AGRI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON AGRICULTURE AND AGRI-FOOD
COMITÉ PERMANENT DE L'AGRICULTURE ET DE L'AGROALIMENTAIRE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 23 mars 2000
Le président (M. John Harvard (Charleswood St. James—Assiniboia)): La séance est ouverte. Il y a quorum et nous pouvons entendre les témoins.
Aujourd'hui, nous avons le plaisir d'accueillir des représentants du Syndicat national des agriculteurs, M. Darrin Qualman, secrétaire exécutif, et Cory Ollikka, président.
Vous le savez tous je crois, le SNA a réalisé une étude sur les subventions versées en Europe, leur incidence sur le cours et la production des céréales et d'autres aspects encore. On en a tiré des conclusions qui ne font peut-être pas l'unanimité, du moins pas encore. Ces conclusions ont toutefois retenu suffisamment notre attention pour nous amener à penser qu'il serait utile et certainement intéressant d'entendre ces messieurs, de leur demander d'expliquer ce qui est à l'origine de cette étude et d'en expliquer les conclusions.
Messieurs les témoins, je suis sûr qu'on vous posera des questions quand vous aurez terminé votre exposé. Lequel de vous deux va le présenter?
M. Cory Ollikka (président, Syndicat national des agriculteurs): Nous allons en fait le présenter à deux. Je vais commencer.
Le président: Merci d'être venu. Vous avez la parole.
M. Cory Ollikka: C'est un plaisir d'être ici et de vous revoir en si grand nombre.
Nous saisissons cette occasion qui nous est donnée de comparaître devant le comité pour discuter avec vous de notre dernière initiative, notre document de recherche qui porte précisément sur les subventions versées en Europe et sur la puissance commerciale de l'agro-industrie. Bien sûr, dans le mémoire, toute cette information est présentée dans le contexte de l'actuelle crise du revenu agricole au Canada.
Je m'appelle Cory Ollikka. Je suis le président du Syndicat national des agriculteurs. Je suis accompagné par M. Darrin Qualman, secrétaire exécutif du SNA. Nous vous présenterons brièvement ce que nous avons mis au jour grâce à notre recherche sur les subventions versées en Europe et sur la puissance commerciale de l'agro-industrie. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
Je cède maintenant la parole à M. Qualman.
M. Darrin Qualman (secrétaire exécutif, Syndicat national des agriculteurs): Je remercie les députés de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui.
La crise du revenu agricole nous intéresse au plus haut point car nous sommes des agriculteurs. La plupart du temps quand on demande à quelqu'un d'expliquer les causes de la crise du revenu agricole, il est tout d'abord question des subventions que verse l'Union européenne, et c'est pourquoi nous nous sommes intéressés d'assez près à ces subventions.
Ainsi donc, selon l'idée dominante, ce serait les subventions de l'Union européenne qui auraient causé la crise du revenu agricole. L'argument qu'on invoque habituellement pour expliquer comment elles ont provoqué cette crise est le suivant: les subventions de l'Union européenne ont fait augmenter la production de celle-ci, ce qui a entraîné une offre excédentaire sur le marché mondial et par conséquent une chute des cours et de là la crise du revenu agricole.
Nous avons décidé d'y regarder de plus près, d'examiner les données et de voir si ce rapport de causalité existait bel et bien. Les subventions de l'Union européenne ont-elles fait augmenter la production? En est-il résulté une offre excédentaire et ainsi de suite?
J'aimerais d'abord vous parler un instant d'offre excédentaire, parce qu'en somme c'est autour de cette idée qu'est bâti tout ce raisonnement.
Les gouvernements du monde entier dénoncent l'offre excédentaire comme la raison pour laquelle les revenus agricoles sont faibles, la raison pour laquelle le cours des denrées est faible. Je viens tout juste de voir un discours prononcé par Dan Glickman, et il a parlé d'offre excédentaire. Mais je vous invite tous à examiner les données. En réalité, il n'y a pas d'offre excédentaire de céréales dans le monde. En fait, c'est plutôt le contraire.
Dans notre mémoire, nous présentons un article sur l'offre excédentaire. Nous avons examiné les ratios stocks/utilisation des 40 dernières années. Nous voulions remonter encore plus loin, mais nous ne disposions pas de données fiables remontant aux années 50.
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Pour ce qui est des 40 dernières années, quand on examine les
ratios stocks/utilisation, on constate que le plus faible a été
enregistré en 1995-1996. Le grand creux des 40 dernières années a
donc été atteint en 1995-1996. On a enregistré une légère remontée
depuis, mais l'offre mondiale demeure aujourd'hui bien en deçà de
la moyenne traditionnelle. Elle est bien en deçà de ce qu'elle
était dans les années 70, quand la faiblesse de l'offre avait causé
une rapide montée des cours.
Il n'y a donc tout simplement pas d'offre excédentaire. Les ratios stocks/utilisation sont un des moyens dont on dispose pour mesurer l'offre excédentaire. Un autre moyen consiste à examiner de combien de jours de réserve alimentaire on dispose. Pour ce qui est des céréales secondaires, nous disposons en fin de campagne agricole d'un stock de moins de deux mois pour le maïs, l'avoine et d'autres céréales secondaires. Dans un monde frappé par la sécheresse, par des inondations, par un réchauffement planétaire croissant et par d'autres incertitudes, un stock alimentaire de deux mois ne semble pas gênant au point d'avoir à acculer des agriculteurs à la faillite pour les contraindre à produire moins.
Je vous encourage donc tous à en tenir compte étant donné que nous ne pouvons pas trouver de données qui montrent qu'il existe une production excédentaire de céréales dans le monde. En fait, c'est bien plutôt le contraire. Que l'on songe au nombre de personnes qui meurent de faim chaque mois.
Pour résumer toute cette question de l'offre excédentaire, il est éminemment contestable d'en affirmer l'existence. Il est parfaitement faux de prétendre que l'offre excédentaire est telle qu'il faut y voir là la cause de la pire crise du revenu agricole qu'on ait connue depuis les années 30.
Abordons maintenant un autre aspect du raisonnement concernant les subventions de l'Union européenne, à savoir que celles-ci ont stimulé la production, idée largement acceptée, et qui est même devenue un truisme. La production augmente effectivement au sein de l'Union européenne. Ce que nous avons commencé à nous demander, c'est qu'est-ce qui se passe dans les autres pays. Si la production augmente dans l'Union européenne, que se passe-t-il dans les pays où l'on ne verse pas de subventions? Qu'est-ce qui se passe en Australie, en Argentine, au Canada et dans d'autres pays, y compris aux États-Unis?
Nous avons examiné les données. Il n'est pas du tout difficile de se les procurer. Si vous regardez les pages 7 et 8 du document déposé par le SNA, vous y verrez les données que nous schématisons aux tableaux A, B, et C.
Le tableau A concerne la production de blé. Il est vrai qu'on a enregistré une augmentation de 42 p. 100 dans la production de blé dans l'Union européenne, mais dans l'un des pays les moins subventionnés au monde, l'Australie, on a enregistré une augmentation de la production de 44 p. 100, et de 26 p. 100 en Argentine. Le Canada a vu sa production augmenter alors que celle des États-Unis a diminué.
Pour ce qui est du blé, je pense que nous pouvons dire qu'alors que la production a augmenté dans les pays de l'Union européenne où des subventions importantes sont versées, elle a aussi augmenté à un rythme similaire dans des pays où l'on ne reçoit pas de subventions. Dans le pays qui arrive au deuxième rang au titre des subventions versées, soit les États-Unis, la production a chuté. Dans le cas du blé donc, il est difficile d'établir une corrélation entre les niveaux de subventions et l'augmentation de la production.
Cette absence de corrélation est encore plus évidente au tableau B, qui porte sur la production de céréales secondaires. Dans l'Union européenne, la production de céréales secondaires—maïs, sorgho, millet, avoine, etc.—demeure à toutes fins utiles inchangée, c'est-à-dire qu'elle n'a augmenté que d'une fraction de 1 p. 100, alors que l'Australie a connu une augmentation de 46 p. 100; que la hausse enregistrée en Argentine dépasse celle de l'Union européenne; que le Canada a vu sa production croître de 9 p. 100, ce qui est plus que dans l'Union européenne; et que les États-Unis ont enregistré une chute de leur production.
Il en est de même pour l'ensemble des oléagineux. Dans l'Union européenne et aux États-Unis, où les subventions sont les plus élevées, sont celles dont la production des oléagineux a le moins augmenté. Dans certains cas, cette hausse de production n'est que du quart, voir du un huitième de l'augmentation de la production dans les pays où l'on ne verse aucune subvention.
Le président: Je croyais que vous aviez dit que l'Union européenne et les États-Unis avaient enregistré les plus faibles augmentations de la production d'oléagineux. Il me semble que ces pays ont les plus fortes augmentations, à plus de 73 p. 100 et à plus de 70 p. 100.
M. Darrin Qualman: Oui, mais dans le cas des autres pays, on parle d'augmentations de 294 p. 100, de plus de 522 p. 100 et de plus de 283 p. 100.
Le président: Par comparaison, c'est vrai.
M. Darrin Qualman: En ce qui concerne les oléagineux et dans une certaine mesure les céréales secondaires, il semble en fait exister un rapport inversement proportionnel entre l'augmentation de la production et les niveaux de subventions. Nous avons été étonnés de le constater, et quand on examine vraiment les données, on peut dire qu'il n'est tout simplement pas fondé de prétendre que les subventions de l'Union européenne ont stimulé la production au point de créer une offre excédentaire et qu'il en est donc résulté une crise du revenu agricole. La production a augmenté au même rythme ou plus rapidement encore dans les pays non subventionnés. Nous concluons que, bien que les subventions de l'Union européenne puissent stimuler la production, l'absence de subventions la stimule aussi.
Cela dit, je cède la parole à Cory. Il a deux ou trois choses à dire à propos de l'attitude de l'Europe face aux subventions et de l'idée de la forcer à y renoncer.
M. Cory Ollikka: Les deux dernières questions qu'il nous faut nous poser, nous qui nous occupons de politiques officielles au Canada, consistent à savoir si nous pouvons freiner les subventions européennes, et dans l'affirmative, si nous pouvons le faire à temps.
Nous du Syndicat national des agriculteurs avons rencontré des leaders du monde agricole, des politiciens et des dirigeants commerciaux des quatre coins du monde, y compris d'Europe. Un bon nombre des dirigeants européens que nous avons rencontrés ne mâchent pas leurs mots. Ils voient les plaines du Dakota du Nord, et ils n'y voient que désolation, étant donné les grandes différences géographiques qui existent entre leur région du monde et la nôtre, et celle du Dakota du Nord. Ils constatent l'exode rural, et ils n'hésitent pas un instant à dire qu'ils ne croient pas à l'exode rural. Ils misent sur des régions rurales populeuses et prospères et leurs politiques le reflètent bien.
J'ai lu ce matin un discours de Franz Fischler, commissaire européen responsable de l'agriculture, du développement rural et des pêches. À aucun moment il ne fait allusion au fait que l'Union européenne se préparerait à réduire son soutien national à l'agriculture. Rien n'indique que l'Union européenne s'achemine vers cette voie. Il semble peu probable—étant donné surtout les atermoiements de Seattle—que l'Union européenne fasse beaucoup plus ou se dépêche pour réduire son soutien à l'agriculture. Bien sûr, elle a réduit certaines de ses subventions à l'exportation, mais pour ce qui est de l'ensemble du soutien à l'agriculture, nous ne prévoyons pas qu'elle renverse la vapeur.
Même si nous pouvions dissuader l'Union européenne de subventionner l'agriculture, pourrions-nous le faire à temps? Nous soutenons, étant donné l'aspect souvent très laborieux des pourparlers commerciaux internationaux—un bon nombre d'entre nous étaient à Seattle et savent que ces processus sont longs et ardus—, qu'il est un peu illusoire de penser que des agriculteurs du Canada et de nombreuses régions du monde peuvent se permettre d'attendre la conclusion d'ententes commerciales pour que diminuent les subventions et que s'améliore leur revenu—subventions qui comme nous vous l'avons du reste souligné ne sont pas à l'origine de cette crise du revenu.
Nous pensons que même si dans les quatre à six prochaines années on pouvait conclure un accord dans le cadre de l'OMC, l'expérience des ententes commerciales antérieures nous a appris que, l'imposition progressive de réductions des subventions prendrait encore cinq ou six ans, peut-être même une dizaine d'années. Franchement, pour les agriculteurs du Canada, c'est tout à fait inacceptable.
Tout le monde ici est au courant de la crise du revenu agricole que nous traversons et des appels qu'on lance. Nous estimons qu'à terme, la réduction des subventions ne va pas mettre fin à la crise du revenu agricole. Rien ne montre que les subventions de l'Union européenne ont causé cette crise. Même si c'était le cas, il y a peu d'espoir pour nous de contraindre l'Union européenne à réduire ses subventions. Même si nous le pouvions, et même si ces subventions étaient la cause de la crise, nous soutenons que ce serait trop tard pour aider les agriculteurs canadiens, dont la grande majorité ont immédiatement besoin d'aide.
Je conclus ainsi notre déclaration. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le président: Avant de donner la parole à M. Hilstrom, j'aimerais poser une question sur des données, exclusion faite des déductions que vous tirez de votre étude ou de vos conclusions. Pensez-vous au moins que les données ne sont pas contestées, que même les observateurs les plus prudents accepteraient ces données?
M. Darrin Qualman: Quand nous avons examiné ces données et constaté ces résultats que nous avons trouvés assez étonnants, notre première réaction a été de chercher d'autres données. Nous avons utilisé les deux meilleurs ensembles de données actuellement disponibles. Nous avons commencé par les données sur la production mondiale que possède le département de l'agriculture des États- Unis, et ce sont celles que nous utilisons dans le mémoire. Mais comme nous ne voulions pas être pris en défaut sur un point aussi important que celui-là—quand on soumet une proposition radicale, elle est examinée de façon assez critique—, nous avons obtenu un autre ensemble de données pour fin de comparaison et pour nous assurer que nous étions sur la bonne voie. Il s'agissait en l'occurrence des données sur les niveaux de production mondiale de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. Or les deux ensembles de données mènent exactement aux mêmes conclusions. Les chiffres varient légèrement—très légèrement. Dans certains cas, les données de la FAO sont un peu plus éloquentes que celles du département de l'agriculture des États-Unis. Mais je ne crois pas qu'on trouve qui que ce soit pour contester les données.
Le président: Merci.
Howard.
M. Howard Hilstrom (Selkirk—Interlake, Réf.): Merci, monsieur le président.
Soyez les bienvenus, messieurs. Dites-nous, au cas où certains ne le sauraient pas: Êtes-vous tous deux agriculteurs?
M. Cory Ollikka: Oui.
M. Howard Hilstrom: Vous êtes tous deux céréaliculteurs et éleveurs, ou est-ce seulement des céréales que vous produisez?
M. Cory Ollikka: Je produis des céréales et du bétail.
M. Howard Hilstrom: Et vous Darrin?
M. Darrin Qualman: Nous produisons du foin commercial pour l'instant. Nous nous orientons vers l'agriculture biologique.
M. Howard Hilstrom: Votre mémoire, comme l'a laissé entendre le président, ou comme il l'a carrément dit, ne rallie peut-être pas la majorité en ce moment, mais il donne certainement à réfléchir.
J'aimerais parler d'une chose. Vous avez une définition de petite exploitation agricole. À la page iii vous parlez d'exploitations agricoles relativement petites—vous n'avez pas à vous y reporter. Dans le rapport majoritaire, le Comité permanent de l'agriculture donnait une définition de petite exploitation agricole familiale. Quelqu'un chez vous, que vous connaissez très bien, M. Furtan à l'Université de Saskatoon, l'a mentionnée. C'est alors venu sur le tapis et avec mes collègues nous l'avons reprise dans notre rapport minoritaire. Il me semble que ceux qui s'occupent de politique agricole doivent avoir une très bonne idée de ce qu'est une petite exploitation agricole familiale puisque l'expression revient constamment. Pourriez-vous nous donner votre définition, pour que nous sachions ce qu'il en est?
M. Darrin Qualman: Je pense que l'élément clé de cette définition c'est la famille. Il se produit un changement de fond dans notre société quand des fermiers renoncent à posséder leurs fermes et que celles-ci deviennent la propriété, comme c'est le cas des fermes porcines, de grandes salaisons internationales, par exemple. Ce n'est pas nécessairement une question de superficie ou de revenu; il s'agit de savoir si la ferme est possédée et exploitée par une famille locale. Est-ce que les fils et les filles de la famille travaillent à la ferme, et vont-ils probablement la reprendre?
M. Howard Hilstrom: Vous acceptez donc la définition de M. Furtan, selon laquelle c'est le travail effectué à la ferme qui détermine s'il s'agit d'une petite exploitation agricole familiale. C'est ce que vise la politique gouvernementale, qu'il y ait une définition ou non.
Allons encore plus loin. Dans votre rapport, vous partez de l'hypothèse que nous disons tous que les subventions européennes sont à l'origine de la crise du revenu agricole. Eh bien, ce n'est qu'un facteur qui y contribue. Personne n'a jamais dit que c'était la seule cause, à ma connaissance. Je me demande quels autres facteurs vous avez examinés pour trouver la cause des hausses ou des baisses de la production, par exemple, du blé—le cas de cette céréale étant le plus simple. Avez-vous tenu compte d'autres facteurs qui m'ont échappés, ou en est-il question dans le rapport? Vous avez parlé de la puissance commerciale. Y a-t-il d'autres facteurs que les subventions qui interviennent dans le cycle de production et qui amènent les producteurs à décider de produire plus ou moins de blé, par exemple?
M. Darrin Qualman: Ce sont deux questions différentes à certains égards. Quand on examine ce que produisent les agriculteurs au Canada, la rotation des cultures joue un rôle, mais on cherche aussi une culture qui va leur rapporter un peu d'argent.
M. Howard Hilstrom: J'en déduis que vous dites que les subventions ne sont pas la cause de l'offre excédentaire de blé, dans bien des cas.
M. Darrin Qualman: Nous disons aussi qu'il n'y a pas d'offre excédentaire.
M. Howard Hilstrom: Il n'y a pas d'offre excédentaire, d'accord.
Parlons un instant de... Supposons que le gouvernement du Canada donnait aux producteurs de blé 2 $ de plus que le coût de production d'un boisseau de blé. Que produiraient les agriculteurs?
M. Darrin Qualman: Si vous ne le faisiez que pour le blé, cette culture deviendrait relativement plus rentable que les autres, et nous produirions davantage de blé.
M. Howard Hilstrom: Oui. Vous reconnaissez donc que les forces économiques ont toujours un rôle dans le commerce international et au Canada—que l'offre et la demande sont toujours des facteurs réels et qu'ils jouent encore?
M. Darrin Qualman: Non.
M. Howard Hilstrom: D'accord, qu'en est-il du prix du blé au Canada aujourd'hui? L'offre et la demande sont relativement équilibrées, les prix sont bons, et les producteurs s'en tirent relativement bien eu égard aux prix, comparativement à l'ensemble des facteurs. N'est-ce-pas?
M. Darrin Qualman: Oui. À l'heure actuelle il y a une reprise cyclique sur le marché du boeuf. Ceux qui sont dans le métier depuis de nombreuses années savent qu'ils doivent s'attendre à une baisse cyclique.
M. Howard Hilstrom: C'est exact, mais c'est le jeu de l'offre et de la demande. Dans le secteur du boeuf, nous accroîtrons notre offre pour profiter de la hausse des cours, et notre production finira par être excédentaire aux besoins du marché. Nous serons alors contraints, par le recul des prix, à réduire notre production.
M. Darrin Qualman: Mais si l'on croit ce raisonnement, il faudrait dire qu'à l'heure actuelle il y a une très faible demande pour les céréales. Comme nous l'avons dit, la réserve mondiale couvrirait les besoins pour deux mois environ.
M. Howard Hilstrom: Il y a une offre excédentaire de blé destiné à l'exportation tandis que certaines régions du globe pourraient consommer davantage de grains. Cependant, ce sont des facteurs autres que l'offre et la demande et la capacité de payer qui expliquent la capacité excédentaire de blé destiné à l'exportation.
M. Darrin Qualman: Puis-je faire un commentaire? Dans notre mémoire, nous examinons cet argument de l'offre et de la demande, et dans le dernier tiers du mémoire, nous avons joint des études de cas. Nous avons examiné le mode de tarification de l'ammoniac anhydre et nous en sommes venus à la conclusion que le prix est fixé au niveau maximal qu'accepteraient de payer les consommateurs. Les prix de l'ammoniac anhydre augmentent en même temps que les prix des grains. Nous avons analysé le secteur du porc où l'on invoquait le jeu de l'offre et de la demande pour expliquer le recul du prix du porc. Le marché asiatique s'est refermé, il y a eu engorgement de porc sur pied et de viande de porc et cela a entraîné une chute des prix.
Nous avons constaté plusieurs choses. D'abord, l'accès au marché asiatique n'a pas été perdu. L'analyse des données révèle que les exportations du Canada vers l'Asie ne représentaient que 7 p. 100 de tous nos débouchés et que le recul sur ce marché ne coïncidait nullement avec le recul des prix. Nous avons aussi été étonnés de constater que quand on nous disait que le marché asiatique nous était fermé et qu'il y avait trop de porc sur pied et trop de viande de porc sur le marché, les salaisons elles doublaient leurs profits.
M. Howard Hilstrom: Puis-je vous interrompre? Vous parlez maintenant de la page 25 de votre mémoire où vous dites que la crise du revenu agricole est imputable aux chefs d'entreprise.
Les grandes entreprises réalisent des bénéfices; nous le savons tous. Dans votre rapport, avez-vous tenu compte du fait que les salaires conventionnels constituent l'un des principaux coûts de la production de tracteurs voire d'abattage de porcs? Toutes les entreprises vous diront que 75 à 80 p. 100 du coût de leurs produits représente le coût des salaires. Avez-vous tenu compte de ce fait lorsque vous avez déterminé la cause du faible taux de rendement qu'obtiennent les agriculteurs?
Je suis parfaitement d'accord avec vous pour dire qu'il faut savoir qui blâmer pour le faible taux de rendement qu'obtiennent les agriculteurs, mais nous devons imputer le blâme à toutes les étapes de la transformation des produits agricoles et à tous les producteurs d'intrants.
Qu'avez-vous conclu de votre analyse du salaire conventionnel—pas uniquement des salaires versés aux travailleurs syndiqués mais aussi aux non syndiqués, qui obtiennent beaucoup plus que les agriculteurs?
M. Cory Ollikka: Je vais vous donner une réponse partielle. Si vous voulez bien ouvrir le mémoire au centre, vous trouverez un tableau comparatif du rendement sur l'avoir de tous les intervenants de la chaîne agroalimentaire, et vous y trouverez votre réponse. Il ne s'agit pas de blâmer un intrant donné d'une entreprise de transformation ou de fabrication de machinerie agricole en particulier parce que cela se résume au rendement sur l'avoir de tous les intervenants.
M. Howard Hilstrom: Est-ce que cela se trouve à la page 26?
M. Cory Ollikka: Non, je suis à l'encart à volet. Quand tous les éléments du système alimentaire ont un rendement sur l'avoir compris entre 12 et 20 p. 100—certaines entreprises comme General Mills ont un rendement sur l'avoir de 222 p. 100—tandis que les agriculteurs ont un rendement sur l'avoir de 0,07 p. 100, l'injustice est manifeste. Il est bien clair que la richesse est écrémée par d'autres.
M. Darrin Qualman: J'aimerais faire un commentaire sur les salaires conventionnels, dont Cory a parlé. Quand vous examinez le rendement sur l'avoir et les marges bénéficiaires, dans les entreprises où l'on paie des salaires négociés par les syndicats—dans les salaisons, les fabricants de machine agricole et les raffineries de pétrole—, les bénéfices sont énormes. C'est là où nous ne payons pas de salaires syndicaux, à la ferme, que les salaires sont les plus bas. Ainsi, si nous tentons d'évaluer l'effet des salaires conventionnels, ils me semblent inversement proportionnels, à savoir que là où l'on paie des salaires conventionnels, les bénéfices sont très élevés, tandis que ceux qui ne paient pas... Je n'essaie pas d'établir de lien de cause à effet, mais je ne partage pas votre avis si vous prétendez que les salaires conventionnels sont la cause de la crise des revenus agricoles. Vous n'avez pas de données sur lesquelles vous appuyer pour dire cela.
Le président: Très bien. Nous débordons déjà de beaucoup.
Monsieur Desrochers.
[Français]
M. Odina Desrochers (Lotbinière, BQ): Monsieur le président, j'aimerais vous dire que je passe mon tour jusqu'à ce que la décision concernant nos revendications soit connue. Je cède mon temps de parole au Parti réformiste.
[Traduction]
Le président: Voulez-vous prendre encore plus de temps?
M. Howard Hilstrom: Reste-t-il du temps?
Le président: Non, nous avons déjà débordé de trois minutes.
M. Howard Hilstrom: Oui, c'est bien ce qu'il me semble.
Le président: M. Desrochers offre de vous céder son temps de parole.
M. Howard Hilstrom: Je serais très heureux de pouvoir poser plus de questions. C'est un sujet très important.
Le président: Vous n'aurez que quatre minutes, Howard, puisque vous en avez déjà pris trois de trop.
M. Howard Hilstrom: D'accord.
M. Odina Desrochers: Je devais avoir droit à sept minutes puisque je remplace Mme Alarie aujourd'hui, et je cède donc sept minutes au Parti réformiste.
Le président: Je rattraperai le temps plus tard.
M. Garry Breitkreuz (Yorkton—Melville, Réf.): J'ai été très étonné quand vous avez publié vos conclusions il y a déjà quelque temps, car elles ont miné les efforts que nous faisons pour amener le gouvernement à admettre la gravité de la crise agricole qui sévit dans les Prairies. J'avoue bien franchement avoir été très déçu de votre approche. Avez-vous consulté vos membres avant de dire pareille chose?
M. Cory Ollikka: Oui. Nous avons parlé de la crise du revenu agricole lors de notre dernier congrès. Il ressortait de nos discussions que nos membres savaient que les subventions n'étaient pas forcément l'une des causes premières de la crise. Nos membres admettent que les subventions ont effectivement toutes sortes de conséquences dans le monde. Elles causent des guerres commerciales et tout le monde fait du sur place, obnubilé par les subventions, mais si nous voulons trouver la véritable cause de la crise du revenu agricole, nos membres sont tout à fait disposés à chercher les véritables coupables.
Nous avons toujours soupçonné qu'elle est due au déséquilibre sur le marché. D'ailleurs, certains de nos membres sont même allés jusqu'à dire que les subventions européennes, américaines ou autres sont la conséquence plutôt que la cause de la faiblesse des revenus agricoles.
M. Garry Breitkreuz: Le problème que je vois dans tout cela c'est que vous n'avez présenté absolument aucune preuve que les pays du monde tentent délibérément de maintenir les prix des produits agricoles à un niveau très bas. Vous n'avez absolument pas démontré que tous les pays du monde agissent délibérément et de concert.
M. Darrin Qualman: Nous ne soutenons pas que les pays du monde tentent de maintenir les prix à des niveaux très bas. Nous disons que quand une centaine de milliers de très petits producteurs se retrouvent dans une chaîne qui est dominée à tous les maillons par un groupe de 2 à 10 sociétés ayant un chiffre d'affaires de plusieurs milliards de dollars, sans même qu'il n'y ait collusion entre ces sociétés, les petits producteurs en souffriront en raison du rapport de force qui joue contre eux.
M. Garry Breitkreuz: Si les pays d'Europe subventionnent leurs agriculteurs, ces derniers peuvent continuer d'exister même s'ils vendent leur grain sur le marché international à un prix inférieur à leur coût de production. N'est-ce pas admis? N'est-ce pas exact?
M. Darrin Qualman: Mais quelle autre solution y a-t-il? Sans subvention, l'agriculteur fait faillite. Certains diraient que s'il fait faillite, cela réduit d'autant la production.
M. Garry Breitkreuz: C'est faux. Ce n'est pas, à strictement parler, exact. Dire pareille chose signifie que l'agriculteur ne sera pas sensible aux signaux du marché et ne cultivera pas les produits qui sont en demande dans le monde. Or, si la subvention est versée pour certaines cultures dont le blé et l'orge, ils produiront du blé et de l'orge et écouleront les excédents sur le marché international, n'est-ce pas?
M. Darrin Qualman: Ils produiront du blé et de l'orge et rien d'autre.
M. Garry Breitkreuz: Oui.
M. Darrin Qualman: Nous abordons cette question dans notre mémoire. C'est un argument que nous entendons souvent, à savoir que les subventions faussent les choix de production, que les agriculteurs sont incités à produire les cultures subventionnées et à abandonner celles qui ne le sont pas. Il s'agit alors de savoir quelles cultures ils ne produisent pas—quelles superficies ils convertissent à d'autres cultures. Nous devrions normalement trouver sur les marchés mondiaux des produits cultivés en quantité insuffisante et qui se vendent donc à un prix plus élevé.
M. Garry Breitkreuz: Je vais rapidement manquer de temps, alors laissez-moi en venir à l'essentiel.
Personne n'a jamais prétendu que les subventions sont l'unique cause de la crise. La crise des revenus agricoles est imputable au fait que l'agriculture ne permet pas de dégager des bénéfices—c'est aussi simple que cela. Et pourquoi pas? Bien entendu parce que le cours des denrées est trop faible. Par ailleurs, les coûts des intrants sont aussi beaucoup trop élevés. Nous pouvons certainement nous entendre là-dessus.
Le véritable hic à mon sens c'est que vous divisez les agriculteurs en brouillant la situation. La crise agricole n'est- elle pas due essentiellement au fait que la marge est trop mince entre les coûts des intrants et les cours des denrées et que cet écart trop mince ne permet pas aux agriculteurs d'exister? Ne pouvons-nous pas nous entendre là-dessus?
M. Darrin Qualman: Je ne crois pas.
Il y a un autre problème et c'est que les flocons de maïs se vendent plus de 100 $ le boisseau tandis que le maïs se vend 3 $. Les agriculteurs ne sont pas malmenés uniquement par les producteurs d'intrants; ils le sont à tous les maillons de la chaîne. Ce qui nous apparaît intéressant c'est de voir qu'à chaque maillon de la chaîne agroalimentaire dont la valeur s'élève à plusieurs billions de dollars, les bénéfices sont très élevés à une exception près, le maillon des agriculteurs.
M. Garry Breitkreuz: Sauf le respect que je vous dois, vous ne répondez pas à ma question. Les coûts des intrants ne sont-ils pas plus élevés qu'ils ne devraient l'être?
M. Darrin Qualman: Certainement.
M. Garry Breitkreuz: Ils le sont. Et quel est l'un des principaux facteurs qui contribuent à ce niveau élevé des prix? C'est le fardeau fiscal qui est répercuté sur l'agriculteur qui lui ne peut pas en faire autant s'il veut être compétitif sur le marché international.
M. Darrin Qualman: Monsieur Breitkreuz, nous avons publié un communiqué la semaine dernière qui décrit la taxe sur les intrants, et il n'y en a tout simplement pas.
M. Garry Breitkreuz: J'ai dû mal entendre.
M. Darrin Qualman: Il n'y a pas de taxe sur les intrants agricoles. Sur l'engrais...
M. Garry Breitkreuz: L'Institut canadien des engrais a dit que 300 millions de dollars de taxes sont répercutés sur les agriculteurs.
Il y a aussi les prix du carburant—regardez le prix du carburant. Il n'y a pas que des taxes à payer à l'achat, lesquelles sont visibles, mais il y a une taxe intégrée qui est répercutée par les sociétés lorsqu'elles paient au nom de leurs employés les cotisations au Régime de pensions du Canada, ou quand la caisse de l'assurance-emploi est utilisée comme un trésor de guerre par le gouvernement. Les pétrolières répercutent ces coûts. Quand vous prenez toutes les redevances qu'elles doivent payer, elles n'assument pas ce coût ni celui de l'impôt sur le revenu des sociétés; elles répercutent ces coûts sur les agriculteurs. Et l'agriculteur lui ne peut pas en faire autant.
Ne reconnaissez-vous pas qu'il y a une taxe sur le carburant?
M. Darrin Qualman: Laissez-moi parler un instant.
Il y a une taxe sur le carburant.
M. Garry Breitkreuz: Absolument, et c'est une taxe sur un intrant.
M. Darrin Qualman: Sur les produits chimiques utilisés à la ferme, il n'y a quasiment pas de taxes. Nous avons demandé à Novartis et à Monsanto de nous fournir les données sur les taxes cachées dans le prix de leurs produits et ils n'ont rien trouvé. C'est zéro ou moins de... Je peux vous montrer la correspondance, et je vous invite à...
M. Garry Breitkreuz: Voudriez-vous me faire croire que quand une société paie des taxes elle ne les répercute pas? Quand elle paie des cotisations à l'assurance-emploi—et l'excédent est maintenant de 20 milliards de dollars—, elles ne répercutent pas cela en aval? Est-ce ce que vous voudriez me faire croire?
Le président: Ce sera votre dernier commentaire, Darrin.
M. Darrin Qualman: J'aimerais parler un instant des engrais.
Nous avons demandé à l'Institut canadien des engrais combien de taxe l'agriculteur paie sur un dollar, et on nous a répondu 15 p. 100. C'est 15 p. 100 en redevances sur le gaz naturel et en impôt sur le revenu des sociétés. Quand le prix des céréales a augmenté, les fabricants d'engrais ont augmenté leurs prix de 60 p. 100. Ce n'est pas les 15 p. 100 que nous avons du mal à accepter mais bien l'augmentation de 60 p. 100. Chaque fois qu'il y a une amélioration de la conjoncture, le prix des engrais augmente.
Nous croyons qu'il ne faut pas cesser de percevoir des redevances sur le gaz naturel ou d'impôt sur les bénéfices des sociétés. Les agriculteurs ne veulent pas que l'on cesse d'imposer les bénéfices des sociétés.
Le président: Merci, Darrin.
Monsieur Calder.
M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci, monsieur le président.
Darrin, Cory, je dois vous dire que tout cela m'apparaît très intéressant. J'aimerais aborder le sujet dans une optique différente.
Dans votre mémoire, vous dites qu'il n'y a pas d'excédent de céréales sur le marché international et pourtant, nous constatons que certains pays se livrent actuellement une guerre des subventions et c'est l'une des raisons pour lesquelles le cours des denrées est plus faible. Nous voyons aussi sur les trois tableaux que vous présentez que sur deux d'entre eux les États-Unis sont le seul pays à déclarer une production négative tandis que tous les autres déclarent une production positive, et pourtant il y a pénurie.
J'aimerais dans un premier temps savoir pourquoi les autres pays accordent des subventions et pourquoi ils font baisser le cours des denrées? Est-ce pour arracher des parts de marché ou quoi encore?
Ensuite—et je suis le produit du système de gestion de l'offre du Canada—, pourquoi un agriculteur déciderait-il de faire pousser une culture donnée sachant fort bien qu'il le fera à perte? Voici ma question: Quels facteurs influencent la décision d'un agriculteur de produire telle ou telle culture une année donnée? Et s'il est vrai que les subventions et celles de l'Union européenne en particulier ne sont pas la cause du problème, quelle devrait être la position du gouvernement à la prochaine série de négociations de l'OMC?
M. Cory Ollikka: Je vais répondre à la dernière question d'abord.
M. Murray Calder: Allez-y.
M. Cory Ollikka: Il y avait beaucoup de matière, et vous devrez nous rappeler les trois autres questions.
M. Murray Calder: D'accord.
M. Cory Ollikka: Quant à l'OMC, je crois que si c'est le déséquilibre des forces sur le marché qui est à l'origine de la crise des revenus agricoles, nous devons prendre des mesures pour rééquilibrer les forces sur le marché. Quand le gouvernement se présentera aux négociations de l'OMC, par exemple, il ne devra pas défendre ardemment uniquement nos systèmes de gestion de l'offre et les organismes de commercialisation ordonnée de nos produits—et je pense particulièrement à la Commission canadienne du blé—mais devra penser en fonction d'un horizon plus lointain. Pourquoi pas envisager un accord multilatéral sur le gel de la production de céréales, par exemple?
Il y aurait moyen d'adopter des solutions axées sur le marché qui permettraient de corriger l'équilibre des forces. Par exemple, pourquoi pas un accord multilatéral sur la réglementation des mouvements de capitaux? Si vous prenez l'exemple de M. Breitkreuz sur les intrants agricoles, si vous prenez la concentration des sociétés dans quasiment tous les maillons de la chaîne agroalimentaire, on peut difficilement parler de libre marché. Si vous réglementez le marché pour empêcher une trop grande concentration des sociétés dans un secteur donné, cela contribue à rééquilibrer le système et à laisser jouer la discipline du marché.
M. Murray Calder: Permettez-moi de me faire l'avocat du diable un instant. Quand vous parlez du gel de la production, et vous avez aussi dit qu'il n'y a pas un excédent de céréales sur le marché international, n'y a-t-il pas là contradiction? Je dois vous dire que je crois fermement à la solution du gel des terres car je crois que c'est une des mesures que le gouvernement peut prendre pour obtenir des crédits de quota d'émissions polluantes qui nous aideront à respecter le protocole de Kyoto.
Ce serait avantageux pour les agriculteurs de laisser leurs terres en jachère pendant quelques années. Cela leur donnerait le temps de repenser leurs modes de production. Or, cela ne contredit- il pas ce que vous dites dans ce rapport—qu'il n'y a pas d'excédent de céréales sur le marché international et pourtant vous parlez d'un gel des terres?
M. Cory Ollikka: Je vois pourquoi vous parlez de contradiction, mais vous devez voir—et je répète que la partie importante de mon argumentation est le deuxième élément, la réglementation internationale du capital transnational. Que l'on agisse sur la production, ou que l'on réglemente le marché du produit ou le marché des intrants agricoles ou tout ce que vous voudrez, il faut une réglementation telle que la concurrence bénéficie aux agriculteurs.
• 0945
Nous ne parlons pas d'une concurrence se réduisant à celle
entre John Deere et un autre constructeur de machines, par exemple.
La concentration dans ce secteur est beaucoup trop grande.
M. Murray Calder: D'accord.
Je vais revenir à ma première question, soit ce qui amène l'agriculteur à faire ses choix de production. Nous voyons toujours des producteurs dans l'Ouest cultivant du blé. Ils ont déjà décidé de semer du blé cette année. Or, ces dernières années ils ont perdu de l'argent sur le blé, mais ils vont de nouveau en semer cette année. S'ils se fient à l'expérience du passé, ils savent qu'ils vont probablement essuyer une perte cette année encore. Pourquoi persistent-ils dans ces décisions de production? Sont-ils pris dans un piège? Quelle est la raison?
M. Darrin Qualman: Eh bien, il y a là deux éléments. La raison pour laquelle les agriculteurs continuent de cultiver bien que perdant de l'argent, c'est qu'ils en perdent davantage s'ils ne produisent pas. Le deuxième est que les agriculteurs ont énormément fait pour s'adapter à la crise actuelle du revenu agricole. Les exploitations deviennent plus grosses. Elles emploient des technologies nouvelles, des semences génétiquement modifiées, des semoirs pour semer sans labour, et ils ne cultivent pas de blé.
Je vois des cultures étonnantes autour de chez moi depuis une dizaine d'années. Auparavant, on pouvait se promener le long de la route et on reconnaissait toutes les cultures. Maintenant, il faut s'arrêter pour vérifier: voilà des pois chiches, voilà des féveroles et voilà une nouvelle variété de lentilles. Les agriculteurs essaient toutes sortes de nouvelles cultures, espérant en trouver une qui soit profitable.
Je vais vous donner un petit exemple de ce qui se passe. Au début des années 90, nous avons commencé à cultiver des pois et faisions un bon profit à 6 $. En l'espace de quelques années, suffisamment de producteurs se sont lancés sur ce marché pour que le prix chute à 3 $. Donc, les producteurs manoeuvrent, changent de cultures, changent de moyens de production, et essaient de trouver quelque chose qui leur apporte un profit.
M. Murray Calder: D'accord.
J'ai une dernière question, monsieur le président, si vous le permettez.
En 1994, lorsque nous avons signé l'accord de l'OMC, il y avait 117 pays membres. Ce chiffre a maintenant augmenté. Je crois qu'il est de 136, et 35 autres demandent à entrer. Le cycle de négociation suivant est entamé. Pensez-vous que l'augmentation du nombre de pays membres de l'OMC aura une répercussion sur la position du Canada dans les nouvelles négociations? Je songe à l'influence des gros blocs commerciaux comme les États-Unis et l'Union européenne. Est-ce que cela va nous favoriser ou nous affaiblir dans le nouveau cycle de négociation?
L'augmentation du nombre de pays pourrait nous permettre de concerter nos positions et de nous regrouper avec d'autres petits pays. Est-ce que cela va diluer le pouvoir des États-Unis ou de l'UE dans ces négociations, pensez-vous?
M. Cory Ollikka: Je suis heureux que vous souleviez cet aspect car je voulais justement en dire quelques mots. Cela fait quelque temps que nous disons que notre alliance avec le groupe Cairns n'est pas toujours judicieuse. La position que nous devrions défendre à l'OMC est celle qui profite le mieux aux agriculteurs. En effet, un secteur agricole en bonne santé est bon pour l'économie. Nul ne le conteste.
Je pense que nos négociateurs et notre gouvernement mettent beaucoup trop l'accent sur l'accès aux marchés. On nous dit qu'il nous faut un meilleur accès aux marchés. On dit qu'il faut libéraliser les échanges, pour le bien des agriculteurs. Eh bien, nos exportations agricoles ont presque quintuplé au cours des 20 dernières années et le revenu agricole est en baisse. Manifestement, cette stratégie ne marche pas. Je crois qu'il faut revoir les notions. Il faut rechercher ce qui donne un pouvoir de marché aux agriculteurs, comme nous le préconisons dans le mémoire. Nous aurons beau obtenir l'accès que nous voulons à tous les marchés à bas prix du monde, nos agriculteurs ne s'en porteront pas mieux, pas même les industries d'exportation.
M. Murray Calder: Donc, en résumé, nous exportons plus et nous perdons plus d'argent en le faisant.
M. Cory Ollikka: Oui. Plus on produit, et plus on perd. Voilà la réalité.
M. Murray Calder: Oui.
Le président: Merci.
Avant de passer à Howard, pourrais-je poser une question à Cory ou à Darrin? Je ne sais pas si les négociations de l'OMC ne vont jamais démarrer ou non, mais comme vous le savez, le Canada et d'autres pays ont clairement fait savoir qu'ils viseraient prioritairement une réduction des subventions pendant les prochaines négociations à l'OMC. C'est ce qu'a déclaré le gouvernement canadien et de nombreux intervenants dans le secteur agricole et l'industrie agroalimentaire ont demandé au gouvernement d'en faire la priorité.
• 0950
Les conclusions qui se dégagent de votre étude sont, en
substance, que les subventions n'ont pas tellement d'effet sur le
cours actuel des céréales, qu'elles n'ont guère d'impact sur les
prix actuels des céréales, et pas non plus sur le volume de la
production, dont vous dites qu'elle n'est pas tellement
excédentaire. Étant donné ces conclusions, quelle position le
gouvernement canadien devrait-il adopter, au lieu de cibler les
subventions, lors des prochaines négociations à l'OMC? Devons-nous
simplement ignorer les subventions, puisque vous dites qu'elles
sont négligeables, et viser plutôt autre chose? Quelle devrait être
notre position, étant donné vos conclusions?
M. Darrin Qualman: Si le gouvernement canadien cessait d'exiger des Européens l'arrêt de subventions, cela permettrait d'adopter une stratégie différente, une stratégie très fructueuse, rapide et efficace. Si les gouvernements canadien, américain et européens et d'autres exportateurs prenaient une feuille de papier et inscrivaient l'engagement de retirer de leur production 5 p. 100 des terres et ensuite 1 p. 100 de plus chaque année... Les chiffres peuvent varier, il faudrait que vos analystes déterminent quel pourcentage retirer de la production. Si l'on retirait des terres de la production jusqu'à ce que l'excédent disparaisse, on verrait les prix augmenter très rapidement.
Cela présenterait l'avantage de rendre les subventions inutiles. Les cours mondiaux augmenteraient, il ne serait plus nécessaire de subventionner les agriculteurs américains. C'est une stratégie beaucoup plus directe, quand nous demanderions aux Américains et aux Européens de faire quelque chose à quoi ils sont déjà enclins, à savoir introduire des programmes de retrait des terres. Les Européens et les Américains en ont déjà, pas le Canada.
Nous réaliserions ainsi tous nos objectifs. Nous pourrions nous entendre au lieu de nous disputer, ce que nous allons faire pendant les 20 prochaines années si nous exigeons que les Européens arrêtent simplement de subventionner. Au lieu d'attendre 10 ou 15 ans une solution de la crise du revenu agricole et du problème des subventions, on verrait probablement des effets spectaculaires en l'espace de cinq.
C'est la raison pour laquelle le SNA énonce cette position. Nous pensons qu'il est réellement important d'expliquer que le problème ne réside pas dans les subventions de l'Union européenne. Cela ouvre une perspective entièrement nouvelle sur ce que nous pouvons faire à l'OMC. Cela permet d'envisager des options de rechange qui sont beaucoup plus efficaces et portent fruit beaucoup plus vite. Voilà donc ce que vous devriez faire à l'OMC, à notre avis.
Le président: Lorsque vous demandez que des terres soient progressivement retirées de la production, vous pensez que cela éliminerait la surproduction qui existe censément. Mais vous dites aussi que cette surproduction est un mythe, un fantôme. À quoi sert-il d'avoir un programme pour régler un problème inexistant? Vous avez déjà dit qu'il n'y a pas de surproduction. Pourquoi chercher à résoudre un problème inexistant?
M. Darrin Qualman: C'était déjà l'argument de M. Calder, à savoir qu'il est contradictoire de demander une baisse de production alors que nous prétendons qu'il n'y a pas de surproduction. Mais c'est précisément la raison pour laquelle ce serait très efficace. Du fait que l'approvisionnement est déjà si serré, et vu que les stocks mondiaux sont aux alentours de leur niveau le plus bas depuis 40 ans, la mise en friche d'une petite proportion des terres amènerait très rapidement des augmentations de prix.
S'il y avait effectivement surproduction, si l'offre était excessive et bien supérieure à la demande, alors cela prendrait beaucoup de temps et il faudrait retirer de la production des superficies importantes. Mais vu que l'approvisionnement est déjà très serré, il suffirait de mettre hors circuit une toute petite superficie des terres cultivables pour obtenir des effets très importants.
La réponse la plus directe à votre question est que les marchés fonctionnent sur la base de perceptions et que la perception veut qu'il y ait surproduction. Un accord multinational assorti d'échéances claires et démontrant que le but d'une réduction de l'offre sera réalisé transformerait cette perception presque du jour au lendemain, à mon avis, et on verrait les prix augmenter très rapidement.
Le président: Howard.
M. Howard Hilstrom: Merci, messieurs.
Vous dites que l'on pourrait amener ces pays à prendre une feuille de papier et retirer 5 p. 100 des terres cultivées. Savez- vous comment on peut arriver à cette feuille de papier? On y arrive au moyen de négociations internationales à l'OMC.
Or, je retire l'impression de votre document que vous êtes carrément opposés aux négociations à l'OMC. Comment obtiendriez- vous cet accord entre les pays sans...? Il ne suffit pas d'une décision canadienne, il faut rallier les États-Unis et l'Union européenne.
Ne pensez-vous pas que l'OMC soit le meilleur endroit pour chercher des solutions aux problèmes agricoles dans le monde, mettant en jeu les importations et les exportations?
M. Darrin Qualman: Comme Cory l'a indiqué, l'OMC est synonyme d'augmentation des exportations, d'augmentation des échanges, et cela n'a rien apporté aux agriculteurs. Comme Cory l'a indiqué, nos exportations ont énormément augmenté, mais le revenu agricole a néanmoins chuté.
Peu importe quelle instance on utilise, que ce soit l'OCDE ou l'OMC ou autre chose. Nous pensons qu'un accord multinational sur la production agricole serait efficace. Mais ce que nous avons vu, c'est que les pays vont à l'OMC et font les mauvaises choses. Ils se battent au sujet des subventions de l'Union européenne. Ils travaillent sur des moyens d'augmenter la production. Nous préconisons une optique entièrement différente dans les négociations sur le commerce agricole, que ce soit à l'OMC ou dans une autre enceinte.
M. Howard Hilstrom: Et quelle serait cette optique différente?
M. Darrin Qualman: Eh bien, nous disons qu'il faut renoncer à l'approche conflictuelle pour obtenir la suppression des subventions européennes en faveur de la collaboration. S'ils sont d'accord, s'ils pensent que le problème tient à la surproduction, qu'on le règle.
M. Howard Hilstrom: D'accord.
Le président: Une gestion mondiale de l'offre—voilà ce que vous voulez.
M. Darrin Qualman: Non, pas la gestion de l'offre au sens où nous la pratiquons au Canada...
Le président: La gestion de la production, alors.
M. Darrin Qualman: ...Mais la gestion de l'offre au sens où les États-Unis et l'Europe l'ont utilisée traditionnellement. Ils avaient besoin de mettre hors culture une certaine superficie, pour éviter de gros excédents de production.
M. Cory Ollikka: Ne nous disputons sur les termes. Tout le monde à l'OMC convient que les échanges mondiaux doivent être régis par des règles. Il n'y a rien de mal à cela. À qui profitent les règles? Jusqu'à présent, le fait que l'on insiste toujours dans le monde sur l'accroissement des exportations n'a strictement rien apporté aux agriculteurs, nulle part au monde.
Tout ce que nous demandons, c'est que vous changiez l'optique. Encore une fois, peu importe que ce soit par le biais de l'OCDE ou de l'OMC. On change l'optique, afin de viser d'abord à l'avantage des producteurs, et ce par le biais d'une discipline. Qu'est-ce que le commerce fondé sur des règles, sinon d'introduire une discipline? Appelez cela gestion de l'offre ou accolez-y toute étiquette quasi-marxiste que vous voudrez, si vous voulez rebuter les gens. Appelez cela comme vous voulez. Tout ce que nous disons, c'est qu'il faut cesser de privilégier exclusivement les exportations et viser plutôt un accord international de coopération qui limite le pouvoir des multinationales et laisse jouer le marché là où il donne les meilleurs résultats.
M. Howard Hilstrom: Merci de ces précisions. Sachez bien, Cory, que nul autour de cette table, d'aucun côté, ne dispute vos propos. Nous apprécions que vous soyez venus pour nous faire part de vos points de vue. Nous avons parcouru votre texte, et nous l'examinerons de plus près, pour y trouver les joyaux qui pourraient nous servir. Mais je trouve dommage que ce document soit en fait un document politique. Cela nuit probablement à vos arguments.
À titre d'exemple, je lis tout en haut de la page 24: «La force des compagnies privées est à l'origine de la crise du revenu.» C'est une affirmation plutôt catégorique. Il me semble que la crise du revenu est due à beaucoup plus que cela. Comme je l'ai mentionné précédemment, il y aussi le pouvoir syndical. Les syndicats et sociétés, ensemble, font le pouvoir des sociétés multinationales, internationales et des grosses sociétés nationales.
J'insiste là-dessus car vous poursuivez en écrivant: «les négociations de l'OMC visent à accroître considérablement cette force.» Pour ma part, j'estime que les négociations à l'OMC visent à ce que les échanges soient déterminés par des considérations scientifiques sur ce que l'on peut importer et exporter, etc, plutôt que par des décisions subjectives de la part des pays.
• 1000
C'est peut-être là un point de vue politique que je défends,
mais cela me paraît un principe équitable, et permettant d'éliminer
la subjectivité. La multifonctionnalité—vous n'avez pas employé le
terme, mais c'est à cela que tout revient—en Europe expose tous
les échanges commerciaux à ce type de prise de décision subjective.
Donc, si les échanges mondiaux de produits agricoles commençaient à diminuer et que l'on finissait par se retrouver avec ces offices de commercialisation—comme ceux que le Canada possède en ce moment—la question est...
Le président: Essayez d'être bref, Howard. Nous avons déjà dépassé le temps prévu.
M. Howard Hilstrom: Eh bien, vous avez utilisé un peu du mien, monsieur le président.
Le président: Non, j'ai utilisé le mien seulement. Je n'ai pas puisé dans votre temps de parole.
M. Howard Hilstrom: Si nous avions ces offices de commercialisation pour tous les produits agricoles—et je parle ici de la Saskatchewan, de l'agriculture des Prairies—et exportions 50 p. 100 de notre production agricole, que ferions-nous du reste? Mettrions-nous en friche toutes ces terres? Que ferions-nous? Que feriez-vous si nous n'échangions, n'exportions pas? Que feriez-vous de toute cette superficie?
M. Cory Ollikka: Ne croyez pas que nous préconisions d'arrêter les échanges ou les exportations, mais il existe manifestement des solutions canadiennes auxquelles nous avons eu recours par le passé. Je citerai, par exemple, le système du double prix du blé, un système très simple qui a profité aux agriculteurs.
Vous pouvez introduire ce genre de programmes favorisant vos agriculteurs et ayant un effet négligeable sur le marché mondial. Cela n'empêche pas d'exporter.
Je parlais à un groupe de producteurs de pomme de terre du Nouveau-Brunswick il y a une semaine ou deux. Nul ne pense que nous allons cesser de commercer et d'exporter, mais il faut que ce soit des échanges et des exportations respectant l'intérêt des producteurs. Or, ce n'est pas le cas. Nous avons vu les chiffres.
M. Howard Hilstrom: Merci.
Le président: Nous avons tous vu les prix du pétrole augmenter de 30 à 40 p. 100 au cours des derniers mois. On nous dit que c'est parce que l'OPEP a contrôlé ou limité sa production. Proposeriez- vous une OPEP pour les produits agricoles, dans l'intérêt des producteurs primaires?
M. Cory Ollikka: On pourrait dire que nous l'avons déjà en ce moment. Simplement, ce type de concentration du marché aux mains de conglomérats n'est pas contrôlé par les producteurs du monde.
Cargill, je crois, vient de fusionner avec Continental Grain. On m'a dit que 40 p. 100 des céréales du monde vont passer entre les mains de cette entité à un moment ou un autre. Ce n'est pas que cette entité va contrôler entièrement ce volume, mais il va lui passer entre les mains.
Donc si vous...
Le président: Mais l'OPEP est contrôlée par les producteurs de pétrole. Dites-vous que vous souhaitez une organisation de type OPEP contrôlée par les producteurs agricoles primaires?
M. Cory Ollikka: Je pense que si vous posiez la question à n'importe quel agriculteur du monde, il vous répondrait probablement que ce serait une bonne idée.
Le président: Merci.
Monsieur Calder, je pense que vous avez fait signe...
Rose-Marie, avez-vous levé la main?
Mme Rose-Marie Ur (Lambton—Kent—Middlesex, Lib.): Oui, il y a pas mal de temps.
Le président: Désolé, Rose-Marie. Vous avez un nom tellement court...
Mme Rose-Marie Ur: Je sais que vous faites semblant de ne pas me voir, mais croyez-moi...
Le président: ...il se perd dans l'ombre de Murray Calder.
M. Murray Calder: Écoutez, j'ai essayé de l'ignorer, mais j'y ai renoncé.
Le président: Désolé, Rose-Marie, allez-y.
Mme Rose-Marie Ur: Il n'y a pas de quoi.
Je vous remercie de votre exposé. Je peux vous le dire, votre vision est constamment présentée dans toutes les réunions de la Fédération de l'agriculture auxquelles j'assiste. Ce fut encore le cas samedi dernier, avec les agriculteurs de ma circonscription. Je serais intéressée de voir comment ceux qui pensent que les subventions sont à l'origine du problème réagiront au compte rendu de cette séance.
Ma position, c'est que le Canada possède un territoire très vaste et les agriculteurs les plus efficients du monde. Ils ne cessent d'améliorer leur savoir-faire. Nous n'avons pas une population en rapport avec notre production alimentaire. Si nous fermions les frontières du Canada, que diriez-vous aux producteurs canadiens de faire avec leurs cultures? Nous n'avons pas une population suffisante pour consommer ce que nous produisons. Que feraient les agriculteurs? N'aurions-nous pas alors une nouvelle crise?
M. Cory Ollikka: Je ne pense pas. Encore une fois, nous ne préconisons pas de fermer nos frontières ou de cesser les échanges.
Parlez-vous plus particulièrement d'un arrêt de la production?
Mme Rose-Marie Ur: Non. Les agriculteurs canadiens doivent cultiver pour faire un profit, mais s'ils continuent à produire pour faire un profit, il n'y a pas suffisamment de consommateurs au Canada pour absorber la production. Que se passera-t-il alors? Nous avons besoin des marchés d'exportation, mais nous devons également protéger le producteur primaire. Comment concilier les deux?
Vous dites qu'il faut réduire les exportations, et je conviens qu'il faut protéger le producteur primaire. Dans votre scénario, ils sont perdus.
M. Cory Ollikka: Actuellement, les deux semblent contradictoires, mais ce n'est pas inéluctable.
Encore une fois, je pense que l'on peut avoir un système commercial mondial équitable pour les agriculteurs. Je pense qu'il incombe à notre gouvernement et à tous les gouvernements du monde de négocier un système commercial qui avantage en tout premier lieu les agriculteurs et les collectivités rurales, qui profite aux économies rurales et, par ce biais, à l'économie nationale. Et cela ne me paraît pas irréaliste. Je pense simplement que les puissances qui comptent en ce moment dans le système commercial mondial n'ont à coeur les intérêts des exploitations agricoles familiales nulle part au monde.
Mme Rose-Marie Ur: Dans votre mémoire, vous dites que les consommateurs déboursent des billions de dollars pour la nourriture et que les prix qu'ils paient augmentent chaque année. Justement, comment faire comprendre au consommateur que notre politique de nourriture à bon marché n'est pas viable si on veut préserver la qualité de la nourriture? Il faut dépasser cette conception voulant que des aliments à bas prix soient la solution pour le monde, car ce n'est pas vrai.
M. Cory Ollikka: Je suis d'accord.
Mme Rose-Marie Ur: Nous souffrons, et c'est cela le message qu'il faut transmettre au consommateur.
Il y a une épicerie dans ma circonscription en train de fermer. Une autre va ouvrir et j'aimerais y emmener certains des consommateurs. Les rayons sont à moitié vides. Si nous ne faisons rien, c'est ce que nous verrons chaque jour en allant faire nos courses.
M. Darrin Qualman: Nous formulons là ce que nous pensons être une proposition intéressante, une proposition vitale. Nous devons chercher, à l'échelle internationale, à contrôler l'offre.
À l'échelle nationale, si vous voulez prendre demain une mesure législative, promulguez une loi—qui ne coûtera rien au gouvernement—exigeant que les détaillants indiquent la part de l'agriculteur sur chaque produit alimentaire vendu au magasin. Cela déplacerait radicalement le débat pour le centrer sur la crise du revenu agricole si le consommateur, chaque fois qu'il achète un pain qui lui coûte 1,40 $, voyait que l'agriculteur touche cinq cents, et chaque fois qu'il achète une caisse de bière pour 15 $, il voyait que l'agriculteur touche 14 cents. C'est la vérité, nous avons vérifié, sur une caisse de bière de 15 $, l'agriculteur touche 14 cents.
Nous pensons que ce serait radical. C'est ce qui se fait en Europe. En France, pendant une courte période, on affiche la part de l'agriculteur sur les fruits et légumes. Nous vous recommandons instamment d'en faire autant. Cela changerait fondamentalement la perception du public, car nous n'avons pas au Canada une politique de nourriture à bon marché. Nous avons une politique de produits bruts à bon marché, mais les produits d'épicerie coûtent très cher.
Mme Rose-Marie Ur: Je suis d'accord avec vous dans une certaine mesure, mais ayant été agricultrice dans ma vie antérieure, je peux vous dire que lorsque j'allais vendre sur le marché des producteurs, lorsque nous nous sommes lancés dans la culture de légumes, les acheteurs ne s'arrêtaient guère aux étals qui vendaient le chou-fleur à 1,50 $; faites-moi confiance, ils fréquentaient tous les étals où ils l'obtenaient pour 99 cents. Ils ne vont donc pas trop se tracasser pour l'agriculteur. Ce qu'ils veulent, c'est le prix le moins cher.
D'une certaine façon, c'est une bonne chose. Je suis certainement en faveur de votre idée, mais je peux vous le dire, lorsque les gens viennent au marché le samedi matin, ils ne vont pas payer le prix le plus fort. Ils ne vont pas se dire, je suis un bon Canadien et j'apprécie les agriculteurs, et je vais payer 1,50 $, et celui qui vend à 99 cents n'a rien compris.
M. Darrin Qualman: Ce n'est pas tout à fait cela notre argumentation. Nous admettons que les Canadiens veulent des aliments bon marché, et ce qui va se passer, selon nous...
Mme Rose-Marie Ur: Et ils les ont—et la qualité en plus.
M. Darrin Qualman: Mais lorsqu'ils regardent une boîte de céréales vendue à 4 $ et que l'agriculteur touche 20 cents, je pense que ces Canadiens qui veulent des aliments bon marché se demanderont, puisque l'agriculteur touche seulement 20 cents, qui empoche tout le reste de mon argent? Qui empoche le reste, et comment se fait-il que je paie si cher? Comment se fait-il, lorsqu'un agriculteur touche 3 $ pour un boisseau de maïs, je dois payer 100 $ un boisseau de flocons de maïs?
• 1010
Je conviens donc que les consommateurs veulent des aliments
bon marché, et c'est pourquoi il serait très efficace de leur
montrer un peu combien touche le producteur et qu'ils se demandent
qui empoche le reste.
Le président: En fait, Darrin, on me dit que l'affichage de la part des agriculteurs en France n'a pas beaucoup modifié les perceptions.
Monsieur Ritz.
M. Gerry Ritz (Battlefords—Lloydminster, Réf.): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de votre exposé et de votre comparution aujourd'hui. Je pense qu'il va réellement falloir chercher des solutions non conventionnelles si on veut faire une différence au Canada et dans le monde, et je vous remercie donc de votre prémisse. Je n'accepte pas sans réserve tout ce que vous dites ici, mais j'y trouve quelques amorces d'idées.
Une grosse partie du problème que nous constatons dans le secteur agricole est l'aspect marge. Il n'y en a pas. Il n'y a pas d'encre noire en bas du bilan. Les prix augmentent légèrement et les coûts des intrants augmentent en parallèle. C'est ce que vous disiez—que la dernière hausse des engrais était de l'ordre de 60 p. 100. Lorsque vous parlez d'assurer un meilleur rendement à l'agriculteur, comment doit-on donc faire pour que les coûts des intrants demeurent raisonnables, afin que l'agriculteur puisse réaliser un rendement et que tout l'argent ne soit pas englouti dans les intrants, et ainsi de suite? Voilà ma première question.
Deuxièmement, l'une des expressions à la mode que l'on entend souvent est «valeur ajoutée». Vous parliez de la boîte de céréales vendue à 4 $, la part de l'agriculteur étant de 20c. Comment l'agriculteur peut-il doubler sa part? En étant par exemple propriétaire d'une partie de l'entreprise qui produit ces flocons de maïs.
La prémisse à partie de laquelle fonctionne la Commission du blé est que la transformation devrait se faire au point de consommation. Êtes-vous de cet avis, ou bien cela devrait-il se faire dans les Prairies, afin d'y créer l'activité économique nécessaire pour que cela puisse appartenir aux agriculteurs et être contrôlé par eux? Dans le cas de la pomme de terre à l'Île-du- Prince-Édouard, je sais qu'il y a des usines McCain sur place; je n'en ai pas vues à Toronto. L'idée est que le consommateur ne paiera pas le transport de la farine de la Saskatchewan à Toronto; il doit le payer si le travail de transformation se fait à Toronto, et je suis contre cela. Qu'en pensez-vous?
M. Cory Ollikka: En ce qui concerne votre dernier point, il nous apparaît clairement que les orientations choisies par le gouvernement fédéral au cours des 15 ou 20 dernières années, peut- être avec les meilleures intentions du monde quant à la création de valeur ajoutée dans les Prairies, en éliminant le tarif du Nid-de- Corbeau, par exemple, n'ont pas abouti. Nous n'avons rien vu de ce qui était attendu, et voici qu'ils sont de nouveau sur le point de pousser plus loin encore la déréglementation des transports, ce qui, nous en sommes convaincus, ne va pas... C'est le syndrome du «un petit peu plus».
En ce qui concerne la Commission du blé et la transformation sur place dans les Prairies, je ne pense pas que vous nous entendrez beaucoup contester l'idée de faire faire la transformation dans les Prairies. En fait, nos discussions avec la Commission canadienne du blé ne corroborent pas ce que vous dites. D'après nos réunions, la Commission du blé est très désireuse de travailler avec les entreprises de transformation dans la région des Prairies dans la mesure où cela ne nuira pas à la mise en commun du prix ni à l'équité en matière de livraison pour tous les producteurs.
Je pense qu'il existe peut-être là beaucoup de possibilités, mais ce qu'il faut absolument éviter c'est de placer les agriculteurs dans une situation contradictoire, car cela ne servirait personne. D'un côté, en étant propriétaire d'une partie d'une société que vous espérez voir réaliser un profit, cela vous place-t-il dans une situation de conflit d'intérêts du fait que vous recherchiez une matière première bon marché? Vous ne voulez pas saper les principes de la mise en commun du prix et de la mise en marché par l'agriculteur lui-même.
M. Gerry Ritz: Mais selon la directive de la commission, la transformation devait se faire au point de consommation.
M. Cory Ollikka: Oui, mais c'était pour protéger le mécanisme de mise en commun du prix. Cela ne veut pas dire qu'il ne devrait pas y avoir de transformation dans les Prairies.
M. Gerry Ritz: Si. Nous avons vu le tarif du Nid-de-Corbeau disparaître, cela est clair, mais nous n'avons pas obtenu la déréglementation qui aurait permis l'implantation de cette activité de transformation. L'autre moitié de l'équation ne s'est pas réalisée, mais il faut qu'elle se réalise. C'est cela qui va amener une augmentation des prix, si nous parvenions à faire quelque chose avec nos produits.
Y a-t-il différentes choses qui devraient être faites avec nos produits? Devrions-nous nous tourner davantage vers l'éthanol, le biodiésel, et autres choses de ce genre? Les Canadiens pensent avoir droit à des produits alimentaires bon marché. Devrions-nous commencer à examiner d'autres aspects, d'autres choses que nous pourrions faire de notre production?
M. Cory Ollikka: Encore une fois, je ne pense pas que l'une quelconque de ces choses soit une mauvaise idée, mais aucune d'entre elles ne suffira à elle seule à régler le problème.
Comme l'a souligné Darrin, nous avons vu des agriculteurs se diversifier et se lancer dans quantités de choses. Il y a des gens qui élèvent des autruches et qui ont toutes sortes de cultures différentes sur leur terre. Même si l'on tient compte de tout cela, le revenu net agricole réalisé, soit le rendement qu'obtiennent les agriculteurs sur leurs avoirs, est toujours de 0,7 p. 100.
M. Gerry Ritz: Oui.
M. Cory Ollikka: Toutes ces choses sont donc de merveilleuses idées, et nous ne devrions pas les écarter, mais sachez que nous avons été extrêmement souples dans le Canada rural, et que nous continuerons de l'être.
M. Gerry Ritz: Cela fait-il partie du problème, le fait qu'on soit pris dans cette diversification, qu'on ait dépensé de l'argent pour la faire mais qu'on attende toujours que cet investissement rapporte et qu'on soit coincé dans cette transition?
M. Cory Ollikka: Non, je ne le pense pas. Je pense que la diversification a donné son maximum. À mon avis, la question ici est celle de problèmes d'orientation plus vastes.
M. Gerry Ritz: Merci.
Le président: Je pense que Rose-Marie avait une petite question, après quoi Murray...
M. Murray Calder: Non, allez-y.
Mme Rose-Marie Ur: Vous avez dit que la faiblesse des prix agricoles n'a pas été causée par les subventions. Si c'est bien le cas, quelle approche le gouvernement devrait-il donc suivre lors de l'audience pour modifier sa position en ce qui concerne les subventions? Comment le gouvernement devrait-il aborder la question en prévision des audiences proposées? Si le problème n'est pas le fait des subventions, comment le gouvernement doit-il défendre sa position?
M. Darrin Qualman: Nous pensons que l'accent devrait être mis ailleurs. Nous ne croyons pas que continuer de nous disputer au sujet des subventions bénéficiera aux agriculteurs, et cela ne va de toute façon rien rapporter dans un proche avenir. Les Européens ont déclaré qu'ils ne vont pas mettre fin aux subventions.
Mme Rose-Marie Ur: Alors, allons-nous tout simplement nous écraser et laisser faire?
M. Darrin Qualman: Si ce n'est pas cela qui cause le problème, s'il y a peu de chances que vous parveniez à changer grand-chose et s'il y a d'autres choses, plus bénéfiques, que vous pourriez poursuivre à long terme, nous ne pensons pas que vous devriez vous écraser et laisser faire, mais vous voudrez peut-être cesser de parier sur un cheval perdant et en choisir un bon.
Mme Rose-Marie Ur: Très bien. Et quels sont vos rares bons chevaux que le gouvernement devrait choisir?
M. Darrin Qualman: Comme je l'ai expliqué, la prochaine fois que vous participerez à ces négociations, travaillez tout simplement avec les principaux exportateurs de grains du monde et posez-leur la question suivante: pourquoi ne retirerions-nous pas de la production une partie de nos surfaces cultivées? Envoyez aux grosses sociétés céréalières du monde un signal clair que nous allons réduire chaque année la production mondiale jusqu'à ce qu'il y ait une augmentation sensible des prix. On verrait des résultats en peu de temps. Au début des années 70, les entrepôts à céréales étaient pleins, et les gens échangeaient du grain contre des machines agricoles. En 1974, le prix avait triplé. Les choses peuvent changer très rapidement. Mais si vous attendez de convaincre les Européens d'arrêter de subventionner leur agriculture et attendez ensuite d'en voir les effets, il n'y aura rien avant 15 ans, si même la chose est possible.
Mme Rose-Marie Ur: Le problème est que le Canada est un si petit producteur comparativement à d'autres pays qu'en allant à la table représentant nos producteurs canadiens et disant que nous allons retirer des surfaces en vue de réduire la production, aux yeux de certains pays, cela sera acceptable...
M. Darrin Qualman: Nous comptons parmi les cinq premiers exportateurs de blé dans le monde. Dans le cas du blé dur, nous sommes au premier rang mondial...
Mme Rose-Marie Ur: Mais d'autres pays s'y lancent et produisent eux aussi de plus en plus. La Chine, qui était autrefois un marché fantastique pour nous, est un bon exemple. Autrefois, c'était nous qui fournissions la nourriture, mais nous leur avons depuis montré comment faire, et cela revient nous hanter, indirectement peut-être. Il nous faut toujours garder à l'esprit la taille du Canada sur ce terrain de jeu. Il nous faut des règles du jeu équitables, mais la taille du joueur compte aussi.
M. Darrin Qualman: Je pense que vous avez tout à fait raison. C'est pourquoi lorsque les États-Unis ont retiré certaines terres de la production et que le Canada, l'Australie et l'Argentine ne l'ont pas fait, cela n'a pas fonctionné. L'Europe l'a fait pendant quelque temps, mais d'autres pays n'ont pas suivi. C'est pourquoi tout le monde doit le faire. C'est pourquoi il faut un accord international, car le Canada ne peut pas seul influer sur le cours mondial du grain.
Mme Rose-Marie Ur: Comme l'un de vous a dit, en Europe, les campagnes sont parsemées de petites fermes, de fermes laitières, de vaches qui paissent dans la vallée, de paysages pittoresques et ainsi de suite. Pourquoi alors lorgne-t-on du côté des États-Unis et du Canada? Les collectivités se plaignent, disant qu'elles n'en veulent pas des odeurs et qu'il n'y a pas suffisamment de place pour l'épandage du fumier. Venez au Canada. Nous avons beaucoup de place. C'est tout joli, tout beau. Les gens quittent ces campagnes car ils ne peuvent pas être agriculteurs et ils ne peuvent pas gagner leur vie. Ils viennent au Canada pour s'établir ici.
M. Darrin Qualman: Je ne suis pas certain qu'ils ne gagnent pas leur vie. Bien des gens se défont de leurs exploitations en en retirant des millions de dollars, ils les vendent à des personnes qui pensent pouvoir y gagner leur vie. C'est pourquoi ils versent ces millions de dollars pour acheter ces bâtiments et ces terres. J'imagine qu'ils viennent ici tout simplement parce qu'il est possible de vendre 100 acres en Belgique et d'en acheter 10 000 ici au Canada, et d'avoir encore de l'argent dans ses poches une fois le marché conclu. Je ne pense pas que ce soit plus compliqué que cela.
M. Cory Ollikka: J'aimerais vous raconter une petite anecdote. Je discutais avec un agriculteur saskatchewannais il y a environ deux ou trois semaines, et il m'a dit: «Je pense qu'il nous faut aller à Ottawa et tout simplement dire que nos ancêtres sont venus il y a 100 ans et se sont établis dans les Prairies en guise d'expérience mais que celle-ci n'a pas porté fruits et que nous allons donc tous retourner en Europe.» C'est ce que les gens racontent dans l'Ouest du Canada...
Mme Rose-Marie Ur: Ils n'y ont pas séjourné ces dernières années. Je pense que l'on voit apparaître là-bas une structure qui est un carcan pour les agriculteurs, et ceux-ci espèrent y échapper en venant au Canada.
M. Cory Ollikka: Vous avez parlé des odeurs et ces choses et de ces exploitations intensives: l'on entend les mêmes genres de critiques tout autour de Lethbridge et partout au Manitoba—ça pue et ce n'est pas une blague.
Le président: Merci.
Howard.
M. Howard Hilstrom: Je n'ai qu'une petite question à poser. Je pense qu'il est vrai qu'aux Pays-Bas, c'est le petit agriculteur qui a plus ou moins pollué le pays, avec 10, 20, 30 cochons et deux ou trois vaches, Alors vous ne pouvez pas dire que c'est la faute aux grosses fermes, aux petites exploitations, ou autres. Il peut y avoir pollution dès qu'il y a surproduction dans un espace géographique donné. J'ignore si la taille de l'exploitation a quelque chose à y voir.
Au Manitoba, il y a eu dans le Winnipeg Free Press des articles au sujet de la question de la Commission canadienne du blé, à laquelle s'est beaucoup intéressé votre représentant, Ken Sigerdson, non seulement au congrès provincial des néo-démocrates mais également en faisant du piquetage devant le président des TUAC, Bernard Christophe. Vous appuyez la position du gouvernement selon laquelle la Commission canadienne du blé devrait rester en place et tous les cultivateurs, qu'ils veulent ou non vendre leur production par l'intermédiaire de la Commission du blé, devraient y être obligés. Pourquoi ces cultivateurs qui ne veulent pas relever de la Commission canadienne du blé devraient-ils être obligés de vendre par son intermédiaire? Qu'y a-t-il de mal avec l'idée de les laisser vendre comme bon leur semble, selon leur intérêt? Qu'y a-t-il de mal avec cela, même s'ils font faillite? Pourquoi le Syndicat national des cultivateurs pense-t-il savoir ce qui est dans l'intérêt d'un tel cultivateur qui veut vendre lui- même ses produits?
M. Darrin Qualman: Le SNA est d'avis que les agriculteurs devraient collectivement et démocratiquement décider de la façon de commercialiser leurs produits, et une majorité écrasante des cultivateurs se sont prononcés en faveur de la Commission canadienne du blé. Il se trouve que dans notre société il n'existe pas de droits inconditionnels. Les droits sont délimités par la société dans son ensemble. Vous êtes sans doute propriétaire d'une maison. Si j'achète la maison à côté de la vôtre et que je décide que ce sera un repère des Hell's Angels...
M. Howard Hilstrom: Je suis un petit agriculteur.
M. Darrin Qualman: Si j'achetais les terres adjacentes à votre ferme et que j'y montais un bar des Hell's Angels ou que je faisais la même chose à côté d'un citadin, quelqu'un dirait: «N'y a-t-il pas une loi en matière de zonage? Êtes-vous autorisé à faire cela?» Nous n'avons pas, dans notre pays, le droit inconditionnel de faire ce que nous voulons. Nous prenons des décisions collectivement et nous avons des lois. Nous avons des limites de vitesse, etc., et nous acceptons de nous y plier. En ce qui concerne la Commission canadienne du blé, je pense qu'on a maintes fois posé la question aux agriculteurs et ils ont maintes fois répondu que oui, ils veulent appuyer la Commission canadienne du blé, ils veulent que cet organisme soit maintenu et ils veulent qu'il soit fort.
Le président: Merci.
Murray.
M. Murray Calder: Merci beaucoup, monsieur le président.
Je pense qu'avant que nous ne terminions, il nous faut poser deux très vieilles questions auxquelles nous autres agriculteurs sommes confrontés depuis des années. Tout d'abord, malheureusement, en tant que producteurs d'aliments, les producteurs primaires ont toujours été acculés au mur et obligés de prendre ce que le marché est prêt à leur offrir. Peu importe quels sont nos frais généraux ou autres. Les céréaliculteurs de l'Ouest sont justement aujourd'hui confrontés à cette situation. Comment faire pour corriger le problème? Y a-t-il moyen de le corriger? Auriez-vous des idées quant à ce que nous pourrions faire pour tenter de le corriger?
Deuxièmement, si vous examinez l'histoire du secteur agricole, vous verrez qu'après la Deuxième Guerre mondiale, environ 46 p. 100 de la population travaillait dans le secteur agricole. Aujourd'hui, le pourcentage n'est que 2,5. Un demi pour cent des agriculteurs produisent 80 p. 100 des aliments tandis que 2 p. 100 en produisent 20 p. 100. Que cela nous dit-il?
M. Cory Ollikka: En ce qui concerne votre première question, je pense que ce n'est pas un secret, et tout le monde déplore le fait que dans l'ensemble les agriculteurs doivent accepter les prix qu'on leur propose, mais je ne crois pas que c'est ce qu'on verrait dans un marché qui fonctionne comme il le devrait. J'estime que quiconque prétend être en faveur d'un marché libre doit s'ouvrir les yeux. Les marchés libres ne me posent pas de problème, mais je vous défie de m'en montrer un seul dans le monde qui existe véritablement.
Il y a aux États-Unis la Packers and Stockyards Act, que certains d'entre vous connaissent peut-être. Ce que fait cette loi—et aux États-Unis les agriculteurs se démènent eux-mêmes pour veiller à ce que la loi soit appliquée—c'est qu'elle empêche la concentration des sociétés. Il existe donc une possibilité que le marché revienne aux agriculteurs, mais—et c'est un gros mais—il faut réglementer ce marché afin d'éviter que la concentration des sociétés ne se fasse et que le marché lui-même ne devienne un tel conglomérat dans ces différents secteurs que le producteur primaire s'en trouve exclu et soit ainsi forcé à accepter le prix qui lui est proposé, en se pliant au capital transnational ou alois commerciales mondiales qui ne font aucune place à la sécurité alimentaire. C'est là, à mon sens, l'essentiel.
Cela exige une réglementation. Bien que nous souhaitions voir un marché ouvert partout dans le monde, il nous faut accepter la réalité: il n'en existe pas et il nous faut réglementer en conséquence.
M. Murray Calder: J'aurais une dernière question, mais je constate que ma collègue, Mme Ur, a en une aussi, alors je vais lui céder une partie du temps qui m'est accordé.
Et qu'en est-il des 2,5 p. 100, 0,5 p. 100, 80 p. 100, 2 p. 100, 20 p. 100? Qu'entrevoyez-vous de ce côté-là?
M. Darrin Qualman: Les familles locales ont été chassées de presque tous les secteurs de l'économie. Autrefois, les familles locales possédaient le magasin de chaussures local, le magasin de vêtements local et l'épicerie locale. Elles ont été évincées. C'est clairement cela qui arrive dans le secteur agricole. Il nous faut décider si c'est une bonne chose.
Le président: Madame Ur, aimeriez-vous avoir un peu de temps?
Mme Rose-Marie Ur: Oui. Merci, monsieur le président.
Êtes-vous en faveur de voir davantage d'agriculteurs participer à tous les maillons entre la ferme et l'assiette?
M. Cory Ollikka: Je pense que plus l'on établira de liens entre les producteurs et les consommateurs, mieux ce sera. Et nous encourageons les agriculteurs... en fait, en tant qu'organisation, nous intervenons à l'heure actuelle de bien des façons en vue de bâtir ces ponts entre agriculteurs et consommateurs partout où cela est possible.
Mme Rose-Marie Ur: Je songeais plutôt aux coopératives: par exemple, des producteurs de porc qui monteraient une coopérative à laquelle contribuerait le producteur primaire en vue de participer à tout le cycle.
M. Cory Ollikka: Je pense que oui. Je pense que ce genre d'initiatives pourraient apporter les solutions qu'il nous faut chez nous pour le programme international qui nous écrase tous.
L'an dernier, le Syndicat des cultivateurs a lancé un projet pilote que nous avons appelé «Pork Links». Nous avons travaillé avec un groupe de lutte contre la pauvreté et la faim à Saskatoon et, au beau milieu de la crise dans le secteur du porc, nous avons réussi à établir des liens entre ce groupe et les producteurs de porc de la Saskatchewan. Les producteurs ont touché plus que le prix du marché qui était catastrophique à l'époque et ces gens ont obtenu de la nourriture meilleur marché qu'au supermarché.
Mme Rose-Marie Ur: Mais à cette fin, ce n'est pas quelque chose qu'ils pourraient poursuivre à temps plein pour soutenir leurs exploitations agricoles. C'était mieux que rien, mais ce n'est pas un niveau qu'ils pourraient maintenir pour soutenir leurs exploitations.
M. Cory Ollikka: Non. Les volumes vendus n'étaient pas très importants, mais c'est le principe derrière qui compte.
Mme Rose-Marie Ur: Le principe n'est bon que s'il y a un profit qui arrive dans la poche de l'agriculteur.
M. Cory Ollikka: Il y en a eu un. Mais il s'agissait de prix supérieurs à ce qu'ils auraient pu toucher à l'époque sur le marché du porc ouvert.
Mme Rose-Marie Ur: À l'époque, mais pas pour soutenir ce genre de...
M. Cory Ollikka: C'est exact.
Mme Rose-Marie Ur: C'était donc mieux que rien, mais ce n'est pas suffisant pour rester en activité.
M. Cory Ollikka: Non, mais vous avez parlé de coopératives et de l'établissement de quelque chose de ce genre sur une plus grande échelle, englobant plus de consommateurs et plus de producteurs et éliminant, en fait, les intermédiaires. Le principe est là.
M. Darrin Qualman: Si vous permettez que j'ajoute un éclaircissement, lorsque nous avons créé Pork Links, nous avons demandé aux producteurs quels étaient leurs coûts, ce qu'il leur fallait pour atteindre le seuil de rentabilité et ce qui constituerait un juste rendement, et c'est sur cette base que nous avons fixé le prix. Nous l'avons établi de telle sorte qu'il couvre tous les coûts et qu'il assure un profit aux producteurs. Et ce prix que nous avons versé aux producteurs était à peu près le double de ce qu'ils auraient touché auprès des exploitants d'abattoir. Et l'intéressant est que même après avoir versé aux agriculteurs le double de ce qu'ils auraient touché s'ils avaient vendu leurs cochons aux exploitants d'abattoir, le prix que nous avons alors dû demander aux consommateurs pour couvrir le coût du débitage et de l'emballage était toujours de 30 p. 100 inférieur au prix de détail. Vous gagnez donc des deux côtés. Vous versez deux fois plus d'argent à l'agriculteur, et le consommateur, qui, dans ce cas-ci, n'avait que de faibles revenus, paie 30 p. 100 de moins.
Mme Rose-Marie Ur: Nous devrions peut-être donc élargir ce marché.
Le président: Merci.
Nous pourrions peut-être boucler cette discussion avec la question suivante. Je pense qu'un de vos messages aujourd'hui est que certaines parties du marché mondial agricole sont vraiment illusoires. Vous dites que les subventions n'ont pas réellement d'incidences sur les prix, ou en tout cas qu'elles n'ont pas contribué au fléchissement des prix des céréales. Vous dites qu'en réalité, il n'y a pas dans le monde d'offre excédentaire de céréales. Vous avez également indiqué que la crise asiatique n'a en vérité pas contribué à la chute des prix du porc il y a un an et demi. Ma question s'adresse à Darrin. Vous avez dit au début de la réunion que vous êtes en train de faire des changements dans votre exploitation et que vous allez vous lancer dans l'organique. Étant donné tous les faux signaux envoyés par le marché et toutes ces illusions, en tant qu'agriculteur, Darrin, à quels signaux réagissez-vous? Qu'est-ce qui vous amène à aller de tel genre d'agriculture à tel autre? Mettons, l'organique. À quoi réagissez-vous?
M. Darrin Qualman: Je vais vous faire un petit historique.
Avant que nous abandonnions l'agriculture classique, nous cultivions 4 000 acres. En 1994, nous produisions trois types de lentilles, deux types de pois ainsi que des épices. Mon épouse avait planté des herbes médicinales organiques dans le jardin pour voir comment cela pourrait fonctionner, etc. Nous avions écouté tout ce que le marché nous disait et nous l'avions fait. Nous avions suivi ces signaux du marché. Comme beaucoup d'autres agriculteurs, nous nous étions agrandis, nous avions essayé de faire plus de ceci et plus de cela et avions chaque année de nouvelles cultures. Cela avait causé des tensions au sein de la famille, et ainsi de suite. Suivre les signaux du marché nous avait presque achevés. C'est ainsi que nous avons décidé qu'il n'y avait pas d'avenir là-dedans—toujours plus gros, toujours plus d'argent investi dans les engrais, les nouvelles technologies, toujours plus de capital, toujours plus de production, etc.—et nous nous sommes tout simplement arrêtés. Mon père a pris sa retraite et j'ai commencé à semer de la luzerne un peu partout en prévision d'un virage vers la culture organique.
Ce que fait ressortir notre mémoire, c'est que les agriculteurs sont piégés au milieu d'une chaîne avec, d'un côté, les énormes fournisseurs d'intrants et, de l'autre, d'énormes transformateurs et détaillants. Tout le monde fait un gros profit, à l'exception de l'agriculteur. Ce qu'offre l'agriculture organique à ma femme et à moi, c'est la possibilité de nous arracher à cette chaîne et d'exercer un certain contrôle sur nos opérations, afin de ne plus être tenus en otages par les coûts des intrants, d'un côté, et de ne plus être obligés de vendre à seulement une ou deux grosses sociétés céréalières ayant un chiffre d'affaires annuel de 100 milliards de dollars, de l'autre. Nous sommes un petit peu sortis de la boîte et avons regardé le grand tableau de ce qui arrive à l'exploitation familiale dans cette chaîne extrêmement puissante et nous avons tout simplement décidé qu'il nous fallait arracher notre ferme à cette chaîne, sortir du système.
Le président: Merci.
M. Hilstrom a commencé en disant que votre étude, vos conclusions nous donnent matière à réflexion, et je suis tout à fait de cet avis. Merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants d'être venus.
M. Darrin Qualman: Merci.
Le président: La séance est levée.