Mémoire de
l’Association canadienne des orthophonistes et audiologistes (ACOA)

À propos de l’ACOA

L’ACOA est l’organisme national qui soutient et représente les besoins professionnels de plus de 5 700 orthophonistes, audiologistes et employés de soutien qui travaillent pour maximiser le potentiel de communication et d’audition de la population canadienne.

Les membres de l’ACOA forment un élément clé des équipes de soins de santé et d’éducation du Canada. Ils collaborent avec d’autres professionnels de la santé et de l’éducation pour s’assurer que les Canadiens ont accès à l’information et à l’expertise dont ils ont besoin pour mener une vie heureuse et productive. Les orthophonistes ont une connaissance spécialisée du développement normal et des troubles de communication et de déglutition ainsi que de l’évaluation et de l’intervention dans ces domaines. Pour leur part, les audiologistes sont spécialisés dans le diagnostic et la prise en charge des personnes atteintes d’une perte auditive périphérique ou centrale, d’acouphènes ou de troubles de l’équilibre.

Sommaire

Des budgets équilibrés jouent un rôle fondamental dans la santé financière à long terme du Canada. L’équilibre budgétaire est un important objectif aussi bien du prochain budget fédéral que des budgets futurs. En même temps, l’ACOA croit que chaque dollar de l’argent des contribuables que le gouvernement dépense constitue un investissement qui, s’il est bien ciblé, rapporte des dividendes à long terme. Il est donc important que les efforts déployés pour réduire les dépenses en vue d’équilibrer le budget fédéral ne compromettent pas des programmes essentiels au filet de sécurité sociale du Canada. L’argent à investir dans les Canadiens doit être dépensé judicieusement et aboutir aux meilleurs résultats possibles. Toutefois, en dépensant d’une manière intelligente, le gouvernement peut atteindre des objectifs sociaux plus ambitieux sans alourdir ses obligations financières. En fait, dans certains cas, des dépenses intelligentes peuvent assurer au gouvernement des économies à long terme.

Le présent mémoire traite d’un domaine précis de la politique de la santé : le diagnostic précoce des troubles de la parole, du langage et de l’audition chez les nourrissons et les enfants. Partout dans le monde, les études montrent que plus tôt ces troubles sont diagnostiqués et traités, meilleurs sont les résultats à long terme pour les enfants affectés et leur famille. Le diagnostic et le traitement de ces problèmes avant que leurs conséquences ne deviennent graves présentent aussi des avantages considérables pour ce qui est des coûts de la santé, de l’éducation, des programmes sociaux et du système judiciaire.

Nous formulons ici les recommandations suivantes :

Recommandation 1 : L’ACOA recommande au gouvernement de prévoir dans son budget 2012 un programme national assurant l’accès universel au dépistage de la surdité chez les nouveau-nés.

Recommandation 2 : L’ACOA recommande au gouvernement de prévoir dans son budget 2012 des programmes facilitant le diagnostic et le traitement précoces des troubles de la parole, du langage et de l’audition chez les jeunes enfants.

Importance du diagnostic et du traitement précoces

Le gouvernement doit faire preuve de prudence en formulant sa politique pour s’assurer qu’elle permet d’atteindre un double objectif : offrir le plus grand avantage possible à ceux qu’elle tente d’aider et utiliser aussi efficacement que possible des ressources financières limitées. Les programmes qui apportent aux jeunes enfants et à leur famille des avantages sur le plan du développement ou de l’éducation répondent parfaitement à ces critères et à d’autres tout en assurant en général le meilleur rapport avantages-coûts. Intervenir de façon précoce signifie que les enfants souffrant de troubles de la parole, du langage ou de l’audition ne sont pas indûment affectés pendant les années critiques de leur développement intellectuel et social et du développement de leur faculté de communiquer, ce qui atténue le risque qu’ils aient besoin de recourir à de coûteux services sociaux publics à long terme.

Le développement qui se produit dans la petite enfance est la base de l’aptitude future de l’enfant à apprendre et à socialiser. C’est pendant cette période que s’établit en grande partie la capacité d’apprentissage. Au niveau physique, plus l’enfant vieillit, plus son cerveau perd de sa malléabilité et plus il est difficile pour lui de réagir à un traitement. En effet, en cas d’intervention tardive, une éventuelle déficience a le temps de « s’ancrer » dans le cerveau d’une manière qui complique le traitement. Même d’un point de vue moins physique, il est plus facile d’enseigner dès le départ à l’enfant les bonnes stratégies qui lui permettent d’affronter ses difficultés, avant qu’il ait à « désapprendre » les stratégies inefficaces. De plus, les aptitudes sont cumulatives, ce qui suppose qu’un enfant qui peine à maîtriser des aptitudes rudimentaires éprouvera une difficulté correspondante à acquérir les aptitudes suivantes, qui sont plus complexes. Dans le cas des jeunes enfants, la communication est au cœur du développement social et de l’aptitude aux études. Ainsi, n’importe quel problème dans ces domaines entraînera des difficultés et des retards dans la maîtrise des premiers éléments de base de l’apprentissage. En réduisant au minimum les facteurs qui nuisent à la capacité de l’enfant d’apprendre et de se développer, on l’aidera à se préparer pour réussir, être productif et être aussi adapté que possible.

En attendant trop longtemps avant d’intervenir, on court le risque de limiter l’efficacité des traitements possibles. Comme il est difficile, sinon impossible, de remédier aux problèmes de communication bien établis, un investissement précoce a un « effet multiplicateur ». Chaque dollar investi aujourd’hui dans la résolution d’un problème permettra d’en économiser plusieurs plus tard. De même, l’inaction a des coûts très élevés à long terme.

Même s’il ne fait aucun doute qu’il est avantageux pour le gouvernement et la société d’éviter de tels coûts à long terme (les coûts cumulatifs des services à dispenser à un enfant au comportement difficile peuvent être dix fois plus élevés que le coût d’une intervention précoce), ce sont les enfants en cause qui doivent assumer les coûts réels d’une intervention tardive. Les enfants souffrant de problèmes de communication et d’audition ont souvent plus de difficultés que les autres dans des contextes sociaux, éducationnels et affectifs. Une intervention précoce signifie qu’ils peuvent obtenir le soutien dont ils ont besoin pour minimiser ou éviter les difficultés et les obstacles que leurs pairs n’affrontent pas ou ne comprennent pas.

Le besoin d’un accès universel au dépistage de la surdité chez les nouveau-nés

Au Canada, l’enfant atteint d’une importante perte auditive n’est généralement diagnostiqué que vers l’âge de deux ans et demi. Quant aux problèmes auditifs moins graves, il y a peu de chances qu’ils soient décelés avant l’âge scolaire. Cette situation n’est cependant pas inévitable. Il existe des examens simples, non invasifs et extrêmement précis qui peuvent rapidement dépister la perte auditive chez les nouveau-nés et être effectués avant leur départ de l’hôpital. Le plus important, à un moment où les diagnostics médicaux peuvent constituer un fardeau financier pour le secteur de la santé, c’est que cet examen est abordable, ne coûtant qu’environ 35 $ par enfant. Sur la base des cas décelés, ce test est nettement moins coûteux que beaucoup d’autres examens conçus pour les nouveau-nés, comme celui de la phénylcétonurie[1] (PCU).  De plus, comme nous l’avons noté ci-dessus, il s’agit d’un autre cas où il est plus avantageux de faire une dépense immédiate afin d’économiser plus tard, puisque la dépense en cause sera bien plus que compensée par les économies réalisées par la suite sur les programmes d’éducation spécialisée et d’autres programmes de soutien.

Les avantages d’un diagnostic et d’une intervention précoces en cas de perte auditive sont manifestes : les nourrissons atteints d’une déficience auditive qui sont diagnostiqués avant l’âge de 6 mois obtiennent plus tard des résultats scolaires supérieurs de 20 à 40 percentiles, notamment en ce qui concerne le vocabulaire, l’articulation, l’intelligibilité et le comportement. Le diagnostic avant l’âge de 6 mois se traduit aussi par des résultats beaucoup plus élevés en ce qui a trait au langage, avantage qui n’est pas démenti par le contrôle d’une série d’autres prédicteurs, dont le sexe, l’origine raciale ou la présence d’autres déficiences. Si on intervient assez tôt, les enfants atteints de troubles de l’audition ne souffriront pas inutilement. Un diagnostic précoce conduit à une intervention précoce, qui est la clé du traitement le plus efficace.

Aux États-Unis, on fait déjà subir des examens de dépistage à plus de 95 p. 100 des nourrissons, ces examens étant exigés par la loi dans au moins 33 États. Le Canada devrait suivre cet exemple et mettre en œuvre un programme universel de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés. Ce programme devrait viser à soumettre à un examen de dépistage tous les nouveau-nés, et pas seulement ceux qui sont jugés « à risque élevé », dans le premier mois de leur vie (de préférence avant de quitter l’hôpital), d’effectuer tous les tests diagnostiques nécessaires dans les trois mois et d’entreprendre les interventions requises au plus tard à 6 mois. Cet objectif a été défini par le U.S. Joint Committee on Infant Hearing, qui s’efforce d’assurer l’accès au diagnostic et au traitement précoces des problèmes auditifs.

Recommandation 1 : L'ACOA recommande au gouvernement de prévoir dans son budget 2012 un programme national assurant l'accès universel aux tests de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés ainsi que le financement d'interventions appropriées dans le cas des bébés et des nourrissons atteints d'une déficience auditive.

À l’heure actuelle, les pratiques canadiennes en matière de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés sont très variables. Il n’y a pas d’approche nationale concertée dans ce domaine, et, dans la plupart des cas,  il n’y a pas de fonds spécialement consacrés au dépistage. Certaines provinces, comme l’Ontario et le Nouveau-Brunswick, offrent des tests de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés depuis quelque temps, tandis que d’autres, comme le Manitoba, la Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador et l’Alberta, n’ont aucun programme universel (seulement quelques services régionaux). Dans les régions dépourvues de programmes universels de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés, les départements d’obstétrique ne disposent souvent pas de l’équipement ou de l’expertise nécessaires pour effectuer des examens de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés, de sorte que les parents n’ont même pas la possibilité de faire faire ces examens de leur propre initiative. Grâce à une approche nationale concertée, tous les bébés qui naîtront au Canada auront un accès égal aux tests de dépistage de la surdité, qui peuvent déceler les troubles de l’audition à un âge où ils sont faciles à prendre en charge.

Dépistage précoce des troubles de la parole et du langage

D’après certaines estimations, 8 à 12 p. 100 des enfants d’âge préscolaire sont atteints d’une forme ou d’une autre de trouble du langage. La plupart ne sont diagnostiqués que parce qu’ils n’ont pas commencé à parler, généralement entre 2 et 3 ans. C’est tout simplement trop tard. Cela signifie que le développement de la communication est indûment retardé, ce qui les désavantage sur le plan scolaire et social.

L’aptitude à communiquer est au cœur du développement socio-affectif et psychologique de l’enfant. Autrement dit, même la déficience la plus mineure peut avoir des effets négatifs. Étant donné que le développement dans la petite enfance a une grande influence sur le développement futur, le traitement est le plus efficace et le plus court quand il commence le plus tôt possible. Une étude de l’Université de la Colombie-Britannique démontre que la compétence liée au vocabulaire à 18 mois a des implications pour la même compétence à 27 mois et à 3 ans. D’autres études montrent que, si le traitement de l’enfant est différé jusqu’à la prématernelle, il n’a généralement pas une élocution normale avant de commencer la première année et il aura alors 72 p. 100 de chances d’être affecté de troubles de la parole et du langage à 12 ans. Par conséquent, tout retard du traitement prolonge la durée des troubles.

S’ils ne sont pas traités, les troubles de la parole, du langage et de l’audition peuvent causer de sérieux problèmes sociaux qui, en plus d’aggraver les difficultés d’apprentissage de l’enfant affecté, ont des effets négatifs réels sur sa vie et la vie de sa famille, sans parler de la société en général. Plus de la moitié des enfants atteints de troubles de la parole et du langage à 5 ans ont une forme quelconque de trouble du comportement, comme le trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (THDA). Les problèmes d’agressivité et d’anxiété sont plus courants chez les enfants souffrant de troubles de la parole et du langage. De plus, les enfants qui ont des troubles de communication ont plus de difficultés à se faire des amis parmi leurs pairs et risquent davantage d’être victimes d’intimidation à l’école ou ailleurs. Enfin, on constate que beaucoup de jeunes délinquants souffrent de troubles de la parole et du langage et d’autres troubles de communication.

Bref, au mieux, les problèmes de communication non traités désavantagent les enfants du point de vue du développement et de l’éducation, et le report du traitement rend la guérison plus longue et plus difficile. Ayant plus de difficultés à apprendre et à socialiser, ils ont moins de chances de réussir que leurs pairs. En outre, ces problèmes peuvent susciter des frustrations qui les amènent à adopter des comportements destructeurs pour eux-mêmes et pour les autres et parfois à commettre des actes criminels.

Recommandation 2 : L'ACOA recommande au gouvernement de prévoir dans son budget 2012 des programmes facilitant le diagnostic et le traitement précoces des troubles de la parole, du langage et de l'audition chez les jeunes enfants.

S’ils ne sont pas décelés et traités, les troubles de la communication peuvent causer d’importants préjudices, entraînant des handicaps graves pour les personnes touchées et des coûts réels pour la société. Il est important que les gouvernements prévoient des ressources suffisantes pour diagnostiquer et traiter assez tôt ces troubles et que les enfants et leurs familles aient accès à des services et des ressources communautaires de soutien. Trop souvent, les troubles ne sont décelés que lorsque l’enfant commence l’école ou a connu d’importants échecs. Il doit alors attendre longtemps pour avoir accès à des services d’orthophonie, si de tels services sont offerts.

Conclusion

Dans leur analyse de 2007 du développement de la petite enfance et de ses implications stratégiques, Margaret McCain, Fraser Mustard et Stuart Shanker soutiennent que « si nous souhaitons vraiment offrir à nos enfants une chance égale de maximiser leur potentiel, quel qu’il soit, il est vital que nous fassions tout notre possible pour favoriser leur développement dans les premières années de leur vie ». Ce faisant, nous maximisons leurs chances de développer les aptitudes nécessaires pour affronter le monde d’aujourd’hui. De plus, nous atténuons ou prévenons une foule de problèmes comportementaux et psychologiques qui limitent le potentiel d’une personne, imposent des coûts énormes à la société et, en fin de compte, coûtent davantage au gouvernement à long terme.

La parole, le langage et l’audition jouent un rôle central dans le développement de l’enfant. Toute déficience à cet égard a de graves incidences sur les résultats d’apprentissage. Les enfants aux prises avec de telles difficultés connaîtront des problèmes sociaux plus graves que leurs pairs et trouveront difficile de se faire des amis. Ils sont plus susceptibles de souffrir de problèmes de comportement et d’anxiété, en plus d’avoir moins d’estime de soi. Le report du traitement ne fera qu’aggraver ces problèmes, réduisant la capacité de l’enfant de se développer de façon optimale dans les premières années, tellement importantes, de sa vie, ce qui complique l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies de traitement.

Ce sont là des raisons suffisantes pour adopter les programmes recommandés. Les facteurs militant en faveur d’un diagnostic et d’un traitement précoces des troubles de l’audition, de la parole et du langage chez l’enfant sont évidents : le diagnostic précoce conduit au traitement précoce, ce qui permet au gouvernement de réaliser des économies à long terme et offre une qualité de vie infiniment meilleure aux enfants et aux familles en cause. La réduction des obligations financières à long terme du gouvernement, surtout si elle s’accompagne de meilleurs résultats pour les enfants et leurs familles, constitue un élément essentiel pour permettre au Canada de prendre une orientation financière durable.

Les enfants atteints de troubles de la parole et de l’audition méritent une chance de réussir et ne devraient pas souffrir de retards inutiles dans le diagnostic de problèmes potentiels quand les outils de dépistage existent déjà. Nos systèmes de santé et d’éducation et notre filet de sécurité sociale ne disposent pas de ressources suffisantes pour payer le prix d’interventions tardives.

Références

Joint Committee on Infant Hearing, « Year 2007 Position Statement: Principles and Guidelines for Early Hearing Detection and Intervention Programs », Pediatrics, vol. 120, n° 4, octobre 2007, p. 898-921 (doi:10.1542/peds.2007-2333).

Alberta College of Speech-Language Pathologists and Audiologists, « Endorsement of Universal Newborn Hearing Screening (UNHS) in Alberta », http://www.acslpa.ab.ca/public/data/documents/UNHS_-_single_sided_&_electronic.pdf.

American Speech-Language-Hearing Association, Preferred Practice Patterns for the Profession of Speech-Language Pathology [Preferred Practice Patterns], 2004, www.asha.org/policy.

Christine Yoshinaga-Itano*, Allison L. Sedey*, Diane K. Coulter* et Albert L. Mehl, « Language of Early- and Later-identified Children With Hearing Loss », Pediatrics, vol. 102, n° 5, novembre 1998, p. 1161-1171.

Department for Children, Schools, and Families, « Early intervention: Securing Good Outcomes for all Children and Young People », 2010, www.dcsf.gov.uk/everychildmatters.

A. Durieux-Smith, R. Seewald et M. Hyde, « Position Paper on Universal Newborn and Infant Hearing Screening in Canada », CASLPA et CAA, 1999, http://www.literacytrust.org.uk/assets/0000/2873/Long-term_impact_of_slds.pdf.

Margaret Norrie McCain, J. Fraser Mustard et Stuart Shanker, « Early Years Study 2: Putting Science into Action », Council for Early Child Development, Toronto, mars 2007.

June Statham et Marjorie Smith, « Issues in Earlier Intervention: Identifying and supporting children with additional needs », Institute of Education, University of London: Thomas Coram Research Unit, http://publications.dcsf.gov.uk/eOrderingDownload/DCSF-RR205.pdf.

Christine Yoshinaga-Itano, Allison L. Sedey, Diane K. Coulter et Albert L. Mehl, « Language of Early- and Later-identified Children With Hearing Loss », Pediatrics, vol. 102, n° 5, novembre 1998, p. 1161-1171.


[1] Chaque cas dépisté de PCU peut coûter plus de 60 750 $, comparativement à 14 400 $ pour la perte auditive.