1. Cette opinion dissidente est présentée afin de traiter de certaines lacunes du rapport sur le régime de nomination à la magistrature fédérale déposé par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes (rapport).
1.1 Le rapport a comme objectif de donner suite aux préoccupations soulevées dans la motion de l’opposition du 27 février 2007. Au nombre des préoccupations exprimées, on compte des allégations « de partisannerie et d’influence idéologique » exercées par le gouvernement conservateur en ce qui concerne la façon dont il s’en remet aux Comités consultatifs de la magistrature fédérale afin de prodiguer des conseils au ministre de la Justice.
2. Le rapport est truffé de lacunes à son niveau le plus fondamental, car il est fondé sur des intérêts partisans et un mythe de nature idéologique plutôt que sur des éléments probants qui étayent l’hypothèse selon laquelle les modifications au processus régissant le Comité consultatif de la magistrature fédérale débouchent sur des candidats différents et moins méritants.
2.1 Malheureusement, le rapport lui-même est compromis par ce que ses auteurs prétendaient vouloir prévenir : une influence de nature partisane et idéologique. Plutôt que de reconnaître le fait que le nouveau processus a amélioré, et non affaibli, la procédure de nomination à la magistrature, la majorité des membres du comité ont préféré soulever des préoccupations liées à la partisannerie en épousant la thèse d’une influence partisane exercée par le gouvernement conservateur. De plus, la structure même du rapport soulève des doutes. La procédure parlementaire normale est de formuler uniquement des recommandations de fond par le truchement d’un rapport de comité. Toutefois, ce rapport comporte des « propositions », ce qui constitue une pratique inhabituelle qui a pour conséquence de brouiller la ligne de démarcation entre l’intention et la conclusion. Il ressort manifestement de ce rapport que les recommandations ayant obtenu l’appui d’une majorité de membres sont fondées sur la promotion d’une « idée » qui pourrait être exploitée sans problème afin de réaliser des gains partisans à court terme. Inversement, la force morale nécessaire pour tirer toute autre conclusion ferme fait nettement défaut aux « propositions » formulées par une majorité de membres. Essentiellement, cela a donné lieu à une reconnaissance par la majorité des membres du comité qu’un processus fondé sur des hypothèses erronées ne pourrait jamais déboucher sur des conclusions concrètes.
2.2 Le rapport ne parvient pas à démontrer de manière crédible que les modifications apportées au processus du Comité consultatif de la magistrature fédérale auraient eu d’une quelque façon des répercussions sur la qualité des nominations à la magistrature effectuées par ce gouvernement depuis son accession au pouvoir. Le rapport ne parvient pas non plus à étayer l’allégation selon laquelle, depuis 2006, les Comités consultatifs de la magistrature fédérale fonctionnent d’une manière susceptible de porter atteinte à l’indépendance du système judiciaire ou à l’évaluation adéquate des compétences des candidats à la magistrature. Une telle allégation constituerait une critique sans fondement concernant la qualité et les compétences juridiques des 98 personnes nommées à des cours supérieures par ce gouvernement depuis l’amorce de son mandat.
2.3 Le ministre de la Justice continue d’être guidé par des principes fondés sur le mérite et l’excellence dans le domaine du droit en ce qui a trait à la sélection des juges et à la nomination de ces derniers aux cours supérieures des provinces et aux cours fédérales du Canada. De plus, le ministre continue de recevoir des conseils de la part des Comités consultatifs de la magistrature fédérale, de sorte qu’il puisse proposer des candidats méritants à la magistrature d’une instance juridique donnée en souscrivant au principe d’équilibre entre les hommes et les femmes, de prestation des services dans les deux langues officielles et de diversité culturelle.
2.4 De plus, des facteurs soulignés dans les conseils prodigués au ministre par les membres des Comités consultatifs de la magistrature fédérale, tels que la participation communautaire et le service à la profession, s’ajoutent également à l’évaluation générale des candidats à la magistrature canadienne.
2.5 Chacune des 98 nominations à la magistrature canadienne effectuées par ce gouvernement souscrit véritablement à des principes fondés sur le mérite et les compétences juridiques concernant les nominations à la magistrature.
2.6 En ce qui a trait à l’équilibre et à la diversité, le gouvernement conservateur a maintenant procédé à des nominations au sein de neuf des dix provinces (la province de l’Île-du-Prince-Édouard n’avait pas de postes à pourvoir), au sein d’un des trois territoires (les territoires du Nunavut et du Yukon n’avaient pas de postes à pourvoir) ainsi que dans chacune des instances juridiques suivantes : la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel fédérale, la Cour fédérale du Canada et la Cour canadienne de l’impôt.
2.7 Plus du tiers des personnes nommées à la magistrature étaient des femmes et plus du tiers étaient des hommes et des femmes capables de s’exprimer en français et en anglais et qui, au moment de leur nomination, étaient en mesure de siéger dans les deux langues officielles du Canada. Un certain nombre de ces candidats nommés à la magistrature (environ de 5 à 15 p. cent) ont fait part de leur volonté d’acquérir les compétences linguistiques nécessaires afin d’être capables de siéger dans les deux langues officielles.
2.8 De plus, ce gouvernement a fait figure de pionnier sur le plan de la diversité culturelle en nommant à la magistrature pour la première fois dans l’histoire canadienne une femme noire à la Cour supérieure du Québec et à la Cour canadienne de l’impôt ainsi qu’un homme appartenant aux Premières nations à la Cour fédérale du Canada.
2.9 En dernier lieu, ce gouvernement reconnaît que la combinaison requise du mérite et de l’excellence dans le domaine du droit est également présente chez les juges des cours de ressort provincial et territorial. Parmi les juges de cours provinciales et territoriales qui ont manifesté leur désir de siéger à une cour supérieure provinciale ou à une cour de ressort fédéral, sept d’entre eux ont été choisis pour pourvoir ces postes depuis le mois de janvier 2006. Deux de ces sept juges de cour provinciale (tous deux capables de s’exprimer dans les deux langues officielles) ont été nommés directement à leur cour d’appel provinciale respective, ce qui tranche avec la période s’échelonnant de 2000 à 2005, où seulement 10 juges de cour provinciale ont été nommés à une cour supérieure.
2.10 Les Comités consultatifs de la magistrature fédérale de 2006 ont entamé leurs activités il y a maintenant presque six mois, et les conseils prodigués au ministre concernant la détermination des candidats qui possèdent les compétences et les qualités nécessaires sur le plan juridique obéissent à la même structure. Le choix des candidats qui répondent aux exigences du poste continue d’être effectué par voie de consensus dans presque tous les cas. Le président de chacun des Comités consultatifs de la magistrature fédérale continue de jouer un rôle actif dans la détermination des compétences et des qualités que son comité juge essentielles pour pourvoir un poste à la magistrature.
3. De plus, le rapport comporte de manière générale des lacunes, car ses conclusions et ses recommandations sont soit incomplètes ou contradictoires, soit simplement infondées à la lumière de l’ensemble des éléments soumis à l’étude du comité.
3.1 De manière générale, le rapport est truffé de lacunes à plusieurs égards :
(1) Le rapport ne parvient pas à reconnaître la nature du processus régissant le Comité consultatif de la magistrature fédérale.
En effet, le rapport ne parvient pas à reconnaître que le processus lié au Comité consultatif de la magistrature fédérale a été mis sur pied afin d’appuyer, ce qui continue d’être le cas à ce jour, le ministre de la Justice dans son rôle de prodiguer des conseils au gouverneur en conseil qui, à son tour, doit conseiller le Gouverneur général du Canada. Le processus ne cherche pas à passer outre aux pouvoirs du ministre. En bout de ligne, c’est le Gouverneur général du Canada qui a le pouvoir et la responsabilité, en vertu de l’article 96 de l’Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, de nommer les juges aux cours supérieures du Canada.
(2) Le rapport ne parvient pas à reconnaître que le processus régissant le Comité consultatif de la magistrature fédérale a fait l’objet de nombreuses modifications depuis le début des activités des Comités consultatifs de la magistrature fédérale en 1998.
Des débats au sujet du processus lié au Comité consultatif de la magistrature fédérale ainsi que des modifications apportées à la structure de ce dernier ont eu lieu à plusieurs reprises, particulièrement en 1988, 1991, 1994, 1999, 2005 et 2006. Le comité n’a été saisi d’aucun élément probant qui confirmerait que l’ensemble ou même la plupart des modifications antérieures furent mises en œuvre à la suite de vastes consultations en dehors du gouvernement et des ministères. Il semblerait que dans certains cas les modifications aient été précédées de consultations publiques, alors que d’autres modifications n’ont fait l’objet d’aucune consultation. Bien qu’aucun élément probant n’ait été présenté, les archives publiques montrent que certaines des modifications effectuées en 2006, telles que le retour à seulement deux catégories d’évaluation, ont en fait rétabli des procédures employées auparavant par des Comités consultatifs de la magistrature fédérale. Bien que les auteurs du rapport préconisent dans leur seconde recommandation de rétablir un processus assorti de trois catégories d’évaluation, rien n’est mentionné dans le rapport pour reconnaître que le processus assorti de deux catégories d’évaluation fut utilisé avec succès par le passé. De plus, le rapport ne reconnaît pas que certains témoins, dont le témoignage était par ailleurs prisé par la majorité des membres, ont au mieux exprimé leur indifférence relativement à l’idée de rétablir trois catégories d’évaluation.
(3) Le rapport ne tient pas compte du témoignage de certains témoins.
Des membres de la communauté des organismes d’application de la loi, un juge à la retraite ainsi que d’autres témoins ont présenté au comité des renseignements concluants à l’effet que le processus régissant le Comité consultatif de la magistrature fédérale, bien qu’imparfait, fonctionnait bien et qu’une plus large représentation continuerait de fournir au ministre des conseils judicieux concernant le choix des candidats qui possèdent les compétences et les qualités nécessaires sur le plan juridique afin de s’acquitter de leur rôle de juge au sein des cours canadiennes.
3.2 La rapport énonce au second paragraphe que « […] récemment, on a modifié la composition des comités consultatifs de la magistrature qui aident à choisir les juges et le mode de sélection des juges ». Ce passage laisse faussement entendre que les Comités consultatifs de la magistrature fédérale ont un rôle à jouer dans l’application des pouvoirs conférés exclusivement au Gouvernement général du Canada en vertu de l’article 96. Il n’existe aucune loi, qu’elle soit primaire ou secondaire, qui prouve cette allégation.
3.3 Dans le Rapport, le raisonnement selon lequel la participation d'agents de la paix au comité consultatif serait inappropriée est ambigu. D’abord, dans le premier paragraphe de la partie 1 intitulée Composition des comités consultatifs de la magistrature, on mentionne que « le problème que pose la présence de policiers au sein des comités de nomination est plutôt un problème de perception ». Puis, dans le deuxième paragraphe, on peut lire que « la présence d'un représentant de la police à un comité de nomination qui ne serait pas contrebalancée par la présence d'une personne représentant les avocats de la défense, par exemple, risque de donner l'impression que les juges sont choisis parmi des candidats qui soutiennent les intérêts de la police ». Toutefois, dans la dernière phrase de cette même partie, tout juste avant la première recommandation des auteurs du rapport, on peut lire que « le ministre de la Justice [est] habilité à nommer un agent de police à un comité consultatif à la magistrature en tant que représentant de la collectivité ».
3.4 Il semble que ces énoncés soient contradictoires. En effet, d’une part, les auteurs du rapport semblent d’avis que même la participation d'un seul agent d'exécution de la loi au sein du comité poserait un problème de perception quant à l’intégrité du processus de sélection des juges qui siégeront à la magistrature. D’autre part, depuis 1988, le Ministre a toujours été habilité à nommer un agent de la paix à titre de membre de la communauté juridique qui est en mesure d’émettre son avis dans le cadre du processus d’évaluation des compétences professionnelles et du mérite des candidats. Par ailleurs, la participation d’un avocat de la défense au sein d’un comité consultatif ne poserait-elle pas, elle aussi, un problème de perception ? Il ne fait aucun doute qu'il serait possible de dresser une liste d’éléments rédhibitoires qui empêcheraient tous et chacun de siéger à un comité consultatif. Ainsi, pour des raisons qui demeurent nébuleuses, les députés de l’opposition ont choisi de prendre à partie, entre plusieurs groupes, les agents de la paix en alléguant qu’ils n’avaient pas le professionnalisme requis pour exercer avec intégrité des fonctions au sein d'un comité consultatif. I l est à noter que le prétendu préjudice dont il est ici question a été mentionné à de nombreuses reprises au cours des audiences des comités consultatifs. D’ailleurs, au paragraphe 86 du Rapport, on laisse entendre que les agents de la paix auraient recours à leur nouvelle influence au sein des comités consultatifs afin de nommer aux postes de juge des personnes qui ferment les yeux sur les inconduites des policiers.
3.5 Les nominations à la magistrature par le gouverneur général continueront d’être fondées sur le mérite et sur les compétences professionnelles hors pair des candidats tout en prenant en considération les conseils provenant d’une grande variété d’intervenants.
3.6 Depuis que les comités consultatifs de la magistrature fédérale ont été créés en 1988, leur objectif sous-jacent a toujours été de servir de forum pour une grande variété d'intervenants. Les modifications apportées en novembre dernier à la composition des comités consultatifs permettent maintenant à des gens provenant d’une grande variété de milieux de contribuer aux discussions ainsi qu’à l’évaluation des compétences et du mérite des candidats à la magistrature fédérale.
3.7 Le fait de permettre aux agents de la paix, qui jouent un rôle aussi important que les avocats et les juges dans l’administration du système judiciaire, de faire connaître leur avis ajoutera une nouvelle dimension à l'examen des compétences et des qualifications des candidats à la magistrature fédérale et à la recommandation de candidats.
4. La conclusion de la présente opinion dissidente est que le Rapport comporte d’importantes failles et que les recommandations et les suggestions qu'il comporte ne devraient pas être mises à exécution.
4.1 Les recommandations du Rapport en regard du processus de sélection par les comités consultatifs, processus qui repose sur des fondements constitutionnels et historiques et sur des faits établis, ne sont pas appuyées par des arguments objectifs. À l’exception de la recommandation 4, qui est une simple question administrative, il n’existe aucune preuve ni aucun argument solide dans le Rapport justifiant la modification d’un processus qui est en place depuis près de vingt ans et qui est efficace. Ce processus permet de procéder à une évaluation complète des compétences ainsi que du mérite des candidats par une grande variété d’intervenants et ainsi de doter le pays d’excellents juges au sein des différents tribunaux.