FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le lundi 16 février 1998
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Mills (Red Deer, Réf.)): La séance est ouverte.
Je vous présente M. Enrique Iglesias. Vous savez tous qui il est, et je vais donc lui demander de nous présenter les gens qui l'accompagnent. Nous allons devoir interrompre cette réunion à 16 h 15 car M. Iglesias a besoin de temps pour faire sa valise. Je vous demande donc à tous de poser des questions courtes, et nous essaierons de tirer le meilleur parti possible du temps que nous avons.
Je commence par vous donner la parole, après quoi nous vous poserons des questions.
M. Enrique Iglesias (président, Banque interaméricaine de développement): Votre administrateur à la banque, M. Lavigueur, m'accompagne, ainsi que notre chef du personnel, M. Euric Bobb, et bien sûr, nos amis de votre administration que vous connaissez bien.
C'est un plaisir d'être ici pour vous parler brièvement de la région, de la banque et, bien sûr, répondre aux questions que vous voudrez bien nous poser.
J'aimerais dire quelques mots au sujet de l'Amérique latine. Je pense que nous traversons une période particulièrement intéressante pour notre région. Je dirai qu'il s'agit d'une révolution silencieuse, car nous nous heurtons à un très grand nombre de difficultés, dans notre économie, des problèmes d'instabilité et de dettes, et un grand nombre d'autres problèmes, y compris des problèmes politiques. Notre région vit dans la démocratie et dans le respect des droits de l'homme; le système n'est pas parfait, mais nous évoluons dans la bonne direction.
L'année dernière, l'économie a connu une croissance de plus de 5,5 p. 100. On a ramené l'inflation à 10 p. 100. Les investissements augmentent. Le capital qui arrive dans la région représente quelque chose comme 5 p. 100 de notre PNB, 80 milliards de dollars l'année dernière. Sur le plan économique, nous nous débrouillons bien, et notre croissance n'est probablement pas terminée. Cinq pour cent, ce n'est pas suffisant pour faire face au...
Sur le plan social, il y a toujours un très gros problème. La pauvreté frappe toujours un tiers de la population, et la répartition des revenus est extrêmement mauvaise. L'année dernière, on a eu l'impression que le niveau de pauvreté avait tendance à baisser, mais c'est toujours un problème majeur que nous continuons à essayer de résoudre.
Tous ces changements, au niveau planétaire et dans la région, forcent également la banque à repenser ses priorités. Nous continuons à mettre l'accent sur les questions sociales, qui sont très importantes, pas seulement à cause des problèmes éthiques qu'elles comportent, mais également à cause de l'évolution des schémas de croissance et de la possibilité d'améliorer notre position commerciale sur la scène mondiale.
• 1540
Nous nous sommes intéressés principalement aux réformes
structurelles possibles. Nous nous intéressons actuellement aux
réformes de l'État, des gouvernements locaux, des municipalités,
des systèmes judiciaires. Nous essayons également de favoriser
l'internationalisation de l'Amérique latine. Dans ce domaine, nous
sommes très déterminés.
On a dit que nous étions une banque de l'intégration. Nous travaillons en étroite collaboration avec MERCOSUR et d'autres groupements régionaux. Nous nous intéressons aux relations hémisphériques. Nous sommes convaincus de la nécessité de réaliser une intégration à la fois régionale et hémisphérique. Nous pensons qu'à long terme cela offrira des débouchés exceptionnels à l'Amérique du Nord et à l'Amérique du Sud. Pour cette raison, votre pays a une grande importance pour nous. Son rôle est très important. Nous avons besoin de votre aide, et nous sommes convaincus qu'en fin de compte, tout le monde en profitera, vous-mêmes et nous-mêmes. Ce sont des efforts dont tout le monde devrait profiter.
Voilà donc ce que j'avais à dire en guise d'introduction. Comme je l'ai dit, monsieur le président, je répondrai à toutes vos questions avec plaisir.
Le vice-président (M. Bob Mills): Peut-être pourrions-nous commencer par M. Grewal.
M. Gurmant Grewal (Surrey-Centre, Réf.): Monsieur le président, je vous souhaite la bienvenue à notre comité. En quelques mots, vous nous avez brossé un tableau très clair de l'Amérique latine. J'ai beaucoup apprécié. C'était à la fois concis et complet.
Pour en revenir aux aspects commerciaux, nous voyons que votre banque a 46 membres en Amérique latine, dans les Caraïbes et les pays de l'OCDE. J'ai une question à propos des relations entre le Canada et l'Amérique latine.
J'aimerais parler en particulier de nos relations avec le Brésil. Notre ministre du Commerce international, Sergio Marchi, a récemment conduit une délégation d'Équipe Canada au Brésil. Vous vous souviendrez que notre entente avec Bombardier s'est mal terminée, et pour cette raison, lorsque Équipe Canada s'est rendue au Brésil, elle a été accueillie assez froidement. Pensez-vous que cela ait des répercussions graves sur nos relations futures?
Ma seconde question porte sur le FMI et la Banque mondiale. Par le passé, le Canada a fait une contribution importante au FMI et à la Banque mondiale, mais depuis quelques années, cette contribution diminue. À cause de cela, le Canada a probablement perdu de l'importance au FMI et à la Banque mondiale. À votre avis, quelle position allons-nous occuper à l'avenir au FMI et à la Banque mondiale, quelle sera notre influence? Dans quelle mesure cela aura-t-il un impact sur nos relations commerciales avec l'Amérique latine, le Brésil, et le reste du monde par l'entremise du FMI et de la Banque mondiale?
M. Enrique Iglesias: En ce qui concerne la première question, effectivement, j'ai entendu dans les médias qu'il y avait eu des problèmes avec l'accord que vous deviez signer avec MERCOSUR.
Je ne peux pas entrer dans les détails de cette transaction, mais je peux vous dire qu'à mon avis, ce ne sera qu'une anecdote, et que cela ne changera pas vos relations avec le Brésil ou avec MERCOSUR.
Dans le monde commercial, on fait des promesses chaque jour, et il suffit de se tourner vers le l'Europe pour voir à quel point il est difficile d'avancer sur ce terrain. Toutefois, il y a une chose dont vous pouvez être certains, c'est que le Canada est un pays très bien vu en Amérique latine. Je ne veux pas vous flatter, je ne suis pas ici pour cela, mais c'est la vérité. Les gens se sentent à l'aise avec vous. Dans le monde des affaires, on se sent à l'aise avec les Canadiens. Vous n'avez qu'à considérer les affaires traitées dans la région par vos grosses entreprises et maintenant pour vos petites et moyennes entreprises.
Ainsi, dans tous ces échanges que nous avons dans la région entre grandes nations et petites nations, vous pouvez jouer un rôle particulièrement important. Je ne considère pas que cet incident indique une tendance; je pense qu'il s'agit d'une simple anecdote, un incident qui ne restera pas dans l'histoire. Je m'arrête là.
Quant à la seconde question, au sujet du FMI et de la Banque mondiale, j'aimerais que votre pays joue un rôle très actif—et c'est d'ailleurs le cas—en particulier maintenant que le FMI est en train de prendre de l'expansion.
• 1545
Je suis un grand supporteur du FMI, je considère que cet
organisme joue un rôle très important dans le monde. Après tout, si
après la guerre nous avons réussi à éviter une crise majeure, c'est
en grande partie à cause de ces institutions internationales de
Bretton Woods. Ce sont des aspects qu'on perd parfois de vue, mais
dans ce sens-là, le FMI joue un rôle particulièrement important.
Si vous considérez ce qui s'est produit en Amérique latine, il faut reconnaître que le problème de la dette pendant les années 80 était un problème extrêmement grave. Bretton Woods a joué un rôle clé en nous permettant de rétablir la confiance, et aujourd'hui, les perspectives en Amérique latine sont très prometteuses. La même chose vaut pour la crise au Mexique en 1995 et le problème de la tequila.
Ces institutions jouent un rôle crucial car elles permettent au système international de fonctionner. Tout le monde en profite, y compris les pays industrialisés. Nous avons besoin d'un monde ordonné, d'un monde qui fonctionne.
Cela dit, il faut se souvenir que le FMI ne coûte rien aux contribuables. C'est ce que M. Camdessus a déclaré la semaine dernière devant le Congrès américain. Il a dit que la fondation ne coûtait pas un sou aux contribuables. Et cependant, c'est un mécanisme qui nous donne une forte garantie de sécurité.
À part cela, nous avons vu récemment l'excellent accord que vous avez signé avec le Toronto International Leadership Centre for Financial Sector Supervision. Cette initiative commune de la banque mondiale et de vous-mêmes est excellente. Nous avons des projets équivalents, et c'est justement le genre de chose que le Canada peut faire pour améliorer un système dont tout le monde dépend. Dans ce sens-là, vous jouez un rôle très actif.
M. Gurmant Grewal: J'ai une autre question très courte, monsieur le président, si vous le permettez. Ce matin à la Chambre, nous avons débattu d'un projet de loi sur la petite entreprise, le projet de loi C-21. Mon parti est pour la petite entreprise...
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Vous suivez notre exemple.
M. Gurmant Grewal: Pas forcément. Si votre parti suivait notre exemple, la petite entreprise serait florissante, car c'est elle qui crée 98 p. 100 des emplois et des débouchés commerciaux.
Les grandes banques font des profits énormes. Les banques américaines qui financent les opérations bancaires et en particulier les opérations des caisses de crédit, comme la banque ABN du Canada et la banque AMRO, etc., prêtent des fonds en pensant à leurs propres bénéfices, à leurs propres intérêts, et certainement pas en pensant aux besoins des petites entreprises canadiennes.
J'aimerais donc savoir ce que votre banque fait pour encourager la petite entreprise dans le monde entier, en particulier dans l'hémisphère américain? À votre avis, quels efforts le Canada doit-il déployer pour que la petite entreprise trouve plus facilement les fonds dont elle a besoin?
M. Enrique Iglesias: Des efforts très concrets. Nous sommes la première institution du genre, la première institution financière multilatérale qui traite avec la petite entreprise. Depuis 1967, nous avons traité avec plusieurs centaines de milliers d'entrepreneurs. Au cours des quatre ou cinq dernières années seulement, je crois que nous avons traité avec au moins 600 000 micro-entrepreneurs.
Je suis tout à fait convaincu, au moins autant que vous, qu'il faut aider la petite entreprise, car nous avons dans la région 50 millions de petites et micro-entreprises, 50 millions, dont peut-être 5 p. 100 seulement ont accès à un crédit quelconque.
C'est donc un véritable géant endormi, un géant qu'on pourrait réveiller avec le soutien nécessaire, et je ne parle seulement d'argent, mais également de coopération technique. À l'heure actuelle, nous encourageons les intermédiaires financiers avec la participation des banques privées, celles qui pensent que cela doit vraiment être fait, ce qui ne les empêche pas de gagner de l'argent. Les taux d'intérêt exigés par le système bancaire sont tout à fait inabordable pour ces petits entrepreneurs. Normalement, ils sont forcés de s'adresser aux spéculateurs qui exigent des taux extrêmement variés. C'est donc une question particulièrement importante.
Nous nous intéressons au système réglementaire des pays. Nous avons créé beaucoup de banques intermédiaires qui sont en faveur d'une amélioration du système. En ce moment, nous sommes en train de constituer un groupe de banques privées—dont le Crédit agricole en France ainsi que le Centre Paolo di Torino en Italie, et nous invitons les banques canadiennes—pour voir si ensemble elles ne pourraient pas nous aider à soutenir les institutions de la région qui prêtent aux petits et micro-entrepreneurs.
• 1550
C'est un domaine auquel la banque tient énormément. Nous avons
prêté 500 millions de dollars au cours des cinq dernières années,
et nous avons l'intention de faire beaucoup plus pendant les années
à venir. C'est un domaine auquel nous accordons beaucoup
d'importance.
M. Gurmant Grewal: Merci.
Le vice-président (M. Bob Mills): Monsieur Sauvageau.
[Français]
M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Monsieur Iglesias, bienvenue parmi nous. J'ai grandement apprécié, tout comme mon collègue, votre intervention.
Je vous poserai trois petites questions. Si la réponse à ma première question vous semble évidente, je vous prie de m'excuser, mais elle ne l'est pas pour moi. J'aimerais que vous m'expliquiez les liens entre la Banque interaméricaine et le FMI, et j'apprécierais que vous me donniez l'exemple concret d'un pays particulier.
Deuxièmement, dès notre retour au début de mars, notre comité se penchera sur un sujet assez épineux, c'est-à-dire le commerce international, les droits de la personne et le respect de la démocratie. On pourrait citer un pays en exemple, bien que je sache qu'il est préférable de ne pas le faire. Je vous donne toutefois l'exemple du président de la Société pour l'expansion des exportations, qui est venu nous voir et avec qui nous avons discuté du cas de la Colombie. J'aimerais que vous nous expliquiez pourquoi on dit:
-
La BID est importante pour le Canada. Elle
nous aide à atteindre nos objectifs qui sont la
paix, la sécurité et la prospérité dans le monde, ainsi
que nos objectifs de développement.
Comment le Canada, par le biais de son commerce international, peut-il assurer les respect des droits de la personne et des droits démocratiques? Je crois qu'il y a un lien direct entre le commerce et les droits.
Vous avez traité brièvement de ma troisième question, qui porte sur la zone de libre-échange des Amériques, à moyen et à long terme. On a vu la problématique du MERCOSUR et de l'adhésion du Canada, et j'aimerais que vous me disiez quels principaux obstacles vous craignez dans un proche avenir. À quoi doit-on s'affairer dans un premier temps pour favoriser l'évolution des négociations sur cette zone de libre-échange?
Je vous remercie.
M. Enrique Iglesias: Vous devrez confirmer que je comprends bien votre deuxième question.
Votre première question porte sur le rapport qui existe entre le FMI et la Banque interaméricaine. Nous entretenons des rapports et menons des consultations qui sont très étroitement liées, parce qu'au fond, nous dépendons aussi d'une macro-économie saine.
Le Fonds monétaire international s'occupe surtout de rétablir des conditions de stabilité des prix et de fonctionnement harmonieux de l'économie. Il est donc pour nous très important de travailler ensemble. Les consultations sont normalement permanentes. Ainsi, chaque fois que nous ou le Fonds monétaire consentons des émissions, nous menons des consultations, lesquelles sont parfois conjointes. Certaines missions se font de concert et misent sur la contribution des deux institutions afin que nous puissions couvrir certains sujets.
Je travaille très étroitement avec M. Camdessus et, devrais-je dire, la Banque mondiale. Depuis que je suis arrivé à la Banque interaméricaine, je me suis dit qu'au fond, nous travaillons avec les mêmes pays et faisons face au même problème. Nous sommes tous motivés par le même objectif, soit d'aider les pays à se développer. Il faut travailler ensemble et entretenir des consultations permanentes.
Je dois dire aussi que la géographie nous aide, puisque nos bureaux sont à trois rues l'un de l'autre. Ils étaient pourtant à trois rues il y a 30 ans, mais cela n'existait pas. Maintenant, nous y sommes. Je crois beaucoup à cette collaboration et je crois que les pays en sont aussi contents.
Votre deuxième question portait sur les rapports entre les droits de la personne et le commerce, n'est-ce pas?
M. Benoît Sauvageau: En effet.
M. Enrique Iglesias: Nous ne sommes pas directement engagés dans cette histoire en tant que telle. Dans notre banque, nous n'avons pas la clause démocratique. Cependant, j'ai fait effet l'application de cette clause dans deux situations particulières. Par exemple, lors de la crise politique en Haïti, nous avons arrêté toutes les sortes de coopération, sauf la coopération technique de base essentielle. C'est moi qui ai pris cette décision à la suite de l'invasion des États américains. L'organisation prend des décisions, par exemple celle d'imposer des sanctions. La Banque appartient au système et nous devons suivre. Nous avons fait la même chose dans une situation très délicate avec le Pérou.
• 1555
Au fond, une clause démocratique explicite n'existe
que dans la banque régionale la plus récente, la Banque
européenne d'investissement.
Cette banque s'est dotée d'une clause démocratique
explicite. Notre banque remonte à
1959 et, à cette époque, c'était un autre monde.
Moi, j'ai pris la décision de prendre le risque,
au nom du président et non pas
du conseil d'administration, d'arrêter les
opérations avec les pays
lorsque le corps politique de la région, soit
l'OEA, prend de telles décisions.
Nous avons l'intention d'agir ainsi à l'avenir.
Bien que j'espère que cela ne se produira pas,
si par hasard demain un pays devait interrompre le
fonctionnement de la démocratie et faire l'objet d'une
sanction de la part de l'OEA, j'arrêterais automatiquement
l'émission de prêts.
M. Benoît Sauvageau: Vous avez su répondre à ma question et je vous en remercie.
M. Enrique Iglesias: Votre question portait sur l'ALENA et le MERCOSUR. Nous sommes vraiment en faveur de l'intégration régionale. J'ai travaillé toute ma vie dans ce domaine et j'y crois beaucoup. Je crois au MERCOSUR, je crois à un groupe andin, je crois aux pays des Caraïbes et je crois à l'Amérique centrale. Je crois aussi que notre destin, ce devrait être d'avoir à la fin une grande unité régionale. Ça ferait du bien à tout le monde.
En même temps, je crois à l'intégration hémisphérique. Il n'y a pas de contradiction nécessairement, mais il faut être préparé pour y arriver. La position qui se présente maintenant au niveau des systèmes régionaux comme le MERCOSUR, c'est qu'il faut avancer, approfondir les choses et entreprendre les pourparlers nécessaires pour en arriver un jour à une zone de libre-échange des Amériques.
Il y a une cible, et c'est l'année 2005. J'espère que nous y arriverons. De toute façon, il y aura des problèmes. On n'est pas encore prêts à y entrer. C'est une chose très claire pour l'Argentine et le Brésil. Il faut se préparer. Ce n'est pas une blague que de conclure un accord avec un pays comme les États-Unis. S'il y a de grands risques, il faut être vraiment... Vous le savez très bien d'ailleurs.
Pour nous, c'est encore beaucoup plus compliqué. Je crois qu'il faut se préparer. Je crois que l'intégration régionale est une manière de se préparer. Je suis très content de voir que maintenant les États-Unis négocient avec ces pays en tant que groupe. C'est une chose tout à fait nouvelle, qui n'existait pas auparavant. Jamais je n'avais vu ça. C'est la première fois qu'il y a des entretiens entre le groupe du MERCOSUR et les États-Unis. C'est très prometteur pour l'avenir. Il y aura de gros problèmes sans doute. Il est clair que l'agriculture sera l'un d'eux, et il y en a d'autres. Donc, quelle est la solution à tout cela? C'est d'ouvrir la porte à plusieurs négociations.
J'étais le président de l'Uruguay Round. Comment avons-nous fait pour essayer de faire face à ces questions difficiles? Nous avons eu plusieurs groupes et nous avons essayé de voir si nous pouvions négocier avec tous. Donc, il y a des compensations; tout le monde perd et gagne en même temps. Comme cela, on peut arriver à une solution comme on l'a fait dans l'Uruguay Round. Il y aura sans doute de gros problèmes, mais il faut commencer.
J'espère que la réunion qui sera tenue en avril prochain pourra relancer les négociations régulières, mais sans sacrifier ni le rythme de notre propre intégration ni le rythme des négociations de l'hémisphère. Il faut que les deux puissent avancer de façon parallèle. Après cela, on verra et on en arrivera à une solution entre nous.
M. Benoît Sauvageau: Merci. Est-ce qu'il me reste du temps?
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Mills): Très brièvement, s'il vous plaît.
[Français]
M. Benoît Sauvageau: Deux courtes questions. On lit dans votre c.v. que vous avez participé à plusieurs de ces négociations. Premièrement, quel rôle voyez-vous pour les parlementaires relativement à la zone de libre-échange des Amériques? Devrions-nous ne voir les dossiers qu'après les négociations? Deuxièmement, quelle est votre opinion sur l'Accord multilatéral sur l'investissement pour votre région plus spécifiquement?
M. Enrique Iglesias: Quelle était la première question?
M. Benoît Sauvageau: Le rôle des parlementaires dans ces négociations multilatérales.
M. Enrique Iglesias: Nous avons un parlement latino-américain. Vous avez des rapports avec ce parlement à Sao Paolo, n'est-ce pas? Il faut avoir d'abord une participation consultative, et je crois que ça viendra. Des parlementaires ont déjà participé à ces pourparlers qui se font régulièrement pour la création de la zone de libre-échange, mais j'espère qu'il y aura des pourparlers plus officiels. Je ne saurais vous dire exactement sous quelle forme, mais j'espère qu'une telle participation aura lieu à ce moment-là.
• 1600
Vous parliez aussi de l'Accord international sur
l'investissement.
Je crois que pour nous, et
pour l'Amérique, il est très important d'être là parce
que nous avons besoin de beaucoup d'investissements.
Donc, il y a, dans tout ce mécanisme d'accord
international, cet élément clé pour encourager
l'arrivée des investissements.
M. Benoît Sauvageau: Merci.
Le président: Monsieur Bachand.
M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Bienvenue, monsieur Iglesias.
Monsieur le président, je ne connais pas vraiment la banque que vous présidez et j'aimerais que vous puissiez m'éclairer. Vous disiez plus tôt que votre banque jouait un rôle, entre autres au niveau de la petite entreprise ou des micro-entreprises, en essayant d'établir un partenariat avec les banques dites traditionnelles. Mais votre rôle comme banque me semble davantage se jouer auprès des gouvernements et des organisations qu'auprès des entreprises. Quel est votre rôle exactement? Je dois vous avouer que je ne connais pas vraiment la façon dont vous fonctionnez.
M. Enrique Iglesias: Pour commencer, historiquement, ce que nous avons fait, c'est de consentir des prêts à des conditions très libérales, d'un maximum de 500 000 $, à de petites unités qui étaient surtout des entreprises exploitées par des femmes et des coopératives. Nous avons une longue histoire depuis 1967 et nous avons acquis une grande expérience. Cela nous a surtout permis d'apprendre.
L'argent, c'est important, mais ce n'est pas tout. Ce qui plus important que l'argent, c'est la coopération technique. C'est pourquoi nous avons fait des investissements dans toutes ces entreprises tout en leur en donnant toujours un appui en matière de coopération technique en vue de la formation et de l'amélioration de leur capacité administrative, etc. Il y a donc, d'une part, un rapport direct entre la Banque et les petites unités dans toutes les régions.
Deuxièmement, nous faisons des prêts directs à des banques publiques ou privées avec la garantie de l'État. Ces prêts sont prêtés à nouveau par la suite aux petites unités. C'est a two-tier approach. Par exemple, nous avons fait un prêt de 100 millions de dollars à l'Argentine. Ce prêt a été consenti au gouvernement pour une institution qui accordera par la suite des prêts à des petites unités financières.
Troisièmement, il y a la mobilisation que nous voulons faire maintenant avec les banques privées pour nous aider à encourager l'entrée de capitaux privés dans ce marché des petites et moyennes entreprises. C'est la troisième manière d'agir.
M. André Bachand: Vous ne touchez donc pas du tout à l'aspect de la santé financière d'un pays auprès du gouvernement. Vous allez toujours auprès des entreprises et des unités. Vous êtes vraiment une banque au sens où nous l'entendons ici. Vous ne prêtez pas d'argent à un gouvernement pour qu'il puisse régler ses problèmes financiers; vous agissez directement au niveau de la création d'emplois et du développement économique.
M. Enrique Iglesias: Des deux manières. Cela veut dire que nous transigeons directement avec des entreprises et des unités, comme je vous le disais, et leur accordons de petits prêts jusqu'à 500 000 $. Cela nous a permis de vivre de grandes expériences. Je souligne que plus de 55 p. 100 de ces entreprises sont exploitées par des femmes. Nous entretenons des rapports directs avec des institutions non gouvernementales et des petites entreprises qui sont surtout des coopératives. C'est là une manière.
L'autre manière, c'est à travers des banques, avec la garantie de l'État. Ces banques veulent essayer d'appuyer ces petites unités avec notre argent et avec la garantie de l'État.
M. André Bachand: D'accord. Ce que je comprends, c'est que vous oeuvrez vraiment au niveau de l'entreprise.
M. Enrique Iglesias: Oui, oui.
M. André Bachand: Vous n'intervenez pas dans une crise monétaire d'un pays. Vous n'intervenez pas auprès du gouvernement lui-même.
M. Enrique Iglesias: Non. D'abord, il faut dire que les pays sont tout à fait à jour dans leurs obligations. On n'a jamais eu de problèmes, même quand nous avons vécu la période difficile des années 1980. C'était vraiment alors une belle crise.
Je suis très heureux de vous dire qu'à ce moment-là, tous nos gouvernements ont toujours respecté leurs engagements avec notre banque, sauf dans deux ou trois cas où il y a eu des problèmes politiques: l'invasion de Panama et la guerre au Nicaragua. Il y a toujours eu un grand respect pour la Banque. On n'a rien perdu, pas un seul sou, avec nos gouvernements.
M. André Bachand: En terminant, pouvez-vous me dire quel taux d'intérêt vous exigez? Malgré le fait que l'ensemble des pays contribuent, il y a quand même des intérêts qui sont exigés pour ces prêts.
M. Enrique Iglesias: Ah, oui.
M. André Bachand: De quel ordre sont-ils?
M. Enrique Iglesias: Normalement, nous demandons le même taux d'intérêt que celui que nous percevons auprès de tout le monde. Cela veut dire que nous n'accordons pas à ces petites entreprises des subsides au niveau de l'intérêt. On préfère leur donner de l'argent au niveau de la coopération technique. On veut qu'elles remboursent l'argent qu'on leur prête au niveau normal des entreprises.
L'aide que nous leur apportons est surtout au niveau de la coopération technique. Jusqu'à un tiers du prêt est réservé pour leur donner un appui, une formation, etc. Il est préférable de leur donner in kind ce type d'assistance, plutôt que de leur consentir des taux d'intérêt inférieurs. On ne croit pas utile d'agir ainsi, parce qu'au fond, le fait d'obtenir le taux d'intérêt du marché, c'est déjà une grande coopération. Elles sont normalement soumises, comme je vous le disais plus tôt, à des spéculations, à des choses horribles de la part des marchés noirs avec lesquels elles transigent.
M. André Bachand: Merci beaucoup.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Mills): Monsieur Assadourian.
M. Sarkis Assadourian: Merci, monsieur le président.
J'ai ici une courte note qui dit que vous avez 46 membres, dont la plupart des pays d'Amérique latine, des Caraïbes et les États-Unis. Pouvez-vous me dire si Cuba fait partie de votre organisation?
M. Enrique Iglesias: Non. Cuba s'est joint à la Banque... Nous avons vu le jour l'année de la révolution cubaine, si bien que Cuba...
M. Sarkis Assadourian: Avec Castro.
M. Enrique Iglesias: Oui, la révolution cubaine n'a eu lieu le premier janvier 1959, et la banque a vu le jour en février ou mars, quelque chose de ce genre. Le président de la banque centrale avait déjà signé, si bien que d'après notre charte, Cuba est membre de l'organisation.
M. Sarkis Assadourian: Pourquoi ne le sont-ils plus?
M. Enrique Iglesias: Ils n'ont jamais ratifié, leur adhésion.
M. Sarkis Assadourian: Oh, je vois.
Deuxièmement, quel a été l'impact de la Loi Helms-Burton sur votre banque et sur les transactions entre l'Amérique latine et les États-Unis? D'autre part, pouvez-vous me donner des détails sur la position financière de votre banque, votre actif, vos bénéfices, ce que vous faites des bénéfices? J'apprécierais une courte mise au point.
M. Enrique Iglesias: Jusqu'à présent, la loi Helms-Burton n'a eu aucun impact sur nous. La seule chose qui nous a touché quelque peu, c'est la loi sur la certification. Nous avons des problèmes en ce qui concerne la Colombie. Les États-Unis ont voté contre les prêts à la Colombie, mais comme les États-Unis n'ont que 30 p. 100 du capital, d'ordinaire, cela ne nous empêche pas de prêter à la Colombie. Jusqu'à présent, nous n'avons pas constaté de répercussions.
Votre dernière question portait sur...
M. Sarkis Assadourian: La position financière de la banque.
M. Enrique Iglesias: Oui.
Comme vous le savez, la banque a un capital autorisé de 100 milliards de dollars. Le capital versé, ce jour, est d'environ 5 milliards de dollars. Au cours des deux dernières années, nous avons prêté au total entre 6,5 et 7 milliards de dollars. Nous faisons des bénéfices appréciables sur ces prêts, peut-être 350 ou 400 millions de dollars. Dans l'ensemble, ces bénéfices sont versés dans nos réserves. D'autre part, nous aidons les pays très endettés à réduire leurs dettes. La Bolivie et la Guyane reçoivent ce type de financement.
Comme vous le savez, les pays membres de la banque ne font pas une contribution en liquide; ils fournissent des garanties. Les bénéfices servent donc à augmenter les réserves. C'est une des principales sources de revenus de la banque.
M. Sarkis Assadourian: Au troisième paragraphe, je lis que le Canada et les États-Unis sont les deux seuls membres qui n'empruntent pas. Que deviennent les bénéfices—nous ne les voyons pas du tout...
M. Enrique Iglesias: Non, non. C'est régional. Nous avons également l'Europe et le Japon.
M. Sarkis Assadourian: Oh, oh.
M. Enrique Iglesias: Nous avons 26 pays d'Amérique latine. Nous avons ensuite les États-Unis et le Canada dans cette région, puis 18 autres pays, dont l'ensemble de l'Union européenne, à l'exception de l'Irlande, du Luxembourg et de la Grèce. Il y a également Israël et le Japon.
Quant à la structure de notre capital, 30 p. 100 viennent des États-Unis, 5 p. 100 du Japon, 4 p. 100 du Canada et 11 p. 100 d'Europe. Cinquante pour cent du capital est fourni par les membres non emprunteurs et 50 p. 100 par l'Amérique latine.
M. Sarkis Assadourian: Merci.
Le vice-président (M. Bob Mills): Madame Augustine.
Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Moi aussi, je vous souhaite la bienvenue à notre comité, monsieur Iglesias. C'est un plaisir de vous rencontrer.
J'aimerais parler des objectifs de politique étrangère en ce qui concerne ces 4 p. 100 que nous contribuons. Pourriez-vous nous parler de ces objectifs en quelques minutes, nous dire ce qui se fait dans le domaine de l'éducation, de la formation, de l'autonomie des femmes et du micro-crédit. Parlez-nous des projets types lancés ou financés par la banque pour nous permettre d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés au Canada?
M. Enrique Iglesias: Traditionnellement, la banque a toujours été très proche des secteurs sociaux. C'est un objectif très ancien qui remonte à la création de la banque en 1959. Le premier président de la banque a voulu lui donner une identité qui permette de la comparer à la Banque mondiale.
Nous avons toujours beaucoup insisté sur les aspects sociaux, en particulier dans des domaines comme l'adduction d'eau, l'hygiène et le développement urbain. À l'époque, la Banque mondiale multilatérale n'avait jamais entendu parler d'une telle chose.
Depuis lors, nous avons toujours conservé cet engagement social. Aujourd'hui, 40 p. 100 de nos prêts doivent aller aux secteurs sociaux. L'année dernière il y en a eu 43 p. 100. D'autre part, 50 p. 100 des prêts doivent favoriser des objectifs sociaux. Cette année, nous avons dépassé les 50 p. 100.
Donc, dans l'ensemble, nous continuons dans la voie que nous nous sommes fixée, et parfois même, nous dépassons les objectifs. Et c'est ce que nous allons continuer à faire.
Parmi ces domaines, il y a l'éducation, la santé, l'approvisionnement en eau et l'assainissement. La condition féminine est également un sujet très important. Pour que les questions relatives aux femmes puissent être plus facilement intégrées dans tous nos projets, nous avons créé un comité consultatif présidé par Mme Miller, comme vous le savez. Mme Miller est vice-première ministre de la Barbade. Ce comité consultatif nous donne des conseils, surveille ce que nous faisons et veille à ce que notre processus de prêt soit dénué de toute discrimination en fonction du sexe.
D'ailleurs, nous ne nous limitons pas à octroyer des prêts dans ces domaines. Nous essayons de plus en plus de lancer des activités qui correspondent de près à vos intérêts, au Canada.
Par exemple, il y a les enfants de la rue. Il y a dans notre région beaucoup d'enfants qui vivent dans la rue, et plus de 30 villes d'Amérique latine bénéficient de notre collaboration. Nous collaborons avec la plupart des ONG.
Nous travaillons maintenant à la prévention du crime dans les villes. Nous sommes sur le point d'approuver les premiers prêts consentis à la Colombie et à l'Uruguay pour traiter la question des crimes dans les villes. La violence est un problème très grave dans notre région. Nous luttons également contre la violence familiale.
Nous avons un projet spécial destiné aux groupes autochtones, des groupes très importants dans votre pays. Plus particulièrement, nous avons réalisé un projet très important au Guatemala, après le processus de paix. Nous avons essayé d'aider surtout les régions touchées par la guerre. Ce projet se fondait sur un modèle de concession. Le gouvernement a repris notre projet et l'a confié aux collectivités indiennes, qui ont été chargées de l'exécuter.
Par exemple, nous avons mis sur pied un programme d'enseignement bilingue en Bolivie et au Pérou. Nous avons également favorisé la création d'un fonds indigène au moyen de contributions volontaires. Jusqu'à présent, ce fonds a permis de recueillir de 40 à 50 millions de dollars. Cet argent servira à l'établissement d'un centre en Bolivie, qui aura pour mandat de mettre sur pied des projets avec la participation des collectivités indiennes.
Comme vous pouvez le voir, l'aspect social est pour nous très important, pour la raison que j'ai mentionnée. Il y a beaucoup de disparités dans notre région et un bon nombre de pauvres.
De tous ces sujets, celui qui, pour nous, est le plus urgent, c'est l'éducation. C'est pour nous une priorité absolue.
• 1615
Tous ces sujets correspondent à vos propres priorités.
Mme Jean Augustine: Merci.
Le vice-président (M. Bob Mills): Il nous reste très peu de temps. Pourrais-je poser une question et demander à l'un d'entre vous d'y répondre?
D'après vos notes, le Canada n'a pas encore adhéré à la Société d'investissement pan-américaine parce que, entre autres, celle-ci ne met pas suffisamment l'accent sur le développement. Je me demande quelle solution notre comité pourrait trouver.
M. Turp a maintenant la parole, très brièvement. M. Iglesias doit prendre un avion, et nous devons donc être très brefs.
[Français]
M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): C'est une de mes questions d'ailleurs. J'aurais souhaité entendre le point de vue de M. Iglesias sur cette question de la Société interaméricaine d'investissement et savoir si les réticences du Canada sont partagées par d'autres pays et si la Banque fait des efforts pour assurer que ces réticences soient levées. C'était ma première question.
J'ai une deuxième question assez brève. Est-ce que vous ressentez l'impact des diminutions des budgets d'aide au développement de la part de pays industrialisés, notamment le Canada? Nous, on sait fort bien, l'ayant entendu devant ce comité, que le gouvernement canadien a réduit et continue de réduire son aide publique au développement. Je voudrais savoir si votre banque est affectée et si elle apprécie ces politiques moins généreuses des pays industrialisés en matière d'aide publique au développement.
M. Enrique Iglesias: Je viens de répondre à la première partie de la question.
M. Guy Lavigueur (administrateur pour le Canada, Banque interaméricaine de développement): Monsieur le président, pour répondre à la question au sujet de la Société, nous avons été autorisés, et je crois que tous les documents ont été signés par le ministre, à entrer en négociations avec la Banque sur la question des actions. Est-ce que cela répond de façon satisfaisante à votre question?
M. Daniel Turp: Vous allez donc devenir partie à la Société?
M. Guy Lavigueur: Oui.
M. Daniel Turp: Dans quel délai?
M. Guy Lavigueur: Je crois que ce sera aussitôt que les négociations seront terminées.
M. Enrique Iglesias: Si vous me le permettez, monsieur le président, je crois que c'est une bonne idée que le Canada appartienne à cette société.
M. Daniel Turp: Pourquoi?
M. Enrique Iglesias: Parce que ce n'est pas la SFI de la Banque mondiale. C'est une société orientée vers la moyenne entreprise, surtout dans les pays de taille moyenne. Les grands pays ont 95 p. 100 de l'argent qui est entré en Amérique latine l'année dernière. Ils étaient là dans six pays. Ce sont de grands récepteurs d'argent. Il n'est pas facile pour le capital privé d'aller en Amérique centrale. Je crois qu'il faut encourager les investissements dans le secteur privé et dans la moyenne entreprise dans tous ces pays. La Société joue ce rôle-là. C'est un rôle mobilisateur des capitaux privés, surtout dans les pays où, normalement, la dimension du marché n'est pas assez intéressante pour attirer la présence directe de capitaux privés. Nous voulons encourager cette participation.
Je crois que le Canada peut nous aider en incitant les entreprises canadiennes à s'établir dans ces pays et en s'associant à ces entreprises. J'ai vu, avec une grande satisfaction, que la dernière mission du gouvernement comprenait une centaine de petits et moyens entrepreneurs. C'est très encourageant et très bien. C'est une excellente idée parce que c'est le type d'investissements dont nous avons besoin. Ça crée des emplois et de l'activité. C'est une manière de transfert de technologie et c'est très important.
On doit regarder la Société dans ce contexte. C'est une manière d'aider les petites et moyennes entreprises, surtout dans les pays moyens. Je crois que cette association est très importante pour tous. J'espère que le Canada, qui est un grand ami de la région de l'Amérique latine, peut vraiment devenir associé. Je suis très content de voir qu'il a l'intention en principe d'y participer.
Vous avez demandé combien de pays y sont présents. Presque tous les pays de la région sont là. Il y a quelques pays nordiques qui ne sont pas encore là. Nous avons la Finlande et nous espérons avoir la Suède. Il y a cinq ou six pays qui manquent. J'espère bien que le Canada y sera. C'est très important qu'il y soit.
• 1620
Comme vous le savez, certains pays d'Amérique latine
sont encore très dépendants de l'aide
au développement, surtout en Amérique centrale.
Je peux vous donner une réponse à caractère général. Moi, j'aimerais bien voir une coopération internationale très active. Au fond, c'est un petit pourcentage de l'investissement international qui bénéficie à la coopération internationale. On parle de très peu quand on regarde les chiffres avec lesquels on travaille. Cependant, ces effectifs sont vraiment essentiels pour certains des pays moins développés.
On n'a qu'à prendre les cas d'Haïti, du Honduras ou du Nicaragua. Ces pays ont encore besoin de l'aide bilatérale. Donc, si vous me demandez ce que je veux, je vous dirai bien franchement que je veux le plus possible, ce qui serait bien pour nous tous. Mais pour le reste, c'est une question dont vous vous et votre gouvernement devez décider. Ce n'est pas à nous de le faire.
Comme objectif général, je voudrais vous encourager, votre gouvernement et vous-mêmes, à faire tout le nécessaire pour vraiment nous appuyer. Le Canada a toujours été connu et respecté pour sa solidarité internationale envers le développement. Je crois que cela est important, non simplement dans le cas du monde entier, mais surtout dans une région où vous avez pour objectif d'aider au développement de ces pays. Ce n'est pas uniquement un objectif économique. Nous serons de très bons partenaires et nous le sommes déjà dans les Amériques. L'objectif est aussi de maintenir la stabilité sociale dans une région à laquelle nous appartenons tous. Cela doit aussi être un élément très important à considérer.
Je trouve que c'est un bon investissement économique et politique. C'est pour cela, à mon avis, que c'est très important de maintenir cette présence canadienne. Vous avez toujours été à l'avant-garde des pays au chapitre de votre coopération avec le monde. J'espère que cela va continuer à l'avenir. Je comprends les contraintes budgétaires. Mais il s'agit toutefois d'une coopération très minime du point de vue de l'impact sur votre budget national, bien que cela puisse avoir un impact très important dans les pays bénéficiaires.
M. Daniel Turp: On vous citera, monsieur Iglesias, lorsque le ministre des Finances nous indiquera quelle sont les intentions du gouvernement en la matière, parce que vous savez qu'il y a eu une diminution très significative de l'aide au développement du Canada au cours des dernières années. On est sous la barre des 0,3 p. 100 maintenant au Canada, ce qui n'est pas à l'honneur de ce pays, dont vous dites qu'il est très solidaire des pays de ce continent.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Mills): Monsieur Iglesias, nous avons encore une toute petite question à vous poser. Avez-vous suffisamment de temps?
M. Enrique Iglesias: Oui.
Le vice-président (M. Bob Mills): Pourriez-vous être très bref, s'il vous plaît?
M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.): Je serai très bref. Comme vous pouvez le voir, en politique, l'opposition voudrait toujours que nous dépensions tout...
Des voix: Oh, oh.
M. Bob Speller: ...et nous ne pourrions jamais nous débarrasser de notre déficit.
Je me demande quelles répercussions la crise financière asiatique a eu en Amérique latine. Également, pour poursuivre dans la même veine que M. Sauvageau, j'ai entendu dire que l'ALENA avait eu des effets sur l'économie de certains des pays des Caraïbes. Vous avez dit vous-mêmes que cet accord avait eu des répercussions.
M. Enrique Iglesias: Oui. Je serai heureux de répondre à vos deux questions. La crise en Asie a eu et aura encore des répercussions en Amérique latine, mais ces répercussions ne sont pas aussi graves qu'on aurait pu le croire au début.
Premièrement, le commerce a été touché. Le prix de certaines denrées—le cuivre, le pétrole, certains métaux, peut-être aussi la laine et la viande—a diminué. Cette crise a donc eu un effet sur le commerce.
Les pays asiatiques nous feront également concurrence, puisque le prix de leurs produits diminue. Cette concurrence existera même si notre zone de concurrence avec ces pays est assez faible.
Troisièmement, il y aura une augmentation des taux d'intérêt.
Tout cela aura des effets sur notre balance des paiements. Certains pays seront touchés plus que d'autres, surtout ceux qui font davantage de commerce avec l'Asie.
Toutefois, ces pays ne sont pas nombreux. Au Chili, le niveau est de plus de 30 p. 100, et les effets s'en font sentir. Il en est de même du Pérou, dans une certaine mesure, avec un pourcentage de 20 p. 200—mais les échanges commerciaux entre l'Asie et des pays comme l'Argentine et le Brésil ne représentent que 10 à 15 p. 100. Ce ne sont pas des partenaires très importants. Le taux de croissance qui était de 5,5 p. 100 l'an dernier devrait atteindre 3 p. 100 seulement cette année en raison de cette crise. Ce n'est pas dramatique, mais ses effets existent néanmoins.
• 1625
Nous sommes mieux préparés cette fois-ci. Nous avons tiré des
leçons des crises précédentes. Notre macro-économie fonctionne
bien, elle est très solide, surtout en ce qui a trait au déficit
financier.
Deuxièmement, notre système bancaire se porte beaucoup mieux. Il n'est pas encore parfait, mais il est bien supérieur à ce qu'il était. C'est un élément très important pour ne pas retomber en crise.
Troisièmement, nous avons une très bonne capacité de réaction. L'Amérique latine a appris à réagir rapidement. Le mois dernier, la devise brésilienne était menacée par une certaine nervosité des marchés. Le pays a réuni une somme de 20 milliards de dollars et a investi 40 p. 100 de cette somme pour stabiliser la devise. Il ne fait aucun doute que c'est là le prix de la croissance. C'est un événement sans précédent et très important. Il faut réagir immédiatement.
Il y a deux semaines, les revenus provenant du pétrole au Mexique ont chuté de deux milliards de dollars. Le gouvernement a immédiatement annoncé publiquement des compressions budgétaires.
Nous avons donc en Amérique latine un système de gestion des crises très perfectionné. Malheureusement, ce système nous a coûté fort cher, puisqu'il nous a fallu tirer des leçons de toutes les crises du passé. Mais nous sommes mieux préparés qu'auparavant à réagir.
Quelle était votre deuxième question?
M. Bob Speller: Elle portait sur l'ALENA.
M. Enrique Iglesias: Vous me demandez quelles sont les répercussions de l'ALENA au Canada?
M. Bob Speller: Non, j'aimerais connaître ses effets dans les Caraïbes.
M. Enrique Iglesias: Oh oui, cet accord a sûrement des effets chez nous. C'est bien pour cette raison que les pays des Caraïbes et d'Amérique centrale s'intéressent autant au concept de la parité.
Voyez-vous, ces pays commencent à sentir les effets du détournement des investissements. Il en est de même du Mexique, à cause des conditions, même si ce pays participe à l'Initiative du bassin des Caraïbes.
Les signataires d'un accord comme l'ALENA jouissent d'une protection juridique. Il est tout normal que les investisseurs préfèrent investir là où ils sont protégés par un cadre juridique.
Il faudra donc être prudent dans ce domaine, parce que ces pays ont grand besoin d'investissements. Par conséquent, ce concept de la parité, qui a été examiné pendant un certain temps au Congrès américain... Je ne sais pas pourquoi, mais rien n'a été fait. C'est un problème, et un problème fondamental.
Le vice-président (M. Bob Mills): Eh bien, au nom du comité, je tiens à vous remercier.
M. Enrique Iglesias: Merci.
Le vice-président (M. Bob Mills): Nous avons bien apprécié toutes vos réponses. S'il y a d'autres questions, je suis certain que nous pourrons communiquer avec vous. Je vous remercie beaucoup.
M. Enrique Iglesias: Merci beaucoup.
Des voix: Merci.
Le vice-président (M. Bob Mills): La séance est levée.