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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 10 décembre 1996

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[Traduction]

Le président: La séance est ouverte. Le Sous-comité des institutions financières internationales du Comité des finances, reprend ses travaux.

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Je souhaite la bienvenue à nos invités sans ordre bien précis: Jim Carruthers de l'Agence canadienne de développement international; Gauri Sreenivasan du Conseil canadien pour la coopération internationale devait être des nôtres aujourd'hui, mais elle a dû s'excuser parce que sa mère est très malade; nous avons également Chris Greenshields, du ministère des Affaires étrangères.

Est-ce que vous accompagnez Chris?

Mme Linda Ervin (gestionnaire de projets principale, Institutions financières internationales (MFD), Agence canadienne de développement international): Je m'appelle Linda Ervin et j'accompagne Jim Carruthers.

Le président: C'est juste. Veuillez m'excuser, Linda.

Nous accueillons également Alister Smith, Jill Johnson et Gary Pringle, du ministère des Finances.

M. Chris Greenshields (directeur, Relations économiques avec les pays en voie de développement, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Gary appartient au ministère des Affaires étrangères.

Le président: Veuillez m'excuser, Gary.

Roy Culpeper, lui, représente l'Institut Nord-Sud.

Si vous me permettez un mot pour présenter le sujet de notre étude, il ressort des discours et des propos du nouveau président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, que la question de l'efficacité de l'aide au développement sera la principale question sur laquelle se pencheront au cours des mois et des années tant la Banque mondiale que d'autres organismes et institutions oeuvrant dans le domaine du développement.

Pour notre part, nous entreprenons une étude afin d'évaluer l'efficacité des prêts de développement accordés par la Banque mondiale. C'est une question qui intéresse tant les gouvernements que les ONG des pays récipiendaires de cette aide. C'est une question qui intéresse encore davantage les citoyens de ces pays, et notamment les plus démunis d'entre eux. En effet, le principal mandat de la Banque mondiale est de lutter contre la pauvreté dans le monde.

L'efficacité des activités de développement est également une question présentant un intérêt pour les contribuables. Ces derniers veulent s'assurer que leur investissement dans les institutions qui se consacrent au développement mondial, et notamment la Banque mondiale, est utilisé à bon escient et contribue vraiment à éliminer la pauvreté.

Cette question intéresse évidemment les gouvernements des pays développés, le Canada, les États-Unis et d'autres qui doivent rendre des comptes à leurs citoyens pour les fonds qu'ils investissent dans le développement mondial. En outre, les institutions, la Banque mondiale en l'occurrence, déterminent largement l'action des pays développés en matière de lutte contre la pauvreté.

Sans plus tarder, j'ai pensé demander à Roy Culpeper, qui représente une ONG qui joue un rôle important dans le domaine du développement mondial, de bien vouloir commencer.

Je demanderai à chacun de nos quatre témoins de nous entretenir pendant 10 à 15 minutes du sujet à tour de rôle. Ensuite, les membres du comité souhaiteront vous poser des questions ou discuter avec vous de certains sujets. Nous espérons que cet échange de vue sera fructueux.

Notre comité compte rendre visite à la Banque mondiale vers la fin janvier. Nous poursuivrons ensuite nos travaux.

Monsieur Culpeper, voulez-vous bien commencer? Je vous remercie tous de votre présence.

M. Roy Culpeper (président, Institut Nord-Sud): Je vous remercie, monsieur le président, de me donner la parole.

J'aimerais d'abord souligner le fait que nous sommes plus ou moins une ONG, mais que ce qui nous caractérise vraiment c'est que nous sommes un organisme de recherche impartial voué à l'étude des politiques en matière de développement.

Je me suis beaucoup inspiré pour préparer cet exposé du groupe de travail sur les banques de développement multilatérales du Comité du développement. Ce groupe de travail a publié un important rapport plus tôt cette année, et nous avions réalisé une étude de fonds aux fins de ce rapport. Cette étude n'a pas été publiée, mais peut être communiquée à quiconque en fait la demande.

Je vous réfère également au dernier volume d'une importante série d'études sur les banques de développement multilatérales, études qui ont été menées sous ma direction. Le dernier volume est en cours de parution. Il s'intitule Titans or Behemoths? The Multilateral Development Banks. L'éditeur sera Lynne Rienner Publishers. Le volume paraîtra sans doute dans trois ou quatre mois.

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J'aimerais faire trois observations. Premièrement, la conception actuelle de l'efficacité en matière de développement a du mérite. L'orientation adoptée est bonne, mais elle demeure trop étroite.

Deuxièmement - et il s'agit ici d'un point plus fondamental - il faut mettre les pays en développement, et non pas les organismes d'aide et les institutions financières internationales, au coeur du système de développement international afin d'en faire les partenaires privilégiés d'une coopération plutôt que des clients ou des bénéficiaires d'aide.

Troisièmement, il est nécessaire d'adopter une approche plus globale pour établir l'efficacité de l'aide, et cette approche, qui doit comporter des objectifs à long terme convenus, doit élargir la portée de la participation à l'élaboration de la politique économique.

Ces trois points sont étroitement liés. Il n'y a pas si longtemps, lorsqu'il était question d'efficacité des activités de développement, il s'agissait de savoir si les fonds consacrés au développement étaient bien utilisés. Aujourd'hui, étant donné la rareté des fonds d'aide ainsi qu'un scepticisme croissant au sujet de l'impact et de l'efficacité de l'aide, on s'intéresse maintenant davantage aux fins plutôt qu'aux moyens de l'aide au développement. Quand il est question d'évaluer l'efficacité des activités de développement aujourd'hui, on entend par là l'évaluation des résultats obtenus sur le terrain. Qu'est-ce que cela signifie? Dans le jargon de la Banque mondiale, cela renvoie habituellement à l'impact sur le développement à long terme ou à la réduction durable de la pauvreté.

Il apparaît qu'un développement durable à long terme repose sur deux facteurs importants. Premièrement, il faut faire participer les pays bénéficiaires au choix, à la conception, à la mise en oeuvre ainsi qu'au suivi des projets de développement. La réduction soutenue de la pauvreté passe par la prise en charge à l'échelon local des projets de développement, ce qui suppose une importante participation locale. À mon avis, cela constitue une percée dans la façon dont nous concevons la gestion de la coopération en matière de développement.

J'aimerais aussi insister sur ce qui constitue une autre percée dans ce domaine, surtout attribuable à la Banque mondiale. En effet, ce qu'on appelle les stratégies d'aide sont maintenant adaptées aux besoins des pays bénéficiaires. Ce sont effectivement les pays eux-mêmes qui doivent relever et concilier les défis que pose le développement ainsi que tirer partie des occasions qui se présentent à cet égard.

Malgré ces importantes percées, on a encore l'impression qu'il s'agit pour les banques de considérations secondaires. On a encore l'impression que l'approche que privilégient les banques dans le domaine du développement n'a pas changé et qu'il s'agit toujours pour elles d'acheminer vers ces pays d'importantes sommes sous forme de prêts.

Je vous renvoie à ce sujet à une importante étude menée par le Service de l'évaluation des opérations de la Banque mondiale, étude qui a conclu qu'en dépit de tous les efforts déployés par la Banque depuis 1990 pour évaluer et analyser la pauvreté, la conception des stratégies d'aide aux pays en développement n'a pas beaucoup changé. Nous n'avons donc pas l'impression que ces stratégies reflètent vraiment les importantes percées dans le domaine de la conception et de la mise en oeuvre des projets de lutte contre la pauvreté.

Je pense qu'il faudrait peut-être adopter une approche beaucoup plus vaste de l'évaluation de l'efficacité et se fixer un horizon à beaucoup plus long terme. Je vous renvoie à cet égard à un important document qu'a fait paraître le Comité d'aide au développement de l'OCDE en mai dernier et qui s'intitule Le rôle de la coopération pour le développement à l'aube du XXIe siècle.

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Dans ce document, le groupe des donateurs qui composent le Comité d'aide au développement fixe un ensemble d'objectifs économiques et sociaux telle qu'une réduction de 50 p. 100 de la pauvreté absolue d'ici l'an 2015; l'éducation primaire universelle; l'égalité des sexes en matière d'éducation; et une réduction importante du taux de mortalité chez les enfants de moins de cinq et du taux de mortalité maternel d'ici 2015. Il s'agit d'objectifs à l'horizon de 20 ans, et cela nous rappelle qu'il faut beaucoup de temps pour réaliser des progrès sur ces problèmes fondamentaux et très ardus. Il faut en être conscient en tenir compte dans la façon dont nous menons nos activités d'aide au développement.

Si l'aide au développement est vraiment efficace, elle disparaîtra d'elle-même. Les organismes de développement perdront leur raison d'être dans un avenir prévisible. Pour cela, il faudra passer d'un système qui repose sur le concept de pays récipiendaires d'aide et de clients emprunteurs - pour reprendre votre expression - à un système qui repose sur le concept de partenaires dans une collaboration.

Si c'est l'approche que nous comptons adopter, il faudrait commencer par donner un rôle central dans le processus d'aide aux pays en développement eux-mêmes, les mettre à la place du conducteur. À l'heure actuelle, les stratégies d'aide ne sont vraiment que des instruments et des outils des institutions financières internationales et des organismes de développement. Elles sont conçues par ces organismes eux-mêmes. Ces organismes doivent évidemment décider comment structurer de façon cohérente leurs efforts et leurs ressources afin de vraiment venir en aide à leurs partenaires des pays en développement.

Idéalement, ce sont les pays en développement qui devraient diriger les opérations et les pays donneurs qui devraient coordonner leurs efforts selon les décisions prises par leurs partenaires. Or, le plus souvent c'est l'inverse qui se passe, et je dois admettre que ce sont souvent les organismes bilatéraux à qui l'on pourrait adresser les plus sérieux reproches à ce sujet. Ils se présentent à la table des négociations avec une liste de ce qu'ils sont prêts à faire, au lieu de laisser leurs partenaires des pays en développement leur exposer quels sont leurs besoins, pour ensuite concevoir leurs programmes d'aide et de soutien en conséquence.

La plupart des mécanismes d'évaluation et de vérification, notamment, sont conçus par les institutions financières internationales et les organismes bilatéraux pour répondre à leurs propres besoins. Cela est évidemment normal jusqu'à un certain point, mais on oublie qu'il serait bon de prévoir un mécanisme par lequel ces organismes seraient tenus de rendre des comptes aux pays en développement eux-mêmes.

Nous proposons d'ailleurs de créer un service semblable dans l'étude de fond que nous avons menée pour le compte du groupe de travail sur les banques de développement multilatérales du Comité de développement. Nous avons appelé ce service le Service d'évaluation de la satisfaction du client. Ce serait un service indépendant de la Banque mondiale et d'autres banques de développement multilatérales, qui mènerait des études pour évaluer l'efficacité du travail de ces banques. Ce serait un groupe analogue au Groupe d'assurance de la qualité qui vient d'être créé par la Banque mondiale. C'est à ses propres fins que la Banque mondiale a créé ce groupe. Je crois qu'il serait utile qu'on crée un organisme indépendant des IFI qui représenterait les intérêts des pays en développement.

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Je voudrais aussi vous parler de la nécessité de comparer les résultats obtenus sur le terrain dans le cadre beaucoup plus vaste d'une politique économique équitable. Les reproches que je peux formuler au sujet de la stratégie des BDM et des milieux officiels de développement reposent sur le fait que la pauvreté est perçue comme un problème plutôt qu'un symptôme d'un problème plus profond, qui est que les sociétés ne sont pas prêtes ou sont incapables à distribuer la richesse économique de façon plus juste.

La vraie façon de s'attaquer à la problématique du développement, c'est-à-dire la vraie façon de vraiment savoir si l'aide et la coopération en matière de développement sont efficaces, ce serait d'essayer de redresser les inégalités qui existent. Autrement dit, il faudrait s'attaquer au problème de la création et de la distribution de la richesse. Au lieu de dire que ce sont les pauvres et la pauvreté qui constituent le problème, il faudrait se pencher sur les mécanismes de création et de distribution de la richesse de la société dans son ensemble. Des études récentes, y compris celle menée par la Banque mondiale, ont conclu que dans les pays où les inégalités sont moindres, et notamment chez les tigres de l'Asie de l'Est - cette étude a été menée par Lynne Rienner - la croissance est plus rapide, l'économie est plus forte et la pauvreté diminue plus rapidement que dans les pays où les inégalités sont plus grandes.

Or, si l'inégalité plutôt que la pauvreté constitue le problème, je crois qu'il faut alors admettre que c'est par des moyens politiques qu'on peut corriger les inégalités. Pour ce faire, il faudrait étudier les mécanismes de distribution de la richesse et des actifs comme la terre et se pencher sur des questions comme celle de la redistribution des terres. Après avoir relégué aux oubliettes cette question pendant longtemps, la Banque, semble-t-il, a décidé de se pencher de nouveau sur la question de redistribution des terres. Je crois qu'on peut cependant dire que les tentatives en ce sens sont modestes.

La façon dont la politique macro-économique est conçue et mise en oeuvre constitue une autre dimension du problème. Voilà un débat qui est bien d'actualité et que les Canadiens peuvent bien comprendre et je suis d'autant plus heureux de pouvoir en parler devant un sous-comité du Comité permanent des finances.

Premièrement, la politique macro-économique a toujours eu un impact sur la redistribution de la richesse. Dans ce processus, il y a toujours des gagnants et des perdants. Certaines ONG soutiennent que la politique macro-économique de la Banque mondiale, et notamment ses politiques d'ajustement structurel, pénalisent toujours les pauvres. Je ne partage pas vraiment ce point de vue. Je crois qu'il faut un jugement empirique et qu'il faut se pencher sur les résultats obtenus dans chaque pays avant de tirer des conclusions au sujet de l'impact des politiques économiques sur la distribution de la richesse. J'insiste cependant sur le fait que la politique macro-économique est habituellement l'apanage de bureaucrates qui sont chargés de sa conception et de sa mise en oeuvre, avec une influence de membres privilégiés du milieu des affaires.

À l'heure actuelle, il y a un écart intéressant entre la philosophie et l'approche de la Banque mondiale en matière de participation et de prise en charge. J'ai commencé en faisant remarquer que la prise en charge à l'échelle locale des projets ainsi que la participation des pays bénéficiaires est maintenant reconnue par la Banque comme étant essentielle à un développement durable à long terme. Or, c'est au niveau micro-économique, c'est-à-dire au niveau des projets, que cette logique et ce raisonnement ont été appliqués jusqu'ici.

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On constate qu'on n'aborde pas de la même façon la politique macro-économique, c'est-à-dire la politique relative aux ajustements structurels. Autrement dit, on ne constate pas vraiment que la politique macro-économique est prise en charge à l'échelle locale par les bénéficiaires de l'aide, que ce soit au niveau de la Banque mondiale, au niveau des pays en voie de développement ou même au Canada. Si l'on reconnaît que ces principes sont essentiels pour assurer la mise en oeuvre de politiques économiques et politiques durables qui soient acceptées par l'ensemble de la population, j'estime qu'il faudrait trouver les moyens de faire participer les citoyens des pays en développement et d'ailleurs à l'élaboration de la politique économique au lieu de la leur imposer. Ce principe vaut tant au Canada qu'ailleurs.

Je n'en dirai pas plus pour l'instant, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie, monsieur Culpeper. Vous nous avez présenté une analyse très pénétrante et stimulante. Nous nous réjouissons de pouvoir discuter de ce sujet avec vous.

Je donne maintenant la parole à Alister Smith, de la section des institutions financières internationales du ministère des Affaires étrangères. Bienvenue.

M. Alister Smith (directeur, Finances internationales et analyse économique, ministère des Finances): Je vous remercie, monsieur le président. Je devrais peut-être commencer par faire quelques observations générales sur l'efficacité des activités de développement et aborder d'autres questions par la suite. Comme Len Good vous l'a dit, le président de la Banque mondiale,M. Wolfensohn, a choisi d'accorder la priorité absolue à l'efficacité des activités de développement depuis son entrée en fonction. Il est convaincu de la nécessité d'adopter des réformes dans ce domaine, réformes à la mise en oeuvre desquelles il a accordé beaucoup d'énergie et de dévouement.

Il n'est pas facile de vouloir changer la culture de la Banque. Je crois que M. Culpeper a bien fait remarquer que la culture de la Banque reste toujours fondée sur le processus d'approbation de prêts, l'octroi de prêts, et ne repose pas encore sur l'évaluation des résultats.

C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle est parvenu le groupe de travail sur les banques de développement multilatérales auxquelles Roy a participé. Je crois que les spécialistes du domaine du développement s'entendent pour reconnaître qu'il faut changer la culture et qu'il faut se demander quels sont les résultats qui peuvent être atteints sur le terrain par des organismes comme la Banque mondiale au lieu de s'intéresser simplement à des bilans.

L'accent a été mis sur la qualité des opérations. Le directeur de la Banque veut améliorer la qualité des prêts qui sont accordés par son organisme.

Comme Roy l'a aussi mentionné, il cherche activement à faire participer les pays bénéficiaires au processus. Il se peut que cet effort n'ait pas encore vraiment porté fruit, mais le directeur de la Banque, ses collaborateurs, ainsi que les actionnaires de la Banque ont accepté le principe de la participation des bénéficiaires de l'aide à la mise en oeuvre des politiques et des projets de développement.

Plus de ressources ont été affectées à la surveillance et à la supervision des projets. On a reproché par le passé à la Banque de ne pas savoir exactement pourquoi certains projets réussissent et d'autres échouent. Je crois qu'il est grand temps qu'on insiste maintenant sur la surveillance de ces projets.

En outre, le directeur de la Banque mondiale a pris des mesures en vue d'améliorer les indicateurs permettant d'évaluer l'impact des activités de développement. La Banque a proposé un certain nombre de nouveaux indicateurs, et je crois que nous avons déjà communiqué certains d'entre eux au comité. À mon sens, il s'agit d'un pas dans la bonne direction, car il faut disposer d'étalons pour pouvoir évaluer dans quelle mesure les opérations de la Banque se traduisent par des résultats sur le terrain. Pour l'instant, les indicateurs d'impact constituent l'une des rares façons fiables de le faire.

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Nous constatons également que la Banque mondiale cherche à s'ouvrir davantage à différents partenaires. La Banque s'est ralliée à l'établissement de partenariats avec des partenaires extérieurs à elle-même et aux autres organismes de développement, tels que les universités, les milieux d'affaires, les fondations privées, les ONG, les parlementaires ainsi que d'autres organismes multilatéraux comme les Nations Unies. La participation des ONG à la mise en oeuvre des projets s'est accrue, et je crois que cela a permis d'atteindre bon nombre des objectifs dont vous parlait plus tôt Roy Culpeper en ce qui touche la mise en oeuvre des projets: accent accru sur les questions environnementales, la pauvreté, l'égalité des sexes, etc.

M. Wolfensohn, ainsi que les pays actionnaires de la Banque cherchent également à faire participer davantage le secteur privé aux efforts de développement. Comme on est conscient du fait qu'on ne peut pas compter comme par le passé sur les ressources officielles, on cherche à faire participer davantage les capitaux privés au processus du développement.

La réduction de la pauvreté et la croissance du secteur privé sont parfois vues comme des objectifs contradictoires. En fait, de plus en plus, c'est l'inverse qui est vrai. Les ressources officielles consacrées au développement constituent le tiers des ressources totales allant aux pays en développement.

Les capitaux privés sont répartis de façon quelque peu inégale entre les pays en développement, mais ces capitaux transforment actuellement considérablement certains grands pays en développement. L'un des grands défis que doit relever la Banque mondiale, c'est d'harmoniser la façon dont la banque elle-même et ses filiales comme l'IFC et l'AMGI coordonnent leurs activités et traitent avec les organismes de financement des exportations, les autres bailleurs de fonds et les sociétés privées etc. essentiellement pour injecter des capitaux privés dans les projets et dans le développement à l'échelle mondiale.

J'aimerais ajouter deux choses.

La coopération multilatérale en général est une question qui intéresse les pays actionnaires, et qui les a d'ailleurs toujours intéressés. C'était le thème abordé à Halifax. Je crois cependant qu'on est loin d'avoir atteint l'objectif. Il est encore nécessaire d'améliorer la collaboration entre la Banque mondiale, le FMI, les organisations des Nations Unies, l'OMC et d'autres organisations multilatérales.

Plus facile à dire qu'à faire évidemment. S'il y a des réussites, il y a aussi beaucoup de cas où la main gauche ne sait pas ce que fait la main droite. Il faut donc poursuivre les efforts en ce sens.

Enfin, j'aimerais mentionner une question très importante qui est déjà au stade de l'exécution, mais où la Banque mondiale a montré beaucoup de leadership. Il s'agit de la question de la dette multilatérale, soit de la dette due aux institutions comme la Banque mondiale, le FMI, la Banque de développement africaine ainsi qu'aux créanciers officiels.

Un certain nombre de pays parmi les plus pauvres sont affligés d'une dette impossible à gérer, une dette qu'un bon nombre d'entre eux, même dans le scénario de croissance le plus optimiste, ont peu de chance de pouvoir jamais rembourser.

La Banque mondiale en collaboration avec le FMI, le Club de Paris et d'autres organismes, a pris l'initiative de dresser un plan de gestion d'ensemble de cette dette. Ce plan en est toujours à l'étape de la gestation, et même si on devra attendre encore longtemps les résultats, c'est une initiative qui revêt une grande importance pour certains des pays les plus pauvres.

Je pense qu'il vaudrait mieux que je m'arrête là et nous pourrons, au cours de la discussion, revenir sur certaines autres questions.

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Le président: Je donne maintenant la parole à Chris Greenshields, des Affaires étrangères.

M. Greenshields: J'essayerai de ne pas répéter ce qu'ont déjà dit Alister et Jim.

Il va de soi que les différents ministères collaborent étroitement dans le domaine du développement international. Le développement international constitue une partie de la politique étrangère du Canada. Par conséquent, l'évaluation de l'efficacité des activités de développement nous intéresse au plus haut point.

La politique étrangère fait intervenir une vaste gamme de questions. Cette politique étrangère a généralement pour pilier la sécurité des personnes, une question qui revêt une grande importance pour les Canadiens et qui cadre avec leurs valeurs. C'était d'ailleurs une dimension majeure de l'énoncé de politique étrangère du gouvernement canadien publié en 1995 et intitulé «Le Canada dans le monde».

La sécurité de la personne a aussi constitué l'une des questions au coeur des efforts déployés par le Canada lors des sommets économiques annuels. On a beaucoup insisté au sommet de Halifax sur la réforme des institutions financières internationales, sur l'amélioration de la coordination des politiques de ces organismes, sur la réduction des chevauchements et sur l'accroissement de l'efficacité des activités de développement.

L'une des priorités en matière de politique étrangère, c'est d'élargir la conception qu'on se fait du développement pour y inclure la sécurité de la personne au sens le plus large. Cela comprend la défense des droits de la personne, la bonne gouvernance et le développement démocratique. Comme Alister l'a souligné, sous la présidence de M. Wolfensohn, je crois que la Banque mondiale s'est vraiment efforcée de trouver une solution à ces problèmes au cours des dernières années. Cela n'a pas toujours été facile, et notamment dans le domaine des droits de la personne, en raison de la charte de la Banque, mais on s'y est pris de façon à respecter la charte et de répondre à la volonté des membres - comme Roy l'a dit - de voir participer davantage aux activités de développement les pays bénéficiaires de l'aide à titre de partenaires.

Après le sommet de Halifax, on a aussi cherché à définir le rôle que doit jouer la communauté internationale dans les zones de conflit avant et après l'éclatement des hostilités. Le cas s'est présenté en Bosnie ou, il y a quelques années, au Cambodge. Le même problème va maintenant se poser en Afrique centrale et dans la région des Grands Lacs, au Zaïre, au Rwanda et au Burundi. Je crois que la Banque s'est montrée tout à fait capable de réagir à ces situations difficiles et s'est donnée des paramètres régissant son intervention. C'est vers la Banque que la communauté internationale s'est tournée dans le cas de la Bosnie pour diriger l'exécution de l'accord de paix de Dayton ainsi que le processus de reconstruction.

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Je me permets de mentionner la question des dépenses militaires des pays en développement puisqu'il s'agit d'une autre dimension de notre politique étrangère à laquelle a fait allusion, si je ne m'abuse, Len Gordon.

Il s'agit d'une question très difficile. MM. Axworthy et Martin, en collaboration avec la Banque mondiale, ont fait ressortir l'importance de cette question pour le Canada. Ils ont insisté sur le fait qu'il faut tenir compte de tous les aspects de la question: ses conséquences sur la sécurité régionale, les mesures d'édification de la confiance, le commerce des armes et son impact, etc. Je n'en dirai pas plus long là-dessus, mais je remettrai certains documents au président. Ils reflètent les déclarations faites par M. Axworthy à la Chambre plus tôt cette année sur cette question ainsi que l'approche que nous adoptons dans ce domaine.

Le gouvernement a également tenu un symposium pour discuter de la question avec les Canadiens, avec la collaboration de l'Institut Nord-Sud. Nous prévoyons également pour le mois de mars un symposium international à ce sujet, encore une fois avec la participation d'organisations non gouvernementales, de la Banque mondiale, du FMI et d'autres.

Je m'en tiendrai à cela, sachant que nos collègues de l'ACDI pourront étoffer davantage. Je tiens par ailleurs à souligner que le fait de mettre l'accent sur les pauvres constitue également une priorité de la politique étrangère. Il ne s'agit pas tout simplement d'une priorité pour l'ACDI, mais pour le gouvernement dans son ensemble. C'est ce qui est ressorti à nouveau du sommet de Halifax et que nous continuons à faire valoir à la Banque mondiale et auprès des banques de développement régional. Je tenais à vous le confirmer dans le cadre de notre politique générale.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Greenshields.

Il nous reste maintenant à peu près 25 minutes, semble-t-il. Nous allons vérifier les possibilités de jumelage pour éviter d'avoir à suspendre la séance. Autrement, nous vous prions d'être patients durant les 10 à 15 minutes au cours desquelles nous devrons aller voter. Nous serons fixés bientôt.

Monsieur Carruthers, à vous maintenant de prendre la parole.

M. Jim Carruthers (directeur général, Institutions financières, Agence canadienne de développement international): Merci beaucoup, monsieur le président. Permettez-moi de vous dire au départ que l'ACDI elle-même s'interroge sur l'efficacité de ses initiatives en matière de développement et sur la nature de ses responsabilités et des initiatives qu'elle peut prendre à cet égard dans le cadre de ses relations avec les banques multilatérales, dont nous sommes des actionnaires très minoritaires. Nous avons poussé assez loin notre réflexion à ce sujet.

Nous avons dû nous situer par rapport aux résultats de bon nombre de nos sondages au Canada qui nous montrent que le soutien qu'accordent les Canadiens à l'aide au développement n'est plus fondé sur l'écart entre riches et pauvres, ni sur les avantages ou retombées pour les Canadiens, mais plutôt sur l'utilité concrète de la contribution canadienne. Les gens demandent constamment si nos actions ont véritablement pour effet de favoriser des améliorations durables. C'est certainement dans une telle perspective que nous avons voulu évaluer les banques multilatérales. Nous nous sommes efforcés, dans notre analyse, d'étudier les objectifs des institutions, leurs politiques, leurs programmes, leurs critères de sélection de projets, ainsi que leurs pratiques de mise en oeuvre et d'évaluation, de manière à maîtriser l'ensemble de la question.

Pour ce qui est des programmes antérieurs des banques, allant jusqu'au milieu des années 1990, nous en sommes arrivés à la conclusion qu'ils ont été extrêmement efficaces, sur le plan général, du fait qu'ils ont permis d'aborder des questions dans l'optique multilatérale et de faire participer les pays bénéficiaires au processus de décision.

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Dans certaines institutions, notamment les banques régionales, les pays membres emprunteurs détiennent la majorité des actions. Pour bien des pays, la participation à ces institutions financières dont les pouvoirs de décision sont considérables garantit qu'ils ne seront pas mis à l'écart des grands courants de la mondialisation. Sur le plan général, c'est là un aspect très important de l'efficacité du développement.

Également, nous sommes certainement arrivés à la conclusion - d'accord en cela avec nos collègues - que les IFI ont été en mesure de canaliser de vastes ressources vers des activités de développement. Il s'agit d'un résultat dont on aurait tort de sous-estimer l'importance. La contribution des IFI aux objectifs de développement dépasse celle de l'ensemble des programmes bilatéraux. En effet, les IFI attirent jusqu'à 20 fois plus de capitaux privés qu'elles ne reçoivent de contributions, ce qui constitue un transfert très considérable de ressources d'autres secteurs économiques vers les initiatives de développement. Nous avons conclu qu'elles étaient certainement très efficaces, aussi bien sur le plan de la gestion financière que de la mobilisation des ressources.

Nous tenons également à signaler le pouvoir politique très considérable qu'elles peuvent exercer et qu'elles exercent effectivement. Les gouvernements bénéficiaires ont d'importantes questions de politique à régler sur le plan intérieur, et le Canada n'échappe pas non plus à une telle réalité. Pour que les programmes de développement soient efficaces dans ces pays, la capacité d'influer sur la politique intérieure est essentielle, et seules les grandes institutions sont en mesure de jouer un rôle à cet égard.

Également, la capacité analytique et les compétences professionnelles et techniques dont disposent les IFI leur ont permis de définir les grands enjeux du développement de façon fort efficace. La Banque mondiale notamment, qui dispose d'une capacité analytique hors pair, joue un rôle de chef de file à cet égard.

Sur le plan de la mise en oeuvre toutefois, nous avons pu constater que les efforts des banques étaient moins efficaces. Dans la plupart des ces institutions, on se soucie traditionnellement surtout de distribuer des prêts. Dans certains cas, la surveillance sur le terrain des projets a été inefficace. Les institutions reconnaissent elles-mêmes que leurs processus et les modalités de leur participation ont manqué de transparence.

De plus, j'estime que les résultats de leur processus d'évaluation n'ont pas été intégrés efficacement aux activités.

De nombreux changements sont cependant en cours. Nous, à l'ACDI, avons pu constater un certain nombre d'initiatives de la part des diverses banques au cours des quelques dernières années. Je me permettrai de vous en citer quelques exemples, qui concernent également les banques régionales.

Comme on l'a déjà dit, il est certain que la lutte contre la pauvreté et le développement durable font désormais partie des priorités de ces institutions. On a reconnu que la croissance, bien que nécessaire, ne suffit pas. En conséquence, certains des processus des IFI ont été modifiés en profondeur.

Il est également important pour ces institutions financières de grande taille de déterminer comment elles peuvent intervenir de la façon la plus efficace dans un marché auquel participent également des programmes bilatéraux, des ONG, des organisations des Nations Unies et d'autres intervenants. Les banques doivent réévaluer et redéfinir leur rôle comme partie d'un continuum. Les IFI ne peuvent être partout et tout faire à la fois avec un maximum d'efficacité. La réflexion à cet égard est bien engagée.

En effet, il est clair que depuis quelques années, comme à l'ACDI, toutes les banques adoptent une démarche de programmation axée sur les résultats. C'est ce qui ressort de leurs rapports d'évaluation du rendement, qu'il s'agisse du rapport Wapenhans à la Banque mondiale, du rapport Tapoma à la BID ou le rapport Knox à la Banque africaine de développement. Dans tous ces cas, on a entrepris un examen exhaustif des processus, des politiques et des structures dans l'optique de l'efficacité du développement.

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Assurément, le Sommet de Halifax a fourni aux banques de développement une orientation claire. J'estime qu'il faudra continuer à s'interroger sur les rapports avec les programmes des Nations Unies en vue d'assurer une coordination efficace.

Voyons maintenant comment la situation a évolué dans certaines banques régionales. Je commencerai par la Banque asiatique de développement dont la réputation de bonne gestion est extrêmement bien méritée, à mon avis. Comme agent de développement dans le contexte asiatique, cette banque a su donner une dimension planétaire à bon nombre des réalités de l'Asie. En veillant à ce que la perspective asiatique soit prise en compte, elle a contribué de façon fondamentale au processus de développement de la région.

Au cours de la prochaine décennie, plus d'un billion de dollars seront investis en Asie dans les seules infrastructures. Il s'agira essentiellement de capitaux privés. À la Banque asiatique de développement, on s'applique activement à redéfinir le rôle de l'institution comme étant celui d'agent catalyseur ayant comme fonction de mobiliser et de diriger un vaste transfert de ressources vers des projets et des programmes axés sur le développement. La Banque adapte actuellement ses propres programmes dans une telle optique.

Au cours des quelques dernières années, toutes les banques ont revu leurs objectifs et ont déplacé à peu près 40 p. 100 de leurs ressources et jusqu'à 50 p. 100 de leurs projets vers des activités dites intangibles par opposition aux grands chantiers traditionnels, en mettant beaucoup plus l'accent sur la lutte contre la pauvreté, pour harmoniser leurs interventions aux autres efforts de développement.

La Banque Inter-américaine, également, joue un rôle tout à fait critique, non seulement son rôle traditionnel de bailleur de fonds pour les projets de développement, mais un rôle essentiel d'analyse aussi bien politique qu'économique. À la suite du sommet de Miami, par exemple, la Banque joue un rôle critique dans le processus de paix au Guatemala et met ainsi ses capacités analytiques et à ses ressources financières au service d'une action beaucoup plus large.

Nous constatons donc que, dans leur évolution, les banques ne se cantonnent plus dans un rôle de bailleurs de fonds.

Monsieur le président, je vais m'en tenir là. Je répondrai aux questions à mesure qu'elles me sont posées.

Le président: Merci, monsieur Carruthers.

Nous avons le temps d'accepter une question.

Monsieur Bélisle.

M. Bélisle peut poser une question à l'un des témoins en particulier ou à tous les témoins collectivement. Dans ce dernier cas, ceux qui souhaitent y répondre pourront le faire.

[Français]

M. Bélisle (La Prairie): Évidemment, il y a plusieurs propos intéressants qui ont été tenus par nos témoins ce matin et qui appelleraient plusieurs questions. Toutefois, je ne voudrais pas prendre tout le temps du comité. J'adresserai donc une question à M. Carruthers.

Vous avez mentionné que l'ACDI et l'ensemble des intervenants dans le milieu se sont rendu compte que l'idéologie basée sur la croissance était nécessaire au point de départ, mais qu'elle s'avérait ensuite insuffisante. Il faut plus que cela. Pourriez-vous expliciter davantage ce qu'il faut ajouter à l'idéologie de la croissance dans ces pays?

On entend souvent dire que les pays en voie de développement ont une économie de subsistance. Lorsque je vois à la télévision, en Haïti ou dans plusieurs pays d'Afrique, tous les marchés publics où s'échangent des biens, des fruits et des légumes très frais, même en hiver - ce qu'on n'a pas toujours ici - , marchés qui existent souvent depuis des centaines et des centaines d'années, je me dis que ces gens réussissent dans bien des cas à vivre.

J'aimerais que vous élaboriez sur ce qu'il faut de plus à ces pays, au-delà de l'idéologie de la croissance. Comment formuleriez-vous cela?

[Traduction]

M. Carruthers: En effet. Je voulais dire que les institutions financières ont mis l'accent, par le passé, sur des projets et des programmes qui favorisaient la croissance, en postulant - selon la théorie quelque peu démodée du percolateur - qu'une partie des effets de la croissance finirait par bénéficier aux pauvres. En favorisant la croissance, on produit plus de richesses et tout le monde en bénéficie.

.1030

Or, les responsables des banques ont fini par comprendre - ce que l'on avait déjà compris depuis fort longtemps dans les ONG et ailleurs - que d'autres types d'interventions sont également nécessaires pour assurer la distribution équitable des bienfaits de la croissance. En l'absence de telles interventions, des distorsions compromettront l'objectif de développement durable et d'atténuation de la pauvreté.

Dans leur évolution, les banques en sont arrivées à intégrer plus directement cette façon de voir dans leur programmation.

[Français]

M. Bélisle: Ma deuxième et dernière question s'adresse à M. Smith.

Vous avez mentionné, monsieur Smith, que la banque fait maintenant participer davantage les pays bénéficiaires à l'exécution des projets. Concrètement, comment cela se fait-il? Avez-vous un exemple qui illustrerait la façon dont cela s'est fait?

[Traduction]

M. Smith: Les exemples de l'ancienne manière de voir sont nombreux. La Banque mondiale ne se contentait pas de jouer un rôle de chef de file, elle formulait le plan et elle l'imposait pratiquement au pays emprunteur.

Il est beaucoup plus clairement établi à l'heure actuelle que, pour tout projet de la Banque, le pays bénéficiaire doit participer au plan d'ensemble. La nouvelle manière de voir touche non seulement l'adaptation structurelle mais aussi les projets. Elle se répercute dans tous les processus. En effet on estime que, si le pays bénéficiaire ne fait pas sien le projet ou le programme, les probabilités d'échec sont très considérables.

Il s'agit pour l'essentiel, à l'heure actuelle, d'un effort de collaboration entre la Banque mondiale et les pays en développement. L'effort s'inscrit dans un contexte plus général et dans une perspective d'ensemble. La Banque ne décide pas tout à coup de construire un barrage hydroélectrique dans tel pays, de telle ou de telle façon et de se retirer par la suite. L'approche consiste bien davantage à collaborer à un plan de développement, à assurer la continuité des rapports avec le pays, à voir les projets d'énergie électrique comme composante d'une stratégie de développement d'ensemble que le gouvernement a largement façonnée lui-même et à laquelle il s'est engagé résolument.

De plus en plus également, l'activité de la banque prend la forme de partenariats avec des tiers. On cherche à intéresser des détenteurs de capitaux privés, des sociétés et la Banque de développement régionale. La démarche est plus complexe et plus exigeante. Elle vise notamment à faire en sorte que le pays bénéficiaire s'approprie véritablement le projet et la stratégie de développement.

Le président: Merci, monsieur Bélisle.

Avant de passer à M. Grubel, quelqu'un d'autre souhaite-t-il intervenir sur la question deM. Bélisle?

Monsieur Culpeper.

[Français]

M. Culpeper: Je voudrais ajouter qu'il est beaucoup plus facile de mêler des personnes à la détermination de projets microéconomiques, ainsi que l'a dit M. Smith, que de les engager dans le processus de planification des politiques macroéconomiques.

C'est à mon avis le plus grand défi, non seulement dans les pays en voie de développement, mais aussi chez nous. Même au Québec, il est très difficile d'engager des gens dans la planification et les grandes politiques économiques, mais à mon avis, c'est très important si on veut que ces politiques macroéconomiques soient vraiment mises en oeuvre.

.1035

[Traduction]

Le président: Merci.

Monsieur Grubel.

M. Grubel (Capilano - Howe Sound): Je suis fort intéressé de constater que, enfin, on commence à adopter l'idée d'axer les prêts sur les résultats. Je vois par contre un conflit possible entre cette idée et celle de faire participer les gouvernements locaux.

Supposons, par exemple, que l'on veuille investir dans un barrage hydroélectrique, mais que cela ne cadre pas dans le plan de certains dirigeants qui estiment qu'il est plus important de préparer le pays à la guerre. Comment alors résoudre les différends? Supposons qu'il soit jugé prioritaire d'éliminer la pauvreté, mais que ces personnes tiennent absolument à ce que les ressources qu'elles reçoivent - et que nous savons fongibles - servent à préparer la riposte à une invasion éventuelle des États-Unis? Que pouvons-nous faire dans de tels cas?

M. Smith: M. Grubel soulève un problème, pour ne pas dire un dilemme fort pertinent. Par le passé...

Le président: Il lui arrive souvent de le faire.

M. Smith: Oui.

Comme Chris Greenshields l'a dit, l'un des problèmes - ou si vous voulez l'une des contraintes - pour le FMI et la Banque mondiale, avait trait au fait que ces institutions ne devaient pas, aux termes de leur charte, être des institutions politiques. La décision de réaliser ou non un projet dans tel ou tel pays ne devait pas être fondée sur le régime politique de ce pays. Aujourd'hui, les pays donateurs et les actionnaires sont de plus en plus réticents à voir leurs ressources financières affectées à des activités improductives - et carrément contre, dans le cas de dépenses militaires - et ils demandent de plus en plus à la Banque et au Fonds de veiller à ce que les sommes qu'ils contribuent ne servent pas à financer les dépenses militaires.

L'argent est un bien fongible, avez-vous dit. Ainsi, les autorités du pays bénéficiaire conviendront du fait qu'elles ont beaucoup plus besoin d'énergie électrique que de nouveaux chars d'assaut. Les dirigeants se disent d'accord et ils veulent construire le barrage. Mais cela veut-il dire que des ressources auront été libérées et pourront servir à des fins militaires, et les institutions financières peuvent-elles contrecarrer un tel résultat? Je ne crois pas vraiment que les institutions puissent dépasser une certaine limite. Dans le cadre des stratégies d'aide et des activités de financement, les IFI peuvent manifester leur réprobation et elles le font. Mais, en fin de compte, que peuvent-elles faire concrètement si les autorités d'un pays décident de détourner les ressources après coup?

M. Grubel: Vous accréditez l'idée selon laquelle il faut absolument que les pays participent pour qu'on aboutisse à des résultats. C'est bien beau tout cela, mais si les autorités d'un pays d'Afrique centrale ou d'Amérique du sud se mettent dans la tête de devenir le meilleur producteur d'acier au monde, que faire alors? Où commence et où finit l'ingérence dans le cas d'un pays qui se propose un tel objectif?

L'approche manque tout simplement de cohérence. À un moment donné, nous devons bien porter un jugement quelconque... L'histoire nous enseigne quand même des choses et les dirigeants de certains pays auraient peut-être avantage à parfaire leur instruction.

Je suis convaincu que vous trouvez des façons de régler de tels problèmes. Cependant, je tenais à faire observer que toutes ces belles intentions, tous ces beaux objectifs que vous énoncez dans vos témoignages sont fort louables, mais je me demande, en pratique - et quelqu'un a peut-être un cas concret à citer - quelle forme peut prendre le conflit entre ces nobles objectifs et comment les institutions arrivent à trouver des solutions.

Le président: Monsieur Carruthers, souhaitez-vous faire un commentaire?

M. Carruthers: Oui, je tenais à ajouter quelque chose. Votre observation est fort pertinente. Pour ce qui est des dépenses militaires, il s'agit d'un critère qui prend une importance grandissante. Mais, plus généralement, la réponse réside dans l'élaboration de programmes par pays. Autrefois, les technocrates des banques formulaient eux-mêmes de tels programmes et les imposaient sans participation du bénéficiaire, ce qui n'était certainement pas efficace à long terme. Le pays doit faire sien le programme et dans mon esprit, il s'agit d'une dynamique qui englobe non seulement le gouvernement mais l'ensemble de la société civile.

.1040

Il n'en reste pas moins que, à un moment donné, le programme du pays doit être approuvé par le conseil d'administration de la Banque et doit recevoir l'appui des pays donateurs, ce que le pays bénéficiaire doit comprendre et accepter. En réalité, il faut imposer certains critères. L'aide est conditionnelle, dans une certaine mesure, et c'est là également un aspect inévitable du processus.

M. Grubel: Cette idée de conditionnalité plaît-elle à M. Culpeper?

M. Culpeper: À mon avis, la conditionnalité est très importante. D'après moi, aucune ressource ne devrait être consentie sans condition. C'est la nature de la conditionnalité qu'il importe de déterminer, et non pas son opportunité. Les conditions sont- elles efficaces? Sont-elles applicables? Voilà la question.

M. Grubel: Êtes-vous à l'aise avec un type de conditionnalité qui empiète sur la souveraineté d'un pays en développement? Voilà qui me semble odieux.

M. Culpeper: On ne peut parler d'ingérence dans la mesure où il s'agit plutôt de dialogue. Les pays en développement veulent avoir des ressources et les pays créanciers ou les pays donateurs leur en offrent. Il y a donc là un terrain d'entente possible et j'estime que l'entente doit se faire autour d'un ensemble de conditions acceptables pour les deux parties.

Il y a eu problème par le passé du fait que les conditions étaient imposées par les pays développés, par les créanciers, sans qu'on se soucie de leur applicabilité ou de leurs répercussions. Ce qui importe surtout, c'est que les conditions soient opportunes et qu'elles soient acceptables.

Il faut accepter la possibilité que certaines conditions ne soient pas acceptables aux pays en voie de développement et qu'aucune entente ne soit donc possible. Si, dans certains pays en développement, on tient mordicus à des dépenses militaires excessives qui peuvent être évaluées selon le rapport entre les dépenses militaires et les dépenses d'éducation ou entre les dépenses militaires et les dépenses de santé - la meilleure solution consiste peut-être à considérer le désaccord comme irréductible: «désolé, nos moyens sont limités, nous allons les consacrer à des pays qui accordent une plus grande importance à la santé et à l'éducation».

M. Grubel: L'Institut Nord-Sud serait donc prêt à accepter un tel degré d'ingérence dans les affaires d'un pays souverain?

M. Culpeper: La souveraineté est un couteau à deux tranchants par les temps qui courent. La souveraineté donne-t-elle le droit à un pays de massacrer sa propre population et d'empêcher les autres de dire quoi que ce soit? Je ne le crois pas. Je ne le crois pas du tout.

La souveraineté a-t-elle mis les pays à l'abri des jugements portés sur leur politique économique intérieure par les intervenants des marchés financiers internationaux? Je ne le crois pas non plus.

M. Grubel: On pourrait répondre par l'affirmative... Bon nombre des instituts qui s'intéressent au développement économique s'inquiètent du fait que les conditions rattachées aux prêts ont donné lieu à une ingérence excessive dans le processus du développement et n'ont pas respecté le droit des populations des pays en développement de se développer comme bon leur semble. Dois-je comprendre que l'Institut met l'accent sur le fait que certains agissements sont acceptables dans la mesure où ils reflètent les valeurs d'institutions capitalistes? Est-ce la position que vous soutenez, vous et votre Institut, à l'heure actuelle, monsieur Culpeper?

M. Culpeper: Je ne dirais certainement pas les choses de la même façon que vous. Je suis d'accord avec ce que d'autres ont dit autour de la table, notamment Jim Carruthers. Il est extrêmement important d'agir avec tous les éléments de la société, et non pas seulement les gouvernements puisque, bien souvent, ces gouvernements sont des dictatures et ne représentent pas leur population.

M. Grubel: Supposons qu'ils sont représentatifs, qu'ils ont été élus en bonne et due forme, mais qu'ils ne veulent pas faire ce que veulent leur faire faire les institutions financières. Diriez-vous, dans ce cas-là, que les institutions financières ont le droit de les laisser tomber et de leur refuser l'accès à leurs ressources financières?

M. Culpeper: Dans certains cas, oui. C'est ce qui s'est produit de toute évidence dans le cas de certains pays comme le Nigeria et l'Irak, des pays bien connus pour leurs violations des droits de la personne. Je serais certainement prêt à prendre ce genre de décision.

M. Grubel: Permettez-moi, je vous en prie, une brève question d'ordre technique.

.1045

Monsieur Carruthers, vous avez parlé du fait que les banques participent à la mobilisation des ressources du secteur privé. Dans quelles mesures ces banques s'exposent-elles à des risques par cette participation? Quel est le degré de risque auquel elles s'exposent?

M. Carruthers: Notons tout d'abord que les banques sont des institutions financières extrêmement conservatrices. Le niveau de risque est extrêmement faible. À mesure qu'elles progressent dans des domaines plus innovateurs il y aura lieu de se pencher sur cette question. Certaines de leurs activités traditionnelles comme le cofinancement, la conception de programmes de privatisation et la collaboration avec les gouvernements à cet égard, ne comportent évidemment pas de risques financiers.

D'autres initiatives d'autres initiatives sont plus risquées, comme par exemple la participation au capital. Nos collègues du ministère des Finances auront peut-être certains commentaires à ajouter à ce sujet.

M. Grubel: Et lorsque vous parlez de mobilisation, que voulez-vous dire au juste? À quels instruments ont recours les IFI lorsqu'elles mobilisent le capital du secteur privé?

M. Carruthers: La façon classique de le faire consiste pour elles à emprunter sur les marchés financiers internationaux, tout simplement.

M. Grubel: Elles s'exposent alors à des risques très considérables.

M. Carruthers: En effet, mais leur gestion est extrêmement conservatrice. Évidemment, elles assument de tels risques avec l'appui des pays donateurs. Naturellement, nous suivons la situation de très près et je pourrais dire somme toute que c'est plutôt leur conservatisme excessif qui nous inquiète. En effet, elles pourraient faire jouer davantage l'effet de levier, prendre certains risques additionnels et ainsi mobiliser encore plus de capitaux.

M. Grubel: On peut bien dire que le secteur privé, pour sa part, fait de l'écrémage. Voilà qui n'est pas très bien, me semble-t-il.

On rouspète là-bas? Êtes-vous insatisfait de ma question?

Mme Torsney (Burlington): Non, mais c'est que vous êtes intarissable.

M. Smith: Permettez-moi tout simplement d'ajouter au commentaire de Jim Carruthers.

Ces institutions empruntent en fonction de la cote de crédit des actionnaires, de sorte qu'elles sont en mesure d'obtenir des taux AAA. Par la suite elles reprêtent avec garantie de la Banque mondiale à un taux supérieur de 50 points de base à celui de leur taux d'emprunt. On ne tient évidemment pas compte ici du risque du prêt au pays X, dont la cote de crédit est inexistante à toutes fins pratiques et par puisqu'il a dû s'adresser à la Banque.

Le portefeuille d'ensemble de ces prêts est très bien provisionné - de fait, les dispositions prises à cet égard sont extrêmement prudentes - à la Banque mondiale et ailleurs. Voilà pour ce qui est de l'aspect prêt.

Pour ce qui est de la mobilisation des capitaux privés, le prêt n'est plus le seul moyen de les attirer à l'heure actuelle. Comme le disait Jim, le cofinancement est clairement devenu un instrument privilégié aux yeux de Wolfensohn et d'autres. Grâce aux garanties de la Banque mondiale et à d'autres instruments financiers, on peut inciter les investisseurs à prendre davantage de risques qu'ils n'en prendraient autrement. On crée ainsi un passif éventuel et des provisions en conséquence - mais toute une gamme de mécanismes financiers servent à attirer de plus en plus de capitaux privés. Voilà les signes avant-coureurs du développement de demain.

Le président: Merci.

Passons maintenant à Mme Brushett.

Mme Brushett (Cumberland - Colchester): Merci, Herb. Merci, monsieur le président, voilà qui est fort intéressant.

J'aimerais revenir à cette idée de base qui consiste à créer une dette immense pour les pays en développement. Une dette tellement considérable que, même au cours des prochaines décennies, ils ne seront jamais en mesure de rembourser, même avec une croissance soutenue. Pourtant, c'est ce que nous infligeons, si vous voulez, à ces pays.

Sommes-nous en train de créer là-bas la même situation que celle que nous avons eue à affronter ici dans les pays développés: celle d'avoir à faire des réductions, des compressions, et à mécontenter la population à cause de réductions dans les soins de santé et ainsi de suite? Nous leur faisons avaler la même médecine et nous nous imaginons que c'est bon pour eux. En fin de compte, nous sommes ceux qui leur imposent cela; ce ne sont pas eux qui nous le demandent. Pourquoi le faisons-nous?

M. Culpeper: Je vous remercie d'aborder la question puisque je ne l'ai pas fait dans mes commentaires. Je suis un peu moins enthousiaste que mon collègue Alister Smith sur cette question. Il n'est pas vrai, à mon avis, qu'on ait beaucoup fait pour résoudre la question de l'endettement, surtout dans le cas des pays les plus pauvres.

.1050

Je crois que vous avez tout à fait raison. Ce sont les institutions financières internationales, notamment, qui ont fait croître l'endettement, et elles n'ont pas, à mon avis, pris de mesures suffisantes pour résoudre le problème.

Par exemple, avec la proposition évoquée par M. Smith, seul un pays pourra véritablement en profiter, c'est l'Ouganda, et pas avant trois ou quatre ans, c'est-à-dire pas avant le prochain millénaire. Ensuite, d'après les protocoles et procédures en place, seul une poignée d'autres pays africains pourraient avoir le droit à l'allégement de leur dette. D'après votre propre analyse, une partie importante de ces créances correspondent à des prêts consentis à des conditions de faveur. À mon avis il serait très facile de radier cette dette, sans s'exposer aux conséquences auxquellesM. Grubel faisait allusion.

Mme Brushett: Puis-je vous arrêter ici? Comment pouvons-nous justifier auprès des Canadiens la radiation de la dette que nous avons imposée à des pays du tiers monde - nous les élus - étant donné par ailleurs ce que font les fonctionnaires de leur côté?

M. Culpeper: Comment justifier...?

Mme Brushett: Comment vais-je pouvoir m'adresser à mes électeurs en leur disant que nous allons radier la part de la dette dont nous sommes propriétaires? Comment peut- on dire aux contribuables, je suis vraiment désolé d'avoir à fermer votre hôpital, mais d'un autre côté nous sommes obligés de consentir ces remises de dettes à l'Ouganda, par exemple, parce que ce sont des prêts peu susceptibles d'être remboursés.

M. Culpeper: Il y a deux façons de s'y prendre. Tout d'abord vous dites que c'est économiquement défendable. Dans le monde réel du commerce et du secteur privé, il y a des procédures de mise en faillite. Certaines firmes sont en difficulté, sont dans l'impasse, et un jour les créanciers sont bien obligés de se réveiller et de voir qu'il faut remettre l'entreprise sur ses pieds; et la seule façon de s'y prendre est de radier une partie de la dette. C'est une façon tout à fait sensée, pragmatique, conforme aux pratiques du commerce, de procéder. Première chose.

Deuxièmement: Il faut expliquer aux contribuables qu'on ne peut pas toujours tout avoir. Et que si l'on veut, comme M. Carruthers le disait, obtenir certains résultats pour l'action que l'on mène dans les pays en voie de développement, on ne peut pas toujours vouloir à tout prix leur imposer de repayer jusqu'au dernier sou dû. Il faut donc choisir. Quel sera la meilleure voie? Voulez-vous réduire la pauvreté dans tel ou tel pays, ou voulez-vous récupérer jusqu'au dernier de vos dollars? Je pense que la première solution est la meilleure.

Mme Brushett: M. Culpeper, la population se plaint de ce que nous créons ces administrations tentaculaires, et vous de votre côté proposez de créer un nouvel organisme chargé d'examiner la satisfaction des clients. Une organisation de plus... Je ne peux pas plus vendre l'idée aux contribuables canadiens que je ne peux continuer à laisser les administrations proliférer. Et maintenant on parle de ces banques régionales qui vont être chargées d'évaluer et de mesurer le risque politique. Or il s'agit là de technocrates, de bureaucrates, et on ne voit pas pourquoi on leur confierait ces tâches plutôt qu'aux élus.

M. Culpeper: Parce que ça permet à notre effort d'être plus efficace.

Finalement, vous voulez des résultats, il faut donc créer un mécanisme. Je ne suis pas en train de parler d'une structure tentaculaire; je parle d'une poignée de gens qui s'assureront que l'argent des contribuables est bien utilisé, qu'on a des résultats sur le terrain, dans les pays en voie de développement.

M. Smith: Un certain nombre de choses permettraient de faire avancer le débat.

D'abord, il s'agit véritablement des plus pauvres qui pourraient profiter de ce rééchelonnement de la dette, une poignée de pays. La dette de ces pays - Roy me dira si j'ai raison - est pour moitié une créance des institutions internationales. Il s'agit de la Banque mondiale, des autres banques de développement régional, et notamment la Banque africaine de développement. Pour la plupart, il s'agit de pays africains. Il y en a quelques-uns à l'extérieur de l'Afrique.

Ils se trouvent dans une situation désespérée. Ils ne vont certainement pas pouvoir nous rembourser. Nous avons déjà radié une dette plus ancienne de ces pays, correspondant à des prêts plus anciens. On a déjà fait un trait là-dessus. Ce dont nous parlons maintenant, c'est de pays qui ont déjà un dossier à la Banque mondiale et au FMI et dont 80 p. cent de la dette qui nous est due, par le véhicule de la Commission canadienne du blé ou de la Société pour l'expansion des exportations, ferait l'objet d'une remise.

.1055

La Banque mondiale est prête à mobiliser une partie de ses ressources pour racheter une partie de sa dette auprès de ces pays, et le FMI est lui aussi disposé à les aider à financer cette dette à des conditions favorables, à condition qu'ils mettent de l'ordre dans leurs affaires économiques, autant que possible, et qu'ils continuent à appliquer le programme suffisamment longtemps. Au bout du compte, la question réelle qui se pose est de savoir combien de pays vont accepter ces conditions et obtenir ainsi une réduction de leur dette.

Je sais que c'est une idée difficile à vendre aux Canadiens. Je sais que mon propre père n'arrête pas de me poser la question: comment se fait-il que nous accordions des remises de dette à ces pays, alors que nous ne le faisons pas pour les Canadiens eux- mêmes?

Mme Brushett: Il y a encore une question importante qui se pose à ce sujet. Lorsque nous avons vu les colonnes de réfugiés au Zaïre il y a quelques semaines, un des commentaires qui revenait, de la part de ces Africains à la presse internationale était: «Dites-leur de rentrer chez eux; laissez-nous nous occuper de notre propre écosystème» - faute d'une meilleure expression - «de notre propre culture, et fichez le camp». Voilà ce qu'on entend de plus en plus. Mais là encore, la bureaucratie nous dit que nous devons assurer une présence. C'est toute une question de transparence des comptes. Nous ne savons jamais combien est dépensé en armes, ou quelle est l'importance des dépenses non productives. Nous ne pouvons jamais espérer le savoir, quel que soit le nombre d'institutions chargées de mesurer la satisfaction du client auxquelles nous nous plaindrons.

M. Smith: Mais il y a des contre-exemples. L'Ouganda, qui a en fait appliqué à la lettre les directives du Fonds, de la Banque et des fonctionnaires internationaux - et qui a respecté ses engagements - se retrouve quand même avec une dette énorme. En dépit de tous les progrès que fait le pays, il est obligé de consacrer une partie importante de ses revenus au remboursement de la dette à la Banque mondiale et autres institutions. Que faites-vous dans un cas comme celui là?

L'idée est donc d'essayer de les aider à rembourser une partie de leur dette, tout de suite, pour pouvoir rejoindre le peloton, si vous voulez, de l'économie mondiale et des échanges internationaux. La décision n'est pas facile à prendre, mais dans certains cas c'est sans doute la bonne. Et ça n'est pas une situation qui est généralisée. Par ailleurs, pour profiter des conditions intéressantes qui sont offertes, il faut réellement que ces pays fassent un effort, et c'est bien la démarche générale.

Mme Brushett: Merci.

Le président: Madame Torsney, vous avez la parole.

Mme Torsney: Merci.

Quelle est la part de l'aide liée, qui permet aux compagnies canadiennes...? Nous voulons évidemment que ces gouvernements étrangers utilisent cet argent pour acheter des produits canadiens. Les sociétés canadiennes ont déjà été payées, et l'économie du pays en a déjà profité.

M. Smith: Je vais peut-être laisser mon collègue vous répondre, mais avant que Jim ne le fasse, je vous dirai deux choses. C'est lui notre spécialiste.

Une partie de cette dette vient de ce que le Canada a vendu du blé, ou d'autres produits, par le canal de la Société pour l'expansion des exportations. C'est donc une dette bilatérale. C'est l'effet d'une transaction commerciale, c'est donc un prêt lié en ce sens, mais ça n'est pas de l'aide. C'est une dette purement commerciale. La dette du passé qui était le fait de prêts consentis a déjà été radiée pour l'essentiel, mais je vais demander à mon collègue de répondre.

M. Carruthers: Il y a en fait trois niveaux, ou trois générations si vous voulez, de bénéfices que le Canada peut retirer de sa participation à ces institutions internationales.

D'abord, il y a l'avantage commercial direct, je parle du financement direct de certains programmes qui sont les nôtres. Pour vous citer des chiffres: chaque dollar que nous investissons dans la Banque mondiale nous rapporte environ 1,20 $. Pour la Banque inter-américaine de développement, c'est de l'ordre de 4,80 $ pour chaque dollar investi. Il est clair que pour certaines autres banques le rapport est moindre - c'est inférieur à 1 $ pour la Banque africaine de développement - et le gouvernement a maintenant une stratégie bien arrêtée qui nous permettra d'augmenter ce que ces banques nous rapportent. Ce qui est intéressant, c'est qu'en réalité ça pourrait être bien supérieur à 1 $, quand on considère le levier financier dont ces banques disposent. Non seulement on pourrait vraiment mieux profiter des possibilités qu'offrent ces banques, mais également utiliser tous nos réseaux commerciaux, dans le cadre de l'action de ces banques, pour lancer une opération économique d'envergure, comme nous le faisons en Asie avec notre Équipe Canada.

La deuxième génération d'avantages concerne les six priorités de développement - nos priorités politiques, si vous voulez - de ces institutions, et dont nous profitons.

Le troisième niveau, comme l'a dit Chris, c'est tout ce qui concerne plus largement la sécurité, la justice, et la défense de l'environnement planétaire. Il peut s'agir parfois d'une petite contribution du compte de développement, ou d'une contribution très importante du compte des dépenses militaires.

.1100

Prenez l'exemple de l'Asie - et reportez-vous à ce qu'était l'Asie à l'époque de la théorie des dominos, et de l'inquiétude qui était la nôtre de voir les économies asiatiques s'effondrer - l'aide massive à ces économies énormes dont l'effondrement aurait entraîné des conséquences militaires et géopolitiques catastrophiques à l'échelle du monde. Pour les Canadiens, rien que cela... En fait, ce n'est plus que rien que cela... c'est là le troisième niveau de justification.

M. Culpeper: Le rapport sur le développement concernant le Canada, que nous venons de publier, nous a permis de calculer que nos investissements dans les pays en développement nous rapportent quelque 4,8 milliards de dollars par an, alors que le programme d'aide ne nous coûte que 3,1 milliards de dollars. Nous récupérons donc 50 p. 100 de plus que notre mise.

Mme Brushett: Mais vous oubliez qu'il a fallu emprunter cet argent au départ...

M. Culpeper: Non...

Mme Brushett: ... et payer des intérêts pour pouvoir maintenir l'économie du pays. Nous n'avons pas dans nos tiroirs caisse l'argent que nous pourrions dépenser...

Mme Torsney: Mais grâce à cet argent les Canadiens ont trouvé du travail, payé des impôts, et cet argent. Il faut voir tout le cycle. Ensuite, il y a évidemment les avantages sur le plan environnemental, la réduction de la pollution à Mexico, en Asie ou ailleurs, une pollution qui finit par atterrir au Canada. Certaines de ces techniques environnementales dans lesquelles nous investissons, ou cette diffusion des technologies, etc. représentent des investissements très rentables.

Monsieur Smith, qu'appelez-vous «indicateurs d'impact sur le développement»? Vous et votre jargon!

M. Smith: Je crois que M. Culpeper vous en a signalé quelques-uns tout à l'heure. Cela va des indicateurs les plus simples de l'amélioration du niveau de vie jusqu'aux indicateurs sociaux. La liste peut s'allonger indéfiniment.

Les indicateurs de l'évolution de la mortalité à long terme sont importants. La mortalité infantile, par exemple, est un indicateur de l'impact à plus long terme sur le développement. Le niveau d'instruction, l'alphabétisation... Il y a plusieurs types d'indicateurs que l'on peut utiliser. Ce n'est donc pas toujours limité aux questions d'alimentation, mais on mesure aussi l'impact social et environnemental.

Mme Torsney: Très bien. Et pour plus de précision, APD, ça veut dire aide publique?

M. Smith: Aide publique au développement.

Mme Torsney: Très bien. Vous voyez, nous utilisons déjà cet acronyme.

Il y avait une autre question que je voulais aborder. Peut-être serez-vous plusieurs à vouloir répondre. Il y a deux questions qui me tiennent particulièrement à coeur. D'abord, bien sûr, celle de la place des femmes dans le développement. Quelqu'un - M. Carruthers peut-être - a dit que la Banque mondiale sur certaines des questions de développement était parfois à la pointe. Pour d'autres elle est plutôt à la traîne, et notamment en ce qui concerne la place des femmes dans les programmes de développement.

L'autre question, qui n'est pas sans rapport avec celle-là, est que beaucoup de banques de développement s'intéressent à la question de l'exploitation sexuelle et commerciale des enfants, mais ne sont peut-être pas toujours suivies, et notamment pas par la Banque asiatique de développement; certaines de ces banques n'y voient pas le problème et refusent d'admettre qu'elles ont un rôle à jouer. Est-ce que vous pouvez nous dire ce que vous en pensez?

M. Carruthers: Sur le plan de l'analyse et des propositions de politique, on peut dire que la Banque mondiale est à l'avant-garde, en ouvrant le débat sur certaines questions de politique, en faisant un travail analytique et une collecte de données nécessaires au débat sur ces questions. Est-ce que la banque elle-même...

Mme Torsney: Mais cette question des femmes dans le développement, et de l'impact de certaines politiques de développement, n'est-elle pas précisément une question de politique?

M. Carruthers: Si, et la Banque mondiale a déjà fait beaucoup en examinant la question, et en permettant à tous ceux qui sont concernés par le développement de mieux pouvoir y réfléchir. Cela ne veut pas dire nécessairement que, sur le terrain cette banque fasse toujours aussi bien que certaines autres institutions. C'est un domaine où les organismes bilatéraux ont joué un rôle certain. Et l'on peut dire que dans certains domaines certaines autres banques ont peut-être fait mieux.

.1105

Et c'est la même chose pour certains des autres domaines que vous avez évoqués. Vous avez parlé de l'exploitation des enfants. La Banque asiatique de développement émane d'un environnement relativement conservateur, mais c'est néanmoins la seule banque qui ait approuvé une politique concernant la gouvernance. Cela a permis de faire avancer les choses de façon considérable en Asie. Et pour l'Asie c'est assez révolutionnaire, notamment si l'on regarde quelles sont les questions qui sont couvertes par ce document et la façon dont cela amène en prendre en compte «le domaine politique.» Il y a plusieurs façons d'aborder la question, mais on peut dire que c'est un pas énorme en avant, et que la Banque, étant donné par ailleurs le contexte culturel de cette région, donne l'exemple. C'est bien ainsi que je vois son rôle.

Mme Torsney: Mais sur cette question de l'exploitation sexuelle et commerciale des enfants, par exemple, la Banque asiatique suit-elle le mouvement?

M. Carruthers: La Banque asiatique de développement estime qu'elle est d'abord un instrument économique et sa charte lui interdit de s'ingérer dans le domaine politique. C'est-à-dire qu'elle a essayé d'aborder ces questions dans le cadre plus large de la réflexion sur le développement. Pour ce qui est de la gouvernance... on tient de plus en plus compte du programme social, puisqu'il est défini comme condition essentielle du développement. La question précise de l'exploitation fera partie de la question plus large du travail des enfants, et c'est ainsi que la Banque asiatique pourra aborder cette question et faire avancer ce dossier.

Mme Torsney: M. Smith veut à tout prix ajouter quelque chose.

M. Smith: Oui. Merci.

Je pense vraiment que la Banque mondiale a réellement pris en main la question des femmes. De fait, M. Wolfensohn a un certain nombre d'objectifs précis à cet égard. Il y a par exemple l'instruction des filles, qui dans bien des régions du monde reste un sujet de préoccupation grave. Il a même prévu que la Banque allouerait 900 millions de dollars par an à ce domaine.

Il envisage de pouvoir permettre à 90 millions de filles de plus de terminer leur cycle primaire. Cela exigerait évidemment au fil des ans des dépenses énormes, mais permettra au moins de les mettre à égalité avec les garçons.

Voilà le genre d'objectif qu'il s'est fixé. Mais il y en a d'autres. Le programme de la Banque dans ce domaine est tout à fait sérieux.

J'ai encore quelque chose à ajouter. Les banques sont d'une part des institutions qui emploient une administration internationale, mais ce sont en réalité les actionnaires de ces banques qui doivent fixer les politiques, et c'est effectivement ce qu'ils font. Il faut bien distinguer. Je me suis beaucoup intéressé à ce que M. Wolfensohn a fait. D'une certaine manière, c'est un agent du changement, mais il doit compter avec des actionnaires. Il faut donc qu'il persuade les actionnaires du bien-fondé des changements qu'il veut apporter à son organisation.

Et c'est la même chose pour toutes ces institutions. Comme Jim Carruthers l'a dit, nous ne sommes que de petits actionnaires dans la plupart de ces grandes banques. Notre part représente 3 ou 4 p. 100. Nous ne pouvons donc pas dominer les discussions du conseil d'administration. Nous faisons de notre mieux, et sur beaucoup de dossiers nous représentons le point de vue progressiste, mais il y a certains conservateurs qui ont un point de vue assez rétrograde sur certaines questions sociales. Cela entrave le progrès, ce n'est pas l'institution, ce sont les actionnaires.

Mme Torsney: Il faut quand même rappeler que les filles et les garçons reçoivent une instruction non pas parce que cela fait bien, mais parce que, en termes de développement, c'est ça qui marche. Au bout du compte, cela rapporte énormément. Il faudrait alors trouver de meilleurs outils de mesure pour prouver à ces pays rétrogrades que ce n'est pas simplement une idée libérale, mais que c'est simplement une question d'efficacité.

L'ACDI même nous en a administré la preuve dans le cadre de notre propre effort de développement. Les projets du type «Les femmes dans le développement» sont parmi ceux qui réussissent le mieux.

Pour revenir à cette question des actionnaires - et c'est peut-être aussi ce que M. Culpeper a déjà dit - il n'y a rien de plus désagréable que de rencontrer des parlementaires de certains de ces pays les moins développés, et de les entendre dire qu'ils essaient d'influencer leur gouvernement, ou d'amener les banques à les aider, mais que certaines normes continuent à être imposées. Ils aimeraient effectivement être plus progressistes, dans certains domaines. Sans doute faudrait-il qu'il y ait plus de femmes en politique dans certains de ces pays. Ça aiderait. Ces femmes parlementaires que nous rencontrons, mais elles ne sont pas les seules, aimeraient effectivement que l'on se montre plus progressiste, elles seraient prêtes à agir, mais on leur impose des conditions. Voilà où est le problème.

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M. Culpeper: Ce que les banques sont en train d'essayer de faire, dans leur interaction avec la société civile et les ONG, est très important.

J'étais à une réunion à Montréal la semaine dernière, en présence d'un représentant d'une ONG mexicaine. Il me disait qu'une coalition d'ONG mexicaines discutait avec la Banque mondiale du programme d'ajustement structurel. Les ONG veulent pouvoir établir un véritable dialogue et ouvrir le débat sur la question. Ce qui est intéressant, d'après lui, c'est que l'opposition vient d'abord du gouvernement mexicain lui-même. Le gouvernement mexicain se voit comme l'interlocuteur privilégié de la Banque, et n'aime pas beaucoup que celle-ci s'adresse directement à la population.

Voilà une tendance qui se dégage. M. Wolfensohn, par exemple, est bien connu maintenant pour sa capacité de chercher directement le contact avec des groupes de femmes. Il emmène sa femme avec lui, et cela fait comprendre en même temps aux femmes, mais également aux gouvernements qui n'aiment pas beaucoup ce genre de comportement, que c'est la façon dont la Banque va maintenant mener le dialogue. Je trouve ça très prometteur.

Mme Torsney: Oui. Nous avons tous lieu de nous réjouir qu'il soit au poste où il est.

C'est fini.

Le président: J'ai moi aussi quelques questions à poser. Nous terminerons vers 11 h 30, et si vous avez quelques mots de conclusion, nous vous donnerons le temps de le faire.

Monsieur Culpeper, vous avez, entres autres parlé tout à l'heure «d'inégalité» et de «pauvreté» dans une même phrase. Je pense que c'est une notion importante. Je crois que je comprends un peu où vous voulez en venir. On peut prendre tel ou tel pays, calculer le revenu moyen par habitant, mais si par ailleurs il y a un gouffre entre le haut et le bas, alors que dans tel autre pays cet écart est plus resserré, la moyenne peut être la même, mais dans le premier cas il y a beaucoup de gens au bas de l'échelle qui sont très pauvres, et c'est ça qui compense le fait qu'un petit nombre au sommet soit très riche. Pour ce qui est de l'efficacité de l'effort de développement, pouvez-vous nous parler un petit peu plus de ces inégalités dans la pauvreté.

M. Culpeper: Vous avez tout à fait raison. Prenez par exemple l'éventail des revenus dans un pays comme le Brésil: le rapport entre la richesse du quintile le plus riche et celle du quintile le plus pauvre se situe entre 30 et 35. C'est-à-dire que le quintile le plus riche gagne 35 fois plus que le quintile le plus pauvre. Ce ratio, dans les pays de la bordure pacifique se situe entre 5 et 10. Pour la Corée c'est environ 6, pour le Canada c'est 7,5 ou 8.

Je cite ce chiffre, car l'on fait une grave erreur en se concentrant simplement sur la question des pauvres, en disant que c'est eux le problème, alors que c'est l'ensemble de la société qui constitue le problème. À moins que l'ensemble de cette société ne le reconnaisse, et fasse quelque chose, les chances de voir évoluer la situation des pauvres sont assez minces.

Le véritable succès de beaucoup de ces pays de l'Asie de l'Est, tels que la Corée et Taïwan, s'explique beaucoup par la réforme agraire qui a eu lieu au début des années d'après-guerre. Cela veut dire que les paysans, ou ceux qui travaillaient la terre, ont plus directement et de façon plus importante participé à l'évolution de l'économie. Ils ont profité du développement plus que leurs homologues des pays d'Amérique latine, par exemple, où la répartition foncière est terriblement favorable aux riches.

Cela est bien connu. Après avoir beaucoup hésité, dans les années 60 et 70, la Banque mondiale a finalement mis de côté le dossier, car sur le plan politique c'est une véritable bombe. Maintenant la Banque y revient, et a lancé ce programme de redistribution agraire marchande, concept intéressant mais qui ne fait que modifier les choses en surface pour ce qui est de cette distribution inégale de la propriété.

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Ce que la Banque a essayé de faire - et les autres institutions ont essayé de suivre - c'est de mettre l'accent sur le développement des ressources humaines. Les ressources humaines sont pour ainsi dire l'actif le plus important des pays pauvres, il faut donc les instruire, leur offrir des services de santé de qualité etc.

Et pour compléter cela, plus récemment, on a institué le micro-crédit. On accorde des crédits à ces gens-là, dans les limites de leur capacité de gestion - il ne s'agit pas de taux bonifiés, mais des taux du marché - des petits prêts qui leur permettent d'acheter quelques poulets, de les nourrir, et de compléter leur revenu.

C'est très bien, mais on a quand même l'impression que c'est nettement insuffisant, à moins que l'on ne s'attaque aux questions plus fondamentales de la distribution inégale de la richesse et des revenus. Je ne sais pas vraiment comment il faut le faire, car c'est en dernier ressort une question politique, même très explosive; mais les recherches les plus récentes montrent que les pays où cette distribution est plus égalitaire, où le haut et le bas de l'échelle sociale sont plus rapprochés, ont une croissance plus rapide. Les pauvres remontent, et cette marée montante remet tous les bateaux à flot plus rapidement.

Il importe donc que les institutions comme la Banque et les autres qui peuvent faire de la recherche, déplacent l'accent des pauvres vers le problème de l'inégalité et les facteurs qui l'engendrent et l'aggravent... et les mesures pour y remédier.

Le président: Merci. J'ai une dernière question à vous poser avant de clore.

Pour ce qui est de l'efficacité du développement et de la façon de la mesurer, je ne pense pas vraiment qu'il y ait un indicateur en particulier. Il y a le niveau de vie, les mesures de la santé, le taux d'alphabétisation, l'espérance moyenne de vie, et des tas d'indicateurs qui permettent de mesurer comment une société avance.

Pour ce qui est de la participation du client ou de l'emprunteur, à la base et à l'autre bout, qui aurait son mot à dire sur la façon dont la Banque mondiale prête... c'est peut-être Roy qui a dit qu'il devrait en fait être aux commandes. Dites-nous si l'on arrive effectivement de façon satisfaisante à associer les clients aux décisions. Je sais que l'on fait quelques essais dans ce sens, mais est-ce que ça marche déjà? Y a-t-il déjà des procédures? Est-ce que la Banque est suffisamment ouverte à ce genre...? On peut toujours dire qu'on écoute, mais nous savons nous-mêmes ici que l'on peut toujours faire mine d'écouter ses électeurs.

Il y a pourtant bien une façon d'être à l'écoute, et de se servir de ce qu'on a entendu. Je me demande donc si nous pourrons réellement un jour faire participer les intéressés, qui sont les récipiendaires à l'autre bout.

M. Carruthers: Permettez-moi quelques observations.

La question se pose évidemment tant aux organismes bilatéraux que multilatéraux. Les organismes bilatéraux ont eu quelque avantage, dans un pays comme le Canada du moins, car notre financement se fait entièrement sous forme de subvention. Lorsque l'on finance en prêtant, le gouvernement a un rôle complètement différent, et peut avoir des préférences quant à la façon dont l'argent est emprunté.

Depuis trois ou quatre ans, pour l'essentiel, la Banque ne s'est pas simplement intéressée à la façon dont son argent était prêté, mais a commencé également à examiner la qualité des résultats, pour enfin maintenant... on se demande si les objectifs du projet sont effectivement atteints. La Banque fournit les matériaux de construction de l'école, l'école est construite et a fière allure, mais est-ce que ça permet réellement d'augmenter le nombre de femmes qui reçoivent une instruction?

La Banque s'est aperçue qu'il fallait aussi se pencher sur ces aspects essentiels de la question. On ne doit pas perdre de vue l'objectif, ce qui demande participation et transparence. C'est-à-dire qu'il faut soutenir les organisations populaires et autres, qui cherchent à influencer leur propre gouvernement. C'est ce qui se passe dans certains pays, et dans certains secteurs plus que dans d'autres.

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C'est effectivement ce qui se passe de façon très réelle. Les banques ont découvert effectivement les ONG, et celles-ci vont pouvoir maintenant bénéficier de ressources énormes. À l'origine il ne s'agissait simplement que d'exécution, à l'ancienne façon, de certains projets; mais dans certains pays nous voyons de plus en plus un véritable processus de concertation se mettre en place. Ce n'est peut-être pas encore aussi radical que dans le cas de certains programmes bilatéraux qui existent depuis environ dix ans ou plus, mais c'est une tendance bien réelle.

M. Smith: On progresse, et les choses sont sur la bonne voie dans toutes les institutions, avec des différences dans ce qui peut être fait ici et là. Traiter avec le gouvernement local n'est pas un problème. Ce genre de partenariat existe déjà depuis longtemps, évolue et s'améliore. Les rapports avec les ONG se sont aussi nettement améliorés, et celles-ci sont maintenant directement concernées par l'exécution de beaucoup de ces programmes.

Mais pour ce qui est de l'ensemble de la société civile, au-delà des sphères de gouvernement, comme Roy et Jim l'ont dit, les choses sont plus difficiles. Quand il faut ensuite s'adresser aux parties directement intéressées, et aux communautés concernées, aux groupes privés et aux entreprises, c'est plus complexe, et cela demande plus de temps. Il y a sans doute un seuil à partir duquel on doit se poser la question de l'intérêt que cela présente, si l'on ne peut pas faire avancer le projet dans les délais et aider les gens sur le terrain et améliorer leur existence.

On peut aussi se perdre en consultations éternelles, il y a donc des limites à ce type d'action, et on ne peut pas non plus associer et faire participer n'importe qui. Sans doute il faut associer ceux qui sont les plus directement intéressés et concernés. Sans doute faudrait-il aller au-delà des sphères de gouvernement, s'adresser à la société civile, mais c'est assez complexe. Nous pouvons en effet perdre sur le terrain du développement lui-même, si nous nous perdons dans des procédures trop longues, trop complexes, d'approbation de projets qui ensuite ne voient jamais le jour. Il faut trouver un équilibre entre la volonté d'associer les destinataires finaux, et la nécessité d'obtenir des résultats dans certains délais.

M. Greenshields: Cela est vraiment du ressort des politiques étrangères bilatérales. Cela fait partie également du dialogue que nous entretenons avec les pays étrangers, qu'il s'agisse des droits de la personne, de la mauvaise répartition de certaines ressources, ou de l'environnement. Ce que nous essayons de faire, très souvent, c'est avoir des alliances avec certains pays avec lesquels nous avons des intérêts en commun.

Ainsi, dans le domaine des forêts, et de la nécessité d'améliorer les pratiques du développement forestier durable, nous avons un accord avec la Malaisie qui devrait nous permettre d'améliorer, de part et d'autre, l'exploitation durable des forêts. Nous avons ce genre d'accommodement pour certains autres types de programme, et aussi pour certains programmes forestiers ailleurs.

C'est la même chose dans le domaine des droits de l'homme. On voudra peut-être alors renforcer certaines institutions de la société civile, pour faire avancer la cause.

De cette façon nous arrivons à susciter une plus grande adhésion de la part de nos partenaires bilatéraux, ce qui se retrouve ensuite à une échelle multilatérale plus générale. Puis nous passons au niveau multilatéral, soit au sein des groupes consultatifs de la Banque mondiale, ou de son conseil exécutif, ou sur le terrain dans le pays concerné.

M. Culpeper: J'aimerais attirer votre attention sur quelque chose qui se passe à la Banque - vous pourrez peut-être en parler lors de vos réunions à Washington - je veux parler du programme d'investissement sectoriel, PIS. On est passé du PAS au PIS. Les PIS, si je ne me trompe, permettent cette collaboration et cette participation locales dont on parle ici, en essayant de partir tout de suite de ce qui est possible au niveau local.

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Par le passé, on envoyait des consultants pour une étude de faisabilité. Voilà d'où on partait.

Avec les PIS, on partira des compétences locales, pour la définition du projet, pour l'étude de faisabilité et la planification sur le terrain, en associant les ministères du pays au travail plutôt que de faire appel à des consultants de l'étranger.

Je pense que cette façon de procéder est extrêmement utile. C'est un pas dans la bonne direction. La méthode est notamment appliquée à l'Afrique. La Tanzanie et le Bangladesh, mais également le Zimbabwe et la Zambie, si je ne me trompe, sont des exemples d'une action dans le secteur de la santé où le ministre de la Santé sera au centre du dispositif, comme je le disais, ou au poste de commande de la coordination, ce qui permettra de soumettre aux pays donateurs un plan complet acceptable et mutuellement approuvé, pour l'action et l'investissement dans le secteur considéré.

Voilà exactement le genre d'initiative qu'il faut encourager.

Le président: Merci beaucoup.

J'aimerais, dans les quelques minutes qui nous restent, demander à chacun des témoins de faire une conclusion d'une minute ou une minute et demie. Nous allons commencer par Alister, et vous continuerez à la suite.

M. Smith: Merci, monsieur le président. J'aurai juste une petite observation à faire.

Le président: Avez-vous une idée de la façon dont nous pourrons utiliser notre temps? Nous avons plusieurs jours prévus pour la Banque au mois de janvier. Vous serez sans doute heureux de l'apprendre.

M. Smith: Je persiste à penser que vous avez raison de parler d'efficacité du développement, c'est une question très large, nous vous l'avons montrée aujourd'hui. Cela vous permet en même temps d'aborder le très large éventail de toute une série de questions intéressant le développement, et de voir ce que donnent les réformes que certains essaient de mettre en place, non seulement la Banque mondiale, comme Jim Carruthers et Roy nous l'ont rappelé, mais toutes les banques de développement. Je pense qu'il est donc très bon d'organiser sa réflexion autour de cette question.

Le seul conseil que je pourrais vous donner serait de forcer un peu ces institutions à vous donner des réponses concrètes. C'est ce que nous avons essayé de faire. Nous n'avons pas toujours réussi aussi bien que nous le devrions, mais il faut effectivement leur demander de vous citer des exemples concrets de ce qu'elles font, et de l'efficacité de leur travail. On met beaucoup l'accent sur la nécessité d'avoir une politique juste et des lignes directrices, qui sont ensuite appliquées de Washington. Les résultats sur le terrain sont ensuite une autre question. Si la Banque croit vraiment dans la nécessité d'orienter ses efforts en fonction des résultats, voyons quels sont ces résultats, voyons jusqu'où on est allé pour obtenir ces résultats. Voilà ce que me paraît important.

Le président: Merci, monsieur Smith.

Quelques observations finales?

M. Greenshields: Je ferai un commentaire général concernant les remarques de M. Grubel, entres autres.

La transparence me semble être une notion clé dans tout cela. S'il est question de mauvaise répartition des ressources, la Banque dispose de moyens, tels que l'examen des dépenses publiques, pour voir comment les ressources ont été affectées, et que la procédure soit transparente. Les pays donateurs, et même la société civile de ces pays, sont alors en mesure de demander des changements, qu'il s'agisse de la façon dont la Banque prête, ou des politiques du pays emprunteur.

M. Carruthers: Je ne sais pas si le comité se rendra à la Banque interaméricaine de développement à Washington en même temps. Si oui, nous serons ravis de vous fournir toute l'information nécessaire.

Pour ne pas qu'il y ait répétition, mais pour ajouter quand même quelque chose, j'aimerais dire que l'un des rôles importants de la Banque mondiale est de présider la plupart des consortiums de chaque pays. L'efficacité du développement est une notion importante lorsque l'on parle de ces projets. C'est important au niveau du projet, mais c'est tout aussi important lorsque l'on examine l'ensemble d'un programme ou la situation d'un pays. Il faut donc suffisamment de coordination entre les donateurs, mais également avec les gouvernements et la société civile. À cet égard, la Banque a un rôle important à jouer.

L'idée devra être poursuivie et développée, afin que l'on puisse parler d'efficacité du développement au niveau de tout le pays.

Le président: Merci.

.1130

Monsieur Culpeper, vous avez le mot de la fin.

M. Culpeper: Je voulais simplement dire ce que Jim vient déjà lui-même de dire. La spécificité du pays est essentielle. Tous ceux qui sont concernés doivent pouvoir discuter de la situation au niveau de tout le pays, pour voir quelles y sont les possibilités et les contraintes. Plus tôt ce sera possible, mieux ce sera. C'est à ce niveau-là que le succès et l'échec devront être mesurés, et c'est là-dessus qu'il faudra faire porter les efforts.

Dans notre rapport au groupe de travail nous avons dit que toutes ces institutions devraient adopter une stratégie commune d'aide à un pays. Cela veut dire qu'elles doivent accorder leurs violons, s'entendre sur ce que sont les possibilités et les contraintes dans tel ou tel pays, et pouvoir comparer leurs plans d'aide et de coopération, afin de s'assurer qu'ils sont cohérents, qu'ils ne s'opposent pas les uns aux autres dans le pays.

Je voudrais également inclure le FMI, qui est un intervenant essentiel dans tout cela.

Le président: Merci beaucoup.

Merci à tous. Voilà une séance fort utile. Tous ces commentaires seront extrêmement utiles pour la préparation de ce qui va suivre. Outre que nous avons pu faire la connaissance deM. Wolfensohn et de M. Good, c'est vraiment notre première table ronde. Après nos déplacements du mois de janvier, nous aurons d'autres réunions en février et mars. Certains d'entre vous voudront peut-être d'ailleurs continuer à participer à ces discussions.

Merci. La séance est levée pour aujourd'hui. Joyeux Noël à vous tous et Bonne Année.

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