SINT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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SUB-COMMITTEE ON INTERNATIONAL TRADE, TRADE DISPUTES AND INVESTMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
SOUS-COMITÉ DU COMMERCE, DES DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 26 novembre 1997
[Traduction]
Le président (M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.)): Chers collègues, nous allons commencer. C'est la dixième séance du Sous-comité du commerce et des investissements internationaux consacrée à l'AMI. Nous avons tenu ces dernières semaines des réunions dans le but de consulter les Canadiens et de connaître leurs opinions au sujet de l'AMI.
Nous allons entendre aujourd'hui des témoins qui représentent un secteur que nous avons appelé la consommation et le social. Il n'a pas été facile de vous regrouper dans une catégorie. C'est ce que nous avons fait pour les fins qui nous intéressent mais nous ne nous attendons pas à ce que vous vous limitiez à ces domaines.
Nous demandons généralement aux témoins de nous livrer un exposé d'une dizaine de minutes et nous passons ensuite à une période de questions de dix minutes, au cours de laquelle les témoins qui ne sont pas d'accord avec la réponse donnée par un autre invité peuvent intervenir.
Nous avons un horaire à respecter aujourd'hui parce qu'il y a un autre groupe que nous allons entendre à 5 heures. Nous allons poursuivre jusqu'à 5 heures et nous entendrons alors des représentants du gouvernement de la Colombie-Britannique.
Je vais suivre l'ordre de la liste qui m'a été remise et je vais donner la parole à Marnie McCall, de l'Association des consommateurs du Canada. Bienvenue.
[Français]
Mme Marnie McCall (directrice exécutive, Association des consommateurs du Canada): Merci et bon après-midi, mesdames, messieurs. Je regrette que Mme Gail Lacombe, la présidente de l'Association, ne puisse assister à la réunion d'aujourd'hui. Je m'appelle Marnie McCall et je suis la directrice exécutive de l'Association des consommateurs du Canada.
[Traduction]
Après avoir pratiquement épuisé mes connaissances en français, je vais poursuivre en anglais.
Tout d'abord, j'aimerais vous dire quelques mots de l'Association des consommateurs du Canada. Nous avons un bureau national à Ottawa avec un personnel très restreint et des bureaux régionaux à Vancouver, Edmonton, Saskatoon et Winnipeg où ne travaillent pratiquement que des bénévoles. L'ACC est le seul organisme national de défense des consommateurs au Canada.
Notre mission est d'informer et de sensibiliser les consommateurs pour ce qui est des questions de consommation, de faire connaître les positions adoptées par le gouvernement et l'industrie aux consommateurs et de travailler en collaboration avec le gouvernement et l'industrie pour résoudre les problèmes de consommation à la satisfaction de tous les intéressés.
• 1525
L'ACC est un organisme de masse, principalement composé de
bénévoles mais nous ne sommes pas un organisme populiste. Les
politiques que nous avons adoptées s'inspirent d'un ensemble de
principes généraux orientés sur la défense des consommateurs et que
l'on appelle parfois la charte des droits des consommateurs.
Les consommateurs ont le droit à la sécurité, le droit d'être informés, le droit de choisir, le droit d'être entendus, le droit d'avoir accès à des recours efficaces en cas de préjudice, souvent également appelé le droit d'intenter des poursuites; le droit à l'information et le droit à un environnement sain et sécuritaire. À ces droits, viennent s'ajouter des devoirs comme, par exemple, celui de veiller à leur propre sécurité, de s'informer, de choisir prudemment et de se faire entendre.
Nous basons également notre action sur l'idée que la concurrence est d'une façon générale une bonne chose pour les consommateurs. Nous pensons que le rôle du gouvernement consiste à adopter des règles qui favorisent une concurrence équitable et protègent les consommateurs.
Nous préconisons le recours à des codes d'application volontaires et à d'autres méthodes de rechange au système de réglementation direct. Nous estimons toutefois que le gouvernement doit toujours se réserver la possibilité d'intervenir pour protéger l'intérêt public, notamment pour protéger les consommateurs.
L'ACC est également en faveur de l'harmonisation internationale des normes et elle participe en fait depuis des années à l'élaboration de normes. À l'heure actuelle, on retrouve des membres de l'ACC et des représentants des consommateurs au Conseil canadien des normes, au conseil d'administration de l'Association canadienne de normalisation et au Comité des politiques relatives aux consommateurs de l'Organisation internationale de normalisation, habituellement appelée l'ISO, ainsi que dans plus de 50 comités d'élaboration de normes, tant sur le plan national qu'international.
L'Association des consommateurs du Canada a élaboré un énoncé de politiques globales sur la consommation et le commerce en 1987, dans le contexte de l'accord de libre-échange. Des exemplaires de cet énoncé ont été distribués aux membres du comité. Avant de formuler des commentaires sur le projet d'accord multilatéral sur l'investissement, j'aimerais lire certains passages de cet énoncé:
-
1) L'ACC estime qu'il est dans l'intérêt des consommateurs d'avoir
accès au plus grand choix possible de produits de consommation au
plus bas prix possible.
Nous pensons que la suppression des barrières commerciales est conforme à cette idée.
-
2) L'ACC est favorable à des ententes commerciales qui permettent
aux Canadiens de profiter, grâce à un marché compétitif, des
avantages qui découlent de la libéralisation [accrue] des échanges
commerciaux.
-
4) L'ACC est favorable au principe de la libéralisation générale
des échanges commerciaux pourvu que les ententes commerciales:
-
a. s'attaquent aux barrières tarifaires et non tarifaires;
-
b. prévoient des périodes d'ajustement et s'accompagnent de
politiques destinées à assurer la réembauche des travailleurs des
industries et des secteurs moins compétitifs de l'économie;
-
c. soient compatibles avec les efforts déployés pour renforcer les
échanges commerciaux multilatéraux et assurent aux pays en
développement un accès aux marchés [canadiens].
-
8) L'ACC est [également] favorable à l'octroi de subventions
directes prises sur les recettes fiscales générales pour appuyer
les activités culturelles canadiennes [...]
-
19) Les normes et les règlements [jouent] un rôle important dans la
protection des [consommateurs canadiens]. Dans les domaines de la
santé et de la sécurité qui revêtent une importance primordiale
pour les Canadiens, l'ACC pense qu'il faut préserver et renforcer
les normes canadiennes conformément à l'harmonisation
internationale des normes et des règlements.
L'ACC estime également que les mécanismes d'élaboration de normes et de règlements doivent notamment avoir pour objectif de préserver le niveau actuel des normes dont bénéficient actuellement les Canadiens.
Nous sommes en faveur de la réduction des restrictions sur les importations en provenance des pays en développement et nous souhaitons que l'on tienne davantage compte au cours des négociations commerciales «de la nécessité pour les pays en développement d'avoir un accès [accru] aux marchés mondiaux...»
Enfin, nous pensons que les consommateurs ont «un intérêt direct» et même «un investissement dans les politiques commerciales du Canada. Ces politiques commerciales doivent tenir compte des intérêts des consommateurs.»
Le fait que nous ayons été invités à comparaître aujourd'hui indique que l'on commence à reconnaître pleinement le droit des consommateurs à participer à l'élaboration des politiques commerciales.
Nous ne voudrions pas vous laisser croire que cet énoncé de politiques veut dire que l'ACC est parfaitement d'accord avec les résultats qui ont découlé des ententes commerciales internationales déjà signées et nous vous signalons que nous allons bientôt revoir notre document de politiques en matière de consommation et de commerce à la lumière du fait que la plupart de ces accords n'ont pas répondu aux promesses qui avaient été faites, à savoir favoriser les consommateurs, mettre en place des programmes efficaces de recyclage de la main-d'oeuvre et éviter une dégradation rapide des normes et des règlements.
Pour revenir plus précisément à l'accord multilatéral sur l'investissement, nous estimons que les négociations en cours ne sont pas conformes aux principes que je viens d'exposer.
Il y a pour nous trois principaux sujets de préoccupations: les négociations relatives à l'AMI s'effectuent dans le cadre de l'OCDE et non pas dans celui de l'OMC; on mélange à tort les notions de traitement national et d'harmonisation internationale; enfin, les Canadiens, tant en tant que consommateurs et citoyens, n'ont pas été suffisamment informés des coûts et des avantages du projet d'accord et ils n'ont pas eu vraiment l'occasion de participer à l'élaboration des positions adoptées par le Canada.
• 1530
Pour ce qui est du premier point—un cadre de négociations mal
choisi—l'Association des consommateurs du Canada estime que la
négociation d'un traité qui peut avoir des répercussions aussi
vastes que celui-ci devrait s'effectuer sous les auspices de
l'Organisation mondiale du commerce et non pas sous celles de
l'OCDE.
Tout comme nos collègues de Consumers International, nous nous inquiétons de voir que les pays en développement ont été exclus de ce processus et privés des avantages pouvant découler de l'accord. L'AMI ne répond aucunement à la nécessité d'assurer aux pays en développement un accès à nos marchés.
L'Association des consommateurs du Canada estime également que les risques et les avantages d'une mesure devraient retomber également sur toutes les personnes qui risquent d'être touchées par cette mesure. Si l'on veut déterminer sur qui les risques et les avantages vont retomber, il faudrait que tous ceux qui sont susceptibles d'être touchés par les mesures prises participent à leur élaboration.
La majorité des pays ne participent pas à ces discussions et il existe apparemment des raisons de croire que les retombées positives de l'accord vont bénéficier, de façon disproportionnée, aux pays qui sont représentés à la table des négociations et que les désavantages vont toucher ceux qui ne s'y trouvent pas. L'ACC n'approuve pas que l'on ait restreint la participation à ces négociations, alors qu'il existait une instance beaucoup plus globale.
Certaines dispositions de l'AMI semblent être contraires aux accords sectoriels déjà conclus sous les auspices de l'OMC. L'ACC a, par exemple, été informée du fait que l'AMI, sous sa forme actuelle, pourrait entraîner la modification de l'accord de base sur les télécommunications récemment approuvé par l'OMC et ainsi exiger la suppression de dispositions assurant la qualité du service ou l'octroi de subventions aux entreprises qui desservent les secteurs non rentables du Canada. Le fait de tenir les négociations sous les auspices de l'OMC diminuerait les risques d'en arriver à des incompatibilités de ce genre.
Pour ce qui est du traitement national et de l'harmonisation des normes, l'Association des consommateurs du Canada appuie sans réserve le principe du traitement national. Toutes les entreprises devraient être traitées de la même façon, qu'elles soient nationales ou étrangères, et tous les consommateurs devraient être traités de la même façon, qu'ils fassent affaire avec une entreprise nationale ou étrangère.
L'ACC estime également que les pays devraient conserver le droit d'établir des normes dans l'intérêt de leurs propres citoyens, notamment dans le domaine de la santé, de la sécurité des produits, de l'environnement, de la culture et du travail. Lorsqu'un pays souhaite modifier ces normes, il devrait pouvoir le faire pourvu que ces normes s'appliquent à toutes les entreprises, quelles qu'elles soient nationales ou étrangères, et que ces normes ne soient pas adoptées dans le seul but d'opposer des obstacles non tarifaires au commerce.
Comme nous l'avons mentionné tout à l'heure, l'ACC est favorable à l'harmonisation internationale des normes. Nous pensons que l'harmonisation des normes vers le haut a pour effet de faciliter l'accès des pays en développement au marché des pays industrialisés. En attendant de parvenir à cette harmonisation, il faut toutefois que cet accord et les autres accords commerciaux internationaux prévoient un mécanisme permettant de comparer les normes, d'une part, pour que les Canadiens ne soient pas désavantagés par l'arrivée de produits et de services de qualité inférieure et d'autre part, pour que les pays en développement ayant adopté des normes équivalentes mais non identiques puissent avoir accès au marché canadien.
L'expérience que vient de connaître le Canada avec les négociations d'un accord de réciprocité avec l'Union européenne sur la sécurité en électricité fait ressortir toute l'importance de prévoir dans l'accord un mécanisme d'établissement des équivalences.
L'ACC ne partage pas l'idée que la notion de traitement national a pour effet de fixer les normes telles qu'elles étaient à la date de la signature et ne permet par la suite que l'abaissement de ces normes. Si c'est bien là l'interprétation qu'il faut donner à la notion de traitement national, l'ACC ne pense pas que ce principe soit dans l'intérêt des Canadiens. En particulier, nous ne partageons pas l'idée voulant que le seul fait d'introduire une norme nouvelle ou plus stricte constitue une expropriation donnant droit à une indemnité aux entreprises étrangères touchées par une telle mesure.
L'ACC s'inquiète également des dispositions de l'accord, ainsi que celles d'accords signés antérieurement, qui autoriseraient les entreprises étrangères à poursuivre les gouvernements canadiens pour des mesures qui n'autoriseraient pas les entreprises canadiennes à poursuivre ces mêmes gouvernements. Nous nous inquiétons également de voir que les entreprises étrangères auraient le droit de poursuivre les gouvernements canadiens alors que ces derniers ne posséderaient aucun recours contre ces entreprises étrangères. Cela est particulièrement grave dans le domaine de la protection de l'environnement et l'ACC estime que le Canada ne devrait pas accepter des dispositions ouvrant la porte à des situations aussi inéquitables.
Nous estimons que la notion de traitement national doit également vouloir dire que les citoyens canadiens peuvent exercer contre les sociétés étrangères exerçant leurs activités au Canada les mêmes recours que ceux dont ils disposent contre les sociétés canadiennes. Il faut que les Canadiens puissent savoir s'ils peuvent poursuivre une entreprise étrangère devant les tribunaux canadiens. Si leur seul recours légal doit être intenté dans le pays d'origine de l'entreprise étrangère, les Canadiens doivent être assurés que leurs gouvernements, fédéral ou provinciaux, les aideront à faire valoir leurs droits dans cet autre pays.
Une grande partie de l'économie du Canada est alimentée par les petites et moyennes entreprises. Ces PME offrent aux Canadiens des produits novateurs et de la diversité. L'innovation et la diversité renforcent la compétitivité internationale du Canada. Une partie de plus en plus grande des exportations canadiennes sont produites par les PME, qui constituent également un facteur important de croissance de l'emploi au Canada.
• 1535
L'ACC estime qu'il est essentiel que le gouvernement fédéral
veille à ce que cet accord ne porte aucunement atteinte à ce
secteur important de l'économie canadienne.
C'est en grande partie à cause d'un manque de transparence que la question de la ratification de l'AMI a suscité un tel débat. Il n'a pas été dit clairement aux Canadiens qu'ils conserveraient les normes dont ils bénéficient actuellement dans le domaine de la santé, de la sécurité des produits, de l'environnement, de la culture ou des relations de travail ou qu'ils pourraient les renforcer, si cela est nécessaire.
Il n'est pas non plus précisé clairement si les normes et les règlements provinciaux seraient protégés par un accord signé par le gouvernement canadien. Cela est une préoccupation importante parce que la plupart des règlements concernant la santé, la protection des consommateurs, l'environnement et les relations de travail sont de compétence provinciale.
La controverse qu'a suscitée l'AMI découle également en partie du secret qui semble avoir entouré les négociations. Les négociations sur l'AMI ont commencé au printemps 1995, mais la population canadienne n'a été avisée de cette situation qu'au printemps 1997, peu de temps avant la date à laquelle devait être ratifié initialement cet accord. Le ministre de l'époque disait en avril dernier qu'il était trop tôt pour débattre publiquement de l'accord, et on ne peut s'empêcher de se demander ce que l'on cherche à cacher à la population.
Le choix d'une période de gel assez longue, comme le prévoit la version actuelle de l'accord, ne peut que renforcer cette perception.
L'ACC estime que les consommateurs ont le droit d'être consultés et de participer à l'élaboration des politiques en matière de commerce international et des ententes commerciales. Ce sont les Canadiens qui vont en fin de compte en subir les conséquences. C'est nous qui supporterons le coût, que ce soit comme consommateurs ou comme citoyens, des décisions prises en notre nom.
Pour résumer, l'ACC est faveur à la libéralisation du commerce, avec certaines réserves. Nous trouvons très inquiétant le fait que l'on n'ait pas encore tenu compte de ces réserves jusqu'ici, et nous sommes loin de penser qu'il en sera tenu compter dans le projet d'accord multilatéral sur l'investissement.
Nous pensons que l'AMI devrait être négocié dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, d'abord pour assurer la compatibilité de cette entente avec les obligations imposées actuellement par l'OMC et par ailleurs, pour assurer la participation des pays en développement. Il est toutefois peu probable que le cadre des négociations soit modifié et que ces dernières soient confiées à l'OMC et nous voulons saisir l'occasion d'inviter le gouvernement à ne pas signer cet accord ni un autre accord commercial international, tant qu'il n'aura pas été démontré aux Canadiens que leurs intérêts en tant que consommateurs et citoyens sont protégés. Voici certaines suggestions qui permettraient d'y parvenir:
—Nous pensons que le gouvernement devrait veiller à ce que l'accord indique clairement qu'il n'est pas permis de diminuer les normes dans le but d'attirer des investissements. Cela est comparable à ce qui s'est fait pour l'accord sur le commerce intérieur.
—Préciser que les pays signataires ont le droit d'appliquer des normes plus strictes pourvu qu'elles ne constituent pas des barrières non tarifaires déguisées.
—Veiller à ce que les différences qui existent, par exemple, sur le plan des normes provinciales en matière de relations de travail et d'environnement puissent être conservées, pourvu que les entreprises nationales et étrangères exerçant leurs activités dans une province donnée soient soumises aux mêmes règles.
—Veiller à ce que les domaines soustraits à l'accord—par exemple, la culture, la santé, les relations de travail, l'environnement, la sécurité, etc.—soient clairement définis et visent tous les paliers de gouvernement, y compris le palier municipal, si nécessaire.
—Veiller à ce qu'aucune clause de l'accord ne désavantage les PME canadiennes par rapport aux grandes entreprises canadiennes.
—Veiller à la reconnaissance de droits de réciprocité pour ce qui est des recours pouvant être intentés par les citoyens et par le gouvernement. En particulier, il faudrait que soit clairement définis les cas où le Canada pourrait être tenu de dédommager les entreprises pollueuses, ce qui serait contraire à la pratique habituelle.
—Enfin, et c'est peut-être là le point essentiel, examiner toutes les interrogations que soulève l'AMI et les critiques faites à son endroit en prenant comme hypothèses que toutes les entreprises d'un secteur donné, par exemple, les télécommunications ou le secteur bancaire, pourraient être des sociétés étrangères. De quelles protections devraient bénéficier la population et les gouvernements dans un tel cas? Il faudrait insérer dans l'accord dès aujourd'hui ces garanties et ces protections.
Si le gouvernement canadien n'est pas en mesure de garantir à la population que ses intérêts et ceux de leur pays ne sont pas menacés par cet accord, il ne devrait pas le ratifier et nous invitons le comité à faire une recommandation en ce sens.
Merci.
Le président: Merci, madame McCall.
Chers collègues, je tiens à vous rappeler que nous allons poursuivre la séance jusqu'à 17 heures seulement.
Je demande aux témoins de présenter leurs remarques en une dizaine de minutes pour que nous puissions avoir ensuite du temps pour leur poser des questions. Il y a un autre groupe qui va venir à 17 heures.
Harry Kits, qui représente les Citoyens pour la justice publique. Bienvenue. Je crois que vous êtes accompagné par Andrew Brouwer, votre directeur des communications.
M. Andrew Brouwer (directeur des communications, Citoyens pour la justice publique): Oui, c'est exact. Je vais commencer et Harry Kits va prendre la parole plus tard.
• 1540
Le CJP est heureux d'avoir l'occasion de fournir son avis au
gouvernement canadien sur le projet d'accord multilatéral sur
l'investissement. Organisme de défense et d'études chrétiennes
oecuméniques non partisan, le CJP applique des principes d'amour,
de justice et de bonne administration aux politiques publiques
canadiennes.
Nous appliquons ces principes parce que nous sommes convaincus qu'il n'est pas possible d'élaborer des politiques publiques sans adopter une approche intégrée qui permette d'appliquer ces principes fondamentaux à tous les domaines des politiques publiques, qu'ils soient économiques, sociaux, environnementaux ou commerciaux. Toutes les politiques publiques doivent être conformes à l'équité, au respect de la collectivité et viser à assurer le mieux-être de la population et de l'environnement.
Dans le cadre de la discussion d'aujourd'hui, cette intégration des politiques nous demande de veiller à ce que les mesures destinées à protéger la liberté des investisseurs internationaux ne nous amènent pas à abandonner les plus vulnérables d'entre nous. Des politiques commerciales intégrées et équitables doivent favoriser la défense du bien commun, répondre aux besoins humains et environnementaux, tant à ceux des Canadiens que de nos voisins dans ce village mondial.
Le gouvernement s'est déjà engagé, à plusieurs reprises, à adopter l'approche intégrée dont nous venons de parler. Le livre rouge de 1993 énonce:
-
Le plan d'action libéral repose sur la cohérence et la
complémentarité des mesures économiques, sociales et écologiques,
et de la politique étrangère. Les libéraux savent que ces
politiques sont solidaires.
Les questions sociales, écologiques, économiques et commerciales font partie, d'après nous, d'un même plan d'action. Les solutions ne peuvent venir d'un seul secteur mais elles doivent avoir pour effet de renforcer la responsabilité des acteurs qui oeuvrent dans ces différents secteurs. Il ne faut pas rechercher des réponses linéaires ou des solutions ponctuelles à des problèmes reliés entre eux. Il serait imprévoyant et coûteux de rechercher la compétitivité mondiale en adoptant des mesures qui aggraveraient le fossé entre les pauvres et les riches, l'insécurité et le chômage et qui nuiraient à l'environnement du Canada et des autres pays. Ce sont là des principes fondamentaux de justice publique qui ne doivent pas être renvoyés à des accords accessoires ou à des débats à tenir.
Nous estimons que le Canada devrait prendre l'initiative d'aborder ces discussions multilatérales en matière de commerce et d'investissement à partir de ces valeurs fondamentales. Il faut adopter cette attitude avant d'aller plus loin dans la conclusion d'accords commerciaux globaux.
Jusqu'ici, les déclarations qu'a faites le gouvernement au sujet de ce projet d'AMI ne montrent guère que le gouvernement négocie à partir d'un ensemble de valeurs. Le seul objectif qui ressorte est la volonté de libéraliser les marchés dans le but de faciliter une croissance économique débridée.
Le CJP rappelle au gouvernement du Canada que le gouvernement a un rôle précis à jouer dans la société. Le principe essentiel dont il doit s'inspirer n'est pas la croissance économique matérielle mais la justice publique.
Les gouvernements doivent être sensibles aux différents besoins de la population, des collectivités et des regroupements et il doit concilier leurs demandes pour que tous aient la liberté d'accomplir la tâche que Dieu leur a confiée.
Le premier ministre Chrétien a déclaré dans l'introduction au livre rouge de 1993: «Un bon gouvernement se mesure aux conditions de dignité et de justice ainsi qu'aux perspectives d'avenir qu'il peut offrir.» Il est difficile de voir dans le projet d'accord dont il s'agit aujourd'hui en quoi le gouvernement s'engage à défendre la justice publique.
En fait, la grande majorité des voix qui s'élèvent pour critiquer l'AMI au nom de la justice affirment que cet accord compromettra la capacité du gouvernement d'accomplir sa tâche de défenseur de la justice publique.
Le CJP reconnaît certes la contribution importante qu'apportent les investisseurs à un système économique sain. Nous reconnaissons également que, dans certaines circonstances, il est bon de protéger les investisseurs contre les mesures inéquitables que pourrait prendre le gouvernement. Nous tenons toutefois à rappeler au gouvernement et à ce comité que les entreprises ont également des devoirs envers la société.
Nos gouvernements ont le droit constitutionnel et le devoir politique de demander à tous les citoyens, y compris aux personnes morales, de rendre compte des effets de leurs mesures et de leurs pratiques sur le bien commun et sur l'intérêt général. Il faut demander aux personnes morales de rendre des comptes non seulement sur le plan financier, celui de la rentabilité, mais aussi de la façon dont ce rendement est obtenu et partagé. Un accord multilatéral sur l'investissement devrait avoir pour effet de renforcer les pouvoirs que peut exercer le gouvernement pour obliger les grandes sociétés à rendre compte de leur comportement.
Nous aimerions également poser au gouvernement fédéral une série de questions précises. Elles figurent dans notre mémoire et vous pourrez les examiner, si vous le souhaitez.
Harry.
M. Harry Kits (directeur exécutif, Citoyens pour la justice publique): La principale inquiétude que soulève pour nous ce projet d'AMI est qu'il reflète une foi absolue dans la croissance économique, une croissance que l'on veut libre de toute restriction et infinie et qui exige que l'on libéralise les marchés et l'investissement. C'est ce genre de croissance qui promet la prospérité mais qui bien souvent entraîne de graves difficultés sociales et écologiques.
• 1545
On nous a dit et redit que l'investissement international est
le moteur de la croissance économique et que la croissance
économique est synonyme de prospérité pour l'homme et pour
l'environnement. On utilise en fait l'objectif de la croissance
économique—objectif sans cesse reporté et jamais atteint—pour
réduire les normes applicables aux programmes sociaux, culturels,
environnementaux et axés sur les travailleurs. Les gouvernements se
retirent progressivement de ces secteurs et c'est bien souvent le
marché et non plus le secteur politique qui prend les décisions
concernant le bien-être des citoyens. La pauvreté augmente—au
Canada aussi—et l'écart entre les riches et les pauvres s'accroît.
Le CJP affirme que nos gouvernements ont tort de se laisser abuser par le mirage de la croissance économique. Il est de plus en plus évident que loin de réduire le chômage, la pauvreté et les dommages causés à l'environnement, la croissance économique débridée est en fait une des causes de ces problèmes. Cet argument est développé dans un livre auquel nous avons travaillé, intitulé Beyond Poverty and Affluence: Towards a Canadian Economy of Care.
Pour attirer les investisseurs étrangers dans le but de relancer la croissance économique, nous avons fait de la croissance l'objectif unique. Cela nous a amené à repousser toutes les autres valeurs et tous les autres objectifs. Les êtres humains et la créativité ne sont guère plus considérés que comme des outils permettant d'atteindre cet objectif fondamental.
La CJP estime qu'il serait bon de marquer un temps d'arrêt et de réfléchir à nos orientations, en tant que société. Nous nous demandons si cette «foi», comme nous l'appelons, en la croissance économique matérielle nous aide vraiment, en particulier si elle aide les plus vulnérables d'entre nous. Nous devons également nous demander pendant combien de temps peut-on vraiment s'attendre à ce que cette croissance se poursuive sur une planète aux dimensions finies.
Les Nations Unies, l'OCDE et d'autres organismes ont souvent adopté des résolutions internationales louables pour répondre aux préoccupations sociales et écologiques. Mais comme le soutiennent ces auteurs
-
Cet optimisme trompeur a sapé la volonté de mettre en oeuvre des
réformes fondamentales, en tablant sur l'hypothèse que
l'augmentation de la production et des revenus allait
nécessairement profiter à tous les peuples de la terre, en
particulier à ceux qui vivent dans les régions pauvres. La réalité
des mécanismes économiques ne justifie pas ce point de vue. Le seul
fait d'augmenter la production ne garantit pas la justice de la
répartition; pour que la répartition soit juste, il faut que les
moins nantis détiennent des pouvoirs et que les privilégiés
adoptent un idéal de justice.
Il est important d'intégrer à l'AMI des normes environnementales et en matière de relations de travail. Si l'on ratifiait cet accord sous sa forme actuelle, qui ne prévoit pas ce genre de protection, les mécanismes économiques encouragés par l'AMI feraient litière des politiques environnementales et sociales.
Nous pensons que les Canadiens devraient passer toutes les nouvelles mesures de coopération politique et économique au crible de la durabilité sociale et écologique et de l'ouverture à la participation des États moins puissants. En écartant ces valeurs, nous ne faisons que renforcer l'importance exclusive attribuée à la croissance économique, qui est en train de détruire notre monde.
Nous recommandons en fait que le gouvernement du Canada se retire des négociations au sujet de l'AMI, que de nombreux observateurs qualifient de «pièce maîtresse de la nouvelle économie mondiale» et qu'il prenne plutôt l'initiative de demander à tous les pays de suspendre les négociations. Il faudrait que le Canada et les autres pays prennent le temps d'aborder des questions plus fondamentales et se demandent notamment si les hypothèses sur lesquelles se fondent les accords commerciaux actuels qui ont pour effet de reléguer les préoccupations culturelles, sociales et environnementales à des accords secondaires inefficaces est bien la façon dont il convient de rechercher le bien commun, notamment le bien-être des pauvres et des marginalisés au Canada et dans les autres pays.
Aucun pays n'est indépendant. Économiquement et politiquement, les États nations sont de plus en plus interdépendants. Nous reconnaissons qu'il serait peu judicieux et sans doute impossible de supprimer le réseau de plus en plus dense de relations économiques internationales que nous avons tissé. En outre, dans la mesure où la coopération économique internationale s'oriente vraiment vers la durabilité de l'environnement et le bien-être de la population, la mondialisation de l'économie pourrait être utilisée comme un outil favorisant la justice et la conclusion d'accords multilatéraux commerciaux et économiques globaux qui rechercherait le bien commun et respecterait la diversité culturelle, politique et économique, ce qui serait un objectif particulièrement louable.
Mais l'AMI ne semble pas rechercher le bien commun de toutes les nations et de tous les hommes. La seule justification qu'on nous ait donnée est qu'il devrait avantager les entreprises et les investisseurs canadiens et l'économie canadienne.
Forgé par les membres de l'OCDE, l'AMI reflète les préoccupations et les buts de ses membres, les 29 pays les plus puissants ainsi que ceux des entreprises de ces pays. D'autres pays, ceux qui sont en développement ou «en transition» devraient pouvoir ratifier l'accord par la suite. Nous craignons que la nécessité économique—le besoin d'investissements étrangers— n'oblige les pays pauvres à ratifier un accord qui ne respecte pas leur intérêt à long terme. En fait, l'AMI semble être contraire à l'engagement de mai 1996 pris par le Comité de l'aide au développement de l'OCDE qui établit des cibles globales précises et réalistes en matière de réduction de la pauvreté, d'accès à l'enseignement primaire, d'égalité des sexes, d'accès aux soins de santé et de développement durable et qui reconnaît explicitement que ces objectifs doivent être recherchés en adoptant des approches individuelles et nationales qui reflètent les situations locales. Comment l'AMI permet-il de faire tout cela?
• 1550
Nous invitons le sous-comité et le gouvernement du Canada à
reconnaître la diversité du monde qui est le nôtre, y compris la
diversité des cultures, des valeurs, des objectifs et des
perspectives. Le respect de la diversité exige qu'on lui permette
de se refléter dans les accords commerciaux.
Ce qui manque au projet d'AMI, c'est de faire une place au pluralisme économique. Notre collègue, Marjorie Griffin-Cohen, a travaillé sur cette question. Nous recommandons au gouvernement du Canada de veiller à ce que les pays en développement soient invités à participer immédiatement aux négociations, s'ils le souhaitent, et qu'ils y participent sur un pied d'égalité.
Le CJP est également troublé par le manque d'équilibre entre la façon dont cet accord traite les investisseurs et les gouvernements. L'AMI accorde des droits aux entreprises et aux investisseurs internationaux. Il exige que les gouvernements nationaux les traitent exactement de la même façon que ces gouvernements traitent leurs entreprises nationales et qu'ils les protègent contre toute expropriation illégale. Nous ne contestons pas la nécessité de fournir ces garanties mais nous sommes consternés de voir que cet accord ne mentionne aucunement les devoirs que doivent assumer à leur tour ces entreprises.
L'autre aspect de cette question est l'importance que cet accord attribue aux responsabilités des gouvernements, sans reconnaître ni protéger le droit des gouvernements d'exercer leur responsabilité démocratiquement acceptée, savoir agir dans l'intérêt national. L'AMI ne tient pas compte du fait qu'il est parfois conforme à l'intérêt public que certains biens et services soient fournis ni exclusivement par le secteur public, ni exclusivement par le secteur privé, mais par une combinaison des deux. Par exemple, avec l'AMI, il semble que les églises et les organismes charitables qui fournissent des services sociaux financés par le gouvernement auraient à subir la concurrence d'entreprises commerciales étrangères.
Nous estimons qu'il est inacceptable que les gouvernements adoptent à la hâte des textes législatifs fondamentaux sans donner au public et aux organismes canadiens le temps de faire connaître leur point de vue sur ces documents et de proposer des changements. Nous savons que la dynamique actuelle favorise la ratification de l'AMI d'ici le mois de mai mais nous invitons vivement le gouvernement à demander la suspension des négociations pour qu'ainsi les droits démocratiques puissent être respectés.
Nous savons qu'il est très difficile pour notre gouvernement d'adopter une position contraire à celle de ses principaux partenaires commerciaux; il est peut-être bon de rappeler le rôle positif et généreux qu'a adopté le Canada dans le passé sur des questions d'importance internationale. Plus récemment, les Canadiens peuvent être fiers de la position qu'ont adoptée leurs gouvernements sur la question très grave des mines antipersonnel. Nous pensons qu'ils devraient faire preuve du même genre de courage à l'égard de l'AMI.
Merci.
Le président: Merci.
Nous allons maintenant donner la parole à Marjorie Griffin-Cohen, la présidente du Centre canadien de politiques alternatives de la Colombie-Britannique.
Mme Marjorie Griffin-Cohen (présidente, Centre canadien de politiques alternatives—Colombie-Britannique): Les partisans de l'accord multilatéral sur l'investissement présentent souvent cet accord comme un moyen de réglementer l'investissement étranger. Ils laissent ainsi entendre qu'actuellement les investissements ne sont pas réglementés ou qu'ils le sont de façon inéquitable et que cet accord introduirait un peu d'ordre et de sécurité pour tous les intéressés.
Cet argument est fallacieux parce qu'on s'en sert pour justifier un accord qui va gravement désorganiser le contrôle exercé sur les activités des sociétés internationales. L'AMI va certes apporter une certaine sécurité aux investisseurs étrangers mais cela va s'accompagner d'une perte de pouvoir pour tous les paliers de gouvernement. Les partisans de l'AMI soulignent l'absence de discrimination dans les termes de l'accord et laissent entendre que la principale question est celle de l'identité de traitement des entreprises nationales et étrangères. En fait, cet accord va bien au-delà de cette égalité de traitement et accorde en fait un traitement favorisé à toutes les personnes morales dans le but de protéger les intérêts des investisseurs internationaux. Le statut spécial ainsi accordé va obliger tous les paliers de gouvernement à modifier profondément leurs politiques et leurs actions.
Le but essentiel de l'AMI est de réduire la capacité des pays à réglementer le capital. Ces nouvelles règles vont avoir pour répercussions que les gouvernements vont devoir modifier les façons dont ils conçoivent les programmes destinés à répondre aux besoins particuliers des Canadiens.
Une des hypothèses sur lesquelles repose l'accord, qui est énoncé dans son préambule, est que l'investissement international est nécessairement bon pour les parties à l'accord et qu'il a «considérablement contribué au développement de leurs pays». C'est une idée qui est très fréquemment exprimée, mais qui mérite d'être soigneusement examinée, en particulier parce que le Canada semble désireux de ratifier un nouvel accord qui va modifier l'ensemble de notre économie en partant du principe que cette hypothèse est juste.
• 1555
Il est frappant de constater que la réalité est en fait
contraire à l'hypothèse voulant que la libéralisation de
l'investissement international est une bonne chose. Par exemple, la
libéralisation des règles en matière d'investissement international
au Canada, aussi bien dans le cadre de l'ALE que dans celui de
l'ALENA, n'a pas eu pour effet d'accroître le flux d'investissement
dans notre pays. Cette libéralisation a plutôt semblé encourager
des sorties de fonds, tant pour les investissements directs que
pour les placements.
Les sorties de capitaux dues à l'ensemble des investissements des entreprises augmentent à un taux alarmant. Ces sorties représentaient environ trois pour cent de l'investissement des entreprises au Canada en 1993, mais elles ont augmenté chaque année et elles représentent maintenant 14 p. 100 de l'investissement total.
Même lorsqu'il y a investissement direct, cela n'améliore pas toujours la capacité productive ni l'emploi au Canada, avantages qui doivent normalement découler d'un accroissement de l'investissement étranger. Cela s'explique par le fait que l'investissement étranger direct prend le plus souvent la forme de l'achat d'entreprises existantes. Ces prises de contrôle sont bien souvent financées par le démantèlement d'une entreprise, la vente de ses secteurs les plus rentables et une réduction de la main- d'oeuvre.
J'aimerais parler de certains aspects précis de l'AMI. Je voudrais éviter les redites qui vont nécessairement se produire lorsque d'autres personnes de la Colombie-Britannique vont parler de ce sujet. On pourrait parler en particulier de l'empiétement sur les droits des provinces que va entraîner cet accord. Mais je voudrais parler en premier de privatisation. Les règles actuelles en matière d'investissement ne traitent pas de la privatisation et les entreprises multinationales opérant à partir des États-Unis revendiquent le droit pour les entreprises étrangères de faire des offres dans le cadre des initiatives de privatisation.
Les dispositions en matière de privatisation pourraient nuire gravement à la capacité du Canada d'adopter des mesures de privatisation qui pourraient profiter à la population du pays. Il est encore difficile de savoir comment l'AMI va régler la question de la privatisation parce que les parties ne s'entendent pas sur cette question mais il faut se méfier de l'imprécision à ce stade.
Cet accord comporte plusieurs menaces graves pour le Canada, je le répète. Bien souvent, la vente de biens publics a été décidée au Canada pour répondre à des objectifs publics particuliers et prend des formes de propriété bien définies.
En accordant des droits spéciaux aux investisseurs étrangers, il devient obligatoire d'ouvrir ce genre de vente à l'ensemble de la communauté internationale de l'OCDE. Cela risque de soulever des problèmes dans le cadre de mesures de privatisation qui peuvent être décidées pour, par exemple, renforcer la concurrence dans un secteur industriel, ou qui font appel à des ententes particulières en matière d'actionnariat.
Les dispositions de l'AMI en matière de privatisation revêtent une importance particulière pour le Canada parce que celui-ci risque de décider dans un avenir proche de déréglementer massivement le marché de l'électricité, ce qui pourrait entraîner au moins une vente partielle des actifs des gouvernements provinciaux. Les gouvernements pourraient souhaiter effectuer cette opération en distribuant des actions au public, en faisant racheter l'entreprise par les salariés, ou en distribuant certains actifs aux gouvernements locaux ou municipaux.
Ce genre de contrôle sur les biens publics pourrait toutefois être contesté en raison des termes très larges de l'AMI et il pourrait en résulter la prise de contrôle par des firmes internationales, comme Enron ou Utilicorp, d'une ressource essentielle qui constitue une partie de notre infrastructure nationale.
Le Canada a certes émis des réserves à l'endroit des clauses de l'AMI en matière de privatisation mais la vulnérabilité de ces réserves générales et l'impossibilité de les conserver sur de longues périodes ne peuvent que susciter de graves inquiétudes.
Il est en outre difficile de savoir quel est le genre de réserve que le Canada s'apprête à proposer. Selon la note qui accompagne le texte, le Canada réserve sa position parce que «il n'est pas nécessaire que l'AMI contienne des dispositions traitant expressément de la privatisation puisque les obligations fondamentales NT/NFM s'appliqueraient aux privatisations».
Le Canada semble penser que les mesures de privatisation sont visées par d'autres clauses de l'accord et qu'il n'est donc pas utile d'adopter une clause particulière. Les réserves émises par le Canada ne sauraient donc éviter que l'AMI régisse les mesures de privatisation que pourrait prendre le Canada à l'avenir.
Cet accord touche la question des compétences provinciales parce qu'il va empêcher les provinces à gérer les ressources du secteur public. En particulier, nous nous intéressons tous à la question de l'expropriation. Dans cet accord, le mot «expropriation» est, comme je suis sûre que cela vous a déjà été dit, n'est pas utilisé dans son sens habituel et normal d'expropriation d'un bien physique ou financier mais qu'il couvre en outre les mesures directes ou indirectes qui sont réputées avoir «un effet équivalent» à une expropriation. L'expression «ayant un effet équivalent» a été choisie, comme l'indique le commentaire qui accompagne le texte, pour s'appliquer à l'expropriation larvée que pourraient entraîner des mesures fiscales et pratiquement n'importe quel règlement.
• 1600
Cette définition de l'expropriation pourrait avoir des
répercussions tout à fait surprenantes. N'importe quel investisseur
pourrait prétendre qu'une augmentation d'une charge fiscale ou
qu'une modification des politiques relatives à l'utilisation des
ressources, par exemple, lui causent un préjudice et il pourrait
alors accuser le gouvernement d'avoir exproprié son investissement.
Il est réputé y avoir expropriation touchant l'investisseur
étranger même si la mesure gouvernementale n'est pas
discriminatoire et s'applique également aux investisseurs
nationaux. C'est là un aspect particulièrement inquiétant de cet
accord.
Les défendeurs de l'AMI ont fait remarquer que d'autres accords commerciaux, l'ALENA étant le plus connu, contiennent des dispositions semblables qui traitent des questions de traitement national et de questions connexes. Ils expliquent qu'il n'y a là rien de particulièrement neuf. Je prétends que l'AMI comporte des aspects essentiels qui vont placer cet accord dans une catégorie tout à fait différente, même si certains des termes utilisés semblent comparables. J'énumère ces différences dans le mémoire que je vous ai remis, mais je signalerais en particulier que les définitions «d'investissement» et «d'investisseur» sont tellement larges qu'elles ont pour effet de modifier complètement l'économie générale de l'accord.
L'autre aspect est celui de la façon dont l'AMI s'applique aux gouvernements infranationaux, y compris ceux du palier local. Cet accord a une portée beaucoup plus vaste. Les gens ont également parlé, je crois, du fait que l'accord ne contenait aucune réserve en matière d'environnement et de culture.
Voilà quelques-unes des questions qui me paraissent les plus importantes en ce qui concerne les distinctions à faire entre l'AMI et un accord du genre de l'ALENA.
Les répercussions dans le domaine des services sociaux sont particulièrement importantes. Ces services ne sont pas uniquement réservés aux personnes très pauvres. Ils permettent à tous les Canadiens de vivre décemment, ce qui est particulièrement important pour les groupes défavorisés tels que les femmes et les minorités. Ces groupes ont toujours compté sur les programmes du gouvernement pour corriger les effets de la discrimination et pour créer des conditions propices à leur pleine participation à la vie socio- économique du pays. Un grand nombre de programmes offerts par les gouvernements à tous les niveaux subissent actuellement des changements profonds qui auront pour effet de les rendre beaucoup moins accessibles à l'avenir.
Les dispositions relatives au traitement national que comporte l'AMI sont particulièrement intrusives pour un pays tel que le Canada—ce point a déjà été soulevé—à cause de la combinaison dans notre système du public et du privé, des activités profitables et des activités sans but lucratif. Au fur et à mesure que les responsabilités du gouvernement fédéral diminuent dans certains secteurs, en particulier ceux de la santé et de l'éducation, il apparaît clairement que la propriété et la fourniture de services vont changer dans notre pays. La compétence provinciale n'est pas protégée par la réserve du Canada au sujet des services sociaux, étant donné qu'elle ne s'applique qu'aux services qui continuent à relever de la compétence fédérale. Le principal problème concernant le maintien de l'accès aux services sociaux au Canada concerne ce que l'on considère comme le rôle légitime du gouvernement, celui du versement de subventions directes aux fournisseurs de services publics ou sans but lucratif, en particulier à ceux qui sont en concurrence directe avec les fournisseurs privés.
Voilà le genre de questions qui nous préoccupent le plus. Les organisations féminines s'inquiètent tout particulièrement des répercussions dans le domaine de la garde d'enfants. Il existe également des problèmes particuliers ayant trait aux soins de santé, et je sais que le comité en a déjà été informé. Je voudrais cependant parler d'un autre point, les répercussions de cet accord sur les universités.
Bien des gens ne se rendent pas compte que l'université est définie comme une entreprise et que toute subvention du gouvernement à une université, en particulier les subventions de recherche à certains chercheurs universitaires, pourraient être contestées en vertu des dispositions de l'AMI. Par exemple, le Conseil de recherches en sciences humaines exige que les bénéficiaires de bourses de recherche soient des citoyens canadiens ou des immigrants reçus. Il me paraît assez raisonnable—après tout, ce sont les contribuables qui paient—que ce soient des Canadiens qui en profitent. Selon les dispositions de l'AMI, il est probable qu'un professeur étranger invité, par exemple, pourrait faire valoir que cela constitue une discrimination à l'égard de son droit en tant qu'investisseur. Il est également possible que toute subvention à un collège ou à une université doive pouvoir aussi être offerte à des institutions à but lucratif ou même, à des établissements privés sans but lucratif d'un pays étranger. Du fait de la privatisation croissante de l'éducation au Canada, il est peu probable que les gouvernements pourront continuer à apporter une aide financière aux institutions publiques dans de telles conditions.
À mon avis, le Canada pourrait prendre un certain nombre de mesures. Les témoins qui m'ont précédée ont demandé que le Canada ne signe pas l'accord sous sa forme actuelle, et je suis d'accord avec eux. Le Canada pourrait s'imposer comme un chef de file mondial en prenant certaines initiatives concrètes, mais celles-ci devraient s'inscrire dans le cadre d'accords totalement différents. Il ne s'agirait pas de contrôler les autres nations comme le fait l'AMI, dont l'objet est d'imposer une discipline au public dans l'intérêt des grandes sociétés internationales. Nous avons besoin d'institutions internationales pour contrôler le secteur privé international. Voilà ce que devrait réclamer le Canada.
• 1605
Nous savons aussi pertinemment que les nations pauvres sont
terriblement désavantagées par cet accord, conçu dans le cadre de
l'OCDE. À l'échelon international, il serait indispensable d'avoir
le genre de fonction de redistribution qu'ont actuellement les
États-nations, fonction qui ne joue plus lorsque les sociétés
internationales ne sont plus contrôlées de la même manière par les
États-nations.
En conclusion, je tiens à dire que les droits des personnes sont compromis par l'AMI et qu'à l'avenir, il sera très difficile d'élever des contestations, une fois que l'accord aura été consacré par l'OCDE. L'OCDE se comporte actuellement comme un gouvernement international, alors qu'elle ne l'est pas. En dépit du nombre d'États-nations qui en sont membres, l'OCDE est surtout un organe de réflexion qui travaille pour les 29 nations les plus riches du monde.
L'OCDE s'intéresse uniquement aux droits internationaux des sociétés. Il est temps de créer des institutions internationales qui imposeront une vraie discipline aux activités internationales des sociétés et assureront la protection des gens, de l'environnement et des travailleurs. Il est temps que les lois internationales reflètent les lois nationales et ne visent pas seulement à satisfaire les besoins des grandes sociétés. Le Canada pourrait, et devrait, jouer un rôle de leader en ne se contentant pas d'aider uniquement les entreprises internationales à obtenir ce qu'elles veulent, mais en s'occupant également des besoins de la population mondiale.
Le président: Merci. Merci de votre exposé. Continuons.
Nous allons maintenant entendre Owen Lippert, de l'Institut Fraser. Bonjour.
M. Owen Lippert (Institut Fraser): Merci de m'avoir invité à comparaître.
Je crois qu'il est absolument normal que des comités tels que le vôtre entendent aussi les personnes qui sont opposées à une politique gouvernementale, ce qui est le cas de l'AMI, que le gouvernement veut adopter. Personnellement, mon point de vue est différent. Je suis partisan de l'AMI, et l'Institut Fraser aussi, en particulier en ce qui concerne le principe fondamental de cet accord qui, d'après ce que j'ai peu entendre, a été très mal compris, ainsi que, je le crains, par le public.
Je parle là du principe de non-discrimination, selon lequel, vous devez traiter une société étrangère de la même manière qu'une société canadienne. Si votre loi sur le travail stipule que toutes les sociétés doivent être syndiquées et payées 40 $ de l'heure, cette loi est acceptable. Elle ne l'est plus, à partir du moment où elle dispose que seules les sociétés étrangères doivent avoir un effectif totalement syndiqué, payé 40 $ de l'heure.
Le principe est assez simple et n'a certainement rien de nouveau. Il existe depuis la Seconde Guerre mondiale. C'est indiscutablement un des principes de l'ALENA, ce qui signifie qu'au Canada, nous nous conformons à un règlement comparable aux dispositions de l'AMI depuis 1993. En fait, bien que 65 p. 100 de l'investissement étranger au Canada bénéficie actuellement de ce traitement, le pays ne s'est pas effondré. Notre croissance économique est impressionnante depuis 1993.
Tout cela touche aussi au fondement même de l'AMI en ce sens qu'il s'agit d'une restriction imposée au gouvernement et non de nouveaux droits accordés aux sociétés. Il s'agit simplement d'essayer d'empêcher le gouvernement de céder à la tentation— c'est-à-dire d'accorder des subventions ici ou là, d'accorder un traitement de faveur à gauche ou à droite, dans le genre, «Joe, mon vieux copain, toi qui es président d'une société, peut-être que nous pourrions te donner un coup de main».
Les gouvernements se rendent bien compte que cette approche est stérile et que quand les règles du jeu sont les mêmes pour tous, les échanges économiques et la richesse y gagnent. C'est la raison pour laquelle ils se réunissent et disent «Écoute, je ne le ferai pas, à condition que tu ne le fasses pas non plus». Voilà, en fait, ce que signifie cet accord.
Les nations les plus riches ont atteint un niveau de maturité politique qui leur permet de prendre ce genre de décision. J'ai entendu certains se plaindre du fait que les pays en développement n'avaient pas été invités, mais la plupart d'entre eux se cramponnent à l'idée d'un gouvernement interventionniste, distributeur de subventions, et c'est pourquoi ils ont décidé de ne pas participer.
• 1610
On peut espérer qu'une fois que l'AMI sera en place, d'autres
pays du monde en développement voudront le signer. Ces pays
auraient certainement beaucoup à gagner en le faisant—et ils
auraient aussi beaucoup à gagner en empêchant le gouvernement de
continuer à pratiquer le petit jeu des favoris en subventionnant
telle ou telle industrie.
Le Canada peut s'enorgueillir à juste titre du rôle qu'il a joué dans la rédaction de l'AMI et il mérite que sa position soit appréciée, en particulier par le public.
Cela dit, le gouvernement du Canada a dévié de certains de ses principes dans le cas de l'AMI. La liste d'exclusions est beaucoup trop longue. Elle inclut la culture, la santé et les services sociaux, alors que ce sont précisément les secteurs qui ont besoin d'idées nouvelles, d'argent frais.
Premièrement, il n'y a rien dans l'AMI, compte tenu de la clause d'exclusion canadienne concernant les services sociaux, qui puisse créer le genre de situation évoquée ici, dans laquelle une église se trouve en concurrence avec une société pour la prestation de services aux pauvres. Lorsque j'ai entendu cela, j'ai été abasourdi. Pourquoi ne mettons-nous pas l'accent sur la fourniture du meilleur service possible à la personne dans le besoin, au lieu d'essayer de trouver un moyen de tourner les choses de manière à ce que l'aumônier local fournisse le service au lieu de quelqu'un qui est capable de le faire beaucoup mieux? N'est-ce pas là-dessus que l'on devrait mettre l'accent—sur l'individu, sur le bien-être individuel?
Je vais faire une petite digression et vous dire comment l'AMI est perçu par le public car j'ai participé à bon nombre d'entretiens à ce sujet. J'ai constaté qu'il y a un sérieux problème de désinformation qu'il faudrait régler, sans quoi, cela va devenir un beau prétexte à tirades politiques—ce que ne mérite pas l'AMI qui risque d'être mal interprété alors qu'il s'agit d'un accord commercial tout à fait progressiste. On devrait faire un plus gros effort d'information du public, car l'expérience a montré que tous les accords commerciaux provoquent de violentes protestations du public et créent un sentiment d'insécurité chez lui. C'est ce que nous avons vu dans le cas du libre-échange et de l'ALENA. Il faut que le gouvernement se donne la peine de bien faire comprendre la situation au public. Il s'agit notamment pour lui d'expliquer les raisons économiques fondamentales pour lesquelles le commerce est une source de richesse pour nous.
Quoi qu'il en soit, en dehors des quelques réserves à l'égard, précisément, des réserves du gouvernement du Canada, l'Institut Fraser est totalement partisan de l'AMI et demande au gouvernement de faire en sorte que ce soit un accord valable, ou en tout cas un bon accord mieux connu du public.
Le président: Merci, monsieur Lippert.
Nous allons maintenant entendre un de nos collègues, Gordon Wilson, de la Législature de la Colombie-Britannique.
Apparemment, c'est la journée de la Colombie-Britannique. Nous avons entendu l'Institut Fraser, et nous entendrons tout à l'heure le représentant du gouvernement de la Colombie-Britannique.
Bonjour.
M. Gordon Wilson (membre de la Législature de la Colombie- Britannique): Merci beaucoup, monsieur le président, merci aussi aux membres du comité de m'avoir permis de témoigner devant eux.
Je suis en fait très tenté de jeter mes notes au panier et de m'en prendre directement à Owen; mais j'attendrai avant de le faire.
M. Owen Lippert: Effectivement, ce serait alors un grand jour pour la Colombie-Britannique.
M. Gordon Wilson: Laissons donc cela de côté un instant et revenons à ce dont je voulais vous parler.
Je tiens à préciser tout de suite que je ne prétends pas parler ici au nom du gouvernement de la Colombie-Britannique. Ce gouvernement a un représentant que vous entendrez tout à l'heure. Je suis cependant un membre élu de la législature et le chef d'un parti politique de cette province. Mon intervention est inspirée par certaines préoccupations, en particulier au sujet de la validité constitutionnelle de ce dont on discute ici.
Au cours des années passées comme député, le travail que j'ai effectué sur les questions institutionnelles a été loin d'être un simple passe-temps, en particulier en ce qui concerne l'étude des pouvoirs fédéraux et provinciaux et la manière dont ces pouvoirs peuvent être partagés. Je vais donc concentrer mes remarques sur ce point, ainsi que sur deux ou trois autres questions qui me paraissent spécifiques à la Colombie-Britannique.
Comme d'autres personnes ont déjà présenté des commentaires plus généraux sur les mérites de l'AMI ou sur les problèmes de sa mise en oeuvre, je voudrais être un peu plus précis et examiner les domaines dans lesquels l'AMI prolonge en fait certaines dispositions déjà prévues dans l'ALENA.
• 1615
À cet égard, j'estime que les interdictions au titre de
l'ALENA sont maintenant étendues à plusieurs domaines qui, à mon
avis, relèvent directement de la compétence provinciale. Ce sont
des domaines dans lesquels il n'y a rien dans la Constitution qui
autorise le gouvernement fédéral à négocier au nom des provinces.
Par exemple, l'ALENA comporte certaines exigences, obligations et engagements, en ce qui concerne les interdictions, prohibant l'atteinte d'un niveau donné de R-D sur son territoire—on y a déjà fait allusion à propos des universités et des exigences dans ce domaine—et excluant les dispositions qui imposeraient le recrutement de niveaux déterminés de ressortissants.
En Colombie-Britannique, nous avons déjà lancé des programmes gouvernementaux de création d'emplois dans la plus importante des industries du secteur primaire, l'industrie forestière. Il est permis de s'inquiéter de la manière dont cela pourrait être interprété.
Il y a aussi l'interdiction relative à l'exigence d'établir des coentreprises. C'est l'un des éléments fondamentaux de la plupart des négociations actuelles de traités avec les Premières nations dans la province. Nous aurions de sérieuses réserves à l'égard d'un accord international qui interdirait à la province et aux Premières nations de la Colombie-Britannique de conclure une entente relative à la gestion de leur base de ressources sur des terres considérées comme cédées en vertu d'un traité. En vertu de cet accord, il y a donc une différence entre la propriété de ces terres et celle des terres domaniales. Il n'est pas impossible que l'accord impose des interdictions dans ce domaine.
Enfin, le niveau minimum de prise de participation, qui est déjà un élément fonctionnel de la loi en Colombie-Britannique, pourrait en fait être maintenant contesté, du moins en partie. Je crois que Mme Griffin-Cohen y a déjà fait allusion. Je ne reviendrai donc pas là-dessus.
Ce qu'il faut donc que le comité considère—et je l'ai dit à titre de législateur et de collègue, bien que j'appartienne à un ordre différent de gouvernement—c'est dans quelle mesure, en acceptant ce traité, à supposer, bien sûr qu'il soit signé, le gouvernement fédéral s'est immiscé dans certains domaines de la compétence provinciale ou les a en fait pris à son compte alors qu'il n'a aucun pouvoir ou capacité pour cela.
Je soulève la question car je crois qu'il est important que le comité y réfléchisse. Une des différences entre L'AMI et l'ALENA a trait au droit d'un ressortissant étranger de poursuivre le gouvernement en lui intentant un procès au civil. Qu'il soit municipal ou provincial, ce gouvernement peut être poursuivi en vertu d'un des prolongements des dispositions de l'ALENA auquel je viens de faire allusion.
Si cela se produisait, comme le gouvernement fédéral ne peut pas contraindre la province à signer sous prétexte que c'est lui- même qui est le signataire de l'accord, les poursuites devraient être intentées contre le gouvernement fédéral. Celui-ci devra donc à son tour chercher réparation auprès de la province.
Cela crée un sérieux problème sur le plan constitutionnel. Cela signifie que le gouvernement fédéral va usurper la primauté de la province en ce qui concerne ces questions.
La seconde question, qui est connexe à la première, concerne plusieurs termes qui ne sont pas clairement définis. Il y a la question de l'«avantage», par exemple. Dans le cadre de l'AMI, il est dit très clairement qu'une bonne partie des questions dont je viens de parler ne poseraient pas de problème, si l'avantage était accordé par le gouvernement—autrement dit, si la province accordait une subvention. Cependant, le terme «avantage» n'est défini nulle part.
À mon avis, le problème pour notre province—en tant qu'homme politique provincial, j'en suis même convaincu—est que nous allons être assujettis à une interprétation qui ne sera fondée sur aucune définition dans le texte; deuxièmement, on court le risque que la décision soit prise par un tribunal, en dehors de notre sphère de compétence et d'influence. Pour de simples raisons de jurisprudence, cela m'inquiète beaucoup.
J'ajouterai que le même problème pourrait se poser pour les subventions. Il s'agirait en effet de décider à qui appartient la décision de les accorder, ainsi que de définir ce qui constitue, ou ne constitue pas, une subvention.
• 1620
En Colombie-Britannique, comme le savent tous ceux qui ont
suivi la question du bois de résineux dans un autre forum, c'est
une question très litigieuse qui a causé d'énormes difficultés
financières, en particulier pour certains des petits exploitants
forestiers de notre province. J'estime qu'en tant que politiciens
provinciaux, il nous incombe d'évoquer ce problème, car pour que
des mesures puissent être prises, il faudra que le gouvernement
fédéral adopte une loi de mise en vigueur, et pour que celle-ci
soit appliquée, il faudra que la province adopte une loi
habilitante parallèle. Le texte de cette loi de mise en oeuvre sera
absolument indispensable pour définir ce que sont maintenant les
droits constitutionnels établis de la province.
Ce qui m'inquiète beaucoup c'est qu'à un moment où nous essayons de renforcer les liens pour assurer l'unité nationale, où nous essayons de préciser le rôle des gouvernements fédéral et provinciaux, les efforts persistants en faveur de l'adoption de cet accord international en l'absence de représentants provinciaux à la table des négociations, va nous créer de sérieux problèmes d'ordre constitutionnel. Je demande donc instamment—c'est ma première recommandation—que les provinces soient directement associées à ce processus, au lieu d'être simplement consultées après coup; je demande que nous soyons nous aussi à la table.
Je crois que la législature de la Colombie-Britannique a été la seule à présenter une motion sur l'AMI et à tenir un long débat sur la question. Malheureusement, à cause du règlement, certains diront peut-être que le tout était orchestré par ceux qui ne voulaient pas de vote. Je ne crois pas que c'était le gouvernement. Peut-être était-ce l'opposition officielle, mais n'étant pas membre de celle-ci, je ne me permettrai pas de porter une telle accusation.
Quoi qu'il en soit, il n'y a pas eu de vote. Ce qui est clair, cependant, c'est que tous les partis représentés se sont inquiétés du fait que la compétence de la province, son droit de déterminer ce qu'elle peut faire et d'effectuer les choix requis dans les domaines que je viens de décrire dans les domaines où cet accord prolonge l'ALENA...
Il y a de nombreux autres points que je n'ai pas le temps de discuter aujourd'hui, mais en ce qui concerne ceux que je viens d'évoquer, je crois que la province de la Colombie-Britannique, et en tout cas les membres élus de sa législature, auraient de sérieuses réserves à exprimer.
Permettez-moi de porter brièvement une autre question à l'attention du comité. Je me ferai un plaisir de vous fournir plus de détails si nous avons suffisamment de temps tout à l'heure pour que vous posiez des questions.
Il s'agit des marchés publics; on nous dit qu'ils ne sont pas un des points de négociation; pourtant, aucun document récent—et je crois que nous les avons tous reçus—ne le confirme. C'est un choix qui doit être fait par le gouvernement, par la province, et les marchés publics ne peuvent donc être assujettis à ces exigences.
Mes craintes sur le plan culturel, en dépit de ce que disait mon ami M. Lippert, pourront peut-être plus utilement être évoquées au cours de la période de questions. Je tiens en tout cas à soulever ces questions, en particulier en ce qui concerne la coentreprise et les Autochtones, ainsi que la validité constitutionnelle de ce que le gouvernement fédéral essaie de faire.
Permettez-moi de terminer en disant qu'en tant que législature... Sans doute l'AMI n'est pas un mot que tous les habitants de la Colombie-Britannique ont constamment aux lèvres mais beaucoup doutent fort que quelques journées d'audience à Ottawa, où il serait extrêmement difficile de se rendre et de se faire entendre, constituent vraiment ce que l'on appelle une consultation du public ou une participation de celui-ci. En tant que législateur, je crois devoir vous dire qu'à une époque où l'obligation pour le gouvernement de rendre des comptes est de plus en plus à l'ordre du jour, vous feriez peut-être bien de réfléchir sérieusement avant de continuer.
Le président: Merci, monsieur Wilson.
En tant que députés et membres de ce comité, on nous a demandé de consulter les Canadiens avant que les négociations ne reprennent en janvier. Étant donné le calendrier qu'on nous avait imposé, et le fait que nous pensions pouvoir prendre contact avec un grand nombre de groupes de coordination qui représentent la plupart de ces gens-là, nous avons décidé de consacrer ces deux semaines à l'audition d'un grand nombre de groupes représentant, et je crois que les membres du comité seront d'accord avec moi, des points de vue très divers sur la question.
Notre dernier témoin aujourd'hui sera Howard Mann, de International Environmental Law and Policy. Bonjour.
M. Howard Mann (International Environmental Law and Policy): Merci, monsieur le président et membres du comité.
• 1625
Je suis avocat et j'ai un cabinet privé. Je me spécialise dans
le domaine du droit de l'environnement, du commerce et des
questions d'environnement dans le domaine canadien et
international. J'ai autrefois travaillé pour le gouvernement
fédéral et j'ai été conseiller juridique d'un grand nombre de
délégations canadiennes à des négociations internationales sur
l'environnement, ainsi que sur l'accord parallèle à l'ALENA portant
sur l'environnement. Je parle aujourd'hui uniquement à titre
personnel; je ne représente aucune organisation, groupe, ou
quiconque d'autre.
Je suis heureux de comparaître devant vous aujourd'hui et je vous remercie de m'avoir permis de le faire. À mon avis, la négociation sur l'AMI est extrêmement importante et suscite de plus en plus d'intérêt chez les Canadiens. Le ministre du Commerce international et vous-même méritez d'être félicités pour avoir élargi le débat au cours de ces deux derniers mois.
Le texte de mon mémoire écrit a été remis à tout le monde, et je n'ai aucune intention de le lire ici. Je me contenterai de présenter ses éléments essentiels et je vous laisserai le soin de le lire et de poser des questions après mon exposé.
La question dont je voudrais vous parler aujourd'hui a trait aux préoccupations concernant l'environnement et le développement durable que suscite l'Accord multilatéral sur l'investissement. Pour beaucoup, ces deux questions, dans le contexte de l'AMI, se résument essentiellement à un débat d'où sortira un seul gagnant. Vous pouvez être partisan de l'AMI et vous pouvez être partisan des sociétés multinationales; vous pouvez au contraire vouloir défendre l'environnement et le développement durable, mais vous ne pouvez pas faire les deux choses à la fois.
Je ne pense pourtant pas que ce soit vrai. Je crois qu'il est possible de faire les deux choses en même temps et je crois qu'il y a des moyens d'avoir un AMI efficace, des mesures efficaces de protection de l'environnement, et aussi de promouvoir le développement durable dans notre pays et sur le plan international. C'est de cela que je voudrais parler.
Le droit international sur la protection des investissements n'est pas un domaine nouveau. Il y a des décennies qu'il croît en importance, probablement depuis 50 ou 60 ans. L'élaboration d'un accord tel que l'AMI ne devrait pas être automatiquement rejeté, par réaction instinctive contre le libre-échange, l'internationalisme, ou les autres facteurs dynamiques et changeants de l'économie mondiale. J'estime cependant que l'extension du droit actuel, ce qui aurait lieu avec l'AMI, devrait se faire en pleine connaissance des répercussions possibles. C'est cela qui inspire les inquiétudes pour l'environnement.
Je voudrais examiner deux grandes questions dans ce contexte. La première a trait aux effets d'un accord tel que l'AMI sur la capacité des États de continuer à chercher à régler les problèmes environnementaux dans leur propre sphère de compétence, notamment en adoptant de nouvelles lois sur l'environnement. La seconde a trait à la possibilité d'utiliser l'AMI pour promouvoir des investissements qui contribueront à assurer un développement écologiquement durable. En dépit de son importance, on parle très peu de cette seconde question aujourd'hui.
Commençons par la première, les effets sur les lois nationales pour la protection de l'environnement. À l'origine, le droit international dans ce domaine s'est développé, comme certains collègues du comité l'ont déjà dit, pour régler le problème de ce que l'on entend normalement par «expropriation». Vous avez un terrain, le gouvernement vous l'enlève pour construire une route ou une usine de défense ou autre chose du même genre, et vous touchez une indemnité; ou bien le gouvernement nationalise votre entreprise de production pétrolière, vous recevez une indemnité; sans quoi, vous recourez à l'arbitrage ou vous intentez un procès.
Mais comme on l'a fort justement fait remarquer, la définition d'«expropriation» s'est élargie depuis une dizaine d'années dans le contexte du droit international. Aujourd'hui, d'autres formes d'ingérence dans le domaine de la propriété—cela se classe sous la rubrique des restrictions et des obstacles importants aux investissements—sont également de plus en plus souvent incluses dans la définition de l'«expropriation». Tout cela pose des problèmes très réels en ce qui concerne l'élaboration de futures lois sur la protection de l'environnement.
Les limitations que cela représente sont actuellement contestées en vertu du chapitre 11 de l'ALENA portant sur les investissements. Ethyl Corporation, comme vous le savez certainement, a présenté une demande d'arbitrage en vertu du chapitre 11 de l'ALENA portant sur une somme d'un quart de milliard de dollars US que cette société réclame au gouvernement canadien, à la suite de l'adoption de la Loi sur le MMT.
À l'époque où le chapitre 11 a été achevé, on a dit aux Canadiens que cela n'aurait aucune répercussion sur l'adoption des lois sur la protection de l'environnement au Canada. En avril 1997, quelques jours après que la Loi sur le MMT ait été adoptée, Ethyl a présenté une demande d'arbitrage et a engagé le processus en vertu du chapitre 11. Un des arguments invoqués par Ethyl est que cette loi sur l'environnement représente, dans le contexte de l'ALENA, une restriction importante des activités de la filiale canadienne d'Ethyl et constitue donc une ingérence illégale dans ses activités.
• 1630
Ethyl Corporation invoque également une infraction à
l'obligation relative au traitement national imposée à
l'investisseur. L'examen de la demande d'arbitrage est en cours et
se poursuit dans le secret. J'ai demandé des copies de la
déclaration et des réponses données par le Canada, et on me les a
refusées. Ces documents ne seront jamais mis à la disposition du
public. En fait, en vertu des dispositions du processus de
règlement des différends, les Canadiens ne sont pas autorisés à
connaître les arguments invoqués par le gouvernement du Canada en
réponse dans cette affaire de 250 millions de dollars. Je ne sais
même pas si les députés eux-mêmes pourraient en obtenir une copie.
J'estime qu'il s'agit là de problèmes très réels et très graves, et qu'il est indispensable que les membres de ce comité soient parfaitement au courant du fait que, sur le plan légal, un accord sur l'investissement qui protège les investissements mais ne tient aucun compte des questions environnementales est biaisé à l'égard de celles-ci. Le fait que les questions environnementales soient exclues de l'accord crée une situation de droit dans laquelle les obligations internationales relatives à la protection de l'investissement l'emportent sur les lois de protection de l'environnement que pourrait adopter le pays à l'avenir. Voilà ce qu'est la situation réelle sur le plan juridique; elle découle d'une absence d'exceptions ou de dispositions concernant l'environnement dans l'accord sur l'investissement.
Le groupe spécial d'arbitrage serait alors obligé d'examiner la validité de l'accord sur le plan juridique. Si une loi sur la protection de l'environnement, une loi sur le travail ou d'autres lois sociales étaient contestées en vertu de l'accord, le groupe d'arbitrage convoqué par la société qui investit serait obligé de s'en tenir à la lettre de la loi et ne pourrait invoquer aucune autre valeur ou facteur compensatoire qui permettrait de justifier pleinement les lois adoptées par le gouvernement. En fait, si le groupe d'arbitrage décidait que les dispositions relatives à l'investissement étaient violées, une indemnité compensatoire devrait être versée.
Autrement dit, aucun équilibre n'est nécessaire s'il n'est pas prévu dans le libellé de l'accord lui-même. À partir de ce moment, il est en fait interdit aux arbitres de tenter de concilier les intérêts en présence.
Je crois que cette question peut être examinée sous trois angles. Je l'expose plus en détail dans mon mémoire et je me contenterai d'essayer de vous présenter brièvement les trois aspects de la question.
Premièrement, l'AMI devrait comprendre une exception générale relative aux règlements en matière d'environnement, comme il le fait actuellement pour tout ce qui touche aux services financiers. L'AMI contient actuellement un texte qui traite de cette question, et j'estime que ce texte devrait être vigoureusement défendu par le gouvernement canadien. Son objet est similaire à l'exception environnementale existant déjà dans le GATT, il y a donc un solide précédent. À mon avis, cela mérite d'être ardemment défendu.
Deuxièmement—il s'agit de questions connexes—je ne crois pas que l'on puisse atteindre les objectifs environnementaux sans faire tout le reste. On a déjà parlé de la définition de l'expropriation. L'AMI comporte à ce sujet trois critères distincts: la définition de l'expropriation, une mesure équivalente à une expropriation, et une mesure qui entrave une expropriation. Tous ces termes apparaissent aux paragraphes (1) et (2) de l'article 4 de l'AMI. Dans chaque cas, ils créent des droits pour l'investisseur, mais aucun de ces droits n'est défini. L'absence de définition de ces termes dans le texte de la plainte d'Ethyl Corporation permet de s'interroger sur ce qui constitue une mesure équivalente à une expropriation ou une entrave à un investissement.
Le commentaire du texte dans la section consacrée au règlement des différends précise que les occasions de profit perdues constituent des dommages dont on ne peut réclamer le remboursement en vertu du processus d'arbitrage. Donc, même si vous n'investissez pas, vous pouvez invoquer les protections prévues par l'AMI au chapitre des occasions de profit perdues.
Le troisième et dernier point est le suivant: l'AMI est fondé sur la notion de traitement national. Comme le dit fort justement M. Lippert, un investisseur étranger devrait avoir les mêmes droits et être traité de la même manière que les investisseurs nationaux. Mais dans le domaine de l'environnement, c'est quelque chose qu'il est très difficile de mesurer, en particulier dans un pays comme le Canada, où une si grande partie de notre base de ressources et de notre base industrielle appartiennent à des intérêts étrangers. De par sa nature même, les règlements relatifs à la protection de l'environnement sont souvent spécifiques à un site ou à une substance.
• 1635
Deux aciéries séparées par moins de 25 kilomètres peuvent être
assujetties à des régimes environnementaux tout à fait différents,
du fait que l'environnement récepteur est différent dans chaque
cas. C'est tout à fait normal et courant dans ce domaine. Pourtant,
si une des aciéries appartient à des intérêts étrangers et l'autre,
à des intérêts nationaux, la première, si elle est assujettie à des
règlements plus rigoureux qui lui coûtent plus cher à appliquer,
peut invoquer l'accord pour dire qu'elle fait l'objet de mesures
discriminatoires. J'estime que ce sont là des questions et des
différences qui pourraient être réglées dans le cadre de l'accord.
Il est possible d'inclure une entente qui aurait valeur légale sur les différents types de différences qui sont légitimes dans le domaine du droit de l'environnement, notamment ce que je considère comme les quatre facteurs clés suivants: les environnements récepteurs jouent un rôle absolument critique lorsqu'il s'agit de déterminer si les investissements sont traités de la même manière, ou ce que sont les «circonstances similaires», dans le jargon de l'accord; les règlements spécifiques à un site sont un instrument approprié de protection de l'environnement; les effets cumulatifs sont des facteurs qu'il est justifié de considérer aux fins de la réglementation; le relèvement progressif des normes environnementales signifie que les nouveaux investissements sont traités d'une manière différente des anciens, qu'il s'agisse d'investissements étrangers ou nationaux.
La seconde question qui me paraît particulièrement préoccupante concerne la possibilité de promouvoir un développement écologiquement durable dans le cadre de cet accord. L'accord proposé accorde de nombreux droits aux sociétés multinationales, mais aucune mention n'est faite de leurs responsabilités. À mon avis, l'AMI offre une excellente occasion de voir s'il serait possible d'adopter des mesures incitatives afin de promouvoir l'objectif de développement durable pour l'investissement dans les pays en développement et les pays développés.
Une importante question de principe sous-tend cela. L'investissement est-il, purement et simplement, l'objectif ultime, et que devrait-on protéger exactement? Ou l'objectif est-il de rechercher un investissement favorable à l'écologie et utile sur le plan social, permettant de promouvoir le développement durable? Essentiellement, l'AMI est destiné à promouvoir et à protéger l'un ou l'autre de ces deux objectifs et je crois que c'est précisément le choix politique auquel nous sommes confrontés.
Premièrement, dans ce domaine, monsieur le président, l'utilisation par les investisseurs de la disposition relative au règlement des différends peut être assujettie à des exigences vraiment minimales en matière d'environnement, exigences qui sont communes à tous les pays de l'OCDE. Cela permettrait de promouvoir efficacement le développement durable. La première méthode consiste à inclure un code d'éthique; à ce sujet, on parle d'inclure le code d'éthique de l'OCDE pour les entreprises multinationales. Franchement, ce document est totalement dépassé et ne comporte rien d'utile pour le développement durable. Si l'on retient cette méthode, elle sera inefficace et ne donnera aucun résultat.
Il serait bien préférable d'inclure une disposition imposant l'obligation, pour tout investisseur désirant utiliser le processus de règlement des différends, le processus d'arbitrage inclus dans l'AMI, d'être certifié au niveau ISO 14000 pour cet investissement ou installation particulière. L'ISO 14000 est une norme de gestion de l'environnement international. Son application garantirait un niveau minimum de performance environnementale pour une installation. Autrement dit, une société serait tenue de s'acquitter de cette responsabilité avant de pouvoir recourir au processus d'arbitrage. Les droits existeraient toujours, mais cette société ne pourrait y avoir recours qu'à condition que sa performance environnementale soit satisfaisante.
En outre, j'estime que pour pouvoir bénéficier des mesures de protection de l'AMI, une évaluation d'impact environnemental devrait être obligatoire pour effectuer un investissement. C'est la norme pour toute activité bancaire internationale—la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement, n'importe quelle autre banque—et cela devrait être aussi la norme pour pouvoir bénéficier des mesures de protection de cet accord. Cette proposition n'a rien de radical. Toutes ces sociétés multinationales sont tenues d'effectuer ces évaluations environnementales lorsqu'elles investissent dans leur pays d'attache.
Deuxièmement, je crois qu'une excellente occasion s'offre ici d'étendre la responsabilité des personnes morales à leur pays d'attache. Si les sociétés étaient tenues responsables, dans leur pays, des dommages environnementaux causés dans un État étranger, cela contribuerait beaucoup à équilibrer le régime de responsabilité et permettrait d'imposer, non par un règlement mais par le jeu des forces du marché, un régime de responsabilité dont les conseils d'administration devraient tenir le plus grand compte. Ajoutons qu'il s'agit d'une mesure juridique très simple et facile à prendre.
• 1640
Troisièmement, je pense que l'obligation d'appliquer les
normes environnementales et les normes du travail incluses dans les
deux accords annexes de l'ALENA peuvent, et devraient être incluses
dans l'AMI. Cela permettrait aussi d'imposer des responsabilités
aux gouvernements et de trouver une solution dans ce domaine. Cela
s'ajouterait à l'interdiction de réduire ou de passer outre aux
lois environnementales, ce qui est actuellement purement volontaire
aux termes du paragraphe 1114(2) de l'ALENA.
Les Européens ont proposé d'en faire une obligation. Les Canadiens ne sont pour l'instant pas de cet avis. J'estime que le Canada devrait revenir sur ses positions et se ranger aux côtés de ceux qui veulent en faire une disposition obligatoire.
Monsieur le président, je voudrais simplement mentionner une seule autre question qui me préoccupe, celle du secret lié au processus de règlement des différends.
Le président: Oui, mais soyez très bref, s'il vous plaît.
M. Howard Mann: J'estime que l'on devrait revenir sur cette mesure et que les documents—les déclarations et les réponses, etc.—devraient être accessibles au public, ainsi que le texte de tous les arbitrages, et pas simplement des décisions finales.
Voilà quelques-unes des questions qui se posent dans le domaine environnemental, mais il y en a d'autres. Je vous remercie de votre attention.
Le président: Merci, monsieur Mann.
Mes chers collègues, il nous reste 20 minutes. Je voudrais cependant faire une brève observation avant de donner la parole à M. Penson.
J'ai beaucoup apprécié les efforts déployés pour les exposés faits aujourd'hui. Je sais que nous avons parfois affaire à des groupes nationaux et parfois à de simples représentants à titre personnel, mais je demande instamment à tous les groupes appelés à comparaître devant un comité parlementaire, de faire traduire, si possible, tous les documents qu'ils apportent. Cela nous aide beaucoup dans nos délibérations, car lorsqu'il n'y a pas de traduction, certains de nos membres qui peuvent avoir des difficultés à lire un texte anglais sont nettement désavantagés.
Monsieur Penson.
M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Merci, monsieur le président.
On m'a avisé que nous avons cinq minutes par question et réponse, ce qui n'est pas très long. J'aurai probablement seulement à peine le temps d'accueillir le groupe venu ici aujourd'hui. Le processus a été intéressant.
Il me semble toutefois que la controverse est surtout liée au caractère secret des négociations, au manque d'information et à un malentendu assez important. Je reproche au gouvernement de n'avoir pas fait participer la population plus tôt à ce débat. Il me semble que cela a affaibli jusqu'à un certain point la position de négociation du Canada et que nous aurions beaucoup plus de poids à l'OCDE si nous pouvions y démontrer de manière convaincante que la population canadienne nous appuie dans ce dossier. Je pense qu'elle nous appuie probablement dans une grande mesure, mais il y a un grand malentendu au sujet de cet accord et je pense que cela l'affaiblit.
Le ministre du Commerce international a témoigné devant notre comité quand nous avons entrepris cette étude. Il nous a déclaré que le but visé est l'élargissement de l'ALENA aux 29 pays membres de l'OCDE. Il a déclaré que le Canada chercherait des exceptions dans les domaines où l'ALENA en prévoit. Parce que l'ALENA régit déjà environ 65 p. 100 de l'investissement étranger au Canada, je pense que nous sommes en terrain connu. Il s'agit d'un mécanisme qui est établi dans le cadre de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis depuis 1988, qui a changé quelque peu dans le cadre de l'ALENA en 1993, mais aussi d'un modèle dont nous pouvons nous inspirer.
Par ailleurs, des gens comme le doyen de la faculté de commerce de l'Université de l'Alberta, Mike Percy, déclarent que l'Alberta aura besoin de 20 milliards de dollars d'investissement d'ici dix ans pour mettre en valeur les sables bitumineux et divers projets qu'il faut financer dans cette province.
Des gens comme les représentants de l'industrie minière, en ville aujourd'hui, parlent de la difficulté d'exploiter les mines au Canada. Mme Griffin-Cohen a évoqué le rythme alarmant des sorties de capitaux de notre pays. Quand on demande aux représentants de l'industrie minière pourquoi ils vont s'installer à l'étranger, ils parlent de la difficulté d'obtenir des permis, des longs délais avant de recevoir le feu vert—c'est exactement ce que nous ne voulons pas qui fait sortir l'investissement hors de notre pays. Il me semble que c'est un élément du problème alarmant auquel nous sommes confrontés. Nous rendons la tâche tellement difficile aux sociétés qui veulent investir au Canada qu'elles cherchent ailleurs.
J'ai quelques questions, et j'aimerais en poser beaucoup d'autres, mais vu le temps limité, j'en poserai seulement une à M. Lippert. Vous avez déclaré que, selon vous, la liste de réserves contenues dans ce que vous avez vu de l'AMI serait trop longue. Premièrement, que retrancheriez-vous de cette liste?
• 1645
Deuxièmement, nous avons entendu qu'il faut prévoir une
exception pour l'environnement, sinon la protection sera
insuffisante. Nous l'avons entendu de la bouche de plusieurs
groupes qui sont venus témoigner aujourd'hui. Comment régleriez-
vous ce problème? Êtes-vous d'accord?
M. Owen Lippert: En ce qui concerne les exceptions, la théorie économique veut qu'il n'y ait pas d'exception, que lorsqu'on protège une industrie, on le fait au détriment d'une autre, que nous décidons simplement de protéger ce groupe parce qu'il a une importance politique.
La culture est un exemple classique. On cherche toujours à protéger ce qui est incontestablement canadien. Mais on se trompe sur la nature véritable de l'industrie culturelle au Canada.
Quand on élimine ces exceptions, on expose ces industries à la concurrence. Le résultat, comme on peut le constater au fil des années, est généralement positif. Quand le libre-échange entre en jeu, on se dit: «Bon sang, ils vont tuer l'industrie vinicole canadienne». Mais en réalité, grâce à la concurrence, l'industrie vinicole canadienne est maintenant plus forte et elle exporte dans le monde entier. Ce fut donc une vraie bénédiction et rien ne permet d'affirmer, du point de vue de la théorie économique tout au moins, que la culture, la santé ou les services sociaux réagissent autrement.
En ce qui concerne l'exception pour l'environnement, il faut veiller à la non-discrimination. On peut continuer à modifier les lois environnementales, qu'elles soient plus restrictives aux yeux de certains... Il faut seulement éviter qu'elles soient discriminatoires. Cela ne va pas plus loin, et je ne vois rien dans le texte ni dans les commentaires des négociateurs, tels que William Dymond, pouvant laisser croire qu'il s'agit d'autre chose que mettre un terme à la discrimination. Évidemment, l'expropriation et tous les coûts connexes—tout cela se fonde sur une plainte de non-discrimination. Alors, je dirais qu'une exception pour l'environnement n'est pas nécessaire.
L'autre question est un peu plus controversée. Je serai très bref. Ce que certains qualifieraient de baisse des normes, d'autres pourraient le qualifier de réforme des normes. Ainsi, la Colombie- Britannique a adopté une loi interdisant les émissions de chlore. D'ailleurs, il est intéressant de souligner que c'est John Reynolds, que vous avez entendu, qui a proposé ce projet de loi.
Quoi qu'il en soi, les nouvelles preuves scientifiques, et sans aucun doute les nouvelles preuves économiques, laissent croire que cette loi est trop sévère. Elle est inutile. On peut se demander si une réforme de cette loi afin de protéger l'existence d'une grande industrie en Colombie-Britannique irait à l'encontre de l'AMI.
Le président: Chers collègues, quand je donne cinq minutes, je ne veux pas dire une déclaration de cinq minutes avant de poser les questions. Je vous prierais de poser de brèves questions et d'aller droit au but.
Madame Bulte.
Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Monsieur Mann, j'aimerais m'appuyer sur vos compétences en droit commercial international pour que vous nous aidiez à mieux comprendre cet accord.
Vous avez évoqué le mécanisme de règlement des différends prévu dans l'ALENA. Je suppose que nous avons prévu ce mécanisme dans l'AMI. Vous avez déclaré qu'un élément portait sur le secret. Si je comprends bien—et corrigez-moi si j'ai tort—les règles prévues dans le cadre de l'ALENA sont celles de la CNUDCI, c'est-à- dire les règles de droit commercial international établies par les Nations Unies. Si nous sommes parties à cette convention, comment pouvons-nous éviter de nous assujettir à ses dispositions et comment pouvons-nous éliminer le secret sans modifier l'ALENA?
M. Howard Mann: On peut le faire par une disposition de l'AMI. Une disposition de l'AMI prévoit que la décision finale d'un arbitrage effectué dans le cadre de l'AMI sera rendue publique. Cette disposition n'existe pas dans les règles-types actuelles ni dans les règles de procédure des deux organismes d'arbitrage dont il est question ici. Une règle de procédure supplémentaire prévoirait que la décision serait rendue publique et que les parties sont libres de le faire en vertu de l'accord.
Ils peuvent faire la même chose pour l'exposé de la demande que présenterait l'investisseur ou pour la réponse du gouvernement ou tout autre document, y compris un mémoire pouvant être présenté par un État tiers.
Mme Sarmite Bulte: Ne devrions-nous pas aller plus loin? Vous parlez de séances à huis clos.
M. Howard Mann: Oui.
Mme Sarmite Bulte: Prenons l'exemple d'Ethyl Corporation. Puisqu'il est impossible d'obtenir ce document, ne devrions-nous pas recommander que toute procédure d'arbitrage ne se déroule pas à huis clos mais soit plutôt ouverte à l'examen public?
M. Howard Mann: À mon avis, si. Je ne peux pas comprendre comment on justifie, en 1997, que ce genre de procédure contre le gouvernement, en particulier à propos de ce type de législation, se déroule dans le secret, que les citoyens canadiens n'aient pas le droit de savoir quels arguments leur pays invoque pour se défendre contre ce genre de dédommagement pécuniaire. Je crois non seulement que les documents devraient être publics mais aussi que les audiences devraient être publiques.
Mme Sarmite Bulte: Ma deuxième question porte sur la définition de l'expropriation. Plusieurs personnes ont indiqué qu'elle semble élargie. Recommandez-vous une définition très précise de l'expropriation? Je suis convaincue que des décisions d'arbitrage en commerce international ont déjà défini l'expropriation. Dans quel sens vont ces décisions actuellement et comment influenceraient-elles cet accord, afin de nous assurer que nous comprenons tous ce qu'on entend par expropriation?
M. Howard Mann: Les arbitrages qui ont eu lieu depuis une dizaine d'années... Une série d'entre elles concernent l'Iran et les États-Unis. Elles ont suivi la prise du pouvoir par l'ayatollah Khomeini et le blocage des actifs entre l'Iran et les États-Unis. Il en est découlé toute une série d'arbitrages.
Cette série d'arbitrages a entraîné notamment le renforcement du point de vue selon lequel les lois généralement applicables favorisent les expropriations larvées ou l'expropriation en général. C'est ce qu'on constate en ce qui concerne les obstacles. Nous ne savons pas exactement ce qu'on entend par ce terme, qui est très général.
Ce genre de litiges semble indiquer que les lois d'application générale pourraient constituer un obstacle à l'investissement. Les lois environnementales pourraient être un obstacle à l'investissement. C'est certainement ce qu'on soutient dans l'affaire Ethyl Corporation. Sans accès aux arguments canadiens à l'encontre de cette thèse, tout ce que nous pouvons savoir c'est qu'il s'agit d'un des fondements de la contestation d'Ethyl Corporation: la définition élargie de l'expropriation en vertu de l'ALENA.
En réponse à la première question, cela fait peut-être avancer l'ALENA, mais nous ne connaissons pas encore tous les effets des dispositions du chapitre 11 de l'ALENA et nous préconisons tout de même d'appliquer ces dispositions à un niveau plus large, sans connaître toute la portée de ce geste.
Le président: Monsieur Blaikie.
M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Merci, monsieur le président.
Je suis tenté de demander à M. Lippert quel est le rapport entre le vin et la culture, mais je ne le ferai pas.
Cela me rappelle le témoignage de Mordecai Richler devant le comité qui étudiait l'accord de libre-échange en 1987. Il avait déclaré qu'il y avait des limites à la quantité de vinasse qu'il était disposé à boire pour son pays.
M. Lippert a affirmé que l'essence de l'AMI est: «Je ne le ferai pas si vous ne le faites pas.» J'aimerais demander à M. Lippert—mais tous les autres témoins peuvent répondre—pourquoi nous devrions accepter un accord multilatéral qui impose ce genre de comportement lorsqu'il est question du traitement à accorder aux investisseurs et de la discipline à imposer au gouvernement.
Vous êtes la première personne a avoir exprimé franchement le noeud de l'affaire. Il s'agit en réalité de discipliner le gouvernement. Mais il n'y a pas dans cet accord de disposition semblable...
Essentiellement l'AMI dit: «Je n'emprisonnerai pas les syndicalistes, mais je ne vous force pas à ne pas le faire; vous pouvez emprisonner vos syndicalistes si cela vous chante, parce qu'après tout nous vivons dans un monde libre.» Nous ne vivons pas dans un monde libre quand il est question d'investissement, mais nous vivons dans un monde libre quand il est question de normes du travail, parce que ces aspects n'auront pas force obligatoire, tout comme plein d'autres. La seule chose qui aura force obligatoire, parce que c'est tout ce qui importe—tout le reste est secondaire dans la hiérarchie des valeurs morales—ce sera les droits, pas même les responsabilités, seulement les droits des investisseurs. Je me demande seulement pourquoi vous pensez que cet univers est moralement acceptable.
M. Owen Lippert: Je ne crois pas qu'emprisonner les syndicalistes soit moralement acceptable.
Je pense qu'il faut se rappeler qu'il s'agit d'un accord sur l'investissement. Ce n'est pas une charte sociale internationale. Ce n'est pas une constitution mondiale. C'est un accord relativement simple conclu entre des pays développés sur la façon de traiter les investisseurs.
• 1655
En ce qui concerne les questions ouvrières, il y a
certainement lieu de pousser les discussions, mais dans d'autres
tribunes.
M. Bill Blaikie: Dans une tribune n'ayant pas force obligatoire.
M. Owen Lippert: Il pourrait y avoir force obligatoire ou non, selon le désir des parties.
M. Bill Blaikie: Il n'y a pas d'autre tribune ayant force obligatoire. Pourquoi trouvez-vous si moralement acceptable qu'un accord prévoie des protections ayant force obligatoire pour l'investissement, pour l'argent, alors que, dans le cas de l'environnement, des gens, des collectivités et des gouvernements démocratiques, on peut s'entendre à un niveau qui n'a pas autant force obligatoire?
M. Owen Lippert: Je dirais simplement qu'au bout du compte, quand on regarde les progrès que le commerce et les investissements ont rendus possibles—on ne fait pas de commerce sans investissement—on constate une progression dans la société civile qui fait qu'emprisonner les syndicalistes devient un handicap pour le pays et l'entreprise.
M. Bill Blaikie: Alors, il faut simplement être patients et attendre que, dans 25 ans d'ici, ces types sortent peut-être de prison.
M. Gordon Wilson: Si je peux répondre à votre invitation et intervenir, je ne suis vraiment pas d'accord avec vous, parce que, à mon avis, vous trompez le comité si vous affirmez vraiment ce que je crois que vous affirmez.
La différence cruciale entre l'AMI et l'ALENA est que l'ALENA permet au gouvernement de faire appliquer les engagements qu'il reçoit des investisseurs à qui il procure un avantage, tandis que l'AMI interdit explicitement au gouvernement d'appliquer des engagements volontaires. C'est une différence importante. Il est faux d'affirmer: «Vous le faites, nous le faisons, nous sommes tous dans le même bateau.» Ce n'est pas vrai. Cette disposition est modifiée explicitement. C'est l'un des domaines qui sont élargis par rapport à l'ALENA.
Le président: Monsieur Wilson, je ne sais pas comment cela se passe chez vous, mais ici, nous n'employons pas des mots comme «tromper». C'est se chercher des ennuis.
Je laisserai M. Lippert répondre.
M. Gordon Wilson: Je suis désolé si les termes étaient choquants.
M. Bill Blaikie: Ils le sont uniquement quand on trompe délibérément.
Des voix: Ah, ah.
Une voix: On peut dire «tromper par mégarde».
Le président: Oui, vous pouvez dire «par mégarde».
M. Bill Blaikie: Dieu sait qu'on nous trompe souvent.
M. Owen Lippert: Il est toujours très difficile d'amener les gouvernements à ne pas intervenir dans le domaine des investissements parce qu'ils subissent tellement de pressions en ce sens, que ce soit pour des raisons environnementales, culturelles ou de travail. Il faut affirmer simplement qu'il vaut mieux que ces échanges se fassent volontairement, que cela favorise la croissance et que le gouvernement devrait se retenir.
L'AMI va peut-être un peu plus loin que l'ALENA pour limiter les mesures arbitraires du gouvernement, mais c'est un signe positif dont il faudrait se réjouir.
Le président: Qu'arrive-t-il si le gouvernement est l'arbitre? Qu'arrive-t-il s'il est élu démocratiquement et agit parce qu'un mandat lui a été confié?
Monsieur Brison.
M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): J'ai quelques observations et j'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.
Madame McCall, à titre de représentante des consommateurs, vous avez indiqué, je crois, que la libéralisation du commerce ne permet pas d'améliorer le sort des consommateurs, d'accroître la concurrence, d'obtenir des prix plus bas, de meilleurs produits etc. Il y a eu une réorganisation de l'industrie canadienne du commerce de détail et l'on peut penser que les prix des produits achetés par les consommateurs sont désormais plus concurrentiels et que les produits sont de meilleure qualité qu'avant l'ALENA. J'aimerais avoir votre opinion sur le succès de l'ALENA par rapport aux consommateurs canadiens.
Mme Griffin-Cohen a évoqué les mouvements de capitaux au Canada. J'avais cru comprendre qu'elle affirmait qu'il y a plus de sorties que d'entrées de capitaux au Canada. C'est faux. Au début des années 90, il y a eu des entrées nettes de 4 milliards de dollars et nous sommes un bénéficiaire net de l'investissement étranger. Je voulais simplement le préciser aux fins de nos discussions d'aujourd'hui.
Mme Marjorie Griffin-Cohen: J'espère avoir une chance de répondre.
M. Scott Brison: Absolument.
En ce qui concerne la politique environnementale, vous avez parlé de deux usines éloignées de 20 milles et qui sont assujetties à deux régimes environnementaux différents. Étant donné qu'il n'y aura qu'un régime, voudrions-nous traiter une société différemment parce qu'elle appartient à des intérêts étrangers? Nous ne voulons pas que les sociétés canadiennes polluent, alors nous ne voudrions pas que les sociétés étrangères polluent elles non plus. Elles seraient assujetties aux mêmes règlements. Essentiellement, l'accord prévoit que les sociétés étrangères et les sociétés canadiennes sont assujetties aux mêmes lois environnementales. J'aimerais avoir votre point de vue là-dessus.
• 1700
J'ai une dernière observation, monsieur le président. Elle est
importante, je crois. Nous devons reconnaître la capacité de la
libéralisation du commerce d'améliorer les conditions de vie à
l'échelle internationale. Il suffit de regarder le Mexique et les
progrès environnementaux qui y ont été accomplis par suite de la
libéralisation du commerce et, dans une certaine mesure, la
démocratisation qui s'est produite au Mexique.
Le président: Madame McCall, madame Griffin-Cohen et monsieur Mann.
Mme Marnie McCall: Pour déterminer si les consommateurs ont profité de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, de l'ALENA et d'autres accords commerciaux internationaux, il ne suffit pas d'examiner les avantages bruts. Dans le secteur du commerce de détail, je pense qu'il y a eu des avantages énormes quant au choix, à la variété et aux prix, mais combien a coûté tout cela?
Quand on fait une analyse des avantages et des coûts, il faut tenir compte des deux côtés de la médaille. Il y a eu des avantages, mais ils n'ont pas été aussi importants que prévu ou que promis. Les incidences négatives évidentes durant la transition n'ont pas été compensées tel que promis.
Il y a donc effectivement des avantages. Nous ne sommes pas en mesure d'affirmer s'il y a un avantage net, mais il est évident qu'une partie de la compensation des pertes qui avait été promise ne s'est pas matérialisée. Je ne suis pas convaincue que les avantages qui avaient été promis ont été aussi importants que ceux à quoi les gens s'attendaient. Nous voulons nous assurer que, la prochaine fois, les avantages nets seront plus importants.
Mme Marjorie Griffin-Cohen: Ma source d'information était Statistique Canada. Les députés ont peut-être des sources plus fiables.
On constate qu'en 1996, les sorties se sont chiffrées à 3 milliards de dollars d'investissement direct et à plus de 8 milliards de dollars de placements financiers. Je donne des chiffres nets. Voilà la source de mes statistiques.
Je ne peux pas faire autrement qu'ajouter une observation sur le Mexique. Depuis la signature de l'ALENA, les résultats économiques sont désastreux. Le revenu réel moyen des gens a décliné de 50 p. 100. L'an dernier, l'économie s'est ressaisie un peu et le revenu réel moyen a augmenté de 7 p. 100, mais c'est par rapport à une performance économique désastreuse.
Même si la situation s'améliore à Mexico en ce qui concerne le gouvernement, je ne pense pas que vous pouvez nous donner ce pays en exemple de la démocratie en action grâce au commerce.
Le président: Monsieur Mann.
M. Howard Mann: En réponse à la question qui m'a été posée, oui, je pense que les sociétés étrangères et canadiennes devraient être traitées sur un pied d'égalité devant la loi, mais cela ne veut pas dire qu'elles seront traitées de manière identique du point de vue environnemental. Des contextes différents exigent des résultats différents du point de vue de la gestion de l'environnement.
Si des usines fabriquent le même produit et sont assujetties à des régimes différents, l'AMI invite simplement l'investisseur étranger à se dire qu'il est traité différemment parce qu'il est un investisseur étranger. Cela impose un énorme fardeau aux organismes de réglementation, aux bureaucrates qui effectuent les évaluations environnementales et qui imposent des conditions, qui accordent des permis et des autorisations sur mesure. Cela les oblige presque à ne pas imposer de conditions différentes ou d'autres conditions pour des raisons qui, autrement, sont tout à fait fondées.
Ethyl Corporation affirme maintenant que cela coûtera un quart de milliard de dollars, ce qui impose un moratoire réglementaire aux bureaucrates, aux organismes de réglementation. Cela permet aussi d'invoquer l'accord pour éviter que des conditions environnementales soient imposées. Cela soulève des questions bien réelles, comme nous le constatons actuellement dans l'affaire Ethyl Corporation, quant à la capacité d'un pays d'imposer des règlements environnementaux, en particulier dans un domaine où l'industrie est exclusivement ou en grande partie étrangère.
M. Scott Brison: Puis-je apporter un éclaircissement, monsieur le président?
Le président: Très brièvement.
M. Scott Brison: J'utilisais moi aussi des données de Statistique Canada, mais je parlais de la première moitié des années 90, plutôt que d'une année en particulier.
Mme Marjorie Griffin-Cohen: Depuis 1993, il y a une hausse des sorties nettes d'investissement étranger du Canada, aussi bien l'investissement direct que les placements financiers. Il y a eu une augmentation tous les ans depuis 1993.
M. Scott Brison: Oui. Merci.
Le président: Monsieur Nault, une brève question.
M. Robert D. Nault (Kenora—Rainy River, Lib.): Monsieur le président, ma question s'adresse à M. Mann. Dans l'une de ses principales recommandations, à savoir l'obligation d'appliquer les normes environnementales et les normes du travail—cela se trouve dans les accords parallèles de l'ALENA—il affirme qu'aucune obligation semblable n'est proposée dans l'AMI.
Monsieur Mann, étant donné qu'il s'agissait d'une politique du gouvernement et que le gouvernement a évidemment recherché et obtenu ces accords parallèles à l'ALENA, j'aimerais savoir pourquoi le Canada ne l'a pas mise sur la table. Si c'était notre politique il n'y a pas si longtemps, il est étonnant que ce ne le soit plus.
Et si la raison est autre, et qu'ils ne peuvent obtenir ces accords parallèles parce que les autres gouvernements n'en veulent pas, pouvez-vous m'expliquer pourquoi nous n'avons pas une exception générale ou une réserve concernant la protection environnementale, point à la ligne?
Si vous pouvez établir un rapport, je ne comprends toujours pas le problème infranational—M. Wilson en a parlé brièvement— dans le cas de l'environnement, et cette impression que nous marchons sur les plates-bandes des autres. Si tel est le cas, pourquoi les provinces ne disent-elles pas quelles réserves elles souhaitent, pour que nous en dressions la liste?
Si je comprends bien, nos négociateurs ont fait une suggestion, qui sera peut-être acceptée, mais pour le moment, ce n'est pas encore le cas. Pouvez-vous nous donner en cinq minutes votre point de vue sur ces trois questions? Je ne sais pas si c'est possible dans un délai aussi court. Nous devrons peut-être en reparler plus tard, mais je pense que le grand problème pour nous est ce méli-mélo de compétences et de politiques. C'était acceptable dans le cadre de l'ALENA, mais ce n'est pas sur la table maintenant.
Le président: Monsieur Mann.
M. Howard Mann: Je suppose que je n'ai pas cinq minutes. Pour répondre à chacune de vos questions ou à toutes vos questions en même temps... oui, non, oui...
Des voix: Ah, ah.
Le président: Merci, monsieur Mann.
Des voix: Ah, ah.
M. Howard Mann: Pas de quoi.
En ce qui concerne l'application de la loi, je ne comprends pas pourquoi le gouvernement canadien ne défend pas activement ce genre de questions. Il y a dans l'ALENA deux dispositions portant directement sur les questions environnementales. La première est l'article 1114.2, qui, de l'avis du gouvernement canadien, devrait rester un engagement volontaire ou un engagement politique. Jusqu'ici, ils n'ont pas insisté sur les questions d'application de la loi. Je crois qu'ils auraient dû le faire il y a bien longtemps.
Depuis quatre ou cinq ans, on constate le découplage des questions commerciales et environnementales, au Canada et ailleurs. Mais il est évident que le gouvernement actuel insiste moins pour que les accords commerciaux—un accord sur les investissements dans ce cas-ci—abordent les questions de l'environnement et du travail. Le ministère du Commerce international a réussi à limiter ou à éliminer les pressions pour que ces questions fassent partie des positions canadiennes, et nous en avons la preuve ici.
J'ai oublié la deuxième question.
M. Robert Nault: Au sujet des exceptions...
M. Howard Mann: Ah oui, les exceptions. Dans le cas des provinces, en particulier, je pense qu'il leur incombera de s'exprimer et de soulever les questions des exceptions à leurs lois, environnementales ou autres, si tel est leur désir. Sinon, il n'y aura pas d'exceptions dans l'accord. Une exception générale relative à la réglementation environnementale couvrirait certainement les lois provinciales et les lois fédérales et inclurait les autres mécanismes définitionnels que j'ai proposés dans mon mémoire. Elle couvrirait aussi en grande partie ce genre de questions.
Je ne parlerai pas des autres types de compétences, provinciales ou autres, qui peuvent exister.
Le président: Chers collègues, nous arrivons malheureusement à la fin de nos discussions.
Je remercie les témoins. Vos mémoires sont tous excellents. Vous avez soulevé plusieurs questions que nous devrons soulever à notre tour demain lorsque le négociateur commercial en chef reviendra témoigner. Il a été utile de vous entendre juste avant lui.
Je tiens à vous assurer que tout au long de l'évolution de ce dossier, pas seulement jusqu'à ce que nous déposions notre rapport dans la première semaine de décembre, mais aussi durant les négociations, que ce soit jusqu'en avril 1998 ou plus tard—nous savons par expérience que ces négociations peuvent durer des années—nous vous demanderons conseil. Nous avons vos numéros de téléphone et si nous avons d'autres questions, nous vous appellerons. Encore une fois merci d'être venus.
• 1710
Chers collègues, nous entendrons maintenant les représentants
du gouvernement de la Colombie-Britannique, le premier gouvernement
à comparaître officiellement devant notre comité.
Nous souhaitons la bienvenue à un ancien député fédéral, qui a déjà siégé au comité. Bienvenue, Ian. Si je comprends bien, vous représentez désormais votre gouvernement dans un nouveau rôle, en qualité de député provincial.
Le président accorde dix minutes. Étant donné que vous avez déjà siégé à un comité, vous connaissez les responsabilités du président dans ce domaine. Nous passerons ensuite aux questions et réponses.
M. Ian Waddell (député, gouvernement de la Colombie- Britannique): Merci beaucoup. Je ressens un vif plaisir, pour de nombreuses raisons, à me retrouver ici aujourd'hui. Je remercie le président et le greffier de nous avoir convoqués si tard. Merci.
Nous avons rédigé un mémoire, que nous vous remettons. Il est assez détaillé, alors je vais le résumer. J'ai aussi quelques notes que je vais résumer également.
[Français]
Nous avons aussi un mémoire en français. Ce n'est pas exactement la même chose que ma présentation mais presque.
[Traduction]
M'accompagne aujourd'hui M. Noel Schacter, directeur de la Direction générale internationale au ministère de l'Emploi et de l'Investissement de la Colombie-Britannique.
Je sais que le temps est limité, alors je tenterai d'être aussi rapide que possible.
La Colombie-Britannique s'oppose fortement à l'AMI proposé. À notre avis, l'AMI ne présente aucun avantage évident pour les citoyens de la Colombie-Britannique et pour les Canadiens. Deuxièmement, il ne constituerait pas une assise solide pour une vaste participation des pays non membres de l'OCDE—les pays en développement—dans le cadre d'un accord multilatéral équilibré et durable. Nous pensons qu'il y a un revers de la médaille à l'AMI. Cet accord comporte des risques, sans procurer d'avantages.
S'il était adopté, l'AMI imposerait des restrictions inacceptables à la capacité des gouvernements élus démocratiquement d'agir au nom des citoyens au niveau fédéral, provincial et local. C'est une mesure antigouvernement.
Il pourrait aussi avoir des répercussions négatives importantes dans des domaines de la politique publique qui sont vitaux pour les citoyens canadiens. Il pourrait menacer l'intégrité des systèmes de santé et de services sociaux actuels du Canada, et il pourrait miner le rôle légitime des gouvernements de créer de nouveaux emplois, de protéger l'environnement, de protéger les intérêts des consommateurs, ainsi que de gérer et de conserver les ressources naturelles.
Vous rétorquerez peut-être que nous pouvons prévoir des réserves dans l'accord. Même si les réserves peuvent maintenir la grande latitude dont les gouvernements ont besoin pour élaborer des politiques publiques, elles comportent des inconvénients graves. Souvent, elles n'offrent qu'une protection temporaire. Même si le Canada réussissait à faire accepter toutes les réserves qu'il a exprimées, des graves préoccupations subsisteraient toujours. Les réserves, qui constituent un mécanisme d'exception aux obligations d'un traité, feront l'objet d'une interprétation restrictive. Au bout du compte, leur portée et leur sens exacts seront peut-être déterminés par un organisme d'arbitrage non élu.
L'avenir de notre régime de santé, de nos services sociaux, de nos lois en matière de protection de l'environnement, et notre capacité de gérer les ressources naturelles dans l'intérêt public sont des questions de politique publique et des priorités du gouvernement actuel de la Colombie-Britannique. Ce sont des questions trop importantes pour que les gouvernements les confient à des organismes d'arbitrage qui ne sont pas élus et qui ne doivent rendre de comptes à personne.
Avant de passer aux préoccupations précises concernant l'AMI, j'aimerais souligner que la Colombie-Britannique attache une grande importance au commerce et à l'investissement. Nous recherchons très activement l'investissement international. Nous en avons besoin. Nous pensons pouvoir offrir en Colombie-Britannique un climat d'investissement sûr, stable et rentable à tous les investisseurs— on ne se fait pas éjecter des hélicoptères en Colombie- Britannique—qu'ils soient canadiens ou étrangers.
Les investisseurs étrangers le savent. Le premier ministre Clark rentre justement d'une mission en Asie-Pacifique où certains des plus gros investisseurs au monde se sont montrés très enthousiastes à l'idée d'investir en Colombie-Britannique. Nous aurons de très grandes nouvelles à annoncer au sujet des investissements, pas aujourd'hui, mais bientôt.
• 1715
Le Forum de l'Asie-Pacifique, qui vient de se terminer à
Vancouver, a donné à la Colombie-Britannique une occasion en or de
montrer ses produits et ses compétences, depuis les piles à
combustible jusqu'au saumon du Pacifique, en passant par les pommes
de l'Okanagan et des technologies de pointe pour le transport
rapide par traversier.
Oui, nous avons une économie ouverte. Oui, nous encourageons l'investissement. Oui, nous croyons aux règles en matière d'investissement international—elles existent déjà et nous nous y conformons. Mais nous croyons aussi à une approche équilibrée. Nous croyons qu'un des plus grands atouts de la Colombie-Britannique, pour nos citoyens et pour les investisseurs éventuels, est notre capacité d'intégrer les intérêts économiques aux grandes priorités sociales et environnementales.
Je reviens de la réunion de l'APEC à Vancouver. On peut lire dans les rues de Vancouver un message qui dit qu'il faut aussi tenir compte des intérêts des gens, pas seulement de ceux des entreprises. Comme l'a déclaré le chef Joe Gosnell, il faut se rappeler que les voix qui s'élèvent sont celles des gens. Alors, recherchons un juste milieu.
Nous croyons que la Colombie-Britannique peut faire du commerce et promouvoir l'investissement en même temps que nous maintenons et améliorons notre système scolaire, notre régime de santé universel et nos normes en matière d'environnement et de travail. D'ailleurs, nous croyons que c'est ainsi que nous attirerons l'investissement en Colombie-Britannique.
Notre objectif consiste à devenir la première région ayant une économie durable. Nous pensons pouvoir y parvenir. Nous croyons que seuls les gouvernements peuvent intégrer les priorités sociales et économiques de manière convenable au nom des citoyens.
Les investisseurs internationaux ne le peuvent pas, ce n'est pas leur travail. Les négociateurs dans le champ étroit du droit commercial ne le peuvent pas non plus, ce n'est pas leur travail. Les organismes d'arbitrage non plus. En fin de compte, seuls des gouvernements qui doivent rendre des comptes aux citoyens peuvent parvenir à cet équilibre dans leurs décisions. C'est cela, la démocratie.
L'AMI rendrait cet équilibre beaucoup plus difficile à obtenir. Il ferait pencher la balance en faveur des investisseurs internationaux. À notre avis, il ne s'agit pas simplement d'un accord non discriminatoire sur l'investissement.
Faire pencher la balance d'un côté, aux dépens de la capacité des gouvernements élus de répondre aux besoins des citoyens, est inacceptable pour le gouvernement de la Colombie-Britannique.
Permettez-moi d'entrer un peu dans les détails.
Premièrement, la définition de l'investissement dans l'AMI est extrêmement générale. Elle est beaucoup trop large. La définition du terme ne saurait être plus générale. Elle comprend tout type d'actif détenu ou contrôlé, directement ou indirectement, par un investisseur. Cela comprend les licences et les permis. Cela comprend les droits de recherche et d'extraction des ressources naturelles. Cela comprend même les demandes d'indemnisation et d'exécution découlant d'échanges commerciaux transfrontières.
L'AMI pourrait donc accorder de nouveaux droits à l'investissement à un investisseur qui n'a qu'un lien contractuel avec une autre partie d'un pays signataire de l'AMI. Il est évident que toutes les autres dispositions de l'AMI doivent être interprétées en tenant compte de cette définition générale. Cette définition est tellement vaste qu'il est difficile d'envisager pleinement l'incidence qu'elle pourrait avoir sur les pratiques fédérales, provinciales et municipales.
Deuxièmement, l'AMI limiterait davantage ou interdirait les prescriptions de résultats. Il va plus loin que la non- discrimination et les obligations en matière de traitement national et prévoit des interdictions troublantes relatives à plusieurs types de mesures gouvernementales. L'une de ces restrictions est ce qu'on appelle les prescriptions de résultats.
Les gouvernements se servent de ces prescriptions pour forcer les investisseurs à respecter certains engagements en matière de création d'emplois ou d'autres avantages économiques. Par exemple, les sociétés qui reçoivent une aide financière du gouvernement ou qui obtiennent des permis d'exploitation de ressources appartenant à l'État prennent souvent des engagements précis en vue d'optimiser la création d'emplois locaux ou de fournir des avantages économiques précis.
Nous possédons les forêts et les arbres de la Colombie- Britannique. Nous avons donc conclu avec les sociétés forestières des ententes sur l'exploitation des forêts et des arbres par lesquelles ces sociétés obtiennent des permis de coupe à condition de créer des emplois. Si l'AMI est adopté, nous aurions du mal à faire cela à l'avenir.
La définition extrêmement générale de l'investissement et les restrictions prévues dans l'AMI au sujet des prescriptions de résultats pourraient miner la capacité de mettre en vigueur ces engagements négociés librement.
La création d'emplois est l'une des principales priorités de notre gouvernement, et je crois, de tous les Canadiens. Il est simplement inacceptable que l'AMI mette les bâtons dans les roues des gouvernements qui cherchent à obtenir des emplois et d'autres avantages pour la Colombie-Britannique lorsque les investisseurs ont accès aux ressources naturelles publiques.
Troisièmement, l'AMI élargirait le principe du traitement national aux stimulants à l'investissement. Les négociateurs de l'AMI semblent convenir que le principe du traitement national s'appliquera aux stimulants à l'investissement. Dans ce cas, les fonds publics qui ciblent actuellement les petites entreprises pourraient être contestés sous prétexte qu'ils ont un effet discriminatoire.
• 1720
De plus, les fonds publics consacrés aux entreprises
communautaires ou sans but lucratif du secteur de l'éducation ou du
secteur des services de santé et des services sociaux, devraient
aussi être accordés de manière non discriminatoire, à d'importants
investisseurs affiliés à des sociétés étrangères ou à de grandes
entreprises privées. C'est le cas dans le domaine des soins de
santé.
[Français]
Pour éviter toute ambiguïté au sujet de la protection du régime médical et des autres services sociaux dans l'Accord multilatéral sur l'investissement, la Colombie-Britannique suggère que le gouvernement fédéral propose que les services sociaux et de santé soient retirés de l'Accord multilatéral sur l'investissement.
Le Canada pourrait s'attendre à recevoir un fort appui de la part de la majorité des pays de l'OCDE, parce que ceux-ci ont des systèmes de soins de santé publics et d'autres services sociaux qu'ils voudraient maintenir et même étendre à l'avenir.
[Traduction]
Quatrièmement, l'AMI élargirait la protection de l'investissement en prévoyant un droit inconditionnel à une indemnisation en cas d'expropriation. Il s'agit d'un problème complexe et épineux. Permettez-moi de vous expliquer en vous donnant un exemple.
Si, dans l'intérêt public, un gouvernement décide de modifier le zonage d'un terrain, de créer un parc, de retirer un permis d'exploitation de ressources naturelles, de reporter ou d'annuler un projet d'aménagement, ou encore d'interdire une substance nocive, le titre de propriété ne prend pas fin pour autant. Ces mesures gouvernementales peuvent toutefois empêcher le propriétaire de tirer profit de son bien. En vertu des lois nationales, si le gouvernement a agi de bonne foi, ce genre de préjudice financier est généralement considéré comme un risque commercial prévisible, et le montant de l'indemnisation serait limité. En vertu de l'AMI toutefois, si des mesures gouvernementales de ce genre portaient préjudice à un tiers ayant investi dans les biens conformes à la définition générale de l'accord, l'investisseur affilié à une société étrangère pourrait demander une indemnisation financière en vertu des dispositions concernant l'investisseur et l'État. À notre avis, cette disposition impose une responsabilité financière illimitée aux contribuables canadiens.
N'oublions pas que nous avons déjà pris des mesures de ce genre. Nous avons empêché l'achèvement des travaux à Kemano. L'Alcan nous a poursuivis devant nos tribunaux, pas devant un tribunal étranger. Nous avons ensuite conclu une entente. Nous avons conclu un marché. Nous avons utilisé de l'électricité à bon marché de la Colombie-Britannique et tout le monde y a gagné. Nous avons protégé l'environnement et l'Alcan a bâti une autre aluminerie. Nous avons trouvé une solution. Nous pensons qu'une telle solution aurait été impossible en vertu de l'AMI, parce que les investisseurs étrangers de l'Alcan auraient adopté une attitude bien différente.
La Colombie-Britannique refuse tout simplement de soumettre des questions extrêmement complexes et épineuses telles que les revendications territoriales autochtones—dont M. Wilson a parlé— la création de nouveaux parcs—nous tentons de consacrer 12 p. 100 du territoire de notre province à des parcs—ou l'utilisation des terres et la gestion des ressources naturelles aux organismes d'arbitrage de l'AMI qui auraient force obligatoire, auxquels les Canadiens ordinaires n'auraient pas accès et qui débordent du cadre législatif national.
Cinquièmement, l'AMI renforcerait et l'un des éléments les plus problématiques de l'ALENA, soit le mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et l'État. Le fait d'élargir les droits unilatéraux des investisseurs de contester une vaste gamme de mesures réglementaires par l'entremise de ce mécanisme de l'AMI rendrait la situation encore plus incertaine pour les décideurs et pourrait accroître considérablement la responsabilité financière des contribuables canadiens. Avec le temps, nous craignons un moratoire réglementaire, comme l'a mentionné l'un des témoins précédents. Ils éviteront d'adopter des lois pour protéger la santé et la sécurité des citoyens. Aucun gouvernement ne peut se permettre de ne pas tenir compte des dommages-intérêts importants qui pourraient lui être réclamés parce qu'il a agi dans l'intérêt public. Les gouvernements pourraient intervenir, mais ils devraient payer si cher qu'ils préféreraient s'abstenir.
Il est évident que si l'on protège les intérêts des banques au moyen d'une dérogation dans l'accord, le même genre de protection doit être prévu pour permettre au gouvernement de protéger l'environnement et les intérêts des consommateurs et des travailleurs. Je vous avoue bien franchement que les gouvernements se montreraient irresponsables en acceptant l'application de clauses généralisées et sans contrepartie dans le cadre de l'AMI.
Je terminerai, monsieur le président, sur cette simple observation. Nous considérons que le gouvernement fédéral se doit de tenir compte des intérêts provinciaux dans les domaines de compétence des provinces: ici même, dans ce domaine précis, sur ce type d'investissement et dans la mesure où il concerne notre province. Nombre de sujets abordés par l'AMI relèvent carrément des domaines de compétence partagée ou exclusive de la province, et nous ne sommes pas à la table des négociations. Nous n'avons rien contre les responsables, mais nous ne sommes pas à la table des négociations. Nous n'avons pas l'impression que nos intérêts vont être protégés. Il ne faut donc pas partir du principe que l'AMI va s'appliquer à la province de la Colombie-Britannique.
• 1725
Merci encore de m'avoir écouté. Je me suis efforcé d'aller
assez rapidement. Je sais que la journée tire à sa fin et que vous
êtes fatigués; toutefois, nous sommes très heureux d'être le
premier gouvernement provincial, je crois, à nous présenter devant
votre comité, et nous tenions à ce que ces choses soient dites.
Une fois encore, merci. Je me ferai un plaisir, avec M. Schacter, de répondre à vos questions.
Le président: Merci.
Monsieur Sauvageau.
[Français]
M. Ian Waddell: Je parle un peu français, mais c'est plus long.
M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Je vais être très bref.
M. Ian Waddell: En français, j'ai besoin d'un peu d'interprétation.
M. Benoît Sauvageau: Vous allez m'excuser parce que nous allons devoir quitter à 17 h 30. Malheureusement, je ne pourrai assister à toute la présentation. Cependant, vous pouvez être assuré que nous apprécions énormément que vous ayez pris soin de respecter la Loi sur les langues officielles de ce pays et de nous remettre la documentation dans les deux langues officielles. Nous allons nous en servir. Malheureusement, je dois vous quitter et je remercie Charlie de m'avoir donné la permission d'intervenir. Merci.
M. Ian Waddell: Vous pouvez partir parce que c'est la fin de ma présentation.
M. Benoît Sauvageau: Merci.
[Traduction]
Le président: Charlie.
M. Charlie Penson: Monsieur le président, je souhaite la bienvenue ici aujourd'hui à M. Waddell ainsi qu'à notre autre invité.
Je voulais simplement demander, pour que tout soit absolument clair, s'il s'agit là de la position officielle du gouvernement de la Colombie-Britannique.
M. Ian Waddell: Oui.
M. Charlie Penson: Très bien. Donc, monsieur Waddell, puisque vous avez dit que le gouvernement de la Colombie-Britannique s'opposait résolument à l'AMI, si le gouvernement fédéral n'en menait pas moins la négociation à son terme, tout en sachant que votre gouvernement s'y oppose, est-ce la Colombie-Britannique refuserait de le signer?
M. Ian Waddell: Nous espérons, bien entendu, que les choses ne se passeront pas comme ça. Nous espérons qu'à la suite de ce qu'aura entendu votre comité, des mémoires présentés et de l'exposé de notre position aujourd'hui, l'AMI sera revu et corrigé. Nous n'en sommes pas encore là. Nous espérons qu'on le réexaminera.
Il pourrait y avoir des exemptions. On pourrait exempter les provinces, par exemple. Nos préoccupations disparaîtraient alors. Toutefois, nous n'en sommes pas encore là. Nous faisons ici un certain nombre de propositions et nous nous efforçons d'expliquer quelles vont être pour nous les conséquences, en estimant refléter l'opinion publique de notre province.
M. Charlie Penson: C'est très intéressant parce que s'il en était ainsi—si l'on faisait une exception pour les provinces—quel serait le mécanisme? N'auriez-vous alors pas la possibilité de signer? C'est ce que vous nous dites?
M. Ian Waddell: Eh bien, je vais demander à M. Schacter. Il pourra peut-être vous répondre.
M. Noel Schacter (directeur, Division internationale, ministère de l'Emploi et de l'Investissement, gouvernement de la Colombie-Britannique): Le gouvernement fédéral peut négocier strictement en son nom propre, c'est la proposition qui nous a été faite et nous avons fait savoir que c'est celle qui avait notre préférence. Il n'a en fait aucunement l'obligation d'englober les provinces. Il est certain que les provinces, même si nous avons été largement consultés—et nous en donnons le crédit aux responsables—ne sont pas à la table des négociations et que nos intérêts ne sont pas représentés.
Par conséquent, si le gouvernement fédéral poursuit dans cette voie—si nous ne parvenons pas à l'arrêter; si nous ne pouvons pas le convaincre de procéder autrement—nous préférons qu'il agisse seul et qu'il laisse les provinces en dehors de l'accord.
M. Charlie Penson: En prévoyant une exemption.
M. Noel Schacter: Eh bien non, ce n'est pas nécessaire. À la question de savoir qui va être concerné, il lui suffira de préciser que ce sera uniquement le gouvernement fédéral, dans les mesures qui le concernent et non pas pour celles qui se rapportent aux provinces. Cela pourrait se faire de différentes manières, mais nous laisserons au gouvernement fédéral le soin d'en décider.
M. Charlie Penson: Et j'imagine que vous préférez que lorsque les négociations auront effectivement lieu, toutes les provinces soient présentes.
M. Ian Waddell: Laissez-moi vous répondre sur ce point. Nous préférons que le gouvernement abandonne l'AMI. C'est notre premier choix. À défaut, notre second choix serait qu'il nous exclue de l'application de cet accord pernicieux. Notre troisième choix est effectivement d'aller à la table des négociations et de faire à nouveau état de nos préoccupations. Nous préférons toutefois la première éventualité.
M. Charlie Penson: Pour que les choses soient bien claires, êtes-vous en train de proposer que le Canada n'aille pas à la table des négociations et ne fasse pas partie?... Si les 29 pays membres de l'OCDE décidaient de négocier cet accord et si le Canada refusait de le signer en disant qu'il ne lui convient pas, voulez- vous dire par là que nous resterions en dehors d'une démarche susceptible de se traduire par l'application de l'AMI aux 28 autres pays?
M. Ian Waddell: Noel pourra vous répondre plus en détail, mais nous estimons, comme l'a indiqué l'un des témoins, qu'il s'agit là d'un accord taillé sur mesure pour le grand capital. Il vise à permettre aux gros investisseurs internationaux de limiter l'action des gouvernements. Notre gouvernement a des choses à faire pour les petites gens de la Colombie-Britannique: essayer de leur trouver des emplois, protéger leurs parcs et leur environnement, et s'efforcer de leur procurer de bons soins de santé.
Je pense que les réformistes sont aussi du même avis. Je ne connais pas votre position et je ne me prononcerai donc pas à ce sujet. Vous nous avez demandé ce que nous en pensions. Nous ne pensons pas qu'il faille que le gouvernement fédéral aille signer cet AMI. Nous considérons qu'il présente plus d'inconvénients que d'avantages. Nous avons déjà des accords qui protègent très bien les investisseurs contre la discrimination au Canada, et je ne vois pas pourquoi il faudrait encore renforcer ces protections.
M. Charlie Penson: C'est ce que je m'efforce de découvrir...
M. Ian Waddell: C'est là notre réponse.
M. Charlie Penson: Allons encore un peu plus loin. N'avez-vous pas peur d'un accord qui serait négocié en l'absence du Canada?
M. Ian Waddell: Je pense que je viens de répondre à votre question.
M. Charlie Penson: Donc, dans la mesure où il nous reste l'entente sur les investissements dans le cadre de l'ALENA et où d'ores et déjà une si grande partie de nos investissements étrangers au Canada sont régis par l'ALENA, que penser de cette démarche? N'y a-t-il pas déjà un ensemble de règles bien développé...
M. Ian Waddell: Exactement. Nous avons déjà des règles s'appliquant aux investissements. Les investisseurs sont protégés. Personnellement, j'ai voté contre l'ALENA, et il y a peut-être ici des députés qui ont fait comme moi—et je dois préciser qu'il ne s'agissait pas de l'ALENA, mais de l'accord de libre-échange...
M. Charlie Penson: L'ALE.
M. Ian Waddell: ... alors que j'étais député à la Chambre. Mais tout cela existe maintenant. J'ajouterais qu'à mon avis, il est encore bien tôt. J'ai entendu les questions posées au groupe de témoins précédent. Il est encore un peu trop tôt pour savoir quelles seront toutes les conséquences de cela. Elles ne font que se profiler.
Nous sommes liés par ces dispositions, les investissements sont déjà protégés et je considère que c'est bien suffisant.
M. Charlie Penson: Mais le ministre...
M. Ian Waddell: J'ai dit dans mon mémoire que c'est le genre de province que nous aurons su bâtir qui attirera à long terme les investisseurs en Colombie-Britannique. Si nous avons un bon enseignement supérieur, une main-d'oeuvre qualifiée, de bons services de santé et l'un des meilleurs environnements—le meilleur au monde, peut-on penser—nous allons attirer les investisseurs. Nous n'avons pas besoin de cet AMI, qui va simplement nous empêcher de réaliser ce que je viens de vous énumérer.
M. Charlie Penson: Le ministre du Commerce international—vous m'avez probablement entendu poser cette question précédemment—est venu témoigner devant notre comité lorsque nous avons lancé ces audiences sur l'AMI pour indiquer que cet accord n'allait faire qu'étendre les dispositions de l'ALENA aux autres pays de l'OCDE. Voilà quelle va être sa position de négociation. Si tel est le cas, est-ce que cela vous convient?
M. Ian Waddell: J'ai entendu la question qui a été posée précédemment à ce sujet. M. Schacter voudra peut-être y répondre.
M. Noel Schacter: Oui. Tout d'abord, c'est peut-être l'objectif du gouvernement fédéral, mais cela ne se reflète pas dans le texte actuel. Le texte actuel va en fait plus loin que l'ALENA sur divers points. Nous avons déjà soulevé la question de la définition, qui est plus large aux termes de l'AMI qu'en vertu de l'ALENA, par exemple. Différentes façons d'étendre nos obligations fondamentales sont prévues dans le cadre de l'AMI.
Si effectivement ce que veut le gouvernement fédéral c'est tout simplement de mettre en oeuvre l'ALENA, c'est là aussi un sujet d'inquiétude en ce qui nous concerne pour un certain nombre de raisons, l'une d'entre elles étant que nous n'avons pas encore eu la possibilité d'évaluer toutes les conséquences de cette application généralisée de l'ALENA. Nous voyons se dérouler le premier conflit entre l'État et les investisseurs. Ainsi qu'on l'a souligné, dans l'une des affaires, cela risque de coûter 350 millions de dollars au gouvernement fédéral. C'est la première affaire.
Une voix: De quelle affaire s'agit-il?
M. Noel Schacter: C'est l'affaire du MMT et d'Ethyl Corporation. N'oublions pas que si le gouvernement perd, d'autres intervenants vont se pencher de très près sur les dispositions du chapitre 11 de l'ALENA qui ont trait aux investissements pour voir s'ils n'ont pas eux aussi le moyen de s'en prévaloir.
Au vu de ces dispositions, deux États et toutes les sociétés sont en mesure d'entamer une poursuite entre l'investisseur et l'État. Multipliez cela par 14, lorsqu'on a 28 pays, nos obligations augmentent considérablement même si l'on s'en tient à l'ALENA. N'oubliez pas qu'il y a certaines clauses de l'ALENA contre lesquelles on ne peut pas se protéger, notamment les clauses d'expropriation et les clauses de protection des investissements.
Malgré toutes les clauses de réserve qu'on peut leur opposer, on ne peut pas se protéger contre ces dispositions. Cela signifie que les provinces, le gouvernement fédéral et les municipalités vont être soumis à des risques considérables qui vont entraîner, nous l'avons signalé, un refroidissement considérable des...
M. Charlie Penson: Vous pensez que des entreprises qui investissent en dehors du Canada vont s'en prévaloir.
M. Noel Schacter: Oui, et considérons l'OCDE. N'oubliez pas que les pays de l'OCDE ont des normes très strictes de protection des investissements. Nous avons les meilleures au monde. Je ne pense pas qu'il y ait une société qui ait peur de s'implanter au Canada ou qu'il y ait une société canadienne qui ait peur de le faire dans un des pays de l'OCDE. Tous ces pays offrent une excellente protection aux investissements.
• 1735
Cela nous amène à nous demander pourquoi nous aurions besoin
d'un tel niveau de protection parmi les pays les plus développés.
Je pense que cette question mérite une réponse.
Le président: Monsieur Nault.
M. Robert Nault: Compte tenu des indications que vous nous avez données jusqu'à présent et de la position que vous avez adoptée, pourriez-vous me dire—et je crois que c'est un sujet qu'il nous faudra creuser davantage lorsque nos propres négociateurs viendront témoigner à la fin de nos audiences—comment ces derniers ont fait pour consulter les provinces? Nous n'avons pas approfondi la question et je pense qu'il est important que nous comprenions bien comment ça s'est fait.
Vous nous laissez entendre—vous parlez pour vous-même et vous pourrez donc me corriger si j'ai tort—que l'on n'a pas procédé à de nombreuses consultations et que pour cette raison vous ne savez pas vraiment si vous êtes bien protégé ou bien représenté par le gouvernement fédéral. Dites-moi un peu comment se sont déroulées les consultations.
M. Ian Waddell: Merci, monsieur Nault. J'attendais avec impatience ce moment. Je pensais que vous alliez me poser une question sur les armes à feu ou quelque chose comme ça.
Des voix: Oh, oh.
M. Robert Nault: Non. J'allais vous préciser que vous n'avez pas voté à ce sujet, parce que vous n'étiez pas là. Je tenais simplement à ce que vous le sachiez.
M. Ian Waddell: L'ALE.
M. Robert Nault: Très bien. Je me sens mieux maintenant.
M. Ian Waddell: Comment avez-vous voté, monsieur Nault?
M. Robert Nault: J'ai voté en faveur de l'ALENA en raison des normes s'appliquant à la main-d'oeuvre et à l'environnement. Maintenant, nous en sommes là, vous voyez?
M. Ian Waddell: Très bien.
Je répondrai à votre question en disant tout d'abord que je ne veux absolument pas que l'on ait l'impression que je m'en prends aux représentants fédéraux. Ils font bien leur travail, ce sont d'excellents fonctionnaires. Je pense qu'ils se sont efforcés—et Noel me le confirmera—de le consulter, de transmettre l'information, etc. Il n'en reste pas moins qu'à notre avis, nous avons des intérêts particuliers. Ils ne sont pas représentés officiellement à la table des négociations.
Je dois dire aussi que nous sommes fondamentalement en désaccord avec le principe de la signature de l'AMI pour les raisons que j'ai exposées dans mon mémoire. Nous considérons donc qu'il est quelque peu décourageant que dans notre système un accord commercial soit négocié à notre place et que nous ayons à le mettre en grande partie en application. Il nous touche, mais nous n'en faisons pas vraiment partie.
En second lieu, nous avons un certain nombre d'objections assez fondamentales à lui faire. Nous disons pour commencer que nous n'en avons pas vraiment besoin. Nous nous opposons tout particulièrement au fait qu'il va empêcher notre gouvernement de la Colombie-Britannique de réaliser certaines choses. J'ai parlé de l'accord avec l'Alcan, de l'accord sur le bois. Il y a toutes sortes de choses de ce genre.
M. Robert Nault: Je le comprends, mais j'essaie d'être plus concret. J'ai écouté votre exposé. J'essaie de savoir si le gouvernement de la Colombie-Britannique a en fait des sujets d'inquiétude fondamentaux.
J'aimerais savoir, par exemple, si vous avez une copie du texte juridique des réserves que vous aimeriez faire au sujet des provinces. C'est une première chose. Si en faisant des réserves dans votre mémoire vous vous inquiétez de la façon dont vont opérer les clauses de réserve et si vous préférez que l'on exempte purement et simplement les services sociaux, par exemple, puis-je voir alors le texte? Ou alors, est-ce que vous vous contentez d'exposer votre position en indiquant que l'on n'en est pas encore parvenu au point où vous vous sentez obligé de la communiquer au gouvernement fédéral?
Jusqu'à présent, lorsque j'ai demandé aux négociateurs fédéraux quelle était la position de la province, quelles étaient les réserves et (ou) les demandes d'exemptions qu'elle faisait, ils m'ont répondu qu'il n'y en avait pas ou, du moins, ils ne m'en ont pas fourni une copie. Il semble qu'ils nous aient fourni tout le reste jusqu'à présent. J'en déduis, par conséquent, que vous ne leur avez pas communiqué officiellement ces réserves pour l'instant.
M. Ian Waddell: Merci, monsieur Nault. C'est une très bonne question—si bonne, que je vais demander à mon collègue d'y répondre.
M. Robert Nault: Je m'y attendais.
M. Noel Schacter: Je tiens à bien préciser que nous avons été pleinement consultés par les fonctionnaires fédéraux. Ils ont fait preuve d'un très bon esprit de collaboration. En tant que responsable, je veux qu'il soit pris acte du fait que nous respectons beaucoup le travail qu'ils ont accompli. Ils n'ont pas manqué de nous consulter et de nous informer de ce qui se passait.
Pour ce qui est des clauses de réserve, vous savez que toute cette démarche est en cours. Les fonctionnaires fédéraux nous ont dit qu'au moment où nous nous parlons, la position fédérale a été déposée à la table des négociations mais qu'officiellement la position des provinces n'y est pas encore. C'est ce que nous ont dit les responsables. Toutefois, ils nous ont dit aussi qu'ils attendaient une meilleure offre—autrement dit, une plus grande libéralisation des échanges—en ce qui nous concerne. En d'autres termes, nous sommes donc une monnaie d'échange. C'est ce qui nous préoccupe.
• 1740
Donc, bien entendu, on ne nous a pas demandé d'émettre des
réserves, parce que pour l'instant ces engagements n'ont pas été
pris par le gouvernement fédéral. Nous le ferons, toutefois, pour
les raisons que nous avons indiquées. Les clauses de réserve sont
bien loin de pouvoir protéger les intérêts des provinces, à notre
avis, et leurs inconvénients sont sérieux. Elles peuvent faire
l'objet d'un sursis à exécution ou d'une élimination progressive.
Comme on vous l'a probablement déjà dit, toutes les clauses de
l'accord ne peuvent pas faire l'objet de réserves. Elles sont
généralement conçues pour qu'il y ait par la suite une plus grande
libéralisation, et autres mesures de ce genre. Voilà ce qui nous
inquiète.
M. Robert Nault: J'en viens à l'ALENA. Nous croyons comprendre que vous nous dites dans votre mémoire que dans le cadre de l'ALENA, le Canada a pu émettre des clauses de réserve sans restriction dans certains secteurs clés, y compris pour ce qui est des provinces. Vous laissez entendre ici que ce ne sera peut-être pas possible en vertu de l'AMI. Si c'est le cas... Et plus loin vous indiquez très clairement que pour ce qui est des services sociaux et de l'assurance-santé en Colombie-Britannique, vous préconisez une exemption pure et simple parce que nombreux autres pays vont appuyer cette position. Est-ce qu'il s'agit de votre position officielle, et que répond le gouvernement fédéral à ce sujet? Je suis sûr que non seulement les provinces, mais aussi le gouvernement fédéral, sont tout prêts à protéger ce secteur en particulier.
M. Noel Schacter: Oui. Notre ministre, M. Miller, a d'ailleurs écrit au ministre Marchi au cours de l'été; le 1er juillet, je crois. Nous avons ici cette correspondance. Il a fait précisément état de cette préoccupation et a recommandé que les services sociaux et les soins de santé soient exemptés de l'accord. Nous n'avons pas reçu de réponse indiquant que le gouvernement fédéral partageait nos préoccupations. Le gouvernement fédéral estime que la clause de réserve prévue à l'annexe II-C-9 de l'ALENA, qui prétend protéger les services sociaux et de santé, est tout à fait suffisante. Nous nous inscrivons en faux, et si nous disons le contraire, c'est parce que le gouvernement américain a fait savoir qu'il n'était pas d'accord avec notre interprétation.
Par conséquent, étant donné le différend entre les deux parties principales de l'ALENA, c'est un groupe spécial d'experts qui va finalement se prononcer pour savoir si les services sociaux et de santé sont en fait bien exemptés par les dispositions de cette annexe. Ce n'est pas ce que nous souhaitons. Nous ne voulons pas que notre système de santé et que nos services sociaux soient soumis aux décisions d'un groupe d'experts. Nous estimons que c'est la décision du Parlement, du législateur et non pas d'un groupe d'experts. C'est une chose qui nous préoccupe beaucoup.
M. Ian Waddell: Monsieur le président, avec votre permission, j'aimerais déposer ces deux lettres. Nous avons deux lettres, l'une du ministre Eggleton et l'autre, plus tard, du ministre Marchi. Nous allons les déposer pour que vous puissiez les consulter.
Comme vous l'a dit M. Schacter, nous nous posons des questions plus générales, sur le rôle du gouvernement, par exemple. Toutefois, laissez-moi ajouter une dernière chose.
Ma courte expérience d'environ un an et demi au niveau de la province m'a appris que l'on devait faire avec ce que l'on a dans la province. On fait le mieux possible avec ce que l'on a. Nous avons des ressources. Nous avons une énergie bon marché, et autres avantages de ce genre. Lorsque nous éprouvons des difficultés avec une société, nous nous efforçons d'en arriver à une entente. Des compromis sont faits. Je vous ai cité l'exemple d'Alcan, qui nous a valu une poursuite de 500 millions de dollars et où, à mon avis, on a essentiellement sauvé le réseau du fleuve Fraser en annulant Kemano II.
C'est très vaste. Voilà ce que je veux dire.
Ce fut une démarche importante. Le gouvernement fédéral avait très peur d'intervenir dans ce genre de choses, mais nous l'avons fait, et nous avons fini par signer un accord. Nous avons sauvé les poissons. Nous avons procuré des emplois à Kitimat. Une autre fonderie est venue s'installer. Nous avons obtenu un certain nombre d'excellentes contreparties.
Si cet AMI s'était appliqué, l'entreprise n'aurait pas négocié avec nous, nous en avons bien peur. Elle se serait tout simplement adressée à ces groupes d'experts spéciaux et nous aurait répondu qu'elle ne voulait pas négocier avec nous, qu'elle ne négociait pas avec les gouvernements, que nous étions limités dans notre action. Notre gouvernement aurait en fait les mains liées.
L'Institut Fraser—et si j'étais un libéral, je n'aimerais pas que l'on me mette dans le même panier que cet Institut—dirait le contraire: laissez faire le marché.
Le président: Il est déjà venu ici pour dire ce qu'il en pensait.
Je vais maintenant passer la parole à votre ancien collègue, M. Blaikie.
M. Bill Blaikie: Je dois dire cependant que ce sont les témoins qui se sont le plus rapprochés de la position du ministre du Commerce.
Le président: Allons, allons.
M. Bill Blaikie: Si j'ai levé la main, c'est parce que vous avez posé cette question au sujet des provinces qui n'ont pas présenté de clauses de réserve. On n'a pas demandé aux provinces de présenter des clauses de réserve. Vous vous efforciez de le faire dire clairement par M. Dymond lorsqu'il vous a répondu: «Eh bien, nous n'avons pas encore fait figurer de clauses de réserve parce que nous n'avons pas encore englobé les provinces, et on ne leur a pas encore demandé de présenter des clauses de réserve parce que le gouvernement fédéral n'a pas pris de décision». Toutefois, s'il devait prendre une décision, il suffirait, si je comprends bien, de faire valoir le type de réserve qui se trouve actuellement dans l'ALENA et au sujet desquelles il y a déjà des interprétations différentes selon que l'on fait partie du camp américain ou du camp canadien.
Ce qui est intéressant, dans ce que dit M. Schacter, c'est qu'il craint que les provinces ne servent en fait de monnaie d'échange et que l'on dise à un moment donné: «Bon, si vous nous concédez ceci ou cela, nous vous donnons les provinces». Je ne pense pas qu'on devrait se servir des provinces de cette façon.
Le gouvernement fédéral peut mettre les provinces dans la balance sans leur consentement. Il peut faire en sorte que cet accord s'applique aux divisions territoriales sans les provinces, comme on l'a fait dans l'ALENA.
Mme Sarmite Bulte: Je ne le crois pas.
Une voix: Ce n'est pas ce que l'on nous a dit.
M. Bill Blaikie: Est-ce que je me trompe?
M. Ian Waddell: Nous ne sommes pas payés ici pour donner un avis juridique, et nous n'en donnerons pas. C'est possible. Tout ce que je peux vous dire sans m'avancer ici, c'est que nous examinons la question et que nous aurons peut-être quelque chose à dire à ce sujet plus tard.
Mme Sarmite Bulte: N'est-ce pas dans le cadre de l'ALENA que l'on a dit que ce que l'on voulait vraiment obtenir des États-Unis, c'est que les États puissent signer en tant que divisions territoriales? Les États du sud des États-Unis constituent un groupe de pression très puissant, et si les États-Unis avaient quelque chose à exempter, ils avaient des réserves à émettre au sujet de leurs divisions territoriales.
M. Bill Blaikie: Oui, mais le gouvernement fédéral des États- Unis a émis ces réserves. Le gouvernement fédéral canadien pourrait aussi émettre ces réserves au nom des provinces, mais s'il ne le faisait pas, il me semble qu'il engloberait les provinces contre leur volonté.
Le président: Je ne suis pas moi non plus un spécialiste du droit international, mais j'ai entendu dire qu'il pouvait signer au nom des provinces et les englober dans les domaines relevant exclusivement de la compétence provinciale, mais qu'il ne pouvait pas effectivement forcer les provinces à agir.
M. Bill Blaikie: Je sais, mais alors à quel moment l'État investisseur intervient-il? Il n'a pas à faire appliquer l'accord par les provinces. S'il signe l'accord, quel sera son statut?
M. Charlie Penson: Si ces gens ne le savent pas, je propose que nous le demandions demain à Bill Dymond.
M. Bill Blaikie: Je propose que nous demandions à nos attachés de recherche de se pencher eux aussi sur la question, parce que si nous ne savons pas cela, nous ne savons pas grand-chose.
M. Robert Nault:
[Note de la rédaction: Inaudible]
M. Bill Blaikie: C'est vous qui pensez que c'est un accord merveilleux. Dites-moi ce qu'il signifie.
M. Noel Schacter: Je pourrais peut-être vous répondre en quelques mots.
M. Ian Waddell: Je vais demander à M. Schacter de vous répondre.
M. Wilson, mon collègue de l'assemblée législative est ici, et je l'en remercie. Il a fait un effort spécial pour venir, et ce n'est pas facile lorsqu'on est un député d'arrière-banc, qui n'appartient pas au parti du gouvernement. Je sais ce que cela exige et je tiens à l'en remercier personnellement.
M. Robert Nault: Un voyage de quatre jours en voiture.
M. Ian Waddell: Nous n'en sommes pas encore là.
Il m'informe qu'il existe à mon avis une jurisprudence qui exclut que l'on puisse forcer les provinces, mais nous ferons le nécessaire pour la retrouver et nous la ferons parvenir au comité.
M. Schacter a quelque chose à ajouter.
M. Noel Schacter: Nous sommes partis du principe que dans les domaines de compétence fédérale, le gouvernement fédéral ne pouvait pas agir ainsi, et c'est la position que nous avons adoptée à la table des négociations. Cette question sera bien entendu soumise à différentes interprétations juridiques, comme vous le soulignez, mais c'est là la position officielle que la Colombie-Britannique, mais aussi toutes les autres provinces, ont adoptée à ce sujet.
Le gouvernement fédéral peut toujours signer un accord—nous reconnaissons qu'il en a le droit—mais il s'agit ensuite de savoir s'il peut le faire appliquer. Nous considérons qu'il ne devrait pas signer un accord en notre nom s'il n'est pas en mesure de le faire appliquer.
Je voudrais revenir deux secondes sur les clauses de réserve, simplement pour vous montrer à quel point c'est compliqué et problématique.
Si vous comprenez le fonctionnement des clauses de réserve, voilà qui pourrait vous être utile, parce que nous abordons ici la notion des mesures gouvernementales, une mesure étant définie de manière très générale comme englobant les lois, les règlements, les procédures, les exigences et les pratiques. Toutes ces choses ne sont pas en fait codifiées. Par conséquent, lorsqu'on en est venu aux termes de l'ALENA à essayer de voir exactement quelles étaient les mesures que nous devions protéger, nous n'avons pas pu toutes les codifier. Nous ne savions pas si elles étaient toutes là.
• 1750
Par conséquent, le gouvernement de la Colombie-Britannique a
incité le gouvernement fédéral—et c'est ce qui a été fait dans la
pratique—à émettre ce que l'on a appelé une réserve générale, qui
a essentiellement exclu toutes les mesures préexistantes
s'appliquant aux provinces, et les gouvernements fédéraux du
Mexique et des États-Unis ont fait de même.
Ça ne se produira peut-être pas dans le cadre de l'AMI. Pour l'instant, les autres parties à l'accord font preuve d'une certaine résistance. Vous pouvez donc voir à quel point ça devient problématique. Nous ne réussissons pas à protéger toutes nos mesures existantes, tout simplement parce que nous ne pouvons pas les codifier. C'est très difficile; il y en a des milliers et des milliers. Donc, si tel est le cas, voilà une autre faille dans le mécanisme des clauses de réserve.
Mme Sarmite Bulte: Puis-je répondre directement?
Si je comprends bien, à partir du moment où nous sommes limités aux mesures préexistantes, nous allons nous retrouver aux prises avec les clauses de sursis à exécution et d'élimination progressive, n'est-ce pas? Il est clair que dans le domaine culturel, nous ne voulons ni de l'élimination progressive, ni d'un sursis à exécution.
M. Noel Schacter: Oui, en effet. C'est la distinction qui doit être faite entre les réserves avec ou sans restriction. Si l'on peut faire une réserve sans restriction, en théorie, du moins en vertu de l'ALENA, vous avez raison de dire qu'il ne peut pas y avoir une élimination progressive ou un sursis à exécution. Dans la pratique, il peut toujours y avoir une élimination progressive parce que rien n'empêche les parties de le réclamer à la table des négociations.
Si les États-Unis nous disent qu'ils ne veulent pas que les services sociaux et de santé continuent à faire l'objet d'une clause de réserve sans restriction, rien ne les empêche de présenter cela à la table des négociations et d'en discuter avec nous.
Mme Sarmite Bulte: Cela devrait faire quand même l'objet de négociations.
M. Noel Schacter: Oui, mais c'est la même chose dans l'autre cas. Il n'y a aucune différence. La seule différence, c'est que le sursis à exécution ne s'applique pas.
Le président: Monsieur Reed.
M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci, monsieur le président.
Messieurs, je serai très bref. Vous êtes la première province à venir nous présenter votre position, et je vous remercie d'être venu. Je me demande cependant s'il ne serait pas préférable, plutôt que d'adopter une attitude totalement négative sur la question, sachant que les négociations n'ont pas vraiment commencé en fait...
C'est vrai, les véritables négociations n'ont pas commencé. Pour l'instant, ce sont les positions de principe des 29 pays qui ont été déposées. Bien sûr, je pense qu'il nous faut tous sympathiser. Nous sympathisons quand nous voyons les difficultés qu'éprouvent les 10 provinces à parler d'une même voix, et avec 29 pays ça doit être encore plus difficile.
Il n'en reste pas moins que le Canada est à la table des négociations, et quand je vous entends parler de manière si négative, j'ai comme l'impression que vous préféreriez vous retirer tout de suite et cesser tout effort.
Le Canada peut toujours se retirer. C'est indéniable. Pourtant, si nous n'unissons pas tous nos efforts, il se pourrait que le Canada passe à côté d'un objectif ou d'un projet susceptible de s'avérer d'une grande utilité à l'avenir.
Quelqu'un a dit cet après-midi qu'il faudrait peut-être que ce type de négociation se fasse sous l'égide de l'OMC. Vous pouvez cependant imaginer combien ce serait encore plus difficile étant donné le nombre de pays supplémentaires qui seraient impliqués, même si l'objectif à long terme est d'englober le plus de pays possible, tout simplement parce que l'on a appris au Canada qu'il était préférable pour bien travailler d'établir un certain nombre de règles de base plutôt que de s'en remettre aux lois de la jungle.
J'ai une dernière observation à faire. J'ai entendu mentionner à deux reprises cet après-midi le «grand capital» ou les «grosses sociétés», et le fait que les grandes entreprises allaient contrôler toutes les politiques du gouvernement, par exemple. En réalité, la majorité des multinationales sont de petites ou de moyennes entreprises.
J'ai assisté il y a deux mois à une conférence régissant les sociétés d'exploration minière. Elles sont 700 au Canada. Nombre d'entre elles sont des multinationales et, en moyenne, elles ont un effectif de 15 personnes. On peut difficilement parler dans ce cas de grosses sociétés pesant de tout leur poids sur les pays.
• 1755
N'oubliez pas que la médaille a son revers et qu'il y a pour
nous les problèmes posés par l'investissement et le fait de se
trouver dans un autre pays. Nous pouvons exporter notre matière
grise et nos compétences dans d'autres pays, mais en l'absence de
règles, nous sommes vulnérables, surtout si nous sommes une petite
entreprise ou une petite société. À titre d'exemple, je vous
citerai cette tragédie qui s'est produite en Russie il y a quelques
semaines, un investisseur de la Nouvelle-Écosse se retrouvant
aujourd'hui physiquement obligé d'abandonner son investissement
parce que l'Est «est devenu le Far West».
Des voix: Oh, oh.
Le président: Merci, monsieur Reed.
M. Julian Reed: J'essaie simplement de vous expliquer pour quelle raison nous essayons de parvenir à cet accord. Si nous n'y parvenons pas, tant pis, mais...
Le président: Monsieur Waddell.
M. Ian Waddell: Je voudrais dire rapidement... en fait, excusez-moi, mais je ne vous connais pas personnellement. Je crois cependant que vous êtes un ancien ministre provincial.
M. Julian Reed: J'ai été ministre—toujours dans l'opposition, cependant.
Des voix: Oh, oh.
M. Ian Waddell: Il se peut que ce soit un vote auquel vous n'avez peut-être pas envie d'assister.
Nous avons déjà établi les règles de base. Vous avez signalé que certains témoins proposaient que l'on aille devant l'OMC. Effectivement! C'est une excellente idée! C'est ce qu'il faudrait faire, parce que l'on engloberait ainsi les pays en développement et c'est en fait ceux qui nous importent véritablement. Ce n'est pas la Suède ou la Belgique qui vont faire preuve de discrimination envers nos investisseurs. Ce sont les pays en développement. C'est donc là qu'il faut aller. C'est la tribune qu'il nous faut, et non pas celle de l'OCDE. C'est l'OCDE qui s'en charge aujourd'hui parce qu'elle accueille un club restreint de grandes entreprises. C'est pourquoi on a agi dans ce cadre, et on espère étendre l'accord aux autres par la suite. C'est une question de politique.
Les entreprises de la Colombie-Britannique sont en fait différentes de celles du reste du pays. En Colombie-Britannique, un certain nombre de petites entreprises n'ont pas la volonté d'être de gros investisseurs internationaux, et les choses sont quelque peu différentes. Nous avons notre propre économie et nos propres sujets de préoccupations dans cette province. Je pense en avoir bien indiqué les raisons.
Vous nous dites que le Canada pourrait se retirer, et bien faites-le. Retirez-vous. C'est ce que nous souhaitons.
Le président: Monsieur Waddell, je vais conclure là-dessus, mais j'aimerais auparavant vous poser rapidement une question. Vous avez pris une orientation différente de celle que je pensais vous voir prendre.
J'ai écouté votre premier ministre nous parler d'investissement. Il est évident que nombre de pays asiatiques ont fait de nombreux investissements dans votre province, et je suis donc quelque peu surpris de votre forte opposition à toute réglementation, quelle qu'elle soit. Est-ce parce qu'il y a déjà des accords en place avec ces différents pays, qui font que les investissements se font pour l'instant dans de bonnes conditions et que cet accord ne va rien y changer? Ou est-ce parce que...? J'hésite. Je pensais pouvoir comprendre les raisons de votre désaccord sur le plan des principes, mais ça m'est impossible.
M. Ian Waddell: Merci de me donner l'occasion de préciser les choses. J'essaierai de vous répondre et je demanderai aussi à M. Schacter de le faire.
Comme je l'ai dit dans le mémoire, nous voulons les investissements étrangers. Nous en avons besoin. Notre économie est axée sur les ressources naturelles. Nous n'en voulons pas moins la diversifier. Nous pensons que les raisons qui font que nous pouvons les obtenir... J'ai déjà dit que nous avions besoin des mesures gouvernementales pour agir dans des domaines comme l'environnement ou les soins de santé. Nous avons peur que l'AMI bloque nos mesures gouvernementales. Nous estimons que nous sommes déjà protégés en ce qui a trait aux investissements étrangers. Il y a déjà des règles.
Le président: Vous parlez des accords bilatéraux.
M. Ian Waddell: Oui, les accords bilatéraux. Il y a l'ALENA, il y a l'ALE, il y a toutes sortes de dispositifs. Nous avons notre propre droit et notre propre législation. Nous estimons qu'il y a ici plus qu'un mécanisme non discriminatoire, plus qu'une loi. C'est un tout nouveau système que quelqu'un a qualifié «d'ALENA dopé aux stéroïdes». Voilà ce qui nous inquiète.
Avez-vous quelque chose à ajouter, Noel?
M. Noel Schacter: Oui. J'ajouterai simplement que ce ne sont pas les accords en place qui offrent une véritable protection; c'est notre droit interne. Nous ne voulons pas abandonner le droit de nous assurer que lorsqu'un investissement est fait dans notre province, c'est à des conditions qui conviennent à la fois à l'investisseur et à la province.
Si un accord intervient, nous perdrons la possibilité, par exemple, d'amener les investisseurs à tenir compte des retombées économiques locales, et nous ne pourrons plus contrôler si nécessaire notre environnement ou la conservation de nos ressources. Voilà ce qui nous inquiète. Il faut, à notre avis, que l'on insiste sur ces points.
• 1800
Nous ne nous opposons pas aux règles qui confèrent une
protection aux investisseurs, mais cet accord va plus loin. Nous
protégeons déjà les investisseurs. Nous avons notre propre droit
interne en ce qui a trait à l'expropriation. En se réclamant de ce
droit, Alcan peut nous poursuivre devant les tribunaux, ce qu'elle
a cherché à faire, mais il nous reste des recours, nous avons pu
négocier avec cette entreprise. Ainsi que l'a fait remarquer
M. Waddell, nous ne pourrons plus le faire.
Je vous avoue donc bien franchement que l'ALENA continue à nous inquiéter. Nous sommes très inquiets. On n'a pas besoin d'un accord pour conférer cette protection. Et vous m'excuserez, mais je ne crois pas que la plupart des investisseurs s'inquiètent au sujet de la protection de leurs investissements au Canada. Ils n'ont aucune inquiétude.
Le président: Et pour ce qui est de la concurrence destructrice qui se fait à l'échelle internationale? Ne pensez-vous pas qu'il devrait y avoir des règles pour éliminer les guerres menées au sujet des appels d'offres?
M. Ian Waddell: C'est une question plus vaste. L'un des témoins l'a dit précédemment. Oui, nous avons besoin au plan international... J'espère que le XXIe siècle verra arriver une certaine forme de gouvernement mondial qui imposera des restrictions aux capitaux. À l'heure actuelle, il n'y en a pas, et les gouvernements des pays perdent de leur pouvoir. Voilà un autre exemple de cette tendance, où le monde des affaires est roi.
Je peux rapporter aux politiciens qui sont ici ce que j'ai entendu la semaine dernière dans les rues de Vancouver, alors que les gens commencent à se dire: «Et bien, a-t-on vraiment besoin de ce régime de type asiatique, où tout passe par les affaires? Est-ce qu'il faut vraiment que ce soit la base sur laquelle s'appuie la société canadienne?» Non, il y a bien d'autres choses. Il y a les droits de la personne, il y a l'éducation, il y a l'environnement, etc.
Je pense donc que la balance, du moins au Canada, commence à pencher de l'autre côté et qu'un accord commercial n'est plus l'alpha et l'oméga. Nous n'avons pas à entrer dans ce genre...
Le président: Ce que je vous demandais, cependant, c'est si vous étiez favorable à un contrôle exercé sur les gouvernements pour ce qui est de ces appels d'offres internationaux, qu'il s'agisse d'assouplir les normes ou...?
M. Ian Waddell: Oui, mais je ne sais pas comment on pourrait y parvenir.
Le président: Quoi qu'il en soit, mes chers collègues, voilà qui met fin à nos débats. Je tiens à remercier nos témoins d'aujourd'hui.
Je rappelle aux députés que nous entendrons demain le négociateur en chef, M. Dymond, comme témoin, après quoi nous discuterons à huis clos de l'information que nous avons reçue pour essayer d'en tirer des conclusions.
La séance est levée jusqu'à demain.