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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 12 février 1997

.1535

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte. Nous avons un ordre du jour bien simple aujourd'hui, nous entendons des témoins. Nous avons le grand plaisir d'accueillir M. Gordon Ritchie, président-directeur général de Strategico Inc.; du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, Ian McLeod, conseiller à la Direction du droit commercial; M. William Crosbie, directeur de la planification de la Politique commerciale; et M. Dean Sherratt, chef de la Division des traités.

Merci beaucoup d'être venus.

La formule est bien simple. Je vous invite à faire une déclaration préliminaire, si vous le désirez. Après quoi, comme c'est la pratique habituelle, nous vous poserons des questions.

Vous avez la parole, monsieur Ritchie.

[Français]

M. Gordon Ritchie (président-directeur général, Strategico Incorporated (Ottawa)): Je crois comprendre que le greffier vous a distribué une courte note que j'avais rédigée. Veuillez m'excuser de ne pas avoir pu vous la soumettre en anglais et en français en raison de contraintes de temps. Elle me permettra toutefois de limiter mes commentaires à quelques points fondamentaux ou saillants.

Je préciserai d'abord mon point de vue puisque tout le monde regarde le monde avec des yeux formés par l'expérience. J'ai travaillé pendant quelques années au gouvernement dans le cadre de la négociation de l'Accord de libre-échange et par la suite comme fonctionnaire responsable de la loi de mise en oeuvre du libre-échange. J'ai ensuite oeuvré comme conseiller pour divers gouvernements au sujet de questions relatives à l'ALÉNA et à l'OMC. Enfin, j'ai travaillé comme collaborateur avec quelques industries et quelques entreprises canadiennes qui cherchaient à faire valoir ces instruments pour promouvoir davantage leurs propres intérêts.

Je formulerai des commentaires qui seront plutôt d'ordre général, sachant que je serai suivi par de grands experts dans ce domaine qui vont davantage se pencher sur les questions qui comptent vraiment. Comme vous le savez très bien, dans les affaires de politique commerciale, les grands principes valent ce qu'ils valent; ce sont les détails qui comptent.

[Traduction]

Peut-être pourrais-je commencer par souligner deux ou trois points qui vous paraîtront aller de soi mais qui ne sont pas toujours bien saisis. Le point essentiel, c'est que derrière la façade pseudo-juridique du commerce international agissent des forces économiques qui s'affrontent ouvertement. Le marché détermine lesquelles domineront. Par conséquent, c'est le gros marché d'importation qui a le plus de pouvoir, et c'est le plus gros marché d'importation au monde, les États-Unis, qui dominera. De sorte que si nous n'avons pas de règles régissant le commerce international ni de mécanismes de règlement des différends et que nous avons une confrontation avec les Américains, nous perdons à tout coup.

Des règles sont conçues pour améliorer quelque peu nos possibilités, mais elles ne rétablissent aucunement le déséquilibre économique fondamental. Comme je l'ai déjà dit à d'autres occasions, c'est un peu comme si le sort avait fait que nous nous retrouvions dans une arène avec un gros lutteur de sumo, qui accepte, pour l'instant, de s'en tenir aux règles du Marquis de Queensberry. Tant qu'il en est ainsi, nous devons être vifs, être agiles, être alertes, mais nous avons quand même une petite chance. Si à un moment donné il décide de ne plus s'en tenir aux règles, nous verrons bien vite qu'il est en mesure de nous imposer une issue très désagréable.

Ce qui ne veut pas du tout laisser entendre que nous ne sommes pas capables de bien nous en tirer. Comme vous le savez, monsieur le président - et bien sûr, si vous me le permettez, je dirais que vous avez été l'un des grands commis de l'État qui ont fait en sorte que nous réussissions au-delà de toute attente - , nous avons mieux réussi que ce que notre taille nous permettait d'espérer, grâce à la qualité du service diplomatique et de la fonction publique au service du pays.

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Cela dit, pour revenir à la question, nous devons toujours nous rappeler que ces règles et ces mécanismes sont conçus pour améliorer nos chances et non pas pour nous permettre de combattre à armes égales.

Il y a un corollaire: si nous aimons les règles, ce n'est pas parce que nous sommes plus vertueux, mais parce qu'elles servent manifestement nos intérêts, qu'il s'agisse de l'ALE ou de l'ALÉA ou du GATT ou de l'OMC. Au fil des ans, nous avons constamment amélioré ces règles et le mécanisme d'application de celles-ci, et je pense que nous pouvons nous enorgueillir de la contribution du Canada à cet égard.

Néanmoins certains problèmes persistent. Permettez-moi maintenant de les aborder, et, pour les illustrer, je mentionnerai trois exemples. L'un a trait à l'ALE, un autre à l'ALÉNA et le troisième à l'OMC.

Premièrement, l'affaire du bois d'oeuvre, différend classique entre le Canada et les États-Unis. Comme vous le savez, au cours des négociations, nous ne sommes pas parvenus à persuader les États-Unis de renoncer à leurs lois commerciales inéquitables, qui sont tout aussi politiquement populaires qu'elles sont économiquement insensées. Nous sommes arrivés à introduire un mécanisme nouveau et innovateur de règlement des différends conçu néanmoins pour faire que ces lois inéquitables soient appliquées équitablement. Dès le départ, nous avons reconnu que l'affaire du bois d'oeuvre serait une affaire déterminante, et elle l'a été.

Je ne reviendrai pas là-dessus sinon pour dire que le Canada l'a remporté à chacune des étapes du processus. À la fin, nous avons obtenu le remboursement de 2 milliards de dollars, ce qui représentait les droits injustement perçus ainsi que l'intérêt sur ceux-ci. D'autres documents font état d'un montant inférieur, mais il s'agit, dans ces cas, du montant en dollars américains et sans le calcul des intérêts. Le montant final se situe autour de 2 milliards de dollars. C'est la bonne nouvelle.

La mauvaise, c'est que cela a pris beaucoup plus de temps et coûté beaucoup plus cher qu'il n'aurait fallu. Les États-Unis se sont défendus férocement à chaque étape, dépassant parfois les limites à respecter pour agir de bonne foi, et quand ils ont perdu, mauvais perdants, ils ont changé les règles. Ils ont changé leurs propres lois qui étaient contraires à l'entente de l'OMC, il me semble, mais c'est un mince réconfort, quand on pense que les nouvelles lois visent à multiplier les chances qu'à l'avenir ils puissent à nouveau imposer des droits au Canada.

Poussé à le faire, le gouvernement du Canada, fermement appuyé par les industries et les plus grandes provinces productrices, a accepté un compromis, qui, d'une part, garantissait une entrée libre en franchise sans la moindre menace de rétorsion commerciale, mais jusqu'à concurrence d'un certain niveau, un niveau légèrement inférieur au sommet historique. On a ainsi résolu cette grande question entre les deux pays, mais cela montre à nouveau que le meilleur mécanisme au monde - et ce mécanisme a fonctionné assez bien - en fin de compte, ne fait qu'améliorer les chances d'un petit pays de défendre ses intérêts face à un autre. C'était en vertu de l'entente initiale de libre-échange entre le Canada et les États-Unis.

Le deuxième exemple a trait au différend sur les produits laitiers et la volaille, où les États-Unis ont contesté notre droit de maintenir notre protection pour ces secteurs; il s'agissait ici de l'ALÉNA, chapitre 20, alors que dans le cas du bois d'oeuvre, qui relevait de l'ALE, il s'agissait du chapitre 19.

Encore là, les antécédents se ressemblent. Les États-Unis, au cours de nos négociations de l'ALE, n'étaient pas parvenus à nous convaincre de renoncer aux restrictions à l'importation qui sont essentielles pour maintenir les régimes de gestion de l'offre des secteurs des produits laitiers et de la volaille. Je dirais, objectivement il me semble, que ces instruments sont tout aussi insensés sur le plan économique qu'ils sont populaires politiquement, mais le fait est qu'ils sont populaires politiquement et que dans les négociations de l'ALE - et encore en ce qui a trait à l'ALÉNA - , les États-Unis n'ont pas pu nous convaincre ni nous amener à accepter de démanteler ces restrictions.

Puis au cours des négociations de l'OMC, nous avons remplacé les restrictions à l'importation par des mesures tarifaires prohibitives qui ont eu le même effet. Les États-Unis ont invoqué le mécanisme de règlement des différends de l'ALÉNA pour contester notre droit de le faire. Nous avons remporté la victoire, non pas en raison du bien-fondé objectif de nos politiques, mais en raison des données de l'affaire, soit que les États-Unis n'avaient pas le droit d'exiger que nous supprimions ces droits tarifaires qui faisaient suite aux mesures de restriction à l'importation dont ils avaient accepté le maintien éventuel.

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Cela dit, je mentionne que ma collègue Charlene Barshefsky a annoncé l'autre jour, à titre de représentante commerciale des États-Unis, au cours de sa comparution devant le Comité sénatorial, que ce sera là l'un de ses grands objectifs et qu'elle va continuer d'exercer des pressions en ce sens, tout comme elle continuera de le faire pour d'autres secteurs comme le blé.

C'est un exemple où le mécanisme a fonctionné en notre faveur et préserve notre droit de maintenir ces politiques, qu'elles soient sensées ou non, je le répète. Mais ce n'est pas tout. Il y aura encore des pressions qui seront exercées à ce sujet.

Le troisième exemple est lié à l'OMC. Le cas le plus représentatif, qui a trait à la question de la culture canadienne, est celui des magazines, qui a fait l'objet d'une décision confidentielle provisoire de l'OMC, que tout le monde a lue je suppose. On peut se la procurer facilement.

Permettez-moi simplement de dire, comme vous le savez, monsieur le président, qu'en tant que fervent libre-échangiste, je crois fermement que les industries culturelles, notamment la publication de magazines, ne sont pas de simples gadgets. La meilleure solution, comme l'a dit le ministre du Commerce l'autre jour, serait de négocier des règles commerciales qui tiennent compte des intérêts culturels du Canada. Nous n'y sommes pas arrivés. Nous n'y sommes pas arrivés au moment de la conclusion de l'ALE ni de l'ALÉNA. Nous n'y sommes pas arrivés dans le cadre du GATT, ni de la récente entente de l'OMC.

La solution qui viendrait au second rang, à mon avis, consisterait à soustraire ces industries à l'application des ententes commerciales traditionnelles. Nous l'avons fait avec l'ALE, et nous avons transposé l'exonération dans l'ALÉNA. Il existe une exonération, et elle veut dire quelque chose. Elle veut dire que le Canada, au cours de ses négociations, a insisté pour que les règles commerciales traditionnelles ne s'appliquent pas à ses industries culturelles. Ce qu'elle n'a pas permis de faire, c'est de dépouiller les Américains de leur droit de prendre des mesures contre nous, s'ils estiment que nous agissons d'une façon contraire à leurs intérêts et à leurs droits définis en vertu d'autres ententes internationales, comme le GATT et l'OMC. Soit dit en passant, cela a imposé un nouvel élément important, qui consistait à limiter la portée de leurs mesures de rétorsion à une valeur commerciale équivalente, et c'est là un engagement important.

C'était la solution de deuxième rang, et elle n'était manifestement pas aussi bonne que l'aurait été une reconnaissance plus formelle du caractère sacro-saint de la culture. La pire solution, celle que nous avons dû envisager dans le cas de l'OMC, c'est de faire en sorte que les industries culturelles soient assujetties aux mêmes règles que celles qui s'appliquent aux gadgets. C'est un véritable problème.

Dans le cas de l'OMC, nous n'avons pas su nous doter de bonnes règles, ni faire accepter des dérogations de notre part à ces règles. Ceux qui connaissent le contexte des négociations, comprendront que cela aurait été une mission presque impossible. Quoi qu'il en soit, cela n'a pas fonctionné.

C'est pourquoi les États-Unis ont soumis à l'OMC la question de notre taxe sur les magazines. Ils ont choisi leur champ de bataille préféré et l'ont emporté sur ce champ de bataille.

La bataille n'est pas terminée. Il y aura des appels. Ils suivront leurs cours. Mais j'invite les membres du comité à ne pas retenir leur souffle en attendant le renversement de cette décision.

Il importe néanmoins de connaître ce contexte. Cette décision est une décision administrative restreinte. Elle ne signifie pas la fin des politiques culturelles. Elle ne signifie pas que nous ayons à repenser totalement nos objectifs concernant les industries culturelles ni les instruments que nous utilisons pour les atteindre. Encore là, je crois que le discours du ministre du Commerce était un bon départ pour ce processus.

Voilà donc, monsieur le président, trois exemples de tentatives que nous avons menées pour négocier des règles, ainsi qu'un mécanisme de règlement des différends pour leur application, et telle est l'issue de ces trois cas récents.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Ritchie.

Monsieur McLeod, aimeriez-vous prendre la parole?

M. Ian McLeod (conseiller, Division du droit commercial, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci, monsieur le président. Je comparais à titre de conseiller à la division du droit commercial du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. J'aimerais vous expliquer comment on s'y prend pour qu'une entente commerciale, conclue par des négociateurs, débouche sur une loi de mise en oeuvre, résultat qu'on soumet aux députés.

C'est un privilège pour moi que de siéger ici avec M. Ritchie, ancien sous-négociateur en chef. Les négociations commerciales m'ont toujours intéressé, mais seulement en tant que soldat, aux bas échelons. Je pense que c'est à M. Ritchie qu'il faut s'adresser pour discuter de la façon dont on négocie une entente, des tactiques qu'on emploie, de la façon dont les équipes sont organisées et les ressources allouées.

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Je veux parler des étapes entre le moment où les négociateurs en chef paraphent un document et le moment où le Parlement est saisi d'un projet de loi de mise en oeuvre.

Mon collègue, M. Sherratt, de la section des traités, vous parlera un peu des traités, de leur statut au Canada, et expliquera pourquoi nous veillons à la mise en oeuvre des traités par l'adoption de lois nationales, alors que dans d'autres pays, on recourt à des mécanismes différents. Alors, quand on met en oeuvre une entente de libre-échange, il y a un processus qui est mis en place pour ce faire au Canada, mais les processus diffèrent selon les pays et selon les régimes juridiques. Je laisse àM. Sherratt le soin de vous l'expliquer.

Une fois que les négociateurs se sont entendus sur un texte, il faut d'abord obtenir l'approbation des ministres. Cela se fait au moyen d'un protocole présenté au Cabinet. C'est un long document qu'on soumet aux ministres. Il expose en détail tous les éléments de l'entente et vise à obtenir leur approbation.

À mon sens, les instructions de rédaction sont un élément clé. Les ministres donnent des instructions aux conseillers législatifs pour mettre en marche la rédaction de la législation de mise en oeuvre. On y trouve aussi des directives quant à la rédaction et quant aux détails à soigner plus particulièrement. Les instructions peuvent être très générales ou très détaillées.

Après que les ministres ont donné ces instructions aux conseils législatifs, un chef d'équipe est choisi: un conseiller législatif principal du ministère de la Justice. Pour commencer, il distribue le texte de l'Accord de libre-échange aux divers ministères qui peuvent être touchés par l'entente. Les conseillers législatifs de ces ministères, en consultation avec les responsables des politiques, évaluent l'accord. Ils l'ont sans doute fait à l'avance, mais ils le font maintenant de façon plus officielle et informent l'équipe des modifications nécessaires à nos lois.

On confie alors le travail aux rédacteurs de la Section de la législation du ministère de la Justice. Il y a bien entendu deux rédacteurs, pour écrire le texte en anglais et en français. Les textes sont écrits parallèlement et les rédacteurs travaillent ensemble et simultanément.

Pendant les négociations, il y a habituellement une petite équipe d'avocats qui travaillent avec les négociateurs pour préparer l'accord, en partie pour travailler sur le texte lui-même mais aussi pour faciliter ultérieurement le passage du texte de l'accord à celui de la législation. Ils connaissent bien l'accord. Ces gens sont au centre de l'équipe de mise en oeuvre. Une fois que les rédacteurs ont reçu les instructions des divers conseillers législatifs, ils préparent une ébauche de cette législation de mise en oeuvre.

J'aimerais dire maintenant quelques mots d'explication au sujet de la législation de mise en oeuvre, qui est ce que les membres du comité ont vu par le passé. Il y a essentiellement une partie générale et une partie plus détaillée, portant sur des amendements corrélatifs aux diverses lois nationales touchées.

On trouve dans la partie générale deux déclarations, sur l'objet et l'interprétation de la législation. S'il devait y avoir un doute au sujet des modifications législatives, elles doivent être interprétées selon l'accord, qui a préséance. On y trouve également certains pouvoirs administratifs. Si vous mettez sur pied un secrétariat, il faut avoir le pouvoir de dépenser les fonds nécessaires ainsi que le pouvoir de nommer des membres d'un comité ou un secrétaire. Voilà qui constitue les structures de base nécessaires à la mise en oeuvre de l'accord.

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La partie la plus importante de toute législation de mise en oeuvre est la partie II, où l'on trouve les diverses modifications aux lois nationales existantes. L'exemple classique est le tarif des douanes. Dans un accord commercial, tout en haut de l'ordre du jour, on trouve des discussions sur les tarifs dont il faut négocier la réduction, l'élimination ou la disparition graduelle. Si l'on a fait cela avec le partenaire commercial, il faudra modifier le tarif des douanes, soit la loi qui relève du ministère des Finances, afin que ces modifications forment la base de cette partie II.

En outre, dans un accord de libre-échange, il faut donner la priorité ou un privilège aux produits de l'autre partenaire commercial, de l'autre pays. S'il s'agit des États-Unis, il faut déterminer ce qu'est un produit en provenance des États-Unis. On entre alors dans la jungle des règles d'origine, extrêmement techniques, où l'on trouve des règles techniques précises sur la façon de déterminer si une automobile ou un gadget est américain ou non et s'il fait l'objet de ces privilèges.

Pour ce faire, il faut donner aux responsables des douanes des procédures de vérification et pour les aider, il faudra peut-être des modifications substantielles à la Loi sur les douanes. Il y aura divers autres amendements, selon l'accord commercial. Si vous avez négocié avec votre partenaire commercial le droit de relever les tarifs dans le cas d'une invasion de produits importés, il faudra pour ce faire ajouter des dispositions dans nos lois commerciales comme la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

Si vous avez conclu une entente avec votre partenaire commercial au sujet de vos droits compensateurs, il faudra peut-être modifier la Loi sur les mesures spéciales d'importation ou d'autres lois touchées. Je pense que dans le cas de l'ALÉNA, 20 ou 30 lois ont dû être modifiées pour cette raison.

Le gros des modifications portent sur quelques lois: le Tarif des douanes, la Loi sur les douanes, la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, la Loi sur les mesures spéciales d'importation et la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. Ce sont les lois qu'on modifie le plus souvent, mais il y en a d'autres pour lesquelles il faut peut-être des modifications mineures.

Voilà la structure de la législation de mise en oeuvre. Une fois que les divers conseillers législatifs ont produit une ébauche par collaboration interministérielle, elle est distribuée à chaque ministère intéressé, qui doit la commenter, puis elle est finalisée. Habituellement, les délais sont assez courts; les ministres ont donné une date à laquelle ils veulent déposer le projet de loi au Parlement, et c'est l'échéance.

Quand chacun est satisfait du projet de loi, il est examiné par le Bureau du Conseil privé et par le leader du gouvernement à la Chambre, qui veulent s'assurer que la loi répond aux exigences présentées dans les instructions de rédaction fournies aux conseillers législatifs au départ. Il est présenté au Cabinet et si le Cabinet le veut, il est déposé au Parlement qui l'examinera.

Il y a aussi la question des règlements. Les règlements sont une partie subsidiaire de la loi, des règles adoptées par le gouverneur en conseil, qui a reçu ce pouvoir du Parlement. Dans le contexte des accords de libre-échange, les règlements sont habituellement d'ordre extrêmement technique.

.1600

J'ai parlé plus tôt des règles d'origine. Il s'agit de règles précisant quels procédés doivent avoir été suivis ou quelles transformations doivent être présentes ou effectuées dans l'autre pays pour qu'un produit soit considéré comme américain, mexicain, ou autre.

La technologie évolue très rapidement. Les circonstances changent très vite. Pour obtenir une certaine souplesse, il faudra probablement d'autres négociations avec les partenaires commerciaux, dont le résultat se retrouvera dans les règlements. De nombreux règlements sont donc préparés et si le Parlement adopte la loi de mise en oeuvre, ces règlements sont prêts à être adoptés par le gouverneur en conseil et à entrer en vigueur en même temps que la loi.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur McLeod.

Monsieur Crosbie, voulez-vous dire quelque chose?

M. William Crosbie (directeur, Direction de la politique commerciale, Secteur de la politique commerciale et économique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci, monsieur le président.

On m'a demandé de venir vous parler de la façon dont le Canada choisit ses partenaires à des accords de libre-échange. Je ne vais pas donner l'historique de nos divers accords de libre-échange, qui sont connus. Je vais simplement vous parler un peu de notre approche générale en matière de politique commerciale, du genre de priorités que nous fixons et des considérations précises qui servent à déterminer quand et avec qui nous conclurons des accords de libre-échange régionaux, bilatéraux ou multilatéraux.

Pour commencer, pour ce qui est de notre approche générale, comme le disait M. Ritchie, le Canada cherche à multiplier les appuis en faveur d'un système commercial multilatéral fondé sur des règles, en gardant toujours à l'esprit notre relation avec les États-Unis.

Au moyen des règles et des mécanismes de règlement des différends, nous parvenons tant bien que mal à combattre à armes égales. Nous y réussissons grâce aux alliances stratégiques que nous concluons, à la force de nos idées, au choix du bon moment, à notre énergie et notre dynamisme quand nous présentons opportunément nos idées aux personnes qu'il faut. Nous gardons toujours à l'esprit les États-Unis et nous essayons de prévoir ce que fera ce pays, particulièrement si on essaie de plaire à des auditoires américains particuliers qui, dans bien des cas, peuvent être nos meilleurs alliés lorsqu'il s'agit de mettre en place certaines règles.

Nous avons trois priorités. Tout d'abord, nous voulons conserver et élargir notre accès au marché américain. C'est la priorité principale. Ensuite, nous voulons promouvoir et augmenter la portée d'un système commercial multilatéral axé sur des règles, dans le cadre de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce. Troisièmement, nous voulons conclure des accords régionaux et sélectivement, des accords de libre-échange bilatéraux qui vont dans le sens de nos objectifs de commerce avec les États-Unis et de commerce multilatéral et nous voulons profiter de certaines occasions particulières d'accès à des marchés.

En gardant à l'esprit ces priorités, nous avons conclu l'Accord de libre-échange avec les États-Unis et l'ALÉNA avec les États-Unis et le Mexique, comme vous savez. Nous espérons intégrer bientôt le Chili à cet accord.

Nous avons négocié la création de l'Organisation mondiale du commerce avec 100 autres pays, dans le cadre des négociations d'Uruguay. Nous participons activement à deux initiatives commerciales régionales: la zone de libre-échange des Amériques et, deuxièmement, l'OCEAP, l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique, qui ont toutes deux pour objectif la création de zones de libre-échange.

En outre, nous avons récemment négocié deux accords bilatéraux de libre-échange, avec Israël et le Chili.

Quelles sortes de considérations sont prises en compte par le gouvernement lorsqu'il décide de conclure ou non un accord de libre-échange?

Les voici. Tout d'abord quels sont les marchés intéressants chez l'autre partenaire, le partenaire avec lequel nous voulons conclure un accord de libre-échange? Deuxièmement, et c'est peut-être tout aussi important, quelle sera l'incidence sur nos relations avec les États-Unis? Et troisièmement, comment cet accord de libre-échange serait-il favorable au système commercial multilatéral?

Pour cette dernière question, par exemple, si on considère l'ALÉNA ou l'ALE qui l'a précédée, on pourrait dire que dans certains domaines, il s'agit de pionniers qui ont créé de nouvelles règles et de nouveaux mécanismes de règlement des différends qui sont des instruments qui peuvent être offerts par toutes les parties et qui, dans certains cas, peuvent influencer des négociations multilatérales. Ou alors, dans le cas de certains autres projets de libre-échange comme la zone de libre-échange des Amériques ou celle de l'Asie-Pacifique, on peut recruter d'autres pays qui se conformeront à des obligations davantage fondées sur des règles, sans toutefois dépasser celles que nous avons obtenues dans le cadre de l'OMC, même si elles se situent à peu près au même niveau.

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Finalement, je pense qu'il nous faut nous demander si le Canada ou les entreprises canadiennes seraient désavantagées par une non-participation à un accord de libre-échange.

En prenant en compte ces considérations et en évaluant les projets de libre-échange qui nous intéressent, je pense qu'on peut expliquer pourquoi le Canada, par exemple, a négocié un accord de libre-échange bilatéral avec le Chili. Il s'agissait d'un mécanisme facilitant l'entrée du Chili dans l'ALÉNA. On prouvait ainsi notre engagement envers l'Amérique latine. Cela a pu contribuer à appliquer la discipline qu'on veut voir dans l'ALÉNA à nos autres relations commerciales.

Au sujet d'Israël, les entreprises canadiennes avaient un problème particulier. Elles ont constaté qu'elles étaient les seuls exportateurs vers Israël qui devaient payer des tarifs, en comparaison avec leurs principaux concurrents aux États-Unis et en Europe, qui avaient tous des accords de libre-échange avec Israël. Pour résoudre ce problème particulier et pour répondre à leurs besoins, nous avons conclu un accord de libre-échange avec Israël.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Sherratt, avez-vous un exposé?

M. Dean Sherratt (chef, Division des traités, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Il sera très court, monsieur le président. Je suis le chef de la Division des traités au ministère des Affaires étrangères et j'ai jugé utile de vous présenter un rapide survol de notre processus de négociation des traités, puisque c'était l'un des sujets dont vous vouliez traiter aujourd'hui.

Pour commencer, un traité est un instrument qui lie ce que j'appellerais des «sujets du droit international», qui sont dans le contexte des accords de libre-échange des États, des pays. Au Canada, le pouvoir de conclure des traités, au nom du gouvernement du Canada, au nom du Canada, est l'un des pouvoirs résiduels de la prérogative royale, qui est le pouvoir inhérent de la souveraine de conclure des traités au nom de l'État. En 1947, ce pouvoir a été délégué par décret en conseil signé par le roi de l'époque, George VI, au gouverneur général du Canada en conseil. Depuis, pour conclure un traité au nom du Canada, il faut un décret en conseil.

En vertu de la Loi sur le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, la responsabilité générale pour la conduite des affaires étrangères incombe au ministère des Affaires étrangères. Quand on marie les deux, on se retrouve dans une situation heureuse où, afin de conclure un traité, il faut obtenir un décret vous le permettant, et parce que c'est le ministre des Affaires étrangères qui a la responsabilité de la conduite des affaires étrangères, c'est lui qui doit signer la demande de décret. Il conserve, si vous voulez, la faculté de négocier des traités, pouvoir qui lui est conféré par décret, décret signé par le gouverneur général.

Notre processus de négociation des traités est assez simple. Comme on l'a dit en termes généraux, on décide d'amorcer des discussions qui conduiront à un accord ou à un traité exécutoire en droit international. Comme on l'a déjà dit, il faut avoir deux éléments d'autorité pour se faire. Il y a l'autorité émanant du décret du gouverneur général qu'on appelle «l'autorité exécutive», qui permet littéralement au ministre de signer et de mettre en oeuvre un accord. Normalement, le décret donne une description très sommaire de la nature du traité que vous voulez conclure et l'on demande l'autorisation de négocier pour certaines personnes qui sont nommées, souvent quatre ou cinq, à qui l'on donnera en fait le pouvoir de signer l'accord au nom du Canada. Une fois cette autorisation obtenue, ces personnes, et uniquement ces personnes, peuvent signer l'accord au nom du Canada.

Il y a aussi, bien sûr, l'approbation de principe, qui s'intéresse davantage au fond et dont la portée peut être beaucoup plus considérable. Nous en avons déjà parlé lorsque nous avons décrit le mémoire au cabinet.

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Lorsqu'on signe un accord, celui-ci peut entrer en vigueur et devient par conséquent exécutoire dès la ratification ou plus tard, auquel cas l'accord est normalement assujetti à la ratification ou à un processus quelconque de ratification.

Si on procède ainsi, c'est parce que souvent, particulièrement dans le domaine du commerce international, on conclut des accords qui nécessitent certaines modifications législatives ou réglementaires permettant de mettre en oeuvre au Canada les obligations juridiques que comporte l'accord. Dans le cas du Canada, il s'agit d'un processus parallèle.

En vertu des régimes constitutionnels de plusieurs États, les accords eux-mêmes, lorsqu'ils sont conclus, deviennent la loi du pays, et l'on voit alors des obligations internationales se traduire dans la mise en oeuvre des lois intérieures. Ce processus existent dans plusieurs pays européens. La Slovénie, qui est un nouveau pays, par exemple, doit faire approuver par son Parlement tout traité conclu au nom de l'État, et cela fait, le traité devient loi en Slovénie.

Au Canada, ça ne marche pas comme ça. Le pouvoir de conclure des traités incombe uniquement à l'autorité exécutive et par le fait même, le traité qu'elle conclut ne change nullement en soi la loi intérieure. C'est pourquoi il faut un processus parallèle pour conclure un traité dont les obligations seront contraignantes pour la loi canadienne.

C'est ainsi que, normalement, lorsqu'on conclut un traité, on obtient un accord, qui est souvent paraphé. Quand on a ce que l'on considère être l'autorité gouvernementale et exécutive pour conclure l'accord, on passe à la signature. Une fois qu'on a en place les modifications réglementaires et législatives voulues, on peut alors passer ou bien à un échange d'instruments de ratification qui sont signés par le ministre des Affaires étrangères, ou, s'il s'agit d'une question plus simple, il y a souvent des dispositions dans les traités qui autorisent la mise en oeuvre des obligations par un simple échange de notes où l'on a indiqué qu'on se conforme déjà à ces obligations en vertu de la loi intérieure.

Voilà qui conclut en quelques mots en quoi consiste le processus de négociation des traités. Si vous avez des questions, mes collègues et moi serons heureux d'y répondre.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Nous avons beaucoup de matière sur la table. Monsieur Sauvageau, est-ce que vous avez quelques questions?

M. Sauvageau (Terrebonne): Oui, je vais oser poser quelques questions.

D'abord, je vous remercie beaucoup. En guise d'introduction aux travaux de ce sous-comité, il a été très enrichissant d'entendre l'ensemble des interventions et des explications sur différentes étapes des traités, les conditions, etc.

Malgré les informations que vous nous avez données et qui étaient justes et pertinentes, je n'ai pas obtenu une réponse à une question que j'avais inscrite au début. Je vous pose donc cette question qui concerne les consultations versus les négociations. Je sais bien qu'on ne peut pas tout faire sur la place publique, mais lorsque vous signez, que vous avez défini les critères d'admissibilité et que vous concluez que vous avez intérêt à signer un traité de libre-échange avec tel pays, surtout au niveau bilatéral, quel est le rôle des trois intervenants suivants: les parlementaires, les provinces et les personnes des entreprises touchées?

Je vous ferai part d'un préjugé que j'ai au niveau de la réponse des parlementaires; en anglais, on pourrait dire qu'ils se contentent de mettre un stamp. J'ai l'impression que c'est ce qu'on a fait avec Israël et le Chili, et cela m'a un peu agacé. C'est pourquoi je vous pose cette question. Merci.

M. Ritchie: Je formulerai une première réponse qui est tirée plutôt de la pratique. On pourrait parler de formalités législatives, mais je parlerai de la pratique.

Il est évident qu'il faut que l'accord soit appuyé par la majorité des parlementaires.

.1615

Cela dit, on ne pourrait pas demander à quelque 300 de nos parlementaires et à quelque 500 de leurs homologues américains de négocier. C'est pour cette raison qu'on a confié à l'exécutif la négociation de l'accord. Il est vrai qu'à la limite, le pouvoir des parlementaires consiste à accepter ou à rejeter l'accord même. Le processus de consultation qui a eu lieu dans le cadre de l'ALE est peut-être le sujet le plus étudié dans l'histoire du Canada, hormis la Constitution.

Il y a eu audition après audition devant des comité des deux Chambres. On a tenu des auditions avant la signature de l'accord et bien avant le dépôt en Chambre du projet de loi. M. McLeod précisait la distinction qu'il y a entre l'accord même et le projet de loi prévoyant sa mise en vigueur. Notre processus, contrairement à celui des États-Unis, demeure ouvert à des modification après que nous avons déposé un projet de loi. Aux États-Unis, ils ont ce qu'ils appellent le fast track. Ce processus, qui n'est ni rapide ni tout droit, ne permet pas qu'on apporte des amendements à un projet de loi après qu'il a été mis sur la table. Au Canada, c'est le contraire. Lorsque j'étais le fonctionnaire responsable de ce processus, le comité a imposé bon nombre d'amendements à l'ALE. La plupart étaient plutôt d'ordre sémantique, tandis que certains avaient une importance plus substantielle, dont l'affirmation que l'accord ne devait aucunement toucher la capacité du Canada de contrôler ses exportations d'eau courante. C'était au niveau des parlementaires.

Au niveau des provinces, là encore, c'est plutôt une question de convention, une question de prétexte. En raison de l'importance capitale de l'ALE, on a tenu trois rencontres à huis clos avec les premiers ministres, auxquelles j'ai assisté. On a consulté les premiers ministres aux trois étapes du processus: à la première, on a présenté les objectifs; à la deuxième, on a dit que cela semblait devoir s'achever ainsi; et à la troisième, on a dit ce qu'on avait conclu.

Par ailleurs, le gouvernement fédéral n'a pas demandé, et conséquemment n'a pas obtenu, le consentement des provinces pour des raisons que M. McLeod ou ses collègues pourraient vous expliquer. L'accord était du ressort du gouvernement fédéral et il n'était donc pas dans l'intérêt ni des provinces ni du fédéral qu'on prétende qu'il en soit autrement.

Je sais bien que certains gourous dans le domaine fédéral-provincial auraient voulu, de façon plutôt aléatoire, amender notre Constitution à cet égard et changer la pratique, mais la réalité est claire et nette: c'était le pouvoir et donc la responsabilité du gouvernement fédéral, c'est-à-dire de la Chambre des communes et du Sénat, de mettre en vigueur un tel accord et le gouvernement a exercé ce droit. À l'époque, puisque l'accord n'était pas totalement sans controverse, l'Ontario avait émis certaines menaces de contester l'accord devant les tribunaux. Mais pour de très bonnes raisons, on n'a pas poursuivi ce chemin, sachant très bien qu'on aurait subi un échec.

.1620

Au niveau des industries et des autres groupes d'intérêt, tels les fermiers et d'autres secteurs directement touchés, encore là, nous avons innové quelque peu à l'époque de l'ALE en mettant en branle le réseau de consultation le plus élaboré qu'on ait jamais vu. Ce réseau a été maintenu jusqu'à nos jours en fonction de négociations subséquentes.

Nous avions consulté des groupements sectoriels, ce qui pour l'ALE se faisait au niveau des PDG. Évidemment, le niveau de participation était un peu différent pour les accords moins importants. Il s'agissait plutôt d'associations industrielles, etc. Mais pour l'ALE, on faisait appel aux PDG. Quelque 400 PDG avaient demandé à participer à cette consultation au niveau des groupes sectoriels, ainsi qu'un autre groupe d'une trentaine de membres, si je me souviens bien, en vue de conseiller les négociateurs sur un plan plutôt global.

À ma connaissance, cette consultation a été faite en toute confidentialité et, certainement dans le cas de l'ALE, il n'y a pas eu de cas de fuite, aucun cas où cette confidentialité n'a pas été respectée. Cette consultation a été ouverte au point où un assez grand nombre de fonctionnaires de cette ville étaient très peu à l'aise, parce que dans certains cas, on consultait davantage les industries directement touchées que les fonctionnaires, cela pour des raisons évidentes à mon point de vue, mais qui n'étaient pas évidentes pour toute la fonction publique.

De toute façon, tel a été le processus de consultation. Comme je vous l'ai précisé, le processus a été adopté, entériné et, une fois entériné, il s'est poursuivi. En fin de compte, il faut préciser, comme M. McLeod le signalait, que le pouvoir de signer l'accord reste celui de l'exécutif et que le pouvoir de légiférer l'accord reste celui de la Chambre des communes, sous réserve de toutes les règles habituelles de notre système de gouvernement.

[Traduction]

M. Crosbie: Pour rappeler ce que M. Ritchie a dit... Il a décrit la situation qui existait lorsque l'ALÉNA a été négocié. Essentiellement, les structures qui ont été mises en place lors de la négociation de l'ALE et ensuite de l'ALÉNA et utilisées au cours des négociations d'Uruguay sont encore en place, et c'est la structure des comités consultatifs du secteur privé, environ 15 groupes sectoriels chapeautés par ce qu'on appelle le Groupe de travail sur la politique commerciale. Ces groupes ont un accès privilégié aux négociations, y compris les négociations qui peuvent avoir lieu aujourd'hui, et ils se rencontrent aussi souvent qu'il le faut.

En outre, pour ce qui est des provinces, nous avons ce que nous appelons le Comité de coordination pour le commerce. Nous y réunissons des délégués commerciaux des provinces environ quatre fois par année, ou plus souvent si nécessaire, pour discuter de politique commerciale. Ces personnes se divisent ensuite en groupes de travail chargés de suivre des négociations particulières. Par exemple, on négocie en ce moment un accord multilatéral sur l'investissement. Il y a donc maintenant un groupe de travail fédéral-provincial issu du Comité de coordination qui se réunit aussi souvent qu'il le faut et qui a un accès privilégié, encore là, aux objectifs de la négociation.

Comme M. Ritchie l'a dit, l'essentiel, si nous essayons de négocier un accord commercial qui touche les domaines de compétence provinciale et qui liera les pratiques commerciales des provinces, nous devons faire participer les provinces et nous assurer qu'elles adhéreront aux obligations que nous allons accepter et que nous voulons mettre en oeuvre. Je pense que nous sommes très soucieux de la nécessité de la participation provinciale.

Enfin, pour ce qui est des députés fédéraux, encore là, je pense que c'est une question de degré de participation à ce processus pour les députés, compte tenu du fait, bien sûr, que dans un contexte de négociation, nos négociateurs doivent avoir autorité complète pour nous représenter et négocier en toute confiance. D'où une confidentialité essentielle.

[Français]

Le président: Nous avons passé 11 minutes sur le sujet. Je ne désire point vous arrêter dans votre élan, mais

[Traduction]

Par souci d'équité, nous devons donner la parole à M. Morrison.

.1625

M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Merci, monsieur le président.

Monsieur Ritchie, je m'inquiète des possibilités de conflits qu'il y a dans ces accords, et j'aimerais avoir votre avis à ce sujet, et vous pourriez peut-être commencer par nous expliquer s'il y a des différences importantes entre les accords parallèles avec le Mexique dans le cadre de l'ALÉNA et les accords parallèles que nous avons avec le Chili. J'aimerais ensuite savoir si ces accords sont porteurs de conflits, particulièrement dans la mesure où il y a chevauchement entre compétences fédérale et provinciale dans notre pays.

Partez de là. Je vous écoute.

M. Ritchie: Si vous me le permettez, monsieur le président, je pense que vous feriez mieux d'entendre ici mes collègues du ministère des Affaires étrangères. J'aimerais bien vous donner mon avis, mais ce sont eux qui ont négocié ces accords parallèles. Je dois vous dire que je n'ai jamais aimé ces accords parallèles.

M. Morrison: Je voulais savoir ce que vous en pensiez. Nous avons déjà une réponse, alors poursuivez.

M. Ritchie: Mais si vous voulez qu'on vous explique en quoi consistent les accords parallèles, j'en laisserai le soin à mes collègues, si vous me le permettez, monsieur.

M. Morrison: Ce n'est pas tant leur fonctionnement qui me préoccupe; je veux savoir dans quelle mesure ils vont nous toucher lorsque tout aura été dit.

M. McLeod: Je suis dans une situation un peu délicate ici, parce que je ne suis pas vraiment en mesure de discuter des accords parallèles. J'ai devant moi l'ordre du jour du comité et je constate que vous avez prévu des séances où vous discuterez à fond du processus de règlement des différends, dont le chapitre 20, ALÉNA 19, et des accords parallèles.

Je pense que le mieux, c'est d'entendre des gens qui ont pris une part active à la négociation des accords parallèles - je sais en quoi ils consistent - et des dispositions de règlement des différends qu'on y trouve. Ils pourront en discuter avec vous, sûrement avec beaucoup plus de compétence que moi, si cela vous convient.

M. Morrison: Vous cédez la parole à M. Ritchie?

M. McLeod: Pardonnez-moi, je ne cède pas mon tour... Je constate que le comité a un programme, et je pense qu'il vaudrait mieux poser cette question à la prochaine séance.

M. Ritchie: Permettez-moi, monsieur le président, de faire quand même une remarque gratuite qui vous aidera peut-être à préciser le genre de questions que vous pourriez poser à vos prochaines victimes.

Un fait incontournable explique la présence des accords parallèles: ils n'ont aucune place dans les accords principaux. Il s'agit de mesures supplémentaires qui ont été introduites entièrement à la demande de l'administration américaine afin de satisfaire certaines exigences politiques intérieures. Il se trouve que certaines de ces exigences politiques ont aussi une certaine résonnance chez nous; mais c'est pourquoi le nouveau gouvernement ici a constaté que ces accords parallèles rendaient l'ensemble de l'ALÉNA un peu plus acceptable.

Moi qui suis un négociateur aguerri, je dois vous dire que ce sont des accords qu'il fauta viser, pas d'accords parallèles; on conclue des accords, un point c'est tout. Et on met dans ces accords les choses qui sont importantes. Dans ces accords, on met l'essentiel, on arrête les obligations réelles et la mise en oeuvre réelle de ces obligations.

Soit dit en passant, les questions comme les normes de travail ou environnementales, même s'il s'agit de nobles enjeux en soi, ont toujours tendance, beaucoup trop souvent et même aujourd'hui, à servir de couverture très utile au bon vieux protectionnisme. Nous pourrions probablement vous donner dès maintenant une liste d'une vingtaine de cas où l'on s'est servi de ces considérations pour exclure des produits canadiens des marchés d'exportation, et c'est pourquoi la plupart des négociateurs commerciaux n'aiment pas ce genre d'accord.

Cela dit, je répète que c'était des considérations politiques aux États-Unis à l'origine, et plus tard au Canada, qui ont mené à la conclusion de ces accords. Les ayant conclus, bien sûr, les deux pays et le Mexique vont faire de leur mieux pour les faire fonctionner, et les faire fonctionner dans l'intérêt des Canadiens.

.1630

M. Crosbie: La seule chose que je veux ajouter, monsieur le président, c'est que, comme l'a dit Ian McLeod, il vaut mieux interroger les personnes qui ont pris une part directe à la négociation des accords parallèles parce que ceux-ci sont très complexes, ils sont d'ailleurs complexes aussi pour ce qui concerne les rapports fédéraux-provinciaux relatifs à ces accords parallèles, lesquels comportent aussi des accords intergouvernementaux. Ça vaut la peine d'y jeter un coup d'oeil.

Je tiens aussi à mentionner qu'il s'agit d'accords de coopération. On l'oublie souvent. Tout le monde s'attaque tout de suite aux mécanismes de mise en oeuvre, mais l'essentiel de ces accords parallèles et l'essentiel de ce qui se fait dans le cadre de ces commissions et de ces accords parallèles portent en fait sur la coopération entre les parties contractantes de l'ALÉNA. C'est quelque peu différent de l'ALÉNA lui-même.

Le président: Monsieur Cullen.

M. Cullen (Etobicoke-Nord): Merci, messieurs. Au prochain tour, j'aimerais qu'on reparle du programme de réexportation du sucre et que vous me disiez - peut-être vous, Gordon - quelle impression vous aviez au cours de la négociation de l'ALE - je pense que ça été négocié dans le cadre de l'ALE - au sujet de ce qui allait advenir de ce genre de programmes, parce que c'est devenu un enjeu important pour plusieurs entreprises dans ma circonscription.

Mais j'aimerais pour le moment parler un peu du bois d'oeuvre, domaine où j'ai pris une part très active à divers titres au fil des ans, souvent à ma plus grande peine. J'ai pris part récemment à la révision de la Loi sur les mesures spéciales d'importation et j'ai dû admettre qu'il n'y a rien... Vous savez, c'est difficile avec les États-Unis, ce géant, lorsqu'il s'agit de faire valoir son point de vue dans certains de ces mécanismes de règlement des différends. Il y a diverses choses qui me dérangent beaucoup au sujet du bois d'oeuvre, Gordon. C'est un bon exemple de règlement d'un différend important et c'est un dossier épineux...

M. Ritchie: C'est le plus gros.

M. Cullen: C'est le plus gros.

Vous en avez parlé, vous avez dit que les États-Unis modifient les règles selon leurs besoins. L'autre chose, c'est qu'on ne tient nullement compte de l'intérêt public dans ce dossier. Comme vous le savez parfaitement bien, l'industrie a essayé de convaincre les constructeurs et les acheteurs de maisons en leur disant qu'il leur en coûterait 3 000$ de plus par maison si l'on concluait avec le Canada un tel accord sur le bois d'oeuvre.

Mais l'autre chose qui me fatigue vraiment, et d'ailleurs je suis en train d'étudier la question, et j'y reviendrai peut-être plus tard, c'est tout ce débat, où, lorsque nous réagissons à un droit compensateur, les Américains contestent nos subventions et nous n'avons pas du tout la possibilité de contester ce qu'ils font. C'est le processus qui le veut.

Nous savons tous, nous qui avons travaillé dans l'industrie pendant plusieurs années, qu'aux États-Unis, l'industrie forestière est soutenue par toute une gamme de subventions et de mesures de soutien, même au niveau fédéral, et on épargne ainsi les gens qui vendent au public et qui fixent des prix spéculatifs sur ce marché. J'ai entendu plusieurs exposés de personnes très versées dans ce domaine dans la région nord-ouest de la côte du Pacifique, qui font valoir que les prix aux enchères dans cette région sont beaucoup trop élevés à cause des spéculateurs. Il y a d'autres choses qui interviennent aussi, bien sûr, au niveau des États et des régions, qu'il s'agisse du zonage industriel ou des obligations non imposables pour le reboisement, et tout le reste. Mais pour ce qui est du processus, lorsque nous contestons un droit compensateur, nous ne pouvons attaquer leur système, leurs mesures de soutien.

Il y a un concept qui m'intéresse, le concept des subventions nettes. Si vous ne connaissez pas ce terme, en langage de profane très simple, dans mon esprit, ça veut dire... disons que les États-Unis ne peuvent pas vraiment imposer de droits compensateurs à moins de pouvoir démontrer que nos subventions sont plus élevées que leurs subventions, compte tenu d'un certain seuil minimal. Je connais des gens qui s'occupent de commerce et de politique tarifaire qui sont contre le recours aux subventions nettes, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Pensez-vous que nous devrions imposer le principe des subventions nettes dans nos discussions avec, disons, les Américains?

M. Ritchie: Permettez-moi d'abord de répondre aux deux autres observations que vous avez faites. Je dois dire d'emblée que, comme vous le savez, il m'arrive de temps à autres de conseiller les producteurs canadiens de bois d'oeuvre quant à la protection de leurs intérêts, mais je ne les représente nullement ici ou ailleurs. Je vous demande cependant de garder cette observation à l'esprit.

Pour ce qui est des règles de l'OMC, même si chacun est convaincu, comme moi, que la loi habilitante des États-Unis non seulement n'a pas mis en oeuvre correctement l'accord de l'OMC, mais a contrevenu en fait à l'accord de l'OMC; et même si c'est le cas, qu'est-ce que ça peut bien faire? Cela n'aura d'importance qu'après que les Américains auront triomphé dans leur cause contre le bois d'oeuvre canadien, et si l'OMC est d'accord pour dire que la loi américaine a été trafiquée afin d'obtenir le résultat voulu, on encouragera les Américains à adopter une loi plus conforme à l'OMC.

.1635

Cela ne rassurera pas beaucoup l'industrie, dont vos électeurs, monsieur, qui seront néanmoins obligés de payer des droits à la frontière, sans perspective de remboursement. En conséquence des changements qui ont été apportés à la loi américaine sous la couverture de la mise en oeuvre de l'OMC, comme le ministre du Commerce l'a dit, il est malheureusement vrai que ces mesures visaient à supprimer certaines barrières qui avaient si bien servi l'industrie la dernière fois. Elle pourrait fort bien l'emporter la prochaine fois, mais si elle perd, elle sera peu rassurée de savoir qu'elle a perdu parce que les Américains ont tripoté les règles du jeu.

Deuxièmement, bien sûr, on n'est pas tellement rassurés d'apprendre que le processus politique américain - qui n'est pas unique à cet égard - est beaucoup plus animé par les intérêts particuliers des producteurs, que par l'intérêt du public ou du consommateur. Les constructeurs de maisons américains ont enfin compris que c'est justement parce qu'on a donné les coudées franches aux producteurs, dans ce dossier, que leurs clients paient beaucoup plus pour leurs maisons. C'est un peu tard. Au Congrès, ces intérêts et leurs mercenaires juridiques, avec tout l'arsenal dont ils disposent, exercent plus d'influence au Capitol que l'intérêt public.

La dernière fois, vous vous en souvenez peut-être, la Federal Trade Commission a en fait déclaré dans son témoignage que c'était bizarre; et cette enquête sur les droits compensateurs allait nettement à l'encontre de l'intérêt national américain. Cela n'a nullement changé l'opinion de l'administration ou du Congrès.

Pour ce qui est de la question des subventions nettes, comme vous savez, ce n'est rien de nouveau. Nous avons tenté de les imposer lors de la négociation de l'ALE. Votre logique est impeccable: ça n'a aucun sens. Ça n'a aucun sens d'avoir une loi sur les droits compensateurs ou une loi anti-dumping dans un espace de libre-échange. Ça n'a aucun sens. Si vous voulez des lois de ce genre, ça n'a aucun sens d'avoir une loi pénalisant un produit de l'Alberta qui entre aux États-Unis parce que ce produit bénéficie de la même aide, ou même moins d'aide, qu'un produit concurrent du Michigan qui entre en Californie. Ça n'a aucun sens.

Cela dit, c'est très intelligent sur le plan politique si l'on invoque cette loi absurde - et les Américains sont ceux qui pèchent le plus sur ce point, 90 p. 100 des cas de droits compensateurs dans le monde provenant des États-Unis... et l'OMC n'améliorera pas la situation d'un iota. Et les Américains vont continuer pour la simple raison que cela dérange beaucoup leurs concurrents car ils leur imposent des frais juridiques importants, même si leurs concurrents finissent par l'emporter. Ils font comparaître leurs concurrents devant une Chambre étoilée qui leur est défavorable d'avance, avec la probabilité très élevée, presque la garantie, que le Département du commerce rendra une décision défavorable à l'importateur et que la Commission du commerce international va automatiquement arbitrer en faveur du producteur américain, d'où la probabilité élevée que des droits seront imposés. Et ces droits visent à faire augmenter les prix sur les marchés américains - encore là, cela rejoint ce que vous disiez au sujet de l'intérêt public. Ces mesures obtiennent exactement l'effet qu'elles recherchent.

D'après mes propres estimations, les droits compensateurs que les Américains ont cherché à imposer au bois d'oeuvre, affaire qui a été gonflée du début jusqu'à la fin, ont probablement coûté aux consommateurs américains plus de 5 milliards de dollars, dont une partie a été remise aux producteurs canadiens, mais le gros de cet argent a été empoché par les entreprises qui ont lancé cette poursuite. Avec 4 ou 5 milliards de dollars, on peut même se payer des honoraires juridiques à Washington, et un tas d'avocats de Washington.

.1640

Donc je suis tout à fait d'accord avec le principe. La réalité de la négociation est telle que tant et aussi longtemps que les Américains, qui contrôlent ce gros marché d'importation, vont continuer d'agiter cette arme injuste contre les importations, et tant et aussi longtemps que les autres pays continuent de croire que même en dépit de cela, il est dans leur intérêt de prendre pied sur ce marché, les Américains vont conserver leur loi.

Le président: Si vous permettez, je vais vous poser une seule question. Certaines observations que vous faites soulèvent une question importante, une question qui déborde vos propos. Au cours des audiences que nous avons tenues sur la Loi sur les mesures spéciales d'importation, plusieurs témoins nous ont dit à peu près ce que vous dites: qu'il ne faut pas s'attendre à ce que les États-Unis négocient d'une manière ou d'une autre, ou qu'ils modifient leurs lois compensatoires dans un sens qui serait plus favorable au commerce international.

Mais votre expérience de la loi de mise en oeuvre américaine montre que, loin d'espérer des améliorations, c'est une détérioration qu'on nous promet, étant donné que les États-Unis, après avoir signé un accord, doivent adopter une loi de mise en oeuvre. Étant donné que c'est le Congrès qui mène, est-ce qu'on ne se dirige pas tout droit vers une érosion puisqu'on permet au Congrès de se montrer encore plus protectionniste?

Soyons encore plus précis: chaque fois que nous négocions ou que nous tâchons de négocier un accord de libre-échange qui rejoint, disons, tout l'hémisphère, ou rien que la région du Pacifique, est-ce qu'on n'incite pas simplement le Congrès des États-Unis à prendre des mesures encore plus protectionnistes à chaque fois qu'ils doivent adopter une loi de mise en oeuvre?

M. Ritchie: C'est là à mon avis un grand sujet de préoccupation, et franchement, c'était l'une des raisons pour lesquelles la négociation de l'ALÉNA ne suscitait aucun enthousiasme en moi, précisément parce que je craignais que l'allégement de ces dispositions ne nous défavorise inévitablement, et c'est d'ailleurs ce qui est arrivé. Les dispositions de l'ALÉNA concernant le chapitre 19 sont plus faibles, à mon avis - comme vous savez, je l'ai déjà déclaré publiquement - que les dispositions originales de l'ALE. Comme nous l'avons dit, lorsqu'on a habillé tout cela de la loi de l'OMC, le Congrès américain a d'ailleurs pris des dispositions qui minent encore plus cet avantage.

Tout ce que j'ai à dire à ce sujet, c'est que le Congrès américain n'a pas besoin d'un accord commercial pour trafiquer sa loi. Si le Congrès est déterminé à agir en ce sens, il ne se gênera pas. Le recours offert aux autres pays sera toujours là, mais il sera très limité.

D'un autre côté, en concluant des accords avec les États-Unis - même si ces accords sont loin d'être parfaits et qu'ils comportent des lacunes - nous avons réalisé des progrès, comme vous savez, monsieur le président, vous qui avez une très longue expérience en cette matière. Nous sommes mieux placés maintenant pour négocier avec les Américains que dans les années soixante, lorsqu'ils nous ont imposé la taxe de péréquation d'intérêts et lorsqu'ils nous ont menacé d'abroger le pacte de l'automobile et quelques autres mesures. Nous avions moins de recours dans ce temps-là qu'aujourd'hui. Nous avions moins de recours dans les années soixante-dix que maintenant.

Nous nous retrouvons à tout le moins dans une situation où nous sommes mieux en mesure de mobiliser nos alliés dans l'administration et au Congrès afin de neutraliser les forces protectionnistes qui seront toujours présentes et très puissantes dans le système américain.

Je partage tout à fait cette inquiétude. Et je souligne le fait qu'à mon avis, il y a des Canadiens qui ont été quelque peu induits en erreur par le discours sur la procédure accélérée américaine, comme si, par magie, il n'y avait qu'à déposer un projet de loi en harmonie parfaite avec l'accord négocié pour qu'il soit adopté automatiquement par le Congrès. Il y a du vrai là-dedans, mais avant l'adoption de la loi, il y a un long processus de consultation, et c'est au cours de ce processus que les forces occultes du Capitol jouent à leurs petits jeux occultes. C'est au cours de ce processus qu'on obtient, sinon des modifications à la loi elle-même, ce qui peut arriver - les amendements Baucus-Danforth en étaient un exemple classique dans le camp de l'ALE - ou qu'on obtient des changements dans l'énoncé accompagnateur d'actions administratives, comme c'est arrivé dans le cas de l'OMC. Dans le système américain, ces énoncés ont une certaine valeur.

.1645

Donc oui, même avec l'adoption rapide des projets de loi, nous sommes nettement mieux placés que si cela ne se faisait pas. Si cela ne se faisait pas, nous ne pourrions tout simplement négocier d'accords commerciaux avec les États-Unis. Mais même avec l'adoption rapide des projets de loi, nous demeurons vulnérables aux petites manoeuvres du Congrès américain.

Le président: Je vous sais gré d'avoir cédé votre place, Monsieur Sauvageau.

M. Morrison: J'ai un problème commercial qui s'en vient dans ma région du pays, qui est la partie centrale de l'Ouest canadien. Comme vous le savez peut-être, il n'y a pas si longtemps, les exportations de boeuf sur pied et abattu de l'Ouest canadien équivalaient à peu près les importations de boeuf sur pied et abattu dans l'Est. Ce n'est plus vrai. Les producteurs des États du Nord commencent à se plaindre de la concurrence déloyale. Le fait est que leur industrie est probablement plus subventionnée que la nôtre, indirectement, mais j'ai la certitude qu'on va commencer à exercer des pressions au cours de la prochaine année ou plus tard. À votre avis, quels sont les plus grands pièges qui nous attendent? Nous voulons prendre des mesures défensives, si vous voulez, et nous montrer un peu plus proactifs. Comment allons-nous empêcher le loup d'entrer dans la bergerie?

M. Ritchie: Je vais vous donner une réponse d'homme d'affaires très pragmatique, et si mes collègues du panel veulent intervenir, je leur en donnerai tout le loisir.

Tout d'abord, toute industrie canadienne, particulièrement dans les secteurs délicats comme le bois d'oeuvre ou l'agriculture, qui s'empare d'une part importante du marché américain, peut s'attendre à des pressions. Les accords de libre-échange n'ont pas neutralisé la nature humaine, et ils n'ont pas neutralisé non plus la nature du processus politique. Voyons le cas du bois d'oeuvre. Soyons justes, il s'agit d'une situation où le bois canadien s'est emparé d'un tiers du marché américain. D'où certains seuils de douleur. De la même façon, s'il s'agit de boeuf abattu, s'il s'agit de blé, s'il s'agit de pommes de terre, s'il s'agit de toute une gamme de produits, nous savons d'expérience que notre succès même nous vaudra à un moment donné une réaction politique aux États-Unis.

C'est la première chose. Deuxième chose, c'est que cette réaction n'a vraiment rien à voir avec le fait qu'on subvention ou qu'on fasse du dumping ou qu'on n'en fasse pas.

J'ai eu une rencontre privée l'autre jour avec un groupe qui comprenait un éminent spécialiste du commerce américain, qui a dit, bien sûr, si vous voulez éviter les droits compensateurs, la solution, c'est de ne pas subventionner. Je dois dire que c'est là un exemple parfait de la stupidité, de l'arrogance et de l'entêtement d'un monsieur qui vit à l'ombre du Capitol.

Il n'y a aucun rapport entre la probabilité d'une poursuite relative à des droits compensateurs, la réussite dans le système américain et les pratiques que nous avons au Canada. Autrement dit, vous avez beau être blanc comme neige, si vous réussissez à vous emparer d'une part importante du marché américain, vous allez subir des pressions politiques, et cela va se traduire dans une poursuite devant le tribunal du département du commerce, vous serez reconnu coupable, et la Commission du commerce international jugera que les producteurs américains ont été lésés et vous allez y goûter. Ce n'est pas joli, mais c'est la vie.

Heureusement, grâce aux mécanismes de règlement des différends de l'ALE, vous finirez par avoir gain de cause et serez remboursé. Entre-temps, vous allez éprouver des difficultés. J'aimerais bien qu'il n'en soit rien, mais c'est ce qui arrive.

Ce qui m'amène à ma troisième observation. À savoir, qu'il est très difficile de s'immuniser contre cela, à moins que vous vous interdisiez vous-même l'accès au marché américain. C'est une chose très difficile à admettre pour le libre-échangiste que je suis. Mais encore là, c'est la réalité. C'est la réalité avec laquelle l'industrie du bois est aux prises.

.1650

Vous avez donc le choix. Vous tâchez de ne pas leur faire mal, mais par contre si vous n'arrivez pas à vous emparer d'une part de leur marché qui est suffisante pour les irriter, alors vos affaires ne vont pas bien et vous allez devoir y voir. C'est facile de faire des menaces, et ça ne coûte pas grand-chose, et les enquêtes aussi, c'est facile et ça ne coûte pas grand-chose, mais si des pressions véritables se traduisent dans de vraies poursuites relatives à des droits compensateurs, si ça va jusque-là, attendez-vous à être traité inéquitablement dans le système américain.

Il y a une limite réelle à ce que vous pouvez faire. Évidemment, vous devez éviter autant que possible de vous engager dans des pratiques qui peuvent vous valoir des poursuites aux États-Unis. La loi américaine est tellement vague - et elle est restée vague après l'adoption de la loi relative à l'OMC - que l'on peut contester presque n'importe quelle pratique, et le fait que les Américains en font autant et même pire n'est jamais un argument pour l'intimé.

Les conseillers de votre industrie vont sans doute vous dire qu'il y a moyen de faire les choses d'une manière qui les irrite moins et qui suscite moins de poursuites. Mais le fait est que si l'on veut que les Américains acceptent davantage nos produits que ceux des autres produits du monde, il faut s'attendre à ce qu'ils réagissent au-delà d'un certain seuil de douleur, qu'ils tripotent les règles, et qu'ils trichent si nécessaire. Il faut tout simplement vivre avec ça.

M. Morrison: Vous êtes très encourageant.

M. Ritchie: Je dois aussi vous dire que dans une situation de ce genre, il faut vous entourer d'excellents conseillers.

Le président: Et ils sont gratuits ici.

Monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Sauvageau: Puisque M. Morrison devait nous quitter, je lui ai cédé mon tour de parole.

Le président: C'est très gentil de votre part. Maintenant, c'est à vous la parole.

M. Sauvageau: Je ne voulais cependant pas céder mon tour deux fois. Ça me fait plaisir de faire plaisir à mes amis réformistes.

Monsieur Ritchie, j'ai cru comprendre qu'on consultait 15 membres permanents lors de l'élaboration des traités. Vous avez parlé d'un comité de stratégie ou de consultation formé de15 membres qu'on consultait.

Sans m'en faire l'énumération complète, pourriez-vous me dire comment on choisit ces15 membres du comité auquel vous ou M. Crosbie faisiez allusion? Sont-ils des membres permanents ou y a-t-il une rotation des membres qui y siègent?

M. Ritchie: Au tout début, dans le cas de l'ALE, on avait 15 comités sectoriels, voire même16, puisqu'on avait un comité sur les industries culturelles et un autre qui survolait tout l'ensemble. On choisissait les membres parmi les PDG qui étaient carrément des leaders de leur industrie, cela en consultation avec les industries. La pratique a beaucoup évolué depuis. La chaleur du dossier n'est plus la même et l'expérience nous a laissé entrevoir que des améliorations pouvaient être apportées. M. Crosbie pourrait peut-être nous expliquer comment ils sont choisis ces jours-ci.

M. Sauvageau: Par exemple, dans le cadre du Chili et d'Israël, pouvez-vous me dire comment le comité de consultation a été mis en place et qui on consultait au niveau des entreprises?

[Traduction]

M. Crosbie: Je ne crois pas qu'on ait créé de comité consultatif particulier pour l'accord avec le Chili ou Israël. Nous avons une structure consultative permanente qui est composée de 15 groupes sectoriels. Chaque groupe sectoriel compte entre 10 et 15 membres. Comme M. Ritchie l'a dit, ils sont choisis en consultation avec l'industrie qu'ils représentent.

Ils sont choisis par le ministre du Commerce international et siègent au groupe pour deux ou trois ans. Outre les groupes sectoriels, qui s'intéressent à des produits particuliers comme la chaussure ou le textile, il y au un groupe appelé le groupe de travail sur la politique commerciale, qui est composé d'un PDG et du président de chaque groupe sectoriel.

.1655

Vous avez donc ces 15 groupes sectoriels, dont les présidents siègent à ce groupe de travail parapluie. En outre, le comité compte 15 ou 20 autres PDG, qui sont encore là choisis par le ministre et qui représentent les industries du Canada. On demande à ces comités permanents de nous conseiller sur les rapports Canada-Chili ou toute autre négociation que nous entreprenons.

M. Ritchie: Quel est leur mandat? Deux ans? C'était autrefois un mandat de deux ans.

M. Crosbie: C'est deux ou trois ans. Je ne m'en souviens pas.

[Français]

M. Sauvageau: Vous venez de parler du textile, monsieur Crosbie. Le Canada a signé un traité de libre-échange avec Israël en vue d'être égal aux autres pays comme les États-Unis et l'Union européenne qui avaient préalablement signé de tels accords.

Donc, Israël a un accord de libre-échange avec l'Union européenne, les États-Unis et le Canada. Le Canada a un accord de libre-échange avec les États-Unis et avec Israël, mais non pas avec l'Union européenne.

Advenant le cas d'un marché spécifique où Israël aurait avantage à avoir conclu un accord de libre-échange sur le textile avec l'Union européenne dont le Canada ne serait pas partie, comment pourrions-nous contrer cette concurrence «déloyale» ou désavantageuse pour le Canada? Dans le cadre de son accord de libre-échange, Israël pourrait aller chercher des tissus sans payer de taxe au niveau de l'Union européenne, ce que le Canada ne peut pas faire.

Est-ce que je fais erreur?

[Traduction]

M. McLeod: J'ai mentionné plus tôt cette horrible règle des origines. C'est exactement le genre de choses dont on saisit ce que nous appelons les groupes consultatifs sectoriels, les SAGIT - c'est l'acronyme qu'on utilise - les 15 SAGIT des divers secteurs, parce que c'est précisément le genre de choses dont on veut discuter lorsque cela se présente, si l'on soulève des questions.

Chose certaine, dans la négociation de l'ALE, dans la négociation de l'ALÉNA, dans toutes les négociations, on va voir chaque industrie et on lui dit ce que l'on sait de ses concurrents; vous savez où ils peuvent obtenir leurs produits. Comment allons-nous nous débrouiller avec ça, avec cette règle d'origine?

Dans ce cas particulier, dans n'importe quel pays, on dit, eh bien, ils font venir la plupart de leurs produits non finis ou semi-finis de Malaysia. On les importe, on fait juste un peu de finition, et ensuite on les exporte au Canada sous un nouveau nom. Il y a une règle d'origine qui dit que le pays est obligé de faire une minimum de travail dans son espace de libre-échange, sans quoi ces produits ne sont pas protégés par l'Accord de libre-échange.

Voilà pourquoi il doit y avoir une étroite consultation entre les négociateurs et l'industrie, parce que c'est l'industrie qui sert d'expert technique ici. Comme je l'ai dit au sujet de la règle d'origine, c'est un monde en soi, mais cela peut faire toute la différence dans le fonctionnement de l'Accord de libre-échange.

[Français]

M. Sauvageau: Est-ce que les règles d'origine s'appliquent au textile?

M. Ritchie: Oui, elles s'appliquent carrément au textile. En principe, elles devraient empêcher un pays comme Israël de profiter de tissus bon marché de l'Europe pour exploiter davantage le Canada. Tout dépend évidemment du bon fonctionnement de ces règles.

Par exemple, dans le cas de l'ALE avec les États-Unis, ce qui de prime abord était perçu par l'industrie comme un échec est maintenant interprété comme un très grand succès, à un point tel que, j'hésite à le dire, le Congrès américain commence à entendre pas mal de bruit à ce sujet. Le Canada a tellement bien réussi à négocier son accès qu'un bon nombre d'industriels du Québec qui confectionnent des complets de laine et fabriquent d'autres produits ont fait fortune.

.1700

M. Sauvageau: Maintenant, dans un tout autre ordre d'idées, dans votre document, monsieur Ritchie, vous présentez des exemples où le Canada a remporté des victoires dans le cadre de différends commerciaux, que ce soit dans le cas du bois d'oeuvre, des produits laitiers ou de la volaille, et où les États-Unis n'ont pas vraiment respecté le jugement de la cour. De quelle façon peut-on rendre le processus de règlement des différends commerciaux plus avantageux ou plus rigoureux afin d'amener des partenaires qui se voient imposer des peines à les respecter ou à satisfaire à ces conditions?

M. Ritchie: D'abord, je préciserai que les Américains ont respecté les décisions, mais qu'ils ont cherché d'autres moyens de les contourner. On pourrait dire que c'est de la mauvaise foi, mais une telle réaction fait partie de la vie quotidienne ou de la vie politique, comme vous n'êtes pas sans le savoir. Bien que ce ne soit pas toujours encourageant, je vous répète que sans ces règles, nous nous serions retrouvés nus devant ces assauts. Nous avons quand même fait beaucoup de progrès et je crois que la machinerie ou l'appareil de règlement de différends est tellement avancé en notre faveur, comme pays relativement petit, que nous pouvons être très fiers de notre progrès à cet égard.

Est-ce qu'il reste des lacunes? Oui, mais en bout de ligne, il faut toujours reconnaître, et je le répète, que dans le domaine du commerce, il n'y a pas de loi internationale. Il y a un affrontement de forces. En l'occurrence, si on touche directement aux intérêts stratégiques ou très sensibles politiquement d'un grand pays comme les États-Unis, il ne faut pas se raconter des histoires: ce dernier va réagir comme superpuissance.

Dans un autre contexte, on a vécu avec les Européens le cas de la morue. Je dois vous dire qu'à leur pire, les Américains sont beaucoup plus gentils que les Européens ou les Japonais ne le sont à leur meilleur. Je ne veux pas vous donner l'impression que je suis particulièrement critique des Américains. C'est dans le processus. C'est un processus démocratique, un processus politique, un processus de pression et de groupes d'intérêts. On ne peut jamais avoir de garanties, mais on a fait énormément de progrès. Les appareils que les fonctionnaires et négociateurs ont établis et la façon par laquelle ils les ont opérés ont carrément fonctionné à notre grand avantage.

M. Sauvageau: Merci.

Le président: Je signale à mes collègues que nous sommes convoqués à un vote à 17 h 30. La cloche se fera entendre pendant une demi-heure. Nous avons encore quelques minutes.

[Traduction]

Monsieur Cullen, vous avez d'autres questions.

M. Cullen: Merci, monsieur le président.

Merci, Gordon, pour ce sobre rappel à la réalité concernant le bois d'oeuvre. Pour ce qui est de notre part du marché, et je pense que c'est justement ce qui est en jeu, parce que la dernière fois, pour obtenir les 15 p. 100, ils ont fait intervenir les billes d'exportation. S'il y avait bien une chose qui montrait que tout ce contentieux était une fabrication, c'était bien ça. Mais c'est incroyable la quantité de ressources qu'il faut - de ressources économiques pour l'industrie et les gouvernements - pour contrer ce genre de choses.

Il y a peut-être un calcul intéressant ici. Lorsque vous atteignez les 18 ou 29 p. 100, accrochez-vous. C'est d'ailleurs peut-être ce que les quotas faisaient.

Mais j'aimerais m'écarter de ce sujet et parler peut-être un peu de ce programme de réexportation américain. Aux États-Unis, si je comprends bien, le prix intérieur du sucre est supérieur au prix mondial, et j'imagine que c'est pour venir en aide aux producteurs de betterave à sucre et de sucre de canne. Il y avait un accord relatif à ce programme de réexportation de sucre américain qui autorisait la réexportation de sucre au Canada, souvent sous forme de matières brutes comme les copeaux de chocolat ou les miettes ou peu importe. Ça arrive chez nous au prix mondial, et les entreprises canadiennes le prennent et en font des tablettes Mars, des corn flakes ou peu importe. Tout ce qu'on fait en réalité, c'est qu'on permet au sucre américain d'entrer au Canada à un prix mondial. L'industrie s'est restructurée en fonction de ce scénario. Une partie de la production se fait aux États-Unis, des mandats de production ont été émis au Canada, et maintenant on conteste ce programme de réexportation, j'imagine au niveau...

.1705

Est-ce que cela faisait partie des négociations de l'ALE ou de l'ALÉNA? Quels sont les engagements qui ont été pris par le gouvernement américain et le nôtre dans ce dossier?

M. Ritchie: Tout d'abord, ce problème est inhérent au système protégé. On voit la même chose pour les produits laitiers et la volaille. Si vous érigez une clôture autour d'un marché, vous aurez des prix artificiellement élevés pour cette denrée. En conséquence, vous allez défavoriser vos transformateurs, et ils vont vous demander de les subventionner pour qu'ils puissent être plus compétitifs. Chaque fois que vous avez un marché protégé, ce genre de problème se pose.

Vous allez trouver des pays - dans le cas de la volaille, ce sont les Américains qui visent notre marché, et dans le cas du sucre, ce sont les Canadiens qui visent le marché américain - qui vont se dire que ce serait bien de pouvoir mettre la main sur une denrée ayant un prix mondial et de la vendre sur un marché où les prix sont élevés. Même s'il faut faire un peu de transformation pour faire cela, il y a quand même moyen de faire un peu d'argent. C'est le problème fondamental qui se pose.

Dans les négociations sur le libre-échange, les Américains se sont âprement battus pour conserver leur programme de sucre - à savoir les restrictions qui maintiennent leur prix élevé - et pour limiter les importations de produits contenant du sucre. C'est une politique idiote. C'est la politique qui visait à mettre Castro à genoux et qui existe depuis 30 ans.

Pour en revenir à votre observation au sujet de l'intérêt public, les deux ou trois seuls bénéficiaires sont les deux ou trois grandes sucreries américaines, qui raflent ainsi un tas d'argent et contribuent généreusement au trésor électoral de certains sénateurs et membres du Congrès qu'on n'a pas besoin de nommer ici. Cela dit, les Américains ont conservé dans l'ALE, et plus tard dans l'ALÉNA, le droit de gérer ce programme.

Pour ce qui est de son statut actuel, M. McLeod voudrait peut-être répondre.

M. McLeod: Étiez-vous présent à la rencontre avec le ministre Goodale?

M. Cullen: Oui.

M. McLeod: J'étais là moi aussi, assis à l'arrière.

M. Cullen: C'était toute une conférence.

M. McLeod: Nous avons eu la grande guerre du sucre. Comme vous le savez, l'industrie canadienne était amèrement divisée. Je sais de quel côté vous étiez - il y a une autre équipe de l'autre côté - et je pense que vous savez maintenant de quel côté le ministre Goodale se trouve. Nous allons probablement recevoir des instructions...

M. Cullen: J'étais quelque peu déçu, mais j'imagine que ce n'est pas fini.

M. McLeod: J'hésite à vous répondre un peu ici, parce que, de toute évidence, je vais collaborer à la préparation de notre cause. Je ne veux pas en dire trop à l'avance au ministre du Commerce américain, mais j'imagine que l'article 303 de l'ALÉNA sera au coeur de ce débat et qu'il faudra interpréter cet article conjointement avec l'annexe 303.

L'annexe 303 prévoit une exemption aux obligations. Il ne s'agit pas de remise ou de droits compensateurs. Il s'agit d'une disposition qui englobe tous les secteurs. Au Canada, il nous a été très pénible de supprimer tous les programmes de remise que nous avions, et cela a causé beaucoup de malaise. Les Américains ont conservé une exemption pour le sucre raffiné à cette obligation de l'annexe 303. On n'y mentionne pas les produits contenant du sucre - le genre de chose que vous mentionniez - et ce sera là le sujet de ce contentieux. Disons que les Américains interprètent cette disposition plus librement que nous.

M. Cullen: Puis-je poser une question supplémentaire, rapidement?

À cette rencontre, on ne savait pas trop si les Américains s'étaient engagés à se défaire de cette disposition. D'ailleurs, j'ai lu la lettre que M. Katz - qui a pris une part très active à la négociation - a écrite, où il disait qu'il ne se souvenait pas s'ils avaient...

M. McLeod: C'est un texte rédigé avec la plus grande prudence.

M. Cullen: Avec la plus grande prudence, en effet. D'accord. Je vais la relire.

M. Ritchie: Quand on a affaire à Julius, il faut lire deux ou trois fois.

M. McLeod: C'est une lettre pleine de bémols.

.1710

M. Cullen: Oui, alors laissons tomber.

M. McLeod: On pourrait en causer longtemps, mais nous manquons de temps.

Le président: C'est exact, et je vais vous poser une petite question.

Bien sûr, j'aime vous entendre dire que les produits et services culturels ne sont pas des artifices. Dans le bon vieux GATT, il y avait diverses règles commerciales pour les produits industriels et agricoles. On admettait que l'agriculture était un secteur différent. Y a-t-il moyen de s'entendre sur des règles commerciales particulières pour les produits et services culturels? Les exemptions signifient en substance que ces accords ne touchent pas ce qui ne doit pas être touché, mais ils ne nous protègent pas des représailles ou des mesures unilatérales prises par certains de nos partenaires. Ce qui est bien sûr la négation de la primauté du droit.

À votre avis, outre les règles sur les investissements et les services, y a-t-il moyen de s'entendre sur des règles commerciales qui protégeraient bien les produits culturels?

M. Ritchie: Sur le plan technique, c'est sûrement possible. Vous êtes mieux placés que moi pour dire si c'est possible sur le plan politique. Ça va être très difficile. Encore là, il y a essentiellement des tas de bémols. Là où nous sommes les plus faibles dans ce créneau très étroit, c'est dans le dossier des exemptions fiscales concernant les éditions séparées. Ici, si l'on en croit le préambule de l'OMC, il semble que nous contrevenons à des règles que nous avons nous-mêmes acceptées. C'est la pire situation.

La situation de l'exemption est meilleure. Ici, nous n'avons pas accepté les règles, ce qui veut dire en substance que n'importe quel autre pays peut agir contre nous, mais qu'en pratique, ces pays seront moins tentés d'agir que ce ne serait le cas si nous contrevenions nettement à nos propres engagements. Mais ce n'est qu'un cran au-dessous.

Le mieux, de toute évidence, ce serait un nouvel ensemble de règles reconnaissant que ces produits sont très différents des autres - et il y a quelques observations évidentes à faire ici. La première, c'est que l'un des principaux intérêts commerciaux et l'un des principaux produits d'exportation des États-Unis, c'est le divertissement. L'un des principaux instruments que les grands producteurs de films américains, par exemple, utilisent pour contrôler leur marché intérieur, c'est la monopolisation des marchés extérieurs.

J'avoue avoir un peu la nausée lorsque j'entends M. Valenti dire qu'il s'intéresse à ces marchés et qu'il faut laisser le consommateur décider, et je ne sais quoi d'autre. Tout le monde le sait, il a passé sa vie à s'assurer que les marchés ne fonctionnent pas librement et que les consommateurs ne puissent pas choisir, et à monopoliser son marché intérieur. Lorsqu'on a fait valoir des arguments antitrust là-bas, il a essayé de monopoliser le marché canadien et d'autres marchés extérieurs afin de contrôler son marché intérieur.

Les Américains jouent ce jeu parce qu'ils ont des intérêts commerciaux énormes. Il sera extraordinairement difficile de leur faire admettre des règles qui limiteraient leurs moyens ici. Voilà pourquoi je pense que, à un moment donné, le gouvernement canadien va se chercher des alliés. Je pense qu'il y a moyen de trouver des alliés, particulièrement en Europe - et encore là je pense que vous avez plus d'expérience que moi ici - mais à un moment donné il va falloir dire que ce n'est tout simplement pas négociable, que nous ne sommes pas disposés à accepter de fausses règles dans ces industries. Mais avant, nous aurons intérêt à bien montrer que c'est un cas unique.

Lorsque la négociation sur l'ALE a commencé, l'industrie de l'imprimerie était considérée comme une industrie culturelle. Cela ne m'a pas dérangé du tout de la retrancher de la définition d'«industrie culturelle», et d'ailleurs, les imprimeurs canadiens ont très bien réussi aux États-Unis. Il est donc nécessaire de cibler nos objectifs du mieux que nous pouvons avant d'aller plus loin.

Deuxièmement, comme l'a dit le ministre du Commerce international, je pense que nous ferions mieux de repenser le genre d'instruments que nous utilisons pour obtenir ces résultats. Il y a des instruments qui sont plus acceptables que d'autres, d'autres instruments qui sont moins acceptables, certains qui coûtent davantage, et d'autres qui sont plus visibles.

.1715

Encore une fois, cette question mérite d'être étudiée de très près, mais à titre de défenseur du libre-échange, je ne suis simplement pas prêt à voir mon gouvernement plier l'échine devant les exigences qui feraient que ces industries seraient traitées comme les autres et que les géants médiatiques américains pourraient tirer parti d'avantages commerciaux clairement injustes pour inonder le tout petit jeu de marchés où les producteurs canadiens peuvent encore vendre leurs produits. Je crois qu'un gouvernement qui penserait autrement ne ferait pas long feu.

Le président: Merci beaucoup. Malheureusement nous devons mettre fin à cette réunion. Vos commentaires nous ont été fort utiles. Nous vous en remercions.

La séance est levée.

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