MÉMOIRE DE LA SOCIÉTÉ POUR LES TROUBLES DE L’HUMEUR AU CANADA

Synopsis

La Société pour les troubles de l'humeur du Canada (STHC) est heureuse d'avoir à cette occasion de contribuer aux délibérations du Comité permanent des finances et de lui adresser ses recommandations au sujet de l'incidence effroyable que peut avoir cette maladie mentale sur le tissu économique et social du pays. Personne au Canada, et cela vaut pour les membres de votre comité ou de votre personnel, n'est immunisé contre la maladie mentale.

Bien que le Canada se soit relativement bien tiré de la récente crise économique mondiale par rapport aux autres pays industrialisés, le fardeau économique, sanitaire et social de la maladie mentale continue de s'alourdir sans frein dans notre grand pays. Notre espoir est que les problèmes que nous décrivons dans ce mémoire, ainsi que les recommandations que nous formulons, serviront de catalyseur débouchant sur un leadership national pour faire face à ces maladies chroniques au Canada. Nous savons que l'incidence des troubles mentaux et les problèmes correspondants, comme le suicide, augmentent lorsque la conjoncture économique se détériore, et diminue lorsqu'elle s'améliore.

Il nous faut un leadership national. Les mesures proposées aideront à soutenir la relance économique tout en aidant les Canadiens souffrant de maladie mentale à de recouvrer la place qui leur revient dans le monde du travail.

La maladie mentale a un effet dévastateur sur la santé, la productivité, le bien-être et les activités des Canadiens. À n'importe quel moment, 8 % des Canadiens souffrent de maladie mentale ; 8 % souffriront de dépression à un moment ou un autre ; 12 % connaîtront un trouble de l'anxiété ; les Canadiens de moins de 20 ans ont le taux le plus élevé de symptômes dépressifs, alors que ceux de 20 à 29 ans ont le taux le plus élevé de syndrome de l'anxiété. Le risque de souffrir de maladie mentale au Canada est de un sur cinq.[i]

Le suicide n'est pas une maladie mentale en soi. En revanche, c'est trop souvent la conséquence tragique d'une maladie mentale : 90 % des personnes se suicidant souffraient d'une maladie mentale diagnosticable. Cette maladie mentale, comme la dépression ou la schizophrénie, expose l'individu à un plus grand risque de suicide. Selon les estimations, entre 15 et 25 % des jeunes du Canada souffrent d'une maladie mentale, et 20 % connaissent des épisodes suicidaires.[ii] Le suicide est l'une des principales causes de décès des personnes de 15 à 24 ans au Canada. Il est à l'origine de 22 % de tous les décès de personnes de 15 à 24 ans, de 17 % des personnes de 25 à 44 ans, et de 2 % de tous les décès au Canada. On a calculé que 15 % des enfants et adolescents sont affectés par la maladie mentale, soit 1,2 million . En outre, 80 à 90 % des personnes âgées en établissement de soins de longue durée sont déprimées, et 12 à 21 % souffrent de psychose.[iii]

Recommandations

Recommandation

Que le gouvernement du Canada prenne immédiatement des mesures pour s'attaquer à la crise émergente des troubles mentaux, qu'il fasse de la santé mentale l'une des priorités nationales, et qu'il rehausse la responsabilité du dossier de la santé mentale au niveau de sous-ministre à Santé Canada, à Ressources humaines et développement des compétences, et dans les autres portefeuilles pertinents, de façon à coordonner les services et ressources consacrés aux maladies mentales au Canada. Que des stratégies, des plans et des priorités soient élaborés et mis en œuvre en consultant étroitement les partenaires provinciaux et territoriaux.

La Société pour les troubles de l'humeur du Canada félicite le gouvernement du Canada d'avoir fait de solides investissements en 2007 et pendant les années suivantes en créant la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC). Il est devenu largement évident que cette initiative nationale doit maintenant être consolidée par des ressources axées sur les besoins des Canadiens et des familles touchés par des problèmes de santé mentale. La CSMC ne connaîtra de succès global à long terme que s'il existe une solide fondation de services de soutien et de traitement aux paliers provincial, régional et local. Pour faire face aux grands problèmes systémiques de santé mentale au Canada, nous devons nous assurer que des services adéquats sont disponibles en renforçant les initiatives locales, et nous encourageons le gouvernement du Canada à jouer le rôle de chef de file à cet égard.

La maladie mentale frappe directement plus de 6 millions de Canadiens et affecte quasiment chaque famille. Très peu de Canadiens ne sont pas confrontés à des problèmes de santé mentale, soit directement, soit par le truchement d'un membre de leur famille ou d'un ami proche. On n'a jamais été aussi informé qu'aujourd'hui sur le fait que la maladie mentale est très répandue, phénomène qui s'accompagne d'une demande élevée de services et d'interventions. L'appui du public à l'accroissement des services destinés pour aider les personnes confrontées à des problèmes de maladie mentale est très élevé, mais la demande est largement supérieure aux ressources limitées auxquelles les familles ont accès.

Les organismes de bienfaisance du secteur de la santé jouent un rôle essentiel dans le système de santé canadien. En fournissant des services directs d'intervention, d'éducation du public, de promotion et de soutien par les pairs, ces organisations non gouvernementales (ONG) jouent un rôle crucial à l'égard de la santé et du bien-être des Canadiens touchés par la maladie, ainsi que de leur parents, amis, employeurs, collègues de travail et dispensateurs de soins.

Pour les ONG, dont le mandat principal est de dispenser des services, de faire de l'éducation et de la promotion au nom des Canadiens souffrant de maladie mentale et de leurs familles, et de promouvoir la santé mentale de toute la population, le processus de désinstitutionalisation et la réduction des budgets consacrés aux maladies mentales se sont traduits par une réduction substantielle et, dans bien des cas, l'élimination complète de crédits de base et de programmes des ONG du secteur de la maladie mentale.

La STHC estime que les ONG dont la mission principale comprend la prestation de services de première ligne aux Canadiens souffrant de maladie mentale fait partie intégrante du réseau de soins primaires et que leurs services doivent être financés en conséquence. La communauté des ONG de la santé mentale a continuellement été sous-financée pendant des décennies, alors qu'elle est de plus en plus appelée à dispenser des services crucialement nécessaires dans les collectivités canadiennes. Nous voyons aujourd'hui le résultat du manque d'investissement dans ce secteur en étant confrontés à une épidémie de Canadiens demandant des services à un système déjà débordé, surchargé et bureaucratisé. On estime que les dépenses publiques totales pour les services d'intervention et de soutien du secteur de la santé mentale s'élèvent à 14,3 milliards de dollars[iv].  Pourtant, un tiers seulement des personnes ayant besoin de services de santé mentale au Canada les reçoit réellement, essentiellement à cause de la stigmatisation de cette affection et des difficultés d'accès aux services voulus dans un système déjà débordé. En continuant la réforme de la santé mentale au Canada et la réduction ou l'élimination de la stigmatisation et de la discrimination, nous pouvons nous attendre à une hausse du nombre de Canadiens réclamant de l'aide.

Près de la moitié de toutes les hospitalisations pour l'une des sept maladies mentales les plus courantes (plus les tentatives de suicide) concerne des personnes de 25 à 44 ans. Le deuxième taux d'hospitalisation le plus élevé concerne les jeunes de 15 à 24 ans.[v]

Les organisations de la santé mentale du Canada peuvent alléger le fardeau du réseau de soins de santé. Dans un rapport récent de la Commission de la santé mentale du Canada, on affirme que de nombreuses recherches ont montré que l'entraide peut aider les gens à faire face à une multitude de problèmes de santé et de difficultés sociales et est utile pour réduire les symptômes et le recours aux services de santé institutionnalisés ainsi que pour renforcer le sentiment d'autonomie et d'inclusion sociale, accroître l'aptitude à faire face au stress et améliorer la qualité de vie.[vi]

En foi de quoi, la STHC adresse au comité la recommandation suivante :

Recommandation

Que le gouvernement du Canada mette sur pied un fonds de 20 millions de dollars pour la prestation de soins reliés à la maladie mentale, fonds qui sera mis à la disposition des ONG du secteur de la santé mentale pour fournir des ressources, des programmes, des services familiaux et des services de soutien afin d’alléger le fardeau et les coûts des services de santé primaires au Canada. Ces programmes seront créés et partagés par la communauté des organisations de la santé mentale à l'échelle nationale. En outre, ces programmes et services seront rendus accessibles par la création d'un point d'accès central pour toutes les collectivités de façon à améliorer les services, programmes et soutiens dispensés à tous les Canadiens et à leurs familles, quel que soit leur lieu de résidence. Les plans et priorités pourront être établis sous forme d'ententes quinquennales de partage des coûts avec les provinces et territoires.

La santé mentale et le monde du travail

Il est généralement admis qu'occuper un emploi ou exercer une forme quelconque d’activité laborieuse significative est un déterminant clé de la santé et est essentiel à la santé mentale. En contrepartie, être au chômage nuit à la santé mentale. Nous savons que le chômage est la principale cause de pauvreté, et que la pauvreté est l'une des principales causes de mauvaise santé physique et mentale. Par conséquent, le travail et l'emploi doivent être considérés comme des éléments essentiels pour établir et conserver de santé mentale positive.[vii]

Les questions de santé mentale au sein de la population active canadienne ne sont pas adéquatement prises en compte. La maladie mentale est associée à plus de pertes de journées de travail que n'importe quelle autre affection chronique et coûte annuellement 51 milliards de dollars à l'économie canadienne en perte de productivité, dont près de 20 milliards résultant de pertes sur les lieux de travail. Dans la première étude de cette nature, des chercheurs du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CTSM) ont calculé que le coût réel des congés dus à la santé mentale est en moyenne le double des congés dus à une incapacité physique.

L'étude, publiée dans le Journal of Occupational & Environmental Medicine, a porté sur des données concernant les congés d'invalidité de courte durée de 33 913 employés à temps plein en Ontario. Elle a montré que le coût d'un seul employé en congé d'invalidité de courte durée pour problèmes de santé mentale coûte près de 18 000 $ à l'employeur. Elle a aussi révélé que les congés pour maladie mentale coûtent en moyenne le double de ceux des congés pour incapacité physique. L'étude a porté sur des données concernant les congés d'invalidité de courte durée de 33 913 employés à temps plein. Elle a montré que le stress, l'emploi occasionnel, l'emploi à temps partiel et l'incertitude de la conjoncture économique sont tous des déclencheurs possibles de maladies mentales.[viii]

Les ressources et services de soutien existant pour répondre aux besoins des employés souffrant de maladie mentale ont toujours été sporadiques, dans le meilleur des cas, et dépendent de l'entreprise pour laquelle on travaille, du fait qu'il y existe ou non un régime d'aide aux employés, de sa taille, et de l'attitude de sa direction à l'égard des questions de maladie mentale.

Même lorsqu'elles comprennent que la maladie mentale est présente parmi leur effectif, la plupart des organisations n'ont pas élaboré et mis en œuvre les outils nécessaires pour faire face à ces problèmes complexes et profonds. Le fait est que les employés souffrant de problèmes de maladie mentale non diagnostiqués et non traités, comme le stress et la dépression, peuvent faire perdre des sommes importantes à l'employeur. Les dépenses encourues par les congés d'invalidité de courte ou longue durée, par la perte de productivité directement associée au présentéisme et à l'absentéisme, et par la réduction du niveau de maintien (et de conscience professionnelle) des employés augmentent si l'on ne répond pas adéquatement aux besoins très réels du personnel. Lorsqu'une entreprise subit des pertes financières, celles-ci débouchent toujours sur des compressions d'effectifs qui ralentissent les moteurs économiques propulsant le pays. Plus grave encore, les employeurs peuvent être réticents à engager des personnes connaissant des problèmes de maladie mentale par crainte qu'elles deviennent un fardeau financier.

Dans un rapport de 2010 commandé par la  Commission de la santé mentale du Canada, intitulé « Une bataille juridique tout à fait légitime », le docteur Martin Shain affirme que les employeurs du Canada ont le devoir légal émergent de fournir et de préserver un milieu de travail sain sur le plan psychologique. En outre, les problèmes de santé mentale et les maladies mentales sont la première cause d'invalidité professionnelle au Canada, représentant 15 % du fardeau des maladies à l'échelle nationale.

Outre les effets de la santé mentale sur les particuliers, les organisations en subissent également le fardeau financier. En 2009-2010, 78 % des réclamations pour invalidité de courte durée et 67 % des réclamations pour invalidité de longue durée au Canada étaient reliées à des questions de santé mentale. La dépression est touche 10 % des 14 millions de personnes constituant la population active canadienne, ce qui veut dire que 1,4 million de travailleurs canadiens souffrent de cette maladie.[ix]

Selon une autre étude récemment publiée par le Conference Board du Canada, les informations erronées, la peur, la stigmatisation et la discrimination restent beaucoup trop répandues lorsqu'il s'agit de questions de santé mentale. Certaines organisations canadiennes ont pris quelques mesures pour éliminer la stigmatisation associée aux questions de santé mentale. Malgré cela, les employés craignent toujours de révéler un problème de santé mentale à leur employeur. Étant donné que les gestionnaires et employés comprennent généralement très mal la manière de s'attaquer aux problèmes de santé mentale, que les employés sont réticents à demander de l'aide étant donné la perception de stigmatisation et la discrimination associées à la divulgation, ainsi que le manque de formation et de soutien des gestionnaires pour aider les personnes souffrant de problèmes de santé mentale, les Canadiens souffrent plus longtemps en silence et sans le soutien susceptible de les aider à surmonter ces difficultés.

Le rapport intitulé « Building Mentally Healthy Workplaces: Perspectives of Canadian Workers and Front-Line Managers » porte sur l'environnement de travail des Canadiens et le soutien qui est accordé au bien-être mental des travailleurs. Les auteurs y proposent quatre domaines d'action : l'éducation et la communication, la culture du monde du travail, le leadership, et les compétences en gestion.[x]

L'enquête, réalisée auprès de plus de 1 000 Canadiens, a révélé la prévalence des problèmes de santé mentale dans le monde du travail. Quarante-quatre pour cent des employés interrogés ont dit souffrir actuellement (12 %) ou avoir souffert dans le passé (32 %) de problèmes de santé mentale. Dans cette étude, les problèmes de santé mentale ont été définis de manière très large et comprenaient un stress excessif, l'anxiété, la dépression, l'épuisement professionnel, l'assuétude et la toxicomanie, la manie, le trouble bipolaire et la schizophrénie, entre autres.

La STHC se réjouit d'avoir entendu dire qu'une norme nationale volontaire de santé et de sécurité psychologiques sera créée grâce à une contribution du gouvernement du Canada annoncé en juin. Les employeurs, qui constituent l'épine dorsale du moteur économique canadien, ont besoin d'aide pour faire face à la montée des problèmes de santé mentale dans le monde du travail, et les Canadiens souffrant de problèmes de santé mentale ont besoin d'aide pour maintenir leur participation de la population active. En foi de quoi, la STHC propose au comité la recommandation ci-après.

Recommandation

Que le gouvernement du Canada mette sur pied un programme annuel national de 10 millions de dollars pour appuyer le recrutement et la rétention des personnes souffrant de maladie mentale dans la population active. En outre, que la gestion de ce programme soit placée sous la tutelle du Fonds d'intégration pour les personnes handicapées, de RHDCC. Les plans et priorités de ce programme devront être établis en accord avec les provinces et territoires.

La Société pour les troubles de l'humeur du Canada

La Société pour les troubles de l'humeur du Canada (STHC) est le fruit de la vision et de la volonté d'un certain nombre d'intervenants sur les questions de santé mentale préoccupant les consommateurs et les familles du Canada qui ont estimé en 1995 qu'il devenait nécessaire de créer un organisme national pour appuyer les consommateurs, usagers et patients des services de santé mentale et qui estime que ceux-ci doivent jouer un rôle clé en matière d'éducation, de services, d'élaboration de programmes, de campagnes anti-stigmatisation et de promotion à l'échelle nationale. La STHC a été constituée officiellement en 2001 sous forme d'organisme de charité national à but non lucratif axé sur les besoins des consommateurs est déterminé à faire entendre la voix des consommateurs, des familles et des intervenants sur les questions de santé mentale, notamment en ce qui concerne la dépression, le trouble bipolaire, l'anxiété et les autres troubles d’humeur. La Société s'est engagée à collaborer avec toutes les parties prenantes pour rehausser l'engagement des consommateurs de santé mentale dans tous les aspects des soins de santé au Canada. Elle a fait la preuve de son efficacité en menant des recherches fondées sur des données probantes d'un point de vue à la fois quantitatif et qualitatif et en jouant le rôle de pont entre les dispensateurs et les consommateurs de services de santé mentale du Canada.

La Société pour les troubles de l'humeur du Canada s'acquitte de son mandat dans le cadre d'une démarche de partenariat actif englobant les organisations à vocation similaire des secteurs public, privé et bénévole. Elle participe à un large éventail de projets et d'initiatives destinés à appuyer l'intégration des personnes souffrant de maladie mentale dans la société canadienne, et joue un rôle proactif dans l'élaboration des politiques publiques et des programmes sur la scène nationale.

La STHC est membre des Organismes caritatifs neurologiques du Canada, membre fondateur de l'alliance canadienne pour maladie mentale et la santé mentale, et membre du Réseau des invalidités épisodiques.


[ii]      Santé Canada. (1999). Le développement sain des enfants et des jeunes : le rôle des déterminants de la santé. Catalogue No. H39-501/1999E.

[iii]     Santé Canada (2002) Rapport sur les maladies mentales au Canada.

[iv]     Aspect humain de la santé mentale et de la maladie mentale au Canada 2006: http://www.phac-aspc.gc.ca/publicat/human-humain06/index-fra.php

[v]      The Cost of Mental Health and Substance Abuse Services in Canada, June 2010. www.ihe.ca/documents/Cost%20of%20Mental%20Health%20Services%20in%20Canada%20 Report%20June%202010.pdf

[vii]    Ministère de la santé et des soins de longue durée de l'Ontario, Mental Health Implementation Task Force Final Report

[ix]     “Depression At Work” The Unheralded Business Crisis In Canada - Global Business And Economic Roundtable On Addiction And Mental Health