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Opinion dissidente

du Nouveau Parti démocratique

au rapport sur le secteur des services

du Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie

Respectueusement soumis par :

Peggy Nash, députée


Introduction

Les membres du Comité de l'industrie se sont penchés sur les principaux défis qui se posent au secteur des services et ont travaillé d’arrache-pied pour s'entendre sur les recommandations à inclure dans le rapport.  Certaines propositions ont fait l’unanimité, mais d’autres ont donné lieu à de fortes divergences de point de vue.  Nous estimons que certaines recommandations amèneront le Canada vers un tournant fatidique et nuiront irréversiblement et inutilement à notre économie.  C'est pourquoi nous avons jugé bon de présenter le présent rapport dissident.

Vue d'ensemble de l'économie : le fossé se creuse

Le portrait exagérément optimiste de l'économie canadienne qui est présenté dans le rapport du Comité va à l'encontre des prévisions de bien des économistes et n’est pas représentatif de la réalité de bon nombre de Canadiens.  Si, effectivement, certains secteurs d’activités ont prospéré et connu des pénuries de main-d'œuvre, d'autres par contre, comme les entreprises manufacturières, forestières et touristiques, éprouvent de graves difficultés, en particulier en raison de la longue période de ralentissement économique qui frappe certains secteurs névralgiques de notre économie.  Selon les plus récents rapports sur le marché du travail, le taux de chômage atteint ou dépasse 7 p. 100 dans sept grandes agglomérations urbaines.

Le secteur manufacturier est en crise.  Au-delà de 350 000 emplois bien rémunérés ont été éliminés depuis 2002.  En fait, les emplois disparaissent à un rythme de plus en plus rapide puisque le nombre de pertes d’emplois depuis avril 2007 atteint 112 000.  À la place, des emplois peu rémunérés sont créés dans le secteur des services, et le travail autonome, que l'on fait passer pour de la création d'emploi, prend de plus en plus d’ampleur.

Les chiffres les plus révélateurs proviennent d'un récent rapport de Statistique Canada selon lequel au cours des 25 dernières années, l'écart entre les riches et les pauvres s'est creusé au Canada.  Si les riches ont accumulé 16 p. 100 plus de richesses, le revenu des Canadiens les plus pauvres a diminué de 20 p. 100.  Entre les deux, il y a tous les autres Canadiens qui se retrouvent à devoir travailler plus longtemps et plus fort simplement pour ne pas perdre de terrain1.  Leurs revenus stagnent.  Pendant ce temps, les épargnes des particuliers atteignent leur niveau le plus bas et le niveau d'endettement personnel atteint un sommet sans précédent.  L'économie canadienne a peut-être progressé, mais bien des Canadiens n'ont pu en profiter.

Le secteur des services au Canada

Le secteur des services au Canada occupe une place de choix dans notre économie en évolution, d’où l’extrême importance des recommandations du Comité visant à en promouvoir et à en soutenir l’essor.  Si certains secteurs d'activités, comme la médecine dentaire et les services bancaires d'investissement, comptent un grand nombre de professionnels bien rémunérés, d'autres comme les secteurs de la vente au détail, de la restauration, du tourisme et des services personnels, génèrent surtout des emplois précaires, peu rémunérés et aux horaires irréguliers.  C’est là un énorme défi pour les travailleurs et les entreprises œuvrant dans ces secteurs.

Certains segments clés du secteur des services sont publics. Le NPD croit que nos programmes sociaux et notre infrastructure publique ont besoin d’investissements sûrs et stables pour rattraper des années de négligence.  Il ne faut pas que les allègements fiscaux consentis aux sociétés en compromettent le financement.  Nous nous inquiétons vivement de ce qu’à la longue, les largesses fiscales finissent par nuire à notre capacité de bien financer les services sociaux et leur infrastructure.

Stratégie fiscale

Le NPD souscrit au principe général selon lequel l'impôt sur le revenu des particuliers doit être juste, équilibré et progressif.  Les taux d'imposition des sociétés devraient eux aussi être équilibrés et suffisamment élevés pour contribuer au bien public, sans pour autant avoir d’effet dissuasif sur l’économie.  La stratégie fiscale proposée dans le rapport témoigne d’un parti pris beaucoup trop marqué à l’égard de réductions d'impôt généralisées pour les particuliers et les sociétés.

Impôt sur le revenu des particuliers

Une réduction générale comme celle proposée dans le rapport aura pour effet de réduire la facture fiscale de tous les particuliers sans égard à leurs revenus.  Ainsi, plutôt que de profiter uniquement aux contribuables à faible revenu, la baisse d’impôt s’appliquera aussi aux contribuables à revenu élevé, qui n’en ont guère besoin, et coûtera cher au Trésor public.  De même, la capacité du gouvernement d'investir dans les prestations et les programmes sociaux, dont ces mêmes contribuables à faible revenu sont si nombreux à se prévaloir, s'en trouvera réduite.

Impôt sur le revenu des sociétés

Le gouvernement fédéral a déjà présenté deux budgets comportant de fortes baisses des taux d'imposition des sociétés, après l'adoption de réductions semblables par les gouvernements précédents.  Ces mesures réduiront la capacité financière du Canada de 15 milliards de dollars par année d'ici 2012 et feront porter un fardeau plus lourd aux particuliers, puisque l'impôt sur le revenu des particuliers continuera d'augmenter.  Ces milliards de dollars d’allègements fiscaux consentis aux sociétés profiteront essentiellement à l'industrie pétrolière et au secteur bancaire, qui sont déjà passablement à l'abri des pressions internationales et n'ont pas besoin de mesures de stimulation.  Par ailleurs, peu d'excédents pourront ainsi être dégagés pour relancer des secteurs en déclin, comme le secteur manufacturier.

Plus important encore, ces mesures compromettent notre capacité d'investir dans nos villes et nos programmes sociaux.  La Fédération canadienne des municipalités estime entre 60 et 100 milliards de dollars, le déficit actuel du Canada au niveau des infrastructures.  Il y a aussi d'autres besoins financiers dans les secteurs de la santé, du logement, de l'éducation, de la garde d'enfant et de l'environnement, qui sont tous essentiels à notre prospérité économique et sociale.

Avec la récession économique qui s'amorce aux États-Unis, les économistes prévoient un nouveau ralentissement au Canada. L’incertitude économique actuelle de même que le besoin de soutien financier de certains secteurs d’activités et la nécessité de remédier au déficit des dépenses sociales sont autant de raisons qui nous incitent à ne pas appuyer les recommandations du rapport portant sur les réductions fiscales.

Pour offrir au secteur des services le meilleur contexte social et économique possible, le gouvernement du Canada doit mettre fin au cycle des réductions fiscales qui mettent en péril la capacité financière du pays.  Il doit aussi cesser de flirter avec l'idée de privatiser en bloc les ressources publiques par l'entremise des partenariats publics-privés (PPP), qui ne ferait que compromettre encore davantage notre capacité financière.  Si certaines initiatives exigent une collaboration entre les secteurs public et privé, par exemple la commercialisation de nouvelles technologies, il reste que c'est souvent la population qui fait les frais des PPP, sans pour autant en tirer parti puisque les retombées profitent surtout à des intérêts privés.

Commerce interprovincial

Sans avoir vraiment approfondi le sujet, le Comité recommande d'appuyer sans réserve les ententes sur le commerce interprovincial, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre.  Le NPD comprend les préoccupations du Comité au sujet des barrières interprovinciales, mais ne peut souscrire à une politique visant à appuyer inconditionnellement l'abolition de tous les obstacles au commerce, à l'investissement et à la mobilité de la main-d’œuvre d’une province à l’autre.  C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’Entente sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre conclue par la Colombie-Britannique et l'Alberta, que le Comité appuie inconditionnellement.

Les gouvernements imposent souvent des limites aux investissements privés. Dans certains cas, ils sont motivés par le désir de protéger des services désignés d'importance.  Dans d'autres cas, les gouvernements ont recours à des subventions et à des politiques d'approvisionnement pour appuyer le développement économique local.

L’Entente sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre laisse peu de place à l'élaboration de politiques de nature à servir l'intérêt public.  Elle impose en effet des restrictions sans précédent aux gouvernements provinciaux concernés et ce, sans tenir compte de l'existence ou non de règles du jeu égales pour les entreprises de l'une ou l'autre province.

Des ententes comme celle-ci privilégient indûment la déréglementation.  Il est difficile de concilier les règlements et les normes dans la mesure où le secteur privé a plus souvent tendance à se plaindre des règlements parce qu'ils imposent trop de contraintes — et non parce qu'ils n'en imposent pas assez.  Il est également inquiétant de constater que des secteurs comme la santé et l'éducation ne sont pas expressément exclus, et il en va de même pour l'agriculture, le tourisme, les parcs, la conservation du patrimoine, la protection du consommateur et l'aménagement du territoire.

L'étendue des pouvoirs conférés est particulièrement préoccupante parce que ceux-ci s'accompagnent de mécanismes de règlement des différends à caractère punitif qui peuvent avoir un effet « dissuasif », au sens où les gouvernements hésitent à abolir certaines mesures ou refusent d'en adopter de nouvelles de peur de s'exposer à des contestations en vertu de l’Entente. Le NPD ne peut emboîter le pas et souscrire lui aussi à des ententes interprovinciales d'une aussi vaste portée, qui entravent autant la gestion locale et la prise de décisions en fonction de l'intérêt public2.

Enfin, en ce qui concerne la réduction des obstacles économiques entre provinces, il nous paraît irréaliste et indésirable que le gouvernement joue un rôle de chef de file à cet égard. Toute entente interprovinciale en la matière doit être dirigée et négociée en grande partie, sinon complètement, par les gouvernements provinciaux et les institutions locales. Le gouvernement fédéral doit s’abstenir de prendre position ou d’assumer un rôle de chef de file sur ces questions sans dûment consulter les provinces au préalable.

Commerce international

Le rapport demande que le gouvernement du Canada mise sur les accords commerciaux multilatéraux et bilatéraux conclus antérieurement, comme l’ALENA.  Cette recommandation tient pour acquis que la libération des échanges bilatéraux et multilatéraux engendrera une prospérité durable et réelle et permettra de créer des emplois, mais elle ne tient aucun compte des faits qui trahissent une accentuation des disparités, ni de l’existence de nombreux autres modèles commerciaux qui reposent sur des hypothèses de base et des solutions différentes.

Nous nous inquiétons du peu de transparence et de débat public au sujet de la position du gouvernement canadien dans les pourparlers de Doha, notamment en ce qui concerne l'élargissement de l’AGCS (Accord général sur le commerce des services), qui pourrait avoir d'énormes conséquences pour les services, qu’il s’agisse de l'éducation postsecondaire ou du secteur de l'énergie, ou encore de l'assurance-maladie ou des jeux de hasard.

L'ALENA et le commerce bilatéral et multilatéral

L'ALENA et le commerce bilatéral et multilatéral

Des rapports récents et de longue date montrent que même si le Canada est partie à l’ALENA, il existe ici une disparité croissante en ce qui concerne la création de la richesse.  Les pauvres continuent de s'appauvrir, les riches continuent de s'enrichir et la classe moyenne fait du sur place.  Peu importe ce qui peut se dire par ailleurs sur les répercussions de l'ALENA, cet accord a sans contredit réduit la marge de manœuvre dont disposent les gouvernements canadiens pour élaborer des politiques.

Les accords bilatéraux du genre de l’ALENA ont accentué le dumping fiscal, social et écologique; ce qui a entraîné une baisse des impôts, une réduction des programmes sociaux et un affaiblissement des normes environnementales, les exigences des investisseurs l’emportant toujours sur le développement social, les droits des travailleurs et les impératifs environnementaux.

Dans le cadre de l’ALENA, le gouvernement du Canada a concédé aux États-Unis un accès privilégié à nos ressources pétrolières et gazières, hydriques et forestières stratégiques en échange d’un mécanisme contraignant de règlement des différends qui ne fonctionne pas, comme la crise du bois d’œuvre l’a démontré.

Étant donné les nombreux problèmes et sujets de préoccupation qui persistent quant aux répercussions de traités comme l’ALENA sur l’environnement et les normes du travail, on doit se garder d’appuyer aveuglément de futures ententes semblables.

Une politique commerciale équilibrée

Le NPD croit que toute stratégie commerciale canadienne doit faire une place à tout le monde et ne pas céder le contrôle des éléments de notre politique d’expansion industrielle et de notre politique énergétique grâce auxquels les objectifs du marché demeurent compatibles avec l’intérêt public. Toute politique commerciale canadienne doit concilier les besoins des entreprises et ceux des citoyens et de la société civile du Canada et être assortie des politiques complémentaires voulues pour assurer les investissements publics requis dans la santé, l’éducation et les infrastructures3.

La culture et les arts

Le NPD se réjouit de voir que le Comité a formulé des recommandations qui profiteront directement à nos artistes et à nos entreprises culturelles.

Les néo-démocrates militent depuis un moment déjà en faveur d’un étalement de l'impôt, en particulier pour les artistes.  Les professionnels œuvrant dans le secteur culturel sont considérablement désavantagés du point de vue fiscal.  Leurs revenus fluctuent beaucoup d'une année à l'autre.  Dans les années fastes, les artistes paient davantage d’impôt parce que leur revenu correspond à la tranche supérieure d’imposition, de sorte qu'ils n'ont guère la possibilité d'économiser en vue des années moins fastes.  Plus important encore, il y a là une question d'équité fiscale puisque bon nombre d'artistes finissent par payer plus d'impôt que quelqu'un qui a gagné globalement le même revenu au cours pendant la même période.

Nous sommes également favorables à l'adoption de règlements pour favoriser le contenu canadien et la propriété canadienne dans le secteur des médias.  Le Canada est bombardé quotidiennement de productions en provenance des États-Unis, qui sont le plus important et le plus efficace exportateur de contenu culturel au monde.  Les travailleurs culturels canadiens sont grandement désavantagés face à la concurrence américaine et il importe d'adopter de tels règlements pour contribuer au développement d'une identité canadienne distincte et d'un secteur culturel fort et en assurer la protection.

Le Canada compte beaucoup d'entreprises de création qui connaissent du succès ici et à l’étranger.  Trop souvent encore toutefois, nous n’arrivons pas à nous doter d’un plan stratégique assorti d'un solide financement et de mesures de distribution énergiques pour protéger nos produits culturels, et un trop grand nombre de nos artistes vivent dans la pauvreté.

Pénurie de main-d'œuvre

Certains représentants de l'industrie ont parlé de problèmes de pénurie de main‑d'œuvre, en particulier dans l'Ouest.  Suivant leur raisonnement, il serait plus facile aux aînés de retourner sur le marché du travail si les pénalités auxquelles ils s'exposent, comme la disposition de récupération du SRG, étaient assouplies.  Nous ne nous opposons pas à ce que les aînés travaillent, si tel est leur choix.  Toutefois, le Canada s'est doté d'un solide système de revenu de retraite pour les aînés qu’il faudrait plutôt chercher à améliorer.  Les attentes entretenues concernant la réintégration du marché du travail par les aînés peuvent compromettre la solidité de ce système de revenu de retraite et il faut éviter cela.

Certains ont également proposé d'élargir la portée des programmes de travailleurs temporaires.  Le Canada a besoin de l'immigration pour que son économie continue à prospérer.  Notre société multiculturelle repose sur des gens qui viennent au Canada parce qu’on leur reconnaît le droit, non seulement de travailler, mais aussi de s'établir.  Les gens réussissent mieux lorsqu'ils vivent avec leur famille et au sein d’une collectivité.  C'est pourquoi, en plus de faire concurrence aux autres pays pour attirer des immigrants qualifiés, le programme de parrainage de parent a beaucoup contribué à attirer de nouveaux arrivants au Canada.  Les travailleurs temporaires sont isolés et souvent exploités.  Cette voie ne doit pas être celle empruntée à l'avenir par le Canada.

Une bonne façon d'aider à remédier à la pénurie de main-d'œuvre consiste à offrir aux familles de solides mesures d’appui, comme des services de garde, des horaires flexibles et des avantages pour inciter un plus grand nombre de femmes à entrer sur le marché du travail.  Le Québec est la province qui offre le plus de services d'appui à la famille et c'est aussi celle où la participation des femmes au marché du travail est la plus élevée.

Conclusion

Notre étude du secteur des services nous a donné l'occasion de bien mesurer l'ampleur du secteur des services et son importante contribution au Canada et dans le monde.

Elle ne doit pas servir de prétexte à l'établissement d'une liste de souhaits concernant la diminution de l'impôt des sociétés, la libéralisation des échanges et la main-d'œuvre à bon marché.

C'est une occasion pour le Canada de remédier à certaines des lacunes du secteur des services au moyen de mesures très précises.  Nous espérons que le présent rapport du Comité et notre rapport dissident pourront contribuer au succès du secteur des services au Canada.


[1] Statistique Canada, « Recensement de 2006 : Gains, revenus et coûts d'habitation ».

[2] Centre canadie


n de politiques alternatives, « Asking for Trouble: The Trade, Investment and Labour Mobility Agreement », février 2007,  http://www.policyalternatives.ca/documents/BC_Office_Pubs/bc_2007/bc_ab_tilma_summary.pdf.

[2] Peter Julian, Huitième rapport du Comité permanent du commerce international, Opinion dissidente du Nouveau Parti démocratique, mars 2007.