FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 26 mai 1998
[Traduction]
Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue parmi nous, monsieur le ministre. Merci de vous être rendu à notre invitation. Nous sommes heureux que vous soyez venu nous entretenir du problème des récents tests nucléaires conduits par l'Inde. Comme vous le savez, nous effectuons une étude de la politique nucléaire du Canada et nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à dire à ce propos, car cela aura sans doute une importante répercussion sur notre étude.
J'ai cru comprendre que le député de Salaberry veut faire un rappel au Règlement.
[Français]
M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Monsieur le président, j'invoque le Règlement—ce n'est pas mon habitude—et je veux le faire devant le ministre parce qu'il s'agit d'un collègue en Chambre et que je veux me porter dans une certaine mesure à la défense d'un membre de notre comité, le député de Red Deer, Bob Mills. Il y a quelques jours, le 13 mai 1998, en réponse à une question de M. Mills, une question que nous aborderons d'ailleurs aujourd'hui concernant le CANDU et sa vente à l'Inde, le secrétaire parlementaire du ministre, M. McWhinney, que j'interpelle sur cette question et qui est un collègue que je respecte, a dit quelque chose qui était inexact et faux. J'aimerais qu'il réponde de cette accusation parce qu'en réponse à la question que lui a posée M. Mills, le secrétaire d'État a dit qu'il trouvait très étrange que le parti du député, et je le cite:
-
...se soit opposé, au Comité permanent des
affaires étrangères et du commerce international, à une
étude asiatique de sécurité régionale amorcée par le
ministre des Affaires étrangères.
À ma connaissance, mon collègue, le député de Red Deer, ne s'est jamais opposé à cette étude. Au contraire, devant ce comité, il a même voté en faveur de la proposition de faire cette étude. Alors, je demanderais au secrétaire parlementaire de bien vouloir expliquer la réponse qu'il a donnée à la Chambre sur cette question.
[Traduction]
M. Ted McWhinney (Vancouver Quadra, Lib.): Monsieur le président, je trouve étrange qu'un député du Bloc québécois fasse un tel rappel au Règlement. Je serais tout à fait d'accord si ce rappel au Règlement était formulé par un député de l'opposition concernée et si celui-ci pouvait y répondre.
Le président: Ce rappel au Règlement me cause quelques problèmes de procédure. Comme il s'agit d'une question qui a été soulevée en Chambre, je pense qu'il serait plus approprié d'en parler en Chambre qu'à ce comité.
[Français]
M. Daniel Turp: Il concerne les travaux de ce comité, monsieur le président.
[Traduction]
Le président: Je comprends.
[Français]
Je comprends très bien que les paroles prononcées à la Chambre des communes portaient sur les travaux de notre comité. Je vous suggère qu'on ne perde pas davantage du temps dont nous disposons en présence du ministre. Vous avez fait prévaloir votre point de vue et on pourra y revenir si cela est approprié, d'une part. D'autre part, si vous voulez en débattre la substance après que le ministre aura présenté son discours, nous aurons alors l'occasion de le questionner.
M. Daniel Turp: Je suis tout à fait d'accord, mais je voulais le faire en présence du ministre.
[Traduction]
M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): Personnellement je pense que le comité peut s'en charger et je suis tout à fait disposé à en parler.
Le président: Accepteriez-vous que nous y revenions après avoir entendu le ministre? Passons au ministre pour l'instant.
M. Bob Mills: J'aimerais parler de l'Inde, mais je suis disposé à le faire après l'intervention du ministre.
Le président: Ne nous enlisons pas dans les procédures, parce que nous allons perdre du temps. Nous y reviendrons plus tard.
Merci beaucoup.
Monsieur le ministre.
L'honorable Lloyd Axworthy (ministre des Affaires étrangères, Lib.): Merci, monsieur le président.
[Français]
D'abord, je veux remercier tous les membres du comité de me donner l'occasion de les rencontrer aujourd'hui au sujet des tests nucléaires en Inde et tout particulièrement au sujet de leurs conséquences sur la politique étrangère du Canada.
La situation en Inde est une grande source d'inquiétude pour tous les députés de la Chambre des communes et pour tous les Canadiens et Canadiennes, et particulièrement pour votre comité qui, depuis quelques semaines, étudie les politiques nucléaires du Canada.
Tout d'abord, je tiens à affirmer ma conviction que les tests nucléaires effectués par l'Inde sont un danger manifeste et fondamental pour le régime de sécurité internationale et donc pour la sécurité du Canada.
[Traduction]
À cause de ces essais, et du risque de voir le Pakistan céder aux énormes pressions politiques qu'il subit de l'intérieur et suivre l'exemple de l'Inde, nous voici ramenés 40 ans en arrière—face à un monde placé sous la menace directe de la prolifération nucléaire.
Trente ans de gestion fructueuse de cette menace sont aujourd'hui compromis, tout comme est délibérément bafouée l'opinion consensuelle des 186 nations qui ont signé le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. De plus, nous nous trouvons aux prises avec une nouvelle realpolitik nucléaire qui met en péril les progrès accomplis dans la voie du désarmement.
Tout en ayant pour assise et ancrage les principes et les règles du droit international, le régime de non-prolifération nucléaire est également intégré aux mécanismes internationaux. Le TNP joue un rôle fondamental, certes, mais le régime est constitué d'un ensemble complexe d'accords, d'arrangements et de mécanismes multilatéraux et bilatéraux conçus pour promouvoir et réaliser l'instauration d'un monde libéré des armes nucléaires, et ce, le plus tôt possible.
Valable durant la guerre froide, cet objectif reste tout aussi valable aujourd'hui. D'autre part, le régime doit servir de cadre aux efforts déployés dans le monde pour tirer efficacement parti des capacités nucléaires à des fins pacifiques.
Je crois qu'il est important, monsieur le président, de ne pas se laisser impressionner par toutes les jérémiades et les fanfaronnades de certains pays qui veulent acquérir l'arme nucléaire pour devenir des grandes puissances, car il ne faut pas oublier que dès 1945 le Canada avait la capacité et les moyens de devenir une puissance nucléaire.
Le Canada a été le premier pays dans l'histoire à décider, politiquement et de façon délibérée, de ne pas se doter de l'arme nucléaire. Cela veut donc dire que nous pouvons ajouter foi à notre engagement, parce que nous avons pris la décision politique de ne pas jouer ce jeu-là.
Au cours des 30 ou 40 dernières années, le Canada s'est donné beaucoup de mal pour développer ce processus et il en a payé le prix politique et économique. D'une part, nous avons renoncé à de nombreuses possibilités de vendre notre technologie nucléaire.
D'autre part, nous avons ouvertement insisté pour que les États dotés d'armes nucléaires s'acquittent de leur obligation de poursuivre le désarmement jusqu'à l'élimination ultime des armes nucléaires. Nous n'avons cessé de plaider en faveur du désarmement. La stabilité internationale s'en étant trouvée renforcée, je dirai que les avantages dépassent de loin les inconvénients.
Le TNP est le traité de contrôle des armements qui fait actuellement l'objet du plus grand nombre d'adhésions. Il est au coeur des efforts de prévention de la prolifération des armes nucléaires. Il constitue le cadre essentiel des activités de coopération en vue de l'utilisation de l'atome à des fins pacifiques sous garanties internationales; et il est seul à imposer aux États dotés d'armes nucléaires—Chine, États-Unis, Fédération de Russie, France et Royaume-Uni—l'obligation juridiquement contraignante de poursuivre des négociations en vue du désarmement nucléaire.
Le TNP reconnaît cinq États dotés d'armes nucléaires—et cinq seulement—, ceux-ci s'étant engagés en retour à viser le désarmement jusqu'à l'élimination complète des armes nucléaires. Cette ligne de conduite a tenu 30 ans.
D'autres instruments juridiques et accords internationaux sont venus s'ajouter au TNP. Le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, que le Canada a signé en 1996, et le Traité sur l'arrêt de la production de matières fissiles sont d'importants éléments du régime de non-prolifération. Il en est de même du processus de désarmement bilatéral américano-russe appelé START. L'AIEA et les accords de coopération nucléaire détaillés conclus par le Canada avec de nombreux pays du monde font eux aussi partie de ce régime.
[Français]
Mais je tiens à être clair: ces arrangements ne trouveront pas place dans le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. C'est dans cette optique que doivent être considérées les offres faites récemment par l'Inde d'adhérer en partie au Traité d'interdiction complète des essais nucléaires.
Pour préserver l'intégrité du régime de non-prolifération si essentiel à la sécurité internationale, les États non dotés d'armes nucléaires comme le Canada doivent prendre l'initiative afin d'éviter qu'une tendance naissante à défendre l'existence des armes nucléaires, fondée sur ce que j'appellerai une nouvelle Realpolitik nucléaire, ne vienne compromettre nos efforts en faveur de ce régime.
[Traduction]
Pour préserver l'intégrité du régime de non-prolifération si essentiel à la sécurité internationale, les États non dotés d'armes nucléaires comme le Canada doivent prendre l'initiative.
Par «nouvelle realpolitik nucléaire», j'entends l'ensemble des arguments politiques et ceux touchant à la sécurité—les nouveaux comme ceux qui ont été revus—, avancés par des pays proliférateurs comme l'Inde ainsi que par des États dotés d'armes nucléaires pour justifier la prolifération ou la conservation d'armes nucléaires—même en nombre réduit.
• 1545
Nous devons nous garder de deux dangers très réels. Nous
devons éviter qu'en prenant place dans le «club» des puissances
nucléaires, les proliférateurs ne profitent de l'idée voulant que
puissance nucléaire égale «grande» puissance. Nous devons résister
à toute tentative de faire des armes nucléaires une monnaie
d'échange acceptable en politique internationale. Pour cela, il
nous faudra poursuivre des objectifs marqués au coin de la
viabilité, de l'intégrité et de la durabilité.
L'Inde a invoqué des préoccupations de sécurité régionale pour justifier publiquement ses essais. Pourtant, il ne semble s'être produit aucun changement significatif à cet égard dans la période précédant les essais; et, jusqu'à tout récemment, les relations de l'Inde avec la Chine et le Pakistan s'amélioraient. Manifestement, l'action de l'Inde vient compromettre sa propre sécurité dans la région de même que l'équilibre de la sécurité dans le monde. La plus importante motivation de l'Inde a sans doute été l'ambition nationaliste. Malheureusement, le gouvernement indien n'a tenu aucun compte des conséquences de ses actes.
Le comportement de l'Inde semble lui être dicté par sa rivalité avec la Chine, qui est au premier plan des préoccupations du parti Bharatiya Janata au pouvoir. Les stratèges et analystes militaires indiens ont toujours surestimé la valeur stratégique des armes nucléaires, à la fois sur le plan militaire et en termes de prestige national. L'Inde semble n'avoir pas appris ce que les participants à la guerre froide savaient déjà au milieu des années 60: les armes nucléaires n'ont aucune utilité tactique. Même limité, un échange nucléaire entre l'Inde et le Pakistan détruirait presque entièrement ce dernier pays, ainsi que la plus grande partie de la région populeuse du nord de l'Inde. Les conséquences mondiales en seraient énormes.
En décidant de procéder à ses essais, l'Inde a peut-être: lancé ce qui pourrait être une course aux armements économiquement désastreuse dans le sous-continent indien; risqué d'entraîner une plus grande instabilité en Asie du Sud et dans la région environnante; mis à rude épreuve ses relations internationales avec un certain nombre de pays ayant avec elle des liens privilégiés, dont le Canada; et suscité des réactions hostiles au sein du système onusien et des organisations régionales, comme en témoignent les fortes prises de position au Conseil de sécurité, ainsi que chez ses partenaires traditionnels du mouvement des pays non-alignés.
Par ses essais, l'Inde a montré qu'elle regarde vers le passé plutôt que vers l'avenir quant à ce qui s'impose pour renforcer la paix et la sécurité internationales. À cet égard, j'estime que l'Inde a irrémédiablement perdu toute chance d'obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, car celui-ci a été expressément créé pour préserver la paix et la sécurité, et renforcer l'ordre international. En outre, sa prétention d'accéder à d'autres organismes internationaux risque fort d'être mise à rude épreuve à cause de ses écarts.
L'Inde a également justifié ses essais nucléaires en arguant de l'imperfection du régime actuel de non-prolifération. Elle invoque pour cela le fait que le TNP permet à cinq États dotés d'armes nucléaires de maintenir leurs arsenaux sans que n'ait été clairement fixée une date limite pour le désarmement complet. Or cet argument est lui-même foncièrement vicié, car s'il est vrai que le TNP est un compromis, il s'agit tout de même d'un compromis que 186 nations ont entériné, et il est inacceptable que l'Inde remette en question ce solide consensus international.
Par ailleurs, l'approche indienne a des conséquences—un nombre illimité d'États dotés d'armes nucléaires—qui sont beaucoup plus néfastes et dangereuses. On ne saurait sous-estimer les périls que cache ce processus insidieux. Le risque de voir l'Inde échapper à une censure réelle et significative, ou pire encore, acquérir de facto le statut de puissance nucléaire militaire a de profondes implications. Il est sûr que le Pakistan gardera l'oeil ouvert, tout comme d'autres pays situés dans des régions instables—y compris certains qui ont signé le TNP et ont jusqu'ici respecté leurs obligations. Toute acceptation généralisée de facto ou de jure de la possibilité que les cinq puissances nucléaires du TNP passent à six, à sept ou à huit, engendrera inévitablement des pressions en vue de l'élargissement de ce club.
Les mesures que nous avons prises en réponse aux essais indiens visent à montrer clairement notre refus d'accepter une telle éventualité. Le premier ministre a souligné plusieurs des mesures que nous avons prises à cet égard, lors de la réunion du G-8 à Birmingham, la semaine dernière. Nous avons rappelé notre haut-commissaire en Inde, M. Peter Walker, qui est ici pour répondre à vos questions. Nous avons annulé plusieurs réunions dont une série de consultations, les pourparlers sur la politique commerciale et les réunions du Comité ministériel mixte prévues pour l'automne.
Nous avons interdit toute exportation militaire vers l'Inde. Nous avons fait opposition à tout prêt de la Banque mondiale à l'Inde, sauf pour raison humanitaire. Nous avons stoppé notre aide au développement à l'Inde, sauf pour raison humanitaire et, comme l'a annoncé le premier ministre, nous avons offert au Pakistan les fonds d'aide refusés à l'Inde s'il accepte de ne pas procéder à des essais nucléaires. D'autres mesures sont envisagées, surtout au regard de ce qui se passe du côté des IFI.
• 1550
Le Canada, de concert avec d'autres pays de même opinion que
lui, peut faire en sorte que l'on ne confonde pas «puissance
nucléaire» et «grande puissance». En nous servant des nouveaux
outils du «pouvoir discret», nous pouvons démontrer que la sécurité
est mieux assurée par des mesures coopératives fermement
appliquées.
Si l'élimination des dangers de la prolifération constitue la première partie de l'équation, le désarmement en est la seconde. Le Canada poursuivra avec vigueur sa politique de désarmement. Nous ne pouvons permettre un quelconque ralentissement de ce processus, et nous avons même ces derniers mois cherché activement à l'accélérer.
Depuis la fin de la guerre froide, les gouvernements des États-Unis et de la Russie ont enregistré certains progrès dont il y a lieu de se réjouir. Le processus bilatéral START a permis de mettre en place les conditions qui rendraient possible une diminution des stocks d'armements nucléaires—2 000 à 2 500 armes chacun—à des niveaux se situant à 80 p. 100 au-dessous de ceux que l'on a connus au plus fort de la guerre froide. Il demeure cependant que l'on n'a guère avancé dans l'actualisation de ce cadre virtuel, et encore la semaine dernière, la Douma russe a refusé d'envisager la ratification rapide de l'accord START II. Le Canada collaborera avec d'autres nations pour trouver des moyens de relancer ce processus.
Nous devons toutefois être conscients des problèmes qui se posent. Les réalités budgétaires ont amené la Russie à s'éloigner d'une politique avouée de «non-usage en premier», et à compter de plus en plus sur les armes nucléaires tactiques; c'est là une manifestation de la nouvelle realpolitik nucléaire. D'aucuns ont commencé à dire que l'existence d'autres armes de destruction massive—les armes chimiques et biologiques—justifient la constitution d'arsenaux nucléaires.
Il ne fait aucun doute que les essais nucléaires auxquels l'Inde a procédé seront sous peu invoqués comme un obstacle au désarmement. Le manque d'enthousiasme de certaines puissances nucléaires à l'égard de toute réponse énergique et tangible aux essais indiens m'inquiète d'ailleurs beaucoup.
Dans ce contexte, je me réjouis donc du discours prononcé par la secrétaire d'État, Madeleine Albright, le 20 mai devant la Coast Guard Academy des États-Unis, discours dans lequel elle a souligné les dangers de la décision indienne et réaffirmé les accords d'Helsinki, qui visent la négociation de nouvelles réductions dans les arsenaux nucléaires américains et russes. Mme Albright a souligné l'importance de la ratification par le Sénat du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, et de la priorité à l'arrêt de la prolifération nucléaire que le gouvernement américain accorde dans ses relations bilatérales avec les autres pays, notamment la Chine.
La ratification rapide et généralisée du CTBT sera une autre mesure importante pour la revitalisation du processus de désarmement. J'espère pouvoir déposer en Chambre, avant qu'elle n'ajourne ce printemps, un projet de loi en vue de la ratification de ce traité par le Canada.
À Genève, nous allons également mettre tout en oeuvre pour que s'enclenchent et se concluent dans les meilleurs délais des pourparlers sur l'arrêt de la production de matières fissiles. Nous rejetons les arguments basés sur la realpolitik. Les politiques de désarmement sont ce que vous en faites. Le Canada demeure optimiste et continue de croire qu'un véritable désarmement nucléaire est possible.
Voici quels sont les éléments clés de la politique du Canada: Premièrement, la promotion énergique et responsable du désarmement nucléaire et du régime de non-prolifération basés sur le TNP et les instruments qui lui sont associés. Deuxièmement, une opposition claire et directe à toute tentative des puissances nucléaires de justifier l'existence de leurs arsenaux par la nouvelle realpolitik—c'est-à-dire par de nouvelles politiques de dissuasion fondées sur la prolifération—, ainsi que des pressions constantes pour que l'on maintienne et élargisse le processus START, et que l'on résiste à tout développement stratégique déstabilisateur, par exemple les armes spatiales. Troisièmement, une vigoureuse opposition à toute tentative, de jure ou de facto, de légitimer l'émergence de tout nouvel État doté d'armes nucléaires. Quatrièmement, la promotion constante du régime de non-prolifération, assortie de mesures concrètes comme celles que nous avons déjà prises.
À mon avis, les qualifications du Canada en tant que participant crédible à l'instauration d'un monde plus sûr et plus prospère, notre partenariat avec des personnes, des communautés et des gouvernements ayant les mêmes objectifs que nous, enfin notre capacité, sinon notre responsabilité, à promouvoir de nouvelles avenues pour la diplomatie et le changement, tout cela devrait nous aider à contrer toute forme de pessimisme quant à ce qu'il est possible de réaliser. Nous devons faire pièce à la nouvelle realpolitik nucléaire.
J'ai demandé à ce comité d'examiner la question des armes nucléaires. L'émergence de cette nouvelle et grave menace de prolifération crée un nouveau contexte pour l'accomplissement de votre travail. Nous devons trouver des moyens de promouvoir la politique dont je viens de tracer les grandes lignes, et faire en sorte qu'elle soit viable, juste et durable. Nous devons faire opposition aux proliférateurs et condamner leurs gestes, tout en évitant de justifier une nouvelle realpolitik nucléaire. Il nous faut aussi en même temps exercer des pressions sur les États dotés d'armes nucléaires afin qu'ils poursuivent un réel programme de désarmement, et éviter de valider le raisonnement de tout proliférateur éventuel.
Ce n'est pas là un défi facile à relever. C'est donc avec plaisir que je recevrai le compte rendu de vos délibérations. Je pense que ce rapport sera peut-être l'un des plus importants que le Comité des affaires étrangères aura produits ces derniers temps.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, ainsi que vous-mêmes, mesdames et messieurs les membres du comité.
Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre. Je crois comprendre que vous devrez partir à 16 h 30 pile pour une réunion du cabinet.
M. Lloyd Axworthy: C'est cela, je dois participer à une réunion du cabinet.
Le président: Donc, chers collègues, je suggère que nous nous limitions à des questions de cinq minutes pour que vous soyez le plus nombreux possible à en poser.
Monsieur Mills.
M. Bob Mills: Merci, monsieur le ministre, de vous être joint à nous. Vous avez abordé plusieurs aspects dans vos remarques liminaires; quant à moi, j'avoue avoir toujours beaucoup trop de questions à poser.
M. Lloyd Axworthy: Excusez-moi, j'ai négligé de vous présenter Peter Walker, notre haut-commissaire en Inde. Je veux également vous présenter Paul Heinbecker, SMA, Politique mondiale et sécurité, et Ralph Lysyshyn, qui est responsable de la division du contrôle des armements et du désarmement. Ils sont là pour me donner le coup de main dont j'aurai besoin.
Le président: Ils sont connus du comité, car nous les avons souvent accueillis. Je suppose qu'ils pourront rester après 16 h 30, après votre départ, pour répondre aux dernières petites questions que nous pourrions avoir.
M. Bob Mills: Je pense que tous ceux qui effectuent cette étude auraient aimé qu'il n'y ait jamais eu d'armes nucléaires, qu'il n'y en ait plus et qu'elles soient toutes détruites. Malheureusement, si l'on ne se met pas des lunettes pour voir la vie en rose, la réalité est toute autre. Espérer que le programme nucléaire français puisse un jour être un modèle du genre ou que la Russie, comme vous l'avez dit, signe START III, à l'heure où elle n'a plus aucune capacité militaire traditionnelle... c'est rêver en couleur.
Quoi qu'il en soit, revenons-en à la situation de l'Inde, parce que j'estime que nous avons une certaine responsabilité dans ce dossier.
En 1956, quand nous avons donné un réacteur à la Chine, puis en 1974 quand nous avons réagi en apprenant que la Chine avait transformé le plutonium enrichi en arme nucléaire... Cela n'a pas pour autant calmé notre désir de vendre des armes nucléaires, même si nous avons conclu un accord avec la Chine, en 1994, prévoyant qu'elle ne transférerait pas cette technologie sans le consentement du Canada. Puis, en 1996, nous avons découvert que la Chine avait bel et bien transféré la technologie nucléaire au Pakistan. Tous ces événements portent notre empreinte, ce qui me fait dire que nous avons une responsabilité très grande dans tout cela.
Je me demande ce que nous allons faire au juste. Dans notre désir de vendre des réacteurs nucléaires, je me demande comment nous allons éviter... Nous disons une chose mais j'ai l'impression que nous faisons autre chose en faisant savoir au reste du monde que nous sommes disposés à transférer ce genre de technologie à la Roumanie, à la Turquie, à tous ceux qui sont prêts à nous l'acheter. Cette position me semble un peu difficile à justifier.
De plus, le gouvernement pakistanais semble maintenant détenir un atout dans la négociation quand il dit qu'il ne fera peut-être pas d'essais nucléaires—car il est effectivement doté d'une capacité nucléaire—si nous l'aidons à bâtir sa force conventionnelle et si nous lui donnons une garantie de soutien nucléaire.
En 1996, le Canada a vendu pour 2,5 millions de dollars d'armes au Pakistan. À l'heure où nous sommes prêts à augmenter considérablement le volume des ventes d'armes à ce pays, pour favoriser l'équilibre recherché—comme le réclame le gouvernement pakistanais—que va-t-il advenir de la relation entre la Chine, l'Inde et le Pakistan?
J'ai l'impression que le gros problème dans toute cette région, est un problème de sécurité. Si nous pouvions améliorer la sécurité pour ces trois pays, nous leur rendrions beaucoup plus service que de les fustiger ou de leur tomber dessus pour des choses dont nous sommes de responsables.
Commencez par répondre à ces questions, parce que j'en ai d'autres.
M. Lloyd Axworthy: Je commencerai par corriger certaines de vos données historiques, monsieur Mills.
On peut sans doute affirmer que les premiers réacteurs vendus à l'Inde ont été utilisés aux mauvaises fins. Mais depuis cette époque, il y a 25 ans, le Canada est devenu l'un des pays qui recherche le plus activement à imposer des sauvegardes, par le biais de traités internationaux et par le truchement de l'AIEA, qui impose toute une série de normes à l'utilisation du nucléaire.
Deuxièmement, dans le cadre de toutes nos ventes bilatérales, nous veillons à obtenir un engagement ferme et exécutoire relativement à l'utilisation éventuelle de la matière fissile.
M. Bob Mills: Et que faites-vous si le pays acheteur ne respecte pas la règle?
M. Lloyd Axworthy: Eh bien, dans ce cas, le pays coupable est soumis au même genre de sanctions que celles prévues dans le cadre de l'AIEA.
Je dois corriger autre chose. Si l'on dit que la Chine a effectivement transféré sa technologie nucléaire au Pakistan, il faut préciser que ce n'était pas la nôtre. Nous ne sommes pas le seul fournisseur de ce pays. Nous serions très heureux de vous remettre copie des ententes détaillées que nous avons signées avec ces pays, ententes qui énoncent ce qui peut-être fait, les conditions à respecter et les obligations qui sont imposées. Monsieur le président, il pourrait être utile, dans le cadre de votre étude, que nous vous remettions tous ces accords afin que vous puissiez voir de vous-même ce dont il retourne.
• 1600
Sur un autre plan, monsieur Mills, je ne pense pas que nous
pourrions favoriser la sécurité dans la région si nous vendions
plus d'armes au Pakistan. La région est déjà un point chaud, comme
le montre l'opposition entre l'Inde et le Pakistan. Aujourd'hui
même, on a signalé des tirs d'artillerie sur la région du
Cachemire. Nous devons calmer le jeu et pas le relancer. Nous ne
voulons pas participer à une course aux armements dans cette
région.
Je conviens avec vous qu'il faut augmenter le niveau de sécurité dans la région, mais il n'y a malheureusement pas d'organisme de sécurité qui soit susceptible de se charger de cela là-bas. Le seul qui s'en approche un peu est le Forum régional de l'ANASE, dont l'Inde fait partie mais pas le Pakistan. Nous espérons, à l'occasion des prochaines rencontres de l'ARF, cet été, pouvoir favoriser l'instauration d'un régime susceptible de permettre une certaine intervention dans cette région, pour apporter des garanties; mais il faut savoir l'ARF est de portée limitée.
C'est en établissant que le Canada est capable d'imposer des contraintes que nous serons les plus utiles; nous espérons que le Pakistan comprendra cela et qu'il se sera incité à saisir la balle au vol. Voilà pourquoi il est tout à fait approprié que le premier ministre ait indiqué notre intention de mettre à la disposition du Pakistan l'argent de l'aide au développement que nous destinions à l'Inde, et nous ne sommes d'ailleurs pas le seul pays à le faire.
Quand on y pense, il est absolument illogique qu'un pays consacre autant de ressources précieuses pour se doter d'une arme nucléaire quand il est aux prises avec d'énormes défis sur le plan du développement, de la lutte à la pauvreté et qu'il a énormément de problèmes à régler. Si le Pakistan est disposé à ne pas emboîter le pas de l'Inde, je suis sûr que la communauté mondiale—que ce soit de façon directe ou par le truchement des banques internationales—sera en mesure de récompenser ce pays sous la forme d'une aide accrue au développement.
C'est là le message que nous devons faire passer. M. Chrétien s'est personnellement entretenu avec le premier ministre Sharif pour lui expliquer la façon dont nous voyons la chose.
M. Bob Mills: Et si nous avions dépêché trois envoyés dans les trois pays en question, ne pensez-vous pas que cela aurait été plus efficace que de rappeler M. Walker? Ce genre de rappel semble être devenu trop classique. J'ai l'impression que nous pourrions jouer un rôle beaucoup plus actif dans toute cette question de la sécurité mondiale.
M. Lloyd Axworthy: Je suis en partie d'accord avec ce que vous venez de dire. L'une des raisons pour lesquelles nous avons rappelé M. Walker, c'est que nous voulions parler de tout cela entre nous; nous le renverrons en Inde dès que le premier ministre et le gouvernement lui auront transmis le message à communiquer aux Indiens.
Entre-temps, nous nous sommes entretenus avec le premier ministre du Pakistan et nous maintenons des relations suivies avec plusieurs autres pays concernés par cette situation. Nous avons demandé à tous nos ambassadeurs et hauts-commissaires de la région d'entreprendre des démarches dans les capitales concernées.
À cette première étape, nous devons cependant établir très clairement quelle est notre position, comme je le disais dans mes remarques liminaires. Nous devons être très clairs sur un point: si, dans l'ensemble, les Indiens ont l'impression que c'est en se dotant d'une arme ou d'une capacité nucléaire qu'ils pourront se hisser d'un cran au sein de la communauté mondiale, ils doivent être conscients que celle-ci ne sera pas d'accord. Voilà pourquoi je tiens à préciser qu'ils ne doivent pas se faire d'illusions et que le fait de se doter d'une arme nucléaire ne leur permettra pas d'accéder au Conseil de sécurité ou d'assumer un rôle de responsabilité au sein du Commonwealth ou d'autres tribunes.
Le président: Merci, monsieur le ministre.
Nous entendons la cloche réclamant le quorum en Chambre. Ce n'est pas la première fois qu'elle sonne. Je ne sais pas qui demande le quorum, mais si elle ne s'arrête pas dans trois minutes, je suspendrai cette audience pour que nous nous rendions en Chambre; le ministre pourra revenir plus tard, dès qu'il le pourra.
Monsieur Turp.
[Français]
M. Daniel Turp: J'aimerais juste faire un commentaire, monsieur le ministre, sur votre remarque au sujet de l'argent qu'investit l'Inde dans le développement de son programme nucléaire. J'ai été très étonné d'apprendre, lorsque notre comité est allé aux États-Unis, que les États-Unis investissent 36 milliards de dollars dans leur programme nucléaire alors que cet argent pourrait être investi dans l'aide au développement.
Il faut comprendre les pays en développement lorsqu'ils évoquent les double standards des puissances nucléaires, surtout lorsqu'on leur dit que leur argent pourrait être mieux dépensé et lorsqu'on sait que l'argent américain et des autres puissances nucléaires n'est pas très bien dépensé non plus lorsqu'il s'agit d'armes nucléaires.
J'ai deux questions. Dans votre exposé, vous avez dit, et je vous cite: «Nuclear weapons have no tactical value». Pour les fins du travail de notre comité, j'aimerais demander au ministre: What value do nuclear weapons have?» C'est ma première question.
• 1605
Ma deuxième question porte sur l'Inde et sur les
sanctions. Combien de temps dureront ces sanctions?
Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire un essai de Charles Krauthammer dans le Time Magazine de la semaine dernière. Si vous ou l'un de vos conseillers l'avez lu, j'aimerais entendre votre réaction à la thèse de M. Krauthammer, selon laquelle faire des normes sur cette question de non-prolifération ou d'interdiction des essais nucléaires ne semble pas suffisant; il faut utiliser le pouvoir et tout le pouvoir qu'on a. Krauthammer parlait surtout de l'administration Clinton dans ce cas.
[Traduction]
M. Lloyd Axworthy: Pour ce qui est de votre dernier point, je dois vous dire que je n'ai pas eu l'occasion de lire l'article en question, mais après la critique que vous venez d'en faire, je m'assurerai d'en prendre connaissance.
Je vais vous dire une chose, Daniel, une chose qui va aller au fond même de votre question. Dès qu'on a laissé sortir le mauvais génie nucléaire de la lampe, les jeux étaient faits, on venait de produire une arme dont on se servirait un jour. Il suffit pour s'en convaincre de lire l'excellent ouvrage de Richard Rose qui explique la genèse du nucléaire et la raison pour laquelle ce genre de décision a été prise.
Notre pays—et nous pouvons être reconnaissants envers nos prédécesseurs, parce que nous sommes l'un des trois pays à avoir travaillé sur la technologie du nucléaire à l'origine—a décidé de ne pas se doter de l'arme nucléaire. Ce fut une décision résolue du gouvernement de l'époque envers qui je serai éternellement reconnaissant parce qu'il nous a au moins permis de suivre une autre voie. Nous avons dit à cette époque qu'il n'était pas nécessaire de posséder l'arme nucléaire pour être une grande puissance.
C'est d'ailleurs là l'idée force du Traité de non-prolifération. Il n'est pas simplement question d'empêcher d'autres pays de se doter de l'arme nucléaire, il est aussi question d'obliger les États qui possèdent ce type d'arme de réduire leur arsenal dans un premier temps, puis de l'éliminer à terme. C'est cela qui a été négocié.
Il est possible qu'une partie du problème tienne au fait qu'on n'a pas fait suffisamment pour rassurer les pays qui ne font pas partie de forum, pour leur prouver que l'intention poursuivie a été respectée et qu'elle s'est traduite par une prise de responsabilité.
Voilà pourquoi, maintenant que le mauvais génie ressort de sa lampe, notre génération doit être tout aussi directe et doit affirmer que les pays pris par le mal des grandeurs, qui ont voulu acquérir ce genre d'arme, doivent maintenant s'engager à réduire leur arsenal et oeuvrer publiquement à leur élimination. Voilà ce qui était prévu et voilà pourquoi dans mes remarques j'ai dit que les choses doivent aller dans les deux sens.
Quant à la valeur de l'arme nucléaire, il faut bien constater qu'à l'heure actuelle—comme le font la plupart des commentateurs—, les pays qui possèdent cette arme se rendent bien compte que personne ne peut gagner un conflit nucléaire. Cette arme a le potentiel de détruire le monde entier. Mais puisqu'elle existe, nous devons trouver une façon de parvenir à l'éliminer.
M. Daniel Turp: Elle n'a pas de valeur de dissuasion?
M. Lloyd Axworthy: Elle en a eu une, dans le passé. C'était la théorie dominante à une certaine époque et même aujourd'hui on lui trouve encore une certaine valeur sur ce plan. C'est d'ailleurs un des aspects sur lesquels j'ai demandé au comité de se pencher. Nous avons posé la question au comité pour qu'il l'examine et qu'il nous fasse part de ses conclusions.
L'arme nucléaire fait encore partie de la stratégie de l'OTAN dont nous sommes membres. Mais même ce concept stratégique, comme vous le savez, sera revu au cours des deux prochaines années. Voilà pourquoi nous vous avons demandé de vous pencher sur cet aspect et de nous faire une recommandation qui sera publique pour nous aider à étayer notre position à ce propos.
Quant à la question des sanctions, je ne puis vous répondre de façon précise à ce sujet. Je vous dirai simplement que nous n'allons certainement pas baisser les bras et accepter cela comme un fait accompli, comme une mesure de facto. Si nous montrons la moindre faiblesse, le moindre signe indiquant que nous serions prêts à passer la main, nous renoncerions à nos responsabilités. Cela serait un signe d'encouragement à la prolifération. Nous devons donc nous montrer très fermes sur ce plan.
Le président: Merci. Cela fait cinq minutes.
Monsieur Bachand.
[Français]
M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre, messieurs.
Je vais soulever la question de l'Inde en général, mais aussi, si vous me le permettez, une question concernant la Roumanie. Une chose est claire, monsieur le ministre: vous n'étiez pas là et moi non plus, mais c'est vraiment la technologie canadienne avec de l'eau lourde américaine qui a permis à l'Inde de faire, en 1974, ce qu'on appelle «un essai nucléaire pacifique», soit deux implosions pacifiques. Je crois qu'on doit apprendre de cela. Vous avez tout à fait raison, monsieur le ministre, de dire qu'avec ce qui se passe en Inde, on a l'impression de retourner 40 ans en arrière. Le Canada va-t-il répéter les erreurs qu'il a faites en vendant un réacteur nucléaire il y a 40 ans à l'Inde avec la Roumanie ou d'autres pays? Il faudrait peut-être faire attention à la question des ventes.
La problématique de l'Inde est complexe, voire même trop complexe pour que je puisse la comprendre moi-même. Mais dans la question de l'Inde et du Pakistan, on voit qu'il y a deux superpuissances qui entrent dans le portrait: la Russie avec l'Inde et la Chine avec le Pakistan. L'Inde voit que la Chine est en train de construire un port de mer dans le golfe du Bengale, où elle se promet d'amarrer des sous-marins capables de lancer des ogives nucléaires, menaçant peut-être ainsi la sécurité de l'Inde.
Qu'est-ce que le gouvernement du Canada entend faire relativement à l'Inde et au Pakistan au niveau des deux grandes puissances qui semblent parrainer la situation dans la région, c'est-à-dire la Russie et la Chine? On sait que l'Inde possède entre 60 et 200 ogives nucléaires avec des missiles à courte et moyenne portée, que ses missiles à courte portée sont installés sur la frontière pakistanaise et que le Pakistan possède des missiles qui ont été testés cette année et des ogives nucléaires qui lui ont été données ou vendues par la Chine.
Compte tenu de ce qui se passe présentement au niveau de la Russie et la Chine, qu'est-ce que le Canada entend déployer comme efforts au niveau de ces deux grands pays pour s'assurer de ne pas mettre de l'huile sur le feu? Avez-vous déjà tenu des rencontres avec la Russie et la Chine, qui sont deux joueurs très très importants, ou prévoyez-vous en tenir? Comme je le disais plus tôt, on sait que la Chine se dote d'un port dans le golfe du Bengale et qu'elle a conclu des transactions avec le Pakistan et on sait ce qui se passe au Tibet. On est en train de développer des technologies pour envoyer des ogives nucléaires intercontinentales. D'ailleurs, on a réussi l'envoi d'un satellite américain en Chine, avec la permission de M. Clinton, il y a quelque temps. Quelles actions entendez-vous prendre avec la Russie et la Chine? Il semble y avoir un grand problème là. Je me garderai un petit peu de temps, monsieur le président, afin de poser une question sur la Roumanie, si vous me le permettez.
[Traduction]
M. Lloyd Axworthy: Voilà une autre série de questions intéressantes et je vais essayer d'y répondre.
M. André Bachand: Elles ne vous coûteront rien.
M. Lloyd Axworthy: Vous savez, monsieur Bachand, j'ai appris au Parlement qu'on n'a rien pour rien.
Pour commencer, revenons-en à ce qui s'est passé après les années cinquante. Après que nous avons vendu notre technologie nucléaire aux Indiens et constaté qu'ils ne respectaient pas les engagements pris envers nous, le Canada, peut-être plus que tout autre pays d'ailleurs, s'est attaché à élaborer un régime de sauvegarde.
L'une des initiatives importantes de l'Agence internationale de l'énergie atomique, qui est partie au Traité, a été de contrôler tout le transfert de technologie et d'en garantir la transparence. Quant aux utilisations discrètes de la matière fissile extraite d'un réacteur nucléaire, il est évident que ce genre de chose est beaucoup moins visible qu'auparavant, raison pour laquelle toute vente est conditionnée à l'acceptation, par l'acheteur, de se soumettre à des inspections. Par ailleurs, le Canada a conclu des accords bilatéraux pour toutes ses ventes de réacteurs nucléaires par l'intermédiaire de l'EACL et de sa propre Commission de l'énergie atomique, accords qui sont, eux aussi, sujets à des critères d'inspection et à des exigences en matière d'utilisation finale.
• 1615
Comme je le disais plus tôt, je crois que cette formule
pourrait être très utile... nous pourrions soumettre les documents
et demander peut-être aux fonctionnaires des diverses agences de
l'énergie de vous donner un exposé complet de la façon dont
fonctionnent ces sauvegardes, parce que je suis tout à fait
d'accord avec vous, on ne peut permettre aux pays acheteurs d'agir
comme bon leur semble, il faut plutôt les soumettre à des règles et
à des contrôles étroits. D'après les discussions que j'ai eues avec
certains de nos fonctionnaires travaillant à l'AIEA, je peux vous
dire que, pour l'instant, le système en place est relativement
imperméable. Nous posons ce genre de conditions pour toutes les
ventes et un réacteur ne peut donc être vendu sans que ces critères
soient respectés et sans que l'acheteur fournisse les garanties
voulues.
Pour ce qui est de la Chine, M. Heinbecker vient de me dire que nous avons demandé à notre ambassadeur là-bas d'intervenir directement auprès du gouvernement, non seulement en ce qui concerne sa position mais aussi en ce qui concerne les limites à imposer au Pakistan. Il faut reconnaître que les Chinois sont un joueur important dans cette partie.
À une échelle plus globale, il faut dire que toute cette question, après les essais nucléaires par l'Inde, s'est retrouvée au coeur des discussions lors des réunions du G-8 à Birmingham où étaient présents tous les chefs de gouvernement, y compris le président de la Russie. Les discussions ont porté sur la nécessité de resserrer les contrôles à l'exportation et de limiter davantage les mouvements de marchandises.
Nous sommes face à un problème: un grand nombre de systèmes d'armement de l'ex-Union soviétique, pas uniquement dans le domaine nucléaire, se retrouvent à présent sur le marché. Sur ce plan également je crois que tout le monde se rend bien compte de la nécessité de resserrer les régimes de contrôle à l'échelle internationale, parce que personne ne peut agir seul dans son coin.
Pour notre part, nous avons considérablement resserré nos règles de contrôle des exportations d'armes. Voilà pourquoi tout à l'heure, en réponse à une question de M. Mills, j'ai dit que nous ne favoriserions pas l'armement ou le réarmement du Pakistan. En effet, sur le plan de la sécurité, je crois qu'une telle mesure serait tout à fait contre-productive.
[Français]
M. André Bachand: Je m'excuse, monsieur le ministre, de vous interrompre. Je crois qu'il est important de se pencher sur ce qui se passe dans le golfe du Bengale. On sait que le bouclier du Pakistan est la Russie, tandis que celui de l'Inde, ou sa protection, est en quelque sorte la Chine. Telle est la situation sur le terrain à ces deux niveaux.
J'aimerais vous poser une question relativement à la Roumanie. Après avoir vu ce déséquilibre dans la situation de l'Inde et du Pakistan, ne croyez-vous pas que le Canada devrait être extrêmement prudent dans la vente d'un autre réacteur à la Roumanie, compte tenu de l'entrée de cette dernière dans l'OTAN, ce qui pourrait déstabiliser la région et faire en sorte qu'un des voisins, qui s'appelle la Russie, ne se sente peut-être pas menacé, mais craigne que son équilibre soit beaucoup plus précaire? Je m'excuse de poser une question sur la Roumanie, mais cela me préoccupe.
[Traduction]
Le président: Je ne veux pas vous limiter dans votre réponse, mais pourriez-vous être bref? Nous avons déjà dépassé le temps que nous comptions allouer à cette question.
M. Lloyd Axworthy: Pas de problème.
Vous savez que nous avons accueilli le président roumain à Ottawa, il y a deux ou trois jours. Eh bien, nous avons eu des entretiens à ce sujet. Je pense pouvoir dire que le gouvernement roumain veut surtout se servir du réacteur nucléaire comme source d'énergie pacifique afin d'alimenter en courant toute la région, non pas pour avoir un avantage sur ses voisins, mais bien pour exporter son électricité produite par l'énergie nucléaire vers l'Ukraine et d'autres pays voisins, dans le cadre d'une coopération économique régionale élargie. Les Roumains disposent d'une infrastructure entièrement payée. Ils se sont conformés à toutes les exigences internationales en matière de contrôle, à toutes les exigences bilatérales et ils estiment que le nucléaire sera pour eux un outil qui favorisera l'intégration économique dans la région. Il faut donc y voir un instrument d'intégration plutôt qu'une source de conflit et c'est très certainement la politique et la position que le gouvernement roumain nous a énoncées.
Pour ce qui est de la Chine, je vais vous faire une remarque après quoi je demanderai au haut-commissaire de vous répondre. Vous savez peut-être que le ministre pakistanais des Affaires étrangères s'est récemment rendu en Chine pour obtenir le genre de garantie dont vous parliez, mais les Chinois ont refusé. En fait, la Chine joue un rôle très effacé dans tout ce dossier. Je ne peux pas vous dire si cela est bon ou mauvais, mais le haut-commissaire qui vient juste de cette région, pourra certainement vous répondre à cet égard.
M. H. E. Peter Walker (Haut-commissaire du Canada en Inde, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Je ne peux vous parler des échanges entre la Chine et le Pakistan, mais je peux vous dire que les préoccupations que l'Inde entretient vis-à-vis de la Chine ne concernent pas uniquement les relations entre ce dernier pays et le Pakistan, mais la longue frontière qu'elle a en commun avec la Chine, du Cachemire à l'Ouest, à l'Arunachal Pradesh, à l'Est. Il y a des différends frontaliers qui ne sont pas encore réglés. Vous avez parlé de la Baie du Bengale. Récemment, les Indiens ont parlé plusieurs fois d'un poste de surveillance chinois situé sur la petite île de Myanmar, au large des côtes, qui pourrait être utilisée comme poste d'observation pour les activités maritimes chinoises dans la Baie du Bengale.
Les Indiens entretiennent donc plusieurs préoccupations.
Le président: Merci.
Madame Beaumier.
Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.): Monsieur le ministre, puisque nous parlons de l'Inde et que je m'intéresse à ce pays pour les infractions aux droits de la personne qu'on y commet—même si l'Inde n'est pas le seul pays à faire cela—les essais nucléaires ne sont pas le seul événement marquant dans la région au cours des deux ou trois dernières semaines. Il y a également eu le départ de Suharto. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez du nouveau gouvernement, du point de vue des droits de la personne? Pourra-t-on faire des progrès avec le nouveau gouvernement? Ou est-ce que rien ne va changer?
M. Lloyd Axworthy: Monsieur le président, comme vient de le dire Mme Beaumier, nous venons de vivre deux semaines très palpitantes. D'ailleurs, j'aurais aimé que nos faisceaux horaires soient plus rapprochés pour ne pas être dérangé tout le temps en plein milieu de la nuit.
Pour vous répondre très rapidement, je dirais une chose. Nous pouvons espérer que, sous la gouverne du nouveau président Habibie, le gouvernement étendra ses réformes à plusieurs secteurs. Notre ambassadeur vient juste d'avoir une série de rencontres avec les hauts fonctionnaires et les chefs politiques de l'Indonésie à l'occasion desquelles nous avons proposé, après certaines consultations, l'adoption d'un programme que nous jugeons approprié. Celui-ci prévoit la libération des prisonniers politiques, qui a d'ailleurs déjà commencé. M. Pakpahan, le chef du Parti travailliste, a été libéré hier. Nous sommes en étroites relations avec lui, parce que nous l'avons aidé à régler les problèmes de santé qu'il a eus l'automne dernier.
L'autre question est celle de la réforme et de la révision électorale, surtout en ce qui concerne les limites des circonscriptions, afin que le processus soit plus démocratique. Je crois savoir que le président a promis la tenue d'élections libres et démocratiques, ce que nous ne pouvons qu'appuyer.
Nous avons soutenu qu'il y aurait lieu d'enquêter sur la méconduite de la police et des forces de sécurité vis-à-vis des étudiants et de mettre en oeuvre les réformes du FMI qui ont fait l'objet d'une entente. Nous avons ajouté une note spéciale à nos entretiens. Si vous vous en souvenez, nous avons signé un mémoire d'entente avec l'Indonésie, l'été dernier, pour favoriser l'amélioration des droits de la personne, entente grâce à laquelle nous pourrons consulter les Indonésiens. Nous avions proposé que le gouvernement indonésien ratifie les instruments onusiens de défense des droits de la personne et surtout qu'il trouve une forme de règlement politique au conflit dans le Timor oriental. Voilà les deux aspects sur lesquels nous avons tout particulièrement insisté lors de nos négociations avec le gouvernement indonésien l'été dernier.
La tribune bilatérale que nous avons mise en place en juillet dernier constitue, selon moi, le cadre idéal pour maintenir le genre d'échanges que nous avons eu jusqu'à présent pour appuyer l'administration démocratique des affaires publiques et le respect des droits de la personne, comme vous le disiez.
Nous en sommes à la dernière étape de la négociation d'un accord en matière de droits de la personne, accord selon lequel nous accorderions un soutien direct à des organisations et des institutions de promotion des droits de la personne en Indonésie. En outre, nous avons récemment eu des entretiens au sujet d'un accord semblable portant sur la réforme juridique que ce pays compte entreprendre. Notre ambassadeur, à l'occasion de discussions qu'il a eues cette semaine avec le ministre de la Justice du nouveau gouvernement indonésien, a confirmé que celui-ci était tout à fait disposé à étudier davantage la question du soutien canadien à l'initiative de réforme juridique.
Je crois donc pouvoir dire qu'il s'agit là d'un nouveau départ qui nous donne l'occasion... En un sens, il est tout à fait fortuit que nous ayons pu poser cet accord sur la table l'été dernier, que nous ayons pu mettre en place les mécanismes de consultation et commencer notre travail d'assistance directe aux institutions de défense des droits de la personne.
Cela nous donne maintenant la possibilité d'élargir considérablement nos activités dans la région et de nous imposer, à cette occasion, comme l'un des pays pouvant être le plus utile au nouveau gouvernement dans les efforts qu'il déplie pour mettre en oeuvre les réformes qu'il a entreprises.
• 1625
Jusqu'ici, la transition s'est bien passée, mais il y a plus
important encore: j'estime que nous avons pu ouvrir la porte à ce
qui sera un changement important et que nous nous sommes mis en
position de jouer un rôle déterminant pour que cela se produise.
Mme Colleen Beaumier: Parfait. Le traité a été signé par l'ancien gouvernement. N'êtes-vous pas un peu optimiste quand vous dites que le nouveau gouvernement va...
M. Lloyd Axworthy: Je suis optimiste parce que nous avons déjà réalisé des progrès. Nous avons signé cet accord, puis nous avons instauré cette tribune de consultation. Comme je le disais, nous avions déjà commencé à négocier la mise en place d'un programme prévoyant que le Canada apporterait une assistance technique directe aux institutions de défense des droits de la personne en Indonésie. Il est évident que les récents développements vont accélérer tout ce processus. Ce qui s'est passé ne fait qu'accroître la possibilité de pousser l'accord un peu plus loin.
Je pense que l'accord que nous avons signé à propos des droits de la personne va tout à fait dans le sens du genre d'intervention que nous avons demandée à notre ambassadeur, par exemple en ce qui concerne la libération des prisonniers politiques, l'instauration d'enquête et l'adoption d'un nouveau système électoral. Je crois que c'est sur l'ensemble de ces plans là que nous pouvons apporter une contribution importante.
Mme Colleen Beaumier: Merci.
Le président: Monsieur le ministre, avant que je redonne la parole à M. Mills, vous avez dit que vous vous attendiez au dépôt prochain de la Loi d'application du CTBT, le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Va-t-il s'agir d'une loi exhaustive? Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de modifier un grand nombre de nos lois uniquement pour adhérer à ce traité, n'est-ce pas?
M. Lloyd Axworthy: Non.
M. Daniel Turp: Qu'attendez-vous du Parlement?
M. Lloyd Axworthy: Cette loi, monsieur Turp, serait un simple instrument de ratification du traité. Nous avons signé le traité, mais comme vous le savez, pour le ratifier... Plusieurs ministères fédéraux sont concernés par les dispositions du Traité relatives à la surveillance, de même que par l'acceptation des responsabilités qui en découlent, et nous devons être prêts à apporter les preuves scientifiques de ce que nous faisons ou ne faisons pas. Nous avons élaboré tout cela avec les ministères concernés et je crois que nous sommes maintenant prêts à passer à l'étape de la ratification.
M. Daniel Turp: Voulez-vous que le Parlement donne son approbation avant de passer à la ratification?
M. Lloyd Axworthy: Oui. Le traité doit être ratifié par le Parlement. C'est à vous de le ratifier.
Le président: Vous y arrivez, monsieur Turp.
Des voix: Ah, ah!
Le président: Monsieur Mills.
M. Bob Mills: En ce qui concerne le G-8, il me semble qu'on a beaucoup parlé mais qu'il n'y a pas eu beaucoup de résultats concrets, en particulier dans le domaine qui nous intéresse aujourd'hui. Il me semble que c'est presque un échec sur toute la ligne, du point de vue des sanctions et des pressions sur l'Inde, le Pakistan ou la Chine. Il me semble qu'on n'a rien décidé et j'ai l'impression qu'on n'a fait que de la politique.
Encore une fois, l'UE veut faire des affaires avec l'Inde, qui représente un marché d'un milliard de personnes. Par leurs sanctions, les États-Unis perdront évidemment une grande partie de ce marché au profit de l'UE, qui aura le champ libre. Il me semble qu'ils ont joué un jeu économique au lieu d'essayer véritablement de désamorcer la situation.
Deuxièmement, quand on parle d'escalade possible, il faudrait parler également de l'Iran, d'Israël et peut-être aussi de l'Afrique du Sud. Où s'arrêtera-t-on maintenant qu'un autre génie semble être sorti de la lampe? Croyez-vous vraiment que tous ces facteurs, économiques et autres, ne deviendront pas plus importants que la recherche d'une paix permanente?
M. Lloyd Axworthy: Je suis d'accord avec votre évaluation de la situation. D'ailleurs, comme vous le savez, notre premier ministre a porté un jugement assez sévère à la fin des réunions du G-8, parce qu'il a été impossible de s'entendre. Je peux vous assurer qu'il n'a ménagé aucun effort pour que le G-8 prenne position efficacement, mais cela ne s'est pas fait.
Les facteurs économiques dans certains pays de l'Union européenne ont joué un rôle. Je pense aussi que, dans l'esprit de certains, posséder l'arme nucléaire est synonyme de prestige. Nous ne sommes pas de cet avis. C'est aussi simple que cela. Nous avons une opinion très différente sur le rôle que joue l'arme nucléaire pour situer les divers pays dans la hiérarchie mondiale.
M. Bob Mills: Remettez-vous parfois en question votre pouvoir discret? Si ces gens pensent ainsi, comment mettez-vous en valeur ce «pouvoir discret»?
M. Lloyd Axworthy: Nous cherchons à inciter plus de pays à penser comme nous. Il faudra beaucoup de persuasion dans certains cas, mais il n'en demeure pas moins, je le répète, qu'une nouvelle realpolitik s'est dessinée.
• 1630
En ce qui concerne votre deuxième question, pour éviter que
d'autres pays ne suivent cet exemple, nous devons veiller à ce que
le prétendu titre de puissance qu'acquiert un pays en se dotant de
l'arme nucléaire ne soit pas légitimé par cet acte de l'Inde. Cela
me paraît très important, en raison tout particulièrement de leur
désir d'occuper des postes de responsabilité au niveau
international, car c'est là qu'il faut de toute évidence les
stopper.
M. Bob Mills: Je vous suis, mais je ne suis pas d'accord. Je crois qu'il faut participer aux discussions, mais je ne vois vraiment pas comment vous pouvez transformer cela en un leadership positif. Il me semble qu'il vaudrait mieux voir la réalité en face et se dire que la réputation du Canada nous permet de jouer un rôle, que ce soit par des envoyés spéciaux ou des mesures vraiment positives. Et nous pouvons nous asseoir à la table et dire: «Voilà le type de sécurité que nous allons négocier avec vous, dans une perspective mondiale. Vous n'aurez donc pas besoin de vous engager dans la voie de la prolifération nucléaire.» Autrement dit, proposer quelque chose de positif au lieu de dire simplement que leur geste est répréhensible et que nous ne sommes pas d'accord avec eux.
M. Lloyd Axworthy: Oui, mais comme je l'ai indiqué, monsieur Mills, nous ne nous contentons pas de parler. Nous dirigeons les discussions. Nous avons pris des mesures très énergiques, qui auront probablement des conséquences économiques chez nous également.
M. Bob Mills: Mais nous vendons des réacteurs nucléaires et nous ne nous inquiétons pas d'Israël ni de certains autres pays.
M. Lloyd Axworthy: Mais, monsieur Mills, vous sautez vite aux conclusions. Je pense que nous avons tenté de démontrer que nous ne vendons pas de réacteurs à des pays qui, selon nous, risquent de les utiliser dans un arsenal nucléaire. Nous avons d'ailleurs été les architectes d'un important régime visant à exercer des contrôles et à prendre des mesures préventives, et cela fait partie de la vaste stratégie générale de non-prolifération.
C'est loin d'être parfait. Cinq pays sont déjà prêts à utiliser l'arme nucléaire. Il s'agissait de décisions historiques. La mission vise notamment à nous assurer qu'il n'y en aura pas d'autres, à limiter leur nombre, et aussi à démontrer que les prétendus avantages qu'on espère en tirer n'existent pas en réalité.
Qu'il s'agisse des avantages économiques ou des avantages politiques, je crois que les Indiens se leurrent terriblement sur ce qu'ils pourront tirer de ces essais. En réalité, ce sont eux les perdants—les grands perdants. Leur propre sécurité est plus vulnérable et leur capacité de contribuer au développement de leur propre pays, pour le plus grand bien de leurs citoyens, est maintenant grandement affaiblie.
Je pense que leur position dans un monde où... Je suis probablement plus âgé que vous, monsieur Mills, mais je me souviens de l'époque où les hommes d'État de l'Inde, Gandhi et les autres, étaient de vrais guides, des gens qui défendaient des valeurs et des normes bien réelles. Ce n'est certainement pas le cas au sein du gouvernement actuel.
M. Bob Mills: Je pense que c'est une question d'émotion, cependant.
Le président: Je vais passer à Mme Augustine. Il vous reste environ une minute et il se pourrait, rapidement...
Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Monsieur le ministre, il y a un contre-argument à l'argument que vous présentez, un revers à la médaille, et je vais vous demander ce que vous en pensez. Renforçons-nous la position du Pakistan? Encourageons-nous les relations entre le Pakistan et la Chine? Quel est le lien avec les sanctions ou le durcissement des mesures dans le cas de l'Inde?
M. Lloyd Axworthy: À l'heure actuelle, Jean, je pense que l'enjeu réel consiste à utiliser toutes les sources d'influence possibles pour nous assurer que le Pakistan ne procédera pas, lui aussi, à des essais. De toute évidence, l'un des dilemmes auxquels le gouvernement pakistanais est confronté est qu'il subit des pressions énormes de la population afin qu'il réponde aux essais indiens, mais le gouvernement pakistanais reconnaît également que s'il procède à des essais, il sera assujetti aux mêmes sanctions et sera donc rejeté dans la même catégorie de pays que celle dans laquelle l'Inde s'est mise.
Alors, dans l'immédiat, il est crucial de ne ménager aucun effort pour que... Je le répète, notre premier ministre s'est déjà entretenu avec son homologue pakistanais pour faire valoir cet argument. Nous continuons de faire ce que nous pouvons, même promettre de transférer au Pakistan l'aide qui était prévue pour l'Inde, si les Pakistanais peuvent faire preuve de retenue... Et nous ne sommes pas le seul pays à déployer ce genre d'effort.
D'ailleurs, je pense que si nous trouvons le moyen... Ce sera peut-être une entreprise de longue haleine. Si le Pakistan décide de ne pas suivre l'exemple de l'Inde, ce sera déjà un événement très important, qui atténuera les dommages causés par l'Inde. Cela démontrera que la porte n'est pas grande ouverte, que cela ne deviendra pas une tendance. C'est un cas isolé. À mon avis, il est très crucial de nous engager dans cette voie dès maintenant.
Le président: Monsieur le ministre, dans cette veine, nous devrons nous pencher dans notre rapport sur la distinction entre les États qui ont une capacité nucléaire mais qui n'ont pas effectué d'essais récemment et ceux qui n'en ont pas. C'est une distinction très difficile à établir, en ce qui concerne la puissance des États.
Nous avons entendu récemment le témoignage de M. Faisal Husseini. Mme Beaumier lui a demandé précisément si les Israéliens possédaient l'arme nucléaire et si cela influençait la politique au Moyen-Orient. Il a répondu que oui, évidemment Israël la possède. C'est un facteur énorme...
M. Lloyd Axworthy: Gigantesque.
Le président: ... qui limite notre capacité d'intervention. C'est exact, n'est-ce pas?
Comment le gouvernement envisage-t-il cette distinction entre les cinq puissances, d'après ce qu'on nous a dit, ces puissances auxquelles s'ajoute désormais l'Inde, et les autres pays dans la zone grise? Vous déclarez que vous ne voulez pas qu'ils passent à l'échelon suivant, mais s'ils ont réellement le pouvoir militaire et politique que représente la menace de franchir cet échelon, quelle est la différence réelle?
M. Lloyd Axworthy: Je pense qu'elle tient en partie à ce qu'on appelle les États qui sont au seuil nucléaire, autrement dit ceux qui pourraient mettre au point l'arme nucléaire, mais qui ne l'ont pas fait. C'est là qu'on commence à tirer la ligne.
Il est évident que si l'argument de l'Inde, selon lequel on accroît sa sécurité ou on rehausse son prestige en se dotant de l'arme nucléaire, se répandait au Moyen-Orient, nous serions dans de beaux draps. Les questions dont nous discutons maintenant à propos du sous-continent sont déjà assez délicates et dangereuses sans qu'on en rajoute.
Notre attitude—et je ne prétends pas que nous avons une baguette magique—consiste à faire tout notre possible pour que les pays signent le Traité de non-prolifération nucléaire. C'est pourquoi j'ai déclaré au début—et j'espère que le comité a compris toute l'importance que nous y attachons—qu'il s'agit de la structure de base, la meilleure défense contre la prolifération, qui constitue désormais une menace bien réelle. À l'aide de toutes les ressources dont nous disposons, diplomatiques et autres, il sera très crucial de poursuivre dans cette voie.
J'espère que, dans vos analyses et dans votre rapport—je ne sais pas à quel point vous en êtes—vous ferez remarquer que la sécurité personnelle des Canadiens ne sera assurée que si le régime de non-prolifération devient la base légitime et que les autres pays y adhèrent.
Il se pourrait bien—je ne sais pas, je fais des hypothèses pendant un instant—que la dure réalité à laquelle les essais indiens nous confrontent permettra de réfléchir plus froidement et de savoir plus clairement ce que sont les armes nucléaires. Ce ne sont pas des armes comme les autres, en raison de leur pouvoir destructeur. Ces essais provoqueront peut-être une nouvelle série de réflexions, de discussions et de négociations sérieuses sur le problème nucléaire par toutes les parties: les États qui possèdent l'arme nucléaire, ceux qui sont au seuil nucléaire et ceux qui, comme nous, ont décidé de ne pas s'engager dans cette voie. Ces essais pourraient bien relancer toute cette réflexion et avoir un effet salutaire en rappelant aux gens que les armes nucléaires ne sont pas disparues et que nous ferions mieux de nous en débarrasser.
Je pense qu'on a été un peu nonchalant après l'effondrement de l'Union soviétique. Il y a eu START I, et tout le monde a pensé que le problème était réglé et qu'on pouvait tourner la page. Je n'ai jamais cru que le problème était réglé et bien des gens ne l'ont pas cru eux non plus. Maintenant, nous savons qu'il n'a pas été réglé. En réalité, la menace est la même qu'autrefois.
Le président: Merci beaucoup.
Combien de temps nous reste-t-il?
M. Lloyd Axworthy: Je dois assister à une réunion du Cabinet vers 16 h 45.
[Français]
Le président: Madame Debien.
Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Bonjour, monsieur le ministre. Bon après-midi à notre comité.
Au tout début de votre intervention, vous avez dit que l'essai nucléaire du Pakistan nous ramenait 40 ans en arrière. Je vous dirai plus précisément 42 ans en arrière, c'est-à-dire en 1956, au moment où le Canada a fait cadeau à l'Inde d'un réacteur de recherche et de production de plutonium et, par la suite, de deux réacteurs, RAPP-1 et RAPP-2. En plus, le Canada a même eu l'amabilité de fournir le livret d'instructions pour que l'Inde puisse en fabriquer d'autres, ce que l'Inde s'est dépêchée de faire en en fabriquant six autres.
• 1640
Monsieur le ministre, je ferai d'abord un commentaire
et je poserai ensuite ma question.
Donc, on a même fourni le livret d'instructions pour que l'Inde puisse produire des clones.
Vous nous avez dit également que nous devions être très reconnaissants à nos prédécesseurs de ne pas avoir utilisé l'arme nucléaire alors que nous la possédions. Devrions-nous aussi être reconnaissants à nos prédécesseurs de l'avoir vendue, surtout à des régimes totalitaires et à des démocraties fragiles?
En parlant de démocraties fragiles, cette semaine, nous avons rencontré les représentants de la Roumanie au comité. Ma question se rapproche un peu celle de M. Bachand sur la Roumanie. Le président de la Roumanie nous a dit qu'ils en étaient à passer à la phase II de l'achat d'un réacteur CANDU, qu'ils avaient besoin de 750 millions de dollars, mais que, par contre, ils étaient bloqués par les prêteurs parce qu'on exigeait une garantie à 100 p. 100 et des taux d'intérêt très élevés.
Donc, pour ce qui est de la Roumanie, j'aimerais savoir quelle politique—parce que vous ne l'avez pas précisée tout à l'heure—le Canada entend suivre en ce qui a trait à la recherche de capitaux par ce pays. Vous nous avez dit que la Roumanie avait l'intention d'utiliser le CANDU à des fins d'énergie pacifique, à des fins d'intégration économique avec ses voisins et qu'elle avait l'intention de respecter toutes les normes et de signer tous les traités de non-prolifération nucléaire. Or, vous savez que l'Irak a signé le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, et on sait ce que cela donne. C'est ma question. Elle a trait principalement à la Roumanie.
[Traduction]
M. Lloyd Axworthy: Premièrement, le vieil adage en politique est que le recul est le début de la sagesse, mais dans ce cas-ci, établir un lien direct entre le transfert de la technologie nucléaire canadienne en 1956 et l'explosion d'une bombe 25 ans plus tard est un peu exagéré. C'est une longue période. Nous pensons que les Indiens ont procédé à des modifications importantes de leurs réacteurs et de toutes les autres techniques connexes pour pouvoir obtenir de la matière fissible. Je crois donc qu'il faut prendre garde de ne pas réécrire l'histoire.
Je dirai cependant, et je ne crois pas me tromper, que lorsque les autorités canadiennes ont découvert que l'Inde cherchait peut-être—et je rappelle que l'Inde était une démocratie à l'époque, pas une dictature—à utiliser les réacteurs nucléaires pour produire des matières pouvant servir à la fabrication d'armes, nous avons cessé immédiatement tout appui, toute aide technique. Nous leur avons indiqué simplement et clairement que nous condamnions ce geste et nous avons commencé à mettre en place un régime—je vous rappelle que c'était au début du nucléaire—de contrôle international garantissant que l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire ne serait pas détournée vers des fins militaires.
Je l'ai répété à maintes reprises, je crois que le Canada a vraiment pris les devants pour tenter de mettre ce régime en place. Je pense que nous avons assez bien réussi, par l'entremise de l'AIEA.
Je sais bien que tout débat repose sur des arguments, mais je ne crois pas que nous devrions réécrire l'histoire simplement pour avoir des arguments.
En ce qui concerne la Roumanie, c'est une démocratie. C'est un pays qui a effectué une transition assez importante, à mon avis, pour devenir une société beaucoup plus ouverte. La Roumanie a les mêmes besoins énergétiques que de nombreux autres pays, dont nous-mêmes. Nous utilisons nous aussi des réacteurs nucléaires.
Je ne crois pas que nous devrions nécessairement avoir des doutes à leur sujet, d'autant plus qu'ils ont signé tous les traités.
J'espère, madame Debien, que vous comprenez que nous ne vendons pas des réacteurs sans obtenir des pays en cause l'engagement qu'ils adhéreront au régime international et à des ententes bilatérales, ce qui nous donne un accès complet et rend l'opération transparente. Il est donc très bien...
[Français]
Mme Maud Debien: Les gens ne les respectent pas. Prenez l'exemple de l'Irak, qui a signé le Traité sur la non-prolifération.
[Traduction]
M. Lloyd Axworthy: Je ne me souviens pas que nous ayons vendu des réacteurs à l'Irak. Je suis désolé. Je pense qu'il est un peu absurde d'aller aussi loin.
En réalité, même actuellement, je crois comprendre d'après mes discussions avec les Roumains, qu'ils sont en train de négocier avec les Italiens pour partager l'énergie dans tout le sud de l'Europe. Les réacteurs nucléaires sont une source d'énergie très importante en Europe.
La France elle-même, si vous voulez des détails, produit près de 40 p. 100 de son énergie grâce à des réacteurs nucléaires. Nous ne nous méfions pas des Français, pourtant ils possèdent l'arme nucléaire. Nous devrions peut-être examiner ce qu'ils font de leurs réacteurs nucléaires. Il n'en demeure pas moins que dans le sud de l'Europe, il est très important, pour le développement des pays, de s'assurer de posséder des sources d'énergie suffisantes, en les assujettissant toutefois à toutes les mesures préventives applicables.
Comme je l'ai déjà déclaré, et il s'agit de mon interprétation personnelle, s'ils peuvent intégrer une source d'énergie à l'ensemble des ressources énergétiques de cette région de l'Europe, cela contribue à l'intégration et au développement économique dont ces pays ont bien besoin pour devenir membres de l'OTAN et de l'Union européenne. Je pense que nous devrions prendre garde de ne pas créer une paranoïa à ce sujet.
M. Bob Mills: Mais la CIA affirme qu'en 1996, la technologie a été transférée de la Chine au Pakistan à l'aide de la technologie américaine et canadienne.
M. Lloyd Axworthy: Ils n'utilisaient pas la technologie canadienne.
M. Bob Mills: Ils ont parlé de technologie américaine et canadienne.
M. Lloyd Axworthy: Je ne lis pas beaucoup de rapports de la CIA. Mon nom ne figure pas sur sa liste d'abonnés. Je suis peut-être sur sa liste, mais pas sur celle des abonnés.
Le président: Avons-nous le temps pour une question de M. Paradis?
M. Lloyd Axworthy: Pour revenir aux propos de Ralph, afin de dissiper en partie la confusion qui règne et vu que le comité s'intéresse à ces questions, il est très important d'organiser une séance d'information sur les mesures préventives de l'AIEA, sur la façon dont elles sont appliquées et sur leur mode de fonctionnement. Je pense que cela permettrait de clarifier quelques questions.
Le président: Merci. J'allais faire cette suggestion, parce que nous avons souvent entendu dire que le réacteur CANDU est le plus difficile à convertir en un arsenal nucléaire. Je pense que nous devons rétablir les faits dans le rapport. Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Nous donnerons suite à cette suggestion cet après-midi. C'est très utile.
Merci.
Avez-vous le temps de répondre à une question de M. Paradis?
M. Lloyd Axworthy: Si elle est brève.
Le président: Denis.
[Français]
M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.): Certains membres du comité sont allés à Washington, au début d'avril, rencontrer des experts américains sur la question du nucléaire, et un des experts a soulevé la notion du no first use. Plus tôt, M. Turp a dit que nous avions besoins de mesures plus fermes. En tout cas, on ne va pas leur envoyer une bombe sur la tête pour ne pas qu'ils se servent de l'arsenal nucléaire.
D'un autre côté, on se dit aussi qu'il y a un traité de non-prolifération et un traité de bannissement des essais nucléaires. Si on ajoutait une autre notion, celle du no first use, cela ajouterait-il quelque chose à une espèce de mouvement mondial qui refuse les armes nucléaires? L'expert disait que le no first use serait un pas de plus dans la bonne direction et je lui demandais, comme cela: «Qui, selon vous, à l'échelle mondiale, pourrait s'occuper de cela?» Il a répondu: «Le Canada». J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus, monsieur le ministre.
[Traduction]
M. Lloyd Axworthy: Je pense que cela nous entraîne dans une discussion assez longue sur la théorie de la dissuasion et sur la direction qu'elle emprunte.
Il vaudrait probablement mieux poser la question dans le cadre de l'examen stratégique que réalisera l'OTAN d'ici un an ou deux. J'assisterai aux réunions de l'OTAN qui viennent de débuter cette semaine et c'est à cette tribune que la question de l'application de la théorie de la dissuasion sera examinée. C'est le cheval de bataille de l'OTAN depuis le tout début. C'est là que la question sera examinée sérieusement. Mais, pour le moment, je n'ai pas de réponse évidente.
Le président: Merci.
Je vois que, même si vous semblez calme, monsieur le ministre, certains de vos aides paraissent un peu nerveux derrière vous et craignent que vous ne soyez en retard à votre réunion.
M. Lloyd Axworthy: Ils sont toujours nerveux. Où que j'aille, en public, ils sont toujours nerveux.
Le président: Ils avaient l'air vraiment nerveux lorsque vous avez commencé à parler de ces rapports de la CIA que vous recevez. Ils ont commencé à réagir vivement.
J'espère cependant que M. Heinbecker peut rester pour quelques minutes, car il y a d'autres questions.
• 1650
Les membres ont-ils d'autres questions? Oui, il y en a
d'autres. Pouvez-vous rester quelques minutes? M. Heinbecker doit
partir, mais M. Lysyshyn et M. Walker resteront.
Vous vous souviendrez que ces personnes ont des compétences bien particulières, alors nous tenterons de limiter nos questions à leur sphère de compétence et de ne pas revenir sur la Roumanie ou d'autres questions particulières ne touchant pas à la région géographique en cause.
Monsieur Turp.
[Français]
M. Daniel Turp: Ce que je trouvais intéressant dans la position américaine, c'est que sur la question des essais nucléaires et même de la non-prolifération nucléaire, certains Américains ont prétendu que l'Inde violait le droit international et que, même si l'Inde n'était partie ni au Traité sur la non-prolifération ni au Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, elle était tout de même en violation du droit international. Mes collègues Graham et McWhinney seront peut-être intéressés par cette question. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette thèse qui veut que les essais soient interdits dans l'état actuel du droit international coutumier. La position du Canada est-elle que les essais faits par l'Inde étaient contraires au droit international?
[Traduction]
M. Ralph Lysyshyn (directeur général, direction générale de la sécurité internationale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce International): Nous n'avons jamais déclaré que les essais indiens contreviennent au droit international. Nous avons plutôt insisté sur la norme internationale et sur le consensus international que représentent les 186 signataires du TNP.
Je ne suis pas avocat spécialisé en droit international. Je crois cependant que certains d'entre eux essaieraient de faire valoir que 186 signatures créent effectivement un droit international. Même avant de faire des essais, l'Inde a toujours prétendu qu'elle n'avait pas signé une loi et qu'elle ne la considérait pas comme une loi. Alors, nous n'avons jamais insisté là-dessus. À bien des égards, la légalité des essais indiens importe moins que la violation évidente de la norme internationale et c'est sur cet aspect que nous avons insisté.
[Français]
M. Daniel Turp: À tout le moins, la position du gouvernement me paraît assez claire. Y a-t-il, comme aux États-Unis, une obligation législative de mettre fin à l'aide du Canada ou si les sanctions qui ont été adoptées résultent d'une décision uniquement politique?
[Traduction]
M. Ralph Lysyshyn: C'est une décision politique. Nous n'avons pas de loi qui impose des sanctions.
Le président: Monsieur Mills.
M. Bob Mills: Monsieur Walker, quand je vois les Indiens descendre dans la rue pour se réjouir du fait que leur gouvernement a effectué ces essais, il semble y avoir beaucoup d'émotion, beaucoup d'enthousiasme, un grand appui. Dans quelle mesure s'agit-il d'un battage médiatique et dans quelle mesure ces gens représentent-ils vraiment la population indienne? Quel type d'opposition, s'il en existe une en Inde—je sais que le gouvernement de coalition... Je crois qu'il y a 19 partis. S'il y avait 19 partis chez nous et que j'essayais de les mettre à l'ouvrage, un peu de nationalisme contribuerait grandement à les cimenter. Est-ce de cela qu'il s'agit au fond? Qui forme l'opposition? Est-ce une question d'émotion? Je pense que vous savez où je veux en venir.
M. Peter Walker: Vous avez posé une grande question.
Les essais étaient sans aucun doute une mesure très populaire auprès de nombreux Indiens. Je ne crois pas qu'il s'agisse simplement d'un battage médiatique. Je pense que certains des sondages effectués peu de temps après les essais, pas dans les régions rurales, mais dans les grandes villes indiennes, ont révélé que cette mesure était très populaire. Les résultats des sondages indiquaient qu'environ 90 p. 100 étaient en faveur des essais. On a fait vibrer une corde sensible chez de nombreux Indiens, une corde sensible que l'on pourrait qualifier de nationalisme. Cette euphorie, si vous voulez, tombe un peu. Il semble maintenant qu'on s'interroge sur les conséquences de ces essais, sur le moment qui a été choisi pour les faire et, comme l'a soulevé le ministre, on se demande si la sécurité de l'Inde a vraiment changé récemment. Mais il s'agit néanmoins d'une mesure du gouvernement très populaire et je crois que le gouvernement considère qu'elle a renforcé la coalition gouvernementale.
M. Daniel Turp: Mais pourquoi est-elle si populaire? Quel est le principal facteur?
M. Peter Walker: Les Indiens estiment, à côtoyer les Chinois et les Pakistanais comme ils le font, que l'arme nucléaire est un élément essentiel de leur politique en matière de sécurité nationale, et de nombreux Indiens ont été sensibles à cet argument.
M. Bob Mills: Ne faut-il pas en conclure, donc, que les Pakistanais réagiront exactement de la même façon? Si j'étais Pakistanais, je demanderais que le gouvernement effectue ces essais.
M. Peter Walker: Comme l'a indiqué le ministre, je pense que des pressions s'exercent en ce sens sur le gouvernement pakistanais. La grande question est de savoir si le gouvernement procédera à des essais. Nous espérons sincèrement que non. Ce serait un pas de plus dans la mauvaise direction, selon nous.
M. Bob Mills: Que pensent les Chinois de tout cela, à votre avis?
M. Peter Walker: Je ne suis pas la bonne personne pour parler des Chinois. Je m'occupe d'un milliard de personnes, cela me suffit, croyez-moi. Il faudrait demander à mon collègue qui s'occupe de la Chine, ce qu'ils en pensent.
M. Daniel Turp: L'appui serait-il aussi élevé au Pakistan s'ils faisaient un essai? Y aurait-il un appui de 90 p. 100 au Pakistan?
M. Peter Walker: Je ne sais pas s'il serait... Il est évident qu'il semble exister un certain enthousiasme au Pakistan, chez certains Pakistanais, mais j'hésiterais à me prononcer sur l'ampleur de l'appui.
Le président: Je profite de l'occasion pour informer les membres qu'une délégation du Pakistan sera à Ottawa au début de juin. Ils ont demandé à témoigner devant le comité. Je suppose, compte tenu de la discussion actuelle, que nous accéderons rapidement à leur demande. Vous pourriez leur poser directement la question, monsieur Mills, et découvrir ainsi s'ils danseront ou pleureront dans les rues.
Y a-t-il d'autres questions?
[Français]
M. Daniel Turp: Je veux juste une précision. Le ministre a dit dans son intervention, et je le cite:
[Traduction]
-
Nous devons exercer plus de pression sur les États qui ne sont pas
dotés d'armes nucléaires.
[Français]
C'est très important pour le travail de notre comité, son travail sur le rapport. Qu'est-ce que cela veut dire? Je vous demande d'interpréter les propos de votre ministre.
[Traduction]
M. Ralph Lysyshyn: Je crois qu'il a plutôt déclaré que nous devons exercer des pressions sur les États nucléaires afin qu'ils poursuivent leur programme de désarmement. Il a évoqué, par exemple, le blocage récent de la ratification de START II par la Douma russe. Je crois que nous devons appliquer toutes les pressions diplomatiques possibles sur le gouvernement russe pour qu'il revienne devant la Douma et lui demande de reconsidérer sa décision et de ratifier ces accords. L'adhésion de la Russie à START II est extrêmement importante pour le désarmement nucléaire.
Nous devons trouver d'autres moyens de pression pour relancer ce processus.
Le Canada a soutenu à la Conférence sur le désarmement qu'il est possible d'y discuter—pas nécessairement de négocier—du désarmement nucléaire, afin de trouver des façons de faire avancer le dossier.
• 1700
Voilà le genre de mesures que nous pouvons prendre pour que
les pressions s'intensifient. Certains pays préféreraient que nous
ne soulevions pas ces questions, à Genève, par exemple. Nous
continuons de les soulever parce que nous estimons qu'il faut en
discuter. Je pense que c'est ce que le ministre avait en tête.
[Français]
M. Daniel Turp: Pensait-il aussi aux États-Unis?
[Traduction]
M. Ralph Lysyshyn: Je crois que, lorsque le ministre a déclaré que nous pensons que le processus START devrait continuer, il ne pensait pas seulement à la Russie—ce sont eux qui le bloquent actuellement—mais aussi aux États-Unis, qui participent à ce processus, et nous aimerions qu'il se poursuive. Des Américains ont déclaré qu'il ne convient peut-être pas de passer à START III après START II. Je pense que nous aimerions au contraire que ce processus continue.
Le président: Tout le monde attire mon attention sur le fait qu'il est 17 heures, alors je vais mettre fin à cette séance. Merci, monsieur Lysyshyn et monsieur Walker, d'être restés. Nous vous en savons gré.
J'ai quelques annonces à faire avant que tout le monde ne parte. Le calendrier de nos travaux sera un peu chambardé. Nous entendrons des représentants du Pakistan. Il y aura une délégation algérienne. Nous vous ferons connaître les dates le plus tôt possible. L'ordre du jour sera un peu modifié, mais nous voulons remplir toutes nos obligations avant de nous laisser en juin. Voilà le premier point.
Le deuxième porte sur le Pakistan et le comité.
Demain, nous accueillerons M. Delors à 15 h 15.
La séance est levée.