[Enregistrement électronique]
Le mardi 26 novembre 1996
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Nous recevons cet après-midi l'honorable Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères. Bienvenue à nouveau devant le comité, monsieur le ministre.
Le ministre est accompagné du contre-amiral King, qui est déjà venu nous parler d'Haïti; du colonel Maisonneuve; de l'ambassadeur Bell; et de M. Charles Court, qui est l'analyste de la politique de l'OTAN.
Monsieur le ministre, si nous avons bien compris, vous aimeriez faire une déclaration liminaire sur votre position quant à la mission IFOR en Bosnie, soit dans l'ex-Yougoslavie, et sur l'élargissement de l'OTAN.
Je rappellerais simplement aux membres du comité que nous avons discuté ce matin de la question d'Haïti. Nous avons ainsi décidé d'entendre le ministre à propos de l'IFOR et de l'OTAN. Nous allons donc commencer par cela et, si le temps le permet, nous essayerons de terminer la discussion sur Haïti et notre participation à la force en mission dans ce pays, et nous passerons ensuite à l'IFOR et à l'élargissement de l'OTAN.
Peut-être pourrais-je maintenant demander aux médias s'ils auraient l'amabilité de se retirer. Merci beaucoup.
Monsieur le ministre.
L'hon. Lloyd Axworthy (ministre des Affaires étrangères): Merci beaucoup, monsieur le président. Tout d'abord, je tiens à remercier le comité de me recevoir deux semaines de suite pour vous demander votre avis.
Je veux aujourd'hui vous parler de certaines décisions importantes concernant notre position et nos relations avec l'Europe. En particulier, comme vous l'avez mentionné, je parlerai de l'avenir de l'opération IFOR en Bosnie et des discussions en cours sur l'élargissement de l'OTAN. Passons d'abord à la Bosnie.
Grâce au travail de la force de mise en oeuvre de l'OTAN, la Bosnie est en train de se stabiliser. Les combats ont cessé, ce qui réjouit énormément beaucoup de monde. Il y a eu des élections fédérales, et le processus de reconstruction de la structure économique et sociale est en cours.
Il est toutefois évident que la Bosnie entre dans une phase nouvelle et plus difficile de maintien de la paix qui consiste à consolider la stabilité grâce aux nouvelles institutions politiques, à organiser des élections municipales, à aider au retour des réfugiés dans leurs foyers, à déminer les terres et à poursuivre une véritable reconstruction économique et sociale dans laquelle le peuple voit son intérêt à travailler pour la paix lorsqu'il retrouve de l'emploi et qu'il reprend espoir. Il nous faut également faire davantage à propos des criminels de guerre, pour panser les blessures psychologiques de la guerre et assurer à la population que la nouvelle Bosnie reposera sur la justice et le droit.
[Français]
Les ministres de la Défense de l'OTAN se sont réunis non officiellement en septembre. Ils ont conclu qu'en dépit du succès de l'IFOR, une présence militaire serait encore requise en Bosnie afin d'assurer la stabilité et la sécurité pendant la prochaine phase du processus de paix. Les ministres ont demandé aux autorités militaires de définir diverses options quant au mandat éventuel d'une telle force.
[Traduction]
Ayant reçu cette directive des ministres de la Défense en septembre dernier, le 18 novembre les planificateurs militaires de l'OTAN ont proposé une autre force d'environ 35 000 soldats qui prendrait la relève de l'IFOR, force qui représenterait environ les deux tiers de l'IFOR. La décision finale à ce sujet sera prise à la réunion du Conseil de l'OTAN, le 10 décembre, où se retrouveront les ministres des Affaires étrangères de l'OTAN.
Les planificateurs ont indiqué que cette nouvelle force doit être suffisamment importante pour aider aux élections municipales de l'OSCE prévues pour juin. Sa présence doit également être suffisante pour redonner confiance aux gens pendant que les parties anciennement en guerre réduisent leur stock d'armements conformément aux ententes sur le contrôle des armements.
Comme vous le savez, nous avons participé à l'effort de paix dans l'ex-Yougoslavie dès le début et nous croyons que nous devrions aller jusqu'au bout. En continuant à contribuer sur le plan militaire, nous renforçons la contribution que nous apportons à la reconstruction civile.
Le ministre Young et moi-même avons travaillé à la préparation des options possibles pour une contribution militaire canadienne qui réponde aux besoins nouveaux de la Bosnie. Nous sommes l'un et l'autre favorables à une contribution canadienne qui montrerait que le Canada reste décidé à veiller à ce que s'établisse une paix durable et qu'en tant que membre de l'OTAN nous souhaitons contribuer au règlement des problèmes de sécurité en Europe.
Le contingent canadien sera rassemblé de façon à garantir sa propre sécurité. Il inclura donc probablement des groupes d'infanterie, des groupes de reconnaissance et d'autres unités de soutien ainsi que du personnel médical, des ingénieurs militaires et des forces techniques qui puissent continuer à soutenir les efforts de reconstruction civils. Ce genre d'activité a montré les véritables avantages de la paix au peuple de la région et ce que peuvent représenter la présence et la contribution du Canada.
Les aspects militaires de Dayton ont essentiellement été réalisés, mais certains problèmes très importants devront encore être réglés dans les prochains mois, notamment, je le répète, les mesures de contrôle régionales des armements, l'aide à l'organisation d'élections, la sécurité des réfugiés et le soutien des efforts visant à arrêter les criminels de guerre. Tout cela exige le travail de troupes compétentes et expérimentées, et les troupes canadiennes sont parmi les mieux placées pour cela.
[Français]
Les Forces canadiennes seraient là avec celles de nos alliés de l'OTAN. Par exemple, le président Clinton a récemment annoncé la décision de maintenir jusqu'à 8 500 soldats américains en Bosnie pour une période allant jusqu'à 18 mois. Nos forces et celles de la plupart des alliés ne resteront pas sans cet engagement de la part des Américains. La contribution du Royaume-Uni, de la France et de l'Allemagne sera aussi importante. Par exemple, les Allemands enverront pour la première fois des troupes de combat à des missions de maintien de la paix. De son côté, l'Italie augmentera sa participation.
[Traduction]
Il reste la question des criminels de guerre et de la façon de les appréhender. Cette question sera parmi d'autres à l'ordre du jour d'une réunion du Conseil de mise en oeuvre de la paix dans l'ex-Yougoslavie la semaine prochaine à Londres. À la réunion du comité directeur il y a deux semaines, à Paris, j'ai insisté sur le fait que je voulais que la communauté internationale soit beaucoup plus active dans la poursuite des criminels de guerre, et nous avons l'intention de présenter des mesures spécifiques dans ce sens à Londres.
Nous pouvons exercer des pressions sur les parties au conflit et sur les gouvernements de la Yougoslavie, de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine pour qu'ils traduisent devant le tribunal les gens qui ont été mis en accusation et qui vivent dans ces pays. Ce sont les autorités qui ont la principale responsabilité pour les criminels de guerre. Nous devons également envisager des mesures comme des récompenses pour ceux qui peuvent fournir des informations menant à l'arrestation des personnes que l'on recherche.
Je parlerai de conditionnalité à la réunion de Londres. Nous devons envisager de réduire ou de supprimer toute assistance aux localités où vivent en toute liberté des criminels de guerre et où les autorités locales ne coopèrent pas. J'ai également pressé nos alliés de demander à leurs militaires de jouer un rôle plus actif en la matière. En patrouillant davantage, en formant nos forces aux méthodes de détention des criminels de guerre et en menant des campagnes d'information publiques permettant d'identifier ceux que l'on recherche, nous pourrions les isoler davantage, réduire leur influence et, enfin, avoir plus de chances de les capturer.
À Paris, la semaine dernière, j'ai également parlé de la nécessité de consolider le processus de maintien de la paix entrepris en Bosnie. Il faut pour cela insister sur le déminage, sans lequel on ne peut transformer ces terres en terres prospères et productives pour que les habitants de la Bosnie considèrent qu'ils ont vraiment intérêt à la paix.
Nous devons concentrer davantage nos efforts sur la reconstruction de l'économie et la création d'emplois dans des secteurs particulièrement importants pour la Bosnie, tels que le secteur de la transformation agricole, et ce, surtout pour les jeunes afin qu'ils puissent devenir les bâtisseurs de la société plutôt qu'une autre génération de soldats. Le Canada peut apporter une contribution importante à ce titre également.
Le ministre Young a dit très clairement que les Forces canadiennes avaient les ressources voulues pour participer à la force de suivi en Bosnie tout en poursuivant leur mission au Zaïre et à Haïti.
Du point de vue politique, l'IFOR a regroupé la Russie et 32 autres pays de l'OTAN ou extérieurs à l'OTAN. L'IFOR a été pour l'OTAN une façon sans pareille de montrer sa nature défensive à des pays autrefois membres du Pacte de Varsovie et de montrer les avantages du Partenariat pour la paix. Pour le Canada, cela a signifié que des forces tchèques ont pu servir sous les ordres de la brigade canadienne à Bihac.
Ces bonnes relations m'ont semblé très évidentes lorsque je suis allé en Bosnie au printemps dernier. Je suis rentré de là très fortement impressionné par le professionnalisme de nos troupes, non seulement au sens strictement militaire, mais également dans la façon dont ils travaillent avec les populations locales auxquelles ils redonnent confiance. J'aimerais que tous les Canadiens puissent voir comment notre brigade à Bihac, dans le nord-ouest de la Bosnie, se montre efficace depuis environ un an. Ils sont très bien placés pour maintenir cette très forte présence canadienne.
La contribution canadienne en Bosnie doit être comprise dans le cadre plus vaste des relations Canada-Europe, qu'il s'agisse de la politique ou de la sécurité. C'est dans ce sens que j'aimerais vous en parler, pour en même temps avoir votre avis sur cette autre décision de politique que devra prendre l'Alliance atlantique dans les quelques semaines qui viennent, et qui concerne l'élargissement de l'OTAN.
Au sommet de l'OTAN au mois de janvier 1994, l'alliance s'est déclarée disposée à faire entrer quelques nouveaux membres, des États d'Europe centrale et de l'Est. Lorsque j'ai participé à la réunion ministérielle de l'OTAN à Berlin, au mois de juin, les ministres des Affaires étrangères des pays de l'ancien pacte de Varsovie étaient assis autour de la table, et cela pour la première fois de notre histoire, avec les ministres de l'OTAN. Ce fut donc une rencontre véritablement historique. Nous nous sommes déclarés résolus, quelle que soit par ailleurs l'issue de cet élargissement, à faire de la stabilité en Europe et des liens qui ont pu être créés à la faveur du Partenariat pour la paix la cible prioritaire de nos efforts.
[Français]
En septembre, les États-Unis ont proposé, et la plupart des alliés ont accepté de manière non officielle, qu'un sommet soit tenu, vers le milieu de 1997, afin d'inviter de nouveaux membres à se joindre à l'Alliance. Le président Clinton a suggéré que l'accession de ces nouveaux membres à l'Alliance entre en vigueur en 1999 afin d'en marquer le cinquantième anniversaire.
[Traduction]
Dans trois semaines je me rendrai à la réunion du Conseil de l'Atlantique Nord, à Bruxelles, au cours de laquelle nous commencerons à préparer le sommet de 1997. Le détail des modalités sera réglé par les délégations de l'OTAN à Bruxelles, d'ici à juin prochain. Après le sommet, des négociations officielles avec les candidats potentiels auront lieu.
Je vais vous parler aujourd'hui de la conception canadienne de cet élargissement de l'OTAN, conception que je présenterai au cours des réunions ministérielles de l'OTAN au mois de décembre.
J'aimerais donc que le comité se penche sur les points suivants: (1) nous appuyons un vaste mouvement d'élargissement, en vue de mettre sur pied une communauté transatlantique non restreinte; (2) nous entendons encourager l'alliance à étudier cette question de l'élargissement en suivant une procédure transparente et objective où l'on examinera les candidatures en fonction des notions suivantes: le respect de la démocratie, une gestion gouvernementale saine, l'assujettissement de l'appareil militaire au pouvoir civil, une réforme économique saine, de bonnes relations avec les voisins et la capacité de promouvoir les objectifs de l'alliance; (3) nous voulons assurer que cet élargissement ne coûtera pas trop cher; (4) après ce mouvement d'élargissement nous chercherons à entretenir avec les pays qui resteraient à l'extérieur de la nouvelle alliance des relations de collaboration aussi larges et efficaces que possible; (5) nous plaiderons pour une réforme approfondie des structures de commandement de l'OTAN, afin de garantir une plus grande souplesse, de pouvoir dégager quelques économies et de rassurer la Russie.
Je veux également que le Canada plaide fermement la cause de l'Ukraine et des pays baltes, et que l'on discute de la façon dont leurs intérêts et leurs préoccupations puissent être pris en compte au moment de l'élargissement.
Notre relation avec l'Ukraine se doit d'être spéciale. Comme pays de l'OTAN responsable à l'heure actuelle de la coordination avec l'Ukraine du programme spécial de l'OTAN, le Canada appuie activement l'idée de la création d'un bureau d'information à Kiev. Au fur et à mesure de l'élargissement, nous pourrions faire de ce bureau une mission diplomatique, avec des représentants politiques et militaires, démontrant ainsi notre engagement à prendre en compte la sécurité de l'Ukraine. Cet effort devra être complété par une représentation élargie de l'Ukraine à l'OTAN. Les dirigeants de l'Ukraine ont besoin de ce type de soutien; c'est ce qu'ils m'ont dit lors de notre dernière rencontre au mois d'octobre.
En ce qui concerne les pays baltes, l'alliance a une responsabilité spéciale. Si les trois États baltes ne font pas partie de la première vague des nouveaux États intégrés à l'alliance, l'OTAN doit alors avoir une politique active de rapprochement. Nous pouvons en effet être très utiles et encourager l'émergence de nouveaux rapports entre ces États baltes et la Russie. Nous devons les encourager à se pencher sur toutes les questions sensibles créatrices de tensions entre eux, y compris les questions de frontières, de citoyenneté et de droits linguistiques. C'est également la politique que nous suivrons lors des réunions de l'OSCE qui commencent à Lisbonne dimanche prochain.
Le Canada peut également, suivant ainsi la proposition des pays nordiques, encourager la multiplication des activités du Partenariat pour la paix en direction des pays baltes. Nous pouvons améliorer leur capacité de fonctionner de concert avec l'OTAN, et nous pourrions également associer des unités des pays baltes aux groupes mixtes combinés de l'OTAN.
Finalement, j'aimerais parler un instant de nos rapports avec la Russie. Ces rapports avec la Russie sont effectivement pour l'OTAN, en ce qui concerne ses rapports avec les États qui ne sont pas membres, la pierre d'achoppement la plus délicate.
Le Canada demandera à l'OTAN trois choses: premièrement, un examen de toutes les propositions d'adaptation possible de ses structures militaires, afin de décider si elles sont adaptées aux problèmes de nos relations avec la Russie; deuxièmement, développer ses relations politiques avec la Russie; et troisièmement, élargir l'effort de collaboration militaire avec la Russie, afin d'associer celle-ci autant que possible aux activités courantes de l'alliance. Nous devons veiller à ce que l'alliance ne considère plus la Russie comme une chaîne de commandements s'étirant de l'Arctique à la Méditerranée, et dirigée contre elle.
Au niveau politique, nous pouvons également être actifs. Le Traité sur les forces conventionnelles en Europe pourrait être remis à jour. Nous devons également ouvrir nos portes à la Russie, au quartier général de l'OTAN, avec pour objectif ultime de l'associer à toute une gamme de décisions de l'alliance. Nous devrions par ailleurs inviter la Russie à négocier l'accès mutuel aux discussions militaires et politiques.
[Français]
Nous devons nous satisfaire que nous avons fait tout ce qu'il est raisonnable de faire pour nous occuper des soucis de la Russie. Si la Russie est favorable, les propositions que je viens de présenter pourront former la base d'une relation spéciale entre l'OTAN et la Russie.
[Traduction]
Il est important que le Canada joue, et soit effectivement également perçu comme tel, un rôle actif et constructif à toutes les étapes de ce processus d'élargissement. Nous pourrons ainsi défendre les intérêts canadiens, démontrer notre engagement indéfectible au sein de l'alliance, tout en nous assurant, dans la mesure du possible, que les objectifs et le coût de cette politique d'élargissement soient compatibles avec les buts et moyens du Canada.
L'histoire nous jugera non pas tant sur la façon dont nous avons mené la guerre froide que sur notre capacité de construire un nouvel ordre sur des décombres. Le Canada est fermement déterminé pour ce qui est de son rôle en Bosnie, et de façon générale au sein de l'OTAN, car il y va également de nos intérêts. Nous travaillons avec les autres pays en prévision d'un partenariat transatlantique renouvelé, d'une OTAN élargie et renouvelée, ainsi que de rapports transparents et étroits entre l'OTAN et les États qui ne sont pas membres. L'effort à fournir est considérable, mais la récompense le sera peut-être encore plus.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur le ministre.
Y a-t-il des questions?
[Français]
Monsieur Paré.
M. Paré (Louis-Hébert): Bonjour, monsieur le ministre. Vous avez abordé la question des criminels de guerre et dit que ce serait à l'ordre du jour d'une rencontre qui aura lieu dans quelque temps à Londres. J'aimerais que vous nous donniez une idée de l'opinion des autres pays sur cette grande question.
Y a-t-il véritablement une volonté de mettre fin à l'impunité et de prendre les moyens nécessaires pour que les criminels de guerre et ceux qui commettent des crimes contre l'humanité soient traduits devant les tribunaux qui, selon mon information, ne sont que des tribunaux temporaires? De quels moyens aurions-nous besoin ou de quels moyens aurait besoin la communauté internationale pour véritablement s'acquitter de cette responsabilité?
M. Axworthy: Généralement, je pense qu'il y a une volonté de faire comparaître les criminels de guerre devant les tribunaux mais, en même temps, certains pays ont des réserves en ce qui a trait à la position des forces dans ce processus. Il y a un souci concernant des engagements directs par le personnel des forces.
Comme je l'ai dit dans ma présentation, nous proposons plusieurs initiatives, par exemple un principe clair sur les responsabilités des criminels de guerre qui vont demeurer au sein des nouveaux gouvernements de Bosnie et d'autres pays comme la Croatie, etc.
Deuxièmement, je pense qu'un système international serait une garantie et serait utile dans les procès.
Un autre point à considérer serait le développement d'un processus par lequel nous réduirions les territoires dans le but de restreindre les mouvements des criminels contre les forces de l'OTAN. Je ne suis pas certain qu'on pourrait avoir un accord sur de telles mesures, mais je pense qu'il est dans l'intérêt du Canada et des autres pays de trouver les moyens les plus efficaces possibles afin d'atteindre ce but, qui est très très important.
M. Paré: Lorsque vous parlez de conditionnalité, dois-je comprendre que la reconstruction des pays ou des républiques qui ont été affectés par la guerre pourrait être conditionnelle au fait que ces États aident à la livraison des criminels? Est-ce bien ce que je dois comprendre?
M. Axworthy: Oui. Ce sont les recommandations de Carl Bildt, qui était le coordonnateur du processus de reconstruction. Il a demandé, au cours des réunions à Paris, le pouvoir de recommander aux pays des restrictions sur l'aide directe pour les cantons qui sont prêts à collaborer avec les tribunaux en ce qui a trait aux criminels de guerre.
Le président: Madame Debien, vous avez quelques minutes.
Mme Debien (Laval-Est): Bonjour, monsieur le ministre. Vous avez souligné plus tôt que le président Clinton avait l'intention de réduire à 8 500 soldats sa participation à l'IFOR. On sait qu'actuellement, cette force-là est d'à peu près 14 000 personnes. On parle donc d'une réduction de presque la moitié. On sait aussi que la participation canadienne est d'à peu près 1 000 soldats actuellement.
Le Canada a-t-il pris une décision quant à sa participation à l'IFOR? Vous nous avez dit que vous étiez favorable à la continuation de la contribution canadienne. Donc, avez-vous pris une décision en ce sens? De quelle nature serait cette décision si vous pouvez nous en faire part?
[Traduction]
M. Axworthy: Je vais maintenant, pour les détails, laisser la parole au contre-amiral King et au colonel Maisonneuve. Mais ce que je voulais dire dans mon exposé, c'est que M. Young, le ministre, et ses conseillers estiment très important que la participation canadienne soit conçue dans les limites de nos moyens, et que les Forces canadiennes soient également en mesure de disposer de tout ce qui leur permettra de préserver leur sécurité, tout en disposant de ressources supplémentaires, afin de pouvoir prendre la responsabilité de toute une gamme de missions, tout en conservant une autonomie d'action suffisante; et je pense surtout au niveau de la brigade.
De mon point de vue de néophyte, lorsque j'ai rendu visite à nos troupes en Bosnie et ai parlé au personnel militaire sur place, j'ai constaté que cette conception était tout à fait raisonnable, et bien préférable à la fragmentation ou au morcellement unité par unité, unités que l'on aurait dispersées aux quatre coins de la Bosnie. Il était donc préférable d'avoir une zone de responsabilité canadienne bien définie avec une gamme de fonctions complètes, cohérentes, ce qui permet d'être beaucoup plus efficaces.
L'amiral King et le colonel Maisonneuve pourront vous dire de façon plus précise ce que cela signifie en termes de chiffres.
[Français]
Colonel J. Maisonneuve (vice-chef d'état-major de la défense, ministère de la Défense nationale): En ce moment, on envisage à peu près le même nombre ou peut-être un peu plus. Cependant, l'unité sera structurée complètement différemment.
Actuellement, on a donné à l'IFOR un quartier général de brigade en gros, qui permet le commandement et le contrôle d'unités multinationales. Par exemple, en ce moment, on a une unité du Royaume-Uni, une de la République tchèque et des éléments canadiens sous commandement de la brigade.
La nouvelle participation à ce qu'on appelle maintenant la SFOR, c'est-à-dire «force de stabilisation», serait basée sur une unité de combat d'infanterie, avec trois compagnies d'infanterie. Ce serait donc une baisse de niveau, d'une brigade à une unité, mais les chiffres resteraient, en gros, équivalents à ce qu'ils sont maintenant.
Mme Debien: C'est-à-dire 1 000 à peu près?
Col Maisonneuve: Un peu plus de 1 000.
[Traduction]
M. Axworthy: J'ai une autre chose à ajouter - et je pense que le colonel y a fait allusion - qui me paraît très importante. C'est pour cela que j'ai fait les deux exposés en même temps.
Avoir une brigade au complet offre un certain nombre d'avantages, et notamment pour ce qui est de la collaboration avec les nouveaux pays qui seraient intégrés à l'OTAN. Prenez l'exemple des Tchèques. Lorsque j'étais en Ukraine, il y a environ un mois, ils ont exprimé le désir de travailler avec nos militaires, et notamment pour apprendre les techniques des opérations de maintien de la paix.
Nous avons là l'occasion enviable de pouvoir communiquer certaines techniques, tout en développant de nouveaux rapports, et de créer un climat de confiance avec ces nouveaux pays, ces nouvelles démocraties émergentes. Que nous soyons présents en Bosnie présente donc un certain nombre d'avantages supplémentaires pour ce qui est de façon générale de notre capacité de créer de nouveaux liens, de nouvelles relations.
Le président: Monsieur Mills.
M. Mills (Red Deer): Merci. J'ai plusieurs questions à vous poser. Je parlerai surtout de la mission de l'IFOR...
M. Axworthy: Je crois que maintenant cela s'appelle la SFOR, n'est-ce pas?
M. Mills: Les Américains l'appellent IFOR 2; en tout cas c'est ce que les Allemands disent.
Quel que soit le sigle utilisé, mon problème, tout d'abord, remonte à certaines déclarations faites l'an dernier à la même époque. À cette époque, le ministre responsable de la Défense nationale, M. Collenette, a déclaré que les troupes européennes seraient en mesure de prendre les choses en mains l'an prochain à cette époque-ci. Il a ajouté que la durée de leur mission était encore indéterminée, mais qu'en tout cas la chose pourrait se faire.
Ce matin on nous a demandé d'approuver la mission en Haïti. Là encore, vous nous avez dit vous-même que nous y serions six mois, et qu'à partir de décembre 1996 les Haïtiens se seraient refaits et seraient en mesure de s'occuper d'eux-mêmes.
Après cela, et à l'occasion de diverses difficultés au printemps et à l'été, toutes relatives à l'armée, on nous a dit que, de fait, nous ne pourrions pas prendre la responsabilité de trois missions, et que deux était à peu près le maximum. Sans vouloir ici critiquer en aucune façon nos soldats, ni leurs compétences - il n'en a jamais été question - , on nous a dit que c'était le maximum que nous pouvions assumer. Et voilà que subitement notre nouveau ministre de la Défense nous dit que nous pouvons en faire plus.
Je suis donc un peu inquiet, et je me demande ce qui dans tout cela est vrai ou faux. Pouvons-nous prendre la responsabilité de trois missions? Et pendant combien de temps?
Mon problème, et nous en avons discuté tous les deux à propos d'Haïti, c'est que nous devrions nous doter d'un plan à long terme. Associons par ailleurs autant de pays que possible à l'effort général, et réglons la question une fois pour toutes, au lieu de vouloir chaque fois appliquer un emplâtre sur une jambe de bois. J'aimerais un petit peu avoir quelques informations là-dessus.
Il y aurait évidemment beaucoup de questions à poser à propos de l'élargissement de l'OTAN, dont vous nous avez parlé. C'est un sujet fort vaste, aux chapitres variés. Quelles seront les conséquences, par exemple, en ce qui concerne la Russie? Devrons-nous, les pays membres de l'OTAN, fournir un effort supplémentaire? Lorsque leurs forces viendront s'ajouter aux nôtres, pourra-t-on établir des comparaisons? Toutes questions que l'on pourrait légitimement poser.
Mais la question habituelle, en tout cas en ce qui concerne les coups de téléphone des contribuables à mon bureau, c'est celle du coût de ces missions, et de cet effort... Ils veulent connaître les chiffres réels, en dollars, non seulement pour Haïti, mais également pour la SFOR. Bien sûr, le Zaïre... Nous ne savons pas encore ce que cela va donner.
L'autre question qui a été posée est celle du coût des réacteurs CANDU pour les contribuables. Vous allez peut-être penser que l'on veut vous piéger, mais ce sont des questions que les Canadiens posent, et ils s'attendent à avoir une réponse. À qui d'autre que vous poser ces questions?
Une voix: Si l'on décide d'installer un réacteur CANDU en Bosnie, veuillez avoir la gentillesse de nous en avertir!
Des voix: Oh, oh!
M. Mills: C'était juste en passant...
Une voix: Appelez l'IFOR.
M. Mills: ...car je sais que le ministre connaît la réponse. Et les contribuables veulent savoir. Je sais par ailleurs qu'il pourra nous répondre.
M. Axworthy: Monsieur le président, je suis prêt à fournir une réponse très complète à toutes ces questions très intéressantes de M. Mills.
Tout d'abord, de façon générale, je dois dire que l'investissement canadien, je parle des missions, ne peut et ne doit pas être mesuré à l'aune du coût monétaire. C'est une considération importante, et...
M. Mills: Je suis d'accord.
M. Axworthy: ...l'aspect le plus important de la question, c'est de savoir en quoi cela nous aide à maintenir notre sécurité internationale. En quoi est-ce que cela nous aide à établir avec d'autres pays des relations véritables, et tout particulièrement à un moment où tant de pays cherchent à accéder à la démocratie, et font leur entrée sur la scène internationale?
Ne serait-ce que sur le plan humanitaire, les Canadiens se considèrent véritablement comme des citoyens du monde, et ils tiennent à intervenir en cas de crise quand ils pensent pouvoir faire une différence. En effet, c'est l'un des critères: est-ce que nous pouvons faire une différence? Dans chacun de ces cas, j'en suis convaincu.
Au cours de la discussion que nous avons eue la semaine dernière au sujet d'Haïti, j'ai trouvé vos préoccupations très justifiées quand vous savez dit qu'il était important d'apporter des ajustements et de ménager une transition vers un système plus stable pour Haïti. Comme vous le savez, c'est une des raisons pour lesquelles, il y a trois ou quatre semaines, nous avons annoncé une stratégie de consolidation de la paix. Cette stratégie nous donne une politique pour compléter notre position en ce qui concerne le maintien de la paix. En effet, elle nous permettra d'aider à reconstruire les institutions de ces pays, ce qui est un facteur de stabilité. Grâce à cette stratégie, les pays intéressés auront leur propre force de police, leur propre système judiciaire et leur propre système administratif, ce qui permettra à nos forces armées de quitter le pays, et de ne pas rester là en permanence.
C'est une des leçons que nous avons tirées de l'expérience. Si on se contente d'une présence militaire, un élément crucial quand on veut favoriser la fin d'un conflit, et si en même temps on n'investit pas tellement dans la reconstruction, le problème s'éternise. C'est la raison pour laquelle nous - le ministre de la Coopération internationale et moi-même - avons annoncé que nous allions commencer à consacrer plus de ressources et plus d'efforts à ce travail complémentaire de consolidation de la paix, un travail particulièrement utile.
M. Mills: Est-ce que d'autres pays membres de l'OEA prennent des engagements dans ce sens?
M. Axworthy: Absolument. Nous avons eu par exemple des discussions récemment avec les Chiliens sur la façon de concerter nos efforts pour être plus efficaces au sein de l'OEA. D'autre part, lors d'une rencontre avec les présidents et les ministres des Affaires étrangères des pays d'Amérique centrale, nous avons discuté de ce même sujet.
La semaine prochaine, nous devons rencontrer le ministre des Affaires étrangères du Guatemala, un pays qui vient de signer des accords de paix, pour examiner la façon d'aider maintenant le Guatemala à démilitariser ses forces rebelles, son armée, et à investir dans la consolidation de la paix. Encore une fois, pendant toute cette période de conflit, l'armée canadienne a apporté son aide. Ces deux éléments sont très importants, vous avez raison, tous deux sont nécessaires. Il y a complémentarité. Par le passé, il est possible que certains pays n'en aient pas été aussi conscients.
Nous parlions aussi de la Bosnie, et dans ce cas-là aussi la communauté internationale s'est engagée à déployer des efforts considérables. Notre armée participe actuellement aux efforts de reconstruction. Je crois que nous avons engagé pour cette année 300 000 $ qui iront à nos unités stationnées dans la région de Bihac et qui serviront au travail de reconstruction dans les communautés, reconstruction d'écoles et de certains réseaux de communication.
Voilà donc un cas où nos forces armées, qui sont là pour stabiliser la région et accomplir une fonction militaire, assument également une tâche complémentaire et travaillent en collaboration avec les ONG, les groupes locaux et la population locale. Je vous assure que cela représente des avantages multiples, car cela nous permet d'instaurer une véritable stabilité tout en jouant un rôle important sur le plan de la reconstruction.
Vous m'avez demandé combien de temps nous allions rester, mais cela dépend des besoins. En nous retirant d'une façon précipitée, nous pourrions défaire tout ce qui a été fait de bon. Le président Clinton a déclaré qu'à son avis on pourrait envisager un retrait dans 18 mois. D'un autre côté, nous avons proposé plutôt 12 mois, à condition qu'on nous laisse jouer un rôle beaucoup plus actif dans l'établissement d'une force policière civile suffisamment efficace pour maintenir l'ordre et assurer la stabilité. Cette force policière accomplirait une partie des fonctions accomplies actuellement par nos forces armées.
Toutefois, nous ne parviendrons pas à ce point tant que nous n'aurons pas réglé un certain nombre de problèmes graves, comme l'existence d'importantes caches d'armes dans la région, les opérations de déminage, etc., car c'est un pays où la mobilité est terriblement limitée. Les gens ne peuvent pas retourner dans leurs champs à cause des mines. Il y a aussi le problème des criminels de guerre et la nécessité de nettoyer le système judiciaire pour pouvoir assurer la justice dans la région.
Voilà donc les raisons pour lesquelles il importe d'agir sur les deux fronts. Vous avez d'une part un élément de maintien de la paix, et c'est pour cet élément que nous sollicitons aujourd'hui l'approbation ou le soutien du comité, pour nous permettre de poursuivre nos efforts. Toutefois, nous sommes très conscients de l'importance de l'aspect consolidation de la paix que vous avez mentionné. Nous investissons dans ce secteur également.
M. Mills: Vous comprenez, je suis d'accord avec cela, mais nous avons besoin de connaître tous les faits. Je pense que nous sommes d'accord sur la plupart de ces points, les criminels de guerre, etc. Toutefois, nous sommes forcés de nous demander combien cela coûte, et également quelle est la contribution des partenaires respectifs. Nous nous demandons si tout cela est équitable, et comment nous sommes placés par rapport aux autres. Nous avons besoin d'une certaine échelle pour juger notre contribution. Nous ne pouvons pas accepter, sans chercher à évaluer les progrès accomplis, de reconduire cet engagement systématiquement tous les ans en décembre. Or, il semble que nous ne réussissions pas à obtenir cette évaluation.
M. Axworthy: Je demanderais au contre-amiral et au colonel de vous donner des chiffres précis.
Quant à savoir si nous sommes capables de monter les trois missions, je crois qu'il est assez évident - et M. Young l'a dit - que notre armée a actuellement la capacité voulue pour assumer ces trois missions. Cela ne veut pas dire que nous pourrions le faire, par exemple dans six mois, si nous restions très largement impliqués au Zaïre.
Le colonel pourra vous parler des questions de roulement, mais, pour le moment, étant donné les périodes dont nous parlons, nous pouvons maintenir l'engagement dans ces trois missions. Ce ne sera peut-être plus la même chose dans six mois si nous sommes toujours fortement impliqués au Zaïre. Mais comme je l'ai dit aujourd'hui, si le mouvement de réfugiés se poursuit, il sera peut-être de moins en moins nécessaire. Je puis vous donner cette assurance de la part du ministre Young, et peut-être que l'amiral ou le colonel pourront vous donner des chiffres plus précis.
Le contre-amiral J.A. King (sous-ministre adjoint associé, Politiques et communications, ministère de la Défense nationale): Merci, monsieur le ministre.
Monsieur le président, en ce qui concerne la nécessité de connaître les résultats, quand nous nous sommes joints à l'IFOR, nous l'avons fait avec un très important contingent. On cherchait délibérément à intimider les factions hostiles, à leur faire comprendre qu'on ne tolérerait aucune interférence dans cette opération des Nations Unies. Nous avons donc envoyé des forces considérables, plus de 50 000 hommes.
En même temps, nous n'étions pas sans être très inquiets au sujet des efforts à déployer, des dangers que cela représentait, des risques que nous courrions. En fait, près d'un an plus tard, nous constatons que nous avons remporté un énorme succès.
Je crois que nous pouvons le mesurer. Le succès a été tel que les pertes ont été extrêmement faibles, et les rares pertes que nous avons subies sont presque entièrement attribuables à d'autres facteurs, comme des accidents, et non pas à des faits de guerre.
Effectivement, nous avons réussi à mettre fin aux hostilités, comme le ministre vous l'a dit. Aujourd'hui, nous sommes en mesure de retirer une bonne partie de notre matériel lourd, un des éléments les plus coûteux, et de réduire également les effectifs. Comme le ministre l'a dit, dans le cas des Américains il s'agit d'une réduction de la moitié des effectifs.
Sur le plan militaire, nous pensons donc qu'il est facile de mesurer le succès obtenu en tenant compte des autres éléments de l'effort de consolidation de la paix et en suivant son déroulement de très près. Jusqu'à présent, le succès est incontestable.
En ce qui concerne les coûts, je crois avoir parlé des coûts des opérations à Haïti l'autre jour. La mission que nous envisageons devrait coûter environ 90 millions de dollars pour la période de 12 mois que nous envisageons. Nous parlons de 12 mois, bien que les Américains parlent de 18 mois. Nous parlons de 12 mois à cause des coûts, et également parce que c'est une période raisonnable qui nous permettra de voir quels progrès peuvent être accomplis dans la région. Cela nous donne également la possibilité de réévaluer la situation et d'envisager le maintien des trois missions, comme le ministre l'a dit.
Nous ne savons pas au juste pour le Zaïre. Nous devons voir quel genre de progrès nous pourrons faire en Haïti, bien que nous soyons encouragés par ce que nous voyons jusqu'à maintenant. Mais, encore une fois, nous devons voir comment évoluera la situation en Bosnie, quel sera le succès de la SFOR, et nous pourrons ensuite décider dans quelle mesure nous accorderons aux futures missions de suivi un soutien financier, mais aussi des soldats.
M. Axworthy: Je vous signale, monsieur le président, que ce chiffre...
Le président: Les 90 millions de dollars sont-ils exclusivement pour la Bosnie ou pour les trois...
M. Axworthy: Non, pour la Bosnie, mais j'allais signaler que c'est déjà prévu dans les prévisions budgétaires du ministère de la Défense nationale. Il n'y a pas de nouveaux crédits. Nous avions calculé pour l'année nos besoins financiers au titre des missions de maintien de la paix. Cela fait donc déjà partie des crédits votés du ministère.
M. Mills: Comment est-ce possible, puisque nous pensions avoir quitté la Bosnie et Haïti au plus tard en décembre 1996? Comment a-t-on pu prévoir cela dans le budget de l'an dernier, quand nous disions l'an dernier que ces missions seraient déjà terminées?
M. Axworthy: Il vaudrait mieux poser la question au ministre de la Défense et à ses fonctionnaires, mais la réalité c'est que nous calculons la somme que nous sommes disposés à consacrer aux opérations de maintien de la paix et que nous décidons des missions à l'intérieur de ces paramètres. S'il faut mettre davantage de ressources, nous n'y allons pas.
Le président: Ce n'est pas une mission précise.
M. Axworthy: Non.
Le président: Si je me souviens bien des prévisions budgétaires, il est question uniquement d'opérations de maintien de la paix en général. Il s'agit donc d'une réserve.
M. Axworthy: Oui.
Le président: Monsieur Flis.
M. Flis (Parkdale - High Park): Merci, monsieur le président. J'aimerais revenir sur les commentaires du ministre en ce qui a trait à l'expansion de l'OTAN.
D'abord, j'aimerais féliciter le ministre de s'être occupé des problèmes des trois États baltes, de l'Ukraine et aussi des Canadiens qui viennent de ces pays. J'appuie sans réserve votre programme d'action.
J'aimerais aussi féliciter M. Bell, qui a déjà rencontré les Canadiens qui s'intéressent à la situation dans ces pays. Aujourd'hui, nous avons reçu une importante délégation de la Hongrie, et c'est bien que M. Bell ait pu la rencontrer et faire part aux membres de la délégation de l'action que nous envisageons. J'applaudis à ces initiatives, qui m'apparaissent tout à fait appropriées.
J'aimerais vous poser quelques questions. D'abord, beaucoup de gens commencent à s'inquiéter des agissements du Bélarus. Il y a un nouveau hic là, et je me demande quel impact cela aura sur l'expansion de l'OTAN et ses relations avec la Russie. Quand le Bélarus permet aux troupes russes de se masser sur la frontière de la Lettonie, de la Lituanie, de la Pologne et de l'Ukraine, on peut comprendre l'inquiétude de ces pays et pourquoi ils souhaitent adhérer le plus tôt possible à l'OTAN. Voilà une source de préoccupations.
L'autre, c'est que le comité s'est divisé en deux groupes de travail pour visiter les autres pays circumpolaires. Le groupe dont j'étais a entendu un exposé de la Fondation Bellona sur le déclassement des sous-marins à propulsion nucléaire russes. Quand un pays doit déclasser 67 sous-marins à propulsion nucléaire et n'a pas les moyens financiers de le faire, est-ce un rôle que peut assumer l'OTAN dans sa composition actuelle, ou encore élargie?
Il existe de nos jours de nouvelles sources d'insécurité auxquelles il faut trouver des solutions. Je sais que le temps nous presse, et ce sont donc mes deux questions, l'une sur le Bélarus et l'autre sur la flotte septentrionale russe et le déclassement des sous-marins à propulsion nucléaire russes et l'incidence que cela peut avoir sur notre sécurité.
M. Axworthy: Monsieur le président, j'aimerais donner une réponse détaillée à M. Flis, mais comme les événements en Bélarus sont très récents, il est très difficile de savoir exactement à quoi tout cela mènera.
Je suis tout à fait de son avis quant à la voie dans laquelle le gouvernement s'engage et quant au référendum qu'il vient de tenir. Cependant, cela renforce ce que je disais plus tôt de la nécessité de renforcer considérablement non seulement l'opération d'expansion de l'OTAN, mais aussi le Partenariat pour la paix et la nécessité de faire en sorte que les liens se renforcent entre les pays baltes, l'Ukraine et les autres pays et l'OTAN. J'estime que le Partenariat pour la paix est l'une des nouvelles institutions internationales qui pourraient s'avérer précieuses pour étendre ces mesures de confiance et donner des garanties de sécurité. La différence, bien sûr, c'est que le Partenariat pour la paix n'a pas d'article 5, qui est d'une importance cruciale. Comme vous le savez, cela préoccupe vivement la Russie elle-même.
Quant à la deuxième question, quand nous occupions d'autres postes, vous et moi avons eu de nombreuses discussions sur l'utilité de l'OSCE comme moyen de renforcer la coopération en matière de sécurité pour l'Europe et d'y associer le Canada.
À mon avis, la situation au Bélarus ne fait que mieux faire ressortir les raisons d'élargir et de renforcer le processus du Partenariat pour la paix autant que nous le pourrons afin que nous puissions négocier une relation spéciale avec les Russes.
La question des sous-marins à propulsion nucléaire a été abordée lors de la réunion inaugurale du Conseil de l'Arctique dont nous avons été l'hôte en septembre. Il serait peut-être utile que le comité présente ces arguments directement à l'ambassadeur Simon et demande au Conseil de l'Arctique, dont sont membres les pays circumpolaires, de s'en saisir.
Le président: Monsieur le ministre, je ne sais pas si vous souhaitez traiter de cette question, mais vous n'avez pas donné la liste des candidats qu'appuierait le Canada en prévision d'une expansion de l'OTAN. Ceux parmi nous qui ont visité d'autres pays songent à d'autres candidats... par exemple, l'Allemagne nous a fait savoir qu'elle a nommé expressément la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovénie. Êtes-vous prêt aujourd'hui à donner au comité la liste des pays que le gouvernement canadien soumettra au Conseil de l'Atlantique, ou préférez-vous réserver cette question pour un autre jour?
M. Axworthy: Monsieur le président, j'ai tenté dans mon exposé de dire qu'aucun candidat ne devait être exclu d'emblée. Il n'y a pas ici de déterminisme calviniste, mais il existe des critères que je vous ai énumérés. Si un pays répond à ces critères, alors sa candidature doit être examinée. Certains répondent aux critères, d'autres pas. J'ai dit toutefois qu'il pourrait y avoir une exemption spéciale pour les pays baltes, étant donné particulièrement l'aspect sensible de cette question pour la Russie.
Si nous en venons chacun à choisir nos préférés... Il est bien clair que certains pays répondent d'emblée aux critères, et je pense que certains des pays que vous avez énumérés y répondent, mais il y en aura d'autres. Par exemple, la Slovénie et la Roumanie nous ont fait valoir avec insistance qu'ils répondent aux critères et nous ont demandé de ne pas les exclure automatiquement comme le font d'autres pays. L'important, à mon avis, c'est que le Canada dise à tous les candidats que s'ils répondent aux critères ils pourront défendre leur candidature.
Le président: Je suis désolé de vous interrompre.
M. Assadourian, M. Morrison et puis Mme Gaffney.
M. Assadourian (Don Valley-Nord): Merci, monsieur le ministre. Cela devient une habitude. Vous venez nous voir toutes les semaines. J'espère que nous pourrons le refaire la semaine prochaine.
M. Axworthy: Je suis en train de créer de véritables liens avec vous.
M. Assadourian: Mes collègues, Jesse et le président, ont déjà dit que lors de notre visite en Allemagne le gouvernement allemand a mentionné qu'il voit un lien entre l'UE et l'expansion de l'OTAN. Il ne parlait pas d'une «expansion», mais plutôt d'une «ouverture» de l'OTAN. Qu'en pensez-vous?
Deuxièmement, mercredi dernier j'ai eu la chance de rencontrer la délégation de la douma russe. J'ai mentionné les points que vous avez soulevés dans votre discours sur la côte est au début du mois d'octobre - les quatre critères fondamentaux pour qu'un pays puisse adhérer à l'OTAN. Quand j'ai mentionné ces quatre points, ils m'ont dit que vous aviez oublié le plus important, c'est-à-dire leur sécurité.
Nous n'avons pas poursuivi la discussion, mais ils craignent que leur sécurité ne soit menacée d'une façon ou d'une autre: au sein de l'OTAN, parce qu'on pourrait leur faire sentir qu'ils sont les méchants de la guerre froide, ou encore à l'extérieur de l'OTAN, parce qu'ils pourraient croire qu'ils sont toujours perçus comme l'ennemi.
Pouvez-vous répondre à ces deux questions, s'il vous plaît?
M. Axworthy: Ce sont deux points très importants. J'espère certainement que les pourparlers entourant l'expansion de l'OTAN se dérouleront parallèlement à une discussion semblable au sein de l'UE sur son propre élargissement. Je pense que si les nouvelles démocraties de l'Europe centrale et de l'Est pouvaient rejoindre les rangs de l'Union européenne, cela créerait des liens encore plus forts. Il est bien clair que cela leur donnerait un grand sentiment de sécurité économique, et une fois que cela survient...
Je pars du principe qu'un pays qui enclenche un processus de démocratisation doit, à un moment donné, montrer à la population qu'il y a une raison à cela et qu'elle s'accompagne de certains avantages. L'une des meilleures preuves, c'est de donner aux gens un emploi et un sentiment de sécurité, et voilà pourquoi les pourparlers de l'UE sont si importants. Nous appuyons cette initiative sans réserves, mais nous ne sommes pas membre de l'UE, et il y a peu que nous puissions faire, si ce n'est d'applaudir à cette initiative.
Vos questions sur la Russie m'apparaissent très fondées, et voilà pourquoi j'en ai parlé dans mon exposé. Il doit y avoir une relation spéciale avec la Russie, et il faut s'occuper des questions de sécurité. Il y a moyen de structurer l'alliance pour favoriser cela. Nous avons eu de nombreux entretiens avec le ministre des Affaires étrangères, M. Primakov, sur la façon de procéder.
Comme je l'ai dit, il m'apparaît tout aussi important de revoir le Traité sur les forces conventionnelles, qui doit être réexaminé dans le contexte de tout élargissement de l'OTAN. Ensuite, nous devons revoir l'infrastructure de l'OTAN même, qui a été établie en fonction des besoins créés par la guerre froide, notamment en ce qui concerne l'implantation des bases, etc.
Nous croyons que l'infrastructure doit être revue non seulement dans le contexte d'une redéfinition du rôle de l'OTAN, mais aussi pour des raisons de coûts et d'économies. J'estime que cela aiderait à calmer les Russes, qui craignent d'être encerclés par les pays de l'OTAN ou de se heurter sans cesse à la frontière. Voilà le genre de positions que nous voulons aborder lors des rencontres qui doivent s'ouvrir au début du mois de décembre.
Le président: Monsieur Morrison.
M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Monsieur le ministre, j'aimerais faire quelques observations avant de poser mes questions. J'aimerais d'abord parler de l'élargissement de l'OTAN.
Quand le comité s'est rendu en Russie, il est vite devenu évident qu'il ne s'agit pas uniquement d'une importante question internationale, mais aussi d'une importante question à l'intérieur même de la Russie. Il y a là les germes d'une situation qui pourrait empoisonner les relations de l'Occident avec la Russie pour de nombreuses années à venir. Peu importe qui nous rencontrions ou quelle était la question à l'ordre du jour, il ne s'écoulait jamais plus de 15 minutes avant que la question de l'élargissement de l'OTAN ne refasse surface. Ils en sont obsédés. Souvent ils nous demandaient si nous allions inviter des États instables comme la Bulgarie, ou des pays insignifiants au plan militaire comme les États baltes, à rejoindre les rangs de l'OTAN, et ils étaient très sceptiques quand nous leur disions que ce n'était nullement notre intention. Ils sont très inquiets.
Les parlementaires finnois se sont montrés fins diplomates quand nous les avons rencontrés, mais malgré tout leur tact il était très clair qu'ils considèrent que l'élargissement de l'OTAN aura un effet déstabilisateur et que si nous allons de l'avant, ce sera donner un coup de pied dans la fourmilière.
Ce n'était qu'un commentaire. Je sais que nous avons parlé de l'OTAN de nombreuses fois à l'extérieur du comité.
J'ai cependant deux questions très précises au sujet de la Bosnie. Elles sont courtes.
Si la Bosnie se fracture en deux ou trois États selon la filiation ethnique, quelles seront les conséquences de cela pour l'IFOR - ou la SFOR, comme elle s'appelle maintenant - et quel est votre avis ou l'avis de votre ministère sur la probabilité que cela se produise?
Ma deuxième question concerne aussi la Bosnie. J'aimerais savoir s'il y a encore des négociations ou des pourparlers sérieux pour accroître la participation des pays européens à la mission en Bosnie afin que nous puissions ramener nos troupes au pays, puisque c'est après tout un théâtre européen.
M. Axworthy: Je remercie M. Morrison pour son commentaire et ses questions. Je pense qu'ils sont fort à propos.
Nous comprenons tout à fait la nature délicate de cette question. Comme vous l'avez signalé, pour la Russie, la question de l'élargissement est une préoccupation, voire une véritable obsession. Cela est compréhensible. Pendant 40 ans, nous nous sommes fait face de part et d'autre d'un mur dans le contexte de la guerre froide, ce qui n'a pas manqué de créer un certain conditionnement. Ce n'est que depuis six ou sept ans que les choses ont changé. Nous commençons à nous départir de ce conditionnement et à essayer de trouver de nouveaux arrangements et une nouvelle architecture pour définir nos rapports.
Ce qui est important, c'est de faire en sorte que les échanges parlementaires auxquels vous avez participé contribuent à ce foisonnement d'idées. Ce sont des occasions de donner des assurances à nos homologues, et c'est pourquoi, comme le président et d'autres le savent, j'ai toujours été fortement en faveur que le comité voyage et reçoive d'autres délégations. Il est très important que nous puissions dialoguer.
Dans la même veine, M. Flis a mentionné qu'il accueille aujourd'hui une délégation hongroise. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de rencontrer les membres de cette délégation, mais je suis convaincu qu'ils vous diraient qu'il est très important à leurs yeux de faire partie de l'OTAN, que c'est un élément de leur stabilité.
M. Morrison: Mais la Russie est plus grande.
M. Axworthy: La Russie est plus grande, mais je pense que ces pays ont fait un énorme pas en avant sur le chemin de la démocratisation. Ils l'ont tous fait. Si nous devions leur fermer la porte, ce serait renier nos engagements.
Pour reprendre la métaphore d'une famille, je pense que plus nous collaborerons étroitement dans ces domaines, par le biais de l'OTAN et du Partenariat pour la paix, plus nous en sortirons mutuellement renforcés. Cela dit, je ne sous-estime aucunement le difficile processus auquel nous serons confrontés avec les Russes pour les amener à se sentir en confiance et en sécurité.
Dans mon allocution, j'ai mentionné que nous allions réitérer le message que vous avez transmis à l'occasion des diverses réunions de l'OTAN. Il faut contracter avec la Russie des ententes qui créeront entre nous des rapports spéciaux et qui susciteront chez eux la confiance. Cela ne s'inscrit donc pas du tout dans le vieux contexte de la guerre froide.
Au sujet de votre autre question concernant l'éclatement de la Bosnie sur des bases ethniques, c'est précisément ce qui s'est passé. C'était là l'objet de cette guerre et c'est le résultat du processus de purification ethnique.
M. Morrison: Oui, mais la théorie qui a cours maintenant, c'est qu'il s'agit d'un seul pays.
M. Axworthy: Grâce à l'Accord de Dayton, on cherche des moyens de jeter des ponts entre ces éléments. Cela ne sera pas facile. Il y a des opinions très ancrées à ce sujet, mais voyons les choses d'un point de vue positif. Des élections ont eu lieu. Nous avons appris à la réunion de Paris la semaine dernière que les présidents se rencontrent maintenant régulièrement. Manifestement, ils s'élèvent au-dessus de leurs factions. Ils échangent. Des efforts sérieux sont en cours pour créer un conseil des ministres qui rassemblerait toutes les parties. Il y a aussi un certain degré d'interconnexion au niveau local.
Je ne voudrais pas que l'on me taxe de naïveté, mais une certaine intégration se produit, et nous devons continuer de renforcer cela le plus possible. Voilà d'ailleurs l'une des raisons de prolonger le séjour des troupes. Si nous-mêmes, ou d'autres pays, devions partir maintenant, je pense que la puissance de ce sentiment ethnique accablerait le pays.
Voilà l'occasion de contribuer à jeter des ponts. Lorsque j'ai visité les installations de nos soldats à Bihac et ailleurs, j'ai constaté qu'ils apportent une contribution. Ce qu'ils font, c'est amener les gens à se rapprocher de diverses façons pour obtenir cette intégration. Nous sommes une tierce partie, si vous voulez. Dans certains de ces conflits, nous jouons le rôle de médiateur par notre simple présence, puisqu'il est reconnu que nous n'avons aucun parti pris politique d'un côté comme de l'autre. Voilà pourquoi il est important de conserver l'objectivité du groupe IFOR.
Je ne veux pas discuter de la probabilité que cela se produise. Je pense que le plus important, c'est de consacrer cette nouvelle extension à travailler de la façon la plus efficace possible et, comme je l'ai dit à votre collègue, M. Mills, à multiplier les efforts relatifs aux droits de la personne et aux zones de réfugiés, de façon à rassembler toutes les parties. Il faut tout simplement faire de notre mieux.
Il se peut qu'éventuellement les parties trouvent un nouveau modus vivendi découlant de l'Accord de Dayton. Je ne veux pas dire par là que tout sera conforme à ce qui a été défini ou élaboré aux réunions de Dayton, mais je pense que l'accord constitue un cadre qui nous permet d'intervenir et de contribuer à un assainissement de la situation.
Quant à une participation de l'Europe, je pense qu'elle se concrétisera. Ce qui importe, au cours de cette période de transition, c'est d'instaurer sur le terrain une police civile d'appoint, par opposition à une force strictement militaire. Qui doit s'en charger et quelle en serait la meilleure source, c'est une autre question. Peut-être que l'OSCE et d'autres organismes pourraient jouer un rôle plus substantiel.
Cette période de transition revêt énormément d'importance. Comme l'amiral King l'a dit, nous avons arrêté une guerre. Il est maintenant temps de bâtir la paix. Voilà le véritable enjeu de la prochaine période.
Le président: Quand le président quitte son poste, c'est habituellement le vice-président,M. Bergeron, qui le remplace. Mais étant donné qu'il veut participer à la période de questions, je resterai ici pour lui permettre de poser la prochaine question.
[Français]
Monsieur Bergeron.
M. Bergeron (Verchères): Bonjour, monsieur le ministre. J'aimerais revenir sur la question des criminels de guerre. Vous savez que dans ce conflit, comme dans plusieurs autres conflits à travers le monde, ce qui empoisonne les relations entre les différents groupes ethniques ou qui empêche fondamentalement la réconciliation nationale, c'est la question de l'impunité.
À partir du moment où on n'a pas la volonté politique pour faire en sorte que les responsables de crimes soient mis sous arrêt et traînés devant la justice, ce problème perdure et l'insatisfaction des gens à l'égard de la justice ou plutôt leur sentiment de l'injustice perdure et empêche la réconciliation nationale.
On vit un problème à peu près semblable actuellement et on aura certainement l'occasion de vous recevoir en comité pour aborder plus en détail la question des Grands Lacs, en Afrique, et voir jusqu'à quel point, là aussi, la question de l'impunité pose problème.
Je prends à titre d'exemple le tribunal des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Il y a, bien sûr, des torts d'un côté comme de l'autre, mais pour des raisons bien évidentes, l'action du tribunal est restreinte aux plaintes ou accusations contre des exilés hutus, puisque s'il y avait des accusations contre des Tutsis, le gouvernement en place au Rwanda empêcherait le tribunal d'avoir accès au territoire pour enquêter.
Le même problème se pose actuellement. Les territoires qui sont actuellement sous contrôle des Serbes ne sont pas vraiment accessibles à la communauté internationale et, conséquemment, les criminels de guerre courent toujours.
Donc, il y a la question plus générale, et je vous offre l'occasion de réitérer votre point de vue sur l'établissement d'un tribunal international permanent pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.
Plus spécifiquement, monsieur le ministre, est-il sérieusement envisagé par la communauté internationale, par le Canada particulièrement, d'entreprendre une expédition pour aller mettre la main au collet des criminels de guerre ou les laisse-t-on courir sous prétexte qu'on resserre tranquillement l'étau autour d'eux en réduisant leur liberté de mouvement? À ce rythme, monsieur le ministre, pouvons-nous espérer mettre la main au collet de ces criminels un jour?
[Traduction]
M. Axworthy: Je partage bon nombre des sentiments exprimés par M. Bergeron. La communauté internationale commence à peine à se colleter avec cette question de l'impunité. Par l'entremise d'une de nos agences, nous avons récemment appuyé la tenue d'un colloque pour discuter de ce que cela signifie.
Sans vouloir tomber dans la nostalgie, cela me rappelle que l'une de mes thèses de doctorat portait sur les procès de Nuremberg et leurs incidences sur l'évolution du droit international. J'ai bien peur qu'une trentaine d'années plus tard le problème ne nous retombe sur le nez. Il y a un écart énorme entre les procès de Nuremberg et ce qui se passe dans les deux pays en question. Je pense que nous avons perdu beaucoup de temps.
J'ai rencontré Louise Arbour, la nouvelle procureure, qui m'a fait savoir que c'est de ressources dont elle a désespérément besoin au Rwanda. Elle ne dispose tout simplement pas des enquêteurs ou des juristes nécessaires pour accomplir la tâche. Nous nous sommes engagés à lui en fournir.
Dans l'ex-Yougoslavie, le tribunal a pratiquement accès à tout le territoire. Ses membres peuvent aller où ils veulent. C'est l'arrestation des criminels qui fait problème, car aux termes de l'Accord de Dayton, c'est aux autorités locales qu'il revient au premier chef de faire les arrestations. Comme vous le savez, il y a eu un certain nombre de personnes accusées de crimes de guerre qui ont été appréhendées en Croatie, en Serbie et quelques-unes en Bosnie même, mais il reste une longue liste de personnes qui n'ont pas encore été appréhendées. Voilà le principal problème.
Comme je l'ai dit dans mon allocution, nous aimerions imposer un niveau accru de conditionnalité à ces autorités locales. Celles qui ne collaborent pas avec le tribunal en matière d'arrestation pourraient se voir pénalisées sur le plan de la reconstruction. Ainsi, il leur reviendrait d'expliquer à leur population que les logements tardent à venir parce que leurs mandataires locaux ne collaborent pas avec la police internationale dans l'exercice de ses fonctions ou avec le Tribunal des crimes de guerre.
L'autre possibilité consiste à restreindre la zone dans laquelle les criminels de guerre sont autorisés à travailler. En fait, c'est une décision qui s'inscrirait dans le mandat qui sera établi à la conférence sur le maintien de la paix qui aura lieu à Londres la semaine prochaine. Si nous pouvons restreindre la mobilité ou les déplacements des criminels de guerre, cela facilitera certainement leur arrestation.
On voudra peut-être envisager d'offrir une récompense en contrepartie d'informations pour que cela constitue un incitatif. Nous le faisons ici, dans notre propre système pénal; nous offrons une rétribution. Cela pourrait fonctionner là-bas.
Je conviens qu'il nous faudra trouver de meilleures techniques que celles que nous avons utilisées jusqu'à maintenant. Si nous ne résolvons pas le problème au cours de cette période de transition, comme je l'ai dit à M. Morrison, il sera très difficile d'être en mesure de procéder à cet ajustement et d'aller dans un endroit où la Bosnie a davantage d'autonomie. Si nous ne pouvons rétablir la confiance dans le système de justice, nous permettons aux criminels de conserver la main haute, et cela est inacceptable.
Le président: Madame Gaffney.
Mme Gaffney (Nepean): Ma question fait suite aux propos que d'autres ont déjà tenus, monsieur le ministre, au sujet de la nervosité de la Russie face à une expansion de l'OTAN. Nous avons eu des réunions à un très haut niveau, et, comme M. Morrison l'a dit, chaque fois, sans exception, nos interlocuteurs russes nous ont dit qu'à leurs yeux l'élargissement de l'OTAN constituait une menace pour la sécurité de leur pays.
J'aurais dû apporter mes notes, mais il y a une chose qui est restée gravée dans ma mémoire, et c'est que l'inquiétude est telle qu'un groupe de personnes m'a dit que si l'on allait de l'avant, la Russie allait accroître sa puissance nucléaire. À mon avis, il s'agit là d'une déclaration très menaçante, qui devrait nous préoccuper au plus haut point.
L'expansion de l'OTAN est-il inévitable? Dans l'affirmative, comment pouvons-nous rassurer les Russes et les convaincre que leurs frontières ne seront pas menacées par des voisins hostiles?
M. Axworthy: Tout d'abord, permettez-moi de dire au président suppléant qu'il serait extrêmement utile que les membres du comité prennent quelques minutes avant Noël pour relater par écrit leurs expériences.
Plusieurs d'entre vous ont fait des observations sur ce que vous avez entendu ou sur les réflexions que vous ont inspirées vos voyages en Europe ou en Russie, ainsi que vos rencontres avec les délégations de ces pays. Dans le contexte de ces négociations, il serait très utile au gouvernement de disposer de votre analyse ou de votre évaluation des opinions exprimées. Il serait très important de les intégrer à la discussion et d'énoncer les conclusions de nos propres politiques. Si vous souhaitez inclure des recommandations, je les accueillerai volontiers. Mais le simple fait de nous communiquer un compte rendu de l'évaluation que vous avez été en mesure de faire serait très utile.
Je reviens maintenant à la question cruciale que vous avez soulevée, soit l'élargissement de l'OTAN. Des engagements ont été pris, le processus est en cours, et un certain nombre de pays ont à cet égard des convictions très fermes. Il s'agit de pays démocratiques qui estiment qu'en tant que tels ils ont le droit d'adhérer à des organisations comme bon leur semble.
Nous savons par ailleurs que nos relations avec la Russie sont cruciales. J'ajouterai qu'il est également crucial de faire droit aux préoccupations en matière de sécurité de l'Ukraine, qui à l'heure actuelle ne souhaite pas joindre les rangs de l'OTAN, et des pays baltes. Trouver un modus vivendi avec les Russes est une condition essentielle au processus d'élargissement. Je pense que c'est possible. J'ai eu de très bonnes discussions avec le secrétaire d'État aux Affaires étrangères,M. Primakov. Je pense qu'il y a place pour cela.
Mais cela nous ramène à ce que nous disions tout à l'heure. Cela signifie qu'il faut changer en partie la structure de l'OTAN, bâtir de nouveaux rapports ou liens avec la Russie et les autres pays, et, comme nous le faisons dans le contexte de l'IFOR, il nous faut instaurer un modèle qui prouve que la coopération est possible.
En un sens, ce qui est intéressant au sujet de l'IFOR, c'est que la Russie y collabore avec des pays de l'OTAN. Aurait-on pu imaginer il y a huit ou neuf ans que les troupes russes collaboreraient avec des troupes canadiennes, américaines, et même allemandes? D'une certaine façon, l'IFOR est sans doute le creuset dans lequel se forgera l'avenir. C'est fort possible. Peut-être que l'IFOR, et maintenant la SFOR, nous servira de modèle et nous permettra de dire aux Russes que le fait de travailler ensemble à ce genre de projets est un gage de sécurité.
Le président suppléant (M. Flis): Merci beaucoup, monsieur le ministre.
Avant que le ministre et les témoins partent, je veux rappeler aux membres du comité, au nom de M. Graham, que nous ne nous sommes pas mis d'accord ce matin sur le texte définitif de la résolution sur Haïti. On y a travaillé, sur le plan de la recherche et de la rédaction, et nous allons donc faire une pause de 10 à 15 minutes. M. Graham sera alors de retour, et nous mettrons la résolution aux voix. Pendant la pause, la greffière va distribuer le texte de la résolution et la documentation connexe.
Par ailleurs, à la suite de notre voyage dans l'Arctique, le personnel de recherche s'affaire actuellement à rédiger un rapport pour chacun des deux groupes du comité. Nous devrions pouvoir vous en remettre copie dans environ une semaine et demie.
Merci beaucoup d'être venu, monsieur le ministre, et merci à tous vos collaborateurs.
[Français]
Le vice-président (M. Bergeron): À l'ordre, s'il vous plaît. Je m'excuse d'avoir interrompu les discussions et les placotages. Dans quelques minutes, on va reprendre avec M. Graham les discussions sur les documents qui nous ont été présentés. Mme Hilchie a remis à chacun et chacune d'entre vous la documentation, la nouvelle résolution, une lettre qui avait été adressée à M. Graham ainsi que des documents pertinents qui avaient été demandés ce matin par certains collègues.
Je pourrais demander, dans un premier temps, à M. LeBlanc de nous présenter les documents. Cela permettra à M. Graham de nous rejoindre pour que nous puissions entreprendre la discussion entre nous.
Monsieur LeBlanc.
M. Francis LeBlanc (secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères): À la lumière de nos discussions de ce matin, je me suis engagé à reprendre la résolution et à fournir au comité de l'information pour appuyer le texte de la résolution que nous allons proposer au comité sur le renouvellement du mandat en Haïti. Je vais reprendre les ajustements que nous avons faits à la résolution et parler brièvement des documents à l'appui.
[Traduction]
La résolution que nous avons sous les yeux a été révisée à la suite de nos discussions de ce matin, et j'y ai également ajouté de la documentation connexe.
Je vais commencer par le texte de la résolution elle-même. En plus de changer les dates, nous avons ajouté au texte de la résolution un paragraphe qui s'insère avant «Il est résolu que», afin de tenir compte des préoccupations soulevées par le Parti réformiste et par certains de nos collègues libéraux ce matin. Le paragraphe ajouté dit:
- Et attendu que l'appui continu de la population canadienne et du Parlement requiert la
démonstration que des progrès sont réalisés en Haïti dans la résolution des problèmes
structurels de longue durée, avec l'appui des institutions régionales et multilatérales,
En outre, dans le paragraphe principal, nous avons inséré la clause demandée par M. Paré, c'est-à-dire que la mission comprenne la réalisation d'infrastructures visibles pour la population haïtienne. Ce que nous voulons dire par là, et je crois que c'est ce que M. Paré veut dire, c'est que les participants à la mission seraient en mesure de participer à des projets de construction d'infrastructures en Haïti qui constitueraient une illustration concrète des améliorations apportées par leur présence. Je ne pense pas que ce soit un élément entièrement neuf du mandat, mais cela fait partie du mandat de la force. M. Paré me reprendra si j'ai mal interprété ses propos, mais nous avons inséré dans la résolution le libellé qu'il a proposé.
Voilà donc la résolution. Nous y avons ajouté une lettre que le ministre nous a fait parvenir à tous cet été. On y décrit le but de la mission renouvelée sur laquelle on s'était entendu en juin et qui a duré jusqu'à la de fin novembre. On y donne aussi des précisions sur le financement de cette force multinationale.
De plus, vous remarquerez qu'il y a un résumé d'une page des coûts et des effectifs associés à la mission qui prend fin le 30 novembre. Cela vous donne une idée des répercussions financières que cela aura pour le Canada, et aussi du nombre de personnes, soldats et agents de police, qui y participeront. C'était une mission de cinq mois, et la mission proposée dans la résolution est un peu plus longue, de six à dix mois. Le nombre exact de mois sera établi à l'intérieur de cette fourchette à la suite de discussions au Conseil de sécurité. Le coût pour le Canada pourrait donc être un peu plus élevé, mais il se situera à l'intérieur de la fourchette décrite dans ce document d'une page.
J'ai également joint à la résolution copie d'un rapport du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la mission en Haïti, rapport qui a été publié le 14 novembre. On y décrit de façon détaillée la situation en Haïti à ce moment-là, ainsi que le travail effectué par la mission et quels en sont les coûts.
J'ose espérer que ces renseignements additionnels répondront aux questions soulevées par les députés ce matin. Je suis disposé à essayer d'obtenir encore d'autres renseignements pour donner suite aux demandes des membres du comité. Je vais m'en tenir là.
Le président: Monsieur Assadourian.
M. Assadourian: Quelle est la différence entre les paragraphes 1 et 3 suivant «il est résolu que»? Il y est question d'une mission multinationale, et au paragraphe 3 il est encore question de la participation à une mission multinationale. N'y a-t-il pas répétition? Le paragraphe 3 est-il nécessaire?
M. LeBlanc: Je crois comprendre que cette partie de la résolution est essentiellement identique à celle que nous avons approuvée cet été. Essentiellement, la mission est mandatée par l'ONU et financée par l'ONU, mais un soutien supplémentaire est fourni par d'autres pays, à l'extérieur de ce mandat. Dans cette partie de la résolution, on dit que l'une des conditions de l'appui de notre comité au renouvellement de cette mission, c'est que les autres pays partagent la responsabilité en contribuant du personnel et des ressources financières. Le Canada n'est donc pas le seul à fournir des fonds additionnels.
M. Assadourian: Au paragraphe 1, on dit la même chose, à savoir que la mission multinationale financée par les Nations Unies...
M. LeBlanc: Mais je dis justement qu'elle n'est pas financée uniquement par l'ONU.
M. Assadourian: Y a-t-il un pays dans le monde qui n'est pas membre de l'ONU?
M. LeBlanc: Une partie du coût est payée directement à même les cotisations versées à l'ONU, et il y a ensuite les coûts qui sont assumés directement par certains pays, en sus de la première portion. C'est donc une mission mandatée par l'ONU et financée par l'ONU. Le Canada, par exemple, assume le coût d'une certaine portion des effectifs qu'il contribue à la mission, en sus de la portion qui est directement financée par l'ONU. En même temps, les États-Unis contribuent également financièrement à la mission, en sus du coût qui est assumé par l'ONU.
M. Assadourian: Je pense quand même que c'est répétitif.
M. LeBlanc: C'est peut-être répétitif, mais cela n'est pas...
Le président: Si je comprends bien, monsieur LeBlanc, au paragraphe 1 il est question d'une mission multinationale, tandis qu'au paragraphe 3, si l'on y fait également état d'une mission multinationale, on y envisage une contribution différente de celle qui est implicite dans la force elle-même. Par exemple, il pourrait y avoir une contribution financière qui ne viserait pas nécessairement la force multinationale, ainsi que le ministre nous l'a indiqué dans sa lettre...
M. LeBlanc: C'est exact.
Le président: ...quand il a laissé entendre que les États-Unis allaient faire une contribution complémentaire. Il y a donc deux sortes de contributions. En ce sens, je trouve que c'est utile, monsieur Assadourian, si je peux me permettre cette observation.
M. Assadourian: Si les membres du comité trouvent cela clair, je n'ai pas d'objection.
Le président: C'est ainsi que j'interprète cela.
Monsieur Morrison.
M. Morrison: J'essaie de comprendre les chiffres à la page 2 de la lettre d'accompagnement, même si cela porte évidemment sur la dernière mission. On dit que les États-Unis vont avancer 15 millions de dollars et que le Canada en mettra 2 millions. C'est donc une baisse nette par rapport au coût de la mission précédente, qui était de 13 millions de dollars. Si l'on retranche cela de 24 millions de dollars, cela donne 11 millions, mais on dit ici que le coût assumé par le Canada sera de seulement 7 millions. Qu'est-il arrivé des 4 autres millions?
M. Mills: J'ai déjà fait partie d'un conseil d'administration auquel on présentait des états financiers comme celui-ci, et il a fallu changer tous les membres du conseil parce que l'affaire s'en allait en faillite. Dès que les énoncés budgétaires ont été rectifiés, nous avons réussi à sauver la compagnie, mais si c'est le genre de comptabilité qu'on utilise ici, il n'est pas étonnant que nous ayons une dette de 600 milliards de dollars.
L'année dernière, c'était 35 millions de dollars, mais si l'on y ajoute les projets de l'ACDI, cela atteindra 80 millions pour Haïti. Aujourd'hui, cela coûte 7,2 millions de dollars; ce chiffre vient bien de quelque part.
Je ne comprends pas pourquoi le coût de ces missions peut varier tellement. Est-ce qu'on y inclut parfois certains éléments, et d'autres fois non? Est-ce parce que nous sommes déjà sur place que cela coûte tellement moins cher? Je n'y comprends rien. Peut-être qu'il y a quelque chose qui m'échappe, mais je ne sais pas combien cela coûte. Cela coûte tel montant pour les troupes, tel montant pour l'équipement, tel montant pour la location d'hélicoptères et tel montant pour la nourriture. Quel est le coût?
M. LeBlanc: Le coût est indiqué très clairement dans ce document d'une seule page.
Ce dont il est question dans cette lettre, c'est le coût additionnel que le Canada doit assumer, en sus de ce qu'il nous en coûterait de toute façon pour les troupes que nous contribuons à cette mission, si nous n'y participions pas. Ce coût additionnel est de l'ordre de 7,2 millions de dollars.
M. Mills: Et la force policière est entièrement payée par l'ONU, n'est-ce pas? Cela ne nous coûte rien?
M. LeBlanc: On vient de me dire qu'il y a certains coûts additionnels pour la force policière qui sont payés par l'ACDI, de l'ordre d'environ un million de dollars par mois.
M. Mills: Donc, cette force policière de 300 personnes nous coûte plus cher que la force armée de 750 soldats... en coûts additionnels.
Une voix: Les 7,2 millions de dollars sont étalés sur cinq mois.
M. Mills: Oui, et à un million de dollars par mois pour la police payés par l'ACDI pendant six mois, cela donne 6 millions de dollars, ou 5 millions de dollars pour une mission de cinq mois, ou à peu près.
Nous sommes allés patrouiller avec eux, Francis, et je ne comprends pas pourquoi un agent de police devrait coûter plus cher qu'un soldat. Il ne portait pas autant d'équipement.
Le président: Y a-t-il d'autres questions?
M. LeBlanc: Ce sont les réponses aux questions que vous avez soulevées.
M. Mills: Je sais. Ce n'est pas vous qui avez concocté ces chiffres. C'est la personne qui vous les a donnés que je trouve incompétente.
M. LeBlanc: Examinons ces chiffres. Avez-vous jeté un coup d'oeil sur ce document d'une page?
[Français]
Mme Debien: Monsieur LeBlanc, je ne sais pas si j'ai bien compris. Quand on dit que la contribution est de 7,2 millions de dollars, si vous ajoutez trois contingents policiers payés par l'ACDI au coût de un million de dollars par mois, on arrive exactement aux 12,7 millions de dollars dont le ministre Collenette parle à la page 2 de sa lettre. Cela n'a rien à voir? C'est bien, mais ce sont les 12,7 millions de dollars dont on parle à la page 2 de la lettre de M. Collenette qui sont problématiques. Comme M. Mills l'a dit, cela n'arrive pas.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, je me demande si nous pourrions nous mettre d'accord là-dessus. Il semble se dégager un consensus pour adopter une motion dans laquelle on approuverait notre participation à cette mission, pourvu que nous indiquions clairement les réserves que nous avons exprimées ce matin. Le texte actuel de la motion tient compte de ces réserves. À mes yeux tout au moins, cela semble indiquer qu'on a réglé la question.
La question qui se pose ensuite est de savoir si certains membres du comité veulent donner leur accord pour que nous restions, pourvu qu'on leur fournisse des chiffres satisfaisants, ou bien si nous voulons adopter cette résolution pour de bon et nous occuper des chiffres ultérieurement.
[Français]
Le président: Vous êtes en désaccord sur la résolution?
M. Paré: Pas du tout, pas du tout. Personnellement, monsieur le président, il me semble qu'on doit poursuivre.
Le président: C'est exactement la suggestion que je viens de faire: qu'on poursuive et qu'on réserve la question de l'examen des comptes.
M. Paré: Tout à fait, tout à fait.
[Traduction]
Le président: Il me semblait que nous devions aller voter à 17 heures.
Une voix: Votons sur la résolution.
Le président: Je suis prêt à la mettre aux voix, mais je veux m'assurer d'avoir bien compris le consensus qui se dégage de cette réunion.
Je crois qu'il est juste de dire que la résolution résout les problèmes que Mme Gaffney a soulevés ce matin, ainsi que certaines des préoccupations exprimées par M. Mills. Le seul point qui nous préoccupe maintenant, c'est la question des méthodes comptables.
[Français]
Monsieur Bergeron.
M. Bergeron: À la satisfaction de nos amis du Parti réformiste, le secrétaire parlementaire a apporté des modifications à la résolution de telle sorte qu'elle inclut leurs préoccupations. Je pense que le secrétaire parlementaire a également inclus dans la résolution les commentaires de mon collègue Philippe Paré et ceux des collègues libéraux.
On peut passer beaucoup de temps à ergoter sur les chiffres, mais on aura toujours l'occasion d'en discuter plus en détail par la suite. J'ai compris de l'intervention de M. Mills qu'il aurait peut-être souhaité avoir une ventilation plus détaillée des dépenses engagées par le Canada. C'est très certainement quelque chose que le ministère pourra lui fournir ultérieurement, mais je ne crois pas que cela devrait nous empêcher et empêcher nos collègues réformistes de voter en faveur de la résolution qui nous est présentée, parce que les chiffres d'ensemble, nous les avons sous les yeux.
Les grandes données dont nous avons besoin pour nous prononcer, nous les avons. Si nos collègues du Parti réformiste, de façon très légitime, souhaitent avoir des détails, je suis sûr que mon collègue, le secrétaire parlementaire, se fera un plaisir de leur fournir les chiffres dont ils pourraient avoir besoin pour satisfaire leur conscience.
[Traduction]
M. Assadourian: J'ai une solution à ce problème. Est-ce que 12,7 millions de dollars américains, cela n'équivaut pas à 17,8 millions de dollars canadiens? On dit ici que si l'on additionne 2,5 millions de dollars canadiens et 15,3 millions de dollars de contributions du Canada et des États-Unis, on obtient 17,8 millions de dollars. Il reste 4,3 millions de dollars. Cela représente une dépense d'un million de dollars pour la police, si je ne me trompe. Est-ce bien cela?
M. LeBlanc: Je l'ignore.
Monsieur le président, si le comité ressent vraiment le besoin d'avoir une explication pleine et entière de ces chiffres, je suis accompagné de M. Cousineau, du ministère, qui est en mesure de vous expliquer ces chiffres. Si vous voulez l'entendre, il peut prendre place à la table des témoins et expliquer tout cela aux députés.
Le président: Cela serait beaucoup plus logique. Supprimons l'intermédiaire, comme on dit.
M. LeBlanc: Je suis l'intermédiaire. Je vais me retirer de la ligne de feu.
Le président: Monsieur Cousineau, merci beaucoup. Peut-être pourriez-vous passer en revue ces chiffres à notre intention, pour que nous puissions comprendre le coût total de cette opération?
M. Philippe Cousineau (responsable de secteur, Haïti et République dominicaine, Direction des relations avec les Antilles et l'Amérique centrale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): L'une des complications fondamentales dans cette opération, c'est qu'elle est financée par deux sources: le fonds ordinaire pour le maintien de la paix, qui est la source de financement de la plupart des missions de maintien de la paix de l'ONU, et des contributions volontaires.
Comme on l'indique sur cette feuille, la force compte au total 1 300 soldats, ce qui comprend des troupes financées par deux sources. Six cent sont financés par l'ONU, dont 550 sont des Canadiens et 50 des Pakistanais, et 700 sont financés par des contributions volontaires.
Il y a deux sources de contributions volontaires: le Canada et les États-Unis. Les contributions du Canada représentent 7,2 millions de dollars. Comme l'a expliqué M. LeBlanc, c'est le coût complémentaire, le coût que représente la présence de ces troupes en Haïti plutôt qu'au Canada. La contribution des États-Unis est de 15,3 millions de dollars canadiens. On a également parlé de 11 millions de dollars américains, et c'est le même chiffre. C'est payé à un fonds en fiducie de l'ONU, et cela sert à rembourser le Pakistan des coûts que représente l'envoi de 500 soldats comme contribution volontaire.
Dans la lettre, le chiffre de 17,8 millions de dollars canadiens représente le fonds en fiducie de l'ONU. La contribution des États-Unis à ce fonds est de 15,3 millions, celle du Canada de2,5 millions. Ces 2,5 millions font partie des 7,2 millions qui représentent notre contribution volontaire. Ce sont des coûts assumés par l'ONU, mais qui sont directement liés aux 200 soldats canadiens fournis comme contribution volontaire. Aussi l'ONU paie-t-elle ce coût et se rembourse-t-elle à même ce fonds en fiducie.
Pour ce qui est de la police, tout le contingent est financé par l'ONU. Toutefois, nous avons constaté que les agents de police à l'étranger coûtent beaucoup plus cher que du personnel militaire. La raison est que leur salaire moyen est beaucoup plus élevé. Comme le disait le député du Bloc, les prestations de retraite et autres sont beaucoup plus élevées, et nous devons subventionner cela. C'est ce que paye l'ACDI; cela représente de 10 à 12 millions de dollars par an pour les 100 agents de police que nous avons à Haïti.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
M. Morrison: Est-il raisonnable à votre avis d'indiquer un coût nul pour les 500 soldats que nous avons là-bas et qui sont payés par l'ONU alors que nous savons parfaitement bien que nous ne serons pas payés? C'est ridicule.
M. Cousineau: Je crois qu'il s'agit de comptes recevables et que nous nous attendons à être payés à un moment ou à un autre.
M. Morrison: Bonne chance.
M. Flis: Maintenant que nous avons ces renseignements, je pense que nous devrions adopter la résolution.
M. Mills: Peut-on alors extrapoler et dire que si pour 200 cela coûte 7,2 millions de dollars, pour 550 cela coûterait tant, 14 ou 15 millions de dollars, par exemple?
M. Cousineau: Pas nécessairement, parce qu'il y a des coûts que l'on ne paie qu'une fois quand on envoie des gens à Haïti et qu'on les rapatrie. Ce n'est pas parce que l'on envoie deux fois plus de monde que cela coûte nécessairement deux fois plus cher.
Le président: Je ne pense pas que ce soit exactement la question, parce qu'on a déjà doublé l'effectif et que...
M. Cousineau: Il y a une infrastructure pour toute la mission. Ce n'est pas parce que l'on ajoute du monde qu'il faut nécessairement accroître l'infrastructure...
M. Mills: Mais M. Morrison dit qu'il s'agit de comptes recevables, et je lui souhaite bonne chance! Ne serait-il pas plus raisonnable de dire que cette mission nous coûte, pour les cinq mois de ce budget, quelque chose de l'ordre de 20 à 25 millions de dollars, si nous ne pouvons obtenir cela de l'ONU?
M. Cousineau: Vous partez du principe que nous ne pourrons nous faire rembourser cet argent.
M. Flis: Je ne pense pas que ce soit une bonne question.
M. Assadourian: Et si vous n'étiez pas payé, pourriez-vous payer vos factures? Soyez raisonnable.
M. Mills: J'essaie simplement d'être réaliste. C'est plus près de 35 millions de dollars.
Le président: C'est aux députés de décider chacun pour soi s'ils veulent ou non présumer que ce sera payé.
[Français]
M. Bergeron: À moins que les Nations unies déclarent faillite demain matin et qu'on ferme la boîte, je pense qu'on ne peut considérer d'emblée que nous ne serons pas remboursés, comme on ne peut considérer d'emblée que les États-Unis vont négliger indéfiniment de payer leur dû aux Nations unies.
On doit considérer que les États-Unis vont finir par rembourser les Nations unies et que, conséquemment, les Nations unies vont rembourser les pays qui ont contribué aux missions de paix. À moins d'être tout à fait catastrophiste et de penser que les Nations unies vont fermer la boîte demain matin, je pense qu'on peut envisager qu'on sera éventuellement remboursés.
[Traduction]
Le président: Je pense que nous avons suffisamment discuté de la question. Je propose de mettre la résolution aux voix.
Merci beaucoup, monsieur LeBlanc, d'être revenu nous proposer un libellé révisé.
Quels sont ceux qui sont favorables à la résolution?
Des voix: Adoptée.
[Français]
M. Bergeron: Monsieur le président, permettez-moi d'exprimer ma surprise. Je croyais sincèrement que la résolution qu'on avait sous les yeux répondait aux attentes de nos collègues réformistes, puisque des amendements, des corrections, des ajouts y avaient été apportés à la lumière de leurs recommandations et suggestions. Est-ce dire que, même après avoir fait en sorte que nous apportions des modifications à la résolution, ils avaient d'emblée décidé de voter contre, ce qu'ils ont fait finalement?
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup. La résolution est adoptée.
C'est tout jusqu'à 9 heures jeudi, où nous passerons à la nomination par décret du conseil.
[Français]
M. Juneau comparaîtra à 9 h jeudi matin pendant une heure, n'est-ce pas?
[Traduction]
Nous avons mis deux heures de côté pour M. Juneau. Je serais très surpris que cela nous prenne aussi longtemps.
[Français]
M. Bergeron: Avant que vous ne leviez votre marteau, je voudrais simplement dire que ma collègue de Laval-Est a observé quelques incongruités de langue française dans le texte. Donc, vous seriez bien gentil de vouloir prendre en note ses commentaires, qui ne sont que d'ordre...
Mme Debien: Grammatical.
Le président: On pourra rectifier le texte français plus tard avec vos collègues. C'est étonnant; c'est la première fois que cela se produit à ce comité.
M. Bergeron: C'est là que le bât blesse, monsieur le président.
Le président: Monsieur LeBlanc.
M. LeBlanc: J'aimerais attirer votre attention sur l'invitation qui a été faite par le National Press Club. Jeudi matin, au petit déjeuner, le ministre des Affaires étrangères va adresser la parole en ce qui a trait à nos missions en Haïti, à l'IFOR, etc. Si cela vous intéresse, vous êtes les bienvenus.
[Traduction]
Le président: Cela va vous coûter...
[Français]
M. Paré: Y aura-t-il de l'interprétation lors de cette activité?
M. Bergeron: C'est une bonne question. Avez-vous une bonne réponse?
M. LeBlanc: Je ne le sais pas. Malheureusement, je n'ai pas la réponse.
Le président: Y a-t-il l'interprétation simultanée au National Press Club? Je n'ai jamais vu cela.
M. Bergeron: On peut d'emblée penser que M. Axworthy va faire au moins la moitié de son discours en français.
[Traduction]
Le président: La séance est levée jusqu'à 9 heures jeudi.