[Enregistrement électronique]
Le mardi 18 juin 1996
[Traduction]
Le président: Je déclare la séance ouverte.
Je tiens à souligner l'importance de la séance d'aujourd'hui. Vous vous rappellerez que nous avons tenu une première séance sur ce sujet, le 18 décembre. Nous faisons un suivi aujourd'hui à cette réunion-là. Depuis cette première séance sur le Nigeria, la ministre a participé à plusieurs conférences du Commonwealth et le sujet a également fait l'objet de discussions dans d'autres tribunes. Aujourd'hui, nous nous réunissons afin de permettre aux membres du comité d'obtenir les renseignements les plus à jour, d'entendre les représentants de Shell International ainsi que d'autres témoins pour essayer de comprendre ce que nous devons recommander au gouvernement du Canada en ce qui concerne sa politique à l'égard du Nigeria.
Mesdames et messieurs du comité, voici la procédure que nous allons suivre ce matin. Nous accueillons la ministre responsable de ce dossier, l'honorable Christine Stewart.
Madame la ministre, je vous remercie beaucoup de votre présence ici.
Nous accueillons également des représentants de Shell Canada et de Shell International qui sont dans certains cas venus de Londres et dans d'autres du Nigeria. Nous vous remercions beaucoup d'avoir fait le voyage.
Nous accueillons également le chef Enahoro, le Dr Akana et Kim Nossal.
Nous avons donc beaucoup de témoins.
Je proposerais que nous entendions d'abord la ministre, les représentants de Shell, et ensuite nous passerons aux questions. Par la suite, nous entendrons les représentants des autres groupes. Enfin, nous ferons peut-être une courte pause.
L'hon. Christine Stewart (secrétaire d'État (Amérique latine et Afrique)): Monsieur le président, mesdames et messieurs, je suis très heureuse de me trouver ici ce matin.
Je pense que mes collaborateurs vous ont donné un mémoire écrit que je vous demanderais de déposer. Je ne le lirai pas maintenant, mais je vais tenter de vous le résumer.
Le Nigeria préoccupe et intéresse beaucoup le Canada. Nous nous intéressons beaucoup à l'Afrique comme continent, comme région, et au Nigeria, un pays d'Afrique de 100 millions d'habitants, un pays très riche en ressources naturelles, particulièrement en minéraux et en hydrocarbures.
Nous savons que le Nigeria exerce beaucoup d'influence sur le continent et nous souhaitons que celle-ci soit positive.
Le Canada entretient depuis longtemps des relations avec le Nigeria, principalement au sein du Commonwealth, mais nous avons également eu des relations commerciales import-export. C'est l'une de nos plus grandes sources d'importation et nous avons beaucoup exporté au Nigeria.
Malheureusement, à l'heure actuelle, la démocratie n'existe tout simplement pas au Nigeria. Il y a trois ans la semaine dernière, le Nigeria annulait les résultats des élections qui venaient d'avoir lieu et le vainqueur présumé de celles-ci, le chef Abiola, se languit depuis lors en prison. La situation des droits de la personne dans ce pays est déplorable et la situation ne s'améliore pas.
Pour ces raisons entre autres, le Canada s'inquiète beaucoup de la situation; il prend des mesures en vue de la faire changer et est considéré sur la scène internationale comme assumant un rôle de chef de file à ce titre.
Malgré nos préoccupations, les progrès sont peu nombreux. Nous avons tenté d'encourager le dialogue avec le Nigeria croyant que c'était la meilleure façon de faire changer la situation. Jusqu'à présent, le Nigeria, par la voix du général Abacha qui dirige actuellement l'État, a rejeté ce dialogue. Néanmoins, nous poursuivons nos efforts en vue de promouvoir le dialogue.
Le Canada, par son association avec le Commonwealth, la seule tribune internationale qui lui permette de s'intéresser activement à ce dossier, mène une campagne très active. Lors de la réunion des chefs de gouvernement tenue à Auckland en Nouvelle-Zélande en novembre dernier, le Nigeria, encore une fois, a malheureusement fait les manchettes en exécutant Ken Saro-Wiwa et sept autres Ogonis qui défendaient les intérêts de ce groupe au Nigeria du Sud.
À cette occasion, le régime a adopté une attitude de confrontation totale, une attitude inacceptable, et les dirigeants du Commonwealth ont donc convenu de suspendre le Nigeria et de créer un sous-groupe du Commonwealth, le GAMC, le Groupe d'action ministériel du Commonwealth dont le Canada fait partie.
Ce groupe se compose de huit ministres des Affaires étrangères du Commonwealth. Il est présidé par le Zimbabwe et coprésidé par la Nouvelle-Zélande, les membres étant l'Afrique du Sud, le Ghana, la Malaisie, la Jamaïque, la Grande-Bretagne et le Canada.
Le groupe a tenu sa première réunion juste après ma comparution ici l'an dernier, le22 décembre, et sa deuxième réunion au mois d'avril de cette année.
Lorsque nous nous sommes réunis pour la première fois en décembre, nous avons discuté des mesures éventuelles que nous pourrions prendre contre le Nigeria - mais pas uniquement le Nigeria. Nous avons inclus dans notre mandat le Sierra Leone et la Gambie, d'autres pays d'Afrique et du Commonwealth sous dictature militaire. Toutefois nous ciblions particulièrement le Nigeria. Dans le but d'encourager le dialogue, nous avons décidé de demander au Nigeria d'accueillir un groupe de cinq ministres des Affaires étrangères du GAMC au Nigeria. Pendant que nous attendions que la délégation se rende au Nigeria, nous avons demandé au secrétariat d'étudier quelles autres mesures nous pourrions prendre pour tenter de persuader le Nigeria de changer sa façon de faire, des mesures économiques notamment, et nous avons décidé à cette occasion que nous appliquerions ces mesures ou sanctions progressivement, selon les progrès ou le manque de progrès réalisés.
Nous avons attendu dans le but d'obtenir une réponse positive du Nigeria. Toutefois, le pays a refusé de recevoir le groupe du Commonwealth. Juste avant notre deuxième réunion qui avait été annoncée publiquement, le Nigeria a invité le président du GAMC, M. Mudenge, ministre des Affaires étrangères du Zimbabwe, à se rendre au Nigeria, mais en fin de compte, il n'a pas obtenu la permission de rencontrer le général Abacha.
Lors de la deuxième réunion du GAMC, nous nous sommes entendus pour imposer certaines mesures à moins que le Nigeria ne se manifeste dans les 30 jours. Toutefois, la plupart des mesures retenues - et je vais vous les énumérer - n'avaient pas une grande incidence sur le Canada puisque nous les avions prises dès 1993-1994.
Au nombre des mesures se trouvent des restrictions sur les membres du régime et leur famille. Vous vous rappellerez peut-être que nous avons refusé des visas aux membres du régime lorsqu'ils ont demandé d'assister aux Jeux du Commonwealth à Victoria en 1994; nous avons retiré des attachés militaires; nous avons cessé toute formation militaire; nous avons frappé l'exportation des armes d'un embargo; nous avons refusé de permettre aux membres du régime et à leur famille de suivre des cours ici; nous avons immédiatement interdit l'émission de visas dans le cadre de toutes les rencontres sportives; et nous avons réduit l'importance de nos liens culturels et de nos missions diplomatiques. Le Canada a retiré un haut- commissaire qui a été remplacé depuis deux ans par un chargé d'affaires au haut-commissariat à Lagos. Voilà les mesures que nous avons adoptées.
Lors de la deuxième réunion, en plus de donner encore 30 jours au Nigeria pour accepter de nous rencontrer, nous voulions examiner quelles autres mesures nous pourrions prendre lors de la prochaine réunion qui se tiendra à Londres, la semaine prochaine. Ces mesures seront progressives afin d'exercer de plus en plus de pressions sur le Nigeria. Il s'agit de mesures économiques, il y aura entre autres possibilités d'interdire tout vol direct, le gel des actifs de prêteurs individuels et de leur famille, l'interdiction d'accorder de nouveaux crédits à l'exportation et l'interdiction d'exporter de l'équipement destiné à l'industrie pétrolière.
Le Canada cible tout particulièrement l'équipement d'exploration plutôt que celui d'entretien des puits de pétrole. Si nous voulons exercer des pressions toujours plus grandes, nous voudrons proposer une interdiction d'exporter de l'équipement d'entretien plutôt que de l'équipement d'exploration pour l'industrie du pétrole car une telle mesure aurait une incidence beaucoup plus immédiate et directe sur le régime et toucherait les classes les plus élevées de la société, pas le citoyen moyen.
D'autres mesures comprennent la cessation de l'aide économique bilatérale et multilatérale, ce que le Canada fait déjà, et l'interdiction de nouveaux investissements et prêts bancaires.
Je le répète, nous rencontrerons la semaine prochaine à Londres, nos partenaires du GAMC. Juste à la fin de la période de 30 jours, le Nigeria a fini par accepter de rencontrer le GAMC; il n'a pas autorisé le groupe original à se rendre au Nigeria, mais des hauts fonctionnaires nigérians viendront nous rencontrer à Londres pendant notre réunion. Cette mission sera probablement dirigée par le ministre des Affaires étrangères Ikimi, connu pour s'être montré belliqueux dans le passé. Nous espérons qu'il a adopté un comportement plus conciliant et que le Nigeria perçoit maintenant le besoin d'amorcer le dialogue.
Nous trouvons important d'avoir des entretiens avec le général Abacha et les membres de son régime, parce qu'à notre avis, à l'heure actuelle, il n'y a pas au Nigeria d'opposition capable de prendre le pouvoir et de l'exercer. Nous voulons qu'un processus démocratique soit mis en place. Nous voulons qu'il y ait de nouveau des élections libres et équitables au Nigeria, mais il faudra que cela s'inscrive dans un processus. Nous croyons, et nous l'avons déjà dit à Auckland en novembre dernier, que ce processus doit s'étaler sur une période de deux ans.
Sur une note plus positive et pour permettre la mise en place de ce processus, le Canada a établi un fonds de développement démocratique de 2,2 millions de dollars, dont il a annoncé la création à Auckland l'automne dernier. Les fonds doivent être consacrés à des groupes et organisations nigérians qui participeraient directement à l'établissement d'un processus démocratique dans ce pays et qui auraient besoin d'aide à cette fin. Une partie de l'argent sera par ailleurs consacrée au Sierra Leone et à la Gambie. Nous avons déjà commencé à dépenser ces fonds pour les fins prévues.
En plus du travail accompli par le Groupe d'action ministériel du Commonwealth, la communauté internationale s'est occupée du dossier du Nigeria dans d'autres instances. L'automne dernier, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution très ferme contre le Nigeria, résolution que le Canada a coparrainée. Nous sommes très heureux de cette initiative.
Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies s'est réuni ce printemps et a adopté une résolution prévoyant que deux rapporteurs des Nations Unies se rendent au Nigeria: un rapporteur judiciaire et un rapporteur qui examinera le processus des exécutions. Ces deux rapporteurs visiteraient le pays ensemble et feraient rapport à l'Assemblée générale et au Comité des droits de l'homme. Nous aurions préféré un seul rapporteur pour l'ensemble du dossier; nous n'avons pu l'obtenir, mais nous croyons que nous pourrons atteindre les mêmes buts.
Les Nations Unies ont réussi à obtenir qu'une mission de l'ONU se rende au Nigeria ce printemps et, au moment de quitter le Nigeria, les membres de cette mission ont fait une déclaration dans laquelle ils jugeaient très sévèrement la situation des droits de l'homme dans ce pays et condamnaient l'absence de démocratie. Il a fallu que le Canada et d'autres pays exercent énormément de pressions pour que le rapport final de cette mission soit rendu public, mais nous y sommes enfin parvenus, quoique le texte semble en avoir été très adouci, par rapport à la déclaration faite par la mission au moment où elle quittait le pays.
Toutefois, ce rapport renferme certaines recommandations que nous jugeons importantes, notamment pour demander l'envoi d'observateurs internationaux au Nigeria, le rétablissement de l'habeas corpus, l'enregistrement des partis politiques et des dommages-intérêts pour les exécutions des militants ogonis.
Nous nous rendrons à Londres la semaine prochaine. J'ai eu des entretiens avec d'autres participants de ce groupe. Je le répète, le Canada est perçu comme un pays qui prend l'initiative dans ce dossier. Nous proposerons aux Nigérians qui seront présents à la réunion que leur pays accepte une fois de plus l'envoi d'une mission du GAMC au Nigeria. Nous estimons qu'il est extrêmement important de rencontrer le chef de l'État. Selon la réponse que nous obtiendrons à cette réunion, nous déciderons quelles nouvelles mesures doivent être prises, mais chose certaine, nous recommanderons également les mêmes mesures qui sont préconisées dans le rapport de l'ONU.
Je vais m'en tenir là pour l'instant. Nous faisons des efforts en vue d'essayer d'influencer la communauté internationale de façon générale. Le GAMC lui-même s'est vu confier la tâche de prendre contact avec les États-Unis, le G-7, l'Union européenne et d'autres membres de la communauté internationale qui, à notre avis, peuvent exercer une influence au Nigeria.
Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.
Le président: Merci, madame la ministre. Je crois comprendre que vous pouvez rester jusqu'après la présentation des gens de la compagnie Shell.
Mme Stewart: Oui.
Le président: Nous pourrions donc peut-être réserver nos questions pour plus tard.
Mme Stewart: D'accord.
Le président: Je souhaite la bienvenue aux représentants de Shell Canada Limitée, M. Blakely, de Shell International, M. Detheridge, et de Shell Petroleum of Nigeria, M. Achebe.
Pour présenter ces messieurs, disons que je me rappelle, d'après les conversations que nous avons eues à ce sujet, qu'ils sont venus en partie à la suite de l'annonce qui a été publiée dans les journaux canadiens au sujet de la situation au Nigeria, à la demande du comité.
Ils sont donc venus pour nous aider à comprendre, de leur point de vue, la situation actuelle au Nigeria, mais ils ne se prononceront pas sur la position que le gouvernement du Canada devrait adopter dans ce dossier. Il incombe évidemment au gouvernement et au comité de se pencher là-dessus. Ces messieurs sont donc venus nous rencontrer pour nous aider à comprendre la situation au Nigeria et pour nous donner leur point de vue là-dessus.
Cela étant donc entendu, je voudrais demander à M. Blakely s'il veut bien commencer et nous présenter les gens qui l'accompagnent.
Nous écouterons vos exposés respectifs, après quoi nous aurons une ronde générale de questions qui s'adresseront autant à la ministre qu'à vous trois.
Merci beaucoup.
M. R.B. (Ron) Blakely (vice-président, Ressources humaines et Affaires publiques, Shell Canada Limitée): Merci, monsieur le président.
Comme vous l'avez dit, je m'appelle Ron Blakely et je suis vice-président aux ressources humaines et aux affaires publiques de Shell Canada, dont le siège social est à Calgary. Mes commentaires seront brefs puisque je me limiterai à présenter les membres des compagnies Shell qui se sont joints à nous aujourd'hui en provenance du Nigeria et du Royaume-Uni.
Quand nous avons été invités initialement à prendre la parole devant le comité, compte tenu du fait que Shell Canada n'a pas d'investissements, activités ou échanges commerciaux avec le Nigeria, nous avons estimé que le seul moyen d'avoir un dialogue crédible serait d'inviter les gens du groupe des compagnies Shell qui sont les plus directement touchées par la situation au Nigeria. J'ai donc le grand plaisir aujourd'hui de vous présenter M. Emeke Achebe, qui est le directeur exécutif de Shell Petroleum Development Company au Nigeria; et M. Alan Detheridge, qui est le coordonnateur régional de Shell International, et qui a son bureau à Londres.
Monsieur le président, nous vous sommes reconnaissants de nous donner cette occasion de vous présenter le point de vue de Shell sur les dossiers nombreux et complexes du Nigeria. M. Detheridge prendra la parole en premier.
M. Alan Detheridge (coordonnateur régional pour l'Afrique anglophone, Shell International Petroleum Company): Monsieur le président, la compagnie Shell est présente au Nigeria depuis maintenant une soixantaine d'années. Nous avons découvert du pétrole dans le delta du Niger il y a environ 40 ans et nous produisons et exportons du pétrole dans ce pays depuis cette date.
Nous fonctionnons dans le cadre d'une entreprise en coparticipation qui produit un million de barils de pétrole brut par jour, soit près de la moitié du total de la production du Nigeria. Nous avons une participation de 30 p. 100 dans cette coentreprise. Nos partenaires Elf et Agip détiennent respectivement 10 p. 100 et 5 p. 100. L'actionnaire majoritaire est le gouvernement du Nigeria, qui possède actuellement 55 p. 100.
Vous le savez sans doute, le pétrole est un élément important de l'économie nigériane, fournissant 95 p. 100 des rentrées de devises du Nigeria et plus de 80 p. 100 des recettes fédérales.
Monsieur le président, on nous demande souvent combien d'argent Shell fait au Nigeria et je voudrais répondre à cette question. À l'heure actuelle, le pétrole brut nigérian se vend à peu près17$ le baril. Le prix de revient est de 4,50$ le baril, ce qui laisse un profit net de 12,50$. Sur ces 12,50$, les actionnaires privés, soit Elf, Agip et Shell, se partagent 1$, montant qui est fixe, même si le prix du pétrole peut varier grandement. Le reste, soit plus de 92 p. 100 du profit, va au gouvernement fédéral sous forme de taxes, de redevances et de bénéfices répartis en fonction de sa part majoritaire. À mesure que le prix du pétrole augmente, les recettes du gouvernement augmentent d'autant, étant donné que la part des partenaires privés est fixe.
Certains, notamment le Mouvement pour la survie du peuple ogoni, connu sous le sigle anglais MOSOP, ont déclaré qu'une part insuffisante des recettes gouvernementales tirées du pétrole est réinjectée dans le delta du Niger à des fins de développement. Nous sommes d'accord avec cet énoncé et nous l'avons d'ailleurs dit publiquement, comme nous le précisons dans le mémoire que nous vous avons remis. Nous avons fait ce que nous avons pu pour encourager les gouvernements successifs à s'attaquer à ce problème.
Comme nous produisons la moitié du pétrole du pays, bien des gens estiment que nous avons la capacité d'influencer le gouvernement du Nigeria, sinon de le tenir en otage. Je dois dire que cette capacité est grandement exagérée. L'influence que nous pouvons exercer est limitée par des considérations d'ordre très pratique.
Par exemple, pourrions-nous simplement fermer nos installations de production pétrolière? Non. Ce serait une infraction fédérale qui aurait des conséquences très déplaisantes pour les personnes en cause.
D'autres soutiennent que nous devrions nous retirer du pays et ce serait en effet notre sanction ultime. Mais que pouvons-nous retirer? La seule chose que nous puissions retirer, ce sont nos300 expatriés qui travaillent au Nigeria et notre part du financement de la coentreprise. Cela empêcherait-il le pétrole de couler? La réponse est non. Les 4 700 employés nigérians qui resteraient au pays et dans les effectifs de la compagnie sont parfaitement capables de continuer la production au rythme actuel pendant un certain temps. Il s'ensuit donc qu'un tel geste n'aurait à court terme aucune incidence sur les recettes gouvernementales.
Notre politique est de ne pas nous ingérer dans la politique intérieure des pays dans lesquels nous avons des activités, mais cela ne veut pas dire que nous sommes aveugles à la situation des collectivités dans lesquelles nous travaillons. À cet égard, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons fait connaître notre point de vue publiquement et nous continuerons de le faire.
Monsieur le président, je voudrais faire une dernière observation au sujet des sanctions pétrolières. La position de Shell là-dessus est très simple. Nous croyons que les sanctions sont un instrument politique et qu'elles sont par conséquent du ressort des gouvernements et des organisations intergouvernementales. Par conséquent, nous ne plaidons pas pour ou contre les sanctions. Nous respecterons bien sûr les lois ou les traités promulgués par des pays ou groupes de pays, le cas échéant.
Avec votre permission, je vais maintenant céder la parole à mon collègue Emeke Achebe, qui conclura notre présentation.
M. Emeke Achebe (directeur exécutif, Shell Petroleum Development Company of Nigeria Ltd.): Monsieur le président, comme vous le savez pertinemment, mon pays, le Nigeria, est grand et complexe, peuplé de quelque 100 millions de personnes qui parlent environ 250 langues différentes. Par ailleurs, pendant la plus grande partie de nos 35 ans d'existence à titre de pays indépendant, tout n'est pas très bien allé au Nigeria sur les plans politique, économique et social. Notre pays s'efforce actuellement de trouver le cadre approprié pour relever les défis qui se posent à lui à long terme.
Je suis ici à titre de représentant de la Shell Petroleum Development Company of Nigeria, connue sous le sigle SPDC, dont je suis directeur exécutif.
Dans le cadre de la crise qui frappe actuellement le Nigeria, plusieurs accusations ont été portées contre Shell. La principale est que la compagnie a très peu élevé la voix et n'a rien fait pour sauver M. Ken Saro-Wiwa et ses codéfendeurs. Ces accusations sont complètement fausses, comme les faits en témoignent.
En ce qui concerne M. Saro-Wiwa, nous avons dit publiquement qu'il avait le droit de faire connaître librement ses vues, en dépit des critiques qu'il portait à l'endroit de la Shell. Pendant le procès, nous avons dit publiquement et constamment qu'il avait le droit à un procès équitable et à des soins médicaux. Après le verdict rendu par le tribunal, la SPDC et Shell International ont dit publiquement que le fait de mettre à exécution la sentence de mort ferait obstacle au processus de réconciliation dans le territoire ogoni. Le président du Conseil du groupe royal Dutch/Shell a par ailleurs envoyé une lettre personnelle au chef de l'État du Nigeria, lançant un appel à la clémence pour des motifs humanitaires. Malheureusement, nos efforts et les efforts déployés par beaucoup d'autres personnes, gouvernements et organisations intéressés n'ont pas été couronnés de succès.
Depuis l'exécution, nous avons également réclamé une procédure judiciaire juste et rapide pour les autres Ogonis qui sont toujours détenus, ceux que l'on appelle le groupe des 19 Ogonis. Ce que nous n'avons pas fait, c'est de menacer de tenir le gouvernement en otage. Nous ne pouvons pas le faire et mon collègue a déjà expliqué les limites de l'influence de Shell au Nigeria ou même dans n'importe quel autre pays.
Une autre accusation qui a été portée contre Shell au Nigeria est que nous avons ruiné l'environnement. C'est tout simplement faux. S'il est vrai que les activités pétrolières ont des répercussions sur l'environnement, elles n'ont pas pour autant provoqué la ruine. C'est d'ailleurs confirmé par un récent rapport de la Banque mondiale qui est cité dans le document que nous vous avons remis antérieurement. Au cours des cinq dernières années, nous avons dépensé environ 100 millions de dollars US par année pour remplacer et améliorer les installations pétrolières afin de les amener à la hauteur des normes internationales actuelles.
La compagnie a également été accusée d'avoir fait très peu pour aider les collectivités dans les régions productrices de pétrole. Là encore, les faits réfutent cette accusation, comme il est démontré dans les documents que nous vous avons remis. Nous dépensons plus de 20 millions de dollars US par année pour le développement communautaire au Nigeria, en mettant l'accent sur la santé, l'agriculture, l'alimentation en eau potable, le réseau routier, l'électricité et l'éducation.
Nous nous sommes engagés à poursuivre et à renforcer nos programmes environnementaux et communautaires. Nous sommes à l'écoute de tous ceux qui peuvent aider à amener un règlement pacifique des problèmes qui se posent aux habitants du delta du Niger, et nous sommes toujours prêts à discuter avec quiconque veut participer à ces efforts, y compris les organisations non gouvernementales locales et internationales.
Le 8 mai, nous avons déposé un projet d'initiative pour s'attaquer aux problèmes avec lequel le peuple ogoni est aux prises, dans la mesure où Shell peut aider, au lieu de reprendre nos activités de production. Nous proposons de nettoyer les dégâts provoqués par les déversements, à n'importe quel prix; à rétablir les programmes communautaires existants; à discuter de nouveaux projets communautaires; et à rendre les installations sûres, tout cela pourvu que toutes les factions dans le territoire ogoni se mettent pleinement d'accord et nous ouvrent la porte.
La réaction initiale a été encourageante.
En terminant, je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de vous adresser brièvement la parole sur les problèmes complexes qui se posent dans mon pays et pour ma compagnie. J'invite également les membres du comité à venir visiter nos installations au Nigeria et à voir de leurs propres yeux quelle est la situation là-bas.
Le président: Merci, monsieur Achebe.
Cela met fin aux exposés de la ministre et des représentants de Shell, et nous allons donc maintenant passer aux questions. Sauf erreur, la ministre devra partir.
Vous me le direz quand vous devrez partir; à ce moment-là, je demanderai aux autres messieurs de faire leur présentation et nous pourrions peut-être ensuite avoir une discussion entre les gens de Shell et les autres.
Comme la ministre a peu de temps à nous consacrer, nous voudrions qu'on lui pose tout de suite les questions qui s'adressent à elle.
[Français]
Madame Debien.
Mme Debien (Laval-Est): Bonjour, madame Stewart, et bienvenue à notre comité. Dans votre intervention, vous nous avez dressé un portrait peu encourageant de ce qui se passe au Nigeria. On le savait déjà. Malgré toutes les mesures qui ont été prises depuis la réunion d'Auckland, depuis l'expulsion du Nigeria du Commonwealth, et malgré trois rencontres - vous en serez bientôt à une troisième rencontre à Londres, la semaine prochaine - et le délai qui avait été imparti à la suite de la première rencontre d'Auckland, il semble que rien n'ait bougé et que rien ne veuille bouger.
Vous nous dites espérer, pour le groupe interministériel, une rencontre avec le président du Nigeria, rencontre qui avait été refusée précédemment. Face à toutes ces tentatives qui semblent à peu près nulles, je trouve que vous mettez encore beaucoup d'espoir dans la mission du groupe interministériel.
Je pense qu'on en est à une étape où il faut aller beaucoup plus loin. D'ailleurs, vous nous aviez parlé, lors de la rencontre précédente, d'une mesure drastique mais définitive qui pourrait influencer le gouvernement du Nigeria. Ce serait un embargo pétrolier.
J'aimerais savoir si le gouvernement canadien défend toujours cette position au sein du groupe interministériel.
[Traduction]
Mme Stewart: Assurément, un embargo pétrolier est envisagé; c'est l'une des mesures qui, à notre avis, devrait être prise, mais de façon graduelle. Comme je l'ai dit, les pays du Commonwealth se sont mis d'accord pour prendre des mesures contre le Nigeria de façon graduelle.
À notre avis, un embargo pétrolier est la sanction ultime contre le Nigeria, parce qu'il aura l'effet le plus brutal. Mais il frappera également l'ensemble de la société de ce pays.
Nous proposons des sanctions contre le Nigeria qui ciblent le régime, ceux qui sont au pouvoir et leur famille, ceux qui vivent dans les échelons supérieurs de la société nigériane, et nous essayons d'éviter les répercussions négatives sur l'ensemble de la population. C'est pourquoi le prochain train de mesures que nous recommanderons comprendra l'arrêt des exportations de matériel de raffinage pétrolier vers le Nigeria, sachant, comme les gens de Shell l'ont dit, que d'autres seront peut-être tout à fait disposés à fournir ce matériel. Mais ce serait au moins pour le Canada une façon d'afficher son point de vue et nous devons faire preuve d'initiative, en espérant que d'autres suivront notre exemple.
Nous avons eu des entretiens avec nos propres compagnies pétrolières canadiennes et trois des quatre compagnies canadiennes qui importent du pétrole du Nigeria ont volontairement cessé d'en importer et ont trouvé d'autres sources de pétrole ailleurs dans le monde.
Ainsi, en plus des mesures que nous prenons ouvertement, nous continuons de travailler dans l'ombre, de concert avec tous les partenaires éventuels, en vue d'essayer d'encourager la prise de mesures qui auront un effet.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Morrison.
M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): J'ai une brève question à poser à M. Achebe.
Je crois comprendre qu'en raison de la situation politique, Shell n'a plus aucune activité dans la région ogonie depuis maintenant deux ou trois ans, que vous n'êtes plus en mesure de travailler dans ce secteur. Est-ce vrai? Dans l'affirmative, avez- vous encore des employés dans la région? Qu'en est-il de l'entretien des pipelines existants? Y a-t-il des déversements pétroliers un peu partout à cause de votre absence? Pourriez-vous me décrire la situation?
M. Achebe: Il est effectivement vrai qu'en raison de la dégradation de la situation au pays ogoni, nous craignions pour la sécurité de notre personnel que nous avons décidé de retirer dès janvier 1993. Vers le mois de mai 1993, la dernière des installations qui fonctionnait naturellement en mode automatique a cessé ses opérations. Depuis, il n'y a pas eu de production pétrolière ni même d'activité pétrolière en pays ogoni. Il n'y a plus d'employés de Shell en pays ogoni depuis ce temps-là.
Il y a eu des déversements depuis puisque nous sommes partis à la hâte et que nous n'avions pas pu assurer la sécurité des installations. Les déversements sont le résultat du sabotage des installations. Malheureusement, c'est vrai.
Nous avons fait appel aux Ogonis, qui travaillent pour nous comme sous-traitants, afin qu'ils nettoient les déversements. Nous ne pouvons pas garantir la qualité du travail puisque nous ne sommes pas allés la vérifier sur place. Voilà où en sont les choses.
Le président: Puis-je avoir un éclaircissement sur une chose qu'a dite M. Achebe? Dans votre exposé, vous avez parlé du retrait forcé du territoire ogoni au début de 1993. Qu'entendez-vous par «forcé»?
M. Achebe: Nous cherchons à décrire une situation où nous avons été essentiellement forcés de retirer nos employés et de cesser nos opérations puisque leur sécurité personnelle ne pouvait plus être assurée. Nos employés avaient été battus. Leurs voitures avaient été saisies. Dans certains cas, leurs véhicules avaient été incendiés. Les forces de l'ordre n'étaient pas en mesure de contrôler une situation...
Le président: Ainsi, ce sont les menaces contre la sécurité de façon générale qui ont forcé le retrait et non pas vous-mêmes ou une quelconque autorité.
M. Achebe: C'est exact.
Le président: Merci.
Monsieur Assadourian.
M. Assadourian (Don Valley-Nord): Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse au représentant de Shell Canada. À la page 3 de ce document, au point 5 concernant Ken Saro-Wiwa, vous dites regretter profondément l'exécution des 10 militants. Le gouvernement du Canada a condamné cette action. Pouvez-vous me dire quelle différence il y a entre les mots «condamner» et «regretter»? Pourquoi n'utilisez-vous pas le terme «condamner» à la télévision nationale afin que les médias sachent quelle est la position de Shell Canada sur l'assassinat de militants politiques innocents au Nigeria?
M. Blakely: Nous avons pris très au sérieux la situation au Nigeria même si nous n'avons pas...
M. Assadourian: Ce n'est pas ma question. Pourquoi ne condamnez-vous pas l'exécution?
M. Blakely: C'est peut-être une question de sémantique. Afin de comprendre la situation, nous avons choisi de consulter ceux qui sont plus associés de près aux événements au Nigeria. Comme de nombreux autres Canadiens, nous avons pris connaissance de cette exécution en novembre dernier et notre premier réflexe a été de regretter les événements. Nous avons maintenu cette position et c'est aussi la position de Shell International.
M. Assadourian: Autrement dit, Shell International n'est pas prête à condamner ces exécutions à la télévision nationale, pas maintenant, après avoir eu huit mois pour revoir la situation.
M. Detheridge: Nous avons utilisé plusieurs termes pour exprimer les sentiments que nous inspirent les événements tragiques survenus en pays ogoni et ailleurs dans le delta du Niger. Nous avons dit que nous sommes consternés par la violence. Nous avons condamné la violence des uns et des autres. Pour certains, cela n'est pas suffisant et ils nous ont demandé expressément de condamner le procès de Ken Saro-Wiwa. J'imagine, monsieur, que c'est de cela que vous voulez parler.
Nous avons exprimé très clairement notre position à cet égard. Il ne nous appartient pas de condamner les procédures juridiques d'un pays donné. Nous avons toutefois dit que nous sommes navrés et consternés devant les commentaires faits par d'autres, par l'Association du Barreau du Nigeria, par le Conseiller de la Reine du Royaume-Uni en visite, Michael Birnbaum, et par d'autres qui sont mieux en mesure que nous de commenter ces procès.
Je crois donc que nous avons fait connaître notre point de vue suffisamment clairement, monsieur.
M. Assadourian: Je voudrais faire une comparaison avec l'Afrique du Sud. Croyez-vous que c'est par regret que l'Afrique du Sud a libéré Mandela de prison il y a quelques années, ou bien a-t- il fallu que l'Occident prenne des mesures plus énergiques pour faire comprendre au gouvernement sud-africain que le regret, ce n'était pas suffisant? Pouvons-nous faire une comparaison entre les deux situations?
M. Detheridge: Malheureusement, je ne connais pas l'Afrique du Sud et il m'est difficile de répondre à une question hypothétique. Tout ce que je peux dire, c'est que je crois que nous avons fait connaître notre point de vue autant en public qu'en privé et nous sommes l'une des rares compagnies en place au Nigeria, sinon la seule, à avoir mis par écrit ces vues.
M. Assadourian: Autrement dit, s'il n'en tenait qu'à vous, monsieur, Nelson Mandela serait en prison aujourd'hui.
M. Detheridge: Non, je ne pense pas avoir dit cela.
Le président: On vient de me dire que la ministre doit partir à 10 heures. Par conséquent, si les membres du comité ont des questions précises à lui poser, il conviendrait de le faire maintenant. Les messieurs de Shell International resteront avec nous toute la matinée et nous aurons donc l'occasion d'engager le débat et la discussion avec eux, ainsi qu'avec les autres messieurs qui sont venus. Je dis cela simplement pour votre gouverne.
Peut-être, madame la ministre, pourrais-je profiter du privilège que me confère la présidence pour vous poser une question. Quand nous avons adopté notre résolution au comité le 18 avril, réclamant du gouvernement qu'il joue un rôle de leader pour chercher à obtenir une entente internationale en vue d'un embargo pétrolier, nous avons spécifiquement fait mention des États-Unis et de l'Union européenne dans cette résolution, parce que nous sommes conscients au comité que les gestes que les Canadiens pourraient poser, sans être dénués de mérite, doivent être posés dans le cadre d'une collaboration internationale pour être efficaces. Vous avez abordé la question dans votre exposé, mais je me demande si vous pourriez nous dire peut-être plus explicitement quelle est la position de l'Union européenne et des États-Unis là-dessus, en particulier en ce qui concerne la liste que vous nous avez donnée. Sont-ils résolument en faveur de cela à l'heure actuelle?
Mme Stewart: Les opinions varient. L'Afrique du Sud, à la réunion d'Auckland en Nouvelle-Zélande, a été le premier pays à se prononcer en faveur d'un embargo pétrolier total contre le Nigeria. À ce moment-là, cela n'a pas été accepté. Il y avait consensus pour voir appliquer d'abord d'autres mesures, à commencer par la suspension du Nigeria du Commonwealth, mais les participants se sont entendus sur une méthode consistant à appliquer des sanctions graduelles pouvant aboutir à un embargo pétrolier qui constituerait la sanction ultime contre le Nigeria.
Depuis lors, le sentiment d'alarme est allé grandissant, je dirais dans le monde entier, quant au besoin de prendre des mesures contre le Nigeria, non pas seulement à cause de la situation au Nigeria même, mais aussi à cause de ses répercussions sur les États voisins du Nigeria.
Les États-Unis sont relativement ouverts, mais je répète qu'il faut dégager un consensus international plus large. Au Commonwealth, les réunions du GAMC sont les meilleures tribunes à ce jour où nous pouvons travailler en vue d'établir un certain consensus international à l'égard de mesures à prendre.
C'est une tribune intéressante. J'ai nommé les huit pays membres. Pour l'instant, il n'y a pas consensus dans ce groupe quant à l'application d'un embargo pétrolier. Nous, au Canada, réclamons avec insistance des mesures économiques plus rigoureuses contre le Nigeria. Je le répète, l'embargo pétrolier figure sur la liste des mesures envisagées, mais nous considérons que c'est la sanction économique ultime que l'on peut prendre contre le Nigeria.
Le président: Merci beaucoup.
Madame Debien.
[Français]
Mme Debien: Ma question ou mon commentaire s'adresse aux représentants de Shell. Je voudrais dire tout d'abord que le comité a fortement déploré votre refus lorsqu'il vous a demandé de comparaître devant lui. Nous avons déploré également avoir été obligés d'adopter une résolution pour que vous vous présentiez. Étant donné votre attitude, vous comprendrez l'indisposition que je ressens personnellement, au départ, à l'égard de votre compagnie.
Vous nous avez dit, et je voudrais insister sur ce point, que votre capacité d'influencer le gouvernement nigérian était quand même très limitée. Vous nous avez dit aussi, messieurs, que vous étiez là depuis 60 ans. Vous ne me ferez pas croire que pendant 60 ans, vous n'avez pas eu de discussions publiques ou privées avec le gouvernement nigérian sur la politique fiscale, sur les lois du travail, sur l'environnement, sur les droits de la personne et sur une foule d'autres questions auxquelles vous vous intéressiez.
Après 60 ans, vous nous dites que vous n'avez pas la capacité d'influencer ce gouvernement et vous fermez les yeux sur la violence et la fraude qui sévissent dans ce pays. Je regrette d'avoir eu à faire ce commentaire, qui est aussi la conséquence de votre premier refus qui nous a fortement indisposés.
[Traduction]
M. Blakely: Peut-être, monsieur le président, pourrais-je répondre à ce que l'on a dit au sujet de ce qui a été perçu comme un refus de comparaître devant le comité. Je ne me rappelle pas exactement toutes les dates, et peut-être la greffière pourrait- elle me les rappeler, mais il me semble que cette réunion devait avoir lieu le 14 décembre dernier.
Je me rappelle que dans l'après-midi du 7 décembre, j'étais sur le point de partir pour attraper un avion pour Toronto lorsqu'on nous a demandé de comparaître devant le comité. À ce moment-là, ma réaction a été la même que celle que j'ai énoncée dans mes observations aujourd'hui, à savoir que le comité serait mieux servi en faisant venir des gens qui travaillent pour la compagnie internationale nigériane et qui connaissent la situation au Nigeria.
J'aurais certainement pu venir témoigner devant vous à ce moment-là. J'aurais été tout à fait disposé à le faire, mais vous auriez peut-être trouvé l'expérience quelque peu frustrante parce que, franchement, ma connaissance de la situation était extrêmement limitée.
Par la suite, une séance du comité devait avoir lieu en février, mais comme vous le savez tous, le Parlement a été prorogé et cette séance du comité a été annulée.
En prévision de cette réunion, j'avais pris des arrangements pour faire venir ces deux messieurs au Canada et ils sont d'ailleurs venus au Canada pour s'entretenir avec des parties intéressées, en dépit du fait que le comité ne s'est pas réuni.
Si ma mémoire est fidèle, nous avons essayé d'arrêter une nouvelle date en mars. Une fois de plus, nous avons fait savoir que nous étions tout à fait prêts et disposés à témoigner en mars. Cette réunion a également été annulée.
Nous avons cherché à nous entendre sur des dates auxquelles je pourrais faire venir ces messieurs de leurs pays respectifs pour témoigner devant le comité. Nous avons littéralement examiné toutes les dates possibles au calendrier. Je pense que la greffière pourra en témoigner.
Je suis donc désolé si on a eu l'impression que nous n'étions pas prêts à coopérer, que nous refusions de comparaître. Ce n'était tout simplement pas le cas. En termes de logistique, il nous a été impossible de prendre les arrangements voulus à l'époque.
Je voudrais maintenant céder la parole à mes collègues.
Le président: Peut-être M. Detheridge ou M. Achebe pourrait-il répondre à la question de fond posée par Mme Debien.
M. Detheridge: Sur la question de notre influence, ce que j'ai dit dans mon exposé, madame, c'est que l'on a grandement exagéré l'influence que nous pouvons avoir. J'espère que je n'ai pas prétendu que nous n'avions aucune influence dans ce pays. Ce ne serait tout simplement pas la vérité.
En fait, nous avons eu des discussions sur une vaste gamme de questions avec un certain nombre de personnes dans ce pays. Nous n'avons pas caché que l'un des sujets abordés était la situation des droits de l'homme dans ce pays. Nous avons fait connaître nos vues en public et en privé sur ce qui se passe au Nigeria. Je le répète, nous sommes l'une des rares compagnies ayant des activités au Nigeria à avoir fait connaître publiquement son point de vue.
Le président: Merci.
Monsieur Mills.
M. Mills (Red Deer): Pour ce qui est de la suspension du Commonwealth, cela ne semble pas avoir... vous avez dit que cela avait eu un certain effet, mais pas vraiment spectaculaire.
Premièrement, je me demande si l'exclusion du Commonwealth n'aurait pas eu un effet plus grand qu'une simple suspension. Cela transmettrait clairement le message suivant: votre conduite est inacceptable, en conséquence, vous êtes exclu. Évidemment, il y aurait possibilité de rentrer au bercail, mais seulement quand les choses se seraient améliorées.
Deuxièmement, je m'interroge sur le rôle joué par l'Union européenne dans tout ce dossier, compte tenu de tout ce qu'on a pu dire au sujet de l'étendue géographique de notre aire d'influence, car ce pays se trouve peut-être plus près de sa sphère d'influence. Je me demande s'il y a là-bas une volonté d'agir. Je songe notamment à la Grande-Bretagne, qui ne semble pas vraiment désireuse d'agir.
Mme Stewart: Au sujet de la suspension que nous avons décrétée contre le Nigeria, et de l'expulsion éventuelle, si jamais ce pays était expulsé, il faudrait que cela se fasse officiellement à la réunion des chefs de gouvernement. Cela n'aura pas lieu avant 1997. Le GAMC n'a pas l'autorité voulue pour ce faire, sans compter que cela suscite certaines préoccupations.
Nous ne voulons pas inciter le Nigeria à s'exclure volontairement, parce qu'alors il n'aurait plus à écouter ce que le GAMC a à lui dire. Il ne sentirait absolument aucune obligation ou besoin de prêter la moindre attention au Commonwealth et de dialoguer avec les pays membres du Commonwealth. Il faudrait s'en remettre entièrement soit à l'OÉA, l'Organisation des États africains, ou aux Nations Unies. Actuellement, c'est le GAMC qui, à l'échelle internationale, adopte la politique la plus cohérente à l'égard du Nigeria.
L'Union européenne a proposé sa propre liste de mesures contre le Nigeria. Les Européens sont très inquiets. De façon générale, la communauté internationale devient de plus en plus préoccupée par la situation. Nous essayons de maintenir nos contacts et de poursuivre les discussions dans les différents groupes de pays, sur le plan multilatéral ou bilatéral, afin d'essayer de trouver le meilleur moyen d'amener le Nigeria à la table, car c'est ce qui doit arriver pour que le processus démocratique soit amorcé dans ce pays.
Chose certaine, comme vous l'avez dit, il y a indéniablement des divergences de vues parmi les pays de l'Union européenne quant à ce qui doit arriver. Ces organisations fonctionnent par consensus, car c'est ce qu'il faut si l'on veut que les mesures soient efficaces.
L'interruption des liaisons aériennes directes à titre de sanction économique sera un élément très important sur lequel devra se pencher l'UE, car cela touche de nombreux transporteurs de la communauté européenne. Les États-Unis ont déjà mis fin à leurs liaisons aériennes directes avec le Nigeria, pour des raisons de sécurité et d'entretien des avions, de sorte que la question ne se pose pas pour eux, mais elle se pose dans le cas de l'UE et nous presserons les pays européens à ce sujet à la prochaine réunion du CMAG.
Monsieur le président, je savais que j'oubliais quelque chose. Quand nous rencontrerons le ministre des Affaires étrangères Ikimi à Londres la semaine prochaine, en plus de lui demander de favoriser la tenue d'une réunion au Nigeria avec le général Abacha, au nom des représentants du GAMC, nous lui demanderons également de faire libérer immédiatement Abiola, Obasanjo et d'autres détenus politiques, pour montrer qu'ils sont disposés à s'attaquer aux problèmes de leur pays sur le plan des droits de l'homme et de la démocratie.
Le président: Merci.
Monsieur Iftody, vous êtes le suivant. Avez-vous une question à poser à la ministre ou aux gens de Shell? Si c'est pour Shell, peut-être pourriez-vous passer votre tour et laisser quelqu'un interroger la ministre, car elle doit partir bientôt.
M. Iftody (Provencher): Ma question s'adresse surtout à Shell.
Le président: Monsieur Flis, votre question s'adresse-t-elle à la ministre?
M. Flis (Parkdale - High Park): J'ai une question pour la ministre et une autre pour Shell, mais cette dernière peut attendre si je peux poser ma question à la ministre.
Quand la question des droits de l'homme en Chine a été soulevée, le Premier ministre, le ministre du Commerce international et le ministre des Affaires étrangères ont dit très clairement que le meilleur moyen de réagir aux violations des droits de l'homme, c'est l'engagement, et non pas l'isolement. Dans le processus que vous avez décrit ce matin, n'avons-nous pas choisi la voie de l'isolement? Faut-il y voir une incohérence dans notre politique étrangère?
Mme Stewart: Non, je crois que c'est précisément le contraire. Nous essayons de prendre des mesures contre le Nigeria qui auront pour résultat de le forcer à dialoguer et à négocier un règlement des problèmes, en vue d'aider les Nigérians à instaurer la démocratie et à mieux respecter les droits de l'homme.
Je le répète, notre intention, quand nous prenons ces mesures, c'est de les amener à la table de négociation. Le changement doit se produire dans le contexte du régime qui est en place là-bas actuellement, parce qu'à l'heure actuelle, il n'y a pas d'alternatives, personne n'étant suffisamment organisé pour remplacer le régime actuel. Si le régime actuel est remplacé, son remplaçant ne sera guère différent.
Il faut donc amener ce régime à la table et nous prenons des mesures graduelles pour essayer de l'amener à négocier. Nous avons également établi un fonds de développement démocratique, dans un effort pour les aider à mettre en place l'infrastructure nécessaire à la démocratie.
Je suis allée en Gambie la semaine dernière comme membre d'une délégation du Commonwealth, ce pays étant un autre des dossiers qui nous intéressent actuellement. C'est une dictature militaire. Ils ont ouvert les bras à une délégation du GAMC dans leur pays. Le dirigeant a accepté de nous rencontrer. Nous avons écouté ses explications et il nous a notamment parlé de ses problèmes avec la magistrature. Il n'a tout simplement pas les ressources voulues pour mettre sur pied un bon système judiciaire dans son pays. Il a des problèmes avec les médias. Nous avons rencontré les représentants des médias pour voir ce que nous pouvions faire pour aider à ce sujet.
Il nous a expliqué la nature des problèmes et nous offrons d'aider l'État à surmonter ces problèmes et à se doter d'une infrastructure favorable à l'instauration de la démocratie. Nous espérons que ce sera pour le Nigeria un exemple de ce que ce groupe souhaite accomplir au Nigeria.
M. Flis: [Inaudible - La rédaction] au maximum.
Mme Stewart: Oui.
M. Flis: Merci.
Mme Stewart: Merci, monsieur le président. J'apprécie cette chance qui m'est donnée et j'ai hâte de connaître vos recommandations.
Le président: Merci, madame la ministre, d'être venue ce matin. Je suis désolé que vous deviez nous quitter, mais nous savons que vous avez d'autres obligations. Merci d'être venue.
Maintenant, si cela convient aux membres du comité, j'aimerais demander à nos prochains témoins de nous dire quelques mots, après quoi nous pourrons poser des questions aux autres témoins et aux représentants de Shell. Ainsi, nous pourrons entamer une discussion.
Le chef Enahoro est avec nous. Chef Enahoro, si vous voulez bien prendre place au centre, là où la ministre était assise. Dans un instant nous allons vous promouvoir au rang de ministre. Vous penserez peut-être que c'est une rétrogradation. Ne répondez pas.
Nous accueillons aussi M. Akano et M. Nossal qui est de l'Université McMaster.
J'aimerais inviter nos trois témoins à dire quelques mots dans cet ordre, après quoi nous passerons aux questions.
Pendant que nos témoins s'installent, je rappelle aux membres du comité que nous avons reçu un mémoire écrit de Irving Oil qui a été distribué.
On m'a demandé d'annoncer à la salle que ceux qui le souhaitent pourront voir la diffusion de cette séance à CPAC à 22 h 30 ce soir.
Chef Enahoro, merci d'être venu, monsieur.
Chef Anthony Enahoro (commandant, République fédérale du Nigeria; président, Coalition démocratique nationale, Washington, D.C.): Monsieur le président, messieurs et mesdames les membres du comité, je suis ravi d'être parmi vous ce matin pour cet échange d'idées sur la situation qui prévaut dans mon pays.
J'aimerais faire part à nouveau de ma sincère gratitude au gouvernement canadien dont l'aide a permis de garantir ma sécurité personnelle et mon départ du Nigeria. Je peux vous garantir que sans cette aide humanitaire prompte, je serais sans doute déjà passé à l'histoire de l'époque troublée que connaît mon pays.
Ce que j'ai entendu ce matin et ce que j'ai lu m'indique que vous connaissez bien l'histoire récente du Nigeria. Je connais le rôle et l'importance de votre Parlement et je sais que les audiences de votre comité contribuent à infléchir la politique étrangère du Canada.
Déjà en août 1993, dans une déclaration intitulée «La démocratie n'est pas négociable» diffusée dans tout le Nigeria, notre groupe disait:
- Le Nigeria a survécu à huit longues années de crimes contre la nation, de violations des droits de
la personne, d'actes de terreur dirigés contre la presse, d'émasculation des tribunaux, de
corruption du système politique, de désintégration sociale, de mauvaise gestion de l'économie,
de dilapidation criminelle et d'aventures étrangères inconsidérées qui ont coûté cher en vie et en
argent. Nous souhaitons faire savoir à la nation que le cauchemar n'est pas terminé.
Depuis la diffusion de cette déclaration, nous avons vécu trois nouvelles années de ce cauchemar. C'est dans un fervent espoir que le Canada pourra et voudra nous aider à mettre fin à ce cauchemar que je suis venu au Canada et que je suis là ce matin.
Ce n'est pas ma première visite ici. À la veille de notre accession à l'indépendance, quand nous examinions divers systèmes et divers régimes de gouvernement, je suis venu au Canada et j'ai consacré quelque temps à une étude approfondie de votre système parlementaire et de la célèbre GRC. Dans un livre intitulé «Fugitive Offender» que j'ai écrit quelques années plus tard, j'ai dit:
- Au Canada, je n'ai pas eu l'impression d'être un parfait étranger car, quoi qu'en disent les
critiques, l'idéal du Commonwealth n'est pas purement théorique et les Canadiens ont la
réputation de vivre pleinement cet idéal. Dans un pays du Commonwealth on s'attend à
entendre une langue reconnaissable et de trouver un système de gouvernement et de justice...
- ... assez semblables au nôtre, du moins tel qu'il l'était...
- Le Canada ne m'a pas déçu... Tous les efforts ont été faits pour que je puisse étudier directement
la célèbre Gendarmerie royale et la Constitution canadienne au jour le jour. Les Canadiens ont
d'ailleurs été si accueillants et si serviables que j'ai prolongé d'un jour mon séjour...
J'essaie d'expliquer pourquoi nous souhaitons si ardemment que le Canada participe à la recherche de solutions à nos problèmes.
J'ai de nouveau visité le Canada pendant la guerre civile dans mon pays et j'ai été reçu tout aussi chaleureusement malgré les vives divergences d'opinions qui existaient ici à l'époque. Ensuite, il y a à peine quatre semaines, je suis venu exprimer ma gratitude au gouvernement canadien.
Depuis lors, comme vous l'avez sans doute su, un autre assassinat politique a été commis au Nigeria. Cette fois, la victime était l'épouse du chef Abiola, vainqueur de l'élection présidentielle de 1993 et qui, comme vous le savez, est actuellement emprisonné par la junte militaire. Mme Abiola critiquait ouvertement la junte militaire et avait fait campagne sans relâche pour obtenir la libération de son époux et sa légitime installation comme président. Ainsi, notre cauchemar continue.
Je suis donc venu aujourd'hui non seulement pour vous féliciter et pour féliciter le Canada, mais aussi pour remercier le Canada de la position très ferme qu'il a prise sur la crise au Nigeria - je savais de façon certaine que cette position s'appuyait sur un idéalisme et des fondements moraux solides - mais aussi pour vous supplier de poursuivre et d'accroître vos efforts pour soutenir la cause de la démocratie et de la stabilité au Nigeria.
Avant de parler de l'aide spécifique que le Canada pourrait et devrait nous apporter dans notre lutte pour la démocratie, il serait bon de rappeler que le secrétaire général des Nations Unies a récemment envoyé au Nigeria une mission d'enquête chargée de préparer un rapport sur l'assassinat par la junte militaire de neuf chefs ogonis et sur le programme de transition de la junte. Certains de nous au Nigeria se sont demandés pourquoi la junte militaire préférait une mission des Nations Unies décidée lors d'une réunion spéciale entre le général Abacha et Boutros Boutros- Ghali. Nous nous sommes demandés pourquoi elle avait préféré cela à une mission du Commonwealth.
La réponse nous semblait évidente: le Commonwealth est une organisation d'États démocratiques et une mission du Commonwealth aurait manifestement exigé que la junte justifie son action selon des critères plus rigoureux fondés sur la déclaration de Harare et les idéaux bien établis du Commonwealth. L'ONU n'est pas une organisation d'États démocratiques et, étant donné la situation qui prévalait à l'époque, il était plus probable qu'une mission des Nations Unies, étant donné sa composition et l'origine de ceux qui la composaient, soit plus sensible à des influences plus vastes. Cependant, malgré ces réserves et d'autres encore, nous, comme d'autres groupes prodémocratie, avons coopéré pleinement avec la mission.
Vous avez sans doute lu le rapport des Nations Unies de sorte que, pour ne pas vous ennuyer, je vais me contenter de rappeler ce que la mission a constaté sur le terrain, d'après son propre rapport. Elle a constaté que la junte avait aboli l'habeas corpus; qu'elle passait habituellement outre aux décisions, ordonnances et jugements des tribunaux; qu'elle harcelait les médias, détenait les journalistes sans procès, interdisait la publication des journaux et fermait les stations de radio qui critiquaient la junte ou publiaient des documents qui la critiquaient ou encore lui déplaisaient; qu'elle avait aboli l'application régulière de la loi et le droit d'appel et détenait de façon généralisée des citoyens sans raison et sans procès.
À l'heure actuelle, environ 140 militants politiques sont en détention sans avoir subi de procès et certains sont détenus depuis plus de deux ans.
Pour ce qui est des chefs ogonis, on n'a procédé à aucune enquête préliminaire, malgré ce que stipule la loi. On a refusé longtemps aux chefs ogonis l'accès à un avocat, et ils ont été détenus dans des conditions inhumaines.
La junte a pris une part active à toutes les étapes des procès. Les avocats de la défense étaient harcelés par la junte. La composition du tribunal était contraire aux normes d'impartialité et d'indépendance fixées par les lois protégeant les droits de la personne.
La confirmation de la sentence de mort par la junte n'était ni légale ni valide et, pire que tout, la période d'appel n'était même pas expirée quand la junte a ordonné d'exécuter sommairement les chefs ogonis.
Ce n'est pas uniquement nous qui portons ces accusations; c'est ce qu'a pu constater la mission de l'ONU.
C'est ce que nous avons toujours prétendu, de même que d'autres militants en faveur de la démocratie, mais la junte a toujours prétendu de son côté que ces accusations de violation fascistes étaient fausses.
Devant ces constatations et à la lumière de nos réserves initiales, on peut se demander pourquoi les recommandations de la mission onusienne n'ont pas correspondu à ces constatations. Votre réponse sera peut-être plus charitable que la mienne.
Ainsi, le rapport n'a fait aucune recommandation à l'égard des responsables de l'exécution illégale de Ken Saro-Wiwa et de celle des chefs ogonis. Le rapport n'a fait aucune recommandation, en fait aucune mention, à l'égard de l'élection présidentielle du 12 juin 1993 ou de son vainqueur, alors que c'est cet événement qui a précipité la crise actuelle. Le rapport n'a fait aucune recommandation au sujet des prétendues élections qui n'étaient qu'un processus de sélection. Le rapport ne contenait non plus aucune recommandation sur les assassinats et les tentatives d'assassinat.
Mais ce qui est peut-être plus important encore pour vous, c'est que l'équipe onusienne, avant son départ pour New York, a dit catégoriquement à un haut représentant de notre organisation que son mandat n'allait pas jusqu'à l'examen de sanctions éventuelles.
L'équipe n'a recueilli aucune preuve là-dessus au Nigeria. Sans qu'on sache pourquoi, le rapport affirmait qu'il ne convenait pas d'imposer des sanctions dans le cas du Nigeria.
Quoi qu'il en soit, à la lumière du rapport de l'ONU, nous n'avons d'autre choix que d'affirmer que nous n'aurons pas de cesse que l'exécution des chefs ogonis ne soit traitée comme un crime contre l'humanité. Un jour, les coupables seront traînés devant les tribunaux pour répondre de leur crime.
La communauté internationale devrait s'attaquer aux dommages à l'environnement, à la dépopulation et à l'appauvrissement des Ogonis. On ne peut traiter cette question comme une affaire privée entre Shell et les Ogonis, car les problèmes sont beaucoup plus vastes.
Nous espérons que des mesures internationales parviendront à imposer ce que nous considérons comme des normes civilisées d'exploitation et de comportement non seulement pour Shell mais aussi pour toutes les autres compagnies pétrolières installées au Nigeria.
Nous demandons que les tribunaux criminels spéciaux, et particulièrement ceux qui sont de nature politique, soient abolis et que les procès de nature criminelle soient renvoyés à nouveau aux tribunaux ordinaires.
Notre junte nigériane a offert de reconsidérer ces lois essentielles de façon que les cas des détenus soient réexaminés successivement tous les trois mois, au lieu de laisser traîner leur cas indéfiniment. Personnellement, je suis resté quatre mois et demi en détention, et personne ne s'est penché sur mon cas. On n'a jamais formulé d'accusation contre moi. Mais la junte a la bonté aujourd'hui d'affirmer qu'elle ne détiendra des gens que pour trois mois consécutifs sans qu'ils aient évidemment accès aux tribunaux, à leur famille, à des avocats ou même à des médecins.
Nous déclarons inacceptable le programme de transition de la junte à l'égard duquel le rapport onusien a pourtant demandé de l'appui. Contrairement à cette recommandation de l'équipe onusienne, nous continuons à affirmer fort simplement que la junte n'a le mandat ni de concevoir ni de mettre en place un programme de transition. La junte ne peut au mieux que prétendre que son mandat lui a été conféré par la force brutale et non démocratique.
Nous continuons à affirmer qu'il y a eu une élection sous supervision internationale, que cette élection a été déclarée libre et équitable, que le vainqueur de l'élection est toujours vivant, et qu'il est le seul Nigérian aujourd'hui à avoir le mandat de former un gouvernement de réconciliation et d'unité nationale.
Nous non plus n'avons pas de mandat. La ministre a affirmé que l'opposition au Nigeria n'était pas non plus en mesure de prendre la relève. Nous ne voulons pas prendre la relève. Nous n'avons rien demandé de tel. Nous disons que c'est à l'élu de former un gouvernement.
Si nous décidions de remplacer nous-mêmes le gouvernement, sans en avoir reçu le mandat, nous ne nous comporterions guère mieux que la junte. Nous ne voudrions former de gouvernement que si celui qui a été dûment élu n'était pas en mesure de remplir son mandat.
Après 30 ans de gouvernement militaire, à quelques années près, nous ne sommes plus disposés à accepter des régimes mis au pouvoir par les forces armées et engraissés par notre argent. Nous n'avons aucune loyauté à l'égard des forces armées, car toute notre loyauté va à notre pays. Ce qui compte pour nous, c'est la volonté du peuple qui s'est exprimée lors d'une élection.
Nous vous exhortons à maintenir et même élargir nos sanctions. La recommandation de l'ONU de ne pas imposer de sanctions va à l'encontre de celles qu'ont imposées l'Union européenne, le Canada et les États-Unis, et va à l'encontre de la suspension du Nigeria du Commonwealth de même qu'à l'encontre d'autres mesures prises par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies. Nous sommes d'avis qu'il faut imposer des sanctions encore plus sévères, particulièrement un embargo pétrolier, pour créer un climat qui mettra rapidement fin au régime militaire.
Nous nous attendons à ce qu'il y ait certaines difficultés, et peut-être même une absence d'unanimité. Nous avons suggéré d'établir un compte fiduciaire bloqué pour les recettes pétrolières qui ne seraient pas assujetties à l'embargo, lequel servirait à rembourser la dette, principal et intérêts, de même qu'à engager des dépenses semblables à celles que permettait la formule des Nations Unies qui s'appliquait à l'Irak. Le pense que le Commonwealth pourrait appliquer une telle formule.
Ceux qui sont contre les sanctions prétendent qu'elles nuiront aux habitants du Nigeria. C'est faux. Après tout, nos revenus n'aident actuellement en rien le Nigérian moyen. Il n'y a à peu près plus de services sociaux. Les communications sont à peu près inexistantes depuis l'indépendance. Dans bien des États, on a aboli l'instruction primaire gratuite. Nombre d'établissements d'enseignement secondaire ont été fermés. Le chômage, et particulièrement celui des diplômés et de nos citoyens les plus instruits, est à son plus haut niveau. Les jeunes gens instruits émigrent en masse aux États-Unis, au Canada et en Europe. Les quartiers réservés des villes européennes sont remplis de jeunes nigérianes. Les Italiens s'en plaignent, et les Romains aussi. Des sanctions ne pourraient certainement pas empirer la situation.
L'un des effets bénéfiques des sanctions, ce serait de priver la junte des recettes pétrolières qui lui servent à saper la démocratie dans le reste de l'Afrique occidentale et à équiper et à maintenir des effectifs militaires dont la fonction principale est de maintenir la population sous leur joug. Priver la junte militaire de ses revenus pétroliers contribuerait à la restauration de la démocratie au Nigeria et à l'assainissement politique en Afrique occidentale.
En outre, la junte elle-même a reconnu que le prédécesseur du général Abacha, le général Babangida, ne pouvait toujours pas rendre compte des 12,5 milliards de dollars américains de revenus pétroliers supplémentaires procurés par la Guerre du Golfe. En quoi le Nigérian moyen a-t-il profité de ces revenus supplémentaires?
Des sanctions exhaustives sont une façon pacifique de mettre un terme à la dictature militaire au Nigeria. Nous, qui demandons un élargissement des sanctions, sommes des Nigérians, et nous ne voudrions pas imposer une vie encore plus dure à notre peuple. Mais ceux d'entre les Nigérians qui n'appuient pas les sanctions sont, d'après nous, les principaux bénéficiaires de la dictature, de la mauvaise administration et de la corruption.
Il est sûr que des sanctions pourraient avoir une incidence au Canada même. Mais les idéaux ne coïncident pas toujours avec des avantages commerciaux immédiats. C'est là une des leçons que nous enseigne l'histoire et, si je puis me permettre, c'est une des leçons que doit avoir tirées le Canada de son engagement dans les deux guerres mondiales. Les peuples et les nations doivent parfois s'élever au-dessus des considérations purement pécuniaires du marché afin de trouver leur âme, de maintenir leurs idéaux et la vision qu'ils ont de l'avenir de l'humanité, et afin de se faire les gardiens de leur frère. Nous croyons que c'est ce que le Canada est maintenant appelé à faire.
Étant donné les ressources de notre pays, sa population et sa situation géographique, la dictature militaire continue au Nigeria constitue une menace à la démocratie et à la stabilité de l'Afrique sub-saharienne. Ainsi, la Gambie, que la ministre vient juste de visiter, a connu sa première dictature militaire quand le Nigeria s'est chargé de l'entraînement de ses forces armées. De plus, si le Nigeria s'est intéressé au Liberia, c'est parce que l'ancien dictateur nigérian, le général Babangida avait voulu appuyer le régime du sergent Doe, menacé principalement par des insurgés organisés et menés par des civils. Cette insurrection inquiétait les dictateurs militaires de l'Afrique et constituait une menace pour les régimes militaires de l'Afrique centrale et occidentale.
Compte tenu de tout ce qui précède, que recommandons-nous au Canada pour accélérer l'installation de la démocratie au Nigeria? Nous vous faisons l'exhortation suivante. Nous vous recommandons d'imposer des sanctions exhaustives, y compris un embargo sur le pétrole; de créer un compte fiduciaire bloqué pour tous les revenus tirés du pétrole non assujettis à l'embargo, et que ceux-ci soient administrés par la communauté internationale pour assumer le service de la dette et d'autres dépenses selon une formule comparable à celle appliquée par l'ONU à l'Irak; troisièmement, si vous nous permettez cette suggestion, de déposer à votre Parlement un projet de loi qui serait comparable à celui qu'a proposé au Sénat américain la sénatrice Nancy Kassebaum, projet de loi qui codifierait les sanctions actuelles, en imposerait de nouvelles de façon unilatérale, prévoirait des sanctions multilatérales et préciserait des mesures à prendre.
Il est faux de prétendre que vous ne pouvez pas bouger tant qu'il n'y a pas consensus. La situation exige parfois que quelqu'un prenne les devants. Au Commonwealth, il est maintenant clair que c'est au Canada de le faire.
Nous vous exhortons à aider le Nigeria et les forces démocratiques pour permettre à notre peuple de contribuer à la démocratisation.
Par exemple, j'ai annoncé publiquement à Londres le week-end dernier que nous avons décidé de convoquer une conférence de tous les groupes nigérians à l'étranger et de certains leaders nigérians. Ce congrès des Nigérians libres établira un parlement en exil dont les assises seront larges, et dont l'une des tâches sera notamment d'élaborer une constitution pour le peuple nigérian, avec l'aide d'éminents avocats constitutionnalistes de la scène internationale.
Nous espérons que le Canada sera en mesure de nous aider dans cette tâche.
Le président: Chef Enahoro, je vous demanderais...
Le chef Enahoro: Je suis sur le point de terminer.
Le président: Je sais que les membres du comité ont hâte de vous poser des questions. Nous entendrons deux autres témoins et...
Le chef Enahoro: Je vais terminer, et je m'excuse de vous avoir retardé.
Le président: Tout au contraire: nous sommes tous suspendus à vos lèvres, car votre exposé est magistral.
Le chef Enahoro: Enfin, le Canada devrait continuer à être le porte-flambeau de l'action positive du Commonwealth et maintenir les principes de Harare en vue de restaurer la démocratie au Nigeria.
Monsieur le président, je vous remercie chaleureusement, au nom de notre organisation et de notre peuple, d'avoir appuyé notre pays - j'en remercie le Canada - et de nous avoir accordé du temps ce matin. Je m'excuse d'avoir pris autant de temps.
Le président: Ne vous méprenez pas: je voulais simplement m'assurer que les membres du comité auraient tout le temps voulu pour vous poser des questions. La période de questions vise à vous permettre d'apporter des précisions.
Je demanderais maintenant au professeur Akano de prendre brièvement la parole, après quoi nous pourrons également lui poser des questions.
Monsieur le professeur, je vous remercie chaleureusement d'avoir accepté, malgré le peu de préavis, de remplacer le professeur Ihonvbere, que nous avions réinvité à comparaître mais qui a dû malheureusement nous faire faux bond pour des raisons familiales.
Le professeur Usman Akano (département de physique, University of Western Ontario): Merci, monsieur le président. J'ai grand plaisir à comparaître ce matin et à vous présenter le mémoire qu'a préparé Julius Ihonvbere, que vous connaissez déjà puisqu'il a déjà comparu.
Le chef Anthony Enahoro a toujours été une inspiration pour bon nombre d'entre nous, la jeune génération de Nigérians, que nous soyons à l'étranger ou au pays.
À 31 ans, le chef Enahoro a proposé la motion qui devait mener à l'indépendance du Nigeria. Bon nombre d'entre nous auraient espéré à 31 ans réussir le même exploit, mais cela n'a malheureusement pas été le cas.
Malgré tout, nous nous sommes consacrés à la lutte pour nous assurer que le Nigeria ne soit pas en marge de l'histoire.
Vous avez tous reçu le mémoire de Julius et je ne vais donc pas tout le lire. Je vais tenter de vous en donner quelques faits saillants. Je vais aborder deux grandes questions: la crise dans le territoire ogoni et le rôle qu'ont joué Shell et le gouvernement du Nigeria d'une part, et ce que nous considérons comme étant la meilleure façon de dénouer la crise au Nigeria, d'autre part.
Je commencerai par dire qu'il est temps d'établir de nouvelles règles, de définir ce à quoi les aventuristes militaires doivent s'attendre lorsqu'ils saisissent le pouvoir, démantèlent les institutions démocratiques, exécutent des citoyens innocents et asphyxient les organisations communautaires populaires.
Le temps est également venu d'établir un seuil minimal de normes que des sociétés transnationales comme Shell, ou SDT comme on l'appelle au Nigeria, devront adopter dans leurs relations avec des gouvernements irresponsables. Le profit seul ne suffit plus. Il n'est pas plus important de faire des bénéfices que de gaspiller des vies. Faire des bénéfices n'est pas plus important que de sauver la vie de milliers d'innocents, hommes, femmes et enfants.
J'ai écouté ce qu'ont dit les représentants de Shell. Bon nombre d'entre vous ont lu leurs mémoires. J'ai lu moi-même nombre des publications envoyées par Shell dans les foyers canadiens, et certains problèmes évoqués y sont profonds. On y lit surtout des dénégations, les unes après les autres. On y affirme que le territoire ogoni n'est pas dévasté; qu'il n'y a pas de pollution ou très peu et que ce peu de pollution est causée par des actes de sabotage; que la compagnie n'a aucune influence sur le gouvernement du Nigeria et qu'elle ne peut donc influencer ses politiques; que, par conséquent, elle ne se livrera pas à de la politique. Tout n'est que dénégation.
Les preuves sautent aux yeux à quiconque se donne la peine de regarder. Shell est installée en territoire ogoni depuis 60 ans, comme on vous l'a dit tout à l'heure. Rien n'a été fait jusqu'au début des années 80, c'est-à-dire il y a 10 ou 15 ans, pour réagir contre la dégradation de l'environnement.
Shell prétendra que tous les problèmes écologiques du territoire ogoni sont dus à la surpopulation, à la surpêche et à l'industrialisation. Or, ces problèmes sont communs à tout le Nigeria et ne se limitent pas au territoire ogoni. Dans ce cas, pourquoi le reste du Nigeria n'est-il pas aussi dévasté que le territoire ogoni? Le seul élément présent en territoire ogoni et qu'on ne retrouve pas à l'extérieur du delta du Niger, c'est l'exploitation du pétrole. Si Shell refuse avec acharnement d'accepter ses responsabilités et d'apporter des changements positifs à l'avenir, elle doit premièrement accepter d'avoir causé bien des misères au peuple nigérian, non seulement en territoire ogoni mais dans l'ensemble de la région du delta.
Les Nigérians, qu'ils soient à l'étranger ou chez eux, savent tous que Shell n'aurait pas pu agir de la sorte au Canada, par exemple. En fait, nombreux sont les pays qui auraient refusé de lui laisser le champ libre. Voilà pourquoi nous affirmons que le désastre sur le territoire ogoni et dans le delta du Niger en général est non seulement la faute de Shell mais surtout celle du gouvernement du Nigeria. Toutefois, Shell en a profité indûment.
Laissez-moi vous lire le paragraphe suivant.
La responsabilité de la crise en territoire ogoni revient en premier lieu au gouvernement nigérian depuis l'indépendance politique. Le régime Abacha, tout particulièrement, doit être tenu responsable au premier chef de s'être montré insensible aux nouvelles demandes du peuple ogoni, d'avoir fait escalader la crise, d'avoir encouragé les activités meurtrières et insensées du colonel Dauda Komo, gouverneur de l'État des Rivières, et de Paul Akuntimo, et d'avoir par ses positions encouragé le juge Ibrahim Ndahi Auta et le tribunal spécial des troubles civils à demander la peine capitale pour satisfaire un régime et un leader assoiffés de sang.
Faute de légitimité, d'hégémonie et de politiques viables, et faute d'un sentiment de mission de la part d'un gouvernement miné par sa fixation pathologique sur les rentes pétrolières comme source de revenus, ce même gouvernement est devenu insensible aux demandes de la population du delta du Niger et aux demandes des autres minorités. Il a donc laissé la voie libre à des multinationales telles que Shell.
Shell Petroleum, ou SPDC, a en effet exploité ces contradictions et ces faiblesses au profit de ses intérêts au Nigeria, aux dépens du peuple nigérian. Comme l'État était dirigé par des éléments vautrés dans le gaspillage et dans la corruption, qu'il était appuyé par des élites politiques qui n'avaient qu'un lien ténu avec des activités productives et qu'il était en proie à des tensions, des contradictions et des coalitions négatives, la puissante multinationale pétrolière n'a eu aucun mal à manipuler l'État nigérian, et a fort bien réussi dans cette entreprise.
Vous savez tous que Shell importait des armes au Nigeria, ce qu'elle a d'ailleurs admis elle-même publiquement. Pour sa défense, elle affirme aussi avoir importé ces armes uniquement pour aider les services policiers au Nigeria qui n'étaient pas suffisamment armés. Bien entendu, cela a été dénoncé par l'ancien chef de l'État-major du Nigeria, le général à la retraite Akinrinade, d'après qui les Forces armées nigérianes et la police étaient suffisamment armées et n'avaient pas besoin de l'aide d'une multinationale.
Réfléchissez-y un instant. Pensez un instant à une multinationale installée au Canada qui importerait des armes dans votre pays et qui les distribuerait à quelques forces de sécurité afin que celles-ci puissent protéger ses biens. C'est tout à fait inimaginable au Canada. Si Shell a été en mesure de le faire au Nigeria, c'est simplement parce que le gouvernement nigérian manquait lui-même de légitimité. Il est arrivé ce que vous appelez vous-même la privatisation de l'État.
L'État nigérian est devenu aujourd'hui une multinationale comme les autres, un associé de Shell et d'autres compagnies qui ont pour unique objectif les profits.
Shell est venue témoigner et a nié sa participation pourtant évidente à la crise ogonie. Je n'en dirai pas plus car vous avez reçu le mémoire.
La publicité que fait Shell dans les journaux du Canada et du monde entier réfute sa participation à la crise ogonie et prétend que la compagnie ne veut pas intervenir puisqu'il s'agit essentiellement d'un débat politique entre les Ogonis et le gouvernement nigérian.
Shell peut-elle vraiment nous convaincre qu'en plus de 35 ans d'exploration pétrolière en territoire ogoni elle s'est comportée de façon responsable et n'est à l'origine d'aucune agitation populaire? C'est Shell qui a précipité la phase violente que connaît actuellement la crise au moment où son entrepreneur, la compagnie américaine Wilbros Limited, tentait le 28 avril 1993 d'installer un oléoduc pour rejoindre les gisements pétrolifères de Bomu. Wilbros s'est alors lancé dans une destruction massive d'exploitations agricoles, de récoltes et de terres agricoles sans en avoir reçu l'autorisation de la population ni sans indemniser les propriétaires pauvres au départ. Il en est résulté une résistance de la part de la population qui n'avait été nullement consultée, qui se sentait abusée et marginalisée. Shell a donc demandé des renforts qui lui sont venus, comme d'habitude, d'une armée qui a ouvert le feu sur des villageois sans défense le 30 avril 1993, journée connue en territoire ogoni comme le «vendredi sanglant». Comment Shell ose-t-elle prétendre qu'elle n'a rien à voir avec le problème en territoire ogoni?
Il est aussi une autre erreur que fait Shell, et j'espère qu'il s'agit bien d'une erreur et que ce n'est pas délibéré: elle considère le problème du territoire ogoni comme étant purement local. Au contraire, c'est un problème généralisé. Tout ce qui survient en territoire ogoni se reflète dans l'ensemble du delta du Niger, partout où il y a exploitation pétrolière. La différence, c'est que les Ogonis sont les plus organisés et les plus bruyants dans leurs demandes. Mais toutes les autres localités qui appartiennent à 20 différents groupes ethniques dans le delta du Niger font le même type de réclamations à Shell à cause de la dégradation de leur environnement, du refus de la compagnie de les indemniser malgré qu'elle ait utilisé et endommagé leurs terres et détruit leurs propriétés, notamment.
Même si les autres collectivités de la région du delta du Niger sont relativement tranquilles par comparaison avec les Ogonis, Shell a tort de croire qu'elle peut s'en tirer impunément. Je ne reprendrai pas tous les détails, car vous les avez dans le texte. J'irai directement à la fin du texte.
Le chef Enahoro a parlé très éloquemment des sanctions et des opposants qui, comme le sait mon ami, affirment qu'elles ne donneraient rien. En fait, bon nombre des opposants n'ont jamais trouvé de cas où les sanctions aient réussi. Même lorsque l'on parle de l'Afrique du Sud, les opposants affirment que les sanctions ont réussi pour d'autres raisons. Or, le Nigeria est le pays tout trouvé, et l'on pourrait vous convaincre que les sanctions pourraient réussir.
Laissez-moi passer en revue les arguments. Vous connaissez la théorie de Nossal. La même théorie vous a été expliquée il y a quelque temps l'année dernière, et je ne vais pas me donner la peine de vous la répéter. On affirme tout simplement que les sanctions ne donneront rien au Nigeria, et ce pour plusieurs raisons. Malheureusement, même si cet argument vaut du point de vue théorique, le postulat de Nossal enfermait encore plus dans un carcan la réalité nigériane. Nossal semblait minimiser la gravité de la crise nigériane et ses répercussions sur l'Afrique. Il exagérait à l'excès la force de l'État nigérian et minimisait le pouvoir du milieu international et la détermination du mouvement d'opposition nigériane. Le postulat de Nossal compare le Nigeria avec d'autres pays tels que la Libye - qui compte 3 millions d'habitants alors que nous en comptons plus de 100 millions, et alors qu'en Libye l'idéologie est claire alors qu'elle est absente au Nigeria; il compare le Nigeria aussi avec l'Afrique du Sud, dirigée par une minorité blanche riche, acquise à la technologie et jouissant d'un fort appui des pays occidentaux; il nous compare même à Cuba, au Vietnam et à la Corée du Nord, pays qui ont des programmes idéologiques clairs sous-tendant des projets nationaux, une identité et une capacité d'alléger l'effet de sanctions.
En outre, Nossal a tort d'affirmer que les sanctions ne nuiront qu'aux pauvres. C'est vrai en termes comparatifs, mais dans l'ensemble, les sanctions embarrassent le gouvernement et son élite. Elles limitent leurs mouvements et leur capacité de jouir des à-côtés du pouvoir, renforcent les groupes d'opposition, privent le gouvernement de ressources lui permettant de réprimer la société, et légitimisent d'autant plus les dictatures qui n'auraient autrement jamais songé à se désengager du pouvoir.
Il est vrai que si un régime est relativement populaire, a des ressources, jouit d'une politique efficace et a l'appui de certains pays puissants du monde, il peut toujours atténuer l'effet que peuvent avoir des sanctions sur lui. S'il s'agit d'un régime relativement autonome, qui ne dépend pas presque exclusivement d'une seule exportation pour obtenir des devises étrangères et qu'il ait une forte base industrielle et technologique, il se peut fort bien qu'il résiste à la portée des sanctions. Mais ce n'est pas le cas du Nigeria.
Comme vous l'avez entendu de la bouche des représentants de Shell, 80 à 90 p. 100 de tous les bénéfices étrangers proviennent du pétrole. L'économie du Nigeria se fonde sur un seul produit; par conséquent, si vous empêchez ces profits, vous retirez essentiellement toutes les devises étrangères nécessaires pour soudoyer tous les éléments de la société qui laissent la voie libre aux militaires. Aucun régime nigérian ne se fonde sur une idéologie. La seule idéologie, c'est l'argent tiré des exportations pétrolières.
J'ai écouté la ministre. On semble dire qu'il faut un consensus. Nous ne percevons pas pour l'instant que l'opposition soit en mesure de prendre le pouvoir. Nous voulons encourager les discussions avec le général Abacha. Certains des membres du comité l'ont d'ailleurs déjà suggéré à la ministre.
Quel est le résultat des discussions qui ont été tenues depuis la réunion du Commonwealth à Auckland? Le général Abacha a-t-il bougé ne serait-ce que d'un iota dans le sens que nous souhaitons? Pour ma part, je crois que les discussions qui ont été tenues ne l'ont incité à rien du tout. Votre comité doit donc faire plus que recommander simplement des réponses de deuxième ordre au régime nigérian, car cela ne donnera rien. Nous savons tous ce qu'il faut faire. Le temps est venu de cesser de parler, de réfléchir et de négocier. Une société canadienne aussi convenable que la nôtre doit s'assumer et dire: «En voilà assez.»
Il y a une semaine, l'épouse du vainqueur des élections présidentielles de 1993 a été assassinée de sang-froid. Le chef Alfred Rewane l'avait été peu avant. Autrement dit, depuis la suspension du Commonwealth, les escalades se succèdent. Le gouvernement n'a pas battu en retraite. Ce qu'il dit, essentiellement, c'est que les mesures prises par la communauté internationale n'ont eu aucun effet sur le régime jusqu'à maintenant.
J'exhorte votre comité à aller plus loin... Je vous présente mes excuses; je ne veux pas laisser entendre que la voie que vous avez choisie est facile, puisque j'apprécie toutes les recommandations que vous avez faites. Cependant, l'heure de vérité a sonné pour votre comité. Nous ne voyons pas d'autre solution susceptible de faire avancer le Nigeria et c'est dans cet esprit que vous devez formuler vos recommandations.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, professeur Akano et une fois de plus merci d'avoir remplacé le professeur Ihonvbere au pied levé. Nous vous en sommes extrêmement reconnaissants.
Professeur Nossal, le professeur Akano vous a déjà présenté et il vous a donné de la corde pour mieux vous pendre, si je puis m'exprimer de la sorte. Peut-être vous a-t-il tout à fait séduit par son argumentation et vous suffit-il d'y acquiescer, auquel cas nous pouvons passer aux questions. Vous avez cependant peut-être des observations à faire au comité au sujet des sanctions qui s'imposent. J'aimerais par la suite accueillir des questions qui pourront s'adresser à l'ensemble du groupe.
Merci de votre participation.
Le professeur Kim Nossal (Université McMaster): Merci beaucoup, monsieur le président. En votre qualité d'ancien universitaire, je me demande si vous avez déjà rencontré un universitaire qui serait disposé à céder son tour sans faire de commentaire.
Le président: Évidemment, les politiciens n'ont pas non plus la réputation d'être avares à ce chapitre. Ne vous inquiétez pas; vous êtes en bonne compagnie, ou tout au moins devant un groupe fort compréhensif.
Le professeur Nossal: Nous avons tendance à être un peu plus bavards.
Permettez-moi tout d'abord de vous dire que je vous suis très reconnaissant d'avoir l'occasion de participer à cette discussion. En vérité, je n'ai pas eu l'occasion de présenter mon mémoire la dernière fois que vous vous êtes rencontrés, en décembre. Malheureusement, une tempête de neige m'a empêché de me rendre à Ottawa. Je vous remercie de m'avoir invité à nouveau.
Il convient tout d'abord que je vous dise que je ne comparais pas devant vous aujourd'hui comme expert du Nigeria ou de la politique nigériane, mais bien comme étudiant des sanctions internationales. Par conséquent, il se peut bien que je ne saisisse pas très bien certaines des réalités concrètes du Nigeria.
Dans le mémoire que j'adressais en décembre au comité au sujet des sanctions canadiennes à l'endroit du Nigeria, je me suis efforcé d'expliquer pourquoi le gouvernement canadien devrait éviter les gestes à grands déploiements dans son souci de faire avancer la cause de la démocratie au Nigeria. J'ai plutôt soutenu qu'il était opportun d'adopter une politique moins spectaculaire, plus modeste et, selon moi, plus constructive, semblable à celle qu'a décrite ce matin Mme Stewart.
Dans mon mémoire de décembre, j'ai tout particulièrement exhorté votre comité à résister à la tentation de choisir d'imposer des sanctions économiques au Nigeria. De toute évidence - j'ai dû être très persuasif dans mon mémoire - l'attrait des sanctions économiques a dû être irrésistible puisque votre comité a décidé, bien entendu, de recommander au gouvernement canadien de convaincre divers pays d'appuyer un embargo pétrolier, ce à quoi n'a pas tardé de souscrire avec enthousiasme après sa nomination le nouveau ministre des Affaires étrangères et du Commerce international.
Je suis ici aujourd'hui pour exhorter les membres du comité à revoir leur position. Je sais que vous avez réaffirmé en avril votre décision de décembre et j'ai d'ailleurs pu constater, à la lecture des procès-verbaux de la réunion de décembre, que l'option des sanctions suscite un enthousiasme considérable parmi les membres du comité. Cependant, comme vous le savez bien, j'estimais en décembre qu'un tel enthousiasme n'était pas justifié et rien, au cours des six derniers mois, n'est venu m'inciter à changer d'avis, en dépit de l'escalade de la crise que n'ont pas manqué de souligner tous ceux qui participent à la réunion de ce matin.
C'est en étudiant l'instrument de politique que constituent les sanctions que j'en suis arrivé à une telle conclusion. Mes études m'ont convaincu que cet instrument donne généralement de piètres résultats. Je sais à quel point des sanctions peuvent paraître attrayantes pour des décideurs tels que vous. Permettez- moi toutefois de répéter quatre des arguments contenus dans mon mémoire de décembre.
En premier lieu, les sanctions se sont effectivement avérées très peu productives comme instrument d'évolution politique de divers régimes. Certains diront peut-être, comme mon collègue, que cela vaut sur le plan théorique, mais il faut bien dire que dans tous les cas où les sanctions ont donné des résultats, si on peut s'exprimer de la sorte, c'est qu'elles ont été appliquées à des régimes politiques où il existait un mécanisme bien établi de remplacement du gouvernement.
La longue histoire des sanctions économiques au XXe siècle n'est marquée que de quatre cas où elles ont clairement entraîné une évolution politique. En Israël en 1956; en Finlande en 1958-1959; en Nouvelle-Zélande où la France menaçait d'imposer des sanctions en 1985; et, bien entendu, en Afrique du Sud. Dans ces cas, me semble-t-il, on peut soutenir que les gouvernements visés ont cédé aux pressions de sanctions économiques pour éviter d'être soumis aux représailles de l'électorat.
Que dire maintenant des pays dont les régimes s'accrochent au pouvoir par la terreur, la coercition, la corruption, par cooptation? De tels régimes ne cèdent pas aux pressions pacifiques, aux pressions venant de l'intérieur. Pourtant, la théorie des sanctions, qui suscite tellement d'enthousiasme, repose sur certaines hypothèses du libéralisme démocratique selon lesquelles il est possible d'imposer des pressions économiques aux administrés pour faire fléchir les gouvernants.
Évidemment, on va me répondre que, cette fois-ci, ce n'est pas pareil; que, cette fois-ci, nous allons prévoir un ensemble de sanctions tout à fait susceptibles d'exercer les pressions voulues, que, cette fois-ci, les conditions objectives de réussite sont optimales.
Mon collègue nous dit que les conditions objectives permettant d'exercer des pressions n'ont jamais été meilleures que dans le cas du Nigeria. J'en ai entendu dire autant au sujet de l'Irak en 1990- 1991. Cette fois-ci, soutient-on, le régime est faible. Cette fois- ci, soutient-on, la communauté internationale sera de notre côté, les forces internationales convergeront.
Bref, ceux qui favorisent les sanctions vivent d'espoir. Au contraire, ceux qui, comme moi, ont étudié les sanctions ont trop souvent entendu la rengaine de l'espoir pour ne pas être déprimés de constater à quel point les partisans des sanctions ont peu appris de l'histoire.
En deuxième lieu, il est loin d'être réjouissant de constater que, tout en ayant peu d'effet sur le comportement d'un régime, les sanctions réussissent tout à fait bien à faire du tort à l'économie nationale et, nécessairement, à la vie des gens.
Ainsi, les sanctions donnent effectivement des résultats. Elles font mal. Elles entraînent des privations, des pénuries et des perturbations. Elles chambardent la vie économique. Elles favorisent le marché noir ainsi que le gangstérisme et la corruption qui en sont si souvent les corollaires. Les sanctions causent le chômage à grande échelle, le sous-emploi à long terme, et toute la kyrielle de dislocations sociales et familiales qui les accompagnent.
Certains ont fait valoir aujourd'hui que de tels effets ne sont pas à prévoir au Nigeria étant donné que la situation y est déjà très mauvaise. J'invite à cet égard les membres du comité à évaluer les effets des sanctions récentes imposées à Haïti, à la Serbie ou à l'Irak, ou encore les sanctions imposées de longue date au Vietnam, à Cuba ou à la Corée du Nord pour constater à quel point les sanctions donnent des résultats - à quel point elles contribuent à détruire la vie des gens.
Comme troisième argument, je tiens à signaler que même si les sanctions visent une collectivité nationale dans son ensemble, leurs effets varient considérablement d'un groupe à l'autre de la société.
Tout d'abord, il y a lieu de signaler que les sanctions, comme instrument de politique, ont un effet essentiellement discriminatoire selon le sexe, en ce sens qu'elles touchent davantage les femmes que les hommes. Je dois dire que mes travaux ne sont pas généralement inspirés par l'analyse féministe. Cependant, point n'est besoin d'être féministe pour constater que ce sont généralement des hommes qui font partie de gouvernements dominés par des hommes qui préconisent d'appliquer à d'autres gouvernements dominés par des hommes l'instrument de politique que sont les sanctions.
Pourtant, lorsque nous discutons de sanctions, il est généralement très peu reconnu de façon explicite que, pour la plus grande majorité des économies nationales, c'est sur les épaules des femmes et de leurs enfants que tombe, d'une façon disproportionnée, le fardeau de perturbation et de destruction qui découle des sanctions. Soit-dit en passant, aussi bien les Nations Unies que l'UNICEF le reconnaissent de plus en plus.
De la même manière, les gouvernants et les élites nanties des pays visés par les sanctions se tirent toujours mieux d'affaire que les administrés en période de privation. Pour les riches de toute société, les sanctions ne font guère plus que constituer un défi à l'ingéniosité, un appel à l'imagination qui les invitent à trouver mille et une façons de contourner les obstacles que posent les gouvernements. D'après ce que j'ai pu constater tout au moins, les sanctions n'occasionnent aux riches que de légers embêtements.
Les élites gouvernementales, pour leur part, ne s'inquiètent pas généralement non plus, puisqu'elles maîtrisent l'accès aux produits et aux ressources. Il faut bien le reconnaître: les généraux ne font pas la queue pour s'approvisionner en huile végétale. Ils n'ont jamais à s'inquiéter au sujet des soins médicaux que reçoivent leurs enfants ou au sujet du prochain repas de la famille. Les gouvernants d'un pays visé par des sanctions réussissent toujours à faire en sorte que les forces armées soient nourries, vêtues, logées et diverties en tout premier lieu, alors que les administrés sont laissés à leurs propres ressources.
Comme quatrième et dernier argument, je prétends que les sanctions ont tendance à avoir des effets extrêmement aléatoires, malgré tous les efforts qu'on déploie pour les rendre très pointues et précises dans leurs effets. À titre d'exemple, les sanctions préconisées par le gouvernement canadien vont nécessairement faire autant, sinon davantage, de mal aux Canadiens qu'au gouvernants du Nigeria. En effet, il suffit pour s'en convaincre d'étudier les effets des sanctions imposées par l'administration de la région métropolitaine de Toronto à l'endroit de Shell Canada en décembre 1995.
Et ce ne sont pas seulement des groupes ici même au Canada qui sont écorchés au passage. Les sanctions qui visent le Nigeria feront nécessairement du tort aux voisins du Nigeria, directement ou indirectement, comme l'a reconnu le ministre.
Somme toute, la politique des sanctions m'apparaît bien peu recommandable, notamment dans le cas d'un régime non démocratique. Bien au contraire. L'idée des sanctions peut sembler attrayante, surtout lorsqu'on cherche à donner l'impression qu'on fait quelque chose devant une tragédie de l'ampleur de celle que nous connaissons depuis 1993. Pourtant, à voir quels sont les effets des sanctions et surtout les effets qu'elles n'ont pas, je me demande, pour tout vous dire, pourquoi on pense tout d'abord aux sanctions lorsqu'on a à réagir à un comportement inacceptable de la part d'un État.
Cela dit, je vous invite donc à vous demander à nouveau s'il est pertinent de préconiser les sanctions comme instrument de la politique canadienne. Si vous ne le faites pas dans le cas du Nigeria - pour lequel votre décision semble déjà être prise - vous le pourrez peut-être dans certains cas qui surviendront dans l'avenir et où votre première réaction sera de faire appel aux sanctions.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, professeur Nossal.
[Français]
Monsieur Paré.
M. Paré (Louis-Hébert): Malheureusement, j'étais absent au début. J'aurais une question d'ordre assez général.
Le président: Je peux revenir à vous plus tard, si vous le voulez.
M. Paré: Non, ça va.
Au moment où on a procédé à la révision de la politique étrangère canadienne, nous avions convenu, et le gouvernement a adopté cette même position, de retenir que la notion de sécurité ne pouvait plus être limitée à ce que l'on considérait comme une chose logique au cours des années précédentes, c'est-à-dire qu'elle soit reliée à une question de défense.
On a convenu, lors de la révision de la politique étrangère - et les témoins qu'on a entendus à ce moment-là nous ont inspirés en ce sens - , que maintenant que l'on vivait dans un monde interdépendant, la notion de sécurité devait couvrir les questions environnementales, la question des droits de la personne, la question des guerres ethniques, la question des réfugiés et des déplacements de population.
À ce point de vue, il est tout à fait clair que la situation qui prévaut au Nigeria concerne la notion de sécurité. En effet, la sécurité dans le pays, dans la région et, ultimement, sur la planète entière est en cause, parce que nous sommes en présence d'un pays extrêmement important de plus de100 millions d'habitants dont la situation risque de déséquilibrer complètement la région de l'Afrique et d'avoir des impacts à la grandeur de la planète. Tôt ou tard, les gens qui ne pourront plus supporter de voir leurs droits fondamentaux bafoués dans ce pays deviendront une horde de réfugiés frappant à la porte d'une multitude de pays dans le monde. Par conséquent, la situation au Nigeria concerne les Canadiens et l'ensemble des humains de la planète.
Ma question est la suivante: Est-ce que les représentants de Shell Canada et de Shell International peuvent accepter nos idées sur la notion de sécurité et accepter aussi l'idée qu'en poursuivant leurs activités économiques et commerciales au Nigeria, ils permettent à un régime illégitime de se maintenir en place et que, de ce fait, les activités commerciales et pétrolières de Shell au Nigeria constituent une menace pour la sécurité du monde?
Je terminerai avec une toute petite question très pointue: Est-il exact que la compagnie Shell fournit des armes à la police de cette région pour protéger ses installations?
[Traduction]
M. Detheridge: Merci, monsieur Paré. Vous avez posé une question fort détaillée au sujet de la notion de sécurité, qui englobe divers aspects, notamment l'environnement, les droits de la personne, les mouvements de population. Je suis certainement d'accord pour dire qu'il importe que le Nigeria soit doté d'une politique environnementale efficace. C'est d'après moi le cas à l'heure actuelle, notamment en raison des efforts considérables de lobbying de la part du secteur pétrolier, et de Shell en particulier. Les normes qui existent aujourd'hui au Nigeria en matière d'environnement s'inspirent de celles de la Environmental Protection Agency des États-Unis.
De toute évidence, la question des droits de la personne intéresse votre comité. Elle intéresse également Shell et toutes les autres sociétés qui font des affaires au Nigeria.
Plus précisément, vous nous demandez si nous avons l'impression de permettre à un régime illégitime de se perpétuer. Comme je l'ai déjà dit dans mes premiers commentaires, même si nous nous retirions du pays, je ne crois malheureusement pas que le régime tomberait. Le pétrole continuerait à couler, et les tiroirs- caisses continueraient à se remplir, à moins que des sanctions efficaces ne soient imposées. Je ne pense donc pas que nous permettons à un régime illégitime de se perpétuer.
Pour ce qui est de la question des armes - dont le professeur a parlé - certains nous accusent en effet d'armer les militaires pour leur permettre de supprimer les groupes récalcitrants.
Comme vous le savez, le Nigeria est un endroit très violent. Il l'était il y a 15 ans et il l'est encore aujourd'hui. Dans le cadre de mes fonctions à Londres, je dois malheureusement organiser le rapatriement des membres de notre personnel qui ont été tués par balle ou blessés. Le niveau général de criminalité explique à lui seul une bonne partie des agressions et des meurtres. Nous avons relevé 600 incidents au cours des deux dernières années, et dans 10 p. 100 des cas il y avait eu utilisation d'armes à feu.
Comme je l'ai dit, la situation était pénible il y a 15 ans, et, à cette époque, nous avons acheté, sans toutefois les avoir importées, une centaine d'armes de poing destinées à la protection de notre personnel. Ces armes sont attribuées aux policiers chargés de protéger Shell et ne servent qu'à cette fin. Elles font l'objet de mesures de contrôle rigoureuses. Exception faite des tirs d'exercice, elles n'ont servi qu'une seule fois en 15 ans et n'ont jamais servi contre des collectivités.
Nous ne sommes d'ailleurs pas la seule société à agir de la sorte au Nigeria. Toutes les autres grandes sociétés pétrolières qui font des affaires au Nigeria, de même que d'autres sociétés, possèdent des armes pour protéger leur personnel. Dans la plupart des cas, il s'agit d'armes plus perfectionnées. Nous disposons de 107 armes de poing pour protéger pratiquement 5 000 personnes, et 20 p. 100 de ces armes ont 15 ans et sont inutilisables à l'heure actuelle. Je dois malheureusement dire que d'autres sociétés ont des armes semi-automatiques et des fusils à pompe et d'autres armes de ce genre en assez grande quantité pour protéger leur personnel. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui expliquent que notre personnel soit ciblé.
La situation nous préoccupe grandement. Ce n'est pas une chose que nous prenons à la légère. La sécurité de notre personnel au Nigeria nous préoccupe considérablement.
Voilà ce qu'il y a à dire au sujet des armes à feu.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Iftody.
M. Iftody: Merci, monsieur le président.
Après avoir écouté ce qui s'est dit depuis deux heures, je suis de plus en plus fâché, monsieur, d'entendre ce que vous avez à dire et à répondre. Vous dites au comité que vous avez maintenant votre propre police secrète en quelque sorte: une police rémunérée par Shell pour garder ses installations. Je trouve cela tout à fait déplorable. Il est très inquiétant en effet que Shell Canada - qui appartient à 80 p. 100 à cette société internationale - participe à tout cela.
Pour ce qui est des événements récents au Nigeria, je dois dire que ce qui a été dit ici n'est certainement pas de nature à me donner quelque garantie que ce soit que votre société agira de façon constructive pour corriger la situation ou collaborera d'une façon ou d'une autre avec le gouvernement canadien pour faire en sorte que cessent ces actions déplorables.
Par exemple, selon un rapport récent de l'ancien président de la Banque mondiale, la corruption dans les pays en voie de développement est largement attribuable à la corruption des multinationales. Et la personne qui parle de la sorte n'a pas de point de vue particulier à défendre. Il s'agit d'une personne qui, me semble-t-il, a eu l'occasion d'étudier attentivement certaines des difficultés qui se posent à nous.
Je trouve tout à fait inacceptable que vous veniez ici devant notre comité tenter de vous disculper de la sorte.
Shell Canada est également impliquée dans tout ce processus, et ni l'un ni l'autre d'entre vous ne peut venir ici en se lavant les mains et en disant qu'il n'y est pour rien, qu'il n'a aucune responsabilité par rapport à ce qui se produit là-bas, que toutes vos installations de forage pétrolier et vos infrastructures dans ce pays et dans certaines de ces localités n'encouragent ou ne favorisent en rien les activités du gouvernement du Nigeria. Je n'accepte pas du tout un tel argument.
À titre de membre du comité - je ne parlerai pas au nom de tous ceux qui sont ici - j'estime être insulté par la façon plutôt lamentable que vous avez de nous dire votre impuissance.
Je crois que vous avez violé le plus élémentaire des codes de conduite internationale - je crois que, comme entreprise internationale, vous l'avez violé - , et c'est le cas de Shell Canada également, de sorte que des Canadiens se trouvent impliqués dans cette triste saga à laquelle il nous est donné d'assister et dont le chapitre le plus récent est celui du meurtre de l'épouse d'un député élu. Je m'excuse de ne pas avoir son nom à portée de la main. Tout cela me trouble et me fâche beaucoup.
Je vous prie de me permettre de terminer avant de formuler vos commentaires.
Il y a dans ma circonscription une petite communauté huttérite qui a établi au Nigeria ce qui est essentiellement une mission chrétienne. Des membres de cette communauté m'ont appelé l'autre jour pour me dire qu'ils avaient fait parvenir au Nigeria des produits, des vitamines, des petits tracteurs horticoles, etc., d'une valeur de 150 000$ environ. Or, le tout a été saisi au port par des fonctionnaires corrompus qui ont exigé 25 000$ de plus en argent canadien avant de consentir à laisser passer les marchandises. Sinon, ils menaçaient de les déballer sur les quais et de les distribuer à leurs collègues.
Je ne me ferai pas le porte-parole de votre pays, mais je ne crois pas que les Canadiens soient disposés à accepter ce genre de pratique, ni d'une façon générale, ni de la part de gens d'affaires canadiens ayant des activités au Nigeria, ni, directement ou indirectement, de la part de Shell Canada, une société en provenance de Calgary.
En dépit des arguments très bien présentés par notre invité au sujet des sanctions, j'estime que le gouvernement canadien doit collaborer avec votre pays en vue d'un retrait systématique de certaines de vos activités au Nigeria, de manière à ce que nous fassions valoir très clairement à quel point nous considérons que la situation est grave.
Sachant, monsieur, que la sorte de police militaire que vous armez d'armes de poing ou de mitraillettes tient à l'écart les représentants des communautés locales qui s'opposent à vos activités, je trouve votre position indéfendable.
M. Detheridge: Permettez-moi d'abord de vous dire que je comprends en bonne partie la colère que vous ressentez, surtout pour ce qui est de la communauté huttérite dont vous parlez, qui a tenté d'acheminer de l'aide vers ce pays en difficulté. Personne n'apprécie la corruption qui sévit au Nigeria, et je dois dire que ceux parmi nous qui voyagent au Nigeria et qui y vivent en voient quotidiennement des exemples, tout au moins à petite échelle.
Nous adoptons une attitude très ferme à l'égard de la corruption. Nous ne la tolérons pas. Nous ne tolérons pas le versement de pots-de-vin. Chez Shell, il s'agit d'une infraction qui entraîne le renvoi immédiat.
Avant d'occuper mon présent emploi, j'étais le vérificateur interne en chef du groupe, et mon travail consistait notamment à effectuer des tournées d'enquête en matière de corruption, surtout aux paliers supérieurs. Je puis vous dire que nous ne remercions pas seulement les gens aux paliers inférieurs, mais également aux paliers supérieurs, et je parle en connaissance de cause.
Pour ce qui est maintenant des sentiments que vous inspire notre recours à ce que vous appelez une police secrète, ce n'en est pas une. Comme je l'ai dit, d'autres sociétés qui font des affaires au Nigeria agissent exactement de la sorte. C'est malheureusement ce qu'il faut faire pour protéger son personnel. Nous ne faisons rien d'autre que ce que font d'autres sociétés dans la même situation, sauf que nous armons moins bien notre personnel.
On a déclaré à la Banque mondiale, comme vous l'avez dit, qu'une partie importante de la corruption dans le monde est attribuable à la corruption des sociétés multinationales. Or, nous ne sommes pas une société multinationale corrompue. Par exemple, au Nigeria, même si nous n'y sommes pas tenus, nous veillons à faire vérifier nos livres par une société internationale de vérification pour garantir la transparence de nos activités. Nous ne versons pas de pots-de-vin au Nigeria.
Pour ce qui est maintenant des aspects plus constructifs, j'estime que ceux parmi nous qui sont intéressés par le Nigeria, tout aussi bien sur le plan commercial que sur d'autres plans, doivent être à l'affût des possibilités de collaboration. Nous n'allons pas être en mesure de collaborer sur toutes les questions à résoudre au Nigeria. Mais je crois pourtant qu'il est possible - nous en avons parlé à la ministre Stewart, et nous espérons avoir l'occasion de le faire à nouveau - pour les sociétés qui font les affaires au Nigeria et les gouvernements de collaborer dans certains domaines.
Permettez-moi de vous citer l'exemple d'une possibilité qui nous a été proposée à l'occasion d'une visite antérieure et que nous avons approfondie par la suite. Étant donné que les gouvernements un peu partout dans le monde réduisent leur aide au financement des organisations non gouvernementales, il serait peut-être raisonnable de demander à des sociétés comme Shell et à d'autres sociétés du même genre de canaliser une partie des fonds qu'elles consacrent à des projets communautaires vers des organisations non gouvernementales qui exercent des activités au Nigeria et dans d'autres régions en difficulté. Nous nous intéressons activement à cette possibilité. À mon humble avis, la démocratie ne s'épanouira au Nigeria que dans la mesure où l'activité des organisations non gouvernementales y sera vigoureuse. Voilà donc un seul exemple de collaboration possible. Il doit y en avoir d'autres.
Je suis bien d'accord avec vous, monsieur, pour dire que nous tous qui avons des intérêts au Nigeria n'avons aucunement besoin de nous lancer des accusations; il nous faut plutôt travailler ensemble.
Le président: Monsieur Martin.
M. Martin (Esquimalt - Juan de Fuca): J'aimerais remercier tous ceux qui sont venus comparaître devant le comité aujourd'hui. Je sais fort bien que certains d'entre vous sont venus de très loin.
Je tiens à informer le comité que MM. Blakely, Achebe et Detheridge sont venus rencontrer bon nombre d'entre nous de leur propre chef il y a quelques mois. Ils sont venus à nos bureaux nous donner leur version des faits.
Je suis d'accord avec le professeur Akano pour dire que le temps est venu, non plus de parler, mais d'agir. Aucune mesure punitive de faible envergure n'est susceptible d'infléchir les dirigeants. Pour que les choses changent au Nigeria, il va falloir prendre des mesures plus efficaces. Si une guerre civile éclate au Nigeria, le coût pour nous tous - aussi bien la communauté internationale que le secteur privé - sera énorme à payer. Nous avons tous intérêt à veiller à ce que les difficultés actuelles trouvent une issue pacifique.
J'estime pour ma part que l'une des façons les plus efficaces d'obtenir des changements consisterait à viser le plus directement possible les principaux intéressés. Contrairement à ce que dit le professeur Nossal, je crois que des interventions ciblées sont possibles, notamment celles qui toucheraient le régime et ses conseillers. Plus le général Abacha s'isole, plus il devient difficile de lui faire entendre raison. C'est peut-être en les frappant dans leurs intérêts financiers qu'on peut le mieux faire comprendre aux dirigeants et à leurs conseillers que leur comportement est tout à fait inacceptable. Voilà pourquoi j'espère que le Canada prendra des initiatives en vue de faire geler les avoirs personnels du général Abacha et de ceux qui participent à son régime.
Il y a peut-être là également une occasion pour Shell. Le gouvernement reçoit 11,50$ le baril en bénéfices. Vous avez une occasion rêvée que la plupart d'entre nous n'ont pas d'entreprendre des initiatives diplomatiques ou d'agir comme intermédiaire entre la communauté internationale et le général Abacha et ses conseillers, dans la mesure où la chose est possible.
Voici donc ma première question. La société Shell a-t-elle lancé des initiatives diplomatiques, ou s'efforce-t-elle d'agir comme intermédiaire entre la communauté internationale et le général Abacha et ses conseillers?
Ma deuxième question a trait à un aspect que nous avons déjà abordé lors de votre dernière visite. Je veux parler du torchage du gaz et de ses effets environnementaux. La quantité de gaz torché au Nigeria, estime-t-on, représente plus de la moitié de l'ensemble des apports au phénomène du réchauffement planétaire. Pouvez-vous, s'il vous plaît, nous faire le point sur la situation en la matière? Également, j'aimerais savoir si vous menez des études sur les répercussions environnementales de vos activités dans l'Ogoniland?
M. Detheridge: Merci, monsieur Martin. Pour ce qui est de savoir si Shell se lance dans des initiatives diplomatiques, je vous répondrai tout d'abord que nous ne sommes ni un gouvernement ni un organisme quasi gouvernemental. Cependant, c'est un fait bien connu que, dans la mesure du possible, nous faisons connaître nos points de vue. Sachez bien que, après avoir participé à des rencontres de comité comme celle-ci, après avoir pu être informés très directement des inquiétudes tout à fait légitimes qui sont soulevées... nous profitons de toutes les occasions possibles pour en informer tous les paliers du gouvernement.
Pour ce qui est maintenant du torchage du gaz, le Nigeria torche en effet deux millions de pieds cubes de gaz par jour. La moitié de cette quantité est imputable aux activités de notre société en coparticipation. Je dois dire que l'apport au réchauffement planétaire est quelque peu surestimé, mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'un problème environnemental de grande envergure. C'est un problème d'envergure mondiale à cause du réchauffement planétaire, comme vous le dites. C'est un problème qui prend des dimensions encore plus cauchemardesques pour les personnes qui vivent près des dispositifs de torchage - nous en avons une centaine éparpillés sur plus de30 000 kilomètres carrés du delta. Je n'aimerais pas habiter à proximité, pas plus, me semble-t-il, que les membres de votre comité.
Que faisons-nous à ce sujet? Malheureusement, dans le delta le pétrole est mélangé à du gaz. Il n'y a pas grand-chose qu'on puisse y faire, sinon de laisser dormir le pétrole, ce qui n'est pas nécessairement la solution la plus économique.
Dans d'autres pays, le gaz peut être réinjecté. La chose n'est pas possible dans la plupart des réservoirs du Nigeria, pour des raisons d'ordre technique. Dans d'autres pays, les marchés locaux ont été développés, comme c'est le cas aussi bien au Canada qu'aux États-Unis. Aucun marché de ce genre n'existe au Nigeria.
Voilà pourquoi nous avons préconisé un projet de liquéfaction du gaz naturel. Il sera d'ailleurs réalisé. Il ne s'agit pas d'une entreprise rentable, je m'empresse de l'ajouter. Les participants ne recevront des dividendes qu'en l'an 2007. Nous obtiendrions un meilleur rendement en investissant dans une société locale de construction ou dans une banque, mais le projet aura l'avantage de réduire le torchage, une fois qu'il aura été réalisé.
Au départ, le torchage sera réduit de 20 p. 100, puis de 40 p. 100 à 45 p. 100. Nous étudions d'autres possibilités d'expansion de l'usine de liquéfaction et d'autres utilisations du gaz à des fins de commercialisation à l'étranger. Nous avons l'intention de mettre fin au torchage du gaz au Nigeria dès 2008 ou 2009.
Le président: Madame Beaumier.
Mme Beaumier (Brampton): Merci.
Je me demande pourquoi Shell ne poursuit pas certains journaux. Vous dites qu'il est important de savoir faire la différence entre les perceptions et la vérité. Or, le Sunday Times et le Guardian Weekly prétendent avoir en main des documents à l'appui de certaines des accusations que vous réfutez. Il y aurait de quoi intenter une poursuite, d'après moi.
La réalité que vous décrivez est bien différente de ce que nous avons lu et de ce que nous avons entendu de la part de défenseurs des droits de la personne qui ont été réduits au silence à tout jamais.
J'aimerais parler de certains liens censément avérés entre Shell et le régime Abacha. L'un des cas concerne le regretté Ken Saro-Wiwa. Il a rencontré Brian Anderson. On lui aurait proposé une entente selon laquelle Shell interviendrait pour lui sauver la vie s'il acceptait de renoncer à s'attaquer à Shell dans la région ogonie. Shell a nié tout cela, mais je me pose des questions. Étant donné qu'une rencontre a effectivement eu lieu, je ne crois pas que Brian Anderson y ait participé pour donner les derniers sacrements.
Un article publié l'an dernier dans le Sunday Times révélait le contenu de certains documents. Selon l'un d'eux, des représentants de Shell auraient versé des sommes d'argent au lieutenant-colonel Paul Okuntimo, celui qui a écrasé le soulèvement des habitants de l'Ogoniland qui s'opposaient à la présence de Shell. Le meurtre, le viol et la torture étaient au nombre de ses méthodes; des méthodes que l'on doit qualifier, je suppose, de «regrettables». Il en ressort que Shell a fourni des véhicules dans le cadre d'opérations militaires et a récompensé Okuntimo directement. Voilà ce qui ressort de la documentation dont disposent ces journaux.
Voici un autre cas où Jay Udofia, directeur général de la région de l'Est pour Shell à l'époque demande au gouverneur de l'État de lui accorder «l'aide habituelle». Doit-on se demander si cela inclut le viol, le meurtre et la torture?
Shell a reconnu avoir importé des armes au Nigeria pour armer les forces policières en vue de protéger ses installations pétrolières, ce qui n'est pas du tout la même chose que de parler d'une centaine d'armes de poing. Shell a reconnu également que les armes restent entre les mains de la police une fois qu'elles ont été importées. J'aimerais savoir d'où proviennent ces armes, de quels pays vous les faites venir.
Nous avons des pages et des pages de documentation. S'il s'agit de mensonges et de renseignements qui créent une fausse perception, alors pourquoi Shell ne poursuit-elle pas les journalistes et les journaux concernés?
M. Detheridge: Je répondrai à une partie de votre question, et mes collègues pourront peut-être aborder les autres volets.
Nous n'avons pas pour politique de poursuivre les journaux. Ce n'est tout simplement pas utile. Comme l'a dit mon collègue, nous incitons plutôt les journaux, et même les ONG et tous les intéressés, à venir au Nigeria pour constater la situation et parler aux gens.
Pour ce qui est des armes, j'en ai déjà parlé. Nous avons acheté des armes à une seule occasion, il y a de cela quinze ans. Je crois que les armes en question provenaient de l'Italie. Il y avait à l'époque un régime civil au Nigeria. Depuis cette date, il n'y a eu ni importations, ni achats, ni financement d'armes, de quelque manière que ce soit.
Permettez-moi de demander à mon collègue d'aborder vos autres questions.
M. Achebe: Je vais traiter d'un ou deux autres aspects abordés par le membre du comité.
C'est avec le Dr Owens-Wiwa, le jeune frère de Ken Saro-Wiwa, que Brian Anderson a eu un entretien. Ken était incarcéré à l'époque.
J'ai eu le privilège d'agir à titre d'observateur lors de l'un de ces entretiens et j'ai alors eu l'occasion de lire une lettre que Ken avait adressée à son frère. C'est ce dernier qui nous l'a montrée. Elle était écrite de sa main - c'est du moins ce qu'a déclaré son frère. Ken y décrivait les possibilités qui étaient ouvertes à Shell: si Shell ne s'efforçait pas de persuader le gouvernement nigérian de le remettre en liberté et de prendre certaines autres mesures qu'exigeaient les Ogonis, le monder entier allait s'élever contre Shell, et notre société ne pourrait plus faire des affaires au Nigeria. C'est donc M. Saro-Wiwa lui-même qui faisait du marchandage, dans la mesure où l'on peut parler de marchandage. Vous pourrez en trouver la preuve sur l'Internet. C'est le Dr Owens-Wiwa lui-même qui a communiqué au réseau sa propre version de l'entretien entre lui-même et M. Brian Anderson.
L'article du Sunday Times dont il a été question traitait des entrevues avec M. Brian Anderson, notre directeur général. Dans notre réponse écrite au Sunday Times, nous avons nié toutes les allégations, qu'il s'agisse de corruption ou d'autres faits qui nous étaient reprochés. Le Sunday Times n'a pas publié la lettre dans laquelle nous réfutions ces allégations.
Nous avons également déclaré que nous disposions d'un enregistrement de l'entrevue et que nous étions prêts à le fournir au Sunday Times. Évidemment, lorsque l'on se présente devant un tribunal, l'affaire risque de durer 10 ou 15 ans, ou même davantage. Voilà qui n'aide en rien à résoudre la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nous sommes devant une situation tout à fait fondamentale et grave. Nous voulons tout autant que quiconque trouver une solution.
Dans sa lettre, M. Udofia, notre gérant de division à Port Harcourt, demandait l'aide habituelle. Notre façon habituelle d'agir lorsque nos activités sont interrompues par l'action d'une collectivité consiste à entreprendre un dialogue pour aller au fond des choses. La plupart des questions sont résolues au niveau local.
Dans le cas contraire, notre premier recours consiste à solliciter la participation du gouverneur de l'État ou de l'administrateur de l'État au processus de dialogue. Habituellement, l'administrateur de l'État nomme un membre de son cabinet qui provient de la région où le problème se pose, de manière à favoriser le dialogue et à résoudre l'impasse. Voilà ce qu'on aurait voulu entendre par «aide habituelle».
Le fait d'importer des armes au Nigeria prend un sens tout particulier. C'est peut-être l'indice d'une intention subversive. Comme l'a déclaré mon collègue, les armes acquises il y a 15 ans l'ont été localement; elles n'ont pas été importées. Shell n'a jamais importé d'armes, de quelque provenance que ce soit.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Monsieur Achebe, je ne voudrais pas prolonger indûment votre témoignage sur cette question, mais, puisqu'il existe une telle divergence entre ce que vous nous dites et les faits dont Mme Beaumier a pris connaissance à la suite de ses propres recherches, je me demande si vous auriez la bonté de nous fournir les preuves dont vous parlez et de les déposer devant le comité, de manière à ce que ses membres puissent en prendre connaissance et vérifier les faits dont vous nous avez parlé. Voilà qui nous serait très utile.
Nous ne sommes pas en procès...
M. Achebe: Je le comprends bien.
Le président: ... et vous n'êtes pas au banc des accusés. Ce n'est pas du tout ce que je veux laisser entendre. Par contre, nous n'avons que peu de temps, et ce sont là des questions très graves. Sans vouloir parler de problème de crédibilité, je crois que vous rendriez un très grand service au comité en nous fournissant d'autres éléments de preuve.
M. Achebe: Nous serons très heureux de le faire, monsieur.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur English.
M. English (Kitchener): Je remercie tous les témoins de leur présence ici aujourd'hui.
Pour continuer dans la même veine que Mme Beaumier, j'ai moi aussi examiné la documentation et vu quelques manchettes des journaux. «Shell reconnaît avoir importé des armes à feu pour la police nigériane»; ça c'était dans l'Observer. Nous avons entendu parler d'articles parus dans le Sunday Times, le Guardian - tous des grands journaux de réputation mondiale. Dans l'Ottawa Citizen: «Shell Canada est critiquée pour ses liens avec le régime nigérian». Voilà le titre utilisé pour décrire les manifestations qui ont eu lieu à l'assemblée annuelle de Shell Canada à Calgary. Vos propres actionnaires ont soulevé cette question.
Christopher Young, l'éminent journaliste, a écrit dans un journal de Calgary que le président Wilson de Shell Canada avait qualifié la situation de malheureuse, comme s'il souhaitait attirer la sympathie de la salle pour son entreprise. On pleurera peut- être, mais pas pour Royal Dutch Shell.
Vous nous avez donné des documents. Nous avons ici quelques documents de Shell Canada. À la deuxième page, vous dites avoir investi dans la communauté. Vous parlez d'un don de 2,5 millions de dollars à des organisations à but non lucratif. Vous avez versé de l'argent à un fonds de services communautaires. Vous avez donné des ordinateurs à des écoles primaires. Vous avez créé un fonds de l'environnement de quatre millions de dollars. Vous avez adopté une politique de développement durable.
Nous avons également quelques documents où sont décrits les communautés et l'environnement au Nigeria.
M. Blakely est dans les affaires publiques.
Vous êtes venus ici de Londres, et nous vous en remercions.
Ce que je n'arrive pas à comprendre dans votre témoignage de ce matin, c'est que vous avez commencé en disant que vous touchez 1$ le baril de pétrole. Le gouvernement nigérian touche 11,50$. Si le prix du pétrole augmente, comme ce fut le cas récemment, vous ne touchez toujours que 1$. Votre entreprise n'est peut-être pas corrompue, mais vous traitez avec un régime très corrompu, qui, d'après Transparence internationale, serait la machine politique la plus corrompue du monde. D'une certaine façon, donc, vous travaillez avec un gouvernement très corrompu, sans compter le reste.
En ce qui concerne la situation de Shell Canada et de Royal Dutch Shell International, vous êtes très fiers de votre symbole très connu. Très connu. Il figure sur nos stations-services. J'ai l'impression que plusieurs personnes passent tout droit aux stations services Shell et vont plutôt chez Petro-Canada ou Gulf à cause de la situation.
Je n'arrive pas à comprendre pourquoi vous restez au Nigeria. Pourquoi continuez-vous à travailler là-bas? Vous avez déclaré qu'il serait sans doute plus rentable d'investir votre argent dans des entreprises de construction locales, ce qui est probablement vrai, si les chiffres donnés sont justes. Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi vous restez là-bas, malgré le coût énorme pour votre entreprise, qui doit dépenser des centaines de millions de dollars pour tenter de maintenir la réputation d'un symbole qui est si bien connu à travers le monde.
M. Detheridge: En fait, monsieur, vous avez raison de dire que nous aimerions que les manchettes soient tout autre.
On a monté une campagne contre nous, et nous faisons de notre mieux pour y répondre.
Pourquoi restons-nous au Nigeria? L'un des éléments essentiels consiste d'abord à nous demander si nous pouvons demeurer au Nigeria et maintenir nos principes commerciaux. Voilà le premier critère. Devons-nous verser des pots-de-vin? Si nous y sommes obligés, alors nous allons quitter le pays. Jusqu'à présent, nous avons pu rester au Nigeria et remplir ce critère.
Compte tenu de ce que vous avez qualifié de difficultés que nous avons vécues...
En fait, je dois dire, avant que quiconque nous accuse de tenter d'amoindrir l'impact de l'industrie du pétrole sur le delta du Niger ou de minimiser les autres conséquences de notre séjour au Nigeria, que ce n'est pas ce que nous faisons. Nous ne dépenserions pas des sommes énormes, pendant des années, s'il n'y avait rien à faire. Il est clair qu'il y a beaucoup à faire au Nigeria.
Pourquoi restons-nous? Parce que nous pensons pouvoir faire mieux peut-être que d'autres entreprises.
Pourquoi toutes les autres entreprises restent-elles au Nigeria? Pourquoi Elf, Agip, Mobil, Texaco et Chevron restent- elles? Pour nous, si nous restons, c'est essentiellement parce que Shell SPDC est une entreprise nigériane. La très grande majorité de nos actions appartiennent à des Nigérians. Nous préférons rester au Nigeria pour y travailler à construire un monde meilleur, espérons- nous, plutôt que de nous sauver. Je ne serais pas très heureux de me sauver, et je ne pense pas que nos employés au Nigeria en seraient très heureux non plus.
M. English: Mais vous avez déclaré que si vous partiez, l'entreprise continuerait.
M. Detheridge: Oui.
M. English: Vous avez dit que le gouvernement nigérian touche 11,50$ et que ce gouvernement est corrompu. En lui versant 11,50$, est-ce que, d'une certaine façon, vous ne contribuez pas à la corruption de ce gouvernement?
M. Detheridge: Je ne pense pas avoir dit que le gouvernement du Nigeria est corrompu, mais d'autres l'ont dit, et je ne pense pas que l'un de nous ici le conteste. Toutefois, nous versons nos redevances et nos impôts comme nous le ferions au Canada, au Royaume-Uni, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde, mais il y a d'autres compagnies de pétrole au Nigeria qui produisent plus que nous, ensemble, et qui font la même chose.
Est-ce que cela regarde les compagnies ou la communauté mondiale ou la population du Nigeria? Je pense qu'il revient à la population du Nigeria de décider ce qu'elle veut faire des redevances et des taxes que versent l'industrie pétrolière et d'autres.
M. English: Mais comment la population du Nigeria peut-elle décider, vu la situation...
Le président: Excusez-moi.
M. English: Très bien.
Le président: Madame Debien.
[Français]
Mme Debien: Je voudrais d'abord m'adresser à M. Enahoro. Au cours de nos entretiens, on a souvent parlé de l'assassinat de Mme Kudirat Abiola. Je voudrais, en mon nom personnel, offrir à tous les groupes et mouvements démocratiques du Nigeria mes profonds regrets, comme l'a d'ailleurs fait récemment notre ministre des Affaires étrangères.
D'autre part, je voudrais vous poser une question concernant votre opinion par rapport à des sanctions sévères comprenant un embargo, mais je pense que vous-même et M. Akano y avez assez bien répondu.
J'aimerais vous poser une question qui est davantage une question d'information. Dans les journaux, récemment et il y a quelques mois, on nous faisait part - je n'ose pas parler de guerres - d'échauffourées assez sérieuses entre différentes communautés ou ethnies du Nigeria. Est-ce que vous pourriez faire le point sur cette question?
[Traduction]
Le chef Enahoro: Comme je l'ai dit précédemment, nous organisons une conférence qui regroupera tous les représentants de tous les groupes ethniques. La plupart des communautés nigérianes à l'extérieur du Nigeria ont des associations ethniques ici, aux États-Unis et un peu partout. Comme leurs représentants ne sont pas libres de se rendre à une telle réunion au Nigeria, nous organisons une conférence mondiale des Nigérians libres - c'est ainsi que nous l'appelons - des groupes ethniques et des associations nationales.
Nous avons notamment demandé au général Abacha de tenir cette conférence, ce qu'il a refusé. Nous avons donc décidé de nous réunir à l'extérieur du Nigeria pour mettre en place des fondations solides en prévision des décisions que nous aurons à prendre sur notre avenir à tous.
Depuis 1963, date à laquelle les forces militaires ont déchiré la dernière constitution librement négociée au Nigeria, nous avons eu trois constitutions - en fait quatre, si l'on tient compte de la toute nouvelle - toutes rédigées par les forces militaires sur leur mont Olympe, toutes ignorant les sentiments de ces groupes et de ces associations ethniques. À notre avis, le Nigeria ne connaîtra jamais la stabilité tant que nous n'aurons pas surmonté cet obstacle.
Je n'ai pas à vous rappeler votre propre expérience ici. On ne peut pas écarter les désirs et les aspirations de ces groupes ethniques. Tant que nous ne nous serons pas réunis pour décider si nous voulons en fait vivre ensemble - et j'espère que ce sera le cas - pour ensuite décider sur quelle base, nous ne résoudrons pas les problèmes politiques qui provoquent, du moins en partie, les problèmes de Shell. Il y a des considérations politiques, et tant que nous n'aurons pas trouvé de solution à celles-ci, peu importe ce que feront les gouvernements. Pendant de nombreuses années encore, nous connaîtrons l'instabilité et les mêmes problèmes.
Je ne sais pas si cela répond à votre question. Pour tenter de vous expliquer l'histoire, il faudrait un certain temps.
Le président: Merci, chef. C'était très utile.
Monsieur LeBlanc.
M. LeBlanc (Cap-Breton Highlands - Canso): Merci, monsieur le président.
J'aimerais profiter de l'occasion pour obtenir des renseignements que les représentants de Shell n'ont pas mentionnés au cours de leur témoignage, notamment au sujet de la question du pétrole et d'un embargo pétrolier. C'est, me semble-t-il, l'aspect délicat d'une campagne de pression accrue sur le régime au Nigeria.
Nous semblons tous penser autour de la table que des sanctions resserrées... Tout d'abord, nous condamnons tous le régime. Nous déplorons tous les atrocités qui sont commises, la violation des droits de la personne et la violation des libertés démocratiques au Nigeria. La communauté internationale, à l'initiative du Canada dans une certaine mesure, veut faire quelque chose.
Nous tenons à faire quelque chose. Nous avons envisagé diverses sanctions. Nous avons appliqué certaines sanctions à l'échelle internationale et nous en envisageons d'autres. Un embargo sur le pétrole semble compter parmi les sanctions les plus attrayantes, et j'imagine que nous l'appliquerions à l'échelle internationale si nous pensions qu'il pourrait avoir quelque effet.
Mais il y en a ici, comme les témoins de Shell et M. Nossal, qui font valoir que de telles sanctions n'auraient aucun effet. J'aimerais poser une question factuelle qui m'aiderait à déterminer si un embargo pétrolier est efficace. Ma question a trait au pétrole produit au Nigeria par Shell, par la société pétrolière nationale du Nigeria, qui est une source de recettes pour le gouvernement du Nigeria. Les représentants de Shell peuvent-ils expliquer brièvement au comité en quoi consistent la distribution et la commercialisation des produits pétroliers du Nigeria et nous dire ce qui adviendrait s'il y avait un embargo?
Ma deuxième question fait suite dans un sens à celle de M. English, et elle s'adresse à nos témoins du Nigeria. Partant de la réponse à la première question, que devrait recommander le comité au gouvernement concernant l'application d'un embargo pétrolier aujourd'hui? Et dites-nous votre point de vue comme citoyens nigérians?
M. Detheridge: Je peux peut-être commencer, monsieur le président, après quoi je céderai la parole à mes collègues.
Nous ne sommes pas venus ici pour militer contre les sanctions. Ce n'est pas notre rôle, et nous n'avons pas cherché à faire cela ici, et Shell n'a rien dit de tel devant d'autres comités ou lors d'autres audiences, que ce soit en public ou en privé.
Pour ce qui est de la distribution du pétrole, à peu près 45 p. 100, je crois, est exporté aux États-Unis; près de 2 p. 100, comme vous l'a appris le mémoire d'Irving Oil, va au Canada; à peu près 40 p. 100 du pétrole nigérian se retrouve en Europe; et le reste va à divers pays.
Qu'adviendrait-il s'il y avait un embargo? C'est une question quelque peu hypothétique, mais la première question qu'il faut poser ici, c'est comment imposer cet embargo? Il faudrait une coopération considérable pour l'appliquer; il faudrait presque imposer un blocus naval. Qu'adviendrait-il s'il y avait un embargo? Cela est vraiment matière à conjectures.
M. LeBlanc: Puis-je reformuler cette question?
M. Detheridge: Absolument.
M. LeBlanc: Ce que je veux savoir, c'est si le pétrole nigérian perd ses débouchés, quelles sont les autres possibilités pour le Nigeria? S'agit-il d'un type de pétrole particulier qui est nécessaire ou d'un pétrole qu'on peut trouver partout? C'est le genre de question que je dois poser. Si nous cessons d'en acheter, où le Nigeria le vendra-t-il?
M. Detheridge: Pardonnez-moi d'avoir mal compris votre question.
Oui, le pétrole nigérian présente des propriétés particulières. Il est très utile. C'est un brut très léger, très recherché par les raffineries plus anciennes, qui n'ont pas les capacités de traitement qu'ont les raffineries plus modernes. On peut trouver ailleurs d'autres bruts légers. Le brut de la mer du Nord, par exemple, est l'un d'entre eux, et il pourrait servir à remplacer le pétrole nigérian.
Le problème est celui-ci: disons que le Canada et les États- Unis décrètent l'embargo sur le brut nigérian; ce qui pourrait se passer alors, c'est que le brut de la mer du Nord s'écoulerait vers le Canada et les États-Unis, et l'Europe importerait davantage de brut nigérian. C'est pourquoi je dis qu'il faut une certaine coopération ici.
Si vous arrivez à fermer complètement le robinet, à retirer du marché deux millions de barils de brut léger, il y aura certainement un effet, du moins sur les prix à court terme, j'imagine. Mais au-delà de cela, tout est matière à conjectures.
M. LeBlanc: Si l'Europe cesse d'en acheter, le Nigeria va-t-il vendre son pétrole ailleurs?
M. Detheridge: C'est une question qu'il faudra poser au Nigeria. Le pétrole est un produit très fongible. Si le prix est bon, il se vend, et c'est pourquoi je dis que si vous voulez imposer un embargo qui soit efficace, il vous faudra prendre des mesures draconiennes.
Le président: Chef Enahoro.
Le chef Enahoro: Monsieur le président, je ne crois pas qu'on ait bien retenu notre proposition visant à ouvrir un compte de garantie bloqué. On sait que les briseurs de sanctions vont redoubler de zèle; on dira que le Nigeria a des besoins humanitaires à satisfaire. C'est pourquoi nous proposons l'imposition d'un embargo pétrolier accompagné d'un compte de garantie bloqué qui serait contrôlé par les autorités internationales, compte calqué sur le modèle irakien, qui autorise l'achat de médicaments et d'autres produits.
Mais on ne peut imposer des sanctions et s'attendre à ce que cela marche tout seul. Il faut intervenir directement pour en assurer le suivi; autrement, on se bute aux difficultés dont parlait notre collègue.
Me permettez-vous de dire quelques mots au sujet de l'exposé de mon collègue?
Le président: Chef Enahoro, nous nous trouvons dans une situation difficile. Il est maintenant midi, et notre séance se termine. J'allais demander à nos témoins s'ils sont disposés à rester quelques minutes de plus pour que nous puissions conclure, mais plusieurs députés m'ont dit qu'ils voulaient poser des questions eux aussi. M. Mills a attendu patiemment pour poser la sienne, tout comme M. Dupuy. J'aimerais que chacun pose une brève question, et les témoins pourraient y répondre en faisant une dernière observation. Est-ce que cela vous va?
Monsieur Mills, avez-vous une petite question?
M. Mills: Je tâcherai d'être aussi bref que possible.
Pardonnez-moi de m'être absenté; je devais répondre à ce qu'avait dit le ministre plus tôt au sujet de la sécurité. L'une des observations importantes que j'ai entendues depuis mon retour se résume à ceci: si c'est la démocratie que nous voulons, il faut coopérer. Il faut que tout le monde coopère, non seulement les gouvernements, mais aussi les sociétés et les ONG du secteur. Je crois que c'est ce qu'il y a de plus important. Chose certaine, on n'encourage pas la coopération en traitant les sociétés de «pirates internationaux» ou en disant qu'on a besoin d'une police militaire.
J'ai voyagé dans des régions où la sécurité pose un vrai problème, et je comprends parfaitement pourquoi vous voulez protéger votre personnel, et, bien sûr, c'est nécessaire. Je songe au voyage que nous venons de faire à Haïti, où nous étions entourés de gardes armés. Le responsable de notre sécurité n'a dit qu'une chose: «Assurez-vous qu'on ne leur tire pas dessus, parce que chaque élection complémentaire coûte 600 000$, alors que nos soldats ne coûtent pas aussi cher.»
Des voix: Ah, ah!
Le président: Espérons que nos électeurs ne partagent pas votre point de vue, monsieur Mills.
M. Mills: Mais c'est le genre de problème de sécurité que vous avez, et vous pouvez comprendre, lorsqu'on commence à attaquer les sociétés... Souvenez-vous que les actionnaires de ces entreprises sont des retraités, des Canadiens, et bon nombre d'entre eux sont des baby-boomers qui vivent dans notre système.
Chose certaine, bien sûr, nous avons tous en horreur la corruption, les violations des droits de la personne dont nous avons été témoins. Mais je crois pour ma part que c'est la coopération qui va marcher. Ayant écouté le chef, j'ai vu que nous avions là un homme raisonnable qui est disposé à examiner le problème sous tous ses angles et à rechercher ainsi une solution.
Enfin, je pense que le Canada est en mesure de donner un exemple que les Nations Unies ne peuvent donner. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Croyez-vous que le Canada peut donner davantage l'exemple afin de promouvoir cette coopération?
Le président: Chef Enahoro, je vais céder la parole à M. Dupuy, après quoi vous pourrez répondre à toutes les questions en même temps.
Monsieur Dupuy.
[Français]
M. Dupuy (Laval-Ouest): Ma remarque et ma question s'adressent aux représentants de Shell.
Hélas, de temps à autre, dans la vie internationale, il y a des gouvernements qui apparaissent et qui pratiquent le banditisme sur une large échelle à l'égard de leurs populations. Je crois que vous pouvez vous rendre compte du sentiment de toutes les personnes autour de cette table, qui est que le gouvernement du Nigeria pratique ce banditisme.
Vous êtes associés à ce gouvernement et vous en subissez les conséquences. Le dommage que cette association porte à votre réputation internationale est très lourd. Ce matin, vous avez entendu des remarques qui vont de la condamnation, non seulement du gouvernement mais de Shell, à des remarques critiques quand on veut être sympathique à l'égard de votre entreprise.
Je m'étonne que votre réaction soit si faible, étant donné que l'enjeu est votre réputation internationale, et que vous vous contentiez de dire que vous êtes impuissants, que vous êtes marginaux, que vous faites des affaires et c'est tout. Je pense que vous n'arriverez jamais à rétablir votre réputation internationale avec ce genre d'arguments.
Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux dire franchement: S'il y a un embargo qui est mis en vigueur, nous coopérerons et nous cesserons d'exporter du pétrole à partir du Nigeria? Ce serait une position très claire.
Je termine en disant que je ne suis pas d'accord avec le professeur Nossal. On ne peut pas condamner d'une façon ad hominem, et certaines mesures de contraintes économiques internationales marchent alors que d'autres ne marchent pas. Ce n'est jamais le seul instrument qu'on utilise. On l'utilise de concert avec des instruments politiques. Je crois que les sanctions économiques font partie de l'arsenal utilisé par les gouvernements, y compris les Nations unies.
Le président: Merci, monsieur Dupuy.
[Traduction]
Si vous voulez, vous pouvez tous faire une brève déclaration en guise de conclusion, tout en répondant aux questions qui ont été posées par M. Mills et M. Dupuy. Je vais commencer par Shell et le chef Enahoro, après quoi le professeur Akano ou M. Nossal pourront conclure.
M. Blakely: On a fait mention de Shell Canada à quelques reprises dans les questions qui ont été posées. Je tiens à dire aux membres du comité que Shell Canada prend ce problème très au sérieux depuis qu'il est apparu. J'ai moi-même consacré une bonne part de mon temps libre à étudier cette situation. J'ai dit que j'avais reçu nos visiteurs dans notre pays une fois déjà. C'est le genre de choses que nous continuerons de faire afin d'encourager ce dialogue avec le gouvernement canadien, ce qui sera à notre avis un bon élément de coopération. Je félicite la ministre Stewart, qui a accepté d'engager ce dialogue avec nous, et nous allons maintenir ce dialogue.
En ma qualité de représentant de Shell Canada, je pense exprimer une voix canadienne dans ses discussions sur ces problèmes, sur les solutions qu'il faut proposer. J'en suis venu à la conviction que la solution au problème nigérian n'est pas une solution où Shell se retirera, mais une solution où la société reste et continuera de travailler à l'intérieur d'un cadre de coopération qui encouragera le changement, et qui nous permettra d'avancer. J'entends demander des comptes à mes collègues quant aux mesures que nous prendrons à l'avenir.
M. Achebe: Je vais intervenir ici, monsieur le président. M. Mills a parlé de coopération. Je crois que dans toutes les déclarations qui ont été faites, dans notre mémoire, et particulièrement dans ma propre intervention, nous avons tous dit que nous nous efforçons de parler à bon nombre de ceux que nous considérons être des parties prenantes au Nigeria, dont nous sommes nous-mêmes, les collectivités elles-mêmes et le gouvernement, dans la mesure où nous pouvons parler au gouvernement, dans les secteurs où nous croyons avoir le devoir de leur parler relativement aux problèmes qui nous touchent. Cela comprend les problèmes qui touchent les collectivités dans les régions productrices de pétrole, qui font partie de notre secteur, croyons-nous. Nous faisons des instances auprès du gouvernement, ouvertement, en privé et d'autres façons.
Pour ce qui concerne la coopération, oui, nous croyons que c'est une solution d'avenir. Notre entreprise admet qu'elle a un rôle à jouer, et elle est disposée à le jouer.
Pour ce qui est des gardes armés, je ne crois pas que ce soit la peine d'en remettre. Il y a plusieurs Nigérians ici, et je pense que nous savons tous que la situation s'est détériorée au Nigeria, entre autres la qualité de la vie. Il se peut que nous n'en comprenions pas toutes les raisons. Il peut sembler curieux au Canada que des entreprises privées comme la nôtre et bien d'autres qui sont présentes au Nigeria - les banques, les entreprises manufacturières - aient toutes des dispositifs de sécurité. Les seules personnes autorisées à porter des armes sont les policiers nigérians, et c'est pourquoi nous et les autres entreprises faisons appel à leurs services.
Vous avez mentionné Haïti. Il convient de souligner le fait que les ambassades au Nigeria subissent les mêmes pressions que le grand public, et qu'elles font appel également à des gardes armés. Dans leur cas, elles sont autorisées à employer des gardes armés de leurs propres pays. J'habite tout près de la résidence de l'ambassadeur des États-Unis je me sens assez protégé parce que les marines américains sont là et sont armés.
La question de la corruption a été soulevée plus tôt et était adressée à nous, de Shell. Je pense que la corruption est un problème fondamental au Nigeria. Je veux parler au nom de Shell. Si les autres secteurs du pays appliquaient les principes de probité que Shell essaie d'appliquer au Nigeria, nous aurions probablement moins de problèmes de corruption dans ce pays. Le gouvernement est important parce que c'est lui qui perçoit le gros des recettes; on peut donc admettre que c'est là que ça commence. Mais la corruption est omniprésente dans la vie nigériane - et je le dis en présence de mes compatriotes - dans la politique, dans l'économie, dans les affaires, et même dans la vie sociale. On exige des pots-de-vin dans les ports, aux douanes. On verse des pots-de-vin partout.
La société pétrolière a un rôle à jouer. Nous tâchons de jouer notre rôle en restant et en adhérant à nos principes, et je pense que ce serait utile si les autres en faisaient autant.
Le président: Monsieur Achebe, je ne veux pas vous interrompre, mais nous commençons sérieusement à manquer de temps, et je veux que chacun puisse prendre la parole.
Monsieur Detheridge.
M. Detheridge: Je ne dirai que deux choses. Concernant le Canada et son initiative, je crois que vous démontrez de l'initiative à votre comité et par la voix de vos élus, et nous en sommes heureux.
Pour ce qui est de l'embargo, la question qui a été soulevée par M. Dupuy, j'ai dit dans mon allocution liminaire, et je ne change pas d'avis, que nous allons bien sûr obéir aux lois et aux traités de chaque pays ou de chaque groupe de pays qui voudra les imposer. Donc, la réponse à votre question est oui. Si l'on impose un embargo, nous allons obéir aux lois et aux traités internationaux. Notre position est très claire.
Le président: Merci beaucoup.
Chef Enahoro.
Le chef Enahoro: Monsieur le président, il ne fait aucun doute que le Canada occupe aujourd'hui une position très importante. Je ne crois pas qu'aucun autre pays ait une position aussi avantageuse, et certainement pas le Royaume-Uni pour diverses raisons. Vous êtes un pays américain sur ce continent-ci. Vous êtes membres du Commonwealth. Vous avez des principes élevés que nous admirons. Je ne crois pas qu'aucun autre pays peut exercer autant d'influence sur la situation au Nigeria aujourd'hui.
Pour ce qui nous concerne, si le Canada se croit en mesure de parrainer une conférence réunissant toutes les parties, je m'engage pour ma part à y être. Si vous croyez que vous pouvez réunir Shell et les partis politiques - et le gouvernement nigérian, s'il le veut bien - , nous pourrions maîtriser cette crise. Je vous donne l'assurance que les dirigeants ogonis y seraient.
Pour ce qui est des problèmes à caractère plus global, la situation étant ce qu'elle est au Nigeria aujourd'hui, j'ignore quelle influence le Canada peut exercer sur le général Abacha. Le problème qui se pose à nous, c'est qu'il ne peut rien faire qui peut durer. Il ne peut que jeter les fondements de futurs coups d'État. Je parle d'expérience, ayant été présent dans tous ces processus et toutes ces crises au cours des 40 ou 50 dernières années. Il n'y a rien que ce régime puisse faire qui puisse durer plus d'un an ou deux, sauf s'il consulte les forces démocratiques. Et nous nous retrouvons ici, implorant votre soutien et vous demandant de trouver des solutions pratiques à nos problèmes.
Je crois que notre ami, qui a fait une étude très profonde de tous les embargos du monde, s'est égaré dans le processus. Du général au particulier, je crois qu'il a du mal à se concentrer sur le particulier. Quelle que soit l'expérience du reste du monde, nous affirmons que la situation au Nigeria est particulière. Avant le pétrole, qu'avions-nous? Trois ou quatre denrées que nous produisions. Un pays agricole, voilà ce que nous étions.
Il ne se fait plus aucune autre culture là-bas aujourd'hui. Tout le monde vit du pétrole. Tout le monde survit grâce au pétrole: les bandes, les entreprises, tout. Si vous fermez le robinet, vous allez créer une situation que le monde n'a jamais connue.
Nous disons en outre qu'avec l'aide de la communauté internationale nous pouvons faire ces deux choses. Nous pouvons imposer des sanctions et créer un système qui n'imposerait pas de misères excessives au peuple nigérian.
Je crois qu'il faut examiner les deux formules conjointement. Voyez d'où nous sommes partis... Eh bien, il y a la solution du professeur... mais nous avons examiné toutes ces choses nous-mêmes et nous sommes parvenus à nos propres conclusions quant aux effets que les sanctions auraient au Nigeria.
Enfin, permettez-moi de vous dire que des gens comme nous, ou moi, sont de plus en plus considérés par les jeunes comme des indécis dont les méthodes ont échoué. Nous parlons, nous faisons des discours. Nous assistons à des rencontres publiques. Nous encourageons les syndicats. Nous prenons part à des marches dans les rues. Mais ce sont les méthodes du passé; elles ne marchent pas et elles ne peuvent pas marcher. Si nous ne réussissons pas, nous allons assister dans cette partie du monde à des événements que nous n'attendions pas, de toute évidence, mais qui vous concerneront tous. Nos problèmes ne se confineront plus au Nigeria.
Les plus jeunes sont très impatients. Lorsque j'ai quitté le Nigeria moi-même, il y avait aux États-Unis une conférence des éléments plus jeunes, à laquelle assistaient de jeunes Nigérians des quatre coins du monde. Ils étaient disposés à définir leurs propres méthodes de lutte. Et ce n'était pas une définition à laquelle j'adhérerais spontanément moi-même, mais c'est le genre de chose qui nous attend si vous-mêmes et nous-mêmes, et les méthodes que nous appliquons, nous échouons. Vous allez assister à un véritable cataclysme dans cette région de l'Afrique occidentale.
Le président: Merci beaucoup, chef Enahoro.
Monsieur Akano, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Akano: J'ai une ou deux remarques à faire, particulièrement en réponse aux observations de M. Mills.
Chose certaine, si Shell le voulait, elle pourrait agir pour le bien du Nigeria. Quand je songe à son rôle, je suis un peu perplexe, parce que je ne le comprends pas. Shell doit comprendre que le Nigeria ne sera pas gouverné par des dictateurs pour toujours. Un jour, ce pays va changer. C'est pourquoi Shell doit collaborer avec les forces du progrès et du changement au Nigeria au lieu de s'associer si étroitement à la dictature.
Vous avez entendu tout ce qu'elle avait à dire aujourd'hui. C'est cela qui m'irrite. Quand à l'avenir du Nigeria, il faut parler franchement si l'on veut être pris au sérieux. Dans son mémoire, le représentant de Shell International a dit que le Nigeria dispose aujourd'hui de normes environnementales très élevées, de normes qui rivalisent avec celles des États-Unis. J'ignore de quoi il parle.
M. Achebe lui-même reconnaît que les normes environnementales au Nigeria sont inférieures à celles de la Hollande. Et il dit que c'est parce que «le Nigeria n'est pas l'Europe. Nous travaillons dans un environnement qui est fondamentalement différent». C'est ce que M. Achebe a déclaré en janvier dernier.
Le représentant de Shell vous a dit aujourd'hui que le Nigeria a des normes environnementales comparables à celles des États-Unis. Parlons franchement. Et ce n'est qu'à compter de ce moment-là que nous pourrons croire les entreprises citoyennes qui veulent faire le bien dans cette région du monde. Je n'ai pas entendu cette franchise aujourd'hui, et vous ne l'avez pas entendue non plus.
C'est pourquoi je pense qu'on se trompe si l'on s'attend à ce que Shell apporte les changements nécessaires au Nigeria ou dans ses opérations internationales. Je pense qu'il appartient à votre comité de décider, dans le contexte de la société canadienne, dans le contexte des valeurs de la société canadienne, quelles sont les attentes qu'il faut imposer à des sociétés internationales comme Shell, où qu'elles soient. C'est la politique que la société canadienne exige de son gouvernement envers le régime répressif qui existe aujourd'hui au Nigeria.
J'affirme que rien ne vous empêche de vous entendre avec les États-Unis, l'Europe et les autres pays si vous voulez établir cette norme de probité à laquelle tout le monde doit adhérer. Le Canada doit prendre l'initiative et donner le ton. S'il faut agir seul, eh bien oui, nous devons aller de l'avant et agir seul.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup, monsieur.
Monsieur Nossal.
M. Nossal: Je prendrai 30 secondes pour inviter les membres du comité à réfléchir un peu à ce qui a été dit au sujet de l'embargo pétrolier; je vous demande de songer simplement au cas irakien, où, en 1990-1991, les sanctions les plus globales et les plus étanches ont été imposées à l'Irak. Nous avons vu ce qui s'est produit au cours des six dernières années et les progrès que l'Irak a accomplis dans la promotion de la démocratie.
Je suis très pessimiste quant aux effets que pourrait avoir un embargo pétrolier sur le Nigeria, si étanche soit-il, peu importe ce que j'ai dit moi-même sur l'utilité de cette sanction.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup.
Au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous remercier tous de nous avoir tant éclairés ce matin.
Je crois exprimer l'avis général en disant que nous avons été profondément touchés par la mort de Ken Saro-Wiwa et des autres qui ont perdu la vie en défendant leur patrie contre la dégradation environnementale et économique, la violation des droits politiques; je songe aussi à la détention de M. Abiola et des autres, à la mort de Mme Abiola... La liste de noms est trop longue, mais ils sont imprimés à vie dans l'esprit des membres de notre comité et de tous les députés fédéraux.
Ce que nous voulons faire aujourd'hui, c'est trouver le meilleur moyen de mettre un terme à cette situation et aux violations des droits civils.
M. LeBlanc prépare une motion qu'il sera en mesure, je pense, de nous présenter plus tard. Je ne crois pas que le moment soit bien choisi pour en discuter, mais nous allons y voir avant la fin de la session afin que nous puissions donner suite à la résolution que nous avons adoptée en avril et voir quelles modifications nous devrions y apporter.
Merci à tous d'être venus de si loin et de si près et d'avoir accordé à ce problème toute l'attention qu'il mérite. Je regrette qu'on ne puisse y accorder plus d'attention.
Je tiens à rappeler aux membres du comité que nous avons un autre sujet à débattre ce matin. Nous allons recevoir M. Walter McLean, qui a eu l'extrême bonté d'attendre pour faire son exposé sur les Nations Unies. Je vais vous demander de rester pour l'entendre.
Cette partie-ci de la séance est terminée.