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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 17 avril 1996

.1538

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte.

Nous avons le privilège d'accueillir cet après-midi M. Grubel qui viendra nous parler de l'assurance-emploi, et du projet de loi C-12, de même que nous faire des suggestions, en son nom propre et en tant que membre du Parti réformiste, sur la façon d'améliorer le projet de loi.

Voici ce que nous faisons d'habitude: nous accordons une demi-heure à chaque témoin, ce qui lui permet normalement d'exposer son point de vue en dix minutes et, à nous, puis de lui poser ensuite des questions.

M. Herb Grubel, député (Capilano - Howe Sound): Merci, monsieur le président.

Je suis ravi de comparaître. D'emblée, je tiens à préciser que si vous m'avez invité à comparaître, c'est pour que je le fasse non pas comme un membre du Parti réformiste, mais sans doute comme expert technique. En effet, si vous regardez la documentation érudite portant sur l'économie de l'assurance-chômage, vous y verrez mes contributions au cours des 25 dernières années, ce qui me confère, j'imagine, le titre d'expert. J'ai pris part à de nombreuses conférences, j'en ai organisé une moi-même, et j'ai présenté de nombreuses communications. J'imagine que c'est pour cela que vous m'avez invité.

Le Parti réformiste n'a pas vu le texte de mon allocution et ne l'a donc pas approuvé. Je comparais donc, je le répète, à titre d'expert technique.

Monsieur le président, j'attire votre attention sur le texte de mon exposé que je vais tenter de lire le plus rapidement possible. Il s'agit de 1 800 mots, et je pense pouvoir y arriver en moins de 15 minutes, après quoi je répondrai à vos questions.

D'emblée, permettez-moi de jouer cartes sur table. Je crois que l'assurance-chômage améliore le bien-être économique et social des Canadiens. Conçu et exploité comme il se doit, il répartit sur l'ensemble des travailleurs les risques de chômage causés par des forces qui échappent au contrôle de chacun. À ce titre, il favorise l'efficience et est équitable. En outre, il fournit des avantages qui profitent à tous en ce sens qu'il réduit l'importance des fluctuations des cycles économiques. L'accumulation de surplus pendant les périodes de prospérité et la désaccumulation pendant les récessions stabilisent la demande générale. Que ce soit clair, je veux parler des moyens de rendre le régime d'assurance-chômage plus efficient et plus équitable, et non de le mettre au rancart.

.1540

Pour y parvenir, on doit d'abord rendre au régime sa fonction d'assurance initiale. Ainsi, les prestations de maternité, le recyclage et les centres de placement des travailleurs devraient être financés à même les recettes générales, et non provenir du revenu tiré des cotisations d'assurance-chômage. Ces programmes sociaux n'ont rien à voir avec l'assurance-chômage. Ils profitent à l'ensemble des Canadiens, et non seulement à ceux qui occupent un emploi. Par conséquent, ils devraient être financés à même les fonds recueillis à droite et à gauche par le truchement de l'impôt sur le revenu, de l'impôt sur les sociétés et de la TPS.

Pour rendre le régime d'assurance-chômage plus efficient et plus équitable, il convient, dans un deuxième temps, de mettre l'accent sur son exécution. Dans ce contexte, la caractéristique la plus remarquable est qu'il a favorisé un taux de chômage plus élevé. De nos jours, cet effet de l'assurance-chômage est largement accepté par les chercheurs, par un vaste segment de la population, et même par les politiciens.

Le 5 décembre, M. Axworthy, le ministre, affirmait que le système actuel décourageait les chômeurs d'assumer des «jobines», c'est-à-dire des emplois à la petite semaine. Giles Gherson, le secrétaire principal de M. Axworthy, affirmait pour sa part que tout démontre que la générosité des prestations avait nui à la création d'emplois. Je le cite: «Il est clair que dans bien des localités, le régime d'assurance-chômage a étouffé les emplois, surtout dans le secteur des services».

Monsieur le président, là où il y a encore désaccord, c'est sur l'importance de cet effet. Dans la première recherche que j'ai consacrée à cette question, j'ai, en compagnie de collègues, estimé à entre 2 et 3 p. 100 l'augmentation du taux de chômage observée quelques années après que le régime eut été, en 1972, rendu plus généreux. Un certain nombre d'autres études ont corroboré ce résultat.

Dans mon texte, je parle d'une étude que j'ai effectuée, et j'attire votre attention sur une feuille volante que j'ai jointe et sur laquelle j'ai tracé les taux de chômage au Canada et aux États-Unis. Jusqu'en 1972, ils étaient presque parallèles, mais depuis, ils ont pris des tangentes distinctes. En février 1996, date des derniers chiffres, les taux de chômage des deux pays divergent de cinq points de pourcentage. Nombre d'économistes attribuent aujourd'hui cette différence en grande partie à la générosité accrue du système introduit en 1972.

C'est là un résultat très important. L'augmentation du taux de chômage causée par le régime d'assurance-chômage représente un coût élevé pour la société. Il suffit d'un simple calcul pour se donner une idée de l'ampleur de ce coût.

Disons que les réformes de l'assurance-chômage de 1972 ne se sont jamais produites et que, par conséquent, le taux de chômage était, l'année dernière, le même qu'aux États-Unis. Dans ces conditions, le revenu tiré de l'emploi et du travail aurait été supérieur à 3,5 p. 100, ou 11,1 milliards de dollars. Le revenu du travail réel s'est établi à 318 milliards de dollars. Il s'agit là évidemment d'une évaluation très partielle, puisque les profits des sociétés auraient cru davantage et qu'il y aurait eu des effets multiplicateurs. Par conséquent, une partie importante du rendement national est perdue, à cause de la générosité du système.

Maintenant, considérez un instant ce que cela signifie sur le plan de l'équilibre budgétaire. Au moins le tiers de ce revenu du travail aurait été payé en impôt, ce qui représente 3,3 milliards de dollars. Cela aurait d'office réduit le déficit d'environ 10 p. 100. Mais ce n'est pas tout. De plus, les cotisations d'assurance-chômage auraient été moins élevées, ce qui aurait favorisé l'embauche de travailleurs et aurait laissé aux consommateurs un revenu discrétionnaire plus élevé. Enfin, on aurait assisté à des gains subtils, quoique important, au chapitre de l'efficience économique: en effet, le nombre d'industries et de travailleurs implicitement subventionnés par le régime aurait diminué. On aurait pu affecter les ressources ainsi économisées à des professions et à des industries ayant une plus grande valeur sur le plan social.

Peut-on réduire les coûts imputables au régime actuel d'assurance-chômage sans faire subir un préjudice indu aux travailleurs et sans détruire la fonction d'assurance fondamentale du régime? Oui, c'est possible. Voici comment, à mon avis, ces objectifs peuvent être atteints.

D'abord et avant tout, on peut rendre le régime moins généreux. Le taux de prestations actuellement offert par notre régime, fixé à 53 p. 100 de la rémunération antérieure, est le taux le plus élevé de tous les pays industrialisés, ou peu s'en faut. Toutefois, la générosité d'un régime d'assurance-chômage est aussi fonction de la rigueur des normes d'admissibilité, de la durée des prestations, des industries visées, etc.

.1545

Il est intéressant de noter que, au cours des dernières années, on a grandement réduit la générosité du régime. Voilà l'une des conclusions à laquelle a aboutit une conférence tenue récemment ici, à Ottawa. Certains analystes ont laissé entendre qu'il n'est peut-être pas aussi généreux aujourd'hui qu'il ne l'était avant les réformes de 1972. Cependant, les niveaux antérieurs à 1972 ne sont pas nécessairement idéaux. On devrait envisager de rendre le régime encore moins généreux, sans pour autant faire subir un préjudice indu aux plus nécessiteux.

Deuxièmement, on doit introduire des mesures plus rigoureuses contre la fraude. Il y a fraude lorsque des demandes sont présentées illégalement, c'est-à-dire lorsque des Canadiens ont déjà des emplois, ou lorsqu'ils présentent de multiples demandent, par exemple.

J'ai toujours vu d'un oeil quelque peu sceptique les résultats des vérifications effectuées à l'interne, selon lesquelles les demandes frauduleuses représentent environ 1 p. 100 de l'ensemble des prestations versées. Comment les enquêteurs parviennent-ils à percer à jour des pratiques délibérément tenues cachées? En quoi sont-ils incités à révéler que leurs patrons bureaucratiques et politiques exploitent un régime donnant lieu à de nombreux cas de fraude?

Aujourd'hui, certaines données montrent que mon scepticisme n'était peut-être pas sans fondement. Dans le cadre d'un projet s'apparentant à une recherche en sciences humaines, cinq États américains ont récemment pris des mesures visant l'identification formelle des personnes qui présentent une demande d'aide sociale, par exemple des cartes d'identité à photo difficile à contrefaire et des numéros gérés par ordinateur. Selon une lettre publiée dans le Globe and Mail, on a constaté que les demandes frauduleuses représentaient de 8 à 15 p. 100 des paiements d'aide sociale.

On n'obtiendra peut-être pas les mêmes résultats à l'égard du Régime d'assurance-chômage du Canada, mais, pour nous en assurer, nous devrons mettre en place des systèmes électroniques modernes visant l'identification formelle des prestataires. Je doute que les propos du ministre, selon qui les fraudeurs seront traités de façon plus rigoureuse, auront beaucoup d'effet. Toutefois la mesure est peu coûteuse et vaut d'être mise à l'essai.

Dans ce contexte, j'attire votre attention à la première annexe de mon mémoire, qui est la copie d'une question que j'ai inscrite au Feuilleton. Grâce aux comptes publics, on a découvert qu'entre 1993-1994, le recouvrement des prestations d'assurance-chômage obtenues frauduleusement est passé de 148 à 155 millions de dollars, ce qui représente une augmentation en un an de 5 p. 100.

On a vu également le nombre de recouvrements de fraude dans les prestations de sécurité de vieillesse grimper de 320 p. 100, une augmentation spectaculaire. J'ai demandé au ministre d'expliquer comment, en une seule année, on a pu voir une telle augmentation des recouvrements. Je me demande quelles mesures ont été instaurées afin d'obtenir ces résultats.

Après avoir discuté tout d'abord de la possibilité de baisser les prestations et ensuite d'introduire des mesures plus strictes pour réduire la fraude, je voudrais maintenant passer à une troisième catégorie de mesures, celles destinées à rendre le système plus efficient.

Voici quelques exemples d'abus du système qui ne constituent pas des fraudes en soit, mais qui sont à ce point des cas flagrants qu'ils font sauter bien des Canadiens.

Un habitant de ma circonscription s'est rendu aux voeux de trois femmes qui, toutes, souhaitaient occuper un poste de secrétaire au sein de son entreprise. Elles ont toutes trois travaillé pendant quatre mois, selon une rotation. Pendant les huit mois où elles ne travaillaient pas, elles touchaient des prestations d'assurance-chômage. La modification apportée récemment aux dispositions législatives relatives à l'assurance-chômage a mis un terme à cette pratique en déclarant inadmissible les personnes qui quittent leur emploi volontairement. Toutefois, mon récit montre bien comment le régime a été détourné de ses fins initiales et comment il a pu être amélioré au moyen d'une modification relativement simple de la loi.

Dans la région de l'Atlantique, les administrations locales maintiennent les travailleurs en emploi tout juste assez longtemps pour leur donner droit aux prestations. En procédant ainsi par rotation les ministères des gouvernements conservent un effectif complet.

Troisième exemple. Dans certaines administrations provinciales, les enseignants reçoivent un avis de mise à pied qui entre en vigueur à la fin de l'année scolaire. Ils touchent des prestations d'assurance-chômage pendant l'été et, par la suite, ils sont réembauchés comme prévu.

Quatrième exemple. Les constructeurs automobiles remettent à leurs travailleurs un avis de mise à pied avant les réductions prévues de la production exigées par l'entretien de l'usine et les changements de modèles. Pendant cette période, les travailleurs touchent des prestations d'assurance-chômage, tout en sachant qu'ils seront réembauchés à une date ultérieure déjà connue. Ce type d'abus du régime a été codifié dans les conventions collectives signées entre les syndicats et les employeurs.

Les cas ci-dessus équivalent à l'octroi de subventions aux travailleurs et aux employeurs d'industries précises. Certaines de ces industries payent beaucoup plus que le salaire moyen.

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Pour offrir ces subventions, on n'imprime pas de l'argent à Ottawa. Ce sont plutôt les autres participants au régime qui sont tenus de verser des cotisations plus élevées. Nombre d'entre eux ont une rémunération inférieure à celle de ceux qui bénéficient des subventions.

L'élimination de celles-ci, au moyen de mesures législatives précises les interdisants, se révélerait efficiente et équitable. Je crois que la plupart des Canadiens accueilleraient volontiers de telles mesures.

Bien entendu, nombreuses sont les personnes qui abusent du système qui protesteront contre la perte des subventions qu'elles reçoivent. Sous prétexte qu'elles payent des cotisations d'assurance-chômage pendant qu'elles travaillent, elles affirmeront avoir le «droit» à ces prestations. Je pense qu'il est temps de faire preuve de leadership politique et de rabattre le caquet à ces personnes. Voilà le défi que je lance au comité et au ministre.

Quatrièmement, le régime d'assurance-chômage a subventionné les travailleurs et les employeurs des secteurs de la foresterie, de la pêche, de la construction et de l'accueil ainsi que d'autres industries saisonnières. Selon certaines estimations, les travailleurs de ces industries touchent, année après année, des prestations six fois supérieures à ce qu'ils cotisent au régime d'assurance-chômage. En outre, ces industries ont crû ou sont demeurées en activité parce qu'elles sont en mesure d'embaucher certains travailleurs à un taux salarial moins élevé que celui qu'elles seraient tenues de payer si, pendant la morte saison, les prestations d'assurance-chômage ne prenaient pas la relève.

Les prix des biens et des services produits par ces industries sont réduits, et la consommation de ces derniers est subventionnée en pure perte. Ainsi, les petits salariés payent des cotisations qui, indirectement, subventionnent les loisirs des skieurs bien nantis.

Il n'existe pas de solution politique facile aux problèmes créés par les subventions qu'octroie le régime aux industries saisonnières. On a affaire à des sommes et à des investissements importants. Parmi les travailleurs, la mentalité axée sur les «droits» est profondément ancrée et, pour des régions entières, les coûts de l'adaptation sont élevés. Toutefois, il existe certaines mesures qui, introduites graduellement, pourraient atténuer les problèmes.

Parmi ces mesures, citons la fixation de taux particuliers payables par les travailleurs et les employeurs. Ces taux pourraient être établis de manière à ce que les prestations touchées ne puissent plus être six fois supérieures aux cotisations versées, comme c'est le cas aujourd'hui. En fait, on devrait limiter à deux ou trois le rapport des prestations au regard des cotisations. L'écart dans les cotisations serait introduit graduellement, sur une période de cinq à dix ans. Il existe probablement d'autres mesures qui pourraient être prises en consultation avec les travailleurs et les employeurs concernés.

Monsieur le président, en conclusion, permettez-moi de résumer mes recommandations.

Le régime d'assurance-chômage est un instrument économique et social valable qui devrait et peut être maintenu. Dès sa création, il a toutefois été détourné de ses fins initiales. On devrait le délester du financement des services sociaux n'ayant rien à voir avec le chômage. Pour réduire la fraude, il devrait faire appel à la technologie moderne. On devrait mettre un terme aux cas de fraudes clairement établis qui créent des transferts de revenu inéquitables au profit de certains groupes de travailleurs. On devrait mettre un terme au financement permanent d'industries saisonnières en imposant des cotisations qui tiennent compte des subventions fournies par d'autres industries.

Monsieur le président, je crois que ces réformes du régime d'assurance-chômage sont faisables sur le plan technique et acceptable sur le plan politique. Comme elles se traduiraient par des cotisations et des taxes générales moins élevées, tout en continuant d'assurer une protection financière aux personnes qui ont perdu leur emploi pour des raisons qui échappent à leur contrôle, je pense qu'elles seraient accueillies par la majorité des Canadiens.

Merci de votre patience.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Grubel.

Passons maintenant aux questions. Monsieur Dubé, avez-vous des questions à poser?

[Français]

M. Dubé (Lévis): En démocratie, il est d'usage de respecter toutes les opinions exprimées, même celles des autres collègues. Mais vous me permettrez de dire, d'entrée de jeu, que je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que le système est trop généreux, qu'il est le plus généreux parmi ceux des sociétés occidentales. Je dis bravo, c'est tant mieux, on a un bon système.

Par contre, au cours des dernières années, on a constaté des coupures et, en même temps, une augmentation des fraudes. Mais vous n'avez pas posé la question qu'on devrait se poser.

.1555

J'ai entendu, comme vous, certains témoins dire qu'il existait des fraudeurs, mais il y a aussi des familles tellement pauvres... Vous avez entendu les représentants de Campagne 2000 dire qu'un enfant sur cinq au Canada vivait sous le seuil de pauvreté. Et lorsqu'il y a des enfants pauvres, c'est parce que les parents sont pauvres. Toutes les statistiques démontrent que la pauvreté augmente au Canada. Il faut être conscient de cela.

Si on suivait votre raisonnement, mon cher monsieur, la solution serait simple: éliminons l'assurance-chômage et il n'y aura plus de chômeurs.

Expliquez-moi pourquoi vous ne faites pas le lien entre les coupures de plus en plus importantes depuis un certain nombre d'années et le fait que des parents sont obligés de mentir à l'assurance-chômage pour nourrir leurs enfants.

Êtes-vous conscient de cela? La situation est-elle telle que, dans votre circonscription, il n'y a pas de gens qui sont mal pris? Votre région a-t-elle été épagnée? Je n'en reviens pas.

[Traduction]

M. Grubel: Mon cher collègue, auriez-vous l'amabilité de me dire à combien se sont chiffrées les réductions de prestations?

[Français]

M. Dubé: Les réductions ont commencé avec le ministre Bernard Valcourt.

[Traduction]

M. Grubel: D'accord, mais que représentaient les réductions?

[Français]

M. Dubé: Cela a commencé lorsque le gouvernement conservateur a décidé de ne plus financer l'assurance-chômage.

Tout d'abord, on a recensé tous ceux qui se retiraient, soi-disant volontairement. Avec le C-17, on a coupé les prestations de 60 à 55 p. 100 dès la première année. Donc, on parle de coupures importantes. Et là on envisage de nouvelles coupures. Vous ne faites pas le lien entre les coupures et une augmentation de la fraude de la part de gens qui essaient d'étirer l'élastique. Moi, je prédis qu'il y aura encore plus de gens pris dans des situations extrêmes qui voudront sauver leur vie.

Monsieur le député, l'écart entre les riches et les pauvres s'accroît au Canada. Quand vous nous comparez aux États-Unis... Même si je suis fier de nos voisins à bien des égards, pour ce qui est des programmes sociaux, je ne suis pas capable de les suivre.

Vous avez droit à vos positions et j'ai droit aux miennes, mais je m'étonne du genre de position que vous défendez.

[Traduction]

M. Grubel: Mon honorable collègue se satisferait-il d'une solution qui permettrait de réduire de 10,5 p. 100 à 5,5 p. 100 le chômage, tout en maintenant le cycle d'affaires? Cela le satisferait-il?

[Français]

M. Dubé: Oui, c'est la situation aux États-Unis, mais si vous examinez les études sur l'emploi aux États-Unis... Non, non. Là, on inverse les rôles. Combien de gens au Canada, et encore plus aux États-Unis, sont tellement affectés qu'ils sortent du système et ne font plus partie des statistiques?

On ne tient pas compte de cela. C'est cela, la situation américaine. Je parle en mon nom et non en celui de mon parti lorsque je dis que le modèle américain n'est pas l'exemple à suivre.

[Traduction]

M. Grubel: Le fait est que l'économie américaine et régime là-bas ont réussi proportionnellement à créer beaucoup plus d'emplois qu'au Canada. Voilà pourquoi nous avons plus de 4 millions de chômeurs. M. Axworthy et M. Gherson, que je vous ai cités, reconnaissent tous les deux pourquoi il en est ainsi.

.1600

J'aimerais également faire une distinction qui ne ressort pas assez clairement lors des discussions. La fraude suppose la violation d'une loi fondamentale selon laquelle on ne peut percevoir de l'assurance-chômage tout en occupant un emploi, on ne peut voyager d'une ville à l'autre et d'une province à l'autre et percevoir des prestations d'assurance-chômage d'une administration à l'autre, et on ne peut assumer plusieurs identités afin de percevoir plus d'une fois l'assurance-chômage dans une même ville.

Il y a beaucoup de non-dits autour de ces fraudes. Je suis sûr que le député du Bloc accueillera avec plaisir des mesures qui élimineraient des fraudes de ce genre, ou en tout cas ce que j'appelle, pour ma part, de la fraude.

Mais il existe aussi des cas d'abus. Le système n'avait jamais été prévu au départ pour aider des enseignants titularisés qui, peu importe la façon de calculer, ont des revenus supérieurs à la moyenne, afin qu'ils puissent suppléer à leurs revenus au cours de l'été en se faisant mettre à pied légalement de façon à pouvoir avoir droit aux prestations d'assurance-chômage.

Les citoyens du Canada que je représente sont très mécontents que leurs cotisations aillent dans la poche de ces gens-là, sous forme de prestations. Ils préféreraient que leurs cotisations servent aux gens de votre circonscription qui ont vraiment perdu leur emploi à cause des progrès techniques.

Comment le député peut-il accepter que l'on prenne de l'argent de la poche des petits salariés qui payent leurs cotisations pour le redonner aux enseignants ou à leurs semblables qui, d'après moi, abusent du système? Êtes-vous d'accord pour suppléer au cours de l'été au revenu des enseignants et des employés des commissions scolaires?

[Français]

M. Dubé: Je parle des enseignants à temps plein et des chargés de cours qui travaillent à la leçon. Là-dessus, il faudrait peut-être s'expliquer, mais je ne suis pas contre une réforme de la loi actuelle puisque je suis d'accord avec vous qu'elle laisse place à beaucoup d'interprétation.

Certains organismes qui s'occupent de la défense des chômeurs m'ont indiqué, la semaine dernière, que 75 p. 100 des gens qui contestent la décision du gouvernement obtiennent gain de cause en raison de problèmes d'interprétation mais non de fraudes. Monsieur, il existe des fraudeurs dans tous les programmes gouvernementaux, dans toutes les couches de la société, mais on s'acharne plutôt sur les plus démunis.

On pourrait retrouver des situations semblables dans certaines régions, mais soyez assuré que ceux qui fraudent le font pour survivre. S'ils avaient la possibilité de travailler, si on axait sur une politique de développement de l'emploi, ils préféreraient travailler.

[Traduction]

M. Grubel: J'attire votre attention sur ce que j'ai déjà dit, et je veux bien le répéter encore une fois.

Je suis convaincu de l'utilité d'un système d'assurance-chômage, car c'est bon pour l'ensemble du Canada. Toutefois, il devrait viser ceux qui se retrouvent en chômage, pour des raisons qui sont indépendantes de leur volonté. Voilà ma conviction de base.

Par ailleurs, nous avons découvert que la générosité même du système - tous les spécialistes s'entendent là-dessus, même M. Axworthy et ses adjoints - a fait croître le chômage et s'est traduite en une perte de sorties, de profits et de recettes fiscales. Ce que je demande au comité et aux Canadiens, c'est ceci: ne vaudrait-il pas la peine d'instaurer certaines des mesures comme celles que j'ai préconisées pour donner des emplois aux Canadiens et les faire payer moins de taxe?

Le système n'a jamais été conçu comme un transfert permanent de six fois le montant des cotisations injectées par les travailleurs forestiers, les pêcheurs et les travailleurs du secteur des loisirs. Ce sont là des chiffres du gouvernement. On retire des petits salariés des sommes que l'on verse sous forme de subventions permanentes à ces industries. Il faut réagir, car tout cela est injuste pour ceux qui en font les frais.

.1605

Je comprends ceux qui veulent protéger les gens qui recevront moins ou qui devront s'adapter aux changements. Je vous parle en tant qu'économiste, et au nom de tous à qui l'on demande de faire les frais de toutes ces petites gratifications.

Le président: Merci, monsieur Grubel.

Y a-t-il d'autres questions à l'intention de M. Grubel?

Mme Brown (Calgary-Sud-Est): Oui, j'aimerais poser une question à M. Grubel. Merci beaucoup.

J'ai eu grand plaisir à vous entendre, monsieur Grubel. La question que je voudrais vous poser me vient d'une conversation que j'ai eue, lors d'une ligne ouverte, il y a de cela quelques semaines, avec une femme de l'Île-du-Prince-Édouard, qui avait quatre 4 enfants. Le revenu familial de ce ménage pour 1994-1995 atteignait 12 000 $.

Ce qui me préoccupe, c'est d'assurer un soutien financier aux ménages, et particulièrement ceux de l'est du Canada, qui vivent selon les aléas du travail saisonnier. Pourriez-vous nous expliquer en détail les mesures qui pourraient - et je dis bien «pourraient» - être instaurées en vue de répondre aux besoins de cette famille en termes de sécurité sociale.

M. Grubel: Ce que j'ai suggéré a déjà été mis à l'essai dans plusieurs pays en vue de limiter la taille de l'industrie saisonnière: il s'agit de demander aux travailleurs saisonniers de payer des cotisations un peu plus élevées que ceux qui ne se font jamais mettre à pied. Cette mesure pourrait être instaurée graduellement sur 10 ans pour que les Canadiens s'adaptent aux changements.

Le système actuel n'a aucun sens. Il n'a jamais été conçu pour aller chercher de façon continue de l'argent dans la poche des commis qui travaillent dans les supermarchés au salaire minimum ou dans la poche des travailleurs forestiers à maigre salaire qui sont obligés de verser leurs cotisations sans nécessairement espérer jamais en retirer un jour. Autrement dit, ce sont eux qui subventionnent de façon continue les travailleurs de l'Île-du-Prince-Édouard.

Je sais que cela pose de grandes difficultés. Mais je représente ici l'intérêt de la population, c'est-à-dire les 80 p. 100 des Canadiens qui deviennent rarement chômeurs. Or, ces gens sont malheureux qu'on les oblige à prendre part à un système de transfert permanent. Mais ils n'ont d'autre choix que d'y participer. Or, ils se demandent aujourd'hui pourquoi on leur demande à eux de maintenir à tout jamais les travailleurs saisonniers dans leur emploi.

Je n'ai pas de réponse absolue à vous offrir, mais je suggère simplement une approche graduelle qui permettrait de réduire la somme totale des subventions que reçoivent ces gens en permanence.

Mme Brown: Vous avez abordé une question fort intéressante, celle de la difficulté qui se pose au cours de la période de transition.

L'angoisse était palpable dans la voix de cette mère de famille qui demandait: «Comment vais-je faire pour joindre les deux bouts et pour prendre soin de mes enfants et leur procurer nourriture, vêtements, éducation et toutes les nécessités de la vie qui sont essentielles dans un foyer?» J'ai eu moi-même du mal à lui répondre.

J'ai essayé de la réconforter en lui faisant savoir que l'on tiendrait compte de ses préoccupations et de ses craintes, au moment l'élaborer les mesures.

M. Grubel: Vous verrez dans mon mémoire, madame Brown, que j'ai dit à deux reprises que le système doit protéger les intérêts des plus nécessiteux. Cela me semble être le cas de cette femme. C'est la seule façon de faire. En réformant le système, il n'est pas question de laisser tomber ceux qui sont coincés, comme cette femme.

Il est impensable de laisser tomber ces gens si l'on veut vraiment assumer nos responsabilités, mais on ne peut pas non plus continuer à demander constamment aux petits salariés des régions côtières ou du centre du Canada de contribuer à perpétuer un système tel que celui que j'ai décrit plus tôt. Ces petits salariés commencent à se révolter et exigent que l'on modifie le régime d'assurance-chômage.

Mme Brown: Merci.

Le président: Y a-t-il des questions des députés libéraux? Non?

Merci infiniment.

M. Grubel: Tout le plaisir était pour moi. Merci.

Le président: Je suis sûr qu'en tant que député, vous profiterez de la tribune qu'est la Chambre des communes pour débattre avec éloquence cette question.

.1610

M. Grubel: Merci beaucoup de m'avoir permis de prendre la parole. Je voudrais répéter, à l'intention de ceux qui ne l'ont peut-être pas entendu au début, que je comparais à titre d'économiste de profession qui écrit des articles sur cette question depuis 25 ans déjà, et que les opinions que j'ai exprimées sont les miennes et non pas celles du Parti réformiste, qui n'a d'ailleurs pas eu l'occasion de les entendre au préalable et encore moins de les approuver.

Le président: Nous savons également qu'en tant que député, vous pouvez prendre la parole à la Chambre des communes.

Mme Brown: Monsieur le président, avant de passer à d'autres témoins, je demande l'indulgence du comité pendant quelques instants. Au début de nos travaux, nous avons dit vouloir faire preuve de coopération et de souplesse. Je crois savoir que l'Institut Caledon qui devait comparaître aujourd'hui à 17 heures, s'est désisté. Je crois également savoir qu'aucune autre date n'est prévue pour sa comparution. Je demande donc l'indulgence du comité pour proposer la motion suivante: Que l'on modifie le programme d'aujourd'hui du comité du développement des ressources humaines afin de remplacer l'Institut Caledon par la leader du Nouveau Parti démocratique.

M. Dubé: J'appuie.

M. McCormick (Hastings - Frontenac - Lennox and Addington): Une question:M. Charest est-il disponible aujourd'hui?

Mme Brown: Je ne me suis pas intéressée au cas de M. Charest.

M. McCormick: Je voulais simplement savoir s'il était disponible.

Mme Brown: Je ne crois pas qu'il soit à la Chambre. D'ailleurs, l'est-il jamais? Je crois qu'il ne vient jamais, car il est toujours en tournée de discours.

M. McCormick: Cela ne me convainc aucunement.

Mme Brown: Ils ne sont que deux dans son parti, et comme nous l'avons dit souvent, ils ont été réduits en poussière.

Le président: Avant de débattre cette motion, nous allons entendre les deux autres groupes de témoins qui sont déjà arrivés.

Nous accueillons maintenant la Centrale des syndicats démocratiques. Messieurs, bienvenue. Vous avez toute notre gratitude pour avoir accepté de comparaître aujourd'hui pour débattre du projet de loi C-12, concernant l'assurance-emploi au Canada. Nous accueillons donc Claude Gingras, de la Centrale des syndicats démocratiques, et François Vaudreuil, son vice-président.

Bienvenue messieurs. Comme vous le savez, le mandat de ce comité est d'améliorer le projet de loi C-12. Nous avons beaucoup appris de centaines de Canadiens qui nous ont envoyé des mémoires ou qui ont comparu devant le comité. Il s'agit d'un échantillonnage varié de Canadiens représentant des syndicats ou des entreprises et des intervenants locaux. Nous avons beaucoup apprécié leur contribution, et je suis convaincu que nous saurons aussi tirer parti de votre point de vue dans nos efforts pour améliorer cette mesure législative.

M. Nault (Kenora - Rainy River): Monsieur le président, je crois savoir que le témoin a fourni un mémoire. Peut-il nous être distribué?

Le président: Oui. D'habitude, cela se fait automatiquement. Je vous remercie, monsieur Nault, de nous l'avoir signalé.

M. Nault: J'aimerais l'avoir avant que les témoins commencent.

Le président: Vous pouvez commencer.

[Français]

M. Claude Gingras (président, Centrale des syndicats démocratiques): C'est avec plaisir que la CSD entend soumettre ses représentations concernant l'étude du projet de loi C-12. Le pays, tant ses décideurs économiques que politiques, est incapable depuis au moins une décennie de remettre les personnes au travail.

.1615

Il faut reconnaître que, contrairement aux promesses, la libéralisation des marchés s'est avérée, à ce jour, inopérante à créer la richesse nécessaire pour faire bien vivre la population.

La CSD considère que le projet de loi C-12 n'est pas nécessairement une réponse dynamique à cette problématique. Au contraire, nous croyons que les coupures additionnelles qui y sont prévues vont à l'encontre des principales traditions libérales de progrès sur lesquelles le pays s'est bâti et a fait sa réputation.

Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, la CSD craint qu'il contribue à creuser davantage les écarts entre les riches et les pauvres, entre les privilégiés qui ont un emploi et les exclus, tout en légitimant le gouvernement fédéral de poursuivre ses ponctions dans la Caisse dans le but de réduire son déficit principalement sur le dos des victimes du chômage.

L'actuelle réforme du Régime d'assurance-chômage aurait dû se révéler l'occasion de rassurer la population sur l'intention du gouvernement de continuer à jouer un rôle positif dans la redistribution de la richesse dans notre société. À cet égard, la CSD croit pouvoir jouer un rôle dans la conception de la nouvelle philosophie devant animer l'État fédéral.

C'est pourquoi, au-delà des commentaires sur le projet de loi proprement dit, nous entendons soumettre une proposition innovatrice visant à relancer toute la dynamique des services d'adaptation et d'aide à l'emploi, appelés dans le projet de loi les prestations d'emploi.

La conception de base de toute réforme du Régime d'assurance-chômage aurait dû apporter une réponse positive à la nouvelle réalité des travailleuses et des travailleurs façonnée par les récessions et les mutations profondes de l'économie, cette économie qui a souvent transformé leur emploi régulier et permanent en un emploi précaire, quand elle ne les a pas laissés tout simplement en marge du marché de l'emploi.

Cette réforme aurait dû également apporter une réponse positive aux travailleuses et aux travailleurs bousculés par la globalisation de l'économie et par l'introduction de nouvelles technologies. En ce sens, les volets de l'adaptation à l'emploi et de la formation doivent faire l'objet d'un double rapatriement vers les provinces et vers les organisations du milieu.

Cette réforme aurait dû être porteuse d'espoir pour l'ensemble des travailleuses et des travailleurs et se faire, tel que promis en campagne électorale, dans un cadre respectueux de leur dignité et de leurs droits fondamentaux.

Il aurait fallu innover tout en préservant jalousement les principes de base du régime qui ont contribué à faire de notre pays un endroit où l'égalité des chances est un droit fondamental. Les plus intelligents efforts d'adaptation du régime à la réalité du marché du travail demeureront vains et futiles s'ils sont carrément torpillés par des coupures dans l'admissibilité, le montant des prestations, la durée et la période pour les recevoir.

La CSD croit qu'il faut refuser la vision néo-libérale qui a fait preuve de son incapacité à régler les problèmes de l'emploi en déréglementant certains secteurs et en coupant dans les programmes sociaux tout en prétendant faussement que l'ensemble des Canadiennes et des Canadiens vont s'enrichir collectivement par la seule réduction du déficit. Des changements profonds dans le Régime de sécurité sociale sont rendus nécessaires à cause de la progression alarmante de la pauvreté.

La CSD croit qu'il est urgent que le gouvernement se fasse le promoteur d'une vision humanisée de la façon dont l'État doit s'acquitter de ses responsabilités envers les citoyennes et les citoyens, radicalement différente de l'approche bureaucratique et culpabilisante envers les sans-emploi développée ces récentes années.

Il n'y a pas d'argument qui tienne pour justifier des coupures additionnelles dans le Régime d'assurance-chômage qui a déjà été trop amputé par le précédent gouvernement et celui qui nous propose de nouvelles réductions.

Par contre, nous croyons qu'il y a lieu de revoir certaines pratiques et certains champs de juridiction pour faire en sorte que le filet de sécurité que constituent les programmes sociaux devienne un véritable tremplin vers des emplois de qualité pour le plus grand nombre de personnes.

Les vraies économies pour le gouvernement ne devront venir que d'une réduction de la demande des prestations, non pas parce qu'on a éliminé des prestataires pour les diriger vers d'autres programmes comme l'aide sociale, mais parce qu'il y aura création d'emplois de qualité et durables.

Étant donné le peu de temps qui nous est imparti pour cette présentation, nous avons choisi de faire porter nos commentaires sur un certain nombre de mesures contenues dans le projet de loi. Cependant, il est bien entendu qu'à moins de modifications importantes visant à revoir en profondeur le projet de loi, ce qui ne semble pas être la voie choisie par le gouvernement, la CSD demande le retrait pur et simple du projet de loi C-12.

.1620

Selon le projet de loi, l'admissibilité au Régime ne sera plus basée sur un nombre de semaines mais un nombre d'heures. La CSD considère que cette mesure est intéressante uniquement dans la mesure où elle est modifiée pour ouvrir à un plus large éventail de personnes l'accès au régime, reconnaissant de ce fait les transformations substantielles du marché du travail et de l'emploi, notamment la prolifération du travail en dehors des cadres traditionnels.

Cependant, la CSD est opposée à tout moyen déguisé de réduire le nombre de personnes ayant droit aux prestations tout en élargissant le bassin des cotisants non admissibles au régime.

Quant à l'objectif sous-jacent à cette mesure, soit la réduction du travail au noir, souhaitons qu'il soit atteint, car on sait fort bien que ce ne sont pas les travailleuses et les travailleurs qui en sont responsables. Ceux-ci en sont plutôt les victimes. Comment pourrait-on faire pression pour que leurs heures travaillées soient toutes déclarées? Ce sont des questions auxquelles les travailleurs n'ont pas de réponse actuellement.

Rien n'est moins certain et une grande déception de cette réforme est que ce sont les chômeuses et les chômeurs qui font les frais des coupures alors qu'ils n'ont aucune prise sur les donneurs d'ouvrage.

À l'utilisation du nombre total d'heures travaillées comme barème d'admissibilité, s'ajoute le problème particulier, mais appelé à se multiplier dans l'avenir, des horaires comprimés. Par exemple, les salariés qui travaillent le samedi et le dimanche à raison de 12 heures par jour, ce qui leur fait une semaine de 24 heures, mais qui sont rémunérés en fonction de leurs conditions de travail pour 40 heures, y voient un problème sérieux. Le nouveau système propose de leur reconnaître 24 heures qui seront admissibles à l'assurance-emploi, alors qu'ils sont payés en compensation de 40 heures de travail.

Ces nouvelles dispositions ne tiennent pas compte de ce type d'horaire, très populaire dans certaines industries soucieuses de maximiser la durée d'utilisation de leurs équipements, notamment dans les secteurs du textile, de l'agroalimentaire et des municipalités.

Cela soulève également une problématique très importante. Nous nous référons à l'étude amorcée au Québec, du moins relativement à l'adoption d'un plan d'action visant l'aménagement et la réduction du temps de travail. Le gouvernement, en concertation avec les partenaires patronaux et syndicaux, s'ils en arrivent à une entente bien sûr, s'apprête à légiférer pour encourager la mise en place de mesures d'assouplissement, de réduction et de flexibilité des horaires favorisant le maintien ou la création d'emplois.

La CSD revendique que le projet de loi soit modifié afin qu'il soit tenu en compte, aux fins du calcul des heures d'admissibilité au régime dans les cas d'horaires comprimés, de l'équivalent majoré, c'est-à-dire qu'on tienne compte de la rémunération que les travailleurs reçoivent. S'ils sont rémunérés pour l'équivalent de 40 heures, on devrait leur reconnaître 40 heures de crédit au niveau du régime.

Les personnes qui présentent une première demande devront dorénavant accumuler 910 heures pour se qualifier, soit six semaines de plus qu'actuellement. La CSD revendique que soit modifié le projet de loi par le retrait des dispositions de l'article 7 qui établissent des normes plus sévères pour la personne qui devient ou redevient membre de la population active et l'assuré.

La CSD croit au contraire qu'une personne dans cette situation a besoin plus qu'une autre du soutien financier du régime. Contrairement aux prétentions, ces personnes ne se complaisent pas dans un cycle de dépendance envers l'assurance, mais subissent plutôt les conditions d'un environnement difficile et d'un manque d'outils efficaces pour leur permettre de s'adapter.

Le projet de loi propose aussi de calculer la moyenne de la rémunération en divisant la rémunération totale du salarié par un dénominateur, c'est-à-dire un nombre de semaines entre 16 et 20, selon le taux de chômage régional.

La CSD est d'accord sur le principe proposé de la rémunération totale étant donné que cela permet de courtes périodes sans revenu, contrairement au régime actuel. Cependant, la Centrale s'oppose à l'utilisation des dénominateurs pour fixer le montant des prestations que recevra un assuré.

La CSD revendique de changer la formule du dénominateur par une formule qui prévoirait que l'on divise le montant total de la rémunération requise pour se qualifier, soit entre 180 et 300 heures, tel que proposé précédemment, par le nombre de semaines travaillées pour établir la rémunération hebdomadaire moyenne.

Dans le cas où, malgré nos représentations, la formule du dénominateur demeurerait, la CSD revendique que soit radiée du projet de loi la mécanique réglementaire prévue pour hausser le dénominateur. La transparence exige que si le ministre désire sabrer une nouvelle fois dans les prestations, il procède par voie d'amendements législatifs et suive le processus parlementaire prévu.

Je pense que les personnes ont le droit de se prononcer sur ces questions car ce n'est pas uniquement une décision politique.

.1625

La CSD est également totalement opposée à la réduction du taux des prestations selon qu'on en a touché antérieurement. Nous déplorons cette approche culpabilisante envers les sans-emploi, qui vise à leur imputer les frais d'événements sur lesquels ils n'ont que peu de prise, soit le maintien de leur emploi.

Depuis trop longtemps, des employeurs se servent du Régime d'assurance-chômage pour stabiliser leur coûts de main-d'oeuvre sans jamais être pénalisés d'aucune façon.

La CSD a déjà fait part de cette réalité et recommandé de construire un fichier des entreprises qui sont de grandes utilisatrices du régime et de moduler à la hausse leurs cotisations en fonction de ces données.

S'il est vrai que les entreprises hésitent à faire appel à de nouveaux salariés à cause des charges sociales supposément exorbitantes que ceux-ci représentent, elles y songeraient à deux fois avant de procéder à des mises à pied si cela devait entraîner un coût pour elles. La mise à pied deviendrait alors une véritable mesure de dernier recours et l'on pénaliserait les véritables responsables de la situation. Ce ne sont pas toujours les prestataires qui sont responsables des mises à pied et du chômage.

En conséquence, la CSD revendique le retrait de toutes les mesures visant la réduction du taux des prestations en fonction des prestations touchées antérieurement et leur remplacement par un système de fichiers et de cotisations modulées qui viserait à responsabiliser les employeurs, véritables artisans des mises à pied.

Les prestataires qui ont reçu plus de 20 semaines de prestations au cours des cinq dernières années et dont le revenu sera supérieur à 39 000 $ pourront devoir rembourser jusqu'à 100 p. 100 de leurs prestations.

Voilà une alléchante mesure, du moins en apparence. Faisons payer les riches. Un vieux rêve serait-il en voie de se réaliser?

Malheureusement, ce n'est pas notre conviction. Dans la crise actuelle de l'emploi, qui ne semble aucunement en voie de se résorber, il n'y a pas de riches dans l'assurance-emploi. Cette mesure vient de plus entamer sérieusement l'accessibilité réelle des programmes.

En effet, si les plus hauts salariés qui contribuent au régime ne peuvent plus, dans les faits, en bénéficier ou doivent rembourser les prestations qu'ils reçoivent, le jour n'est pas loin où ils ne voudront plus y contribuer.

Si le régime est contesté par les plus hauts salariés, qui sont d'importants contributeurs, il y a fort à parier que les politiciens en mal de satisfaire la classe moyenne céderont à la pression et mettront fin à un régime qui n'est plus désiré parce qu'il ne s'adresse plus à une part importante et influente de l'électorat, cela sans compter le risque de voir proliférer les régimes privés d'assurance-salaire qui s'adresseront particulièrement aux plus hauts salariés, diminuant davantage l'intérêt pour le régime collectif.

La CSD revendique que soit modifié le projet de loi afin que le maximum de la rémunération assurable demeure à 42 380 $ par année pour 1995 et soit indexé par la suite au coût de la vie pour les années subséquentes.

Considérant l'incontournable nécessité d'adopter des mesures favorisant les familles et les engagements des gouvernements à cet égard pris dans la foulée de l'Année internationale de la famille, la CSD recommande que l'on saisisse l'occasion d'apporter des amendements législatifs au régime d'assurance-emploi pour bonifier les conditions s'appliquant aux congés de maternité et parental.

À cette fin, nous avons soumis une proposition claire. Il s'agit d'un aspect concernant les aidants naturels et l'assurance-emploi. Nous voulons que le comité fasse une réflexion importante à ce sujet, car il s'agit d'un aspect nouveau sur lequel la CSD veut attirer l'attention.

Le désengagement des gouvernements dans la prestation des soins de santé et des services sociaux, ainsi que le vieillissement de la population et le virage ambulatoire font que de plus en plus de personnes devront compter sur leur famille pour les soutenir en cas de maladie ou d'accident.

Le phénomène des aidants naturels est donc appelé à prendre de l'ampleur dans notre société. Des travailleuses et des travailleurs risquent de devoir s'absenter du travail pour porter assistance à leur mère, père, conjoint ou enfant dont la condition le nécessitera à la suite d'une maladie ou d'un accident.

Le nouveau régime d'assurance-emploi doit tenir compte de ce nouveau phénomène qui est déjà la réalité d'aujourd'hui.

La CSD revendique également que soit modifié le projet de loi afin que la réserve constituée pour le compte d'assurance-chômage soit capitalisée et ne puisse servir qu'aux fins pour lesquelles elle a été créée. Il s'agit d'une protection indispensable pour les cotisants au régime, qui n'apprécieraient sûrement pas de se faire faire le coup de la Société d'assurance automobile du Québec.

.1630

Nous sommes également d'avis que la cotisation patronale de base doit demeurer fixée à 1,4 p. 100 de la cotisation des employés.

À l'exception des économies de 100 millions de dollars réalisées par une simplification administrative, nous rejetons la ponction additionnelle de 2 milliards de dollars prévue au régime. La CSD est plutôt d'avis que les coupes à blanc déjà effectuées ont été plus que suffisantes puisqu'elles ont permis à la caisse de générer des surplus d'opération.

Ces coupures ont déjà causé assez de mal et continuent de priver les prestataires de revenus qui leur sont absolument nécessaires. C'est assez. Nous croyons qu'il est plus sage de procéder à une véritable évaluation des coûts économiques sociaux et humains du chômage au Canada.

Pour mieux gérer les programmes d'aide à l'emploi, éviter les chevauchements entre le fédéral et les provinces et trouver rapidement des façons efficaces de remettre le monde au travail, la CSD revendique que le pourcentage de la cotisation servant à d'autres fins que les prestations d'assurance-emploi, soit les congés de maternité, parentaux, pour adoption, de maladie, de travail partagé et pour les pêcheurs, soit versé au gouvernement du Québec ou au gouvernement des autres provinces qui en disposera dans des programmes de formation et de création d'emplois à redéfinir.

Nous avons également soumis à votre attention une proposition concernant les prestations d'assurance-emploi. Concernant l'instauration de ces cinq prestations d'emploi, nous devons prévoir remodeler la façon de faire pour permettre aux associations syndicales d'être plus impliquées dans l'octroi de ces programmes d'emploi et dans la mise de l'avant de mesures visant à assurer le développement de l'emploi au Québec.

Quant aux cinq nouvelles prestations d'emploi, elles sont nettement insuffisantes pour remettre les gens au travail. Il faudra plus de mesures et plus de ressources financières pour espérer y arriver et surtout mieux les cibler.

Le Québec a une structure industrielle et des exigences particulières, pour ne pas dire «distinctes», en matière de formation professionnelle. Ce fait, combiné au peu de succès des mesures de création d'emplois en vigueur depuis des années, suffit à nous convaincre de la nécessité impérative de rapatrier au Québec tout ce qui n'est pas prestations d'assurance-emploi, de maternité, parentales, d'adoption, de maladie, de travail partagé, pour les pêcheurs, etc.

La CSD est convaincue que la création d'emplois passe par une main-d'oeuvre bien formée et une stratégie de développement industriel créatrice d'emplois de qualité. Bien sûr, dans notre esprit, c'est le gouvernement du Québec pour les Québécois et probablement le gouvernement de leur province pour les autres, en concertation avec les intervenants du milieu, qui peuvent être les meilleurs maîtres d'oeuvre.

Voilà les commentaires que nous voulions formuler. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer à la période de questions et réponses. Monsieur Dubé.

[Français]

M. Dubé: Merci aux intervenants pour la qualité de leur mémoire. J'aimerais vous dire tout d'abord que nous sommes presque entièrement d'accord sur chacune de vos recommandations, mais je voudrais vous entendre sur certains points.

Vous avez parlé d'emplois de qualité, etc., et on est bien d'accord. C'est assez étonnant d'ailleurs. On ne parle plus d'assurance-chômage, mais d'assurance-emploi. Par ailleurs, on retrouve dans le projet de loi des coupures, des réductions à l'admissibilité, etc.

Vous avez rejeté plusieurs points de la proposition, mais vous semblez en retenir un. Vous semblez en effet retenir le principe des heures, ce qui est nouveau; c'est-à-dire que vous compteriez en heures et non en semaines pour mesurer l'admissibilité.

Ensuite, vous avez parlé du travail au noir. Il semble que vous pensiez que le fait d'additionner toutes les heures travaillées serait une façon de réduire le travail au noir. Cependant, vous n'en êtes pas certains et vous émettez des réserves. Je voudrais donc connaître vos réserves à l'égard de ce système.

Je reviendrai plus tard avec d'autres questions.

.1635

M. Gingras: Sur le système d'heures, nous sommes presque d'accord parce que le régime doit atteindre un certain niveau de flexibilité. Dans le système actuel, il n'est pas évident que le nombre de semaines exigé pour se qualifier répond aux nouveaux enjeux et aux nouveaux horaires qui s'établissent actuellement dans les milieux de travail.

Il faut revenir à une formule qui permette de comptabiliser le temps travaillé de façon cumulative du fait qu'il y a maintenant toutes sortes de travailleurs, ceux qui travaillent pour plusieurs employeurs, les travailleurs autonomes et toutes sortes de nouvelles catégories de travailleurs.

Le Régime d'assurance-chômage ou d'assurance-emploi doit s'ajuster à cette nouvelle réalité des horaires qui deviennent de plus en plus flexibles, de plus en plus différents et qui ne sont pas tous stéréotypés comme ceux qu'on a connus autrefois. On peut voir maintenant des horaires de fin de semaine, des horaires de soirée, des horaires à temps partiel. Il y a toutes sortes d'horaires. En exigeant des semaines comportant un minimum d'heures, on excluait du Régime d'assurance-chômage des catégories importantes de salariés, et certains travailleurs gardaient des emplois comportant moins d'heures pour échapper à l'assujettissement au régime.

Nous croyons que le fait de revenir à une notion d'heures qualifiantes devrait élargir la couverture des travailleurs et des travailleuses québécois et supprimer la tendance à créer des emplois précaires, avec moins d'heures de travail, pour échapper à l'assujettissement au régime.

Nous sommes donc en faveur de ce virage parce que nous pensons que cela éliminera peut-être en même temps le travail au noir qui échappait à tout contrôle. En fait, nous avions des règlements trop rigides qui ne correspondaient pas nécessairement à la réalité économique de bien des gens.

M. Dubé: Et cela confirme votre aspect positif.

D'autre part, vous semblez être en faveur du retour au statu quo concernant le plafond des gains assurables à environ 42 000 $. J'ai entendu ici des centrales syndicales autres que les centrales québécoises qui ont dit qu'elles étaient même favorables à ce que le plafond soit augmenté, alors que vous recommandez le statu quo. Vous savez certainement qu'en faisant cela, le gouvernement perdrait environ 900 milliards de dollars de revenus pour l'assurance-chômage. C'est beaucoup.

Si on poussait la logique un peu plus loin, seriez-vous prêts à aller au-delà de votre recommandation, c'est-à-dire à ne pas mettre de plafond? Somme toute, les gens que vous représentez ne gagnent pas 100 000 $ et plus, mais ont plutôt des salaires moyens. Est-ce que vous envisageriez de favoriser cette possibilité mentionnée par d'autres centrales?

M. Gingras: Si vous nous parlez d'améliorer le Régime d'assurance-chômage, nous ne serons sûrement pas en désaccord sur des mesures ayant pour but d'améliorer l'aide, mais nous pensons quand même qu'il faudrait garder les prestations dans un cadre raisonnable et essayer de contrôler les coûts.

Nous avons choisi la voie du moindre mal. Nous nous disons qu'après avoir atteint un certain niveau, on peut sûrement le bloquer temporairement, quitte à indexer ensuite la croissance des revenus assujettis. Cependant, nous ne partageons pas l'idée d'accepter de nous priver d'un revenu pour créer dans la caisse d'assurance-chômage des surplus qui vont être utilisés à d'autres fins que celle d'indemniser les victimes du chômage, comme c'est le cas actuellement.

M. Dubé: J'ai une petite question à ce sujet, et je vais expliquer un peu mon point de vue. Nous sommes tous en train de réfléchir au comité, mais si on permettait d'augmenter le plafond et qu'on pouvait contrôler le coût des prestations, cela permettrait probablement de diminuer les cotisations des employés et des entreprises, pour autant que le gouvernement mette une certaine limite au montant de surplus de la caisse afin que cela ne contribue pas au déficit. En effet, l'argument des entreprises est souvent que les cotisations sont un handicap au développement de l'emploi. Qu'en pensez-vous?

.1640

M. Gingras: Nous avons proposé des modalités différentes. Vous savez qu'il y a des employeurs qui se servent actuellement du Régime d'assurance-chômage pour stabiliser le coût de leur masse salariale. En effet, il y a des gens peu soucieux de planifier leur production qui procèdent à des mises à pied ponctuelles plutôt que de prévoir des périodes relativement égales de production pendant lesquelles ils vont engager des travailleurs.

Actuellement, nous essayons d'aider les victimes et nous aimerions que l'on trouve une autre solution que celle de couper et couper encore les prestations de ceux ou celles qui ont fait plusieurs demandes d'assurance-chômage. Si ces gens-là sont des abonnés au régime d'assurance-chômage, ce n'est peut-être pas toujours leur faute, parce qu'ils n'ont pas toujours le contrôle de leur emploi. En effet, le responsable serait plutôt l'employeur qui décide de les mettre à pied parce qu'il n'a pas su planifier sa production.

Nous disons donc que les employeurs qui provoquent une grande utilisation de l'assurance-chômage en procédant à de nombreuses mises à pied devraient payer une cotisation plus importante sur leur masse salariale, ce qui tiendrait compte du fait qu'ils se servent de l'assurance-chômage pour stabiliser le coût de leur main-d'oeuvre. D'autre part, ceux qui créent de l'emploi et contribuent à améliorer la situation de l'emploi devraient être favorisés par le régime d'assurance-chômage. C'est ainsi que l'on inciterait à la création d'emplois. C'est de cette façon que nous voyons la répartition de l'assiette de la contribution des employeurs au régime de l'assurance-chômage.

[Traduction]

Mme Brown: Monsieur le président, j'aimerais faire une ou deux observations, suivies d'une question.

Je n'ai pas l'intention de m'attacher au détail du texte de votre exposé, mais je pense que vos propos mettent en relief les différences idéologiques entre les parties qui tentent de résoudre le problème de l'assurance-chômage au Canada. D'une part, j'estime que c'est illogique, dans le contexte de ce que vous avez dit aux pages 3 et 4:

En l'occurrence, ce que nous souhaitons faire, c'est modifier le programme d'assurance-chômage pour qu'il fasse précisément cela: offrir une assurance aux personnes qui perdent leur emploi. Ce régime n'est pas conçu pour constituer un filet de sécurité pour les chômeurs à long terme. Par conséquent, il s'agit à mes yeux d'une déclaration illogique.

La deuxième chose que je tiens à dire, c'est que cette déclaration illogique fait ressortir nos différences idéologiques. Je me dois de vous poser la question: Comment un filet de sécurité peut-il créer des emplois? En ce sens-là, j'ai du mal à suivre votre raisonnement. Compte tenu des arguments que vous avancez, je ne comprends pas cette déclaration.

[Français]

M. Gingras: Dans la proposition que nous vous avons transmise, nous disons qu'il faut un filet de sécurité minimum si nous voulons vraiment aider le milieu de travail à se prendre en charge, à créer de l'emploi et à poser les gestes nécessaires pour se repositionner. Nous pouvons voir actuellement que les entreprises qui se restructurent en vue d'une meilleure compétitivité font appel à des changements technologiques à la suite desquels on voit se produire des mises à pied temporaires. Il faut reconnaître que les entreprises qui se réorganisent en introduisant une nouvelle technologie cherchent à se resituer sur le plan de la compétitivité dans un environnement qui se mondialise de plus en plus. Il y a donc une compétition qui sort de nos limites territoriales, et nous allons avoir de plus en plus besoin de ce régime qui peut aider les partenaires des milieux de travail avec des programmes qui prennent en charge les travailleurs qui perdent leur emploi temporairement à cause de l'automatisation ou d'une réorganisation, ou ne sont plus qualifiés.

.1645

Ce filet de sécurité serait là pour recevoir ces gens qui sont mis à pied temporairement parce qu'on se repositionne pour demain et probablement pour créer de nouveaux emplois pour être plus compétitif. Nous pensons qu'il est nécessaire de prendre en charge ces travailleurs-là.

Deuxièmement, on doit essayer de développer des moyens pour améliorer l'employabilité de ceux qui ne retrouveront pas d'emploi dans leur secteur. Il faut travailler à l'amélioration de leur employabilité et au développement d'emplois de qualité.

Par conséquent, il faut investir un peu plus pour mettre en place des moyens qui permettront à ces travailleurs d'espérer occuper de nouveaux emplois dans notre société.

Vous appelez ça une position contradictoire, mais nous disons que c'est une position logique, c'est-à-dire avoir des programmes qui permettent aux gens de s'adapter et de s'ajuster, et ensuite d'envisager l'avenir d'une façon optimiste après avoir subi des échecs retentissants dans leur vie.

On prétend d'ailleurs que, d'ici quelques années, la plupart des travailleurs auront probablement à changer d'emploi de cinq à dix fois durant leur vie de travail. C'est ce qu'on appelle la mobilité. Si les travailleurs n'ont pas un filet de sécurité minimum dans cette vaste recherche de compétitivité dans laquelle on s'insère, la confiance ne régnera plus et on se trouvera dans un système de société qui ne nous satisfera pas du tout.

[Traduction]

Mme Brown: À mon avis, vous essayez de faire de ce programme en particulier une panacée. Vous avez parlé de programmes sociaux, d'une composante aide sociale, d'un volet formation professionnelle et d'assurance-chômage lorsque les gens perdent leur emploi pour une courte période.

Ce que j'essaie de vous faire comprendre, et cela renforce ce qu'a dit plus tôt M. Grubel, c'est que les programmes sociaux n'ont rien à voir avec l'assurance-chômage. Pour moi, il est illogique de mettre tout cela dans le même panier alors qu'on envisage de modifier un processus, un programme pour refléter les véritables principes de l'assurance-chômage.

Les autres éléments que vous mentionnez relèvent d'un tout autre contexte, et non pas de la présente mesure législative.

C'est tout ce que j'ai à dire, monsieur le président. Merci.

Le président: Serait-ce davantage un commentaire qu'une question?

Mme Brown: Simplement une réaction à sa réponse.

Le président: Monsieur Regan.

[Français]

M. Regan (Halifax-Ouest): Messieurs, je vous remercie d'être venus et je voudrais vous souhaiter la bienvenue.

On a dit que le nouveau programme d'assurance-emploi était financé par les pauvres au Canada et que ceux qui ont beaucoup d'argent payaient moins. Je ne suis pas du tout d'accord.

[Traduction]

Ce que vous laissez entendre, c'est-à-dire que ces changements se font sur le dos des démunis, n'est pas exact. En fait, la mesure renferme un certain nombre de dispositions qui visent à aider les personnes à faible revenu, même sans tenir compte des amendements présentés par les députés du comité, y compris M. Scott et moi-même.

[Français]

Est-ce que vous avez des problèmes? Je vais attendre.

M. Gingras: J'ai de la difficulté à vous comprendre.

M. Regan: D'accord. Je vais recommencer.

[Traduction]

Je disais qu'on laisse entendre que le nouveau régime sera financé par les démunis, mais je vous signale qu'en fait, la plupart des réductions s'appliquent à l'échelon supérieur, aux personnes qui sont mieux rémunérées.

J'ai l'impression que certains syndicats sont fermement opposés à cela car certains de leurs membres les mieux rémunérés sont ceux qui sont le plus durement touchés par ces changements, surtout à cause de la récupération applicable aux salariés.

Permettez-moi de vous donner certains exemples de l'incidence de la mesure pour les hauts salariés par rapport aux faibles salariés.

Les cotisations seront remboursées à quiconque gagne moins de 2 000 $: 1,3 million de Canadiens à faible revenu obtiendront un remboursement de leurs cotisations. Il est vrai que certains travailleurs à temps partiel vont payer des cotisations pour la première fois, mais leur travail sera aussi assuré pour la première fois.

.1650

Nous n'aurons plus un régime qui constitue un incitatif pour embaucher uniquement des employés à temps partiel. C'est un changement très important qui devrait réduire le volume de travail à temps partiel non volontaire dans notre pays, et c'est une très bonne chose.

Les cotisations des travailleurs mieux rémunérés seraient réduites, mais leurs prestations aussi. Au plus, les personnes qui gagnent plus de 39 000 $ verront leurs cotisations réduites de 120 $ par an. Cela ne représente pas une réduction énorme pour ces travailleurs à revenu élevé, mais s'ils se retrouvent au chômage, ils pourraient devoir absorber une réduction de prestations équivalant à 13 fois cette somme, soit jusqu'à 1 575 $ sur une période de 45 semaines.

En outre, en tant que groupe, ces personnes continueront à apporter une contribution élevée. Autrement dit, elles reçoivent beaucoup moins en prestations qu'elles ne paient en cotisations. Par conséquent, il est absolument ridicule de dire que ces changements sont financés par les démunis parce qu'en fait, ils sont financés au premier chef par les travailleurs mieux rémunérés, comme ce devrait l'être d'ailleurs.

Si l'on considère qu'il y a un supplément de revenu familial pour les personnes à faible revenu, si l'on considère les changements présentés par Mme Augustine, qui soustrairaient les familles à faible revenu à la règle de l'intensité et si l'on considère les changements que nous voulons apporter à l'écart et au dénominateur, on est en présence d'un régime qui aide les personnes mal rémunérées tout en exigeant un peu plus de ceux qui touchent un bon salaire.

Je peux vous dire que dans ma circonscription, des gens se sont plaints que des travailleurs qui gagnent 50 ou 60 000 $ par an tous les ans, de façon constante, vont chercher 10 000 $ de plus en prestations d'assurance-chômage. C'est un refrain constant dans ma circonscription. Il faut que cela change, mais je n'entends pas les syndicats qui comparaissent devant nous appuyer ce genre de changement.

[Français]

M. Gingras: Nous sommes en désaccord total. Un régime comme le régime d'assurance-emploi ou le régime d'assurance-chômage doit servir aux travailleurs et aux travailleuses. Ne pensez-vous pas que les travailleurs prévoient des dépenses en fonction des salaires qu'ils reçoivent?

Un travailleur qui reçoit 40 000 $ ou 45 000 $ annuellement prend des responsabilités financières conformes à ses possibilités. Mais il arrive que le travailleur perde son emploi et se retrouve à l'assurance-chômage, ce qui n'est pas nécessairement une question de choix. À ce moment-là, c'est le drame et il se trouve dans une période difficile où il doit se relocaliser et retrouver un emploi pour gagner honorablement sa vie.

Donc, je ne suis pas d'accord sur vos propositions de faire des ponctions dans le financement et de leur enlever le droit aux prestations. Vous dites qu'on va leur donner ce droit, mais qu'ils vont devoir remettre l'argent.

M. Regan: Je ne parle pas de quelqu'un...

M. Gingras: Oui, mais la durée des prestations...

M. Regan: Je parle de quelqu'un qui gagne 60 000 $ ou 50 000 $ par an et qui obtient aussi environ 10 000 $ d'assurance-emploi. Je ne parle pas de ce que vous avez mentionné. C'est différent.

M. Gingras: Mais vous nous proposez un régime dans lequel les gens qui gagnent 39 000 $ devront rembourser une partie des prestations qu'ils auront reçues, et quand ils seront rendus à50 000 $...

M. Regan: Je n'ai pas entendu de réponse à la question de savoir si vous appuyez ou non l'idée de changer le régime de quelqu'un qui gagne chaque année le montant que j'ai mentionné. Je pense que la population du Canada, en général, appuie fortement ce changement au régime.

M. Gingras: Nous croyons que si une personne contribue au régime - et nous sommes carrément en faveur de l'universalité - , elle doit pouvoir en bénéficier. Comme nous l'avons dit dans notre mémoire, les hauts salariés qui contribuent au régime ne vont pas tarder à en demander l'abrogation puisque, dans leur cas, ils ne pourront y avoir accès quand ils voudront l'utiliser. En effet, ils ne sont que des payeurs et ne peuvent en bénéficier.

.1655

[Traduction]

Le président: Monsieur Allmand.

[Français]

M. Allmand (Notre-Dame-de-Grâce): Plusieurs témoins devant cette commission, surtout des témoins représentant des employeurs, ont pris position pour dire que les primes étaient trop élevées et ont demandé des coupures plus importantes dans les primes. Je voudrais vous demander si, dans vos syndicats, les travailleurs croient qu'actuellement les primes sont trop élevées et si vous demandez, en tant que syndicats, que nous les réduisions. ou si vous êtes satisfaits du niveau des primes.

M. Gingras: Lorsque vous parlez des primes, parlez-vous de la prestation ou de la cotisation au régime?

M. Allmand: La cotisation au régime.

M. Gingras: Il est certain que toute cotisation sur la masse salariale a des effets sur la situation et la compétitivité des entreprises. Nous croyons que la cotisation actuelle est raisonnable, mais qu'il faut la garder à un niveau raisonnable.

Pour cela, il faut une saine gestion pour que les ressources de l'assurance-emploi contribuent à la création d'emplois de qualité et diriger vraiment la main-d'oeuvre, par toutes sortes de programmes, vers l'employabilité de sorte qu'on diminuera le nombre de personnes dépendantes du régime. Ce n'est pas en excluant des gens du régime que nous allons arriver à ce résultat, mais par la création d'emplois de qualité.

Nous ne croyons pas que les cotisations soient trop élevées et nous croyons actuellement que nos entreprises sont encore compétitives au Canada et au Québec malgré les cotisations qui sont imposées. C'est à ce prix-là qu'il faut prendre des mesures qui aident les milieux de travail à se réadapter et à poser en temps et lieu les gestes nécessaires pour se repositionner en termes de compétitivité.

M. Allmand: Des employeurs ont dit que si les cotisations étaient diminuées, nous pourrions créer plus d'emplois. Est-ce que c'est une sorte de propagande?

M. Gingras: Il est certain que si on ramène toutes nos conditions de travail à celles du Mexique, on va peut-être créer des emplois, mais je ne suis pas convaincu que nous serions fiers de vivre dans cette société et que les travailleurs que je représente le seraient. Ce n'est pas ce modèle-là qu'il faut adopter.

Il faut garder des outils pour développer les milieux de travail et une économie saine et compétitive. Il faut être réaliste et penser que l'on ne sera peut-être pas compétitif dans tous les domaines, mais il faut garder à l'esprit qu'il faut redistribuer la richesse parmi les moins nantis et se donner des chances de réussite. En tenant compte des conditions actuelles, il faut essayer d'avoir un régime qui soit conforme aux aspirations de notre population. Il ne faut pas détruire ce qui existe mais essayer de maintenir notre qualité de vie et même de l'améliorer si possible.

Une économie dynamique et responsable améliore la qualité de vie des citoyens au lieu de la détériorer comme c'est le cas depuis plusieurs années.

[Traduction]

Le président: Au nom du comité, je vous remercie beaucoup d'avoir participé aux audiences. Comme toujours, nous prenons dûment note de vos arguments et nous en tiendrons compte lorsque nous essaierons d'améliorer le projet de loi C-12. Merci beaucoup.

M. Gingras: Merci.

Le président: Nous accueillerons ensuite Dignité rurale du Canada. Nous allons faire une pause de deux minutes pour permettre au témoin de s'installer.

.1700

.1707

Le président: À l'ordre, je vous prie. Nous allons maintenant entendre Mme Helen Forsey, de Dignité rurale.

Je vous souhaite la bienvenue aux audiences du comité sur le projet de loi C-12. Comme vous le savez, nous procédons à l'étude d'une loi concernant l'assurance-emploi ici au Canada.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons beaucoup bénéficié de la participation de Canadiens d'un océan à l'autre. La mesure à l'étude découle en fait de l'examen de notre filet de sécurité sociale, examen qui a donné lieu à la participation de 100 000 Canadiens des quatre coins du pays. Leur contribution a été très enrichissante.

Nous sommes ravis de vous accueillir et je suis sûr que nous pourrons aussi tirer parti de votre témoignage. Vous avez environ une demi-heure, dont 10 à 15 minutes pour l'exposé, suivi de 10 à 15 minutes pour les questions et réponses. Merci beaucoup.

Mme Helen Forsey (Dignité rurale du Canada): Merci beaucoup monsieur le président. Monsieur le président, membres du comité, mesdames et messieurs, je suis ravie d'être ici aujourd'hui pour représenter Dignité rurale du Canada, regroupement populaire formé d'hommes et de femmes résolus à préserver les collectivités rurales et à promouvoir la compréhension des préoccupations des gens qui habitent dans les régions rurales.

Bon nombre de nos membres qui habitent en milieu rural dans tout le Canada sont très affectés par les politiques concernant l'assurance-chômage.

[Français]

Dignité rurale du Canada tient à exprimer sa profonde déception et son opposition vis-à-vis de cette nouvelle loi d'assurance-chômage. Cette réforme ne répond point aux besoins urgents de notre population rurale.

[Traduction]

Le Canada rural sera durement touché par le projet de loi C-12. Nous sommes concernés par les principaux éléments de ce projet de loi ainsi que par les prémisses sur lesquelles il semble reposer. Nous réclamons que d'importants changements y soient apportés avant qu'il ne soit adopté et que des changements encore plus profonds soient apportés aux attitudes et aux hypothèses qui le sous-tendent. En effet, pour les habitants du milieu rural, c'est une question de survie.

[Français]

Dignité rurale demande donc que de sérieux changements soient effectués à ce projet de loi. Cette réforme doit être fondée sur le respect envers les populations et communautés rurales et doit offrir de vrais appuis à la création d'économies locales durables et autosuffisantes.

[Traduction]

Nous désirons tout d'abord remercier les membres du comité pour les centaines d'heures de travail acharné qu'ils ont consacrées au processus de consultation. Nous sommes conscients du fait que vous avez accompli une tâche difficile et fort ingrate. Nous savons que de nombreux membres du comité ont déployé d'importants efforts pour proposer de véritables améliorations à notre régime actuel d'assurance-chômage. Nos critiques s'adressent au projet de loi et aux politiques sous-jacentes, et non pas aux membres du comité. Nous espérons que les renseignements et les analyses que nous présentons aujourd'hui vous aideront à militer puissamment en faveur des importants changements réclamés par les collectivités rurales.

.1710

Pour Dignité rurale, les réductions proposées au régime d'assurance-chômage ainsi que les changements connexes ne sont que les derniers d'une série de coups durs infligés aux collectivités rurales et à de nombreuses communautés autochtones déjà affaiblies par des années d'application d'une politique négligente et médiocre. Le projet de loi C-12 menace de fragmenter et de paralyser davantage nos économies rurales, ce qui entraînera un plus grand désespoir et une désertification de nos campagnes.

[Français]

Presque tous les changements proposés vont nuire sérieusement au Canada rural. Pendant que le fonds d'assurance-chômage accumulera ses surplus de dollars, les résidents des communautés rurales devront se priver. Certains seront même obligés d'abandonner leur foyer. Cette situation met en péril tous les efforts de développement durable des régions rurales.

[Traduction]

Au cours de ce bref exposé oral, je voudrais souligner l'incidence qu'aura le projet de loi C-12 sur les personnes habitant en milieu rural et vous renvoyer à notre mémoire écrit pour plus de détails. Je voudrais aborder aussi deux aspects tout aussi importants de l'analyse de Dignité rurale, soit la petitesse des arguments avancés par le gouvernement en faveur de ces propositions et l'importance cruciale du contexte politique dans lequel elles s'inscrivent.

Dignité rurale veut aborder quatre aspects des propositions du projet de loi C-12. Premièrement, les collectivités rurales seront anéanties par ces nouvelles réductions des prestations d'assurance-chômage et par les changements qui les rendront plus difficiles à obtenir. La réduction de 1,2 milliard de dollars, ou peut-être davantage, du fonds d'assurance-chômage se traduira par l'exclusion de certains prestataires et par une réduction des prestations aux autres. D'après les propres données du gouvernement, nous savons que ces économies se feront sur le dos des habitants des milieux ruraux. Ainsi, dans les régions rurales du Nouveau-Brunswick, les travailleurs des secteurs forestiers, agricoles et miniers subiraient une réduction de près de 20 p. 100 de leurs prestations si les changements étaient mis en oeuvre dans leur forme actuelle, selon le Saint John Telegraph Journal du mois de janvier dernier.

Dignité rurale appuie la mesure qui vise à rendre assurable le travail à temps partiel, mais nous nous opposons fortement aux nouvelles restrictions concernant l'admissibilité et aux réductions des prestations. Nous nous opposons tout aussi vivement à la mesure portant sur la rémunération moyenne touchée pendant un nombre fixe de semaines consécutives, y compris les semaines non rémunérées. Pourquoi? À cause de l'incidence que ces dispositions auraient sur le plan humain.

Cette mesure réduirait encore davantage le peu d'argent qui circule encore dans nos économies rurales vacillantes. À mesure que les fondements économiques de nos collectivités s'érodent, un cercle vicieux prend forme. Pour les particuliers comme pour les familles, l'argent et l'espoir font cruellement défaut. Les tensions montent, et les problèmes sociaux comme l'alcoolisme et la violence augmentent. En désespoir de cause, de plus en plus de personnes quittent leur milieu pour trouver du travail ailleurs. Les services sont réduits, et les entreprises locales ferment leurs portes. Nous assistons à un exode des capitaux et des ressources humaines, et la spirale descendante de la déruralisation poursuit son oeuvre. Nous constatons déjà cela tous les jours, et les propositions ne feront qu'exacerber la situation.

Voilà la réalité accablante derrière les récentes manifestations de protestation auxquelles on a assisté au Québec et au Nouveau-Brunswick, qui témoignent de la colère et de la peur que l'on ressent dans tout le pays. Lorsque le ministre rejette avec morgue ces protestations, ce sont les travailleurs et les habitants des régions rurales qui le rejettent, car les protestataires parlent en notre nom à tous. Notre gagne-pain, nos maisons et nos familles sont déjà menacés. Nous ne pouvons tout simplement pas accepter une mesure comme le projet de loi C-12, qui rendra notre lot encore plus pénible.

Deuxièmement, le travail en région rurale est saisonnier par la force des choses, et les changements proposés ne tiennent pas compte de cette réalité. L'agriculture, les pêches, l'exploitation forestière et le tourisme sont des activités largement saisonnières et essentielles à l'économie du Canada. Le gouvernement réduira la valeur même de nos industries primaires et renouvelables s'il pénalise les travailleurs de ces secteurs au moyen de la règle de l'intensité et du critère des semaines consécutives de travail.

[Français]

Toute la vitalité rurale sera frappée durement par l'attaque contre les travailleurs saisonniers. Dès que l'on franchit les limites des zones urbaines, tous les emplois reliés à la production primaire et au tourisme sont déterminés par les saisons et le temps. Une réforme qui met en péril ces employés et ces emplois met en péril le milieu rural qui en dépend.

[Traduction]

Troisièmement, le problème du chômage dans les régions rurales n'est pas dû à une absence de motivation ou de formation, mais bien à un manque permanent de travail durable et décemment rémunéré. L'hypothèse implicite du projet de loi C-12, selon laquelle quiconque peut trouver du travail s'il se donne la peine de chercher ou s'il obtient une formation appropriée, ridiculise la réalité des régions rurales. Les solutions de rechange au travail saisonnier et au chômage n'existent tout simplement pas dans les régions rurales. À la suite des changements catastrophiques imposés à l'économie rurale depuis quelques décennies, ou depuis quelques années - je songe au libre-échange et à d'autres mesures - , il n'y a tout simplement pas suffisamment de travail rémunéré à longueur d'année dans nos collectivités pour permettre à tout le monde d'avoir un niveau de vie décent. Or, la faute en revient en grande partie à des politiques gouvernementales, à divers niveaux.

Dans les secteurs primaires comme l'exploitation forestière, par exemple, l'argent des contribuables est utilisé pour mettre les gens à la porte. Les gouvernements encouragent la mécanisation à forte intensité de capital par des mesures d'allégement fiscal, des prêts et des garanties d'emprunt consentis à de grandes entreprises. Parallèlement, les politiques d'approvisionnement en bois et les obstacles administratifs découragent les plus petites entreprises communautaires à forte concentration de main-d'oeuvre. Les habitants des régions rurales sont mis à l'écart et forcés de regarder les machines remplacer les humains, ravager l'environnement et nous voler nos moyens d'existence. Pour redoubler d'insultes, on nous dit que nous sommes responsables de ce qui arrive et que nous devons en payer le prix sous forme de réduction des prestations d'assurance-chômage et d'autres conditions restrictives. Nous considérons cela comme une atteinte à la justice et au bon sens.

.1715

Quatrièmement, compte tenu du fait qu'il n'y a pas de travail dans les régions rurales, les solutions de rechange au chômage pour les individus qui habitent dans ces régions sont en grande partie irréalistes ou inacceptables. Que doivent faire les chômeurs des régions rurales lorsqu'ils ne peuvent plus toucher d'assurance-chômage ou lorsque les prestations réduites qu'ils reçoivent ne leur permettent plus de les faire vivre, eux et leurs familles? Les réponses classiques semblent être les suivantes: se recycler, vivre de l'aide sociale ou déménager. À cela, les nouvelles propositions ajoutent un certain nombre de «prestations d'emploi», mais pour les habitants des régions rurales, ces réponses ne sont généralement pas très convaincantes. Au mieux, elles représentent des bouche-trous, des mesures de fortune. Ce ne sont pas ces expédients qui vont nous permettre de panser les blessures que les pouvoirs publics continuent de nous infliger.

Dignité rurale se préoccupe particulièrement de la décentralisation vers les provinces, ou même de la privatisation possible de la responsabilité d'un grand nombre de ces solutions, notamment la formation et l'aide sociale. Les provinces se font concurrence pour offrir les barèmes les plus bas, et les petites municipalités sont acculées à la faillite. Qui va payer pour la nourriture et le logement des habitants des milieux ruraux laissés pour compte à la suite de cette abdication par le gouvernement de sa responsabilité d'assurer une distribution équitable de la richesse et des possibilités d'emploi?

Je voudrais maintenant commenter les raisons avancées par le gouvernement pour justifier ces propositions, notamment dans ses documents.

[Français]

Pour Dignité rurale, les attitudes qui ont donné lieu au projet de loi C-12 sont aussi problématiques que ses propositions particulières. Si le gouvernement ne change pas son attitude, les citoyens ruraux ne pourront attendre dorénavant que d'autres politiques désastreuses.

[Traduction]

Premièrement, la façon dont ces propositions sont présentées témoigne d'une incompréhension et d'un manque de respect navrants pour les travailleurs et les chômeurs, en particulier ceux qui vivent en région rurale. La brochure du ministère, intitulée «Un système d'emploi pour le Canada du XXIe siècle», regorge d'arrogantes hypothèses erronées qui reflètent une ignorance crasse des réalités rurales. Dans notre mémoire écrit, nous relevons un certain nombre d'exemples tirés de cette brochure qui sont le reflet d'hypothèses insultantes et d'une attitude condescendante. Les membres du comité voudront peut-être dire aux fonctionnaires du ministère que ce n'est pas en nous trompant, en nous traitant de haut et en nous insultant qu'ils obtiendront l'appui des citoyens du milieu rural à l'égard de changements de politique qui nous touchent profondément.

Deuxièmement, l'idée voulant que l'assurance-chômage fonctionne comme une assurance commerciale privée est injuste et trompeuse. Malgré tout, nous entendons sans cesse de telles comparaisons. L'assurance privée a un but lucratif. Ce n'est certes pas le cas de l'assurance-chômage, qui est un élément essentiel de la politique socio-économique nationale axée sur le bien collectif. On peut parler d'«assurance» dans les deux cas, mais il faut appliquer des principes tout à fait différents pour que ces régimes fonctionnent bien. L'avion et l'automobile sont deux modes de transport, mais il ne faut pas essayer de conduire un Twin Otter sur une autoroute ou de faire voler une Chevrolet.

Le ministre précédent a tenté de défendre la règle de l'intensité en comparant le régime d'assurance-chômage à une assurance-incendie ou à une assurance-automobile, dont les coûts pour l'assuré augmentent avec la fréquence des réclamations, mais les licenciements dans les régions rurales ne sont pas attribuables à des fumeurs négligents ou à des conducteurs imprudents. Ils sont fonction du caractère saisonnier de nombreuses industries rurales. Là encore, l'insulte que cache cette comparaison est bouleversante.

Troisièmement, le gouvernement prétend qu'il faut pratiquer des réductions pour «sauver» le régime. Cet argument, dont on nous rebat les oreilles, ne résiste pas à l'examen. Un argument aussi faux ne sert qu'à détourner l'attention du fait que les propositions permettent au gouvernement de lutter contre le déficit sur le dos des travailleurs et des employeurs. Notre mémoire écrit explique cette position en détail.

Permettez-moi de donner un exemple unique de ce raisonnement faux et hypocrite. Le ministre précédent affirme que la population est moins favorable au régime parce que les cotisants qui ne touchent jamais de prestations en ont assez de financer les autres. Cela laisse supposer que les licenciements représentent un prix convoité que les Canadiens occupant un emploi ne peuvent espérer gagner. Cependant, on n'entend pas les titulaires de polices d'assurance-incendie se plaindre de ce que leurs maisons ne soient pas rasées par le feu. Ils continuent de verser leurs primes sans se plaindre, même si leur argent sert à «financer» des victimes d'incendie.

Troisièmement, je voudrais aborder le contexte politique dans lequel s'inscrivent les propositions. Tout d'abord, les Canadiens qui vivent en région rurale ont bien des raisons de se méfier de propositions venant d'un gouvernement qui leur a coupé l'herbe sous le pied à tant de niveaux en dépit de quelques concessions gagnées de haute lutte, comme le moratoire sur les fermetures de bureaux de poste, qui fait malheureusement l'objet d'un réexamen, de même que tout le reste des opérations de Postes Canada...

M. McCormick: Je vous remercie d'accorder aux Libéraux quelque crédit pour cela.

Mme Forsey: Je n'ai absolument pas d'objections à rendre à César ce qui est à César, pourvu que les Libéraux ne reviennent pas sur leur parole.

De façon générale, le gouvernement actuel ne s'est pas montré très sympathique à l'endroit des personnes qui vivent en région rurale. En signant l'ALENA, il a mis en péril nos ressources naturelles et nos régimes d'écoulement ordonné des produits agricoles. Ayant lâchement aboli le Régime d'assistance publique du Canada et flirté avec des scénarios de décentralisation et de privatisation, il a miné les normes nationales, nous laissant à la merci de gouvernements provinciaux obsédés par le déficit et avides de pouvoir. En outre, il continue de sabrer dans les services dont dépendent les personnes qui vivent en région rurale: la SRC, le service des trains de voyageurs, les voies ferroviaires secondaires, les services sociaux et de santé en milieu rural.

.1720

En somme, c'est tout le contexte politique entourant la réforme de l'assurance-chômage qui fait fi des besoins des collectivités rurales.

[Français]

Jusqu'à ce jour, ce gouvernement n'a montré ni compréhension ni respect pour les besoins légitimes et urgents de la population rurale. L'actuel projet de loi reflète malheureusement la même attitude manquée.

[Traduction]

Deuxièmement, les préjugés de droite qui sous-tendent l'approche du gouvernement à l'égard de la réforme de l'assurance-chômage semblent fondamentalement dépourvus d'honnêteté. Comme nous le montrons dans notre mémoire écrit, la réalité contraste beaucoup avec l'image que veut donner le gouvernement du régime d'assurance-chômage.

En dépit de toute la propagande, Dignité rurale sait pertinemment qui sont les gagnants et les perdants dans ce contexte de libre-échange à tous crins et de technocratie des grandes entreprises. Alors que les banques enregistrent des profits sans précédent, avec la bénédiction du gouvernement et ses allégements fiscaux, les travailleurs pauvres seront obligés de «cracher l'argent» au moyen de la «réforme» de l'assurance-chômage pour contrer le déficit.

Les travailleurs ruraux et les communautés rurales ne peuvent pas payer et ne continueront pas de payer pour une prétendue relance économique qui sape nos ressources humaines et naturelles et les exploite au profit d'actionnaires éloignés et de riches administrateurs.

Troisièmement, le projet de loi C-12 minera davantage la cause de l'unité nationale chez les Québécois des régions rurales, pour qui les conséquences se feront fortement sentir et qui rejetteront le blâme sur le régime fédéral. Dignité rurale, à titre d'organisation nationale ayant son siège au Québec et comptant un très grand nombre de membres chez les Québécois des régions rurales, se sent obligée de signaler les terribles torts que causent au fédéralisme des mesures comme le projet de loi C-12.

Les critiques présentées dans ce mémoire représentent les opinions des habitants des régions rurales du Québec aussi bien que celles des autres Canadiens qui vivent en région rurale, à la différence importante que les Québécois touchés s'empresseront de blâmer le Canada pour la perte de leurs prestations ou de leur admissibilité à l'assurance-chômage. Le projet de loi C-12 alimentera la colère qui couve chez eux et leur sentiment d'aliénation par rapport au gouvernement fédéral. Les propositions leur donneront raison de se méfier du gouvernement fédéral, qui, à leurs yeux, ne comprend pas leur réalité et ne s'en soucie pas, et de penser que la seule solution réside dans la séparation du Québec.

Déjà, beaucoup de Québécois invoquent le mouvement du Canada vers la droite pour justifier la séparation, affirmant qu'ils n'ont rien à perdre. Le projet de loi C-12 et d'autres atteintes au filet de sécurité sociale leur fournissent des arguments de choix.

Il nous semble incroyable qu'en cette période historique cruciale, où l'avenir de notre pays est en jeu, notre gouvernement choisisse de prendre des mesures qui aliéneront certainement un segment si important de la population du Québec, sans parler du reste d'entre nous.

Nous vous demandons instamment, en tant que parlementaires, de réexaminer plus sérieusement non seulement ce projet de loi, mais également toutes les dispositions régressives dans lesquelles il s'inscrit. Les Québécois des régions rurales et les autres Canadiens vivant en région rurale exigent des politiques économiques et sociales favorisant la durabilité et l'autosuffisance plutôt que les profits démesurés des entreprises.

Nous avons besoin d'emplois durables et rémunérateurs dans nos collectivités, de façon à pouvoir continuer à apporter à notre société la même contribution vitale qu'auparavant.

[Français]

Quelle que soit leur langue, français, anglais ou autochtone, les ruraux ont besoin d'emplois, de logements, de services de santé, d'éducation, de moyens de communication, de bureaux de poste, de chemins de fer et d'un système de sécurité sociale qui réponde à leur réalité.

Les politiques gouvernementales doivent respecter nos familles, nos communautés et notre environnement rural. Au nom de notre pays et de tous ses citoyens et citoyennes, je vous en prie, écoutez et agissez avant qu'il ne soit trop tard.

[Traduction]

En résumé, le projet de loi C-12 sera dévastateur pour les habitants des régions rurales, nos collectivités et le Canada lui-même. En fait, on nous demande de payer pour la prospérité des autres. Nous nous y opposons. Nous refusons de financer les profits démesurés des entreprises en étant toujours plus accablés par les difficultés dans les campagnes. Nous ne voulons pas quitter nos foyers et déménager en ville pour y trouver des emplois sans avenir et toucher des salaires de famine. Nous ne voulons pas sacrifier la vitalité potentielle de nos collectivités rurales pour atteindre des objectifs fiscaux qu'il serait possible d'atteindre autrement.

Le projet de loi C-12 fera en sorte qu'il sera impossible à de nombreuses familles travaillant en milieu rural de gagner suffisamment d'argent pour vivre pendant un an. Les travailleurs ruraux n'essaient pas d'accumuler des monceaux d'argent ou de se la couler douce. Ils essaient tout simplement de rester à flot, de subvenir aux besoins de leur famille et de continuer à vivre dans leur collectivité. En tant que membres du comité, je suis convaincue que vous ne considérerez pas qu'il s'agit là d'attentes déraisonnables.

En conclusion, laissons la parole à un Terre-Neuvien rural qui a participé à nos consultations l'année dernière:

.1725

Toute réforme de l'assurance-chômage - ou de tout autre aspect de la politique gouvernementale - doit appuyer ce sens de la collectivité plutôt que le miner. Elle doit reposer d'abord et avant tout sur le respect des personnes, et non pas sur le culte du profit. Elle doit soutenir vraiment des économies locales équitables, autosuffisantes et respectueuses de l'environnement.

[Français]

Le projet de loi C-12 ne satisfait à pas ces critères; il faut les changer. Dans la version écrite de notre présentation, vous avez nos recommandations spécifiques et il me fera plaisir de répondre à vos questions. Merci.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup.

Nous allons passer aux questions. Monsieur Dubé.

[Français]

M. Dubé: Je voudrais vous remercier, madame Forsey, pour votre présentation sur le point de vue du monde rural. Elle ressemble en tous points aux positions de Solidarité rurale du Québec. Qui que l'on soit au Québec, on vit les mêmes réalités.

Je suis moi-même originaire du Bas-Saint-Laurent, du comté de Rivière-du-Loup, et j'ai dû, il y a 25 ans, faire le pénible choix dont vous avez parlé, c'est-à-dire quitter ma région pour une autre plus urbaine. Beaucoup d'autres l'ont fait. Mais beaucoup ne le peuvent pas.

Un des éléments qui les empêchent de le faire - parce qu'il faut l'expliquer, je pense, - c'est que les gens bien enracinés, les familles bien établies ont des propriétés qui sont impossibles à vendre quand le milieu est en décroissance. C'est le cas dans mon village natal.

J'ai moi-même un frère plus vieux que moi, qui possède un garage qu'il voulait vendre. Mais qui achèterait quelque chose lorsque la région connaît une décroissance économique avancée? C'est là une réalité, vous avez raison. Vous savez, les politiciens reflètent un peu l'opinion publique et votre mouvement doit continuer à faire de l'éducation et de la sensibilisation à cette situation.

Je suis assez d'accord sur votre analyse. Cependant, je n'ai pas lu vos recommandations. Pour améliorer la situation - oublions le projet de loi pour l'instant - , quelles recommandations principales feriez-vous pour qu'il y ait plus de travail en milieu rural?

Je donnerai l'exemple de la Beauce, une région assez près de la nôtre, où plusieurs villages ont réussi, grâce à une solidarité remarquable, à maintenir le taux de chômage à moins de 4 p. 100. Tout le monde - la municipalité, les anciens Beaucerons-envoie de l'argent par solidarité ou part des entreprises. Au Québec, la Beauce est un exemple de cette solidarité bien tissée. Est-ce que vous croyez qu'en ce qui concerne l'assurance-emploi, le gouvernement aurait dû présenter une approche permettant à des collectivités locales de mieux se développer?

Mme Forsey: Je suis complètement d'accord. Je manque toutefois de solutions à proposer. Mais ce que je connais du milieu rural québécois m'inspire. Chez nous, on n'a pas le niveau d'organisation et de conscience politique publique que j'ai connu dans la région du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie et qui est une inspiration pour moi; c'est le cas des caisses populaires, des coopératives, de la collaboration entre les caisses et les travailleurs. Ce sont des choses qui n'existent pas ou pas beaucoup chez nous.

.1730

Dans notre présentation écrite, j'ai surtout tenté de traiter des points spécifiques du projet de loi. Alors, je ne suis pas vraiment prête à répondre davantage à votre question concernant les moyens d'avancement en milieu rural.

[Traduction]

Lorsque je travaillais dans le domaine du développement international, j'ai vu une affiche très parlante. On y voyait quelqu'un qui essayait de s'en sortir, alors qu'un gros riche en chapeau haut-de-forme pesait de tout son poids sur ses épaules. On pouvait y lire: «La première chose à faire, c'est de nous laisser tranquille.»

Je pense que c'est là l'essentiel du message de notre mémoire. On pourrait faire bien des choses pour supprimer le fardeau inutile et injuste qu'imposent aux citoyens ordinaires, et en particulier aux habitants des régions rurales, les sociétés transnationales et les milieux d'affaires, forts des privilèges spéciaux et des allégements fiscaux auxquels ils ont droit, contrairement aux simples citoyens. Si seulement ces grandes sociétés cessaient de nous pressurer et nous permettaient d'être solidaires au sein de petites entreprises ou d'associations communautaires, nous pourrions ainsi échanger et apprendre les uns des autres. Je songe en particulier à l'Ontario, où je vis, et au Québec, où j'ai des amis. Cela serait un départ formidable.

Le président: Vous n'avez plus de questions, madame Brown? Monsieur McCormick.

M. McCormick: Merci d'avoir bien voulu comparaître, madame Forsey. Je suis heureux de vous voir parmi nous, Helen.

Cette séance commence à ressembler à une session du CCF, mais je vous en laisse juge. À un autre moment nous pourrions certainement en discuter longuement, et je voudrais seulement vous rappeler combien les coopératives de crédit de l'Ontario ont aidé des dizaines de milliers de personnes dans cette province et l'excellent travail qu'elles font également au Québec.

Mais je peux vous annoncer aujourd'hui de bonnes nouvelles: dans la circonscription que je représente dans l'Est de l'Ontario, je suis peut-être coupable en ce sens que je ne vous ai pas fait parvenir suffisamment d'information; peut-être aussi que votre siège social du Québec vous a fait parvenir trop d'informations erronées... non pas que je voudrais incriminer le Québec - c'est une merveilleuse province - mais à ce comité nous avons entendu beaucoup de gens s'élever contre le fait que nous allons enlever quelques dollars à ceux qui en gagnent plus et les partager avec le travailleur à faible revenu.

Voici quelques chiffres que je voudrais vous soumettre, ainsi que certains faits que connaissent bien ceux qui sont ici présents. Cette année, dans notre révision du régime, on va dire que nous venons en aide aux gens dans notre circonscription de Hastings - Frontenac - Lennox et Addington.

À ce sujet je voudrais vous signaler, mesdames et messieurs, que l'Est de l'Ontario compte 19 circonscriptions entre Oshawa et la frontière avec le Québec. Notre circonscription est l'avant-dernière en matière de revenu, et la seconde pour le chômage. C'est pourquoi j'ai suivi de si près ce projet de loi et suis heureux de siéger à ce comité. Beaucoup de gens y gagneront et seront dans la majorité, car 350 000 prestataires des familles à faible revenu obtiendront un supplément, davantage qu'ils n'obtenaient auparavant, avec l'ancien système. Les faibles revenus verront leurs prestations augmenter de 7 p. 100 au minimum et, dans le cas des familles monoparentales, de 10 p. 100. C'est un fait dont nous devrions prendre acte et pour lequel le gouvernement mérite d'être loué.

Vous mentionnez les travailleurs saisonniers, mais des milliers d'entre eux seront maintenant admissibles à l'assurance-emploi selon un décompte d'heures plutôt que de semaines.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de la partie II de notre projet de loi, que je trouve fort satisfaisante, ainsi que de nombreux aspects touchant les petites entreprises. C'est par là que nous allons passer de prestations passives à des prestations et services actifs, dont profiteront beaucoup de gens dans notre région.

Environ 45 p. 100 de toutes les personnes qui touchent des prestations d'assistance sociale et qui ont participé, de l'une ou l'autre manière, à la main-d'oeuvre au cours des trois dernières années - des cinq dernières années dans le cas des prestations aux mères de famille - pourront avoir accès aux cinq groupes de prestations, dont les subventions salariales ciblées, les suppléments de revenu ciblés, le travail indépendant - c'est sur ce point qu'il y aura le plus à gagner dans les régions de Sharbot Lake et du comté de Frontenac - et les partenariats pour la création d'emplois.

.1735

N'êtes-vous pas en faveur d'un grand nombre de ces programmes qui changeront considérablement la situation des travailleurs à faible revenu dans toutes les régions du pays, entre autres dans certaines des circonscriptions que nous connaissons si bien?

Mme Forsey: Je vous remercie, Larry. Je persiste, jusqu'à nouvel ordre, dans le pessimisme avec lequel j'accueille ces mesures.

M. McCormick: Je veux bien; je finirai par m'y habituer.

Mme Forsey: Ce qui n'empêche que dans notre mémoire, j'ai décerné quelques louanges.

M. McCormick: Il faudra donc que j'en fasse ma lecture de chevet.

Mme Forsey: Ce pessimisme est justifié pour plusieurs raisons, en particulier à cause de la méfiance que ce gouvernement inspire aux populations rurales pour les mesures que j'ai brièvement évoquées dans mon exposé, et dont j'ai parlé plus en détail dans le mémoire, et également à cause de l'importance extrême attachée tant par le ministre du Développement des ressources humaines que par le ministre des Finances aux mesures fiscales de ce projet de loi.

Nous avons du mal à croire que ce projet de loi représente un excès de générosité de la part du gouvernement envers les populations rurales. Nous avons d'autant plus de mal à le croire, compte tenu des détails qui ont été donnés, par exemple la citation du journal de Saint John. L'information que j'ai reçue n'est pas erronée, et pour ce mémoire je ne l'ai pas tirée principalement du Québec, mais du Nouveau-Brunswick. Je ne sais pas si cela la rendra plus digne de foi à vos yeux.

En prélevant 1,2 milliard de dollars sur le régime pour transférer cet argent aux recettes générales afin de combattre le déficit vous n'agissez certainement pas pour le bien des populations rurales; nous avons du mal à avaler cette pilule.

Examinez, en revanche, les dégrèvements fiscaux dont continuent à bénéficier les riches; c'est ainsi que va le monde, certes, mais ce n'est pas ainsi qu'il devrait aller. C'est pour apporter des changements à cette situation, créée par les Conservateurs, que nous avons voté pour les Libéraux, mais nous ne nous imaginions certainement pas que ce serait la voie qu'allaient emprunter les Libéraux. À l'exception des rares mesures que nous apprécions, et que vous avez mentionnées, nous ne voyons en rien le genre de changements que les Libéraux, en étant élus par les populations rurale et urbaine, avaient reçu pour mission d'effectuer.

M. McCormick: Je voudrais tout d'abord tirer au clair un malentendu qui semble répandu dans les journaux et autres semeurs de bobards: l'argent prélevé sur le fonds d'assurance-chômage ne sera pas utilisé pour combler le déficit; ce serait contre la loi, et cela ne se produira pas. Je voudrais que vous puissiez entendre les discussions du caucus, et toutes les voix qui demandent que l'on consacre encore plus de fonds à ces régimes d'emploi. C'est là en fait la bonne nouvelle.

Certains d'entre nous ont demandé à examiner des cas concrets de gens qui s'adressent à nos bureaux d'emploi. Nous avons examiné des cas très divers de notre société, et j'espère pouvoir vous faire parvenir, au cours des prochaines semaines, certains de ces tableaux. Vous verrez alors qu'avec le supplément de revenu et les diverses applications possibles, en particulier, pour les personnes à faible revenu...

Et que pensez-vous, Helen, de ces cinq possibilités? De ceux qui veulent se tirer tout seul d'affaire, de ceux qui ne répondent à aucun des critères d'aide? Je sais bien que de nos jours cela peut arriver à chacun d'entre nous, mais le fait est que les gens à l'aide sociale sont admissibles à ce programme. Pouvez-vous me dire, s'il vous plaît, ce que vous en pensez?

Mme Forsey: J'espère que ces cinq mesures s'appliqueront effectivement dans les régions rurales. Je voyais là une petite lueur d'espoir, mais il faut attendre pour voir.

M. McCormick: Je vous remercie.

Le président: Monsieur Scott.

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M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Merci de votre exposé. Je voudrais revenir sur certaines questions.

Êtes-vous au courant des amendements qui ont été proposés?

Mme Forsey: À vrai dire non.

M. Scott: En ce qui concerne les semaines consécutives de travail, j'ai proposé un amendement aux termes duquel on ne compterait pas les semaines de travail où il y a des zéros. Si vous obtenez une grande partie de votre information du Nouveau-Brunswick, c'est parce que cette mesure lui aurait été très nuisible. C'est la raison pour laquelle un grand nombre de députés de cette région se sont élevés contre cette mesure et ont proposé un amendement.

Un amendement est également proposé pour le dénominateur, la période pour laquelle les prestations sont calculées. Au lieu que ce soit en chiffres jusqu'à concurrence de 20, ce serait deux semaines de plus que ce qu'il faut pour être admissible. La raison pour laquelle je mentionne cela, c'est que cela aurait également pour effet de faire disparaître certaines des réductions de prestations prévues dans la disposition précédente.

Mme Augustine a proposé que toute personne admise à bénéficier du supplément de revenu du travail, l'article relatif au supplément de revenu familial, soit également exemptée de la règle de l'intensité, qui disparaîtrait ainsi. C'est la raison pour laquelle il y a des augmentations considérables de prestations pour les familles des travailleurs qui peuvent bénéficier du supplément de revenu, ce qui pourrait représenter, comme le disait Larry, de 12 à 14 p. 100.

Je voudrais également examiner une autre prestation, à savoir celle qui porte sur les employés saisonniers. Voilà six ou sept années qu'on «réforme» l'assurance-chômage - il s'agissait donc de ce gouvernement, de sorte que ma remarque ne fait pas preuve de partialité - en durcissant les conditions d'admissibilité en abrégeant la durée des prestations. C'est ainsi qu'on a procédé.

En ce qui concerne les travailleurs saisonniers, en passant au compte des heures plutôt que des semaines de travail, si ces derniers travaillent plus de 35 heures par semaine, ils seront mieux placés qu'ils ne l'étaient en matière d'admissibilité et de durée des prestations. Vous n'ignorez certainement pas que 87 p. 100 de la population du Nouveau-Brunswick, dans le cas des travailleurs saisonniers, travaillent plus de 35 heures par semaine.

Je reconnais que pour ceux qui ne font pas partie de la main-d'oeuvre les conditions d'accès et de ré-accès sont rendues plus difficiles, mais pour ceux qui font actuellement partie du système, ceux pour lesquels vous craignez sans doute le plus, il y aura une nette amélioration de l'admissibilité, ainsi que de la durée des prestations, parce que le compte se fera en heures plutôt qu'en semaines de travail.

Cela revient à dire, sous une forme claire, que si vous travaillez 70 heures par semaine, cela vaut pour une semaine, alors que si ce projet de loi est adopté, cela vaudra pour deux semaines. Si vous avez plusieurs emplois, ou si vous êtes un travailleur saisonnier, ce cas est fréquent, et ce projet de loi aura donc pour effet que, pour la première fois depuis longtemps, les gens de ma propre circonscription pourront accéder au régime plus facilement qu'ils ne pouvaient le faire auparavant, s'ils font partie de ceux qui touchent actuellement l'assurance-chômage. Je reconnais toutefois que s'ils n'en font pas partie les conditions d'accès sont rendues plus difficiles.

Vous n'avez certes pas à reconnaître que le gouvernement n'a pas nécessairement été motivé à prendre ce genre de mesures. Mais Bob White, cette semaine, a déclaré devant ce comité que c'est tout à votre avantage si vous travaillez plus de 35 heures par semaine.

Mme Forsey: Nous avons bien dit, dans notre mémoire, que nous sommes en faveur des mesures prises à l'égard des travailleurs à temps partiel et du cumul des heures. Nous sommes en faveur de tout ce qui améliore la situation des prestataires. Nous pensons que la majeure partie de ce projet de loi, en particulier ce à quoi il vise... Ces 1,2 milliard de dollars doivent bien venir de quelque part, car je doute fort qu'il y ait un si grand nombre de gens à salaire élevé à l'assurance-chômage sur lesquels on puisse prélever une telle somme. Si vous arriviez à me le prouver je ne demanderais pas mieux que d'y croire.

M. Scott: Puis-je alors vous poser une question? Êtes-vous l'une de ceux qui considèrent qu'une partie du régime d'assurance-chômage et d'assurance-emploi vise un objectif de politique sociale, qu'il ne s'agit pas simplement d'une forme d'assurance?

.1745

Mme Forsey: Effectivement, car je crois être au courant des circonstances qui nous ont amenés à cela.

M. Scott: Fort bien; s'il en est ainsi, si le supplément de revenu... Les travailleurs saisonniers et ceux des régions rurales ne peuvent très souvent pas gagner suffisamment, pendant la brève période où ils peuvent travailler, pour assurer leur subsistance pendant le reste de l'année, et c'est ainsi qu'ils arrivent à joindre les deux bouts. Nous aussi nous comprenons cela.

Qu'advient-il si les gens profitent de cette occasion, ceux qui vraiment ne peuvent simplement demander à bénéficier du supplément de revenu? Si vous réalisez de bons gains, mais que chaque année il faut prévoir une période sans travail, devriez-vous être autorisé à réclamer un supplément de revenu dans le cadre du régime d'assurance-chômage?

Mme Forsey: Je ne connais pas beaucoup de gens qui soient dans cette situation, de sorte que je n'ai pas de commentaires à faire sur ce point.

M. Scott: Supposons que vous soyez employé par une usine d'automobiles et que vous soyez mis en disponibilité temporaire pour que l'usine puisse se réoutiller pour la production de l'année suivante; vous touchez donc l'assurance-chômage pendant un mois...

Mme Forsey: Je suis d'accord avec la disposition de récupération. Avec tous ces... Mais pourquoi me poser ces questions? Vous savez bien que je suis socialiste dans l'âme, et maintenant vous me l'avez fait dire.

M. Scott: Nous avons entendu ici d'autres socialistes qui n'étaient pas d'accord, et c'est pourquoi je vous pose la question.

Cela dit, si nous pouvions trouver l'argent aux dépens de ceux qui ont profité du système de façon non justifiable, en particulier si vous tenez compte du fait que beaucoup de gens, qui touchent le salaire minimum, cotisent sans jamais rien en retirer... Mais si ceux qui gagnent des sommes plus importantes et touchent des prestations utilisent l'argument selon lequel le régime comprendrait un élément de supplément de revenu... Ils ne sont pas au chômage; je ne parle pas de quelqu'un qui a perdu son emploi, mais de celui qui est mis en disponibilité temporaire. Si nous pouvions trouver l'argent pour cela, est-ce que cela vous paraîtrait moins répréhensible?

Mme Forsey: Si vous pouviez trouver là l'argent et...

M. Scott: Et en faire profiter ceux qui gagnent moins.

Mme Forsey: Avec... Vous parlez là de ceux qui bénéficient d'un certain niveau de revenu.

M. Scott: C'est bien cela.

Mme Forsey: J'aurais certainement moins d'objections, mais j'aimerais que l'argent provienne de ceux qui gagnent encore davantage.

M. Scott: Oui, mais nous devons nous limiter, à cette fin, à l'assurance-chômage.

Mme Forsey: Mais d'après le nouveau ministre, le régime budgétaire est sacro-saint, et s'il l'est pour l'assurance-chômage, nous subissons des contraintes par là même. Mais j'essayais, moi, d'élargir le cadre de la discussion en demandant pourquoi le régime budgétaire, ainsi que ces réductions de l'assurance-chômage doivent être tenus pour sacro-saints, alors que d'autres...

M. Scott: Mais si nous pouvions tout reprendre par la mesure de récupération, y aurait-il tant de mal à cela? Je ne dis pas que nous le ferons, et je n'essaie pas de vous entraîner dans une voie que vous ne voulez pas suivre. Je vous demande simplement si nous pourrions tout reprendre par la clause de récupération, si en dernier ressort nous pourrions remettre la main sur le tout.

Mme Forsey: En ce cas je m'opposerais moins aux changements, mais je voudrais examiner des cas précis, comme le proposait Larry. Il faut d'abord voir ce que cela signifie concrètement pour une personne dans une certaine situation. Cela pourrait effectivement constituer une amélioration, en dernier ressort, mais le point de départ me semble un simple postulat.

M. Scott: Je vous le concède. Merci.

Le président: Je vous remercie, madame Forsey. Le comité a été heureux d'entendre exposer divers points de vue, et nous essaierons de les rapprocher et de soumettre des propositions équitables envers les Canadiens qui bénéficient de l'assurance-chômage. Merci encore de votre participation.

Le comité est maintenant saisi d'une motion de Mme Brown aux fins d'amender son ordre du jour du 17 avril 1996 pour inclure parmi les témoins Mme Alexa McDonough, leader du Nouveau Parti démocratique du Canada. La motion est présentée par Mme Jan Brown, députée de Calgary-Sud-Est.

La motion est rejetée

.1750

Le président: La séance est levée.

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