Présentation du
Syndicat canadien de la fonction publique
au
Comité permanent des finances de la Chambre des communes
dans le cadre des
consultations relatives au budget fédéral de 2012
Août 2011
Sommaire
Le Syndicat canadien de la fonction publique
(SCFP) est le syndicat le plus important et le plus diversifié du Canada. Nous
représentons plus de 600 000 membres qui travaillent et vivent dans
pratiquement toutes les collectivités du Canada.
Nous profitons de l’occasion qui nous est offerte
pour soumettre nos recommandations concernant le budget fédéral de 2012, plus
précisément en ce qui a trait aux quatre questions suivantes :
1. Comment assurer une reprise économique soutenue
au Canada?
2. Comment créer des emplois durables et de qualité?
3. Comment maintenir les taux d’imposition à des
niveaux relativement faibles?
4. Comment atteindre un budget équilibré?
Ces questions s’inscrivent toutes dans le contexte
d’une reprise économique fragile.
Le Canada fait face à des défis économiques
majeurs à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières. Nos problèmes à court
terme ne peuvent être dissociés de nos faiblesses persistantes sousjacentes, notamment
une stagnation de la productivité, une faible croissance des revenus et des
salaires et une économie de plus en plus déséquilibrée et inéquitable. Bien que
la priorisation des réductions d’impôt ait permis aux entreprises de réaliser
des profits records, les investissements productifs sont demeurés limités, la
croissance des salaires a été lente et les ménages sont très endettés. La seule
manière d’assurer une croissance soutenue est de rééquilibrer notre économie d’une
façon plus productive et équitable.
Plutôt que de réduire les dépenses publiques pour
offrir de nouvelles réductions d’impôt aux entreprises, le gouvernement fédéral
doit :
1. Maintenir et accroître les services, les emplois et les dépenses
dans le secteur public, en maintenant les niveaux
actuels de dépenses de programmes en pourcentage de l’économie, en accordant la
priorité à la protection des taux actuels d’augmentation et à la valeur des
transferts provinciaux pour les soins de santé, l’éducation, les services
sociaux et les paiements de péréquation fiscale. Le gouvernement fédéral doit
également annuler les compressions néfastes dans les dépenses des programmes
fédéraux prévues dans le dernier budget.
2. Mettre en œuvre une réforme fiscale équitable, ce qui suppose de rétablir les taux d’imposition des entreprises, d’éliminer
les échappatoires fiscales préjudiciables, d’augmenter les taux d’imposition
dans le secteur financier et de créer une nouvelle tranche de revenu pour les
personnes dont le revenu est supérieur à 250 000 $. La combinaison de
ces mesures permettrait de générer plus de 29 milliards de dollars par
année, ce qui est plus que suffisant pour éliminer le déficit, mettre fin aux
compressions de dépenses néfastes et financer de nouveaux programmes importants.
3. Promouvoir l’investissement dans la création d’emploi et la
croissance durable, en commençant par
renouveler le programme de financement de l’infrastructure publique. Le
gouvernement fédéral doit également abandonner son attitude de laissez-faire
vis-à-vis le développement de l’industrie pour adopter une approche de
développement sectoriel stratégique et coordonnée pour promouvoir l’investissement
privé et créer des emplois durables de qualité.
Renseignements généraux
L’économie canadienne a connu un bien meilleur
sort que celles de la plupart des pays occidentaux qui ont subi de plein fouet
la crise financière, et ce, grâce à une réglementation plus rigoureuse et à
diverses circonstances fortuites. Cependant, nous sommes toujours confrontés à
des difficultés économiques. Nous ne sommes pas dans un cycle de récession et
de reprise habituel. Les politiques actuelles nous condamnent à une reprise
houleuse, possiblement à une récession à double creux, à une croissance
économique lente ou stagnante ou, au mieux, à d’autres cycles d’expansion et de
ralentissement. Nous sommes loin de la « reprise économique durable »
que le Comité permanent des finances et la majorité des Canadiens aimeraient
voir.
Le Canada est non
seulement fortement dépendant de la conjoncture économique internationale, mais
il devra également composer avec des problèmes économiques croissants à l’échelle
nationale. Alors que les marchés boursiers du monde entier ont plongé, le prix
des logements canadiens, lesquels constituent les principaux avoirs d’une
grande partie des ménages, a connu une légère baisse pour ensuite poursuivre sa
croissance au cours des deux dernières années. Lorsque les taux d’intérêt
augmenteront, la correction des prix des biens immobiliers qui s’ensuivra
pourrait être un important revers pour l’économie canadienne, comme ce fut le
cas dans d’autres pays. Cette situation aggravera les problèmes auxquels nous devons
faire face en raison de la faiblesse et de la stagnation des économies des
États-Unis et des pays européens ainsi que de la force du dollar canadien. Le
moment est mal choisi pour réduire les dépenses publiques puisque nous risquons
de compromettre une reprise très fragile et de replonger notre économie dans
une période de récession.
Par ailleurs, il serait erroné de les considérer
uniquement comme des problèmes économiques à court terme. Avant la crise
financière, la croissance économique et la création d’emplois semblaient
solides, mais cela cachait une productivité anémique, un revenu familial
stagnant et une économie de plus en plus déséquilibrée. En fait, la crise
financière et économique ainsi que les problèmes immédiats auxquels nous sommes
confrontés sont une conséquence directe de ces faiblesses sous-jacentes qui
durent depuis longtemps.
Au cours de la dernière décennie, notre croissance
économique reposait principalement sur les dépenses axées sur la dette à la
consommation. Les réductions d’impôt consenties aux entreprises ont permis aux
sociétés de réaliser des profits sans précédent sans pour autant les inciter à
stimuler des investissements productifs. Au contraire, une bonne partie de ces
profits ont donné lieu à des investissements financiers qui ont contribué au
cycle de récession et de reprise. Les entreprises jouissent de surplus de
dizaines de milliards de dollars et elles continuent de cumuler les profits.
Les politiques économiques de stimulation de l’offre par des réductions d’impôt,
la déréglementation et des ententes relatives aux droits des investisseurs n’ont
pas donné lieu à une croissance économique durable.
Parallèlement, le ratio d’endettement des ménages
a atteint des niveaux records en raison d’une faible croissance des salaires, de
la hausse du prix des logements et des compressions dans les services publics. Les
compressions dans les services publics forcent les familles à débourser
davantage pour l’éducation, les soins de santé, le transport et les programmes
communautaires. Notre bien-être et notre croissance économique à long terme
sont également compromis par des investissements inadéquats dans une infrastructure
publique permettant d’accroître la productivité, les études supérieures ainsi
que dans la recherche et le développement.
Au cours de la décennie de 2000 à 2010, les
ménages ont accumulé une dette de plus de 300 milliards de dollars, tandis
que les sociétés ont cumulé plus de 500 milliards de dollars de surplus,
un renversement complet de la situation qui avait cours depuis au moins 1960.
Il s’agit là d’une crise réelle de l’endettement à laquelle les Canadiens, en
particulier les familles à revenu faible à moyen, sont confrontés : les
écarts de revenu et de richesse ont atteint des niveaux inégalés depuis la
Crise de 1929. Les déficits du gouvernement ont augmenté en raison de la
récession, mais la situation financière du Canada demeure excellente à l’échelle
internationale et d’un point de vue historique. Nos ratios d’endettement
demeurent inférieurs à ceux qui ont été observés il y a 10 ans, et une croissance
économique durable permettrait d’éliminer les déficits en quelques années.
En raison de la faiblesse des marchés
d’exportation, de la faible croissance de l’investissement des entreprises et
de la tendance des ménages à dépasser leur capacité financière, les réductions
des dépenses du secteur public pourraient facilement replonger le Canada en récession
ou, du moins, le condamner à une lente croissance économique, en plus
d’entraîner des conséquences néfastes sur les familles canadiennes qui se
traduiraient notamment par des pertes d’emploi et la détérioration des services
publics. Maintenir la stimulation économique est important, mais nous devons
aussi orienter les investissements privés et publics vers des activités moins
ruineuses qui seraient plus durables et productives.
Maintenir et accroître les services, les emplois et les dépenses dans le secteur public
Des services publics de qualité sont essentiels au
maintien de la prospérité et d’un niveau de vie élevé pour tous les Canadiens.
Des études révèlent que les services publics offrent des avantages annuels
équivalant à 41 000 $ pour la famille canadienne moyenne et à
17 000 $ pour chaque Canadien. Les réductions des dépenses publiques
sont non seulement néfastes pour l’économie, mais elles entraînent également
une baisse du niveau de vie de tous les Canadiens, en particulier des plus vulnérables.
L’explication selon laquelle les déficits du
secteur public sont attribuables à la hausse des dépenses publiques est un
mythe. Les dépenses fédérales en pourcentage de l’économie ont récemment
atteint leur niveau le plus bas depuis au moins 1961. Le total des dépenses
gouvernementales pour tous les ordres de gouvernement a également décliné
récemment pour atteindre son plus bas niveau depuis 1975. L’augmentation
observée au cours des deux dernières années est uniquement attribuable à la
faiblesse économique du secteur privé et à la hausse des coûts des avantages
sociaux découlant de la récession, ce qui n’a rien à voir avec une croissance
insoutenable des dépenses.
Le pourcentage d’emplois dans le secteur public
par rapport au total des emplois a également atteint un creux historique. Ce
pourcentage a augmenté légèrement au cours des dernières années, mais cela est
plutôt attribuable à un déclin des emplois dans le secteur privé qu’à une
hausse des emplois dans le secteur public. Déjà, le pourcentage d’emplois dans
le secteur public a recommencé à diminuer.
Un autre mythe est celui voulant que le salaire
des employés du secteur public soit beaucoup plus élevé que celui des
travailleurs du secteur privé. Les femmes et les travailleurs peu rémunérés sont
moins sujets aux écarts salariaux dans la fonction publique en raison d’une
plus grande équité salariale dans le secteur public. Le salaire moyen des
hommes qui travaillent dans le secteur public est inférieur à celui des hommes
occupant des postes similaires dans le secteur privé.
Le Canada affiche une situation financière bien
meilleure que celle de la moyenne des pays de l’OCDE et de la plupart des
autres pays occidentaux et pourtant nos gouvernements imposent des réductions
des dépenses et des plans de licenciements plus importants qui affaibliront
notre économie et entraîneront une hausse du taux de chômage. Plutôt que de se
limiter aux réductions et aux plans d’austérité, les gouvernements fédéral et
provinciaux devraient, dans le cadre des futurs budgets, maintenir et accroître
les services publics qui procurent des avantages aux Canadiens et créent des
emplois. On commence à peine à constater les répercussions de la réduction des
dépenses des programmes prévue dans le budget de 2010, et les répercussions des
réductions encore plus draconiennes prévues dans le budget de 2011 seront
encore plus néfastes.
Le gouvernement fédéral devrait maintenir les
niveaux de dépenses actuels des programmes en pourcentage de l’économie et
prioriser la protection des taux actuels d’augmentation ainsi que la valeur des
transferts provinciaux pour les soins de santé, les services sociaux et les
paiements de péréquation fiscale. Le gouvernement fédéral devrait également s’engager
à conclure des ententes de financement à long terme des transferts pour les
soins de santé et des autres transferts importants. Le financement doit être
lié à la prestation publique de ces services ainsi qu’au respect des
dispositions des ententes. En raison de la limite fixe imposée sur les paiements
de péréquation en fonction de la croissance du PIB, certaines provinces
bénéficiaires de la péréquation pourraient subir une réduction générale des
principaux paiements de péréquation fédéraux. Le gouvernement fédéral doit
protéger les principaux transferts pour toutes les provinces au moins jusqu’au
renouvellement de ces ententes en 2013-2014.
Le gouvernement fédéral peut réaliser des
économies en éliminant le Fonds PPP Canada qui s’élève à plus d’un milliard de
dollars (qui paradoxalement subventionne la privatisation) ainsi que l’exigence
relative à l’examen des partenariats public-privé dans le cadre du Fonds
Chantiers Canada. Il serait possible de réaliser des économies
supplémentaires en annulant les achats ruineux du gouvernement, notamment son
programme d’acquisition d’avions de combat auprès d’un fournisseur unique qui
s’élève à plus de 16 milliards de dollars ainsi que des avantages fiscaux
et des crédits d’impôt inefficaces. De nombreuses études révèlent qu’il est
beaucoup plus efficace de financer des programmes publics directement plutôt
que d’offrir des crédits d’impôt et des réductions d’impôt très ciblés Par exemple,
d’éminents économistes canadiens ont récemment calculé que, non seulement
chaque investissement d’un dollar dans des services de garde publics de qualité
permet de générer des retombées économiques à long terme de plus de
2,50 $, mais les coûts du programme de services de garde du Québec se
remboursent d’eux-mêmes sous forme de recettes publiques accrues[i].
Améliorer le Régime de pensions du Canada en doublant les prestations par une
hausse progressive des primes et accroître le Supplément de revenu garanti
assureraient un revenu de retraite décent pour tous les aînés, et ce, à très
faible coût pour le gouvernement fédéral.
Mettre en œuvre une réforme fiscale équitable
Le régime fiscal du Canada est entré dans une
phase de régression au cours des deux dernières décennies en favorisant de plus
en plus les riches. Les 1 % les plus riches jouissent désormais d’un taux
d’imposition général inférieur à celui des 10 % les plus pauvres[ii].
Accorder de nouvelles réductions d’impôt aux entreprises ne ferait qu’accroître
le déficit et accentuer la régression de notre régime fiscal. Il n’a toujours
pas été démontré de façon convaincante que les réductions d’impôt des
entreprises stimulent réellement les investissements ou créent des emplois, en
particulier lorsque les entreprises cumulent des excédents de dizaines de
milliards de dollars.
Une réforme fiscale équitable contribuerait à équilibrer
le budget et à éviter une hausse des taux d’imposition des Canadiens à revenu
faible et moyen. En priorité, le gouvernement fédéral doit :
- Annuler les réductions d’impôt consenties aux
entreprises. Annuler les réductions d’impôt prévues pour 2012 permettrait au
gouvernement fédéral de réaliser des économies annuelles de près de
3 milliards de dollars; rétablir les taux de 2007 permettrait d’accroître
les recettes du gouvernement d’environ 12 milliards de dollars par année.
- Éliminer les avantages fiscaux régressifs et ruineux.
Par exemple, mettre fin à l’échappatoire fiscale que constituent les options
d’achat d’actions consenties aux hauts dirigeants permettrait au gouvernement
fédéral de récupérer près d’un milliard de dollars par année. Un taux d’imposition
équitable sur les revenus tirés des gains en capital permettrait de récupérer
plus de 7 milliards de dollars par année.
- Établir une nouvelle tranche d’imposition à
35 % pour les revenus de plus de 250 000 $ permettrait de
générer plus de 4 milliards de dollars par année.
- Créer une taxe sur les opérations financières ou
une taxe sur les activités financières (conformément à la proposition du Fonds
monétaire international) pour compenser les taux d’imposition relativement
faibles des banques et de l’ensemble du secteur financier, ce qui permettrait
de récupérer approximativement 5 milliards de dollars par année[iii].
Ces quelques mesures de réforme fiscale équitable
pourraient générer à elles seules plus de 29 milliards de dollars par
année, ce qui est plus que suffisant pour éliminer le déficit du gouvernement
fédéral, mettre fin aux réductions budgétaires néfastes et financer de nouveaux
programmes publics importants.
Promouvoir l’investissement dans la création d’emplois et la croissance durable
À l’avenir, le Canada devra investir de façon
importante dans la croissance durable et la création d’emploi. Notre économie a
souffert de taux de productivité stagnants durant une décennie avant le début
de la crise économique et financière. Les réductions d’impôt consenties aux
entreprises n’ont pas favorisé l’investissement. Les gouvernements doivent
maintenant privilégier une approche proactive qui consistera à accroître
l’investissement public direct et à adopter des politiques de développement
sectoriel coordonné afin de promouvoir l’investissement privé dans des activités
productives qui créeront des emplois durables de qualité.
En priorité, le gouvernement fédéral doit renouveler
le financement des infrastructures en vue de favoriser une croissance durable. En raison de la construction en mode accélérée des infrastructures dans le
cadre du programme de stimulation, la quasi-totalité du financement destiné aux
principaux volets du plan Chantiers Canada a déjà été accordée jusqu’en
2013-2014. Il ne reste pratiquement plus de financement pour de nouveaux
projets et les autres formes de financement de base diminuent (en dollars
réels). Parallèlement, les municipalités canadiennes sont toujours aux prises
avec l’énorme fardeau de reconstruire nos infrastructures qui se détériorent et
elles doivent également assumer les coûts de plus en plus élevés liés aux
répercussions des changements climatiques. Les réductions de l’aide financière
fédérale ne feront qu’accroître le déficit de l’infrastructure qui s’élève à plus
de 120 milliards de dollars.
Le gouvernement fédéral doit s’engager à accroître
véritablement le financement dans le cadre d’un plan d’infrastructure national
à long terme qui serait élaboré avec les provinces et les collectivités locales
en vue de favoriser une croissance durable. Les investissements dans les
transports publics, l’assainissement des eaux, l’efficacité énergétique, le
logement abordable ainsi que les services communautaires et les services de
santé permettront non seulement de créer des emplois, mais aussi d’accroître la
productivité et d’aider les employeurs et les ménages à réaliser des économies
grâce à la réduction des coûts associés à la consommation d’énergie, à la
congestion des zones urbaines et aux services de garde privés. Statistique
Canada a confirmé que chaque dollar investi dans l’infrastructure publique
permet à une entreprise de réaliser des économies de coûts annuelles de
17 %, et ce, sans compter les avantages pour les familles. Non seulement
ce taux de rendement surpasse-t-il largement le coût d’emprunt public, mais il
est également supérieur aux taux de rendement privés.
Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent
donner l’exemple dans ce domaine, mais nous devons également prendre des
mesures pour orienter l’investissement privé vers des activités plus durables
et productives. Le gouvernement fédéral doit également abandonner son attitude
de laissez-faire vis-à-vis le développement de l’industrie pour adopter une
approche de développement stratégique et coordonnée, en travaillant en collaboration
avec le secteur privé, les syndicats et les établissements d’enseignement, pour
créer des emplois durables et de qualité. Les outils disponibles comprennent
les politiques fiscales, l’approvisionnement, les règlements proactifs, des
politiques coordonnées relatives à la formation et au marché du travail, des
mesures de soutien pour les conseils de développement sectoriels et le
financement.