[Enregistrement électronique]
Le mardi 13 juin 1995
[Traduction]
Le président: Je déclare la séance ouverte. Nous avons quorum.
Nous poursuivons, en sous-comité, notre examen du rapport du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité sur ce que l'on a appelé l'affaire du Heritage Front. Il s'est écoulé plusieurs jours depuis notre dernière réunion à ce sujet. L'énorme charge de travail du Comité de la justice nous a empêchés de poursuivre, mais nous reprenons aujourd'hui.
Nous avons un témoin ici aujourd'hui. J'aimerais que nous l'accueillions; il s'agit de Mme Elisse Hategan, qui est accompagnée de M. Paul Copeland, son avocat et de M. Martin Thériault, le directeur du Centre canadien sur le racisme et les préjugés.
Je tiens à souligner que Mme Hategan a demandé à comparaître, par l'entremise de son avocat. Nous sommes reconnaissants de son initiative. Nous pensons qu'elle nous permettra de mieux comprendre l'affaire du Heritage Front dans le cadre de notre examen et pour la rédaction du rapport que nous préparons.
Le témoin voudra peut-être - j'espère que ce sera le cas - nous faire un exposé. Nous aimerions qu'il se limite à 15 minutes; nous passerons ensuite aux questions.
Cela dit, vous avez la parole, madame Hategan. Je vous souhaite la bienvenue. Nous écouterons votre déclaration avec plaisir.
Je vous demande pardon, un rappel au Règlement.
[Français]
M. Langlois (Bellechasse): Monsieur le président, je voudrais juste savoir si M. Copeland est le procureur du témoin, Mme Hategan.
Le président: Oui.
[Traduction]
Je disais simplement que M. Copeland est l'avocat de Mme Hategan.
Madame Hategan, je vous en prie.
Mme Elisse Hategan (ancien membre du Heritage Front): Je tiens tout d'abord à remercier les membres du comité de m'offrir l'occasion de comparaître pour évoquer l'affaire Bristow.
Pendant près de deux ans, j'ai fait partie du Heritage Front néo-nazi. Ma famille a immigrée au Canada il y a neuf ans, quand j'avais onze ans, et elle s'est installée à Toronto. Peu après notre arrivée, mon père, un enseignant à la retraite, est rentré en Roumanie parce qu'il ne parvenait tout simplement pas à s'ajuster à notre nouvelle vie. Il est décédé peu de temps après.
La vie à la maison était difficile; à l'âge de 14 ans, j'ai fait une fugue et j'ai été placée dans un foyer de groupe. C'est alors que j'ai commencé à avoir des préjugés à l'égard de certaines minorités. Après être retournée chez moi un an plus tard, j'ai ressenti le besoin de parler de ces opinions avec quelqu'un qui ne me condamnerait pas. Après avoir vu à la télévision américaine une émission qui présentait un groupe militant pour la suprématie blanche appelé Church of the Creator, je leur ai écrit pour obtenir plus de renseignements. Ils m'ont donné le numéro de téléphone du Heritage Front à Toronto. J'ai adhéré à ce groupe à l'automne de 1991, à l'âge de 16 ans. J'en ai été membre jusqu'à l'automne de 1993.
À compter de l'hiver de 1992, j'ai commencé à me rendre compte que notre groupe menait une campagne de terrorisme de grande envergure contre les groupes et les individus antiracistes. C'est le directeur des services de renseignements du Heritage Front, Grant Bristow qui avait lancé cette opération. On encourageait les membres et les partisans du groupe à s'en prendre à des cibles désignées. J'ai fait partie des personnes approchées par Grant Bristow.
Au cours des premières semaines de janvier 1993, les partisans et les membres du Front téléphonaient aux personnes visées, jour et nuit, afin d'empoisonner leur existence et de créer un climat de tension et de peur. L'objectif était de susciter une confrontation avec les groupes antiracistes, comme devant le palais de justice de Toronto le 25 janvier 1993.
Grant Bristow était à la fois l'entraîneur et le cerveau de cette campagne, laquelle se poursuivit jusqu'à ce que je me joigne publiquement au Centre canadien sur le racisme et les préjugés en novembre de la même année. À plusieurs reprises, j'ai personnellement eu connaissance du fait que Grant Bristow avait fourni des renseignements personnels sur «les ennemis de la liberté» tels qu'il qualifiait les antiracistes et les membres des organismes juifs.
Il a également enseigné aux membres du Front les techniques de renseignement à utiliser contre les antiracistes ainsi que des moyens efficaces de harcèlement. Il a joué un rôle essentiel dans l'élaboration de la campagne de harcèlement et il a personnellement donné l'ordre d'augmenter les pressions lorsqu'il a senti que les résultats ne se feraient pas attendre. On a, par exemple, augmenté le nombre d'appels de harcèlement à une femme membre d'un groupe antiraciste après qu'elle a dû prendre des congés de maladie. On lui téléphonait jour et nuit chez elle, et même au travail. Lorsque Grant Bristow a appris qu'elle était en congé de maladie, malgré ce qu'il prétend dans le rapport du CSARS, il a donné l'ordre d'augmenter le nombre des appels téléphoniques puisque cette personne, selon lui, était sur le point de craquer.
Grant Bristow a fourni les renseignements et l'expertise nécessaires à la réalisation de cette campagne. Contrairement à ce que l'on prétend dans le rapport, cette campagne n'avait pas un caractère défensif et n'avait pas pour but de recueillir de l'information. Il s'agissait d'un effort concerté de harcèlement de certains individus visant à les faire congédier de leurs emplois, et à menacer leur sécurité personnelle.
Mon rôle dans cette campagne de harcèlement était de distribuer des tracts trompeurs et incendiaires où apparaissaient les adresses et les numéros de téléphone personnels de militants antiracistes. Dans un tract intitulé «Animal Life Series», on comparaît une personne noire à un singe. J'ai envoyé ce tract à quelques membres de groupes antiracistes afin de les prévenir de ce qui se passait car la victime me faisait pitié. La personne dont le nom apparaissait sur ce tract, et dont le domicile a été saccagé, a communiqué avec la police. Lorsque j'ai refusé de dévoiler l'identité des auteurs du tract, j'ai été arrêtée et accusée de l'avoir publié.
Ceux qui avaient rédigé ce tract étaient Wolfgang Droege, Alan Overfield et Grant Bristow. Bien que le procureur général de l'Ontario ait statué que ce tract constituait de la propagande haineuse aux termes de l'article 319 du Code criminel, et bien que le rapport du CSARS corrobore cette décision - tout comme la presse - aucune accusation n'a été portée contre ces individus.
Puisque je ne pouvais plus servir de porte-parole, j'ai commencé à travailler en coulisse, avec Grant Bristow, au service de renseignement du «Heritage Front». J'y ai appris plus de détails sur la campagne de harcèlement. On m'a donné des noms et des adresses d'ennemis éventuels afin que je fasse des vérifications. J'ai fait enquête sur des personnes et des organismes avec Grant Bristow qui m'a enseigné plusieurs techniques d'enquête.
Au cours des mois suivants, Grant Bristow m'a donné l'ordre d'obtenir des renseignements sur des organismes réguliers à Toronto tel que la «Irish Freedom Association», et des groupes nationalistes noirs d'Amérique du Nord. Bristow m'a dit vouloir constituer un dossier sur ces groupes.
Ces groupes ne représentaient aucune menace pour le Heritage Front. S'agissait-il de recherches dans le cadre plus vaste du mandat provenant des services de renseignement de sécurité? Je m'interroge à ce sujet sans trouver de réponse logique qui expliquerait un tel intérêt de la part de Bristow pour ces associations.
Tous les renseignements ainsi glanés ont été transmis à Bristow. Si, par exemple, nous recueillions des renseignements personnels sur quelqu'un, il décidait s'il y avait lieu d'entreprendre des activités de harcèlement. Cette petite unité permettait à Bristow de cibler certaines personnes. Bristow était l'un des principaux dirigeants du Heritage Front, au même titre que Gerry Lincoln et Wolfgang Droege.
Lors des événements du 11 juin 1993, pendant que les membres du Heritage Front confrontaient les antiracistes rue College, dans un bar du nom de Sneaky Dees, Bristow avait d'autres plans. Il voulait que nous allions attaquer les gens chez eux, à leur travail, pour nous venger de ce qui était arrivé au domicile de Garry Schipper au cours de la nuit. À certains égards, le fait que les membres du Front aient suivi d'autres dirigeants ce soir-là a évité ce qui aurait peut-être été un massacre dans les rues de Toronto, et même des incendies criminels.
Avec le temps, j'ai commencé à avoir de plus en plus de mal à accepter certaines des activités. Je voulais tout abandonner au 1er juillet. Par l'entremise d'un ami, j'ai communiqué avec le Centre canadien sur le racisme et les préjugés. J'ai commencé à travailler avec Martin Thériault à recueillir des renseignements sur les activités des néo-nazis.
En septembre, j'ai signé une série d'affidavits sur les activités criminelles des membres du Heritage Front. Ces documents ont été envoyés au procureur général de l'Ontario au début du mois de novembre 1993. J'ai rencontré des membres de la Police provinciale de l'Ontario à propos de ce que j'affirmais dans ces documents. Malgré ces réunions et ces affidavits, il n'y a eu ni enquête réelle, ni une poursuite. Le 24 novembre 1993, on a rendu public mon abandon du Heritage Front.
En mars 1994, j'ai témoigné en Cour fédérale contre Wolfgang Droege, Garry Schipper et Ken Barker dans le cadre de poursuites pour outrage au tribunal. Malgré un contre-interrogatoire parfois terrible, le juge Tremblay-Lamer a jugé mon témoignage crédible et a reconnu coupables ces personnes. Ils les a condamnées à l'emprisonnement. Mon témoignage a également contribué à faire expulser Becky Primrose des rangs du Parti réformiste du Canada.
Au cours de ces procès, le moins que l'on puisse dire c'est que deux incidents étaient assez inquiétants. Grant Bristow fournissait des cassettes vidéo et des documents aux avocats qui représentaient le Heritage Front dans une tentative qui a échoué, pour mettre en doute ma crédibilité. Mais par contre, la Police provinciale de l'Ontario a déclaré à la Commission canadienne des droits de la personne qu'elle ne pouvait pas me protéger pendant mon témoignage. L'avocat de la Commission a rencontré des officiers supérieurs de la GRC à Ottawa afin de négocier des mesures de sécurité pour mon arrivée au tribunal et ma sortie.
Dans le rapport du CSARS, au paragraphe 5.9.5 à la page 22, l'enquêteur de la région de Toronto du SCRS a déclaré: «qu'il avait probablement déclaré aux autres organismes impliqués qu'on ne pouvait pas faire confiance à Hategan». Je me demande à qui, et quand il a dit ça. Il semblerait que pour les services policiers, il ne valait même pas la peine de me protéger même si j'avais obtenu la condamnation de personnes appartenant à des mouvements d'extrême-droite. Je n'étais pas crédible pour le SCRS alors que le juge avait accepté mon témoignage et que Bristow était au premier rang de la bataille pour empêcher les extrémistes de droite d'être condamnés à la prison.
J'ai lu ce que l'on disait sur l'affaire Bristow dans le rapport sur le CSARS. En ce qui concerne les paragraphes sur le Parti réformiste du Canada, je ne suis ni membre ni partisane du Parti réformiste. Je n'ai aucune connaissance des activités de Bristow en ce qui concerne le Parti réformiste ou Preston Manning.
Ma connaissance des activités de Bristow me portent à conclure que le CSARS n'a pas bien fait son travail. Il est étonnant de constater que Bristow loue le SCRS et le responsable de son dossier quand on connaît la nature des activités criminelles auxquelles il s'adonnait. Dans ce rapport, le SCRS reconnaît à plusieurs endroits connaître les activités de Bristow.
En tant que citoyenne canadienne, j'estime que l'affaire Bristow doit être rendue publique. Les contribuables canadiens ont le droit de savoir. Les délibérations de votre comité, contrairement à celles du CSARS se déroulent en public. C'est pourquoi je suis ici aujourd'hui. Ce que vous faites est essentiel. Il y a tellement de questions à poser et de témoins à interroger.
Récemment, le témoignage d'un ancien agent du SCRS nous apprenait que le directeur régional du Québec avait participé à certaines des activités suspectes de l'ancêtre du SCRS, la GRC, au cours des années soixante-dix. Nous avons également appris que son bras droit dirigeait Marc Boivin qui a participé à des activités clandestines dans le mouvement syndical au Québec dans les années quatre-vingt. S'agit-il du même genre de choses dans l'affaire Bristow? Voilà les questions auxquelles il vous faut répondre. Est-ce que le responsable vient de la même école?
Enfin, j'aimerais qu'il y ait une enquête approfondie de l'affaire Bristow et du rôle du SCRS. Je suis persuadée que seule une enquête publique permettra d'aller au fond des choses et nous permettra d'assurer que ce genre d'activités ne se répètera pas à l'avenir.
Personnellement, je ne suis pas protégée par la police. Je ne fais pas partie d'un programme de protection des témoins. Je n'ai pas été relocalisée aux frais du contribuable. Je n'ai pas obtenu de voiture, ni d'allocations mensuelles; et croyez-moi, je dois payer mes appels interurbains. Toutefois, j'ai offert de venir témoigner contre les extrémistes de droite pour aider à en envoyer d'autres derrière les barreaux.
Lorsque l'on évalue les activités de la police ou celles d'autres organismes, on examine le résultat final afin d'avoir une idée claire du travail effectué. Dans le cas de Bristow, non seulement devrait-on l'inculper à cause de certaines de ses activités criminelles, mais il y a lieu de souligner qu'il n'a pas réduit l'efficacité du Heritage Front. Il a augmenté sa capacité. J'y étais, et j'ai vu ce qu'il a fait. Il n'a jamais témoigné contre ces individus; son travail n'a pas entraîné l'arrestation d'extrémistes de droite. Je le répète, pas une seule arrestation.
Ces faits justifient une enquête publique. Merci.
Le président: Nous sommes prêts à passer aux questions.
M. Langlois: Monsieur le président, pour ce premier tour, je vous demande de donner la parole à M. Wappel.
Le président: Très bien.
M. Wappel (Scarborough-Ouest): Madame Hategan, pouvez-vous nous donner votre date de naissance.
Mme Hategan: Le 17 décembre 1974.
M. Wappel: Merci. Vous avez dit au cours de votre exposé que vous vous étiez jointe au Heritage Front à l'automne de 1991. Pouvez-vous nous dire avec qui vous avez d'abord communiqué?
Mme Hategan: Oui. J'ai communiqué avec le Heritage Front. J'ai écouté les messages pendant une semaine et alors j'ai moi-même laissé un message. C'est Wolfgang Droege qui a été le premier à communiquer avec moi. Nous nous sommes rencontrés et c'est là que tout a commencé.
M. Wappel: Comment devient-on membre du Heritage Front? Comment est-ce arrivé dans votre cas?
Mme Hategan: Je suis devenue membre en appelant la ligne directe; j'avais obtenu ce renseignement du groupe américain...
M. Wappel: Non, ce n'est pas ce que je voulais dire. Je veux savoir si vous devez signer une carte. Devez-vous payer une cotisation? Avez-vous une carte de membre sur vous?
Mme Hategan: Pas nécessairement. Les partisans du groupe sont considérés comme des membres. Quelqu'un qui veut une carte de membre peut en obtenir une. On peut, en fait, signer et recevoir une carte de membre; mais ce n'est pas nécessaire.
M. Wappel: L'avez-vous fait?
Mme Hategan: Je n'en n'avais pas les moyens à ce moment-là, mais j'étais considérée comme membre du groupe. J'ai reçu, beaucoup plus tard, une carte de membre; mais je n'ai pas eu à payer ou à signer quoi que ce soit au début.
M. Wappel: Pouvez-vous me dire qui vous a considérée comme un membre du groupe, d'après vous? Était-ce Droege?
Mme Hategan: Oui, c'était Wolfgang et Gerry Lincoln - deux des trois.
M. Wappel: Lorsque vous êtes devenue membre, en quoi consistait vos fonctions?
Mme Hategan: Tout ce qui devait être fait. J'ai enregistré des messages sur la ligne téléphonique. J'ai écrit des articles pour le magasine Up Front. J'ai pris la parole à l'occasion de rassemblements.
M. Wappel: Voyons toutes ces fonctions une par une. Qui vous a demandé d'enregistrer des messages sur la ligne téléphonique?
Mme Hategan: Wolfgang Droege et Gerry Lincoln.
M. Wappel: Qui vous a demandé d'écrire des articles?
Mme Hategan: Gerry Lincoln.
M. Wappel: Qu'avez-vous fait d'autre?
Mme Hategan: J'ai pris la parole lors de rassemblements. Ces deux mêmes personnes, et en particulier Wolfgang, m'y ont poussée parce qu'ils estimaient que le groupe avait besoin d'une femme comme porte-parole et pour figurer au premier plan. Tous les autres, vous le savez, étaient des hommes.
M. Wappel: Très bien, qu'avez-vous fait d'autre?
Mme Hategan: Après un certain temps, j'ai distribué des tracts.
M. Wappel: À la demande de qui?
Mme Hategan: C'est Wolfgang qui m'a donné des tracts; il s'agissait seulement de tracts habituels faisant la promotion du Heritage Front.
M. Wappel: Qu'avez-vous fait d'autre?
Mme Hategan: J'ai essayé de recruter des membres. J'ai rappelé des gens qui avaient laissé des messages sur la ligne directe. Je les ai rappelés et je leur ai demandé ce qu'ils pensaient et pourquoi ils voulaient faire partie du groupe, notamment.
M. Wappel: Qui vous a demandé de le faire?
Mme Hategan: Eh bien, lorsque j'ai commencé à le faire, je n'avais pas encore fait tellement de choses pour le groupe et je ne connaissais donc pas beaucoup de gens. Au fond, c'est Wolfgang et Gerry que je connaissais vraiment. Ce sont eux qui m'ont encouragée.
M. Wappel: Naturellement, vous avez mentionné Grant Bristow dans votre déclaration. Vous rappelez-vous quand vous avez fait sa connaissance?
Mme Hategan: C'était en 1991, un mois environ après être devenue membre. Il était absent jusque-là, ou il n'était pas très actif à ce moment-là; puis il est revenu et c'est alors qu'on nous a présentés. On me l'a présenté comme l'autre dirigeant du Heritage Front; comme l'un des fondateurs du groupe.
M. Wappel: Qui vous l'a présenté?
Mme Hategan: Wolfgang.
M. Wappel: Il vous l'a présenté en ces termes - c'est l'un des dirigeants du Front?
Mme Hategan: Il m'avait beaucoup parlé de la création du Heritage Front et de ses fondateurs. Lorsque j'ai rencontré Grant, j'étais déjà au courant. Il a dit que c'était l'homme dont nous parlions, l'autre dirigeant.
M. Wappel: Avez-vous jamais travaillé avec Bristow?
Mme Hategan: Oui.
M. Wappel: Qu'avez-vous fait pour lui et avec lui?
Mme Hategan: Au début, il me donnait certains renseignements. Il me donnait des adresses. Il m'a enseigné à utiliser les annuaires par numéros, les notes d'eau et les listes électorales pour vérifier ces adresses et obtenir les noms des personnes qui habitent à ces adresses, ainsi que leurs numéros de téléphone. Parfois, on les distribuait aux autres.
M. Wappel: Quels autres?
Mme Hategan: Ceux du Heritage Front, ses partisans ou ses membres, tout dépendant des personnes qu'il voulait harceler ou qui serviraient de cibles à ce moment-là.
Voyons, l'autre travail que j'ai fait était simplement... Il me disait d'aller...
M. Wappel: Permettez-moi, cela venait-il directement de lui, ou recevait-il ces instructions de Droege ou de Lincoln? Comment cela se passait-il?
Mme Hategan: Non, c'était plus ou moins son domaine réservé. Il en connaissait plus sur la gauche que n'importe qui d'autre, y compris Wolfgang. Wolfgang était tenu au courant.
Après mon inculpation en 1993, je ne pouvais plus servir de porte-parole. Une condition de ma mise en liberté sous caution était que je ne m'associe plus avec eux. La seule chose que je pouvais encore faire à ce moment-là était donc de travailler en coulisse, ce qui est devenu...
Il m'avait demandé, il m'avait ordonné de harceler une femme avant mon inculpation. C'était par elle...il voulait que j'essaie de lui soutirer des renseignements et cela a continué. Ensuite, j'ai rencontré quelqu'un qui pouvait me permettre d'avoir accès à des renseignements sur la gauche, et je les lui ai transmis. Nos discussions se sont poursuivies et il s'est fié de plus en plus à moi pour vérifier ces informations. Nous en sommes ainsi venus à discuter de plus en plus de ce qui se passait.
M. Wappel: Dans mon esprit, j'en suis encore à l'automne de 1991, au moment où vous avez fait la connaissance de Bristow, à qui Wolfgang Droege vous a présentée. À cette époque, qu'avez-vous pu observer sur l'organisation du Front et ses dirigeants?
Mme Hategan: Wolfgang était le principal porte-parole. Gerry Lincoln était responsable de tous les écrits, notamment des tracts et des revues. Grant était un personnage que je n'avais pas rencontré. On m'a dit qu'il oeuvrait dans le secteur du renseignement. Il était responsable de ce genre de choses. Je ne sais pas. C'est à peu près tout.
M. Wappel: Après l'avoir rencontré et avoir commencé à travailler avec lui, comme vous l'avez dit, votre perception quant à sa participation a-t-elle changée, ou est-elle restée la même?
Mme Hategan: Je ne le connaissais pas très bien. De 1991 à 1993, je l'avais rencontré aux domiciles de plusieurs personnes et dans des bars, à l'occasion de réunions du Heritage Front. Il était également venu à une fête d'anniversaire à laquelle j'ai participé. Il avait signé une carte et avait contribué à l'achat d'un cadeau. Mais je ne le connaissais pas vraiment très bien. Je savais seulement qu'il était l'un des dirigeants.
J'ai vraiment commencé à parler avec lui... Il m'a approchée en décembre 1992 pour me demander de harceler quelqu'un. Auparavant, il se contentait de parler vaguement de la gauche, de ce que ces gens faisaient, du fait qu'ils s'opposaient au groupe et autres sujets de cette nature. C'est à ce moment-là qu'il s'est adressé à moi pour la première fois et m'a donné des renseignements. À partir de là, j'ai eu plus de contacts avec lui.
M. Wappel: Avant décembre 1992, avez-vous eu l'occasion de l'entendre faire des discours?
Mme Hategan: Oui, il prenait la parole à presque tous les rassemblements; mais on les supprimait des enregistrements. Presque tous ses...
M. Wappel: Qu'entendez-vous par là?
Mme Hategan: Gerry Lincoln était également responsable du montage des enregistrements magnétoscopiques. Grant ne voulait pas que les enregistrements de ses discours soient diffusés. On vendait les enregistrements 20$. Grant ne voulait pas paraître dans ces enregistrements et Gerry éliminait donc les parties où il figurait. Sa tâche consistait principalement à recueillir des fonds et à exciter les gens.
M. Wappel: En décembre 1992, il est venu vous suggérer de harceler quelqu'un. Est-ce exact?
Mme Hategan: Il ne fait pas de suggestion. Il a écrit le numéro de téléphone personnel de la femme et son numéro de téléphone au travail. Ce soir-là...
J'ai des déclarations que je voulais faire et remettre...
M. Wappel: De quelles déclarations parlez-vous? S'agit-il de déclarations écrites sous serment?
Mme Hategan: Oui, où je décris le premier incident. Il a préparé un tract dans lequel il qualifiait certains membres de groupes antiracistes de membres du Heritage Front.
Une voix: Des membres du groupe Anti-Racist Action?
Mme Hategan: Oui.
M. Wappel: Combien avez-vous de déclarations écrites sous serment, madame Hategan?
Mme Hategan: Je ne les ai pas toutes comptées. Elles n'ont pas toutes été écrites en même temps. Je dirais qu'il peut y en avoir une cinquantaine.
M. Wappel: En avez-vous apporté des exemplaires?
Mme Hategan: Je ne les ai pas toutes apportées; mais j'ai ici les déclarations qui concernent Grant.
M. Wappel: Les remettrez-vous au comité?
Mme Hategan: Certainement.
M. Wappel: Dans l'une de ces déclarations, le 23 septembre 1993, vous parlez d'une femme du nom de Ruth. Est-ce la femme dont nous parlons?
Mme Hategan: Oui, c'est la première personne dont il m'a parlé.
M. Wappel: Que voulait-il que vous fassiez à Ruth?
Mme Hategan: Au début, en décembre 1992, elle était seulement déclarée «it». C'est le soir où il en a vraiment parlé à tout le monde. Il y avait une rencontre, d'au moins 30 personnes. Il a parlé à tout le monde de cette campagne «it», dans le cadre de laquelle une personne serait désignée «it». Il a dit qu'entre autres choses on lui téléphonerait jour et nuit, sans relâche. Il nous a dit qu'il y avait un homme qui avait été «it», mais que maintenant Ruth McKenzie était «it». Il a écrit son numéro de téléphone et me l'a remis. Il m'a pressée de l'appeler et de la harceler. Il voulait également que j'enregistre un message sur des lignes particulières, et plus précisément que je laisse des messages obscènes en prétendant être Ruth.
M. Wappel: Cette réunion où l'on a discuté de la campagne «it» - je tiens à ce que ça soit bien clair; vous dites que c'est Grant Bristow qui a parlé de la campagne «it» et qu'il l'a expliquée aux membres du Heritage Front présents à cette réunion?
Mme Hategan: Oui.
M. Wappel: Puis après cette réunion, il vous a donné le nom de cette Ruth...
Mme Hategan: C'était à cette réunion, mais plus tard.
M. Wappel: C'était à cette réunion?
Mme Hategan: Oui.
M. Wappel: Et il vous a demandé de lui téléphoner. Quel genre d'appels vous a-t-il demandé de faire? Quelles instructions vous a-t-il données?
Mme Hategan: Il m'a dit de lui faire savoir que nous la surveillions et qu'elle n'était pas seule. L'objectif était de lui téléphoner le plus souvent possible et de s'assurer qu'elle savait qu'elle avait commis une erreur en se levant contre le Heritage Front et en faisant partie du groupe Anti-Racist Action.
À ce moment-là, je lui ai demandé si elle savait qu'elle était «it», et il a répondu oui, parce qu'il lui avait déjà téléphoné et s'était assuré qu'elle le savait. Il s'agissait maitenant d'obtenir que le plus de gens possible.... Il a dit de dire ce que je voulais, à condition qu'elle sache que nous étions là et qu'elle soit ébranlée.
M. Wappel: C'était en décembre 1992. Est-ce bien cela?
Mme Hategan: En effet.
M. Wappel: Et vous avez continué ainsi jusqu'à l'automne 1993? Je veux parler de la campagne «it».
Mme Hategan: La campagne «it» a commencé vers le mois de décembre 1992. Je pense en effet qu'elle s'est vraiment terminée en novembre lorsque je suis partie, parce que c'est alors que j'ai commencé à parler et à vraiment la rendre publique. La campagne a diminué quelque peu au début de l'automne. Elle n'était pas aussi intense. La période la plus intense a été de décembre 1992 jusqu'à l'automne de l'année suivante.
M. Wappel: Pendant toute cette période, quelqu'un d'autre que Grant Bristow vous a-t-il donné des instructions en rapport avec la campagne «it»?
Mme Hategan: Tout dépend de ce que vous entendez par là. Voulez-vous parler de la campagne «it» comme telle, ou de la campagne générale pour avoir la gauche? Grant était le principal...
M. Wappel: Non, je veux parler de la campagne «it» dans le cadre de laquelle vous visiez une personne en particulier qui était désignée «it».
Mme Hategan: Oui, Grant était le seul à me donner des instructions à ce sujet.
M. Wappel: Très bien. Est-ce qu'il y a eu une autre cible que Ruth?
Mme Hategan: Oui.
M. Wappel: Combien?
Mme Hategan: Grant m'a donné des renseignements sur deux douzaines de personnes environ, soit qu'il m'ait donné leurs noms ou leurs adresses. Il y avait beaucoup d'autres gens que nous considérions comme nos ennemis, mais je pense qu'il concentrait ses efforts principalement sur ces personnes.
M. Wappel: Vous a-t-il demandé de vous identifier lorsque vous feriez ces appels?
Mme Hategan: Non, il était prudent. Je pouvais mentionner que j'appartenais au Heritage Front, mais je ne devais pas donner trop de détails, parce que nous ne voulions pas qu'ils.... Mais la personne appelée devait être informée qu'elle était visée à cause de son travail contre le Heritage Front.
M. Wappel: Parlez-nous un peu des instructions que vous avez reçues. Je ne cherche pas à influencer vos réponses. Combien de fois par jour ou par nuit deviez-vous téléphoner?
Le président: Monsieur Wappel, si vous me permettez une petite intervention, je vous rappelle que nous avons habituellement des séries de questions de 10 minutes.
M. Wappel: Vous pouvez m'arrêter n'importe quand, monsieur le président.
Le président: Je me demande, monsieur Harris, si vous vous opposeriez à ce que M. Wappel continue sa série de questions, car elles s'enchaînent toutes. Il utiliserait les 10 minutes allouées à M. Langlois et ses propres 10 minutes, puis vous auriez droit à vos 10 minutes. Êtes-vous d'accord?
M. Harris (Prince George - Bulkley Valley): Certainement. Je vous en prie.
M. Wappel: Merci. Vous pouvez m'arrêter, monsieur le président, dès que mon temps sera écoulé.
Vous a-t-il donc donné des instructions en ce qui concerne le moment des appels et l'endroit d'où vous pouviez les faire?
Mme Hategan: Oui, il fallait lui téléphoner au travail et à domicile à n'importe quelle heure. Il disait qu'il était préférable d'utiliser une cabine téléphonique ou d'utiliser le service de blocage lorsque je téléphonais, afin qu'elle ne puisse pas retracer mon numéro de téléphone. Les appels de nuit seraient même préférables, mais on pouvait les faire à tout moment. C'est pourquoi il disait d'obtenir le service de blocage, parce que je ne pouvais pas me rendre à un téléphone public en plein milieu de la nuit; je devais donc utiliser le blocage. Il y avait un numéro de central à Toronto et l'on pouvait passer par ce central, de sorte que c'était un numéro différent qui apparaissait sur l'afficheur. Il m'a donc donné ce numéro de téléphone à utiliser afin qu'elle ne puisse pas retracer mon appel.
M. Wappel: Dans votre déclaration, vous avez dit que Bristow avait enseigné à des membres du groupe des techniques de collecte de renseignements à utiliser contre les membres des groupes antiracistes, et qu'il avait également enseigné la façon de harceler efficacement une personne.
Mme Hategan: C'est exact.
M. Wappel: À part ce que vous m'avez déjà dit, y a-t-il autre chose qu'il vous a montré ou dit de faire?
Mme Hategan: Il m'a parlé de certains textes à caractère psychologique qu'il avait lus sur la façon de harceler efficacement quelqu'un - il y était question notamment, comme je vous l'ai dit, de faire savoir aux personnes visées qu'elles sont constamment surveillées, les amener à se sentir très paranoïaques afin de les énerver.
Je n'avais pas de voiture ni de permis de conduire, mais il m'a montré comment semer quelqu'un qui me suivait. Il l'a montré à d'autres également. Il m'a enseigné aussi à filer quelqu'un. Il m'a dit comment passer inaperçue, comment longer un édifice ou observer un immeuble pendant quelques heures. C'est en plus des instructions qu'il m'a données au sujet...il m'a aussi enseigné à me faire passer pour quelqu'un d'autre, par exemple pour un policier, un journaliste ou quelqu'autre personne qui téléphone pour obtenir des renseignements.
À part cela, il y avait aussi les listes électorales, les listes des détenteurs d'un compteur d'eau, les annuaires par numéros. Il m'a dit comment je pouvais obtenir le numéro d'immatriculation de la voiture de quelqu'un en téléphonant au Bureau des permis de conduire - je ne suis pas certaine - et en disant.... Il m'a dit que cela coûtait cinq dollars et il m'a expliqué comment faire cela et toutes sortes d'autres choses.
M. Wappel: Dans votre déclaration, vous dites que vous parlez du tract intitulé Animal Life Series. Vous dites que c'est Droege, Overfield et Bristow qui en sont les auteurs. Pourquoi dites-vous cela?
Mme Hategan: Parce qu'ils l'ont rédigé.
M. Wappel: Comment le savez-vous?
Mme Hategan: Les tracts que je recevais venaient de Wolfgang Droege et ils venaient tout juste d'être imprimés. Il venait de les recevoir. La seule machine qu'ils utilisaient pour préparer les tracts se trouvaient chez Alan Overfield et Margue Poole, qui était alors la petite amie de Wolfgang, me l'a confirmé par la suite. Elle m'a dit que ces tracts étaient préparés chez Overfield, ce qui a confirmé mes soupçons.
J'admets que le nom figurant sur le tract n'était pas celui d'une militante de gauche très connue.... C'était une très jeune femme. Elle avait fait très peu de travail pour les groupes antiracistes. Le seul qui aurait pu avoir ce renseignement était Grant; et il l'avait. Après mon inculpation, j'ai voulu en savoir un peu plus sur cette personne et il m'a donné quelques renseignements supplémentaires. Il était vraiment le seul au sein du Heritage Front à savoir quelque chose sur cette fille.
M. Wappel: Vous dites que c'est lui qui a préparé le tract. Vous receviez les tracts de Droege. Ils étaient imprimés sur la machine d'Alan Overfield et vous dites que Bristow préparait le tract. Sur quoi fondez-vous cette affirmation?
Mme Hategan: Étant donné qu'il fournissait les renseignements contenus dans le tract, il en était donc responsable à demi. La légende figurant sous la caricature disait: «Association for the Advancement of Semi-Intelligence - for info call or write» et ainsi de suite, la fille de la gauche - «Toronto, Ontario». Son adresse et son numéro de téléphone y figuraient et sa maison a été saccagée. La seule personne qui avait ce renseignement était Grant. Wolfgang ne l'avait pas et Overfield non plus. Grant était le seul dirigeant du service de renseignement à ce moment-là. Lui seul avait ce renseignement et il l'a fourni à Wolfgang et à Overfield en prévision de la rédaction de ce tract.
M. Wappel: C'est une conclusion que vous avez tirée et que d'autres ne tireraient peut-être pas, je suppose. J'imagine qu'il a fourni le renseignement à Droege et à Overfield.
Mme Hategan: Il l'a fourni pour qu'on l'utilise avec cette caricature.
M. Wappel: Vous en a-t-il parlé ou s'en est-il vanté? Vous a-t-il dit quelque chose qui vous porterait à croire qu'il a participé à la préparation de ce tract?
Mme Hategan: Il m'a donné le renseignement qui figurait sur ce tract au sujet de cette personne, un renseignement que personne d'autre ne connaissait. À part cela il n'en a pas dit beaucoup plus. Il a seulement dit que ces tracts.... Il les connaissait. Il m'en a parlé. Il les avait vus.
M. Wappel: Vers la fin de votre déclaration, vous dites que vous connaissez la nature des activités criminelles auxquelles Bristow a participé.... Pourriez-vous nous donner la liste des activités de nature criminelle auxquelles Bristow a participé, d'après vous?
Mme Hategan: Il a fait lui-même des appels téléphoniques, il a harcelé des gens. Il a proféré des menaces à leur endroit. Il m'a fait entendre l'enregistrement d'appels qu'il avait faits. L'un de ces appels était destiné à Ruth. Un autre visait un homme que je ne pourrais pas vraiment identifier. Il m'avait fait entendre ces enregistrements et il menaçait ces personnes. À part cela, il a fait des appels lui-même. Il m'a même fait écouter sur un autre téléphone pendant qu'il faisait de tels appels. Je gardais le silence. C'était lui qui parlait. Une autre fois pendant que j'écoutais, il a aussi obtenu accès à des répondeurs téléphoniques et en utilisant le code de leur propriétaire, il a pu connaître les messages laissés sur ces machines. Tout cela est illégal.
Il s'est évidemment fait passer pour différentes personnes lorsqu'il téléphonait pour obtenir des renseignements, ou lorsqu'il faisait des démonstrations, prenaient des photos et ainsi de suite. Il donnait des instructions à d'autres, les poussant à harceler des gens, à les filer et à les menacer. Je pense que c'est à peu près tout.
M. Wappel: Pratiquement au dernier paragraphe, vous dites qu'il a accru la capacité du Heritage Front. Je présume que vous voulez dire qu'il a accru sa capacité de fonctionnement ainsi que son efficacité. Pouvez-vous nous dire comment il a accru son efficacité?
Mme Hategan: En décembre 1992, les seuls progrès que réalisaient le Heritage Front se limitaient pratiquement au recrutement de nouveaux membres. Le groupe était très replié sur lui-même. C'est Grant qui lui a fait prendre de l'expansion en ciblant la gauche. C'est lui qui a apporté des serviettes pleines de noms et d'adresses.
Il a accru la capacité du Heritage Front en assurant la formation d'un grand nombre de personnes qui ne savaient rien. J'ignorais totalement comment recueillir des renseignements pour coincer quelqu'un; je n'y connaissais absolument rien. C'est lui qui m'a appris tous les trucs qu'il connaissait en tant que détective privé agréé. Il a donc accru la capacité du Heritage Front à collecter les renseignements. Il nous a appris comment s'y prendre, comment être efficaces, et comment intimider ces gens-là pour qu'ils nous fichent la paix, entre autres choses. Le mouvement a en quelque sorte pris de l'ampleur.
La plupart des gens avaient des doutes au sujet du Heritage Front mais l'enthousiasme suscité par la participation à cette vaste opération d'espionnage, avec collecte de renseignements et tout, les a rendus encore plus actifs. C'était amusant de poursuivre les gens, de les menacer et de leur faire des menaces de mort au téléphone, par exemple. Il a embarqué les gens dans cette aventure et c'est ce qui a amplifié le mouvement.
La Church of the Creator, qui est une autre ramification du Heritage Front, est un organisme très différent. La plupart des membres faisaient partie des deux groupes et se mettaient à faire principalement de la collecte de renseignements. Ils avaient déjà une mentalité paramilitaire mais ils s'occupaient surtout de collecte de renseignements après avoir rencontré Grant et parlé avec lui.
M. Harris: Merci d'être venue aujourd'hui, madame Hategan. Travailliez-vous pendant les deux années au cours desquelles vous avez été membre du «Heritage Front», c'est-à-dire de l'automne 1991 à 1993?
Mme Hategan: Je vivais chez moi.
M. Harris: Je vois. Vous avez certainement eu besoin de revenus. Est-ce qu'un des membres, M. Bristow ou M. Droege, vous donnait de l'argent?
Mme Hategan: Non. J'ai touché des prestations d'aide sociale pendant une très courte période. Wolfgang Droege et plusieurs autres membres encourageaient tout le monde à essayer de toucher des prestations d'aide sociale pour avoir des revenus supplémentaires pour le Heritage Front, auquel j'ai donc donné une partie de l'argent que je touchais. Je n'ai toutefois été assistée sociale que pendant trois mois parce que j'avais vraiment peur. Je n'aimais pas faire cela. C'était avant que je ne sois accusée, donc vers décembre 1992.
M. Harris: Connaissez-vous beaucoup de membres qui ont fait la même chose et qui ont donné l'argent qu'ils recevaient au Heritage Front?
Mme Hategan: Oui.
M. Harris: A-t-il jamais été question d'un plan, est-il arrivé que tout le monde décide que l'on allait gagner de l'argent de telle ou telle façon?
Mme Hategan: On débattait toujours des idées et on parlait de gagner de l'argent en ouvrant un café-restaurant ou en faisant travailler des prostituées pour le Heritage Front, par exemple. Il a également été question de faire du trafic de drogue ou quelque chose comme cela. On a parlé également d'aide sociale. On a dit que c'était absolument nécessaire pour s'en sortir. On pouvait arriver à recevoir environ 600$, ce qui est le maximum à Toronto et on pouvait certainement laisser au moins 200$ au groupe.
M. Harris: Par conséquent, cette organisation a été financée en partie par le gouvernement, d'une façon détournée.
Mme Hategan: Je suppose.
M. Harris: Le rapport du CSARS dit que les membres du Heritage Front avaient divers plans au sujet du Parti réformiste. Il était notamment question de s'infiltrer dans le parti, selon l'idée de Al Overfield ou d'essayer de le discréditer, selon le plan de Droege. Avez-vous participé à certaines des discussions, ou étiez-vous au courant?
Mme Hategan: J'étais là quand les discussions ont eu lieu. Pratiquement la seule chose que l'on n'a pas faite, c'est mettre un message sur la ligne directe. Tous ceux qui assistaient aux réunions étaient encouragés à prendre une carte de membre du Parti réformiste. Ceux qui n'avaient pas les 10$ nécessaires les recevaient. C'était uniquement pour faire inscrire le nom. On voulait surtout des membres du «Heritage Front» qui n'étaient pas très connus pour que les mouvements entre les deux organismes passent inaperçus. Presque tous ceux qui sont devenus membres du Heritage Front se sont fait dire qu'ils pouvaient toujours également s'affilier au Parti réformiste.
M. Harris: Quand vous vous réunissiez avec Droege, Bristow et Overfield, et qu'il était question d'être actifs d'une façon ou d'une autre au sein du Parti réformiste...
Mme Hategan: Je ne crois pas que le plan de Wolfgang était de discréditer le Parti réformiste.
M. Harris: Il voulait le discréditer, non.
Mme Hategan: Non, je ne le pense pas. Il était question que le plus grand nombre possible de personnes s'infiltrent le parti pour faire une sorte de prise de contrôle au bout de quelques années, quand l'effectif aurait beaucoup augmenté. Parmi les membres, il était surtout question que ce soit les étudiants du niveau universitaire, c'est-à-dire, les plus instruits, qui s'affilient au Parti réformiste. On espérait ainsi avoir de plus en plus de membres au sein du parti en quelques années et finir par en prendre la direction.
M. Harris: Je voudrais avoir une idée du rôle que Grant Bristow a joué.
Mme Hategan: J'ignore quel a été son rôle dans ce domaine. Il était très vague. Tout le monde était encouragé à s'inscrire. Grant suivait le mouvement. Il approuvait. C'est tout ce que je sais.
M. Harris: Semblait-il encourager les gens activement ou préparer un plan quelconque?
Mme Hategan: Je l'ignore.
M. Harris: Vous avez dit que les membres du Heritage Front qui n'avaient pas les 10$ nécessaires pour s'inscrire au Parti réformiste les recevaient. D'où venait cet argent? Avez-vous déjà vu Grant Bristow donner de l'argent à quelqu'un?
Mme Hategan: Non. L'argent venait de la direction. J'avais l'impression que c'était un des principaux dirigeants, Wolfgang, Gerry ou Grant, qui s'arrangeaient pour fournir l'argent. Si vous vouliez vraiment vous inscrire au Parti réformiste, le montant de la cotisation n'était pas un obstacle.
M. Harris: À l'époque où vous faisiez partie du groupe, quand vous discutiez d'affiliation au Parti réformiste, il est possible que l'on ait également parlé de tous les autres partis politiques. Est-ce que vous aviez l'impression que certains des membres du «Heritage Front» pouvaient être membres du Parti progressiste-conservateur, par exemple?
Mme Hategan: Oui, il y avait quelqu'un qui était le chef des Jeunes conservateurs.
M. Harris: Je vois. Êtes-vous autorisée à nous dire qui?
Mme Hategan: Il s'agit d'un nommé David Earle. Il était venu aux réunions. Il ne voulait pas se contenter de faire partie du «Heritage Front». Il voulait aussi s'affilier à d'autres organisations nationales socialistes. Il était allé au congrès au cours duquel Mme Kim Campbell a été élue chef du parti. Il était le chef des Jeunes conservateurs.
M. Harris: Par conséquent, un lien pas mal visible s'est établi entre lui et le Parti progressiste-conservateur. Y a-t-il d'autres personnes qui ont parlé de leurs affiliations au cours des conversations?
Mme Hategan: Je ne suis pas suffisamment au courant de ce qui se passait.
M. Harris: Je pensais que vous aviez pu entendre certaines choses au cours de certaines réunions; que vous aviez pu entendre parler de participation active au sein du Parti réformiste. Quelqu'un lance l'idée et c'est comme cela que cela arrive.
Est-ce que David Earle était le seul à avoir des liens avec le Parti progressiste-conservateur ou bien y en avait-il d'autres?
Mme Hategan: Je ne suis pas certaine. Il y a Marque Poole qui était sortie avec David Earle et qui s'était inscrite également à ce parti. Je ne suis pas très au courant.
M. Harris: Avez-vous jamais entendu Grant Bristow parler d'une rencontre avec un ministre conservateur comme Otto Jelinek?
Mme Hategan: Je ne sais pas.
M. Harris: David Earle et l'autre personne dont vous avez parlé, Marque Poole, ont-ils participé à la campagne d'investiture de Kim Campbell?
Mme Hategan: David Earle.
M. Harris: Savez-vous s'il participait à sa campagne?
Mme Hategan: Je crois qu'il participait à la campagne de Jean Charest. Oui, car je me souviens qu'il dénigrait Kim Campbell à l'époque.
M. Harris: Leur est-il jamais arrivé de parler de ce qui se passait dans le cadre de cette campagne d'investiture, quand vous vous réunissiez?
Mme Hategan: Je ne m'intéressais vraiment pas aux Conservateurs à cette époque et par conséquent je ne faisais pas beaucoup attention, même si on en discutait. En fait, on n'en parlait pas.
M. Harris: Quand vous êtes vous rendue compte que Grant Britow pouvait travailler pour le SCRS?
Mme Hategan: C'est le 13 août, c'est-à-dire la veille du jour où l'affaire a été dévoilée dans le Toronto Sun. J'avais parlé avec Bill Dunphy et il avait dit qu'il y avait quelque chose de très grave que je devais savoir au sujet de Grant. Je lui ai demandé de quoi il s'agissait; s'il avait tué quelqu'un. Il m'a répondu que non, que c'était pire, qu'il était un agent du SCRS. C'était un choc, mais cela m'a également permis de comprendre pourquoi la police s'était montrée si peu disposée à m'aider.
La plupart des documents qui se trouvaient dans la première pile que j'ai donnée à la Police provinciale de l'Ontario quand je l'ai rencontrée concernait les activités criminelles et illégales de Grant. Je n'arrivais pas à comprendre. Il y avait aussi des documents concernant des armes qui auraient pu très bien donner lieu à des poursuites. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi on me disait qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour intervenir. J'ai témoigné. J'ai fait condamner des gens. J'avais des preuves. J'avais la preuve de l'existence d'armes. J'avais des preuves au sujet de Grant. Je n'arrivais donc pas à comprendre cette attitude.
On ne m'a pas accordé de protection. On m'a laissée en plan. Je devais passer d'un endroit à un autre et seuls des amis m'aidaient. On ne m'accordait aucune protection et c'est ce soir-là que j'ai tout compris.
M. Harris: Quand vous vous êtes compromise en quittant le Heritage Front et en vous mettant à témoigner contre les membres de cet organisme, vous ne compreniez donc pas très bien pourquoi la police ne vous protégeait pas.
Mme Hategan: C'est cela. Je ne comprenais vraiment pas. Grant était toujours là. Il donnait des renseignements à la défense. Je n'y comprenais absolument rien.
J'ai commencé à faire ma petite enquête personnelle. Ken Barker et moi avions commencé à faire une petite enquête au Heritage Front. J'ai mis en pratique ce que Grant m'avait appris et j'ai consulté le vieil annuaire par numéros pour avoir le plus de renseignements possibles à son sujet; non parce que je le soupçonnais de travailler pour le gouvernement, par exemple, mais parce que je n'arrivais pas à comprendre pourquoi il avait dit des choses contradictoires à diverses personnes. Je faisais de la collecte de renseignements en étroite collaboration avec lui et il savait très bien que je ne respectais pas les conditions de ma mise en liberté sous caution. Je voulais savoir ce qui se passait et pourquoi il agissait ainsi. Je n'en ai jamais eu la moindre idée avant le mois d'août.
M. Harris: Au Heritage Front, est-ce que M. Bristow semblait donner des ordres ou plutôt en recevoir?
Mme Hategan: Il ne recevait jamais d'ordres. Il lui est arrivé d'en donner; le 11 juin, par exemple. Ce soir-là, on dirait qu'il donnait des ordres. D'une façon générale, il jouait un rôle plutôt discret; il observait et faisait certaines recommandations.
Le 11 juin, il y avait une démonstration antiraciste et elle n'avait pas lieu où l'on s'y attendait. J'y suis allée. Le groupe est allé manifester devant...
M. Harris: Je le vois là.
Mme Hategan: Ensuite, les membres du Heritage Front se sont réunis au Allan Gardens à Toronto; ils étaient très mécontents de ce qui s'était passé. Ils voulaient faire quelque chose. D'un côté il y avait Grant et de l'autre il y avait George Burdi, qui est également membre de la Church of the Creator. Il est monté sur une table avec un megaphone et il a dit: «Allons au Sneaky Dees pour embêter les gauchistes.» Grant, par contre, a donné plusieurs adresses personnelles de gens que je connaissais, ainsi que l'adresse d'un bureau. Il nous conseillait d'aller y répandre des excréments, de casser des vitres et d'y mettre des bombes incendiaires.
La plupart des gens ont suivi George Burdi, parce qu'il était jeune. C'est un skinhead, complètement paramilitaire. Ces gens-là ont donc décidé de le suivre et sont allés au Sneaky Dees. C'est pourquoi j'ai dit qu'on l'avait échappé belle. S'ils avaient suivi Grant, certaines maisons auraient été détruites. C'est la première fois que je...
M. Harris: Pensez-vous que le Heritage Front était bien organisé? Aurait-il été aussi bien organisé sans l'aide de Grant Bristow?
Mme Hategan: Non. Il était suffisamment organisé pour faire du recrutement. Les membres savaient utiliser les lignes téléphoniques. Ils n'étaient pas bêtes à ce point. Ils savaient publier le journal. Ils avaient toutes sortes d'activités internes. La plupart des membres ne savaient pas que faire en cas d'arrestation par un agent de police. Ils n'y connaissaient absolument rien. Ils ne savaient pas ce qu'était le SCRS. Ils n'y connaissaient rien et ils ignoraient tout du mandat de la GRC ou de la Police provinciale de l'Ontario.
Puis Grant est arrivé. Il nous a appris ce qu'il fallait faire et comment on pouvait s'en tirer et assurer la sécurité du groupe. Il a vraiment aidé plus que quiconque à organiser l'aile jeune.
Il y a d'autres personnes qui se sont mises à jouer un rôle vraiment actif après avoir été encouragées à faire partie du service de renseignement. On les a encouragées à se procurer des armes et à stocker des munitions. Ce n'est pas Grant qui a fait cela, mais...
Le président: Je signale en passant que ces 10 minutes ont été bien remplies.
M. Harris: Ah oui? Je m'excuse.
Le président: En théorie, nous avons terminé les trois premières séries de questions de 10 minutes. Je propose de passer aux séries de questions de cinq minutes, en alternant.
Monsieur Langlois.
[Français]
M. Langlois: Madame Hategan, vous avez parlé tout à l'heure d'inculpation et de libération conditionnelle. À quel moment avez-vous été inculpée et sous quel chef d'accusation?
[Traduction]
Mme Hategan: En février 1993, j'ai été accusée de publication d'écrits diffamatoires à propos du dépliant en question. Je me suis fait pincer par la police au moment où je le remettais à deux membres gauchistes de l'ARA. C'est ainsi que je me suis fait prendre et que l'on m'a inculpée.
Plus tard, après avoir reçu la permission du procureur général, en juillet 1993, la police ajouté un nouveau chef d'accusation, à savoir la propagande haineuse. À ce moment-là, j'étais sur le point de quitter le groupe et par conséquent cela ne m'a pas influencée.
Finalement, on a laissé tomber les accusations contre moi, parce que j'avais la déclaration écrite sous serment d'une personne à laquelle j'avais donné le dépliant, attestant que je voulais la prévenir et lui dire que son nom, son numéro de téléphone et son adresse seraient communiqués.
[Français]
M. Langlois: Vous me dites qu'on a laissé tomber les accusations. Tout à l'heure, vous parliez de libération conditionnelle. Est-ce que vous avez été reconnue coupable ou avez-vous plaidé coupable à quelque accusation que ce soit?
[Traduction]
Mme Hategan: Non, on n'a jamais engagé de poursuites contre moi. En fait, le chef de la brigade de lutte contre les crimes haineux de Toronto penchait plus en notre faveur et cela l'intéressait davantage de poursuivre les antiracistes. Il m'avait vu enfreindre les conditions de ma mise en liberté sous caution. Je suis même allée au tribunal avec les membres du «Heritage Front» alors que je n'étais pas censée y être. Il m'a toujours mise en garde en disant que j'allais trop loin, mais il n'a jamais agi.
Il n'a donc jamais intenté de poursuites contre moi. C'est à peu près tout.
Le président: M. Copeland pourrait peut-être nous expliquer de quoi il retourne au juste
Maître Paul Copeland (avocat): J'ai pris la défense de Mme Hategan au moment où des accusations étaient portées contre elle. J'ai commencé en novembre 1993, quand son départ du Heritage Front a été annoncé publiquement. Le procès était prévu pour juin 1994, si je ne me trompe.
J'ai remis au procureur de la Couronne, M. Bains, une déclaration écrite sous serment, faite par un de ces témoins, à propos des renseignements que Mme Hategan lui avait donnés en lui remettant le dépliant. Il était évident qu'elle le distribuait davantage dans le but d'avertir les membres de l'ARA de ce qui allait se passer que de répandre la haine raciale, ce dont elle avait été accusée.
Nous comptions mettre en doute la constitutionalité des accusations portées contre elle pour publication d'écrits diffamatoires, mais la Couronne n'y tenait pas vraiment et elle a retiré ces accusations en cour. Le procès n'a jamais eu lieu finalement, bien que l'accusée ait été traduite devant les tribunaux, qu'elle ait eu une audience préliminaire et qu'il ait été question au moins une fois de la tenue d'un procès à la Cour générale de ce secteur.
Si vous voulez, je peux vous remettre une copie de la déclaration écrite sous serment de Mme Edan Thomas.
Le président: Merci.
[Français]
M. Langlois: Votre cliente ne possède donc pas de casier judiciaire au sens de la Loi sur le casier judiciaire au Canada?
[Traduction]
Me Copeland: Un casier judiciaire? Non.
[Français]
M. Langlois: Madame Hategan, au moment où vous avez connu M. Bristow, viviez-vous de prestations du bien-être social?
Mme Hategan: Non.
M. Langlois: Quels étaient vos moyens de subsistance?
[Traduction]
Mme Hategan: J'habitais chez ma mère.
[Français]
M. Langlois: Alors, est-ce votre mère qui finançait le Heritage Front par personne interposée?
[Traduction]
Mme Hategan: Non, elle ne finançait pas le Heritage Front. J'ai déménagé pour une courte période, puis je suis retournée à la maison. C'est alors que j'ai commencé à toucher des prestations d'aide sociale.
Non, elle ne finançait pas le groupe. Je n'ai jamais reçu d'argent d'elle pour le Heritage Front.
J'étais allée aux États-Unis donner une entrevue dans le cadre d'un talk-show à la télévision. J'ai aussi utilisé l'argent que j'avais reçu à cette occasion pour faire des dons.
[Français]
M. Langlois: Quand vous êtes entrée en contact avec M. Bristow, vos ressources financières étaient modestes. Êtes-vous d'accord sur cette affirmation-là?
[Traduction]
Mme Hategan: Oui.
[Français]
M. Langlois: M. Bristow vous semblait-t-il jouir d'une situation financière plus intéressante? Est-ce qu'il vous apparaissait comme une personne qui avait suffisamment d'argent ou qui avait passablement d'argent?
[Traduction]
Mme Hategan: Je ne sais pas très bien. Il possédait une voiture. Il payait ses factures. Il payait parfois les factures des autres. Il a participé à l'achat du cadeau que j'ai reçu. Il semblait jouir d'une certaine sécurité financière.
[Français]
M. Langlois: Quand vous avez vu M. Bristow payer des comptes, des factures, inviter des personnes, payait-il comptant, par carte de crédit ou par chèque?
[Traduction]
Mme Hategan: Cela dépend. Quelques fois, c'était les trois modes de paiement. La plupart du temps, il payait par carte de crédit.
[Français]
M. Langlois: Avez-vous pu constater si les cartes de crédit étaient à son nom?
[Traduction]
Mme Hategan: Un jour, vers la fin de 1993 - il avait appris que je me demandais pourquoi il racontait des histoires contradictoires - alors que nous étions au restaurant avec les avocats du «Heritage Front», il m'a montré sa carte American Express pour me prouver notamment qu'il s'appelait bien Grant Bristow.
Mme Cohen (Windsor - Sainte-Claire): Je voudrais tout d'abord savoir pourquoi vous n'avez pas collaboré avec le CSARS, par exemple.
Monsieur Copeland, pour vous rassurer, je vous demande de m'interrompre si je pose une question qui vous rend nerveux et qui risque de vous faire violer le secret professionnel. Je n'ai nullement l'intention d'essayer de vous pousser à le faire.
Madame Hategan, après que vous ayez quitté le Heritage Front, il y a eu pas mal de publicité autour de vos activités. J'ai l'impression qu'à un certain moment, vous étiez disposée à donner des renseignements et à d'autres, pas. J'essaie donc de savoir ce qui pouvait vous empêcher de vouloir collaborer avec le CSARS.
Vous avez témoigné devant le comité municipal sur le racisme. Est-ce exact?
Mme Hategan: Oui.
Mme Cohen: L'avez-vous fait avec ou sans avocat?
Mme Hategan: Mon avocat n'était pas là. J'étais toute seule.
Mme Cohen: Aviez-vous un avocat à cette époque?
Mme Hategan: Officiellement, c'est lui qui m'aide quand je dois répondre à une question. C'est lui qui me représente ici.
Me Copeland: La réponse est oui.
Mme Cohen: Quand vous avez comparu devant le comité municipal sur le racisme, ne vous sentiez-vous pas mal à l'aise?
Mme Hategan: J'étais plus à l'aise, parce qu'après qu'on ait laissé tomber les accusations contre moi, je pouvais parler d'incidents qui s'étaient produits au moment où j'avais enfreint les conditions de mise en liberté sous caution et où je ne pouvais pas parler. C'est pour cela.
Mme Cohen: Et vous avez comparu devant la Commission canadienne des droits de la personne. Est-ce exact?
Mme Hategan: Oui.
Mme Cohen: Aviez-vous un avocat à cette époque?
Mme Hategan: Oui.
Mme Cohen: Est-ce la Commission canadienne des droits de la personne qui le payait ou qui l'avait mis à votre disposition?
Me Copeland: Je vous signale qu'elle a témoigné devant Mme le juge Tremblay-Lamer, à la Cour fédérale. C'était au sujet de la requête faite devant la Commission des droits de la personne à propos de la citation pour outrage au tribunal.
Je l'ai accompagnée deux ou trois fois et notamment...
Mme Cohen: Je ne veux pas connaître vos tarifs. Je sais ce que c'est.
Me Copeland: C'était à l'époque où je la représentais pour les accusations criminelles.
Mme Cohen: Vous êtes venue aujourd'hui et nous avons mis votre avocat à votre disposition. Nous vous avons fait venir à nos frais pour entendre votre témoignage. C'est bien cela?
Mme Hategan: Oui.
Mme Cohen: Je tenais tout simplement à le signaler.
En ce qui concerne le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité, il a pris directement et indirectement contact avec vous, et pourtant vous avez refusé de collaborer.
Mme Hategan: Il n'y a pas eu de contacts directs. Tous les contacts ont été pris par l'intermédiaire de Paul.
Mme Cohen: Est-ce qu'un enquêteur du CSARS vous a jamais parlé directement?
Mme Hategan: Non.
J'ai deux ou trois commentaires à faire. Vous avez dit que parfois, on avait l'impression que je voulais donner des renseignements et parfois, non. J'ai rencontré des agents de la police provinciale de l'Ontario et j'étais finalement disposée à donner des renseignements au début de novembre 1993. C'est alors que je me suis senti rabrouée.
Jusqu'alors, je m'étais préparée. Je pensais pouvoir sans problème profiter du programme de protection et de réinstallation des témoins, ne plus avoir à m'en faire pour quoique ce soit d'autre, sinon de témoigner.
Cela ne s'est manifestement pas passé ainsi. On m'a laissé tomber. Je ne voyais qu'un seul moyen de faire connaître mon histoire, c'était de faire des entrevues, par exemple. Je n'en avais pas l'intention, mais j'y ai été forcée. C'était juste une façon de m'assurer que l'histoire était rendue publique et que les gens étaient mis au courant de la campagne de harcèlement. En effet, on n'en avait jamais soufflé mot avant. Je me sentais obligée d'en parler, par égard pour certaines victimes de cette campagne.
En ce qui concerne le CSARS, je tiens à préciser, premièrement, qu'il n'était pas disposé à payer les honoraires d'un avocat. Deuxièmement, j'ignorais ce qui allait se passer. Je ne savais pas si le seul témoignage crédible serait celui de Grant Bristow, comme cela semble être le cas.
Il ne s'agissait pas d'une audience publique. J'ignorais ce qui allait se passer. L'idée de parler à quelqu'un en l'absence de mon avocat me mettait mal à l'aise; l'idée qu'il ne s'agissait pas d'une réunion à huis clos et de ne pas savoir quelle en serait l'issue aussi. C'est pourquoi la perspective de rencontrer ces gens-là me mettait mal à l'aise.
Mme Cohen: Bon, mais vous reconnaîtrez - et je ne dis pas cela pour le plaisir d'argumenter - qu'en faisant cela, vous avez garanti que le CSARS entende la version de Bristow et pas la vôtre.
Mme Hategan: Je craignais davantage que l'on déforme mes propos et de ne pas pouvoir me défendre toute seule en public.
J'ai lu les témoignages, je n'en vois aucun digne de foi. On a cru Wolfgang Droege sur parole quand il a dit que je n'étais pas digne de foi, ou quelque chose comme cela.
Mme Cohen: Les obstacles éventuels à la coopération avec le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité, qui est, qu'on le veuille ou non, l'organisme chargé de surveiller le SCRS, me préoccupent beaucoup non seulement en ce qui vous concerne mais d'une manière générale.
Qu'est-ce qui vous aurait permis, à votre avis, de parler directement à ces gens-là?
Mme Hategan: Il aurait fallu que mon avocat soit présent et que ce soit suffisamment public pour que l'on ne déforme pas mes propos ou que l'on ne cache pas la vérité.
Me Copeland: Je vais répondre à cette question. J'ai une série de lettres que j'ai échangées avec le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité. Nous lui avons fait savoir clairement que s'il n'était pas disposé à aider Mme Hategan en me laissant l'accompagner aux audiences, elle refuserait de collaborer. C'est bien volontiers que je dépose ces documents.
Mme Cohen: Merci.
Donc, aurait-il suffi qu'il existe un système qui permette au CSARS de payer vos frais, y compris les honoraires de votre avocat, pour que vous comparaissiez? Il aurait suffi que vous puissiez vous faire représenter par M. Copeland ou par un autre avocat.
Mme Hategan: Oui. J'y serais allée.
Mme Cohen: J'ai une question à vous poser. Ce n'est pas par indiscrétion. Avez-vous fait une demande d'aide juridique? Avez-vous demandé, par exemple, au Régime d'aide juridique de l'Ontario de payer votre avocat?
Me Copeland: Je vais répondre. Je suis vice-président du comité d'aide juridique du Barreau. Je doute beaucoup que cela eût été possible dans le cadre du Régime d'aide juridique.
Mme Cohen: J'ai un commentaire à faire à ce sujet. J'ai été longtemps active dans ce milieu et j'ai eu des certificats pour représenter des gens qui comparaissent dans des circonstances analogues.
On pourra toutefois en discuter à une autre occasion. Je voulais seulement savoir si on avait fait une demande.
Me Copeland: Non.
Mme Cohen: À Windsor, bien sûr, ce sont des gens raisonnables qui gèrent le Régime d'aide juridique.
Il y a peut-être un problème à Toronto, monsieur Copeland.
Me Copeland: J'essaie de me souvenir. Je ne pense pas que Mme Hategan était en Ontario à ce moment-là, ce qui était encore un autre problème.
Le président: Il semblerait cependant que les temps aient bien changé, notamment en ce qui concerne le Régime d'aide juridique de l'Ontario.
M. Harris: Madame Hategan, avez-vous jamais vu Grant Bristow avec une personne qui vous était absolument étrangère, que vous n'aviez jamais vue? Dans votre groupe, vous vous voyez tous régulièrement. Vous est-il jamais arrivé de voir Grant avec quelqu'un que vous n'aviez encore jamais vu.
Mme Hategan: Non, pas en dehors des réunions ou des rassemblements où il y avait de nouveaux venus. Quand il y avait un grand rassemblement, je ne connaissais pas tout le monde et je ne savais pas s'il avait parlé à ces étrangers. À part cela, quand je le rencontrais personnellement, il n'y avait que nous deux.
M. Harris: Bien. Je me demandais par exemple si, quand vous le rencontriez dans un restaurant, il n'était jamais accompagné de quelqu'un que vous n'aviez jamais vu.
Mme Hategan: Non.
M. Harris: Combien de membres du Heritage Front, parmi ceux que vous fréquentiez, semblaient avoir un emploi? Y en avait-il beaucoup ou très peu?
Mme Hategan: D'après moi, pas la majorité, certains seulement.
M. Harris: Est-ce que d'autres membres du Heritage Front que vous connaissiez avaient des cartes de crédit?
Mme Hategan: Je l'ignore. Je crois que certains en avaient. Je n'en ai pas vu. Wolfgang en avait quelques unes.
M. Harris: Les avez-vous vu les utiliser?
Mme Hategan: Oui, Wolfgang avait une carte de crédit. Je crois que Ken Barker en avait une aussi. Pour les autres, je ne suis pas certaine.
M. Harris: Bien.
Avez-vous jamais assisté à un meeting du Parti réformiste avec Overfield, Bristow et les autres alors qu'ils agissaient comme agents de sécurité?
Mme Hategan: Non.
M. Harris: Saviez-vous qu'ils assuraient le service de sécurité de Preston Manning?
Mme Hategan: Oui, j'en avais entendu parler, mais je ne savais rien d'autre. Cela s'est passé un peu avant que je devienne membre de l'organisation. Cela ne m'intéressait pas vraiment. J'ai entendu dire qu'ils avaient fait cela, mais ce n'était pas jugé très important.
M. Harris: Pendant l'hiver 1991 et au début de l'hiver 1992, vous veniez d'arriver. Ils se sont alors occupés de la sécurité lors d'un meeting à Pickering. Je me demande si vous...
Mme Hategan: Pour un meeting du Parti réformiste? Non, je n'en sais absolument rien.
M. Harris: D'après ce que vous savez des membres du Heritage Front, croyez-vous que la vie de Grant Bristow soit en danger en ce moment?
Mme Hategan: Oui, et la mienne aussi. La seule différence entre nous deux, c'est ce à quoi nous pouvons nous attendre après ce que nous avons fait. Nous sommes tous les deux en danger. Oui, je dirais que quelqu'un qui a agi de la sorte est certainement en danger.
M. Harris: Croyez-vous qu'il est plus en danger que vous ou est-ce l'inverse?
Mme Hategan: En ce moment, je crois que sa vie est plus en danger que la mienne. Mon problème à moi, c'est d'avoir réussi à faire condamner des gens. En définitive, cela revient au même.
M. Harris: En effet.
Les gens du Heritage Front vous ont-ils jamais menacée de sévices corporels ou de mort?
Mme Hategan: Oui. Mais on ne parlait pas de ma mort à moi. On m'a menacée de coups et on a proféré des menaces de mort devant moi, mais en disant quelque chose comme: «Tu sais ce qui arrive aux mouchards, on leur tord le cou», et des remarques du genre. Les menaces étaient donc plus ou moins voilées.
Mais, oui, j'ai été menacée. Même Grant m'a lui-même menacée quand j'étais membre.
M. Harris: Pouvez-vous me nommer la personne qui se tenait avec David Earle? Était-ce Marque Poole?
Mme Hategan: Oui, Marque Poole-Jewer.
M. Harris: Récapitulons. À votre connaissance, ce sont les deux seules personnes à avoir jamais fait savoir qu'ils militaient dans un autre parti politique.
Mme Hategan: Bien franchement, je ne peux pas répondre à cette question. Je l'ignore. Il était question d'infiltrer des partis politiques. On nous encourageait surtout à infiltrer le Parti réformiste parce que c'était celui dont les positions se rapprochaient le plus de nos convictions.
M. Harris: Vous avez dit tout à l'heure que David Earle avait participé à la campagne de Jean Charest.
Mme Hategan: Oui. Il était l'un des délégués au congrès.
M. Harris: A-t-il activement fait campagne pour Jean Charest?
Mme Hategan: Oui.
M. Harris: Avez-vous jamais assisté à une assemblée de Conservateurs avec lui?
Mme Hategan: Non.
M. Harris: Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président.
Le président: Merci.
Monsieur Wappel, vous avez cinq minutes.
M. Wappel: Merci, monsieur le président.
Madame Hategan, qui est Ken Barker?
Mme Hategan: Ken Barker est membre du Heritage Front. Il avait aussi quelques lignes ouvertes, dont «Equal Rights for Whites». Il est devenu un des membres les plus importants et il faisait naturellement autre chose pour le Front.
M. Wappel: Aviez-vous des raisons de le soupçonner d'être un indicateur?
Mme Hategan: Non. Au début, pendant l'été 1992, c'était un nouveau venu. Certains, comme Wolfgang et Gerry, craignaient la présence d'indicateurs de police en général. Le Heritage Front est le genre d'organisation qui se méfie des indicateurs. Alors, ce gars se présente, très empressé de faire n'importe quoi pour aider. Les autres se sont demandés pourquoi il était aussi empressé.
Ils l'ont finalement accepté parce qu'il avait deux petites filles. Ils se sont dits que les policiers ne choisiraient pas un agent qui a des enfants pour faire du travail d'infiltration. Ils ont donc décidé qu'il était sincère. C'est pourquoi ils lui ont demandé de lancer la nouvelle ligne ouverte, au cas où la première serait interdite. Il s'est donc rapproché de la tête de l'organisation et il a commencé à faire toutes sortes de choses, y compris du tir.
De plus, Ken Barker a été arrêté suite à un vol à main armée dans une boutique de beignes. Il avait des armes à feu et autres.
M. Wappel: Vous nous avez dit que Marque Poole a été la petite amie de Wolfgang Droege à une époque.
Mme Hategan: Oui.
M. Wappel: Pouvait-on soupçonner qu'elle soit une indicatrice?
Mme Hategan: Ils l'ont cru, à certains moments, parce qu'elle sortait avec beaucoup de gars du Heritage Front et ils se sont demandés pourquoi elle faisait cela. Ils ont pensé que c'était peut-être une indicatrice qui tentait d'obtenir des renseignements de chacun d'eux. Ce n'était pas mon avis. Elle avait l'air bien trop perdue à maints égards pour être une vraie indicatrice.
M. Wappel: Bien.
Avez-vous personnellement connaissance des liens que Bristow a pu tisser entre les mouvements d'extrême-droite au Canada et des organisations internationales? Par exemple, savez-vous si Bristow a pris contact avec des organisations d'extrême-droite aux États-Unis?
Mme Hategan: Il a joué un grand rôle dans l'organisation de l'entreprise de services de sécurité de David Mahon et de Metzgers. Dennis Mahon était le chef des Bérets blancs du Ku Klux Klan. C'est Bristow qui a arrangé sa venue ici et qui s'est occupé de la sécurité. C'est aussi lui qui a organisé la venue de Metzgers.
Il fallait...
M. Wappel: Pas trop vite. Vous dites que c'est lui qui a arrangé la venue de Metzgers et de Mahon. Tout d'abord, comment savez-vous cela?
Mme Hategan: Les gens en parlaient. Ceux qui étaient allés... J'ignore quel a été son rôle au juste quand on a fait venir Metzgers mais je sais qu'il s'en est occupé. Il en a parlé.
M. Wappel: Vous en a-t-il parlé à vous?
Mme Hategan: Oui, à moi et à d'autres aussi. Drew Maynard, Wolfgang et Gerry Lincoln font partie des gens qui se sont arrangés pour leur faire franchir la frontière en douce et trouver l'argent pour tout. Il a joué un rôle là-dedans.
Je sais ce que les trois autres ont fait, mais je ne suis pas certaine de ce que Grant a fait au juste. Je sais néanmoins qu'il y était mêlé, lui aussi.
M. Wappel: Un moment. Avez-vous assisté aux discussions sur la venue de ces gens ici, et a-t-on vraiment dit qu'ils devaient franchir la frontière en douce?
Mme Hategan: Oui. Quant aux paroles exactes... Je n'étais pas là quand la décision a été prise, mais j'ai assisté aux discussions précédentes et à celles qui ont eu lieu après coup et où ils disaient: «Bon, nous devons faire entrer ces gens au Canada; comment allons-nous faire?». Ils ne savaient pas comment s'y prendre.
Ils ont envoyé deux ou trois voitures aux États-Unis. Tom Metzgers avait un casier judiciaire et était interdit de séjour au Canada. Par conséquent, le plus simple, pour lui, était de le faire entrer clandestinement au pays.
Ils les ont donc habillés en rabbins, son fils et lui, et ils les ont ramenés dans une seule voiture. Ils se sont dits que les membres d'un mouvement d'occupation sioniste franchiraient sans problème la frontière. Ils ont donc décidé de les déguiser en rabbins membres du ZOG et c'est ainsi qu'ils ont pu entrer.
M. Wappel: Savez-vous qui a conçu ce plan?
Mme Hategan: Je ne sais pas qui a eu l'idée.
M. Wappel: Savez-vous qui les a conduits?
Mme Hategan: Je sais que Drew Maynard s'en est occupé et Wolfgang aussi, un peu, mais il ne pouvait pas aller aux États-Unis car il y est interdit de séjour. Ken Barker aussi s'en est occupé.
M. Wappel: Et Bristow?
Mme Hategan: Je ne sais pas.
M. Wappel: Maintenant, en ce qui concerne la technologie, les ordinateurs, etc. Avez-vous vu Bristow se servir d'appareils de la technologie moderne comme des ordinateurs, des gadgets pour téléphones, etc.?
Mme Hategan: Oui, des gadgets pour le téléphone et... Outre le fait qu'il était très... Une fois, pendant que je lui parlais au téléphone, il tapait quelque chose à l'ordinateur. Il avait des dossiers sur diverses personnes et organisations. Il m'avait demandé d'écrire à une organisation nationaliste noire des États-Unis pour obtenir des renseignements, parce qu'il voulait monter un dossier sur elle. Il y avait aussi des associations intégristes noires à Toronto, au Canada, sur lesquelles il voulait monter un dossier. Il voulait que je...
J'ai écrit des lettres sous un pseudonyme. Je les ai envoyées en donnant comme adresse un numéro de case postale que m'avait fourni Grant.
Il savait aussi que j'appuyais le mouvement nationaliste irlandais et que j'avais assisté à une réunion d'une organisation appelée Irish Freedom Association. Cela l'intéressait énormément et je lui avais fourni de la documentation, des noms, des adresses et d'autres renseignements que j'avais trouvés. Il voulait aussi que je continue à le renseigner là-dessus. En fait, c'était des activités de renseignement.
Quant aux gadgets téléphoniques, oui, il faisait des enregistrements... J'étais censée tendre un piège à Ruth Mackenzie. Je lui parlais pour tenter de me lier d'amitié avec elle et il enregistrait nos conversations.
J'ai fait cela une fois et il avait un genre de... quelque chose de différent. Ce n'était pas un magnétophone. C'est un dispositif qu'on accroche au téléphone pour enregistrer. Il avait aussi d'autres gadgets de pointe. Dans sa voiture, il avait un balayeur pour capter les messages radio de la police. Il l'allumait toujours.
Dans le rapport du Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité, on dit qu'il ne l'allumait pas à la bonne fréquence. C'est faux. Une fois, j'étais dans la voiture avec lui, il l'a allumé et on entendait très clairement des policiers se parler entre eux.
De plus, le 11 juin, c'est grâce à cet appareil qu'il a pu suivre le déroulement de la manifestation de la faction antiracisme. Il avait aussi un balayeur de type walkman. Il a écouté les policiers discuter de l'endroit où ils allaient: ils prenaient le tramway; ils quittaient la maison de Schipper. C'est lui qui dirigeait tout le monde. Il a dit: «Bon, voilà où ils s'en vont». Tout le monde a sauté en voiture et on les a suivis jusqu'à la manifestation.
M. Wappel: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Wappel.
Avant de céder la parole à M. Langlois, pour les besoins de la transcription, au cas où ce mot ne serait pas dans le dictionnaire, vous avez parlé de «ZOG». C'est l'acronyme de quoi?
Mme Hategan: De Zionist Occupational Government.
Le président: Merci. Et il y a une demi-heure, vous avez utilisé le mot «dissed» en anglais...
Mme Hategan: C'est pour put down.
Le président: ...que les traducteurs pourront chercher dans le dictionnaire. Je vous remercie.
Mme Hategan: Vous ne trouverez pas les mots qu'il employait dans le dictionnaire.
Le président: Monsieur Langlois, cinq minutes.
[Français]
M. Langlois: Madame Hategan, à une question que M. Wappel vous posait, vous avez dit que M. Bristow avait une grande capacité de donner des ordres. Est-ce que j'ai bien compris votre réponse?
[Traduction]
Mme Hategan: Oui, surtout quand il était question de renseignement. Tout le monde le considérait comme celui qui savait tout sur les ennemis, les adversaires, la gauche. Donc, s'il affirmait qu'une personne était un chef, tout le monde s'attaquait à elle. Sa parole faisait loi quand il était question de renseignement.
Dans d'autres domaines, ce n'est pas aussi certain. Les gens avaient plus tendance à suivre les leaders plutôt que quelqu'un qui s'occupait de renseignement. Mais dans ce domaine, c'est toujours Grant qui avait le dernier mot.
[Français]
M. Langlois: Diriez-vous que sa façon de donner des instructions était militaire?
[Traduction]
Mme Hategan: Il excellait à la manipulation des conversations. Il était très sociable, très sympathique. Il faisait des plaisanteries.
Parfois il disait: «Bon, Elisse, tu vois ces gens, je veux que tu les suives.» C'était beaucoup plus tard.
Au début, il était très gentil. Il donnait aux gens l'impression qu'ils participaient à quelque chose de très important, qu'ils défendaient leur race en agissant ainsi. Il donnait des ordres, mais pas à la façon d'un militaire. C'était présenté sous un jour plus sympathique, comme si ce que nous faisions était bien.
[Français]
M. Langlois: Lorsque la situation se corsait, est-ce que M. Bristow avait la capacité de raffermir le ton et d'être plus directif?
[Traduction]
Mme Hategan: Oui, parfois, il se fâchait à cause de certaines choses faites par la gauche.
Il a commencé à se tenir avec un groupe de jeunes, en particulier, un gars appelé Les. C'était une poignée de gens qui étaient près de Ken Barker. Eux aussi ont commencé à faire du travail de renseignement pour nous. Ils ont commencé à trouver des armes. Je ne sais pas... Ils ont aussi été arrêtés à cause des armes à feu, mais ils suivaient les ordres. Eux aussi faisaient de la filature, restaient assis à l'extérieur de certaines maisons, etc.
Il était aussi en contact avec... Je ne sais pas en détail ce qu'il a fait, mais je sais qu'il avait quelque chose à voir avec le service de renseignement de Church of the Creator.
[Français]
M. Langlois: Vous avez parlé du grand talent de manipulateur de M. Bristow, de sa capacité d'être beaucoup plus directif. Vous semble-t-il vraisemblable qu'il ait reçu une formation pour agir de cette façon?
[Traduction]
Mme Hategan: Tout le monde dans l'organisation trouvait qu'il était vraiment bien formé, car ce qu'il faisait, il le faisait très bien. On pensait qu'il était doué pour faire des enquêtes, parce qu'il avait du talent et une certaine formation, non pas parce que... Des rumeurs circulaient sur la possiblité qu'il soit policier, mais personne ne les croyait parce qu'il était si gentil. C'était un gars formidable qui savait des tas de choses. On s'est simplement dit qu'il était brillant parce qu'il était doué pour les enquêtes.
[Français]
M. Langlois: Au moment où vous avez connu le mieux M. Bristow, quels étaient, à votre connaissance, ses moyens de subsistance?
[Traduction]
Mme Hategan: Un article de Bill Dunphy avait paru dans le Sun disant qu'il avait déjà travaillé pour une certaine société... Bref, sa photo et son nom ont paru dans le journal. Alors, il a raconté à tout le monde qu'il avait été licencié à cause de cet article et qu'il touchait des prestations d'assurance-chômage.
[Français]
M. Langlois: Alors c'était un prestataire d'assurance-chômage détenant une carte American Express? C'est intéressant.
[Traduction]
Mme Cohen: Selon ce qu'il racontait.
Mme Hategan: Oui, mais...
[Français]
M. Langlois: Je vais maintenant aller un petit peu plus loin dans le dossier. À quelle époque avez-vous été mise en contact avec M. Martin Thériault?
[Traduction]
Mme Hategan: Je l'avais vu à plusieurs reprises devant les tribunaux. Je savais donc qui il était et à quoi il ressemblait. C'était après m'être liée d'amitié avec Ruth Mackenzie. J'ai commencé à lui raconter comment se passait la campagne de harcèlement et elle et moi sommes devenues amies. À un moment donné, en juillet 1993, j'ai décidé que je n'en pouvais vraiment plus. Je ne voulais plus faire partie du Heritage Front. J'avais plein de renseignements, des listes de membres, toutes sortes d'autres documents chez moi. Que pouvais-je en faire? Je ne voulais plus rien savoir.
J'ai voulu donner les renseignements... Je me méfiais de la police parce qu'il y avait au moins un policier qui était membre du Heritage Front.
Le chef de la brigade de lutte contre les crimes haineux est allé voir Wolfgang chez lui. Il n'a pas déposé de plainte contre moi, alors que j'avais nettement enfreint les conditions de mon cautionnement. Je ne faisais pas confiance à la police car je craignais que ce que j'allais raconter aux policiers soit rapporté au «Heritage Front».
Je ne savais donc pas à qui en parler. Elle m'a alors suggéré soit de parler à certains journalistes, soit de parler à ce gars-là.
J'ai décidé que le mieux, c'était de le rencontrer. Elle a donc pris rendez-vous et nous nous sommes rencontrés. Nous nous sommes revus plusieurs fois et je lui ai donné les renseignements que j'avais. Il a tout vérifié et conclu que j'étais sincère étant donné les informations que j'avais fournies. J'ai fait cela pendant environ quatre mois, jusqu'à ce que je quitte finalement l'organisation.
[Français]
M. Langlois: Merci.
[Traduction]
Me Copeland: Puis-je dire quelque chose pour la gouverne de M. Langlois? J'ai apporté avec moi deux bandes réalisées par le Heritage Front. L'une s'intitule Meet the Heritage Front et a été enregistrée en septembre 1991. L'autre s'appelle War in Toronto et elle concerne l'organisation White Aryan Resistance.
Je serais heureux de les laisser au comité. M. Bristow est sur les bandes et Mme Hategan, aussi. Vous allez pouvoir avoir une idée de son comportement.
Le président: Merci beaucoup. On va certainement s'en servir à bon escient. Notre greffier va vérifier s'il y a des droits d'auteur et s'il n'y en a pas, nous allons en faire des copies et vous rendre les originaux.
Avant de passer à quelqu'un d'autre, je veux vous faire remarquer que tout ce qui a été dit au sujet de M. Bristow et de la Loi sur l'assurance-chômage n'est pour le moment que du ouï-dire.
Madame Cohen.
Mme Cohen: Quand Bristow faisait quelque chose en votre présence, quand il parlait ou quand les gens disaient ce qu'ils pensaient de lui, il me semble qu'il aimait faire étalage de ses talents. Il était un peu cabotin, n'est-ce pas?
Mme Hategan: Oui.
Mme Cohen: Maintenant que nous soupçonnons les orais motifs de sa participation, croyez-vous que, s'il avait travaillé pour le SCRC, son comportement aurait pu servir sa fausse identité? Croyez-vous que cela aurait pu l'aider?
Mme Hategan: Je ne le crois pas parce qu'il en faisait trop. Il nous a trop bien formés. Il disait même... il avait organisé une séance de formation pour les membres du Heritage Front et il avait l'intention d'en faire une autre. Pour les besoins de sa cause, il n'avait pas à en faire autant. Pour qu'il harcèle lui-même les gens et qu'il ordonne à d'autres de le faire... Ce n'est pas nécessaire pour faire du renseignement. C'est lui qui a lancé ces activités-là et qui nous a montré comment suivre son exemple. Ce n'est pas qu'un alibi.
Mme Cohen: Mais même moi je sais me servir d'un annuaire par numéros.
Mme Hategan: Mais cela ne s'arrêtait pas là. Tous les renseignements à la disposition du public le restent, faire semblant, se composer une fausse identité... on rassemblait des renseignements d'une manière illégale, mais il nous a montré tous les moyens légalement à notre disposition.
Il nous a aussi montré comment semer quelqu'un quand on est suivi, comment filer quelqu'un, comment faire de l'intimidation psychologique. C'était des choses qu'il n'était vraiment pas obligé de faire.
Mme Cohen: Mais ce sont là des choses qui le valorisaient suivant la façon dont il en usait...
Mme Hategan: On ne lui a rien demandé. Au bout du compte, on lui a demandé de fournir tous ces renseignements et d'aider les gens. Mais il a proposé de faire tout cela. Il a agi de son propre chef. Il tenait tellement à ce que tout le monde sache comment se comporter avec la gauche. On aurait dit qu'il voulait nous former.
Mme Cohen: Mais cela ne permettait-il pas de le valoriser au sein du groupe?
Mme Hategan: Je ne crois pas. C'était trop. Il voulait vraiment faire tout cela. Même pour ce qui est de fabriquer des histoires de toutes pièces... On dit dans le rapport du Comité de surveillance qu'il modifiait certains numéros de téléphone ou certaines adresses, sauf pour les gens qui étaient vraiment bien connus. C'est faux. Tous les noms, toutes les adresses, je les ai vérifiés, et les gens étaient bel et bien là. Il a fourni des renseignements qu'on ne lui avait même pas demandés.
Mme Cohen: Je voudrais en revenir à un autre sujet. Je veux être bien certaine que vous n'avez pas fait appel à un régime quelconque d'aide juridique pour obtenir les services d'un avocat quand on vous a demandé de comparaître devant le Comité de surveillance.
Mme Hategan: Je ne pensais pas que c'était possible. Comme je vous l'ai déjà dit...
Mme Cohen: Non, je sais. Je ne porte pas de jugement, je veux simplement...
Mme Hategan: Non, j'avais parlé à Paul et Paul m'a dit que c'était probablement impossible. De plus, la province où j'habitais n'avait pas... Même si cela eût été vaguement possible en Ontario, il est fort probable que je n'y aurais pas eu droit non plus.
Il y avait aussi le problème de l'identification, la possibilité d'être retracée. Cela aurait été beaucoup plus simple s'ils avaient accepté de me fournir un avocat; j'aurais alors pu le rencontrer et tout raconter. Je ne voulais pas mettre quoi que ce soit par écrit. J'ai dû m'y résoudre quelquefois, mais néanmoins...
Mme Cohen: Auriez-vous pu faire le voyage à vos frais? Je ne veux pas savoir où vous habitiez, seulement si vous étiez assez près ou vraiment trop loin?
Mme Hategan: J'étais loin.
Mme Cohen: Bien. Vous aviez donc besoin...
Mme Hategan: Qu'on paye mes frais de transport et peut-être aussi les honoraires d'un avocat.
Mme Cohen: Donc, de l'argent pour le transport et pour votre avocat, ou alors, il fallait qu'on se rende jusque chez vous.
Mme Hategan: Oui, mais je ne voulais pas de cette dernière solution.
Mme Cohen: Non, je comprends.
Je vous remercie. Je n'ai pas d'autres questions.
Le président: Merci. Monsieur Harris.
M. Harris: Marque Poole a-t-elle été la petite amie de Wolfgang Droege à un moment donné?
Mme Hategan: Oui.
M. Harris: Bon. Je n'ai pas saisi, je suppose, quand vous en avez parlé, mais pour quelle raison avez-vous dit que vous n'aviez pas coopéré à l'enquête du CSARS?
Mme Hategan: Parce que le comité n'était pas disposé à payer les honoraires de mon avocat. De plus, j'ignorais ce que l'on ferait de tous les renseignements que je fournirais. Je voulais une enquête publique, pas une interview à huis clos où je serais incapable de me défendre contre tout ce qui serait écrit noir sur blanc beaucoup plus tard.
M. Harris: Bien. Je veux juste vous poser quelques questions sur les deux noms d'emprunt que vous utilisiez au moment où vous étiez membre active du Front; c'était bien Elisse Deschner et Elisse O'Hardigan, n'est-ce pas?
Mme Hategan: Oui.
M. Harris: Dans quelles circonstances avez-vous utilisé ces deux noms?
Mme Hategan: Au début, j'étais vraiment naïve; j'ignorais beaucoup de choses. J'ai fait une interview avec quelqu'un en utilisant mon vrai nom de famille. Wolfgang m'a dit que ce n'était pas une très bonne idée. Ma mère était la seule autre Hategan dans l'annuaire. J'ai aussi commencé à écrire des articles pour le magazine Up Front et Gerry Lincoln m'a dit que la plupart des auteurs utilisaient des pseudonymes. C'était en fait pour me protéger. Après que j'ai été accusée de propagande haineuse et de publication d'écrits diffamatoires, les journaux ont mentionné mon vrai nom de famille et j'ai commencé, moi aussi, à être harcelée au téléphone. En réalité, mes deux noms d'emprunt visaient simplement à me protéger.
M. Harris: J'ai deux autres brèves questions à poser. Avez-vous participé à la publication du Aryan National Chronicles?
Mme Hategan: Oui, il y a eu un seul numéro. Je correspondais avec des tas de gens à l'étranger. Il y avait une femme de Dublin qui voulait lancer un magazine. Elle n'était pas très bonne en anglais; elle faisait des fautes de grammaire, etc. Elle ne savait pas comment procéder. Je lui ai proposé de l'aider. Elle m'a fourni des informations, j'en ai ajouté d'autres et j'ai fait imprimé le tout chez Ernst Zundel. Il n'y en a eu qu'un numéro, mais, oui, j'y ai participé en 1992.
M. Harris: Est-ce que Ernst Zundel était présent lorsque vous aviez des discussions politiques au sein du club?
Mme Hategan: Oui, il y était. Je connaissais très bien Ernst. J'ai travaillé tous les jours avec lui pendant environ quatre mois et ensuite, j'ai continué d'aller chez lui. J'habitais très près, alors chaque fois qu'il avait besoin de faire des courses ou de quelqu'un pour l'aider, même après que je n'y suis plus allée tous les jours, j'y allais quand même de temps en temps. C'était le cas dès mon adhésion, et ce, jusqu'à mon départ.
M. Harris: Est-ce qu'il a été question, lors de ces discussions, d'infiltrer ou de faire partie du Parti réformiste? Est-ce qu'il a été question d'avoir, peut-être, à brouiller les pistes pour ne pas qu'on se rende compte que c'était des membres du «Heritage Front»?
Mme Hategan: Il n'en a été question que pour dire qu'il fallait trouver des gens bien instruits et qui n'étaient pas très connus... même s'ils n'étaient pas très bien instruits. Ils voulaient que le plus de gens possible adhèrent au Parti réformiste, mais de préférence, des gens qui n'étaient pas très actifs au sein du Heritage Front en même temps. Ils voulaient qu'ils restent tranquilles et se contentent d'être de simples adhérents. Ils n'étaient pas obligés d'assister à toutes les réunions, mais quand ils recevraient l'ordre d'agir, peut-être dans quelques années, les adhérents devaient sortir de l'ombre et tenter de prendre les choses en main.
M. Wappel: Très brièvement, Mme Hategan, qui est Al Stark?
Mme Hategan: Al Stark était le chef de la brigade de lutte contre les crimes haineux à cette époque.
M. Wappel: Il était le chef de la brigade de lutte contre les crimes haineux de quoi?
Mme Hategan: Des Services de police de la région métropolitaine de Toronto. C'est lui qui m'a permis de contrevenir aux conditions de ma mise en liberté sous caution. C'est aussi la personne qui a apporté des photos d'antiracistes et qui les a données aux chefs du Heritage Front, à Wolfgang, qui les a données à Gerry et même à moi. Ces photos servaient à identifier les gauchistes dans les manifestations, parce qu'il avertissait Wolfgang lorsqu'il allait inculper quelqu'un ou lorsqu'il voulait inculper quelqu'un. Donc les photos étaient destinées au Heritage Front, pour qu'il appuie l'enquête contre les gauchistes.
M. Wappel: Avez-vous traité directement avec Al Stark?
Mme Hategan: Il m'est arrivé de lui parler. Je le voyais de temps en temps. Wolfgang était plus son ami que moi.
M. Wappel: Et qu'est-ce qui est arrivé après votre inculpation, après que vous ayez fait vos déclarations sous serment? Avez-vous parlé, avec lui de vos déclarations, de votre crédibilité et ainsi de suite?
Mme Hategan: Non, j'aimerais mieux ne pas traiter avec lui. Je ne l'ai pas vu. D'après ce qu'on m'a dit, il a été rétrogradé.
Me Copeland: Puis-je répondre à une partie de cette question? Au début, ces déclarations sous serment ont été remises au procureur général, et ensuite, elles ont été envoyées à la Police provinciale de l'Ontario, à condition qu'elles ne soient pas communiquées aux Services de police de Toronto. À la longue, on a accepté qu'elles soient communiquées à ces services, de police de Toronto, mais on s'inquiétait que cette information soit entre les mains de la police de Toronto.
M. Wappel: À propos de ces déclarations Mme Hategan a dit qu'elle ne savait pas où elles se trouvaient toutes. Monsieur Copeland, pourriez-vous nous dire si vous avez des copies de toutes les déclarations sous serment.
Me Copeland: Je croyais les avoir apportées avec moi, mais après avoir vérifié, je crois les avoir laissées dans mon bureau. Je ne sais pas si j'ai des copies de toutes ces déclarations. J'ai des copies de tout ce que j'avais au départ, c'est-à-dire tout ce qui a été remis à la Police provinciale de l'Ontario.
M. Wappel: Serait-ce un problème de faire parvenir ces renseignements au comité?
Me Copeland: Je pense que non.
M. Wappel: Est-ce un problème?
Me Copeland: Nous, il n'y a pas de problème.
M. Wappel: Donc vous allez pouvoir nous les faire parvenir?
Me Copeland: Oui.
Le président: Le greffier communiquera avec M. Copeland et s'occupera de cela, si cela ne dérange pas Mme Hategan. Merci.
[Français]
M. Langlois: Monsieur Thériault, à quand remontent vos premiers contacts avec Mme Hategan?
M. Martin Thériault (directeur, Centre canadien sur le racisme et les préjugés): Il y a eu deux rencontres. La première n'a pas été consignée et a eu lieu, si je me souviens bien, dans un restaurant, en février ou en mars 1993. Mme Hategan avait été accusée et avait commencé les activités que l'on connaît maintenant. M. Bristow voulait faire un genre de complot contre Ruth McKenzie.
Donc, lors de cette première rencontre qui, je le répète, n'a jamais été enregistrée, Ruth et moi - je connais Ruth depuis longtemps - voulions voir si Mme Hategan avait l'intention de quitter le Heritage Front et d'aller éventuellement voir les forces policières pour travailler contre ces gens-là.
Suite à cette première rencontre, Mme Hategan est évidemment allée voir M. Bristow pour lui dire qu'elle m'avait rencontré ainsi que d'autres antiracistes du Centre canadien et du comité du Centre d'amitié autochtone de Toronto.
C'est à la deuxième rencontre, en juin ou juillet 1993, je crois, que Mme Hategan nous a dit qu'elle voulait quitter le Heritage Front et qu'elle cherchait de l'aide pour pouvoir en sortir.
Je travaille sur ces questions-là depuis 1979, comme bénévole ou à temps plein, et je dois vous avouer que lorsqu'un néo-nazi vient nous voir, on doute.
Donc, on a tout d'abord rencontré Mme Hategan et on lui a posé des questions, énormément de questions. Puis on lui a dit: «Si tu es sérieuse dans ta volonté d'en finir avec le Heritage Front, pourquoi ne signes-tu pas des affidavits devant nos avocats à Montréal pour qu'ils soient ensuite transmis aux forces policières?» Cela explique la série d'affidavits avec la date du 23 septembre 1993. Je tiens à préciser toutefois qu'il y y a eu une série de rencontres et de discussions qui ne portaient pas sur les affidavits, mais sur le Heritage Front et ses activités.
On a aussi demandé à Mme Hategan de nous donner de l'information supplémentaire afin de jauger si son désir de quitter le groupe était réel. Nous voulions nous assurer que ce n'était pas un coup monté par Bristow. C'est à ce moment-là que Mme Hategan nous a fait parvenir la liste des membres du Heritage Front.
Pour ce qui est des affidavits, c'est Mme Hategan elle-même qui a procédé à la récapitulation des événements et qui en a rédigé les textes. Notre firme d'avocats n'a fait que transférer lesdits textes sur du papier juridique et demander la présence de témoins pour valider le tout. Je crois que cela résume assez bien tout ce qui s'est passé.
M. Langlois: Suite aux affidavits que Mme Hategan vous a signés, aux conversations que vous avez eues avec elle, aux listes de membres qu'elle a pu vous transmettre, n'y a-t-il pas eu un moment, pendant cette période-là, où vous avez pensé devoir informer le SCRS de ce qui se passait au Heritage Front?
M. Thériault: Le SCRS n'étant pas une force policière selon sa loi constituante, je n'ai jamais pensé devoir l'informer de quoi que ce soit. Lorsqu'on est arrivés à la conclusion qu'il fallait transmettre l'information, cela s'est fait par le biais de M. Copeland, au Bureau du procureur général de l'Ontario.
Prenez par exemple la cause de M. Kollbek qui est entendue cette semaine à Toronto. M. Stark avait fait une demande particulière pour que ce soit les forces de la PPO qui interviennent - comme cela se fait au Québec avec la SQ lorqu'elle agit en tant que police municipale - et jamais les documents ayant trait à cette cause-là n'ont circulé au SRCS.
Bien que je sache que les gens du Comité ont des exemplaires de certains affidavits et que ces affidavits sont cités par le Comité de surveillance, je tiens à préciser que jamais nous ne les leur avons donnés.
M. Langlois: On a mentionné tout à l'heure que ni la PPO ou ni le Service du procureur général de l'Ontario n'avaient offert à Mme Hategan la protection à laquelle elle pensait avoir droit. C'est ce que j'ai compris dans ce que vous avez dit tout à l'heure.
Cela étant, est-ce qu'il vous apparaît vraisemblable de penser que les dénonciations que vous avez faites à l'endroit de Grant Bristow étaient des coups d'épée dans l'eau étant donné qu'il pouvait jouir de protection en haut lieu, comme celle du SCRS? En effet, si la PPO n'intervenait pas et que le procureur général de l'Ontario intervenait peu, n'y a-t-il pas lieu de conclure assez facilement que Bristow jouissait de la protection du SCRS?
M. Thériault: Ce que je peux vous dire là-dessus, c'est qu'en ma qualité de recherchiste - parce que je travaille également pour la revue mensuelle anglaise Searchlight - j'ai eu un contrat en février 1993 avec le Bureau du solliciteur général du Canada pour faire une analyse sur les groupes racistes au Canada et leur danger potentiel pour la sécurité nationale. Dans le cadre de cette analyse, j'ai rencontré des gens de la PPO, de différentes forces policières, etc. J'ai aussi rencontré des procureurs de la Couronne en Ontario et au Québec. Ce que j'ai remarqué, c'est que lorsque les affidavits ont été remis à la PPO, c'était un nouvel agent qui s'occupait de ces questions-là et il ne connaissait pas du tout le mouvement néo-nazi au Canada. Donc, il m'apparaissait évident qu'il allait se référer à d'autres personnes pour savoir de quoi il s'agissait. Il a même demandé le nom de famille de Grant à Mme Hategan. C'est vous dire à quel point il ne connaissait pas le dossier.
Donc, comme il y avait eu refus d'offrir de la protection, car logiquement cet agent a sûrement dû s'enquérir de la question auprès d'autres personnes, il devenait évident pour nous que M. Bristow et certains autres individus - il y avait une foule d'individus nommés dans les affidavits - avaient une protection quelconque. On a cru au départ - et je l'avoue très honnêtement - que c'était le fait d'avoir nommé certains policiers de la Force métropolitaine de Toronto qui avait amené cette réponse négative.
Ce qui est sûr, c'est que nous avons donné trois semaines à la PPO pour faire enquête avant que Mme Hategan ne sorte publiquement du Heritage Front. À ce moment-là, Mme Hategan demeurait encore chez sa mère. Comme Bristow croyait qu'elle donnait de l'information à nous ou à d'autres, il avait commencé à la menacer. Quant à nous, nous n'avions aucun moyen de la protéger, mais nous la maintenions là pour conserver sa crédibilité et pour permettre aux forces policières d'avoir le temps de terminer l'enquête et de procéder à des arrestations.
Lorsque, le 24 novembre, on a été obligés d'aller en cour avec M. Copeland, il était devenu de notoriété publique que Mme Hategan travaillait pour des groupes antiracistes. Donc, l'information spécifique que l'on donnait sur les armes à feu qui se trouvaient dans certains domiciles était devenue caduque.
Cela résume un peu l'analyse qu'on en fait. Maintenant, est-ce que M. Bristow était au SCRS à ce moment-là? Je dirais que non. Mais il était évident qu'il y avait quelqu'un, quelque part dans l'appareil policier, qui protégeait M. Bristow. J'en étais convaincu, et lorsqu'on l'a rencontré au mois de mars, lorsque Mme Hategan a témoigné, c'était clair.
M. Langlois: Vous parlez de l'appareil policier. Est-ce à dire que vous excluez le fait que la protection relevait du Bureau du solliciteur général de l'époque, M. Lewis?
M. Thériault: Non. Lorsque Mme Hategan a témoigné au mois de mars contre Wolfgang Droege, Gary Schipper et Ken Barker, nous avions la protection de la PPO. Mais par la suite, la PPO a envoyé un lettre disant: «Elle n'est pas notre témoin, elle n'est pas notre responsabilité».
C'est la commission fédérale qui nous a dit au téléphone que nous n'avions plus de protection policière. Mme Hategan et moi avons donc convenu qu'il n'était pas question de se présenter là sans aucune protection policière.
C'est alors qu'il y a eu une rencontre d'urgence à Ottawa avec les avocats de la Commission des droits de la personne et la GRC. Il paraîtrait même - et vous pourrez vérifier - qu'il y avait quelqu'un du SCRS.
Je vous pose la question, mais à mon avis, je ne pense pas que la protection de Mme Hategan dans une cour fédérale de Toronto soit une question qui relève de la sécurité nationale. Donc, comme Mme Hategan et moi avions convenu qu'elle ne se présenterait pas à la cour sans protection policière, la GRC a cédé aux pressions de la Commission et a accepté de lui offrir sa protection pour cette comparution-là uniquement.
En conclusion, il est vrai que la protection relevait du Bureau du solliciteur général. Mais ce qui me trouble davantage, c'est l'information que j'ai eue par les procureurs de la Commission canadienne des droits de la personne, à savoir que quelqu'un du SCRS était présent à cette rencontre-là. J'avoue qu'à ce moment-là, je commençais à additionner un et un.
Le président: Merci.
[Traduction]
Mme Cohen: Je me sens comme un chien à qui on aurait donné un os, mais - pour en revenir à ma préoccupation antérieure - si vous aviez eu la possibilité de parler au CSARS, en la présence de M. Copeland ou de l'avocat de votre choix, la présence de cet avocat n'aurait-elle pas soulagé vos inquiétudes quant à... Il y aurait au moins eu un témoin, quelqu'un à qui vous faisez confiance?
Mme Hategan: Je leur aurais parlé. J'aurais quand même eu des réserves quant aux conséquences du rapport, mais je leur aurais parlé.
Mme Cohen: Donc, votre inquiétude quant à votre sécurité personnelle aurait été moindre.
Vous avez parlé brièvement du programme de protection des témoins. Il y a beaucoup de définitions de ce programme ces temps-ci, parce que nous tentons de cerner ce que c'est. Mais êtes-vous allée voir la GRC en leur disant, écoutez, pouvez-vous me protéger, puisque ni la Police provinciale de l'Ontario ni la ville de Toronto ne veulent m'aider?
Mme Hategan: Cela se passait de la façon suivante: j'ai su que, pour obtenir un changement d'identité, il fallait passer au Bureau du procureur général, dont le représentant de la Police provinciale de l'Ontario que nous avions rencontré était un intermédiaire. C'est lui qui traitait avec eux.
Je me suis dit que le procureur général était encore plus important que la GRC. Nous avions recontré la Police provinciale de l'Ontario, et je croyais qu'il y aurait un suivi. Je ne savais pas. Je ne connaissais rien de ces choses. J'ai tenu pour acquis qu'on me donnerait cette protection, étant donné ce que j'en savais. Le réveil a été dur. Paul s'occupait de certaines choses; Martin aussi. Je me disais, mon Dieu, où vais-je aller?
Mme Cohen: Je tente de comprendre la question des compétences. Vous parliez indirectement au procureur général provincial.
Mme Hategan: Oui. J'ai tout essayé. Nous avons tout tenté. Nous croyions que c'était la meilleure façon de procéder. Tant que cela ne se rend pas à la Police de Toronto, cela ne nous préoccupe pas.
Mme Cohen: Oui, mais nous sommes le gouvernement fédéral, et je tente simplement de savoir si vous avez été en relation avec le Bureau du solliciteur général fédéral ou avec la Gendarmerie royale canadienne, ou avec le procureur général fédéral, ou...
Mme Hategan: Oui.
Mme Cohen: ...est-ce que c'était provincial?
Mme Hategan: Nous essayons de vous expliquer le contexte pour que vous puissiez... Je ne sais pas.
Me Copeland: Permettez-moi de vous éclairer. Je n'ai pas, précisément, fait de demandes auprès de la GRC ou du solliciteur général fédéral en ce qui a trait à la protection.
Mme Cohen: Bon.
Me Copeland: Je sais que M. Thériault était en contact avec... les tâches à cet égard étaient partagées.
Mme Hategan: Aussi, après le 24 novembre, je n'étais ni d'ici, ni de là pour les provinces. Je ne savais pas ce qui se passait. Je me disais, mon avocat s'en occupe, en partie. Ma plus grande préoccupation n'était que de continuer, pour moi-même.
Mme Cohen: Je l'ai compris. Merci. J'ai fini.
M. Wappel: Je n'ai qu'une question pour M. Thériault, monsieur le président.
Qu'avez-vous fait de l'information dont Mme Hategan vous a fait part? Comment l'avez-vous utilisée?
M. Thériault: C'est selon. Nous avons fait plusieurs choses.
M. Wappel: L'avez-vous fait publier, par exemple, dans ce rapport du solliciteur général dont vous avez parlé?
M. Thériault: Non, à ce moment-là, Mme Hategan ne travaillait pas avec moi. Nous l'avons publiée par d'autres... J'ai offert et j'ai fourni une partie de cette information à quelques journalistes.
Je travaille, comme je l'ai dit, pour la revue Searchlight qui fait partie d'un réseau international de journalistes et de chercheurs anti-faschistes. Une bonne partie de cette information - même par exemple, les liens du Front en Irlande et la situation en Hollande - a été acheminée en Allemagne - plus ce qui a trait à l'affaire Zundel.
J'ai aussi eu des réunions avec quelques représentants gouvernementaux, lorsqu'ils ont pu avoir accès à une partie de ces renseignements, pour tenter d'appuyer certaines initiatives par exemple, en ce qui a trait à Ernst Zundel. Il y a donc eu des tentatives.
Au cours des prochains mois, nous allons très certainement rassembler une documentation beaucoup plus complète comprenant, entre autres, les documents de Mme Hategan et tout ce que nous avons accumulé depuis des années de sources diverses et grâce à nos recherches.
M. Wappel: Avez-vous communiqué certains de ces renseignements à quiconque serait, à votre connaissance, relié au SCRS?
M. Thériault: Non.
Le président: Le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité n'a pas eu l'avantage d'entendre votre témoignage, Mme Hategan. Il a néanmoins obtenu des déclarations que vous aviez faites sous serment. Savez-vous si l'un ou l'autre des affidavits que possèdent maintenant votre avocat...
Mme Hategan: Oui, il y a...
Le président: Je n'ai pas fini ma phrase. Savez-vous s'il y a des affidavits que votre avocat a en sa possession qui n'ont pas été remis au CSARS?
Mme Hategan: Ils ont été remis. Certains des mes affidavits se sont retrouvés dans le rapport sous forme de citations. Par exemple, la description de la campagne IT est tirée d'une de mes dépositions.
Le président: Nous savons que certaines déclarations lui ont été remises. Les affidavits sont expressément mentionnés dans le rapport du CSARS sur le Heritage Front, mais savez-vous s'il y a des déclarations qui n'ont pas abouti au Comité de surveillance?
Monsieur Copeland.
Me Copeland: Si vous permettez, j'ai parlé à M. Klein du CSARS à plusieurs reprises. Je n'étais pas libre de remettre toute la pile d'affidavits que j'avais reçue. Je lui ai indiqué où il pourrait les trouver, notamment à la Commission canadienne des droits de la personne, en lui suggérant de les demander aux divers organismes compétents.
Le président: Donc...
Me Copeland: Je ne sais pas ce qu'il a reçu. Il a sans doute obtenu tout ce que j'avais moi-même, mais je ne peux pas en être certain.
Le président: Le Comité semble avoir suivi jusqu'au bout toutes les pistes connues, mais je vais vérifier. On peut quand même présumer que le Comité de surveillance a finalement eu accès à toutes les déclarations que vous aviez fait parvenir à la Police provinciale de l'Ontario ou ailleurs.
Me Copeland: Oui.
Le président: C'est correct?
Me Copeland: Oui. Je ne sais pas si le Comité de surveillance les a obtenus de la police provinciale et de la Commission des droits de la personne. Je n'avais pas les documents qui avaient été envoyés à la Commission, mais je pense que c'était les mêmes.
Le président: Aujourd'hui, nous pouvons heureusement entendre votre point de vue sur les faits, avantage dont n'a pas joui le CSARS. Vous avez dit dans votre témoignage que certains éléments du rapport du CSARS faisaient allusion à des activités auxquelles vous aviez participé, Mme Hategan, notamment la campagne IT, Sneaky Dees, les campagnes de harcèlement. Je ne sais pas si vous avez présenté à l'esprit une liste complète ou partielle des conclusions du rapport du Comité que vous contestez parce que vous les jugez inexactes.
Ne nous préoccupons pas de crédibilité pour le moment. Je comprends que vous puissiez prendre ombrage de la façon dont le Comité traite de la question de la crédibilité; nous savons déjà que vous n'approuvez pas sa conclusion à cet égard. Y a-t-il d'autres éléments du rapport que vous contestez et dont vous pourriez nous parler?
Mme Hategan: Certaines choses se sont produites. Par exemple, on peut lire dans le rapport au sujet de Ruth Mackenzie que lorsqu'elle a pris des congés de maladie, il a encouragé les gens à cesser de téléphoner. C'était, en fait, tout le contraire. Les gens étaient censés téléphoner encore plus souvent. Il voulait vraiment la rendre...
On dit aussi qu'il a modififié les numéros de téléphone des gauchistes et qu'il a aussi changé leurs adresses. C'est faux. J'ai tout vérifié et il n'y avait aucune erreur. Pas un seul numéro de téléphone n'avait été mofidié pour nous empêcher de trouver quelqu'un.
On lit aussi dans le rapport: «Dans le cas d'Elisse Hategan, la source a raconté lui avoir dit de ne pas enfreindre la loi, de ne pas proférer de menaces contre les gens et de ne pas leur retéléphoner s'ils disent être harcelés». Or, cette conversation n'a jamais eu lieu. Il m'a encouragée à harceler les gens. Il m'a encouragée à les rappeler, à faire n'importe quoi et à dire n'importe quoi. Comme j'ai un accent, je craignais beaucoup qu'on reconnaisse ma voix. Wolfgang et lui m'ont dit tous les deux de mâcher de la gomme, d'assourdir ma voix, de faire n'importe quoi et de continuer les appels. C'est un autre mensonge éhonté.
On dit encore dans le rapport qu'il admet avoir téléphoné à des gens, mais à deux personnes seulement. Il a fait bien plus d'appels que cela. Il a appelé des tas de gens. J'étais en ligne. Il laissait beaucoup de messages sur les répondeurs.
Le rapport dit encore que c'est Ken Barker qui a ordonné d'envoyer des sbires à quelqu'un nommé Merle Terlevski. C'est Grant qui l'a fait. C'est Grant qui a donné cet ordre.
On dit aussi dans le rapport que Grant et moi ne nous entendions pas du tout, qu'il m'était très hostile et que nous nous détestions royalement. C'est faux. J'ai une carte d'anniversaire et des cartes de Noël que j'ai reçues avec ses meilleurs voeux. Nous étions ensemble; nous faisions toutes sortes de choses. Il m'a beaucoup appris. J'ai obtenu des renseignements qu'il était le seul à pouvoir me fournir.
Le seul moment où nous avons commencé à devenir ennemis, c'est vers juillet 1993, lorsqu'il a découvert que je posais des questions à son sujet. Je crois que c'est à ce moment-là qu'il a voulu entrer par effraction chez moi parce que j'avais dit avoir peur qu'il m'arrive quelque chose à cause des renseignements que je possédais. C'est à partir de ce moment-là que nous avons été ennemis. Mais de février à juillet, nous étions très proches et nous faisions beaucoup de choses ensemble.
Le président: Vous ne réfutez donc pas grand-chose.
Mme Hategan: Je ne me souviens pas de toutes les notes que j'ai prises en lisant le rapport. Je suis certaine qu'il y a autre chose.
Le président: Très bien. La liste n'est pas trop longue.
Y a-t-il d'autres questions?
Au nom de mes collègues, je veux vous remercier, madame Hategan, monsieur Thériault et monsieur Copeland, de vous être mis à notre disposition. Vos témoignages nous ont été utiles à plusieurs égards. Sans vous donner de détails, je dois dire que la rencontre a été fort instructive et que nous attendons avec impatience l'arrivée de la documentation, les dépositions dont nous avons discuté plus tôt.
Je vous remercie d'être venus.
Mme Hategan: Merci.
Le président: Chers collègues, la séance est levée.