est la raison pour laquelle il a besoin d'autres mesures afin que nous ne fassions pas d'erreurs, que ce soit à cause de la politique ou parce que nous craignons d'offenser un intervenant du secteur privé. Il existe des moyens pour que cela fonctionne et à l'avantage de tout le monde. Je vous implore, comme je ne l'ai jamais fait auparavant devant les membres d'un comité, d'essayer de vous élever au-dessus des divergences politiques et de revenir devant le gouvernement avec un rapport solide proposant les changements fondamentaux qui signifieront que ce projet de loi protégera les espèces pour les générations canadiennes présentes et futures. Je vous remercie.
[Français]
Le président: Merci, madame May. Nous commencerons par M. Asselin.
M. Asselin (Charlevoix): Je dois d'abord vous féliciter du contenu de votre exposé et de votre préoccupation pour les espèces en péril ou en voie de disparition. Le ministre de l'Environnement devrait se préoccuper de la raison pour laquelle nous sommes aujourd'hui, en 1996, obligés d'adopter une loi en vue de protéger les espèces en voie de disparition. Pourquoi sommes-nous obligés de le faire en 1996? C'est parce que les gouvernements précédents et leurs ministres de l'Environnement ne se sont jamais préoccupés de commencer par la base.
Cela ne nous donnera rien aujourd'hui d'avoir le projet de loi le plus étoffé qui soit s'il n'y a pas de contrôle sur l'application de la loi. Absolument rien. Ce sera du tape-à-l'oeil. Le ministre pourra se vanter sur toutes les tribunes, tant au Canada qu'aux États-Unis et un peu partout aux quatre coins du monde où il se déplacera, et dire qu'au Canada, il existe un projet de loi C-65 pour protéger les espèces en voie de disparition, mais ce ne sera qu'un emballage. Qu'y a-t-il à l'intérieur? Je ne m'inquiète pas de l'emballage. Je fais confiance au ministre. Je suis convaincu que le ministre sera assez intelligent pour mettre un bel emballage. Le cadeau, ce n'est pas le papier, mais ce qu'il y a à l'intérieur. Et l'intérieur, ce sont les moyens de contrôle et les moyens financiers qu'on va se donner pour contrôler les espèces en voie de disparition.
Encore une fois, l'actuel ministre de l'Environnement, comme tous ses prédécesseurs, a voulu empiéter sur des champs de compétence provinciale. Qu'on laisse au Québec comme au Manitoba, à l'Alberta et à Terre-Neuve le pouvoir de légiférer sur leurs territoires et de protéger les espèces en voie de disparition. Ils en ont déjà les moyens financiers. Ils ont des lois à cet effet, du personnel adéquat, en la personne du protecteur de la faune, et ils le font très bien. S'ils ne le font pas à la satisfaction du gouvernement fédéral, que le gouvernement fédéral essaie, dans le cadre d'un partenariat, de travailler avec l'ensemble des provinces. À ce moment-là, vous n'auriez pas à vous inquiéter.
Quand le gouvernement fédéral se met les mains ou les pieds dans un champ de compétence provinciale, c'est là que le bât blesse, que la friction se produit. Le gouvernement fédéral impose une loi et demande par la suite au gouvernement provincial de l'appliquer. Le fédéral rédige la loi, mais dit aux provinces de l'appliquer. C'est un peu comme le projet de loi C-68 sur les armes à feu. Le ministre de la Justice a inventé le projet de loi sur les armes à feu, mais dit aux provinces de l'appliquer. C'est ce que j'appelle du dédoublement.
La question essentielle est: pourquoi le ministre de l'Environnement ne commence-t-il pas par la base? Pourquoi n'essaie-t-il pas de légiférer pour diminuer les pluies acides qui affectent considérablement les espèces en péril? Pourquoi sont-elles en péril? C'est parce qu'il y a des pluies acides. Pourquoi le ministre ne légifère-t-il pas pour diminuer le monoxyde de carbone?
Aujourd'hui, une outarde qui vole au-dessus de Montréal ou d'Ottawa, peut-être plus au-dessus de Montréal parce qu'il y a beaucoup plus d'industries, et qui arrive près des grandes cheminées n'attend pas longtemps avant de plonger et de mourir là. L'oiseau, le poisson ou n'importe quel autre animal qui se nourrit dans le fleuve Saint-Laurent à proximité des pluies acides va mourir en raison du monoxyde de carbone. On devrait légiférer davantage à ce niveau.
Que pensez-vous du fait qu'il n'existe aucune loi régissant les produits dangereux? Que fait une personne pour se débarrasser d'huiles à base de BPC ou de tout autre produit toxique? Elle va déverser ces produits toxiques dans la nature, en forêt. Il est tout probable que plusieurs animaux de cet habitat vont se nourrir et s'empoisonner avec des produits dangereux qui auront été déversés dans la nature.
De plus, que dites-vous du fait qu'il n'existe aucune loi fédérale pour empêcher l'exploitation forestière par les coupes à blanc? Lorsque la compagnie forestière passe et fait ces coupes à blanc, elle déloge les oiseaux qui ont des habitats dans des territoires forestiers. Il ne reste plus rien. À ce moment-là, l'animal ou l'espèce s'en va dans un autre territoire ou meurt en bout de ligne.
Il sera difficile de contrôler certains animaux en voie de disparition et je me demande comment nous pourrons le faire. L'agriculteur va vouloir se débarrasser du renard qui menace son poulailler parce qu'il affecte son produit.
Nous retrouvons aujourd'hui beaucoup plus de lièvres et de hiboux empaillés dans les salons par des taxidermistes que dans la forêt. Je suis sensibilisé à votre mémoire, bien que le problème demeure le même: comment allons-nous faire si le lièvre ou le hibou dérange l'habitat de l'être humain?
Prenons l'exemple de la troupe de loups qui, pour se nourrir pendant la période hivernale, va s'intégrer dans le milieu où l'orignal et ses petits ont décidé de passer l'hiver et les dévorer. La nature étant ce qu'elle est, certaines choses seront difficiles à contrôler ou à empêcher. Tout comme on ne peut empêcher le chat de manger l'hirondelle, on ne peut empêcher le loup de s'alimenter des lièvres ou des perdrix de la forêt. Les animaux se détériorent entre eux-mêmes.
Je crois que le ministre de l'Environnement devrait commencer par le début, en adoptant des lois régissant les pluies acides, le monoxyde de carbone et les produits dangereux, interdisant les coupes à blanc, favorisant l'habitat naturel qui, en réalité, comme vous le dites, est l'ensemble des territoires du Canada, cela en vue de conserver cette ressource que représentent les espèces en voie de disparition. Merci.
Le président: Monsieur Asselin, vous avez posé de très bonnes questions qui pourraient être reprises à la période de questions cet après-midi. Malheureusement, les témoins ne disposent que de trois minutes pour y répondre. Madame May, vous pourriez peut-être nous dire si vous êtes d'accord avec M. Asselin ou pas.
Mme May: Je suis d'accord sur beaucoup de choses qu'il a dites, mais en désaccord sur ce que les provinces peuvent faire. Peut-être qu'au Québec, tout fonctionne bien au niveau de la protection des espèces menacées parce qu'il y a une loi à cet effet. Je laisserai mon collègue de l'Union québécoise pour la conservation de la nature vous faire part de ses commentaires sur les lois provinciales puisqu'il est mieux placé que moi pour le faire.
À Terre-Neuve, tout ne fonctionne pas bien en matière de protection des espèces menacées. On n'a rien pour protéger les martres de Terre-Neuve dont quelque 300 individus sont menacés par les activités forestières, les chasseurs et d'autres éléments. La situation est urgente. Il n'y a aucune loi dans ce domaine. Il est nécessaire que le gouvernement fédéral précise que la loi fédérale s'applique partout au Canada, sauf dans les provinces qui ont une loi équivalente relativement aux espèces menacées. J'appuie toutes les autres choses que vous avez mentionnées, dont ce qui a trait à la coopération au niveau des provinces. La loi provinciale...
[Traduction]
Excusez-moi, je suis de nouveau confuse. Je vais revenir à l'anglais.
La province peut s'assurer que la loi est respectée et qu'elle est applicable à l'échelle provinciale. J'estime que vous pouvez travailler pour les espèces qui sont jugées provinciales, mais uniquement dans les provinces qui possèdent actuellement une loi.
Si nous suivons la voie que nous préconisons, en disant que la loi s'applique partout à moins qu'il existe une loi provinciale ou territoriale équivalente, nous parviendrons à devancer le jour, décrit par M. Marchi, où l'accord sera réel. Mais si nous arrêtons de faire pression et si nous permettons aux provinces qui n'ont pas de législation de se croiser les bras, ce qu'elles peuvent faire, il n'y a rien dans le libellé actuel du projet de loi pour les inciter à faire voter des lois.
Le président: Madame Jennings, s'il vous plaît.
Mme Jennings (Mission - Coquitlam): Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, j'aimerais préciser que j'ai suivi tout ce que vous avez dit ce matin avec le plus grand intérêt.
Je suis arrivée légèrement en retard, madame Austen, si bien que je n'ai peut-être pas entendu tout ce que vous avez dit. J'aimerais poser quelques questions ou faire quelques commentaires. Je crois savoir que l'une de vos principales préoccupations concerne les espèces transfrontalières, à savoir que si les espèces se déplacent, vous êtes très préoccupée par le fait que le gouvernement supérieur devrait en assumer la responsabilité, si je comprends bien, et que vous voulez que l'on fixe des échéanciers et des délais. Est-ce exact?
Madame Huemer, lorsque vous proposez que l'on modifie le niveau de langue pour déclarer non pas que le ministre peut mais qu'il doit faire des choses par règlement, j'ai tendance à vous appuyer. Je m'assurerai de toute façon qu'il soit tenu de faire quelque chose. Mais ne devrions-nous pas enlever au juge le pouvoir discrétionnaire de décider s'il pense qu'une décision ne devrait pas aller dans cette direction? Je me demande simplement si vous pouvez répondre à cette question.
Le dernier point qui me préoccupe, c'est le témoignage, entendu au cours des deux ou trois derniers jours, de représentants invités à se présenter devant notre comité - ce matin assurément - des intervenants de l'industrie des ressources et des éleveurs et des agriculteurs qui nous ont incités à croire qu'ils ont remédié à la situation au cours des dernières années, en essayant de rattraper ou de réparer des choses qui étaient arrivées dans le passé et qui avaient nui aux espèces en provoquant quasiment l'extinction de certaines. Ne seriez-vous pas disposée à admettre ou à accepter ou à reconnaître que vous êtes au courant des actions qu'ils ont posées et que vous êtes d'accord avec eux ou que vous pensez que certains actes positifs sont posés ou qu'il y a une préoccupation sérieuse de leur part? Je n'ai rien entendu là-dessus.
J'admets qu'il s'agit d'une grave préoccupation. Mais je sais également qu'à moins que les gens ne se contentent pas de prononcer du bout des lèvres le mot «partenariats», à moins qu'ils ne plaisantent pas avec le mot «partenariats», à moins que tous les intervenants n'abordent cette situation en sachant qu'ils collaborent et reconnaissent les bonnes actions des autres, s'ils font bien les choses, alors nous n'atteindrons pas un résultat positif ou ce que nous voulons en fin de compte.
Merci.
Mme May: Je me demande si je pourrais répondre en premier à votre dernière question.
Je l'avoue. J'aurais aimé que certains des témoins précédents soient encore ici. J'ai en réalité parcouru les exploitations forestières de Weldwood Canada en Alberta avec Rick Bonar, qui est venu témoigner ici au nom de l'Association canadienne des pâtes et papiers. Ils réalisent certaines choses novatrices sur leurs propriétés pour essayer de rendre leurs opérations d'abattage compatibles avec l'habitat de la martre des pins. Ils sont en fait en train de trouver des moyens, en laissant des chicots, en laissant des débris ligneux sur le sol, en laissant des couloirs le long des cours d'eau, leur permettant de rétablir une population qui était en danger. Je l'admets.
Dans le cadre d'un partenariat avec Sheila Forsyth, dont le Comité national de l'environnement agricole est venu témoigner ici, nous nous efforçons de trouver, si possible, un consensus sur les types d'incitatifs que l'on pourrait proposer dans le régime fiscal ou sur le marché et qui pourraient compenser quelque peu les agriculteurs privés qui font du bon travail sur leurs terres pour les espèces en voie de disparition. Nous travaillons donc en partenariat.
L'existence de bons exemples ne signifie malheureusement pas qu'il n'y a pas de problèmes très graves. Ce n'est pas tout le monde qui suit les chefs de file dans les secteurs minier, forestier ou agricole. Très franchement, nous avons perdu la bataille pour protéger une zone qui comportait certaines espèces en voie de disparition juste à l'extérieur d'Ottawa, où nous nous battions contre le Musée canadien de la nature.
Vous ne savez jamais où vous allez rencontrer subitement quelqu'un qui a décidé de couper une forêt précieuse de vieux arbres, ou de drainer des terres humides inestimables, qui représentent un habitat essentiel pour une espèce en voie de disparition. En l'absence de lois, même lorsque nous devons souligner de bons exemples, nous serons dans l'incapacité de protéger les espèces. Je prends donc bonne note de votre remarque.
Comme je pense que les deux autres questions s'adressaient à des propos que j'ai tenus, je vais les aborder maintenant et ensuite je me tairai.
À propos des espèces transfrontalières, le Sierra Club du Canada est d'avis que le gouvernement fédéral doit s'occuper des espèces transfrontalières, tant internationales qu'interprovinciales, exactement de la même façon qu'il traite les espèces actuellement énumérées à l'article 3. Au fait, à propos des espèces internationales, nous ne pensons pas qu'il faille adopter l'approche du Code criminel.
Là-dessus, je suis d'accord avec Gisèle Jacob, mais pour des raisons différentes. Puisqu'il s'agit d'une préoccupation nationale et internationale, le gouvernement canadien possède tous les pouvoirs nécessaires pour résoudre cette situation. Quant aux espèces internationales, nous devrions être capables de nous occuper des espèces végétales.
Lorsque nous abordons le domaine des espèces transfrontalières internationales, j'estime que la restriction imposée aux espèces végétales vient uniquement du fait que le gouvernement a été mal conseillé et a décidé de coller cette disposition particulière sur le dos du Code criminel. Pour moi, il est aberrant d'avoir une disposition aussi restrictive. Il devrait s'agir de toutes les espèces transfrontalières, tant internationales qu'interprovinciales.
Ceci étant dit, il n'y a aucune raison au monde pour ne pas inclure dans ce processus un maximum de coopération interprovinciale. Lorsque vous regardez les efforts de nettoyage entrepris dans les Grands Lacs, par exemple, ce sont les gouvernements canadien et américain qui ont signé les principales ententes sur la qualité de l'eau à l'échelon international avec l'Ontario, l'État de New York, l'État de l'Ohio et bien d'autres États et provinces de la région qui sont devenus des partenaires à ces accords. Mais c'est le gouvernement fédéral qui doit mener le bal dans les questions internationales.
De même, lorsque vous solutionnez des problèmes interprovinciaux, la seule façon de pouvoir faire appliquer cette loi consiste à obtenir un niveau d'engagement politique sans précédent, une bonne collaboration et à jeter à tout bout de champ de la poudre aux yeux de toutes les parties en leur disant que les espèces en voie de disparition sont la chose dont ils se soucient le plus. C'est la raison pour laquelle je veux améliorer le projet de loi, parce que nous pouvons compter sur le regroupement de toutes ces bonnes choses, d'un seul coup et en temps opportun, pour protéger les espèces.
Mme Huemer: Pour résumer la question, vous vous interrogez sur le ton obligatoire ou permissif du niveau de langue et vous vous demandez si cela éliminerait une partie du pouvoir discrétionnaire. Je crois comprendre qu'il pourrait peut-être y avoir - il y a toujours une marge d'erreur scientifique que le pouvoir discrétionnaire politique pourrait réduire encore davantage. Dans ce cas, j'aimerais au moins qu'un article ou une disposition exige que le ministre rédige un rapport expliquant pourquoi il n'inscrit pas cette espèce sur la liste et qu'il mette ce rapport à la disposition du public pour discussion ou par l'intermédiaire de la LCPE, une sorte de processus de va-et-vient.
Mme Austen: J'aimerais simplement préciser que j'espère que rien dans notre exposé n'a laissé sous-entendre que les témoins précédents ne se préoccupaient pas des espèces en voie de disparition. J'estime que toutes les personnes qui ont participé à ce processus veulent une loi qui pourra protéger les espèces. Assurément, que nous ayons ou non une loi, cela ne limitera pas la valeur des mesures qui seront prises volontairement par l'industrie ou par le citoyen moyen. Ceci demeurera important lorsque nous aurons une loi.
Mme Jennings: Lors de mes tractations passées avec les gens, j'ai toujours constaté que si vous pouvez arriver à une rencontre en disant «je sais, nous nous en préoccupons tous, je sais que vous faites de votre mieux, et voilà ce que nous avons trouvé qui ne va pas et c'est peut-être là que vous pourriez nous aider ou être en désaccord avec cela», c'est la bonne attitude. En parlant à certaines des personnes de l'extérieur, j'ai eu le sentiment qu'elles luttent vraiment pour faire aussi leur part.
S'il nous reste une minute, monsieur le président, j'aimerais ajouter que j'ai transigé avec une compagnie forestière pendant 16 ans. J'ai une propriété qui se trouve exactement ici et la compagnie forestière se trouve exactement là, elle m'entoure, elle procède au tirage des billes sur la terre ferme, la rivière est juste à côté de moi et l'océan est en face de moi. Au fil des ans, j'ai collaboré avec elle. J'ai été témoin de certains abus et les bûcherons m'ont raconté les abus qui sont commis.
Dernièrement, en marchant dans la région, j'ai constaté une chose qui me préoccupe vraiment. Je ne me suis plaint à aucune autorité ou à autre chose du genre. Je vais aller voir le directeur de la compagnie forestière parce que nous avons toujours très bien collaboré ensemble. Il y a des câbles à peu près partout. Ils vous font trébucher. Vous êtes assis sur la plage... Les surfeurs ont maintenant la peau en lambeaux lorsqu'ils surfent pieds nus car ils tombent soudainement sur un vieux câble rouillé.
C'est un travail de nettoyage. L'industrie forestière a admis avoir commis des erreurs au fil des ans. Elle essaie de nettoyer. La première ligne d'attaque consistera donc à aller les voir et à leur demander s'ils peuvent m'aider, à leur demander ce que nous pouvons faire pour solutionner ce problème. Je suis presque persuadée qu'ils vont me répondre que le nettoyage va commencer dès maintenant et qu'ils ne se sont pas rendu compte que la situation était si préoccupante. J'espère que ce sera leur réponse.
C'est tout ce que je suggère ici, d'essayer notre première ligne d'attaque et ensuite, si nous devons agir vraiment sérieusement, nous irons devant les tribunaux. Comme vous le disiez, personne ne veut aller en cour. C'est une débauche inutile de temps et d'argent. Mais si c'est nécessaire... Dans le cas de la chouette de terrier, ce fut nécessaire. Mais si nous pouvons collaborer, je sais que nous obtiendrons tous un résultat beaucoup plus positif.
Merci.
Le président: Monsieur Knutson, s'il vous plaît.
M. Knutson (Elgin - Norfolk): Merci, monsieur le président.
J'adresserai ma question aux trois membres du groupe. Étant donné que vous êtes toutes au courant des rouages politiques et environnementaux et des restrictions financières, de l'ensemble de la situation, si vous étiez assises à ma place et si vous vouliez favoriser un amendement acceptable à votre avis - vous n'aimeriez pas perdre votre temps à essayer de favoriser une chose qui, vous le savez depuis le début, ne marchera pas - et qui ferait le plus grand bien, quelle serait-elle? Vous pouvez choisir chacune une idée.
Mme May: Vous me prenez au dépourvu. Cela a trait à l'envergure de la loi. Mon premier choix, si cela est faisable, et ce sera faisable si la recommandation du comité est unanime - autrement dit, si vous pouvez obtenir l'assentiment de tous les partis sur le fait que la loi s'applique partout, à moins d'avoir une loi provinciale ou territoriale équivalente... C'est en fait un compromis au sujet de la position que j'adopte à l'égard des pouvoirs constitutionnels que le gouvernement fédéral détient sur les espèces menacées d'extinction. C'est un compromis mais, à mon avis, un compromis réalisable, et c'est celui que je vous implorerais d'accepter.
À défaut d'un rapport unanime des membres de votre comité qui donnerait au ministre le genre de soutien dont il a besoin pour faire approuver le projet de loi, alors je pense qu'en fin de compte... Cela doit être faisable, car tout le monde admet que c'est de la compétence du gouvernement fédéral. En conservant l'approche que le projet de loi a adoptée pour se limiter aux espèces jugées fédérales par tradition, il faudrait élargir la protection aux espèces transfrontalières, tant internationales qu'interprovinciales, dans la même mesure que l'article 3 s'applique maintenant. Ce serait mon premier choix.
Mme Huemer: Mon premier choix consisterait à changer le niveau de langue qui, d'un ton permissif, passerait à un ton obligatoire, avec les amendements dont nous avons parlé et peut-être des dispositions pour certaines...
M. Knutson: L'article 33?
Mme Huemer: Oui, et la suite. Il y a d'autres articles - les articles 36 et 42. Ce serait donc mon premier choix.
Mme Austen: Je dirais de protéger l'habitat essentiel des espèces en voie de disparition et menacées, par le biais d'une interdiction comme celle qui est incluse dans la législation provinciale en vigueur ou en exigeant la mise en oeuvre des plans de rétablissement.
Si l'envergure n'est pas élargie, cela ne représente pas tant que cela, étant donné que bon nombre des terres fédérales sont des parcs nationaux et que l'habitat y est protégé, mais à titre de modèle pour les lois provinciales également... En l'absence de mesures de protection de l'habitat dans ce projet de loi, les mesures prises sur le terrain ne seront pas aussi efficaces que nous le voudrions.
M. Knutson: Très bien.
Le président: Madame Payne.
Mme Payne (St. John's-Ouest): Merci, monsieur le président.
Bienvenue au comité. Madame May, c'est toujours un plaisir de vous voir. Comme d'habitude, je suis intriguée par votre exposé.
J'aimerais obtenir quelques explications supplémentaires. Vous avez parlé des articles 36 et 40 à propos des exemptions. Vous avez également déclaré que le ministre des Pêches pouvait prendre des mesures concernant les prises sans consulter le ministre de l'Environnement ou qui que ce soit d'autre. Pourriez-vous préciser quelles autres modifications vous aimeriez apporter, ou qu'il faudrait apporter selon vous, à ces articles?
Mme May: Merci beaucoup.
Les articles touchant les exemptions sont trop vastes. Contentons-nous de les passer en revue, comme l'a déjà mentionné Catherine Austen; en vertu de l'article 36, il y a les exemptions générales qui exigent... Même les arrêtés d'urgence ou n'importe quel autre règlement ne s'appliquent dans un certain nombre de cas généraux. Nous estimons que c'est ouvrir la porte aux abus, en particulier parce que ce projet de loi n'indique pas clairement que cela déclencherait une sorte d'examen environnemental. Nous recommandons donc essentiellement d'apporter une modification conséquente à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale afin que les décisions prises en vertu des articles 36 et 46 déclenchent un examen environnemental.
De toute évidence, la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale n'a pas non plus beaucoup de mordant. Ce n'est pas une disposition lourde de conséquences. Elle signifie simplement que le ministre qui prend cette décision doit y penser à deux fois et doit déposer un rapport auquel le public aura accès. On commence donc au moins à envisager la possibilité d'un examen public.
Dans mon esprit, l'article 46 est encore pire parce que, comme nous le mentionnons dans notre mémoire, étant donné qu'il traite du ministre responsable, ce peut être l'un des trois ministres - Pêches, Patrimoine ou Environnement - et ils ne sont même pas tenus de se consulter en vertu de l'article 46. C'est une faiblesse énorme qui ouvre la porte à des abus, et aucun examen n'est exigé non plus. Étant donné le libellé de cet article, on pourrait se retrouver en présence d'un scénario dans lequel le ministre des Pêches ou le ministre du Patrimoine a décidé d'accorder un permis qui impliquerait la prise d'une espèce en voie de disparition ou la destruction de son habitat, même sous la protection d'un autre règlement, et uniquement dans le but de se satisfaire eux-mêmes et personne d'autre.
Mme Payne: Mais dans le cas des Pêches, par exemple, avec lequel je suis un peu familière, il y a une disposition dans la Loi sur les océans pour que ce ministre - il a l'obligation de consulter le ministre de l'Environnement s'il décide de prendre certaines mesures qui sont de nature douteuse en ce qui concerne la prise d'espèces.
Mme May: Le problème c'est le libellé du projet de loi, car cela dépend de l'interprétation de la Loi sur les océans et de son mordant pour s'assurer du résultat. Cela ne s'applique pas ensuite au ministre du Patrimoine, par exemple, ou si le ministre de l'Environnement veut accorder le permis et que le ministre des Pêches s'y oppose. Autrement dit, j'estime qu'il faudrait au minimum une certaine consultation entre les ministres en vertu de l'article 46, et également un examen public. En l'absence d'une forme quelconque d'examen public, la porte serait ouverte à des abus.
Le président: M. Taylor, s'il vous plaît.
M. Taylor (The Battlefords - Meadow Lake): Merci beaucoup.
Ma question sera brève. J'apprécie les exposés que les témoins ont présentés aujourd'hui. Ils nous ont donné matière à réflexion et une raison d'aborder leurs préoccupations en comité.
La question de M. Knutson visant à nous proposer un amendement que vous aimeriez voir dans le projet de loi a révélé que nous devrons en envisager plusieurs d'après les réponses que vous nous avez faites.
Ma question découle de l'exposé de Catherine, en particulier de la partie traitant des oiseaux migrateurs et de la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs (LCOM). Nous sommes également tout à fait conscients, d'après les documents distribués à la conférence de presse du ministre, que les oiseaux de proie ne sont pas couverts par la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs. Le faucon pèlerin et la chouette de terrier, deux espèces autrefois menacées ou qui le sont encore, ne sont pas protégés par le texte du projet de loi dans son interprétation la plus stricte.
Dans son exposé, Mme Austen a parlé de modifier l'article traitant de la LCOM à propos des habitats, mais ne devrions-nous pas apporter des changements pour couvrir tous les oiseaux qui migrent entre les pays, pas seulement ceux qui figurent sur la liste de la LCOM?
Mme Austen: Oui, c'est la raison pour laquelle il faudrait élargir l'envergure du projet de loi pour obtenir la compétence fédérale sur toutes les espèces qui traversent les frontières nationales ou interprovinciales. Les oiseaux migrateurs qui ne relèvent pas de la LCOM seraient protégés par le biais de ces règlements, ce qui les rendrait exécutoires, et il faudrait y inclure un déclencheur du rétablissement pour protéger efficacement les rapaces migrateurs.
M. Taylor: Merci beaucoup.
Le président: Merci.
Une brève question de ma part et ensuite nous ajournerons.
À propos du mémoire présenté par la Coalition canadienne pour la biodiversité, lorsque vous demandez en page 3 que la décision politique ne soit pas permise, à savoir que le COSEPAC prenne la décision finale, vous dites en fin de compte que c'est un organe scientifique composé d'experts non élus qui doit rendre compte au public.
Même lorsqu'il commet une erreur - et vous avez admis plus tôt qu'il pourrait y avoir des erreurs minimes, si je me souviens bien - je serais plutôt enclin à considérer le COSEPAC comme l'équivalent, en matière d'espèces en voie de disparition, du CRTC, en matière de radiodiffusion, et de la CCT, en matière de transports. Autrement dit, il s'agit d'organismes importants, mais une décision politique demeure possible pour modifier au besoin la décision prise par ces organismes. Le système dans lequel nous fonctionnons exige une responsabilité dans un système démocratique, que ce soit une administration provinciale, municipale ou fédérale, peu importe.
C'est le contexte qui conduit à ma question. Êtes-vous certaine de vouloir supprimer complètement la responsabilité politique de la décision du COSEPAC?
Mme Huemer: Ce qui m'inquiète surtout, c'est de m'assurer que la décision d'inscrire ou non une espèce sur la liste est fondée sur des connaissances scientifiques. J'admets qu'une ombre politique plane au-dessus de chaque comité, qu'il soit scientifique ou -
Le président: De temps à autre, nous nous en rendons compte également.
Mme Huemer: Exactement. On sait que les scientifiques sont très conservateurs et qu'ils pêchent généralement par excès de prudence en matière de protection des espèces. J'insiste sur le fait que nous devons pêcher par excès de prudence lorsqu'il s'agit d'espèces en danger car il n'y a pas de point de retour.
Le président: Quelle est donc votre conclusion?
Mme Huemer: Je serais disposée à permettre un processus de consultation entre le COSEPAC et le cabinet du ministre pour ce qui est de dresser la liste. Avant cela, j'ai parlé à Mme Jennings et elle a soulevé le même point. Je serais prête à accepter que le ministre rédige alors un rapport énonçant les raisons pour lesquelles la liste ne serait pas appropriée, opportune ou faisable pour le moment.
Le président: Qui est responsable en fin de compte devant le public?
Mme Huemer: À l'heure actuelle, vraisemblablement le cabinet du ministre, simplement parce qu'il s'agit d'un organe élu au sein du système politique. Mais le COSEPAC devrait également être tenu responsable de ses décisions.
Le président: Il ne peut pas être tenu responsable à moins d'être élu.
Mme May: Nous sommes également d'avis que le processus d'inscription sur la liste par le COSEPAC devrait être scientifique et que la discrétion politique ne devrait pas entrer en jeu. Nous ne sommes pas d'accord sur ce point.
La raison pour laquelle nous pensons que les membres du COSEPAC devraient être en majorité des scientifiques indépendants, c'est pour qu'il n'y ait pas d'influence gouvernementale sur la liste des espèces et que le processus de confection de la liste qui en découle soit fondé sur celle du COSEPAC. Autrement dit, si la décision est prise de ne pas inscrire sur la liste une espèce que le COSEPAC estime en voie de disparition, notre première réaction, mentionnée dans notre mémoire, est que cela ne devrait pas être autorisé. Toutes les espèces inscrites sur la liste par le COSEPAC devraient ensuite être désignées comme des espèces en voie de disparition dans le processus.
S'il y a un processus politique ou si le COSEPAC a commis une erreur, je ne m'opposerai pas à l'idée qu'un ministre puisse présenter de solides arguments pour faire inscrire des espèces supplémentaires. Ce qui nous préoccupe, c'est qu'une intervention politique ira à l'encontre de la survie des espèces. Il y aura peut-être des raisons politiques pour essayer de faire retirer des espèces de la liste alors que la science nous dit qu'elles sont encore en danger d'extinction.
C'est ce que nous préférerions. Je sais que c'est un problème délicat dans le contexte politique de la responsabilité ultime, mais au-delà du processus de confection de la liste, vous arrivez au premier stade. Ensuite vous passez aux ententes, à la collaboration, aux plans de rétablissement. Il y a beaucoup d'équilibre politique et de compromis qui entrent dans ces processus. C'est là que ressortira la responsabilité principale d'un ministre dans le processus politique.
Le président: Dans le cas du moratoire sur la morue, qui a été réclamé par Leslie Harris en février 1990, il s'est écoulé deux ans et demi avant que le gouvernement déclare le moratoire. Néanmoins, il a fini par le faire. C'est le gouvernement qui a déclaré le moratoire, pas M. Harris.
Vous pourriez affirmer que nous avons perdu deux années et demie précieuses, au lieu d'agir rapidement, et que l'espèce était encore davantage épuisée. Mais il incombe aux électeurs d'exprimer leur désapprobation ou d'infliger une punition lors de la consultation électorale suivante, qui a finalement eu lieu en 1993. C'est ainsi que nous avons conçu notre système de responsabilisation.
Mme May: C'est un exemple brillant.
J'ai eu la chance de faire le tour de Terre-Neuve pour me rendre dans 13 petites collectivités côtières à titre de membre de la table ronde nationale. J'ai participé à la table ronde de Terre-Neuve. Ce que l'on a dit dans bon nombre de ces petites collectivités, c'est que le gouvernement n'a jamais déclaré le moratoire. C'est la compagnie Fishery Products International qui a déclaré le moratoire lorsque les pêcheurs sortis en mer n'étaient plus capables de trouver du poisson.
Le mécanisme que nous aimerions voir fonctionner dans ce genre de projet de loi, qui en fin de compte protège évidemment aussi l'économie... dans les termes des scientifiques, nous aimerions quelques recommandations visant à inscrire les espèces sur la liste dès leurs premiers stades de vulnérabilité. Cela enverrait quelques signaux d'alarme indiquant que les pressions politiques de l'heure ne peuvent pas constamment l'emporter.
J'affirme que non seulement nous avons perdu deux ans et demi, mais que nous avons également perdu une grande partie du dynamisme de quelque 30 000 personnes qui résident dans les petites collectivités côtières, parce qu'elles n'ont plus de gagne-pain. Tout un écosystème est réduit considérablement et ne recouvrera probablement jamais plus sa santé antérieure.
Ces années précieuses durant lesquelles les scientifiques nous mettaient en garde et les politiciens faisaient la sourde oreille... nous ne devrions jamais répéter cet exemple. Nous devrions en tirer des leçons pour nous assurer que le comité scientifique, dans le cadre de ce projet de loi, n'est pas soudoyé par les pressions politiques de l'heure.
Le président: Les membres de notre comité auront la tâche délicate de décider si nous devrions être gouvernés par les scientifiques ou par les élus.
Mme May: Les élus peuvent décider qu'ils veulent créer un système laissant la science les guider et qu'ils peuvent agir à partir de là.
Le président: C'est juste. Nous pouvons nous entendre sur cette conclusion.
Nous vous remercions infiniment.
Mme May: Merci aux membres du comité.
Le président: La séance est levée.