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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 5 novembre 1996

.1151

[Traduction]

Le président: Nous reprenons notre séance pour entendre des témoignages au sujet du projet de loi C-32. Nous avons le plaisir d'accueillir pour commencer des représentants de l'ACCVL, l'Alliance canadienne contre le vol de logiciels. Nous avons avec nous le président de l'Alliance, M. Jeff Dossett, qui est également directeur général de Microsoft Canada Inc., ainsi que son secrétaire et chef du contentieux, M. Michael Eisen. M. Eisen va commencer.

M. Michael Eisen (secrétaire et chef du contentieux, Alliance canadienne contre le vol de logiciels (ACCVL)): Merci.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, comme vous le savez sûrement, le mandat de l'ACCVL est de combattre le piratage informatique au moyen d'activités de sensibilisation, d'un programme de vérification volontaire et d'actions en justice. Parmi les membres de l'ACCVL, notons Apple Canada Inc., Autodesk Canada Inc., Claris Canada, Inc., Delrina (Canada) Corporation, Eicon Technology Corporation, Lotus Development Canada Limited, Microsoft Canada Inc., Novell Canada Ltd. et Symantec Canada Ltd. Ensemble, ces entreprises distribuent une part importante des logiciels utilisés au Canada.

La Loi sur le droit d'auteur est le principal outil juridique de protection des auteurs et des réalisateurs de logiciels au Canada. Par conséquent, il est essentiel de disposer de solides dispositions législatives sur le droit d'auteur et de mesures de coercition efficaces afin de permettre au marché canadien du logiciel de prospérer. Malheureusement, toutefois, les recours de nature civile prévus dans la Loi canadienne sur le droit d'auteur sont inadéquats puisqu'ils ne prévoient pas de dommages-intérêts. C'est pourquoi les détenteurs de droits d'auteur hésitent souvent à faire valoir des revendications pourtant valables, en raison des difficultés et des dépenses associées à la nécessité de prouver les dommages qu'ils ont subis ou les profits réalisés par l'accusé. Cela signifie également qu'il est impossible d'atteindre les principaux objectifs de la politique relative au droit d'auteur, à savoir assurer le respect de la loi et procurer un dédommagement aux détenteurs de droits d'auteur qui ont été lésés.

L'article 38.1 proposé dans le projet de loi C-32, que l'ACCVL appuie sans réserve, ajoutera un régime de dommages-intérêts légaux à la Loi canadienne sur le droit d'auteur. Les dommages-intérêts légaux, soit des montants prévus dans la loi pour lesquels un contrefacteur peut être tenu responsable relativement à des dommages prouvés, sont inclus dans les lois américaines sur le droit d'auteur depuis 1790 et semblent avoir donné de bons résultats dans ce pays.

Il est clair qu'un régime de dommages-intérêts légaux est nécessaire au Canada. Les actions en justice relatives à la contrefaçon sont généralement très dispendieuses et il arrive souvent que l'échelle des montants offerts aux demandeurs qui ont gain de cause ne prévoie qu'un remboursement partiel des coûts engagés en réalité. Par conséquent, il arrive que des revendications fondées ne soient pas invoquées. En outre, les pertes causées par la contrefaçon ou les profits illégaux de l'accusé sont souvent tellement conjecturaux qu'il est difficile, voire impossible, de les évaluer. C'est aussi pour cette raison que les détenteurs de droits d'auteur hésitent souvent à revendiquer des droits pourtant légitimes.

L'introduction d'un régime de dommages-intérêts légaux contribuera à résoudre ces problèmes. D'abord, ce régime garantira aux demandeurs qui auront gain de cause un recouvrement minimum. Deuxièmement, son existence constituera un moyen de dissuasion puissant pour les contrefacteurs, ainsi qu'un motif convaincant pour inciter les parties à régler à l'amiable. Finalement, il est probable qu'un régime de dommages-intérêts légaux simplifiera les actions en justice et profitera tant aux parties en cause qu'à l'appareil judiciaire en général.

Pour toutes ces raisons, l'ACCVL se réjouit de la proposition visant à modifier la Loi canadienne sur le droit d'auteur afin qu'elle inclue un régime de dommages-intérêts légaux.

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Il faut toutefois noter que les créateurs de logiciels sont souvent victimes de plusieurs délits de contrefaçon liés à une seule oeuvre dont les coûts sont relativement élevés, contrairement à d'autres créateurs qui sont victimes d'un seul délit de contrefaçon touchant plusieurs oeuvres dont les coûts sont relativement bas. Par conséquent, pour qu'un régime de dommages- intérêts légaux procure aux créateurs de logiciels une protection efficace, la limite supérieure fixée dans le cadre de ce régime doit être suffisamment élevée pour dissuader véritablement les pirates.

Il est donc raisonnable de se demander si la limite supérieure de 20 000$ prévue à l'article 38.1 est suffisante, puisqu'elle s'applique à toutes les violations relatives à une action intentée à l'égard d'une oeuvre donnée ou d'un autre objet du droit d'auteur. Or, on a évalué récemment que près de 60 p. 100 des logiciels utilisés au Canada sont piratés, ce qui entraîne des pertes de revenus annuels de plus de 300 millions de dollars. L'ajout d'un régime de dommages-intérêts légaux à la Loi sur le droit d'auteur en vigueur au Canada permettra de s'attaquer directement à ce sérieux problème.

D'ailleurs, les décideurs canadiens sont d'accord sur le principe des dommages-intérêts légaux depuis plus de dix ans. En effet, dès 1985, le Sous-comité sur la révision du droit d'auteur recommandait dans son deuxième rapport, intitulé Une Charte des droits des créateurs et créatrices, qu'un système de dommages- intérêts légaux soit institué au Canada.

On pouvait lire à la page 106 de ce rapport: «De nombreux mémoires au sous-comité recommandaient l'adoption d'une nouvelle forme de recours, à savoir, des dommages et intérêts dont les montants seraient prévus dans la loi. Cette proposition est tout à fait conforme à l'intention qu'a le sous-comité d'élaborer une Charte des droits des créateurs et créatrices, ainsi qu'à sa volonté d'établir des moyens d'assurer le respect de cette charte. Le sous-comité partage l'opinion des nombreux témoins qui considéraient que l'adoption d'un tel régime de dommages et intérêts permettrait de résoudre beaucoup des problèmes concrets relatifs à l'application de la Loi sur le droit d'auteur.»

Plus récemment, le Sous-comité sur la révision du droit d'auteur du Groupe de travail sur la culture et le contenu canadiens constitué par le Comité consultatif sur l'autoroute de l'information préconisait entre autres choses dans son rapport final l'adoption de dispositions en matière de dommages-intérêts légaux reposant sur le modèle américain.

Ainsi prend fin mon intervention. J'espère que mes commentaires vous ont été utiles. Je vous remercie d'avoir invité l'ACCVL à présenter son point de vue aujourd'hui relativement au projet de loi C-32.

Le président: Merci, monsieur Eisen.

Nous allons maintenant passer aux questions. Monsieur Leroux.

[Français]

M. Leroux (Richmond - Wolfe): C'est toute une dimension, tout un monde. D'abord, je vous remercie du mémoire que vous déposez et d'avoir exploré une dimension très importante du problème, parce que c'est un domaine qui nous est moins familier et qui comporte plus d'aspects actuels, modernes, en développement. J'aimerais que vous puissiez nous expliquer concrètement tout cet aspect du piratage en nous l'illustrant par des exemples. Vous parlez d'un coût de300 millions de dollars. J'aimerais que vous nous exposiez comment on opère. Quelle est l'ampleur du phénomène, qui en fait, à quelles occasions, dans quelle situation, etc.?

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Après cela, j'aimerais que vous me parliez des moyens à notre disposition pour agir contre le piratage. Vous en avez énuméré dans votre mémoire. En un mot, j'aimerais que vous approfondissiez le sujet afin qu'on puisse bien en saisir l'enjeu et l'ampleur.

[Traduction]

M. Jeff Dossett (président, Alliance canadienne contre le vol de logiciels (ACCVL)): Comme l'a indiqué Michael Eisen, nous estimons qu'environ 60 p. 100 des logiciels utilisés au Canada ont été piratés selon l'une ou l'autre des multiples méthodes de reproduction que les pirates ont à leur disposition. Cela peut être aussi simple que de prendre un logiciel sur disquettes et de le faire circuler dans un groupe de personnes qui n'ont pas acheté ce logiciel par des moyens légitimes et appropriés. Mais, comme vous l'avez mentionné, les véhicules dont disposent aujourd'hui les pirates pour produire des logiciels en grandes quantités s'améliorent constamment.

En fait, j'ai rendu visite plus tôt cette semaine à un fabricant de disques CD-ROM qui m'a dit qu'il était maintenant capable de reproduire un logiciel sur CD-ROM à un rythme de 5 000 unités à l'heure, avec une très bonne qualité de reproduction. Le coût de cette reproduction est de moins de 1$CAN l'unité, ce qui représente un manque à gagner très important pour l'industrie. Par exemple, un logiciel de ce genre produit par des moyens légitimes peut se vendre de 200$ à 500$ l'unité.

Il est donc très simple de nos jours de prendre une de nos oeuvres protégées par le droit d'auteur, de la reproduire en quantités incroyables et de la distribuer sur le marché.

Cette situation a d'énormes répercussions économiques pour notre industrie, mais je pense qu'en définitive, ce qui compte vraiment, ce sont les conséquences pour les consommateurs. À l'heure actuelle, les éditeurs de logiciels fixent le prix de leurs produits de manière à refléter ce taux de piratage de 60 p. 100. Nous tenons compte de cette réalité déplorable en déterminant la marge bénéficiaire que nous prendrons sur notre innovation. Donc, il est clair que les consommateurs canadiens paient plus cher pour leurs logiciels à cause de ce piratage.

Il y a aussi d'autres répercussions importantes. Par exemple, les consommateurs n'ont pas accès au soutien technique et à la documentation offerts par l'éditeur original du logiciel. Même si nous aimons à croire que nous faisons des produits de plus en plus faciles d'utilisation, l'accès au soutien technique offert par le fabricant est extrêmement important, et il disparaît lui aussi à cause du piratage.

Le commentaire que nous entendons le plus souvent, dans notre association, porte sur le risque accru que les consommateurs se retrouvent avec des logiciels incomplets ou infectés. À titre de fabricant, et de représentant à la fois de l'ACCVL et d'un important éditeur de logiciels, je peux vous dire que nos méthodes de contrôle de la qualité sont très strictes. Cependant, ce n'est pas nécessairement le cas dans le monde des logiciels piratés, et des consommateurs de tout le pays reçoivent des logiciels incomplets, contaminés par des virus, qu'ils croient fabriqués par des organisations comme Microsoft. C'est à mon avis une conséquence très importante à laquelle il faut aussi tenter de remédier par ce projet de loi.

M. Eisen: J'aimerais ajouter un bref commentaire aux observations de M. Dossett; il faut comprendre qu'il y a plusieurs types de piratage informatique. Il y a celui qui se pratique à l'intérieur des entreprises, c'est-à-dire quand une organisation se procure un exemplaire légitime d'un logiciel et l'installe dans 100 à 250 ordinateurs. Il y a la contrefaçon de logiciels, qui est redevenue très populaire. Il y a le chargement de logiciels sur disque dur, qui se fait lorsque des vendeurs de produits informatiques peu scrupuleux copient gratuitement sur le disque dur des ordinateurs qu'ils vendent des exemplaires de logiciels non autorisés, livrant ainsi une concurrence déloyale aux entreprises qui fonctionnent en toute légitimité. Il y a aussi le téléchargement de logiciels piratés par l'entremise des babillards électroniques; c'est un phénomène de plus en plus fréquent. Il y a enfin la location de logiciels. Il y a donc toute une gamme d'activités de piratage qui entraînent d'énormes pertes pour notre industrie.

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La deuxième partie de votre question portait sur les moyens que l'industrie pourrait prendre pour réagir à cette situation et, en particulier, sur la raison pour laquelle les dommages-intérêts légaux devraient être un outil extrêmement utile. Ils vont être utiles parce qu'ils vont avoir un effet dissuasif qui permettra de réduire les inconvénients et les coûts que doivent assumer les éditeurs de logiciels, qui sont les créateurs des oeuvres. Ils vont en fait réduire le temps qui serait autrement passé en cour et décourager les litiges parce que certaines personnes qui contreviennent clairement aux dispositions du droit d'auteur vont se rendre compte, peut-être pour la première fois, que les créateurs ont des recours efficaces contre eux.

Dans bien des cas, jusqu'ici, le problème n'est pas que les pirates ne sont pas conscients que ce qu'ils font est mal. Ils le savent très bien. Mais ils savent aussi que la loi ne prévoit aucun recours efficace contre eux. Les dommages-intérêts légaux vont offrir ce recours.

[Français]

M. Leroux: Le problème est international. Ce que vous décrivez se passe au Canada, mais on peut croire que le problème est international. Est-ce que les mesures législatives ou les moyens que vous proposez vont être efficaces dans un contexte où le piratage est un phénomène très étendu?

[Traduction]

M. Eisen: Je ne sais pas si j'ai bien compris votre question, mais il s'agit certainement d'un problème international. Je vous signale cependant que le taux de piratage aux États-Unis, où il existe un régime de dommages-intérêts légaux, était d'environ 35 p. 100 en 1994, l'année pour laquelle nous avons enregistré ici le taux de 60 p. 100 dont je vous ai parlé.

À mon avis, et d'après mes discussions avec des organisations comme la nôtre et des organismes chargés de l'application de la loi aux États-Unis, l'existence de dommages-intérêts légaux dans ce pays a permis à des organisations semblables à l'ACCVL de mettre sur pied un programme de vérification volontaire. Ces organisations ont communiqué avec des pirates connus, leur ont fait prendre conscience du tort qu'ils causaient et leur ont offert la possibilité de redresser la situation volontairement. Le plus souvent, les pirates étaient prêts à le faire en raison de l'effet dissuasif des dommages-intérêts légaux. Il n'a donc pas été nécessaire d'aller devant les tribunaux, et la situation s'est corrigée. Je pense que c'est en grande partie attribuable au fait que, par des mesures de sensibilisation et d'autres initiatives, le grand public a été mis au courant de l'existence de ce régime, ce qui a été très utile.

Nous n'avons pas de régime de ce genre au Canada. À mon avis, ce n'est certainement pas étranger au fait que le taux de piratage est nettement plus élevé ici qu'aux États-Unis.

Le président: Monsieur O'Brien.

M. O'Brien (London - Middlesex): Merci, monsieur le président.

Je vous remercie de votre présentation. Mon collègue vient de poser une des questions que j'avais l'intention de vous poser au sujet des expériences comparables ailleurs.

Vous dites que ce taux de piratage de 60 p. 100 a entraîné des pertes de 300 millions de dollars en 1994. Comment pouvez-vous être certains de ce chiffre?

M. Eisen: Premièrement, je vous ai cité ce chiffre même si je suis bien conscient que ce n'est qu'un point de référence. Il n'a pas une précision scientifique absolue. Je peux vous expliquer comment nous y sommes arrivés, et vous pourrez ensuite lui accorder le poids que vous voudrez.

Nos calculs sont fondés sur la quantité de logiciels et de matériel expédiés dans un pays quelconque; nous nous procurons ces données auprès de nombreuses sources commerciales. Nous nous fondons sur le prix des logiciels au détail, de manière à refléter les pertes pour l'ensemble de l'industrie des logiciels - tant pour les éditeurs que pour les distributeurs.

L'équation est la suivante. Le nombre de logiciels divisé par le nombre d'unités de matériel, selon les données dont je vous ai parlé, égale le nombre d'applications par ordinateur. C'est par là que nous commençons.

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Pour déterminer le nombre d'applications illégales par ordinateur, nous soustrayons le nombre réel d'applications de leur nombre estimatif, calculé encore une fois en fonction de chiffres qui sont du domaine public. Nous divisons ensuite le nombre d'applications illégales par le nombre estimatif pour obtenir le pourcentage estimatif des applications illégales en utilisation. Et nous soustrayons ce pourcentage de 100 p. 100 pour obtenir le pourcentage des applications utilisées légalement.

Le président: C'est tout à fait clair.

M. O'Brien: Je n'ai pas beaucoup aimé mon cours de mathématiques de 12e année; je vais donc en rester là. C'est bien assez compliqué pour moi.

Mais j'aimerais poursuivre sur le même sujet. Je comprends votre raisonnement, et je comprends aussi qu'à part le montant de l'amende maximale, qui a été fixée à 20 000$, vous semblez dire que le projet de loi C-32 répond à vos préoccupations.

Si ce projet de loi permet effectivement d'abaisser le taux de piratage, pensez-vous que les consommateurs canadiens vont pouvoir profiter d'une diminution du prix des logiciels?

M. Eisen: Comme je représente un membre relativement important de l'industrie canadienne du logiciel, je me sens très à l'aise pour vous dire que nous avons l'intention d'abaisser nos prix pour assurer de nouveaux débouchés à nos produits, si nous n'avons plus à inclure le coût du piratage dans les prix que nous demandons aux consommateurs.

Notre industrie excelle dans l'innovation et dans la conception de logiciels formidables, mais cela exige des investissements très importants en termes de recherche et développement. Nous fixons nos prix en fonction de deux grands facteurs. Il y a d'abord le rendement de nos investissements en matière de R-D, et ensuite la taille du marché sur lequel nous espérons vendre nos produits. Il est clair que nos prix sont actuellement plus élevés qu'ils le seraient si nous pouvions abaisser le taux de piratage informatique au Canada.

M. O'Brien: Je comprends. Ma prochaine question est peut-être difficile, mais pouvez-vous nous donner une idée approximative, au moins, des baisses de prix auxquelles les consommateurs pourraient s'attendre une fois que le projet de loi C-32 sera en vigueur et que le taux de piratage aura diminué? Pouvez-vous nous donner un pourcentage? Vous devez avoir une idée de ce que cela représente comme manque à gagner.

M. Dossett: Pour l'ensemble de l'industrie, cela représente plus de 50 p. 100 des débouchés. Quant à vous préciser quels seraient exactement les effets de la loi à plus ou moins long terme, c'est difficile à dire, mais je suppose que ce serait autour de 20 p. 100 ou même plus. Il y a énormément de facteurs qui entrent en ligne de compte dans l'établissement de nos prix, et vous savez que notre industrie est une des plus compétitives qui soient, ce qui est à l'avantage des consommateurs. Mais je sais que le piratage se reflète très clairement dans nos prix.

M. O'Brien: Nous avons hâte de voir un tableau aussi rose, c'est-à-dire moins de piratage et des baisses de prix pour les consommateurs. Merci beaucoup.

M. Dossett: Nous aussi. Merci.

Le président: Monsieur O'Brien, vous nous ferez un petit exposé sur tous ces calculs après la séance.

Monsieur Arseneault.

M. Arseneault (Restigouche - Chaleur): Merci, monsieur le président. J'ai seulement quelques petites questions sur le taux de 60 p. 100.

Vous avez mentionné différentes formes de piratage, à savoir les échanges entre collègues, la contrefaçon, le téléchargement d'un disque dur à l'autre, les babillards électroniques et les agissements des détaillants qui essaient de prendre l'avantage sur leurs concurrents. Laquelle de ces formes est la pire, à vos yeux? Où se situent ces 60 p. 100? Le piratage est-il réparti à peu près partout? Quels seraient vos objectifs en ce qui concerne le projet de loi? Qu'est-ce que vous voudriez éliminer exactement?

M. Eisen: D'après notre recherche, la forme la plus fréquente de piratage est celle qui se pratique à l'intérieur des entreprises ou des autres organisations, qui se servent d'exemplaires non autorisés pour leurs activités courantes. C'est cet aspect-là du problème que les dommages-intérêts légaux nous permettraient de régler le plus efficacement. C'est celui auquel le régime de dommages-intérêts légaux a permis de s'attaquer aux États-Unis, grâce à des programmes de vérification volontaire. Donc, ce type de piratage est le plus courant. C'est peut-être aussi le plus vulnérable, ou du moins celui qu'un régime de dommages-intérêts légaux permettrait de contrer le plus efficacement.

.1215

M. Arseneault: Par rapport à la loi existante, vous avez dit que vous aimeriez voir le maximum fixé un peu plus haut que les 20 000$ prévus dans le projet de loi C-32. Vous ne nous avez pas cité de chiffres précis. Si vous en avez un, nous aimerions bien le connaître. Quel est le maximum actuel? Si un plaignant se présente devant le tribunal et se fait accorder des dommages-intérêts, est- ce qu'il y a un maximum actuellement, et pourriez-vous...

M. Eisen: Tout dépend. Premièrement, il faut faire une distinction entre les procédures civiles et les procédures pénales. Comme vous le savez probablement, les dispositions pénales de la Loi sur le droit d'auteur prévoient une amende maximum de 1 million de dollars en cas de mise en accusation. Il n'y a évidemment jamais eu d'amende de 1 million de dollars, mais cela vous donne une idée de ce que les rédacteurs de ces dispositions jugeaient approprié.

Du côté civil, les dommages-intérêts sont fonction de la perte subie, ce qui peut être établi dans le cadre d'un procès avec présentation de preuves documentaires, interrogatoire préalable oral, et ainsi de suite, et qui est directement lié à la gravité de la contrefaçon et à la valeur du produit en cause. D'après ma propre expérience, je peux vous dire que nous avons déjà négocié avec une entreprise pirate un règlement de 40 000$. C'est bien sûr la limite supérieure en ce qui concerne les négociations auxquelles j'ai participé, mais vous comprenez sûrement pourquoi je trouve qu'une amende de 20 000$ serait insuffisante, d'autant plus qu'il s'agissait d'une entreprise moyenne qui avait installé quelques exemplaires non autorisés, et non d'une grande entreprise qui aurait pu en installer sur 100, 200 ou 300 ordinateurs.

M. Arseneault: Quelle est la position de l'ACCVL au sujet de la copie privée et de la possibilité - puisque je suppose que vous avez examiné aussi d'autres aspects du projet de loi - de percevoir des redevances sur les cassettes vierges? Pensez-vous que nous pourrions faire quelque chose du même genre au sujet des disquettes, surtout pour les copies de logiciels réalisées à domicile?

M. Eisen: C'est une possibilité intéressante, mais je pense que c'est peu probable. Je ne sais pas si l'industrie du logiciel le recommanderait, mais je peux vous dire, sur le plan pratique, que l'ACCVL n'entend pas s'attaquer aux gens qui se servent d'un ordinateur uniquement pour leur usage personnel. Dans tous les cas où nous avons mené des enquêtes sur des cas de piratage qui nous avaient été signalés, et dans tous les cas où ces enquêtes ont débouché sur des poursuites au civil ou au criminel, il s'agissait d'activités commerciales; c'est la politique de l'ACCVL.

M. Arseneault: Vous admettez donc qu'il se fait beaucoup de copies à domicile.

M. Eisen: Je suis sûr que oui.

M. Arseneault: Est-ce qu'il ne serait pas utile de percevoir des redevances?

M. Eisen: Peut-être. J'espère qu'une bonne partie de ces copies à domicile disparaîtront quand les gens seront plus sensibilisés à ce qui se fait et à ce qui ne se fait pas avec des logiciels. Il y a encore bien des gens qui ne se rendent pas compte que c'est illégal. Par suite des campagnes de sensibilisation que l'ACCVL compte entreprendre, par exemple dans les écoles, nous avons bon espoir que cet aspect du problème va disparaître de lui- même dans une large mesure.

M. Arseneault: Merci.

[Français]

Le président: Monsieur Leroux.

M. Leroux: Monsieur Eisen, je voudrais revenir aux options de recours, qu'on qualifie de «pénale», de «civile» et d'«option d'intérêt préétabli».

.1220

On sait pertinemment, et vous l'avez vous-même fait remarquer, qu'aux recours est toujours attachée la possibilité de les exercer; il en coûte toujours quelque chose de réclamer ses droits.

Dans les options proposées, qu'elles soient pénales, criminelles ou d'intérêt préétabli, quelle est la forme de recours la moins coûteuse et la plus efficace selon votre évaluation?

[Traduction]

M. Eisen: Je pense qu'il est important - et c'est ce que vous faites, de toute évidence - de se rappeler clairement la distinction entre les recours civils et les recours pénaux, et de comprendre que les dommages-intérêts légaux sont du domaine civil. Cela n'a rien à voir avec les poursuites au pénal.

Pour ce qui est du recours civil le plus efficace, ce sera à mon avis un régime de dommages-intérêts légaux, pour toutes sortes de raisons. S'il prend force de loi, ce sera le recours le plus efficace parce que c'est celui qui offre le plus de chances de régler le problème avec un minimum d'inconvénients, de coûts et de temps passé devant les tribunaux.

Je vous dis cela d'après mon expérience personnelle et d'après les recherches dont j'ai entendu parler au sujet de la situation aux États-Unis. La valeur dissuasive des dommages-intérêts légaux et le fait qu'ils encouragent fortement les arrangements à l'amiable en feront le recours le plus efficace pour les éditeurs de logiciels et aussi, à mon avis, pour le système judiciaire canadien.

M. Leroux: Merci.

Le président: Je voudrais vous poser deux questions rapides avant que vous partiez.

Premièrement, vous semblez dire que le maximum de 20 000$ est trop bas. Mais, si je comprends bien, c'est aussi le maximum fixé aux États-Unis: 20 000$ US. Savez-vous s'il y est question de hausser ce maximum, et quel serait à votre avis le maximum à retenir?

M. Eisen: Vous avez tout à fait raison de dire qu'un des maximums prévus aux États-Unis est de 20 000$. Dans le mémoire que je vous ai soumis au nom de l'ACCVL à la fin d'août - j'espère que vous avez pu en prendre connaissance - , j'ai parlé de la disposition en vigueur aux États-Unis. Mais si vous examinez bien la question, vous constaterez qu'il y a là-bas une fourchette moyenne de 500$ à 20 000$ et un maximum de 100 000$ US pour les cas de contrefaçon intentionnelle. De même, la loi prévoit une amende de 200$ seulement dans certaines circonstances où il est indiqué d'imposer une peine moins lourde.

Donc, le régime américain prévoit une fourchette moyenne de 500$ à 20 000$, ce qui ressemble à ce qui est proposé dans le projet de loi C-32. Il comprend toutefois aussi une disposition qui permet de porter le maximum à 100 000$ quand les circonstances le justifient, ou de l'abaisser à 200$ dans d'autres circonstances. Comme nous le recommandons dans notre mémoire, il devrait si possible y avoir des dispositions semblables dans le régime canadien de dommages-intérêts légaux pour qu'il soit possible de s'écarter au besoin de la fourchette moyenne, dans un sens ou dans l'autre, pour sévir contre un contrevenant particulièrement malveillant ou pour tenir compte de circonstances atténuantes justifiant une amende moins élevée.

Le président: Pour finir, vous attendez-vous à ce que la mise en place d'un régime de dommages-intérêts légaux ait le même effet qu'aux États-Unis et permette d'abaisser le taux de piratage, peut- être jusqu'à 35 p. 100?

M. Eisen: C'est certainement ce que j'espère.

M. Dossett: Je dirais que c'est un des nombreux éléments d'une solution plus vaste. Nous avons parlé tout à l'heure de la nécessité de sensibiliser les gens, mais dans le cas des entreprises qui commettent intentionnellement des actes illégaux, nous pensons que l'effet sera le même qu'aux États-Unis. Au risque de me répéter, je pense qu'il est important de souligner que cela nous fournirait un outil permettant d'obtenir des arrangements appropriés à l'amiable, ce qui réduirait les recours inutiles aux tribunaux.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Eisen. Merci également à M. Dossett. Nous avons beaucoup apprécié votre témoignage.

M. Eisen: Merci.

M. Dossett: Merci.

.1225

[Français]

Le président: Nous accueillons maintenant la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.

[Traduction]

Nous entendrons maintenant M. Bill Henderson, qui est président de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, la SOCAN, et qui est aussi compositeur;

[Français]

M. François Cousineau, ancien président, lui aussi compositeur;

[Traduction]

M. Holger Peterson, membre du Conseil, qui est éditeur et président de Stony Plain Records;Mme Alexina Louie, membre du Conseil, qui est compositrice de musique sérieuse;M. Michael Rock, directeur général; et M. Paul Spurgeon, chef du contentieux.

Nous sommes extrêmement heureux de vous accueillir aujourd'hui, puisque la SOCAN est la première société de gestion au Canada et qu'elle constitue une pièce importante du casse-tête pour notre examen du projet de loi C-32.

Monsieur Henderson, vous avez la parole.

M. Bill Henderson (président, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN)): Merci, monsieur le président. Bon après-midi à vous et à tous les membres du comité. Je m'appelle Bill Henderson. Je suis un compositeur de la Colombie- Britannique et je suis président de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, la SOCAN.

Au nom de la SOCAN, je tiens à vous remercier sincèrement de l'occasion que vous nous offrez de comparaître aujourd'hui devant vous pour vous faire part de notre point de vue concernant le projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur. Je suis accompagné aujourd'hui de cinq collègues, que j'aimerais vous présenter au cas où certains détails vous auraient échappé: François Cousineau, un compositeur québécois bien connu qui est membre du Conseil d'administration et ancien président de la SOCAN; Alexina Louie, une compositrice torontoise de musique sérieuse qui est aussi membre du Conseil de la SOCAN; Holger Peterson, membre du Conseil, qui est éditeur et président de Stony Plain Records à Edmonton; Michael Rock, notre directeur général; etPaul Spurgeon, notre chef du contentieux.

.1230

Je pense que les membres de votre comité ont déjà reçu des notices biographiques plus complètes sur chacun de nous, ainsi qu'un exemplaire du mémoire de la SOCAN sur le projet de loi C-32, en date du 30 août 1996.

Vous remarquerez que ce mémoire se divise en trois parties. Les trois premières pages contiennent la table des matières, qui est suivie d'un sommaire exécutif de 7 pages. L'onglet blanc marque le début de notre mémoire de 38 pages en tant que tel, auquel nous allons nous référer à l'occasion aujourd'hui.

Pour qu'il vous soit plus facile de suivre notre présentation, je vous invite à commencer par la première page de notre table des matières de trois pages.

Nous n'avons pas l'intention de vous faire perdre votre temps, mesdames et messieurs, en reprenant point par point l'argumentation de notre mémoire. Ce que nous aimerions faire, au cours des 30 prochaines minutes, c'est souligner les points saillants de notre mémoire afin de vous laisser le plus de temps possible pour nous poser des questions. Voici comment nous allons procéder durant la prochaine demi-heure.

Premièrement, j'aimerais aborder la question fondamentale de savoir qui va payer pour les droits voisins dont il est question dans le projet de loi C-32. Comme vous pouvez le constater au haut de la page 2 de la table des matières de notre mémoire, nous croyons que ce sont les utilisateurs qui doivent payer, ce qui veut dire qu'il faudrait renforcer l'article 90 du projet de loi C-32 afin de rendre parfaitement claire l'intention du Parlement à cet égard.

Ensuite, François va vous exposer notre opinion sur la manière dont les redevances de droit d'auteur devraient être établies. Il va donc aborder certains thèmes mentionnés au milieu de la page 2 de la table des matières, et discuter du rôle de la Commission du droit d'auteur et de la gestion collective du droit d'auteur.

Troisièmement, Alexina et Holger vont vous expliquer ce qu'il en est d'une affirmation faite par l'Association canadienne des radiodiffuseurs, l'ACR, dans le mémoire que celle-ci a présenté à votre comité. À la page 28 de ce mémoire, l'ACR déclare en effet:

Quatrièmement, Mike et Paul vont vous décrire brièvement le fonctionnement de la SOCAN et les raisons pour lesquelles la gestion collective du droit d'auteur est la solution indiquée pour les créateurs et utilisateurs de musique au Canada.

Monsieur le président, permettez-moi maintenant d'aborder le premier élément de la présentation de la SOCAN, qui est une question que les députés fédéraux rencontrent fréquent dans le cadre de comités législatifs: qui paie?

Le gouvernement du Canada a répondu à cette question au moment du dépôt du projet de loi C-32 à la Chambre des communes le 25 avril 1996. Ce jour-là, les ministres du Patrimoine canadien et de l'Industrie ont publié un communiqué dans lequel ils ont déclaré, et je cite:

Il est donc évident que l'intention du projet de loi C-32 est de faire payer les droits voisins par les utilisateurs, et non par d'autres créateurs comme les membres de la SOCAN.

Il y a plus de 70 ans que les droits d'exécution des membres de la SOCAN sont reconnus au Canada. Il importe donc que le Parlement explique clairement son intention de ne pas demander, directement ou indirectement, aux compositeurs, aux auteurs et aux éditeurs de musique de compenser, ou de «faire de la place» aux nouveaux droits voisins mentionnés dans le projet de loi C-32.

Si le Canada tient maintenant à reconnaître les droits voisins envisagés en 1961 dans la Convention de Rome, les utilisateurs devront payer des redevances additionnelles et supplémentaires concernant ces droits. En d'autres termes, la tarte des redevances doit se faire plus grande pour pouvoir servir plus de monde. Notre théorie de la «tarte en expansion» est tout à fait différente de la «théorie du gâteau» avancée par certains utilisateurs.

C'est ainsi, par exemple, que le Conseil de la radio de l'ACR, à la page 28 de son mémoire sur le projet de loi C-32, affirme:

.1235

Comme vous le savez, le Parlement a accordé aux grandes et petites stations radiophoniques une généreuse exemption de seuil, en plus d'une période de transition de cinq ans pour les grandes stations.

Vu ces généreuses exemptions, nous ne croyons pas qu'il soit juste que les utilisateurs nous disent maintenant qu'ils n'ont pas l'intention de payer pour les droits voisins et que les membres de la SOCAN devraient se contenter de «plus petites tranches».

Monsieur le président, je ne tiens pas à faire de la présente audience un cours de pâtisserie; permettez-moi donc de résumer la question en disant que les radiodiffuseurs ne peuvent pas avoir à la fois le beurre et l'argent du beurre!

Le dernier argument que j'aimerais avancer, c'est que la question de savoir qui va payer pour les droits voisins annoncés dans le projet de loi C-32 est une question fondamentale que les représentants élus du Canada doivent trancher. La SOCAN est d'avis que le Parlement doit se prononcer sur cette question cruciale au lieu de la laisser en suspens en attendant que la Commission du droit d'auteur ou les tribunaux prennent une décision.

Le Parlement, afin qu'on ne se méprenne pas sur ses intentions, doit s'assurer que le projet de loi C-32 contiendra ce qu'on nomme communément une «clause de non-dérogation». Cette clause doit expliquer clairement que l'ajout des nouveaux droits voisins annoncés par le projet de loi C-32 ne doit aucunement menacer, diluer ou réduire de quelque manière que ce soit les droits d'exécution des membres de la SOCAN, qui sont distincts des droits voisins et qui sont reconnus de longue date.

Il est important de noter que ce n'est pas la SOCAN qui a inventé la notion de clause de non-dérogation. L'article premier de la Convention de Rome de 1961 stipule en effet que la protection accordée par cette convention laisse les droits d'exécution intacts; elle n'affecte donc en aucune façon les droits d'exécution des membres de la SOCAN.

Comme vous pouvez le constater aux pages 16 et 17 de notre mémoire de 38 pages, nous sommes d'avis que l'article 90 du projet de loi C-32 est un pas dans la bonne direction, mais qu'il devrait être plus précis.

À la page 17, nous avons soumis 12 mots, en caractères gras et soulignés, que nous voudrions vous voir ajouter à l'article 90 lorsque vous ferez l'analyse article par article du projet de loi.

Permettez-moi de conclure en disant que la SOCAN ne parle pas à tort et à travers lorsqu'elle insiste pour que le Parlement s'assure que le projet de loi reflète véritablement son intention. Nous ne tenons certainement pas à revivre l'expérience que nous avons déjà vécue à cause d'un libellé manquant de clarté, lorsque la Loi sur le droit d'auteur a été modifiée en 1989 afin de permettre l'octroi de licences pour la musique transmise par les systèmes de câblodistribution au Canada. Le manque de clarté de cette modification nous a coûté sept années de litiges dispendieux.

Et en fin de compte, pour exprimer clairement son intention, le Parlement a dû adopter une modification supplémentaire à la Loi sur le droit d'auteur (le projet de loi C-88) à grand renfort de dépenses tant pour le gouvernement que pour les membres de la SOCAN. Voilà pourquoi la modification mineure que nous proposons pour l'article 90 a tant d'importance. Nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de refaire la même erreur.

Maintenant que nous avons réglé la question de savoir qui doit payer, permettez-moi de vous présenter notre ancien président, François Cousineau, qui va vous parler de la manière dont les redevances de droit d'auteur doivent être établies.

M. François Cousineau (ancien président, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN)): Merci, Bill.

[Français]

Mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Avant de discuter du rôle de la Commission du droit d'auteur et de la façon dont les redevances du droit d'auteur sont établies au Canada, j'aimerais prendre un certain recul et replacer les choses dans leur contexte historique. Je tiens à le faire parce que ce n'est que grâce à la compréhension du passé et de la manière dont le présent système a été mis au point que nous pourrons vraiment décider comment le projet de loi C-32 devrait gouverner notre avenir.

Comme vous le savez, sous le régime actuel de la gestion collective du droit d'auteur, la SOCAN est la seule et unique société de perception du droit d'exécution au Canada. Cela ne revient cependant pas à dire qu'elle est un monopole. Il faudrait pour cela que nous puissions limiter l'offre et établir nos prix nous-mêmes. Or, c'est la Commission du droit d'auteur, et non la SOCAN, qui établit les redevances. Le concept de la gestion collective du droit d'auteur n'est pas nouveau. Sous sa forme actuelle, il est déjà centenaire et le Parlement canadien réglemente un tel système depuis 1931.

.1240

Il y a plus de 60 ans, au moment où le gouvernement canadien chargeait la Commission Parker d'examiner la manière dont devraient s'établir les redevances de droit d'auteur, les décideurs avaient le choix entre les trois options qui s'offrent à vous aujourd'hui.

La première option était de demander au Parlement de légiférer sur le montant des redevances. La seconde option était de confier l'établissement des redevances au ministre et fonctionnaires du gouvernement. La troisième option était la création d'un tribunal quasi judiciaire indépendant, doté de l'expertise technique et de la procédure nécessaires pour permettre à toutes les parties intéressées de se faire entendre.

En 1936, le gouvernement du Canada a choisi la troisième option et la Commission d'appel du droit d'auteur a été chargée de la responsabilité de l'examen régulier et de l'homologation des redevances à verser à des sociétés de droit d'exécution, comme la SOCAN.

Cinquante ans plus tard, la Commission d'appel du droit d'auteur était remplacée en 1989 par l'actuelle Commission du droit d'auteur. C'est ainsi qu'on est arrivé au système actuel pour déterminer le taux des tarifs de droit d'auteur au Canada.

Jetons maintenant un regard sur l'avenir en posant les questions suivantes. Premièrement, le système actuel fonctionne-t-il comme il le faut? Deuxièmement, les modifications proposées dans le projet de loi C-32 sont-elles dans l'intérêt de toutes les parties en cause?

En ce qui concerne le système actuel, je considère que les redevances établies par la Commission du droit d'auteur pour la SOCAN sont beaucoup trop faibles. Je sais que vous avez déjà écouté les argumentations de plusieurs utilisateurs de nos oeuvres de création et qu'ils trouvent pour leur part que les redevances sont trop élevées. On dit qu'en politique, si les deux côtés se plaignent, ça veut dire que vous avez pris les bonnes décisions. Je pense donc qu'il est juste d'affirmer que bien que le système de la Commission du droit d'auteur ne soit pas parfait, les responsables en place font de leur mieux pour mettre dans la balance les intérêts des créateurs de musique et ceux des utilisateurs au Canada.

Permettez-moi de terminer mes commentaires en déclarant de façon non équivoque que la SOCAN est d'avis que les modifications proposées dans le projet de loi C-32 en ce qui concerne la Commission du droit d'auteur ne devraient pas être édictées sous la forme actuelle. Voici pourquoi: en ouvrant votre exemplaire du mémoire à la page 20, vous constaterez qu'on y reproduit l'article 66.91 en haut de la page. Cet article est sans précédent, étant donné que le Parlement n'a jamais donné de pouvoirs aussi vastes et aussi ouverts aux ministres du gouvernement et à leurs fonctionnaires pour diriger les activités de ce tribunal quasi judiciaire. On ne sait pas très bien dans quelle mesure ces pouvoirs non définis et très vastes affecteront l'établissement des redevances du droit d'auteur. Il est toutefois évident que la transparence du processus en serait diminuée du fait que les utilisateurs et les titulaires de droit d'auteur se verraient forcés de faire du lobbying devant les ministres, leur personnel politique et leurs fonctionnaires afin de s'assurer que les règlements du Cabinet n'aient pas d'effets néfastes sur leurs intérêts.

En un mot, l'article 66.91 pourrait transformer la Commission du droit d'auteur de tribunal quasi judiciaire qu'elle est, en instrument politique à la merci du gouvernement de l'heure. C'est un danger.

La responsabilité d'obtenir une licence relative à une oeuvre sous droit d'auteur et le montant rattaché à cette responsabilité doivent être fixés par un arbitre impartial qui ne s'intéresse qu'aux faits et aux argumentations qui lui sont soumis par les divers intéressés. Dès qu'un tribunal devient l'objet de directives provenant de l'arène politique, il court le risque de perdre très rapidement son caractère quasi judiciaire et sa crédibilité, tant aux yeux des créateurs de musique qu'à ceux des utilisateurs. La SOCAN propose donc que l'article 66.91 proposé soit éliminé du projet de loi C-32.

.1245

En terminant, j'aimerais vous reporter à la page 26 de notre mémoire et vous faire part de notre position sur les exceptions. Sous l'en-tête «Les exceptions du droit d'auteur», le deuxième paragraphe se lit comme suit:

Merci de votre attention. Je cède maintenant la parole à Alexina Louie.

[Traduction]

Mme Alexina Louie (membre du Conseil, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN)): Merci, François.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour!

Je suis compositrice de musique classique. Comme la plupart des compositeurs de musique classique, je n'interprète pas ma propre musique. J'écris pour d'autres exécutants, des ensembles et des orchestres comme l'Orchestre de la.AAC et les orchestres symphoniques de San Francisco, Toronto et Montréal.

Comme Bill Henderson vient de le dire, je tiens à rétablir la vérité sur une affirmation faite dans le mémoire que le Conseil de la radio de l'Association canadienne des radiodiffuseurs, l'ACR, vous a présenté. À la page 28 de son mémoire, l'ACR déclare en effet:

Cette façon de manipuler les chiffres m'inquiète grandement parce qu'elle semble impliquer que, vu que les membres de la SOCAN sont déjà rémunérés comme auteurs et compositeurs, leurs redevances de droits d'exécution devraient être réduites si le projet de loi C-32 entraîne la création de droits voisins. Ce soi-disant argument de chevauchement, ou de double emploi, est faux pour les raisons suivantes.

Tout d'abord, nous avons vérifié nos dossiers et nous n'avons trouvé aucune déclaration de la SOCAN selon laquelle 80 p. 100 des auteurs et compositeurs interprètent leur propre musique. La seule chose que nous ayons trouvée, c'est une observation faite par un témoin qui s'opposait à la SOCAN lors des récentes audiences de la Commission du droit d'auteur concernant le tarif applicable aux concerts.

Quoi qu'il en soit, je ne pense pas qu'on puisse trouver de réponse précise à une telle question vu que la situation change selon le genre de musique et l'utilisation qui en est faite. En ce qui concerne les compositeurs de musique classique, je puis vous assurer que le pourcentage est loin de 80 p. 100. Il se rapproche plutôt de 0 p. 100.

Dans les faits, plusieurs compositeurs comme moi, de même que des auteurs et auteurs-compositeurs, ne sont pas des interprètes. Nos revenus au titre du droit d'auteur proviennent exclusivement des droits d'exécution, et les droits voisins créés par le projet de loi C-32 ne nous apporteront rien du tout. Nous ne croyons donc pas qu'il soit utile de spéculer sur le nombre de compositeurs qui exécutent leur propre musique. L'essentiel est que le chiffre n'est pas de100 p. 100.

Deuxièmement, nous ne croyons pas que le fait que 20, 40, 60 ou 80 p. 100 des auteurs et compositeurs interprètent leur musique ait quoi que ce soit à voir avec la question, étant donné que la création de la musique et son exécution sont deux activités séparées et distinctes, qu'elles soient le fait d'une seule personne, de deux ou de cent.

En consultant la page 3 de notre mémoire de 38 pages, vous pourrez voir comment la Loi sur le droit d'auteur et les traités internationaux en place depuis de nombreuses années ont donné lieu à des droits distincts et séparés qui reviennent à quiconque crée une oeuvre musicale. Si quelqu'un diffuse ou interprète ma musique en public, j'ai droit à une indemnisation pour mes oeuvres. Et j'y ai droit aussi si quelqu'un lance un enregistrement sonore de mes oeuvres. Ce n'est pas une question de choix. J'ai le droit d'être payée deux fois lorsque deux utilisations séparées et distinctes sont faites de mon oeuvre.

.1250

De la même façon, si le projet de loi C-32 crée des droits voisins, les créateurs qui exécutent leurs propres oeuvres devraient avoir droit aux redevances additionnelles découlant de ces nouveaux droits.

En un mot, la création de la musique est complètement séparée et distincte de son exécution. Parfois la même personne fait les deux, et parfois pas, comme dans mon cas.

Si le Parlement du Canada veut se joindre à la cinquantaine d'autres pays qui ont reconnu les droits voisins contenus dans la Convention de Rome de 1961, alors les interprètes devraient avoir droit à des redevances additionnelles, qu'ils soient ou non les créateurs de la musique dont ils assurent l'exécution. En d'autres mots, les membres de la SOCAN devraient recevoir les mêmes redevances de droits d'exécution publique, qu'ils interprètent ou non leurs oeuvres.

Merci.

Je laisse maintenant la parole à Holger Peterson.

M. Holger Peterson (membre du Conseil, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN); éditeur): Merci, Alexina.

Bon après-midi, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Je m'appelle Holger Peterson et je voudrais ajouter à ce qu'Alexina vient de mentionner.

Je crois qu'on peut dire sans se tromper que je suis un bon exemple d'un représentant de l'industrie musicale canadienne qui s'occupe de plusieurs aspects de l'industrie.

Premièrement, bien que je ne sois pas personnellement créateur de musique, je suis membre du Conseil d'administration de la SOCAN et président de Stony Plain Music, une maison indépendante d'édition musicale de l'Alberta, qui représente des créateurs. En 1993, ma compagnie a reçu le prix de l'éditeur de musique de l'année décerné par l'Association canadienne de musique country.

Parallèlement à mes activités d'éditeur de musique, je dirige une compagnie de disques indépendante, Stony Plain Records. Je devrais aussi ajouter que j'ai été pendant neuf ans l'animateur d'une émission de la radio AM nationale de CBC, intitulée Saturday Night Blues.

Ma participation aux différents domaines de l'édition musicale, de la production de disques et de la radiodiffusion me permet de dire que je sais ce que cela représente de remplir plus d'une fonction dans l'industrie musicale canadienne.

Selon l'argumentation du double emploi avancée par l'ACR, les créateurs ne devraient pas se faire payer pleinement des droits d'exécution et des droits voisins lorsqu'ils interprètent leur propre musique. Qu'est-ce qu'il me reste alors à moi, ainsi qu'aux artistes et auteurs-compositeurs que je représente? Si ma compagnie de disques indépendante reçoit des droits voisins, est-ce que cela veut dire que les redevances de droits d'exécution publique que je reçois à titre d'éditeur seront réduites, maintenant ou dans l'avenir?

Je ne crois pas que les droits d'exécution publique doivent être réduits, parce que je ne crois pas qu'il soit juste de pénaliser les gens qui accomplissent plus d'une fonction dans l'industrie musicale. Je suis donc d'avis que l'argumentation du double emploi est fausse.

Si nous tenons vraiment à promouvoir la culture canadienne, nous devrions récompenser la synergie qui se produit lorsque quelqu'un est un «homme à tout faire», et non la décourager. En fait, c'est en portant plusieurs chapeaux que j'ai pu survivre. Si j'avais dû me limiter à une seule source de revenus, je sais que je n'aurais pas pu survivre comme compagnie de disques canadienne indépendante, ni comme éditeur de musique établi dans l'Ouest canadien.

J'aimerais conclure en disant que mon expérience dans les domaines de la musique country, du jazz et du blues m'incite à tirer la même conclusion qu'Alexina en ce qui concerne le degré de double emploi en musique classique. Dans les domaines du country, du jazz et du blues, le pourcentage des créateurs qui interprètent leur propre musique est loin d'atteindre les 80 p. 100 dont on semble parler.

Un grand nombre de créateurs de ces formes de musique ne peuvent compter que sur les droits d'exécution de la SOCAN et ne verront pas leurs revenus augmenter grâce aux droits voisins qu'entraînera le projet de loi C-32. Je suis donc en désaccord tant avec la «théorie du gâteau» de l'ACR qu'avec son argument du double emploi.

Merci.

Je laisse maintenant la parole à notre cinquième intervenant, le chef du contentieux de la SOCAN, Paul Spurgeon.

M. Paul Spurgeon (chef du contentieux, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN)): Merci, Holger.

Bon après-midi, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité.

J'aimerais vous expliquer aujourd'hui comment la SOCAN aide à réduire les frais de transaction liés à l'octroi des licences et à la perception des droits d'exécution.

.1255

Comme nous l'indiquons aux pages 6 et 7 de notre mémoire de 38 pages, la SOCAN remplit deux fonctions principales. Premièrement, nous délivrons des licences aux utilisateurs de musique, qui nous versent des redevances en conformité avec les tarifs établis par la Commission du droit d'auteur du Canada. Deuxièmement, nous répartissons ces redevances entre les membres de la SOCAN au Canada, ainsi qu'entre les milliers de détenteurs de droits d'auteur du monde entier relativement aux utilisations de leurs oeuvres musicales au Canada, pour lesquelles nous octroyons également des licences.

En fait, la SOCAN constitue en quelque sorte un «guichet unique» qui permet à la fois aux utilisateurs de musique et aux créateurs eux-mêmes de faire des économies. Ce qui nous permet de faire économiser tellement de temps et d'argent aux utilisateurs, c'est que nous délivrons des licences générales. Qu'est-ce qu'une licence générale? C'est une licence unique qui permet aux utilisateurs d'avoir accès à la totalité du répertoire musical du monde entier et de s'en servir sans avoir à communiquer avec chaque créateur toutes les fois qu'ils veulent utiliser une oeuvre quelconque.

Du point de vue des créateurs, cette formule du guichet unique représente aussi une économie en ce sens que leurs redevances ne sont pas grugées par les frais de transaction. Nous nous assurons que la plus grande partie de l'argent va aux auteurs-compositeurs et à leurs éditeurs, puisque c'est à eux qu'il appartient. Je trouve ironique que des utilisateurs qui se plaignent de ne pas avoir l'avantage d'un guichet unique en ce qui concerne les droits de reproduction se plaignent par la même occasion de la SOCAN en la traitant de monopole!

Lors de la séance du 8 octobre au soir, par exemple, le Conseil de la télévision de l'ACR a appelé la SOCAN, et je cite, «un des derniers monopoles du Canada». Comme M. Leroux l'a si bien expliqué, la SOCAN n'est pas un monopole parce qu'elle ne peut pas fixer ses propres prix. C'est la Commission du droit d'auteur qui a ce pouvoir, pas nous. De plus, comme l'a mentionné François Cousineau, la SOCAN ne peut pas restreindre l'utilisation de la musique puisqu'elle accorde des licences générales donnant accès à son répertoire.

À la page 33 de son mémoire, le Conseil de la télévision de l'ACR critique également le rôle des sociétés de gestion et la pratique de l'octroi de licences par une seule et unique source en suggérant que le projet de loi C-32 exige que la Commission du droit d'auteur «s'assure que [...] un membre d'une société de perception puisse négocier individuellement avec un ou plusieurs utilisateurs». En d'autres termes, ils veulent remplacer le système actuel, où nous n'avons qu'un seul «guichet», par un système dans lequel 100 stations de télévision et 500 stations de radio négocieraient individuellement avec chacun des 17 000 membres canadiens de la SOCAN, et avec les dizaines de milliers d'autres auteurs et éditeurs que nous représentons grâce à nos ententes de réciprocité avec des sociétés étrangères de perception de droits d'exécution.

Monsieur le président, ils ne peuvent pas tout avoir. Ils ne peuvent pas critiquer le système de guichet unique de la SOCAN et se plaindre ensuite des frais élevés de transaction qui s'additionnent là où il n'y a pas de guichet unique, comme dans le cas des droits de reproduction.

Enfin, nous devons nous rappeler qu'en 1986, lors de la Phase I de la révision de la Loi sur le droit d'auteur - je veux parler du projet de loi C-60, qui a été adopté en 1988 - , l'intention du Parlement était d'encourager l'administration collective du droit d'auteur par la formation de sociétés de gestion. Depuis lors, nous avons assisté à la création de sociétés de gestion des droits de retransmission, de reprographie, et ainsi de suite. Cette philosophie se manifeste à nouveau dans les dispositions prévues dans le projet de loi C-32 au sujet de la copie privée et des droits voisins. Et nous croyons que les sociétés de gestion deviendront de plus en plus importantes avec l'avènement de l'autoroute informatique.

Nous demandons donc au Parlement de rejeter l'idée d'abandonner la formule du guichet unique et des licences générales. Il ne serait pas dans l'intérêt national d'adopter un système qui forcerait les utilisateurs à communiquer avec les créateurs un par un pour négocier des licences individuelles avec eux.

M. Michael Rock (directeur général, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN)): Bon après- midi, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous promets d'être bref pour vous laisser le temps de nous poser des questions avant de devoir vous rendre à la période des questions tout à l'heure, mais je voudrais appuyer une idée abordée par notre président, Bill Henderson, au début de notre présentation, lorsqu'il a discuté de l'importance de l'insertion d'une clause de non-dérogation à l'article 90 du projet de loi C-32.

.1300

J'ai suffisamment d'expérience des audiences de la Commission du droit d'auteur et des poursuites en Cour fédérale pour vous dire exactement ce qui va se produire, à notre avis, si le Parlement ne précise pas exactement qui va devoir payer pour les droits voisins mentionnés dans le projet de loi C-32. Nous allons nous retrouver empêtrés dans une série d'audiences et de poursuites judiciaires coûteuses et interminables jusqu'aux premières années du siècle prochain.

La position que l'ACR va adopter lors de ces litiges est déjà clairement visible dans le mémoire de son Conseil de la radio. Sa «théorie du gâteau» est expliquée à la page 28, au point 5. Le simple fait que l'ACR plaide la «théorie du gâteau» démontre bien que l'article 90, dans son libellé actuel, est ambigu.

La commission décide du montant des redevances, mais ce n'est pas à elle, ni aux tribunaux, de décider qui doit payer. C'est au Parlement canadien - donc à vous - de se prononcer sur cette question cruciale.

D'après notre interprétation, l'intention du projet de loi C-32, et de l'article 90 en particulier, est de veiller à ce que les utilisateurs versent des droits voisins aux interprètes et aux producteurs. Nous appuyons ce principe. Mais nous ne sommes pas d'accord pour dire qu'il faudrait pousser de côté les créateurs qui bénéficient de droits d'exécution depuis de nombreuses années, pour faire de la place à d'autres détenteurs dont les droits - les droits voisins - sont plus récents.

Je vous demande donc de renforcer l'article 90 lors de votre étude article par article du projet de loi. Si l'article 90 n'est pas changé, nous craignons que ce soit une invitation aux poursuites judiciaires, ce qui n'est dans l'intérêt de personne.

De plus, j'aimerais ajouter qu'à cause du temps limité dont nous disposons aujourd'hui, nous n'avons pas pu couvrir tous les aspects de notre mémoire. Cela ne veut pas dire que ceux-ci ne sont pas importants à nos yeux. Nous vous demandons donc, ainsi qu'à vos fonctionnaires, d'étudier attentivement tous les points que nous avons soulevés dans notre mémoire.

En terminant, j'aimerais souligner que, bien que nous ayons manifesté notre désaccord au sujet de plusieurs des positions de l'ACR, nous ne voudrions pas laisser l'impression que les radiodiffuseurs et la SOCAN sont à couteaux tirés. Bien au contraire, il me semble que nos relations sont excellentes. J'ai assisté au congrès annuel de l'ACR la semaine dernière à Edmonton et j'ai été extrêmement bien reçu.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Monsieur Rock, est-ce qu'il y avait beaucoup de gâteau?

Des voix: Oh, oh!

M. Rock: Il y avait un excellent dessert de l'Alberta.

Dans les faits, la SOCAN est un des principaux fournisseurs de l'ACR, et les radiodiffuseurs sont nos plus gros clients. Il faut nous entendre, que nous le voulions ou non, même si nous ne sommes pas toujours d'accord. Nos différends portent toujours sur des questions d'argent, et c'est là que la Commission du droit d'auteur a un rôle à jouer.

En somme, ce que nous vous demandons aujourd'hui, c'est de libeller le projet de loi C-32 de manière à ce que les radiodiffuseurs et nous-mêmes ne passions pas les dix prochaines années à nous demander ce que vous entendiez par l'article 90. Je vous demande donc d'ajouter les 12 mots que nous avons suggérés à la page 17 de notre mémoire.

Merci beaucoup. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le président: Merci, monsieur Rock.

Avant que nous passions aux questions, je voudrais dire aux membres du comité qu'il y a un vote annoncé, mais qu'il a été différé.

[Français]

Le vote sera différé.

[Traduction]

Je vais donner la parole à M. Leroux, M. Abbott, Mme Phinney et M. Peric, dans cet ordre-là.

Monsieur Leroux.

[Français]

M. Leroux: Je vous remercie de votre mémoire qui a grandement éclairé le comité par rapport au projet existant. Celui-ci devra faire l'objet de négociations et d'échanges au sein du comité afin d'en arriver à un projet de loi qui, rappelons-le, doit reconnaître et poursuivre les objectifs des ayants droit, soit les droits des auteurs. À ces droits d'auteur devrait s'ajouter une dimension extrêmement importante, celle des droits voisins, qui sont très importants puisqu'ils nous permettraient de faire partie des 50 pays qui reconnaissent déjà les droits voisins et procureraient à nos interprètes l'accès à une redevance fort légitime et attendue depuis longtemps.

J'aimerais d'abord faire une série d'observations. J'aimerais vous dire que M. Rock etM. Henderson ont parlé d'un élément qui semble majeur, celui qui est contenu dans l'article 90.

.1305

L'article 90 ne semble pas assez clair et, à votre avis, ferait en sorte qu'on parlerait d'une tarte, donc d'un nouveau droit de redevance qui viendrait grever une chose déjà établie et accordée par le droit d'auteur.

Vous proposez d'ailleurs un libellé qui, vous le disiez plus tôt, vient clarifier en 12 mots le champ extrêmement important du droit d'auteur vis-à-vis du droit voisin. J'aimerais qu'on revienne plus tard sur ces 12 mots. Je veux cependant vous dire qu'il m'apparaît très clair que cette distinction, en ce qui me concerne, doit être nettement établie.

Évidemment, il y a un élément nouveau dans la loi contre lequel vous nous mettez en garde. Il s'agit du pouvoir que pourrait avoir le gouvernement d'intervenir directement, par son Conseil privé et son Cabinet des ministres, pour donner des orientations nouvelles mais aussi, on le sait fort bien, des orientations politiques en fonction des jeux d'influence. Je dois vous dire que nous en sommes très conscients et que nous en ferons l'objet de nos réflexions.

Quant à la troisième question qui se pose, je ne m'émeus pas tellement à l'idée qui nous a été démontrée que l'auteur-compositeur puisse devenir interprète et être payé deux fois. Cela ne m'émeut pas tellement. Je dois vous dire qu'en ce qui me concerne, l'acte de création et l'acte d'interprétation sont pour moi deux actes forts légitimes et inviolables.

Les analogies sont toujours un peu difficiles, mais c'est comme si on disait à quelqu'un qui crée le marteau: «Tu toucheras des redevances si tu le vends, mais si tu t'en sers, on ne pourra pas te payer». Il y a là une attitude revendicatrice qui se ramène à un argument d'argent et qui ne reconnaît même pas l'essence de l'acte de création et de l'acte d'interprétation. Je vous confirme donc que, dans ce sens, votre message a été reçu assez clairement en ce qui me concerne.

J'aimerais qu'on revienne sur l'article 90 pour discuter un peu plus de certains aspects que vous n'avez pas abordés dans vos présentations ou qui concernent les exceptions par rapport aux écoles. Vous avez signalez le fait qu'on ne reconnaît pas les redevances sur les oeuvres musicales dans le champ scolaire. J'aimerais que vous nous en parliez davantage. J'aimerais aussi que vous me disiez si déjà vous accordez des droits d'exécution d'oeuvres musicales dans les écoles, si vous en avez déjà accordé.

J'aimerais aussi parler du fonctionnement de la Commission du droit d'auteur et des mécanismes qu'elle utilise. Tout à l'heure, monsieur Rock, vous avez terminé en disant qu'il ne fallait pas croire que vous étiez à couteaux tirés avec la Commission et qu'il y avait un mode de fonctionnement d'établi. Vous leur présentez l'échelle de votre tarif; ensuite eux statuent après entente avec les parties. J'aimerais qu'on parle de ce mode de fonctionnement actuel et de la façon dont il a été établi.

[Traduction]

M. Rock: Vous avez tout à fait raison, monsieur Leroux. Nous ne voulons certainement pas être à couteaux tirés. Il est essentiel que toutes les lois adoptées par le Parlement soient aussi claires que possible.

Mais pour ce qui est de votre question sur les exemptions, notamment pour les écoles, notre chef du contentieux, Paul Spurgeon, voudra peut-être en parler brièvement. Nous consacrons neuf pages de notre mémoire à cette question.

M. Spurgeon: Merci. Je vous renvoie à la page 41 du projet de loi C-32, au début du paragraphe 32.2(3) proposé:

Il y a donc deux critères. Il faut que ce soit une organisation religieuse ou scolaire - autrement dit, une école - et que les actes soient accomplis «dans l'intérêt» d'une entreprise de ce genre. Donc, pour répondre à votre question, nous n'accordons actuellement pas de licences pour l'utilisation d'oeuvres musicales en classe, par exemple, à cause de cette disposition. Autrement dit, si la classe no 27, dans une école, présente un concert ou apprend une oeuvre, nous n'accordons pas de licence pour l'exécution de cette oeuvre, à cause de cette disposition.

Ce que nous disons, c'est que la loi permet actuellement à d'autres détenteurs de droits d'auteur de se faire payer pour l'utilisation de leurs oeuvres à des fins éducatives, mais pas aux compositeurs. C'est peut-être une anomalie, ou une omission.

.1310

Cette disposition crée une exemption pour l'exécution de la musique, mais les détenteurs de droits d'auteur sur des émissions peuvent être payés, à condition bien sûr que les dispositions de la loi portant par exemple sur la destruction des bandes soient respectées. Mais les musiciens n'ont pas le droit d'être payés, à cause de cette disposition.

Donc, nous n'accordons pas de licences à ce titre pour le moment. Mais nous en accordons pour les activités parascolaires, c'est-à-dire pour l'exécution d'oeuvres musicales en dehors des heures de classe. Nous en accordons pour des concerts, des danses et d'autres activités de ce genre, mais pas dans le cas des rapports courants entre maîtres et élèves.

[Français]

M. Leroux: Qui ne sont pas à des fins pédagogiques, mais dans le domaine parascolaire.

[Traduction]

M. Henderson: C'est exact.

[Français]

Le président: Je pense qu'un autre point a été soulevé par M. Leroux, sur l'article 90, sur les pouvoirs de la Commission. Peut-être que M. Cousineau ou quelqu'un d'autre voudrait...

M. Cousineau: Il s'agit des 11 mots que nous voulons ajouter à l'article 90.

Une voix: Vous avez dit 12.

M. Cousineau: Non, nous avons dit 11. Ah, d'accord, d'accord. C'est peut-être une erreur de traduction; c'est 11 en anglais et 12 en français.

M. Leroux: D'accord.

M. Cousineau: Alors, pourrait-on lire les 11 mots en question?

[Traduction]

Le président: M. Leroux essaie de savoir - et je pense que cela nous intéresse tous - quelles seraient les conséquences concrètes de l'ajout de ces mots.

M. Spurgeon: Je vais faire de mon mieux pour vous l'expliquer. Ce que cela signifie, en réalité, c'est que le système en place est fondé sur la contestation. Nous avons évidemment déjà fait valoir notre point de vue à la Commission du droit d'auteur. Les utilisateurs de musique pourraient dire qu'ils veulent verser moins d'argent à la SOCAN pour pouvoir payer ces nouveaux droits. Nous disons, nous, que la loi doit être absolument claire, de manière à ce que les tribunaux et la Commission du droit d'auteur disposent des paramètres nécessaires pour l'interpréter.

D'après ce que je peux voir, ce projet de loi crée des droits nouveaux pour un nouveau groupe de personnes - celui des exécutants et des producteurs - , et les détenteurs des droits existants - les auteurs - ne doivent pas être lésés par l'introduction de ces nouveaux droits. Mais ce n'est pas tout. Ces nouveaux droits ont aussi un effet sur les redevances fixées par la Commission du droit d'auteur. Nous voulons nous assurer que cette nouvelle mesure n'entraînera pas de réduction des redevances fixées par la commission et ne nuira pas à nos efforts pour percevoir ces redevances au nom des auteurs. C'est vraiment ce que nous cherchons à faire en proposant l'ajout de ces quelques mots.

Autrement, ce n'est pas clair pour la commission. Comme l'a souligné M. Rock, c'est pour cette raison que les radiodiffuseurs ont avancé la théorie du gâteau dans leur mémoire. Ils vont sans aucun doute soutenir - comme ils l'ont d'ailleurs déjà fait, je pense - que le montant versé aux auteurs devrait être réparti différemment et que les utilisateurs ne devraient pas avoir à assumer ces nouveaux paiements. Cela devrait être prélevé sur la part des auteurs.

C'est aussi simple que cela. Nous voulons que la loi soit claire pour la Commission du droit d'auteur et pour les tribunaux. Supposons que la commission prenne une décision en ce sens. Les tribunaux pourraient ensuite examiner cet article et lui dire: «Vous ne pouvez pas faire cela. Il s'agit de droits nouveaux, séparés et distincts des droits déjà reconnus aux auteurs, et ils ne doivent rien changer aux redevances.» J'espère que cela répond à votre question.

[Français]

M. Leroux: Donc, l'ajout de ces mots préciserait à la Commission son champ d'intervention. Merci.

.1315

[Traduction]

M. Rock: Le projet de loi a été déposé en avril; toutes les parties qui s'estimaient touchées ont évidemment commencé à l'étudier et à noter leurs préoccupations et leurs observations. Nous avons examiné l'article 90 proposé et nous avons jugé qu'il devait être renforcé. Nous en sommes arrivés à cette conclusion après en avoir discuté entre nous et avec notre chef du contentieux. Quand nous en avons parlé autour de nous, certains nous ont dit que nous avions raison et d'autres, que notre raisonnement semblait se tenir. Et quand nous avons vu le mémoire des radiodiffuseurs, nous nous sommes rendu compte que nous avions effectivement raison, parce qu'ils avaient relevé la même ambiguïté que nous.

Nous étions d'avis qu'il fallait clarifier la loi, mais pour eux, c'était une occasion à saisir. L'imprécision de cet article leur a permis d'avancer leur théorie du gâteau. C'est pour cela que nous sommes sûrs de notre argumentation. Nous sommes certains d'être sur la bonne voie.

M. Abbott (Kootenay-Est): Je veux d'abord vous remercier d'être venus nous présenter votre point de vue aujourd'hui, et aussi d'avoir pris le temps de me rencontrer en privé pour que nous puissions discuter de certaines questions clés.

Je tiens à vous dire également que je suis tout à fait d'accord avec vous au sujet de l'article 66.91. Vous dites, à la page 20 de votre mémoire de 38 pages, que cette disposition ouvrirait la porte à une belle pagaille, comme c'est le cas actuellement au CRTC. Je ne sais pas si on m'accusera d'être partisan si je dis que les libéraux semblent très souvent vouloir s'assurer de garder le contrôle, même s'ils ne le devraient pas.

J'aimerais discuter de la question des sommes qui seraient versées aux artistes au titre des droits voisins; nous pourrions prendre la SOCAN comme exemple pour voir ce qu'il en est. Vous avez publié dans votre revue Paroles et musique l'état de vos résultats d'exploitation; il y est question de votre situation financière et de la répartition des droits que vous percevez. Sous la rubrique des dépenses administratives, je vois un montant de 16,25 millions de dollars, mais c'est après soustraction des revenus de location et des intérêts de placement; donc, je suppose que vos dépenses réelles se situent aux environs de 19 millions. Est-ce que ces chiffres reflètent fidèlement le montant de vos frais généraux?

M. Rock: Oui, c'était exactement 19,094 millions de dollars en 1995. Une fois déduits les revenus de placement et de location, les frais généraux relatifs à l'administration des licences étaient de 16 millions, mais nos dépenses ont été de 19 millions l'an dernier.

M. Abbott: Je trouve un peu inquiétant que vous ayez des dépenses de 19 millions de dollars alors que n'en distribuez que 40 millions aux détenteurs canadiens de droits d'auteur. Je comprends que vous versez aussi de l'argent à des détenteurs étrangers, mais 19 millions de dollars de dépenses pour des paiements de 40 millions... Je voulais simplement le signaler; vous pourrez commenter si vous le voulez. Mais je ne pouvais pas passer cela sous silence.

M. Rock: Nos états financiers indiquent que nous avons reçu 91 millions de dollars l'an dernier et que nous avons pu en distribuer 75 millions. Au cours des dernières années, en raison de la répartition des oeuvres musicales utilisées par les radiodiffuseurs et les autres utilisateurs, les deux tiers de cette somme ont été versés pour des oeuvres étrangères, et le tiers environ pour des oeuvres canadiennes.

Nos dépenses sont ce qu'elles sont. Ce n'est pas à nous de dire si elles sont trop élevées ou pas. Le Conseil d'administration de la SOCAN se compose de gens qui sont directement intéressés; ils ne dépensent donc pas d'argent inutilement. Il faut ce qu'il faut pour faire notre travail. Quant à l'argent qui sort du pays, c'est uniquement en fonction de ce que font les radiodiffuseurs et les autres utilisateurs d'oeuvres musicales; la SOCAN n'a rien à voir là-dedans.

M. Abbott: Mais si nous prenons votre entreprise comme point de référence, les gens de l'industrie du disque nous ont dit il y a trois semaines qu'ils pourraient former une société de gestion avec 2,2 millions de dollars, pour démarrer, et qu'ils pourraient ensuite l'exploiter pour 1,5 million de dollars par année. Vos dépenses s'élèvent à 19 millions de dollars, alors qu'eux disent qu'ils pourraient se débrouiller avec 1,5 million par année. Est-ce que leurs chiffres sont raisonnables, ou responsables? On ne dirait pas, si on se fonde sur le modèle de la SOCAN.

.1320

M. Rock: Je n'ai pas vu ces chiffres-là, mais évidemment, au début, leurs dépenses devraient être aussi modestes que possible étant donné les sommes relativement minimes qui leur seraient versées. C'est tout ce que peux vous dire là-dessus.

M. Abbott: Tout ce que veux dire, c'est que je trouve un peu étonnant que vous ayez des dépenses de 19 millions de dollars, ou de 16 millions, selon les chiffres que nous retenons, alors qu'eux disent qu'ils pourraient faire la même chose pour 1,5 million de dollars. C'est dix fois moins.

M. Rock: Mais la situation n'est peut-être pas du tout la même. C'est possible.

M. Abbott: C'est ce que j'aimerais approfondir, parce que je me demande pourquoi la SOCAN ne pourrait pas administrer les droits voisins. Étant donné la façon dont les tarifs, ou les droits - quel que soit le nom qui leur sera donné - vont être perçus au titre des droits voisins... ce sera exactement selon la même méthode que celle que la SOCAN utilise actuellement. Si vous avez déjà des frais généraux de 19 millions de dollars, pourquoi ne pas confier l'administration de ces droits voisins à la SOCAN - en supposant qu'ils deviennent réalité - et tirer parti de ces frais généraux de 19 millions de dollars? Si le gouvernement cherche à faire profiter les exécutants de cet argent-là, est-ce que cela ne permettrait pas d'éviter des frais supplémentaires, et un fardeau plus lourd?

M. Rock: Monsieur Abbott, avant le dépôt du projet de loi C-32, la SOCAN - comme beaucoup d'autres, probablement - avait énoncé sa position sur divers éléments qui devaient à son avis se retrouver dans le projet de loi C-32. La SOCAN avait préparé en particulier un document dans lequel elle exposait sa position sur les droits voisins; beaucoup d'entre vous doivent l'avoir reçu avant le dépôt du projet de loi en avril. À la fin de ce document, nous examinions justement qui devrait administrer les droits voisins.

Ce sont les exécutants et les producteurs qui vont bénéficier des droits voisins, et non les membres de la SOCAN, qui sont des créateurs - des paroliers, des compositeurs, des auteurs- compositeurs - et des éditeurs. Autrement dit, je pense que les principaux intéressés ont leur mot à dire. Ce que nous avons dit, c'est que nous ne serons pas les détenteurs de ces droits, ni leurs administrateurs, mais que nous avons déjà une infrastructure et que nous serions prêts à discuter avec les intéressés de la possibilité de leur offrir ce service.

Nous avons rencontré la ministre Copps, et elle nous a posé la question. Elle nous a dit que ce qui préoccupait le gouvernement, c'était que dans un pays de la taille du Canada, il n'y avait absolument pas de place pour de nouveaux coûts administratifs qui ne seraient pas absolument indispensables. Nous lui avons répondu que nous avions déjà une infrastructure en place, que nous serions heureux d'entreprendre des discussions avec les intéressés et que, s'ils le voulaient, nous pourrions nous entendre avec eux pour les faire profiter de cette infrastructure.

Je pense que beaucoup de gens sont d'accord avec vous, monsieur Abbott, pour dire qu'il faut garder les coûts aussi bas que possible.

M. Abbott: Au sujet des exemptions éphémères et des exemptions relatives à la transposition de supports, que les radiodiffuseurs nous ont demandées, reconnaissez-vous que s'il y a des redevances supplémentaires à cet égard ou, autrement dit, si des sommes supplémentaires sont versées pour tenir compte du fait qu'il y aura des copies utilitaires, ou quelque chose du genre, cela fera tout simplement plus l'argent pour les détenteurs de droits d'auteur, simplement en raison d'un changement technologique?

M. Rock: Monsieur Abbott, je ne peux que vous répéter ce que vous avez déjà entendu au cours des dernières semaines. D'un côté, il y a les détenteurs de droits d'auteur, la SODRAC et les autres. Et de l'autre côté, bien sûr, il y a les radiodiffuseurs, et vous allez entendre aussi d'ici la fin de la semaine des représentants de la SPACQ, qui est une association québécoise de compositeurs, et de la Canadian Mechanical Reproduction Rights Agency, la CMRRA. Je pense qu'ils seront mieux placés que moi pour vous parler de ces questions-là.

.1325

Si je comprends bien les préoccupations des radiodiffuseurs, ils sont d'avis que le projet de loi ne devrait rien changer en réalité. Les droits de reproduction ont été inclus dans la loi en 1924, et il me semble bien que le projet de loi C-32 n'y change rien.

Mais il serait préférable que les administrateurs autorisés de ces droits vous en parlent clairement pour le compte rendu. Après la discussion que nous avons eue cet après-midi, je pense qu'ils vont pouvoir vous donner l'heure juste.

Le président: Je voudrais rappeler aux membres du comité qu'il est 13 h 25 et que nous avons déjà pris plus de temps que prévu. Je suggère que nous continuions encore pendant dix minutes.

Monsieur Peric et madame Phinney.

M. Peric (Cambridge): Merci, monsieur le président. Je voudrais poser quelques petites questions, rapidement.

Monsieur Rock, vous dites dans votre sommaire exécutif que la SOCAN est un organisme canadien sans but lucratif. Je ne comprends pas très bien. Dans l'état de vos résultats d'exploitation, vous affichez des revenus de 91 millions de dollars, et des dépenses de 10 millions de dollars pour les salaires, les taxes et les avantages sociaux; de 8 millions de dollars pour les autres frais administratifs; de 800 000$ pour la promotion de la musique - ce qui est vraiment dommage - , et ainsi de suite; et vous avez aussi vos revenus de placement et de location.

Pourriez-vous expliquer au comité ce que tous ces chiffres veulent dire?

M. Rock: Nous ne sommes pas un organisme à but lucratif en ce sens que notre société a été constituée en vertu de la Partie II de la Loi sur les corporations canadiennes; c'est la partie qui porte sur ce qu'on appelle les organismes sans but lucratif.

La SOCAN n'est absolument pas un organisme à but lucratif. Elle assure un service administratif à ses membres et à d'autres détenteurs de droits d'auteur ailleurs dans le monde, qui veulent certainement avoir un bon rendement sur l'exploitation de leurs droits d'auteur. Voilà pour la première partie de votre question.

Quant à nos revenus de location, par exemple, nous sommes propriétaires d'un immeuble dans le nord de Toronto et nous y avons quelques locataires; c'est donc une source de revenu.

Et pour ce qui est de nos revenus de placement, les détenteurs de licences d'utilisation d'oeuvres musicales envoient de l'argent à tous nos bureaux à travers le pays. Nous redistribuons tout cet argent, après avoir payé nos dépenses, mais évidemment, cela ne se fait pas du jour au lendemain. La répartition se fait en fonction de l'utilisation des oeuvres à la radio, à la télévision et ailleurs, et il faut des mois pour colliger toute l'information nécessaire.

Donc, quand nous recevons de l'argent, nous en utilisons une partie pour payer nos factures à la fin du mois et nous versons le reste dans des comptes de banque; nous touchons donc des intérêts sur cet argent en attendant de le distribuer. Nous faisons des versements tous les trimestres.

M. Peric: Je vous remercie de cette explication, mais je me pose encore des questions sur les20 p. 100 de votre revenu total que vous dépensez pour des salaires, au nom des artistes. Il me semble que la SOCAN est une énorme machine bureaucratique et que ce sont les artistes qui en paient le prix.

Vous vous posez ici en grands défenseurs des artistes, mais en même temps, vous dépensez10 millions de dollars. Pourquoi n'avez- vous pas réduit vos salaires et partagé l'argent économisé avec les artistes?

M. Rock: Nous avons plus de 200 employés, qui sont payés selon les salaires du marché.

M. Peric: Qu'est-ce que les salaires du marché, à votre avis? À quelle fourchette cela correspond-il?

M. Rock: Je ne vois pas ce que je pourrais vous dire de plus. La plupart des salaires sont établis en fonction du marché, de ce que cela coûterait pour embaucher un nouvel employé.

Pour réduire nos dépenses, il faudrait limiter certaines de nos activités. Nos essayons de garder nos dépenses aussi basses que possible. Si nous réduisions -

M. Peric: Je veux parler du partage des bénéfices. Vous avez dit tout à l'heure que vous étiez un organisme sans but lucratif. Mais je ne comprends toujours pas. Comment se fait-il que vous ayez des revenus de placement? Comment avez-vous pu acquérir cet immeuble?

.1330

M. Rock: Nous avons acheté cet immeuble avec de l'argent qui, autrement, aurait été déposé à la banque en attendant -

M. Peric: Vous partagez vos bénéfices.

Le président: Vous avez posé une question. Pourriez-vous laisser M. Rock y répondre, s'il vous plaît?

M. Peric: Oui, mais très rapidement.

Le président: Il a le droit de répondre, alors laissez-lui la chance de le faire.

M. Rock: Tout notre argent provient des détenteurs de licences du Canada et des autres pays. Mais nous ne pouvons pas le distribuer instantanément. Il faut des mois pour recueillir les renseignements nécessaires. Pendant ce temps-là, l'argent attend dans des comptes de banque porteurs d'intérêts. C'est de là que viennent nos intérêts. Nous avons pris une partie de cet argent pour acheter l'immeuble.

Le président: Madame Phinney.

Mme Phinney (Hamilton Mountain): Ma question porte sur les exemptions prévues pour les établissements d'enseignement. Vous dites dans votre mémoire qu'il est injuste que ces établissements doivent payer des redevances pour la présentation d'émissions d'actualités ou autres, mais pas pour la présentation d'oeuvres musicales. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet- là? À votre avis, est-ce que la présentation d'oeuvres musicales dans les établissements d'enseignement donnerait lieu à des redevances importantes?

M. Spurgeon: Je ne pourrais pas vous donner de montant exact, mais je dirais que les écoles exploitent les oeuvres musicales sensiblement de la même façon que les autres biens et services dont elles... C'est une industrie de plusieurs millions de dollars. Je sais bien que les établissements d'enseignement connaissent des temps difficiles, mais ils achètent des biens et des services; c'est une industrie de plusieurs millions de dollars, et les oeuvres protégées font partie de ce qu'ils doivent acheter.

Les dispositions proposées à ce chapitre dans le projet de loi C-32 visent à clarifier les droits et les obligations des enseignants vis-à-vis de certains détenteurs de droits d'auteur, mais pas dans le domaine musical. C'est sur cela que nous voulons insister. La loi contient toujours une disposition qui prévoit une exception très générale pour l'utilisation... et, à notre avis, l'existence d'une société de gestion permettrait de régler très facilement ces droits. En cas de contestation sur le montant des droits de licence, par les enseignants ou par les ministères de l'Éducation, il existe déjà un processus pour régler le problème; c'est la Commission du droit d'auteur, qui peut déterminer le montant que les utilisateurs doivent verser pour ces droits. Cela existe depuis 1937 et cela fonctionne très bien.

Le président: Monsieur Rock, pourriez-vous clarifier quelque chose pour moi? Ma question se rattache à celle de M. Abbott au sujet de la répartition des droits. D'après ce que j'ai pu voir dans votre bilan, vous avez distribué 67 millions de dollars en 1995. M. Abbott a parlé de 40 millions. Et dans vos notes, à la fin de votre document, je vois qu'en 1995, vous avez distribué environ25 millions pour des oeuvres diffusées à la télévision et environ 25 millions également pour des oeuvres diffusées à la radio. Il y a aussi les redevances des sociétés affiliées. Pouvez-vous nous dire exactement combien d'argent la SOCAN distribue, en prenant comme exemple l'année 1995? Est-ce 40 millions, comme l'a dit M. Abbott, 67 millions ou 75 millions de dollars? J'aimerais avoir des précisions parce que cela ne me semble pas très clair.

M. Rock: J'ai sous les yeux l'état de nos résultats d'exploitation. Nous avons distribué 67 174 000$ l'an dernier.

Nos états financiers couvrent deux périodes différentes. En 1995, nous avons reçu 91 millions de dollars, nos frais généraux ont été de 16 millions, et nous avons eu 75 millions à distribuer. Nous en avons distribué 67 millions. Les sommes non distribuées temporairement se sont donc accrues de 8 millions de dollars, soit la différence entre ces deux chiffres. Mais il ne nous reste plus rien. Nous distribuons l'argent tous les trimestres.

M. Abbott: Ce que je voulais dire, c'est que sur ces 91 millions de dollars, seulement40 millions avaient été versés directement à des artistes canadiens. C'est tout ce que je voulais faire ressortir.

Le président: Oh, à des artistes canadiens. Je comprends.

.1335

Merci beaucoup à M. Henderson et à tous les autres représentants de la SOCAN. Nous vous sommes très reconnaissants d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Je pense que votre témoignage a précisé bien des choses dans notre esprit. Merci.

Avant que vous partiez, j'aimerais demander aux membres du comité de m'accorder deux petites minutes. Nous tiendrons ce soir une table ronde à laquelle seront représentées trois organisations: les producteurs de médias d'éducation,

[Français]

le Front des créateurs pour la défense du droit d'auteur et l'Association nationale des éditeurs de livres.

[Traduction]

Nous avions au départ cinq organisations. Deux ont été déplacées pour diverses raisons, avec l'accord du comité. Et maintenant, la Playwrights' Union of Canada nous demande si elle peut se joindre à cette table ronde.

[Français]

Ils n'ont pas préparé de mémoire.

[Traduction]

Ils n'ont pas envoyé de mémoire. Mais en même temps, nous avons de la place à cette table ronde, et ils représentent un groupe très important. Ce que je vous suggère, si vous êtes d'accord, c'est que nous demandions aux trois autres organisations si elles auraient des objections. Sinon, nous pourrions inviter les gens de la Playwrights' Union. Si les autres organisations ne sont pas d'accord, nous ne les inviterons évidemment pas. C'est à vous de décider.

M. Bélanger (Ottawa - Vanier): Monsieur le président, je ne suis pas d'accord. Par respect pour les 160 intervenants qui nous ont envoyé un mémoire, pour les quelque 140 qui ont demandé à comparaître et pour la soixantaine que nous avons dû refuser, je ne crois pas que nous devions accepter de recevoir à si peu de préavis un organisme qui ne nous a même pas envoyé de mémoire.

Mme Phinney: Ils sont ici à Ottawa?

Le président: À Toronto.

Mme Phinney: Comment vont-ils pouvoir être ici ce soir?

Le président: Je ne sais pas.

Une voix: Ils peuvent envoyer un mémoire s'ils le désirent.

M. Peric: Je suis d'accord avec M. Bélanger. Ce n'est absolument pas juste pour les autres.

Le président: D'accord. Merci. L'affaire est classée.

La séance est levée.

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