FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 17 février 2000
Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.
Je vais demander à Mme Swann, de la Ottawa Serbian Heritage Society, de commencer. Nous entendrons ensuite M. Trifkovic. M. Dyer n'est pas encore arrivé.
Je tiens à vous prévenir que la matinée sera peut-être un peu chaotique. Ce n'est peut-être pas nécessairement nouveau, mais cela risque de l'être plus que d'habitude parce que nous serons peut-être convoqués à aller voter. C'est ce qui est arrivé la dernière fois. Je m'excuse auprès des témoins si nous sommes appelés à quitter la salle.
La Chambre semble
[Français]
un peu perturbée, comme on dirait peut-être en français,
[Traduction]
il faudra donc faire avec. Si nous ne sommes pas appelés à voter, nous poursuivrons.
Je demande aux témoins de limiter leur allocution à 10 minutes chacun, après quoi nous passerons aux questions. Nous entendrons M. Dyer lorsqu'il arrivera.
Madame Swann, je vous remercie d'être venue.
Mme Radmila Swann (porte-parole, Ottawa Serbian Heritage Society): Bonjour. Je tiens d'abord à exprimer notre gratitude au Comité permanent des affaires étrangères et du Commerce international de nous offrir cette occasion de prendre la parole. Nous vous en sommes très reconnaissants. C'est l'une des rares occasions données à la communauté serbe de se faire entendre.
Il y a trois grands messages que j'aimerais vous communiquer aujourd'hui. D'abord, la guerre avec la Serbie a été une erreur. Deuxièmement, au lieu d'empêcher une crise humanitaire, elle en a créé une. Troisièmement, nous au Canada devons prendre toutes les mesures possibles, faire tout ce qui est en notre pouvoir, pour corriger la situation.
Pourquoi la guerre a-t-elle été une erreur? Parce que c'était une guerre illégale et inutile. Le Canada est connu pour son équité et sa compassion et, au cours des cinquante dernières années, pour sa contribution à la paix dans le monde. La guerre en Yougoslavie a terni cette image. Nous avons placé notre appartenance à l'OTAN au-dessus de toute autre considération ou principe.
Le Canada, pays respectueux des droits, a été entraîné dans une guerre où il a enfreint de nombreux textes juridiques internationaux: l'article 2 de la Charte de l'ONU, la Charte de l'OTAN, la Convention de Vienne de 1980, qui interdit de recourir à la coercition pour contraindre un État à signer un traité, ainsi que les Accords d'Helsinki de 1975, qui garantissent les frontières territoriales des États européens.
Cette guerre a également été inutile parce que l'Ouest—surtout les États-Unis—a laissé passer deux possibilités de faire la paix. La première était le cessez-le-feu signé en octobre 1998. Les pays membres de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe étaient censés dépêcher des vérificateurs. Il devait y en avoir 3 000, je crois, mais ce nombre n'a jamais été atteint. Il n'y en avait que 1 300 environ au moment où les bombardements ont commencé. Ce chiffre est bien inférieur aux 50 000 soldats de la KFOR qui n'arrivent pas à maintenir la paix au Kosovo aujourd'hui. Il y a toutefois des signes que la mission de vérification était efficace.
• 0930
M. Roland Keith, de Vancouver, était l'un des vérificateurs
canadiens à la tête d'une des unités. Il a dit à plusieurs reprises
que pendant son séjour il n'avait vu aucun signe de génocide ou
d'épuration ethnique. Selon lui, des civils ont été déplacés à
cause du terrorisme, mais il n'y a pas eu de problèmes humanitaires
d'envergure avant le début des bombardements de l'OTAN.
D'autres sources de l'OSCE ont tenu des propos encore plus vigoureux. L'Assemblée parlementaire de l'OSCE, par la voix de son président, Willy Wimmer, aurait déclaré après le début des bombardements que les États-Unis faisaient tout ce qu'ils pouvaient, en accord avec la Grande-Bretagne, pour saboter le plan de l'OSCE pour le Kosovo. Aucun rapport n'a déclaré que la mission de l'OSCE avait échoué avant le début des bombardements, et je n'en ai toujours pas vu.
Pourquoi n'aurions-nous pas pu augmenter le nombre de vérificateurs de l'OSCE? À tout le moins, le nombre de récits véridiques en provenance du Kosovo aurait augmenté. L'autre occasion ratée de faire la paix a été l'Accord de Rambouillet lui-même. Nos médias ont déclaré à l'envi que la Yougoslavie rejetait l'accord de paix et que toutes les voies diplomatiques avaient été épuisées. Ce qui n'a jamais été relaté aussi largement, c'est que les Serbes avaient accepté le volet politique de l'accord, qui accordait un degré élevé d'autonomie à la province du Kosovo, y compris la faculté de mener sa propre politique étrangère. Ce que la Yougoslavie n'a pas accepté, c'est qu'une force d'occupation de l'OTAN investisse la totalité de la Serbie, et non seulement le Kosovo, et la tenue d'un référendum sur le statut du Kosovo dans les trois ans.
Jusqu'à la veille des bombardements, il y a eu des indications montrant que la Serbie était prête à discuter d'une présence internationale au Kosovo pour contrôler l'application de l'accord, mais non de l'OTAN. Qu'avait-on à reprocher à cet accord de paix? Pourquoi n'était-il pas acceptable?
L'autre raison pour laquelle cette guerre était une erreur, c'est qu'elle a été lancée sur la foi de preuves fabriquées. Un certain nombre de mensonges racontés par des extrémistes albanais apparaissent maintenant au grand jour. Le pire, cependant, est ce qu'on a appelé le massacre de Racak, dont les États-Unis se sont servis comme prétexte pour lancer les pourparlers de Rambouillet. Il a été bien établi dans la presse française—Le Figaro, Libération et Le Monde—que c'était un coup monté.
La guerre a été une erreur parce qu'elle est venue en aide à des terroristes. Ce que beaucoup oublient, c'est que l'Armée de libération du Kosovo, l'UCK, a tué des Albanais qui voulaient la paix aussi bien que des Serbes. Un des cas les plus émouvants est celui d'un facteur albanais tué par l'UCK parce qu'il était fonctionnaire et livrait le courrier aussi bien à des adresses serbes qu'albanaises.
Aujourd'hui que l'UCK a les coudées franches au Kosovo, il paraît que les femmes albanaises, et non seulement les Serbes, ont peur de marcher dans les rues de Pristina la nuit de peur d'être enlevées et vendues comme prostituées en Turquie.
Il faut se poser la question suivante: pourquoi l'Ouest a-t-il appuyé l'UCK? Roger Faligot a publié un bon article, intitulé «How Germany Backed the KLA», dans The European de septembre 1998. M. Michel Chossudovsky, de l'Université d'Ottawa, a aussi fait des recherches importantes sur la question, et je recommande au comité de l'inviter à témoigner.
Si l'Ouest veut vraiment éliminer le terrorisme dans le monde, comme ce devrait être le cas, pourquoi n'a-t-il pas aidé la Yougoslavie à combattre l'UCK, plutôt que l'inverse?
Enfin, la guerre a été une erreur parce que c'était une guerre hypocrite. Les Canadiens se sont fait dire qu'ils n'étaient pas en guerre, que les bombardements étaient une action humanitaire. Lorsque 350 000 Serbes ont été chassés de Krajina par l'armée croate, il n'y a pas eu d'action humanitaire semblable en faveur du bombardement de la Croatie. Au contraire, les États-Unis et l'Allemagne sont venus en aide aux Croates.
• 0935
La guerre au Kosovo a créé une crise humanitaire d'envergure.
C'est le bombardement de la Yougoslavie qui a créé cette crise, et
le Canada y a malheureusement joué un rôle important. Au lieu de
contenir la crise, les bombardements l'ont élargie sur un plus
vaste territoire, ce qui a touché neuf millions de personnes de
plus.
Un bilan incomplet des morts et des blessés publié par le gouvernement yougoslave en novembre 1999 fait état de 1 800 tués et de 5 000 blessés. En 78 jours de bombardements, 18 CF-18 canadiens ont effectué 678 sorties de combat, soit 2 500 heures de vol, et largué plus de 530 bombes.
Nous ignorons quelles bombes ils ont lâchées. Nous ne pouvons qu'espérer que ce n'est pas un pilote canadien qui a frappé un autocar sur un pont, faisant 60 morts et 13 blessés, et qui est revenu une deuxième fois et a touché l'ambulance et blessé le médecin qui s'occupait des victimes. Nous espérons que ce n'est pas un pilote canadien qui a atteint la station de télévision, la colonne de réfugiés albanais ou l'ambassade de Chine à Belgrade.
Les objectifs étaient censés être uniquement de nature militaire, mais de toute évidence cela n'a pas été le cas. Une bonne partie de ce que l'on appelle délicatement les dégâts collatéraux ont été importants et difficiles à comprendre. Des bombes ont été lâchées sur un marché dans la ville de Nis à midi un jour de marché. La prison d'Istok a subi plusieurs attaques plusieurs jours d'affilée, et 100 détenus ont été tués et 200 ont été blessés.
En avril 1999, une bombe qui visait un pont de chemin de fer a touché un train de voyageurs et fait 55 morts. Dans son explication, le lendemain, le général Wesley Clarke, le commandant suprême de l'OTAN, a montré une bande vidéo de l'incident et expliqué que le pilote n'avait pas eu le temps de dérouter le missile lorsqu'il a vu le train. Toutefois, en janvier 2000, le quotidien allemand Frankfurter Rundschau a révélé que la bande avait été passée à 2,7 fois la vitesse normale. L'OTAN l'a reconnu.
Pour les Canadiens d'origine serbe, cette guerre a été tragique. Des membres de leurs familles ont été tués et blessés ou ont souffert autrement. Le fait que notre pays, notre gouvernement, a causé une partie de cette destruction est très difficile à accepter pour nous. Nous avons eu une grande confiance dans notre pays par le passé et nous voudrions la renouveler dans l'avenir.
Un des aspects les plus terrifiants des bombardements, c'est le genre d'armes qui ont été employées. Il y a eu des armes à uranium appauvri et des bombes à dispersion. Ces armes continuent de tuer des années après avoir été lâchées. Les États-Unis se sont servis d'appareils WARTHOG A-10 dans la guerre du Golfe contre l'Irak et au Kosovo.
Mais le Canada porte aussi une grande part de responsabilité. Même si selon notre politique l'uranium ne peut pas servir à fabriquer des bombes nucléaires, il n'y a pas de règles analogues pour les armes à uranium appauvri. D'après la Dre Rosalie Bertell, une autorité mondiale sur les conséquences pour l'organisme de radiations à faible niveau, le Canada envoie son uranium à Paducah, au Kentucky, pour y être enrichi et ne demande pas que lui soient renvoyés les déchets, c'est-à-dire l'uranium appauvri. Si ces déchets restent aux États-Unis pendant 30 jours, ils deviennent juridiquement de l'uranium américain. Autrement dit, le Canada fournit le matériau de ces armes mortelles.
D'après la Dre Bertell, une fois tiré et rejeté dans l'environnement, l'uranium appauvri reste dans le sol pendant des milliers d'années et est absorbé par la végétation. Il fait du tort aux Albanais et à nos propres soldats sur le terrain ainsi qu'aux Serbes. Il est plus nocif pour les femmes et les enfants que pour les hommes, les femmes parce que les seins et le tissu utérin sont plus sensibles aux radiations, et les enfants parce qu'ils sont plus près du sol et absorberont plus d'uranium dans leur ossature au long de leur croissance.
• 0940
Les bombes à dispersion sont aussi particulièrement
dangereuses pour les civils. Chacune d'elles renferme entre 30 ou
40 petites bombes, qui se dispersent lorsque la bombe est larguée.
Beaucoup n'explosent pas tout de suite. Parce qu'elles sont de
couleur vive, elles sont particulièrement attirantes et donc
dangereuses pour les enfants. Aussi bien les enfants albanais que
les enfants serbes.
Les dégâts matériels et écologiques sur tout le territoire yougoslave sont énormes. Cent quarante-sept établissements de santé ont été endommagés ou détruits, tout comme le matériel, les médicaments et les fournitures médicales. Vous pouvez imaginer le mal fait à ceux dont l'intervention a été interrompue quand les appareils médicaux se sont arrêtés faute de courant. Plus de 480 écoles, facultés universitaires et autres établissements pour élèves et enfants ont été endommagés ou détruits, ainsi que plus de 50 maternelles.
L'infrastructure de la Yougoslavie a été détruite. Les transports sont très pénibles en raison du grand nombre de ponts et de routes qui ont été détruits. Des raffineries de pétrole, des usines automobiles et des usines de produits chimiques ont aussi été détruites.
C'est la situation des usines de produits chimiques qui est la plus grave. L'attaque la plus sérieuse a été celle contre l'usine de Pancevo, qui a relâché des tonnes de produits toxiques dans l'atmosphère, comme les BCP et des monomères de chlorure de vinyle. Les scientifiques yougoslaves ont déterminé que l'attaque contre la raffinerie n'était pas un accident, à cause des tirs très précis qui ont paralysé tout le complexe pétrochimique.
Outre les dégâts environnementaux, une très grande partie de la catastrophe causée par les bombardements est attribuable au nombre accru de réfugiés: Albanais, Serbes et autres ethnies. Comme la Serbie comptait déjà plus d'un demi-million de réfugiés à la suite des guerres en Krajina et en Bosnie et subissait déjà depuis longtemps des sanctions sévères, le défi à relever était de taille.
Depuis la signature de l'accord de paix en juin 1999, des non-Albanais continuent de fuir le Kosovo. Le ministère des Affaires étrangères de Yougoslavie estime que 350 000 personnes ont été chassées de chez elles. La majorité d'entre elles sont des Serbes, mais on dénombre également des Gitans, des Juifs et des Turcs, qui fuient au moment où l'UCK, sous les auspices de la KFOR, s'emploie à créer un Kosovo à 100 p. 100 albanais.
Que pouvons-nous faire? Le Canada a promis 100 millions de dollars d'aide aux nouvelles initiatives pour le Kosovo et les Balkans, mais rien de cela n'est destiné au reste de la Serbie. Si nous sommes animés par un véritable esprit humanitaire, je vous implore de ne pas laisser se poursuivre les souffrances de la Serbie. L'accord de paix a été signé. Pourquoi continuons-nous cette guerre? Le Canada devrait fournir des fonds pour aider et reconstruire la Serbie et réclamer la levée des sanctions.
Le directeur général de la Croix-Rouge britannique avait déploré le manque de fonds pour la Serbie en décembre 1999. Il a déclaré que la Yougoslavie compte actuellement le plus grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées en Europe et que l'on ne s'occupe pas de ses besoins. Il a rappelé que même avant la crise du Kosovo, lorsque la Yougoslavie comptait plus de 500 000 réfugiés, il y avait plus de 300 organisations humanitaires en Bosnie et seulement 27 en Yougoslavie.
Nous devons aussi insister auprès de nos alliés et travailler avec eux pour assurer une protection aux Serbes du Kosovo. Les Serbes et autres nationalités ont sûrement le droit de vivre en paix et de regagner leurs foyers au Kosovo. Dans la même veine, les Serbes de Krajina devraient pouvoir rentrer chez eux en sûreté. Il est inconcevable que l'on accorde de l'aide humanitaire à tous sauf aux Serbes.
• 0945
Enfin, et chose plus importante, il faut oeuvrer au
rétablissement de la loi et de l'ordre public international. Aucun
pays n'est à l'abri si une poignée de chefs d'État peuvent dicter
leurs volontés à leur convenance. Le Canada doit avoir une
politique étrangère indépendante à l'image de ses valeurs. Je sais
que nous sommes membres d'organisations internationales, que nous
signons des traités que nous devons respecter, mais nous ne devons
pas nous laisser entraîner dans des guerres par l'OTAN ou toute
autre organisation. Si le prix à payer pour faire partie des
initiés est trop élevé, peut-être faut-il songer à quitter leur
cercle.
Avant de terminer, j'ajouterai que si le comité souhaite avoir un complément d'information, comme je suis à Ottawa, je serais heureuse de le lui fournir ou de revenir.
Le président: Merci beaucoup, madame Swann.
Monsieur Trifkovic.
M. Srdja Trifkovic (témoignage à titre personnel): La guerre menée par l'OTAN contre la Yougoslavie en 1999 est un point tournant important non seulement pour l'Amérique et l'OTAN, mais aussi pour l'Ouest dans son ensemble. Le principe de la souveraineté des États et la primauté du droit elle-même ont été renversés au nom d'une idéologie prétendument humanitaire. Des faits ont été transformés en fiction, et les fictions invoquées pour justifier la guerre n'ont même plus un semblant de crédibilité. On utilise des systèmes établis il y a longtemps pour protéger les libertés nationales, politiques, juridiques et économiques pour les détruire. Mais jusqu'ici, loin de démontrer la vigueur des élites occidentales dominantes dans leur poursuite aveugle de l'idéologie basée sur la démocratie multiethnique et la protection des droits de la personne partout dans le monde, on peut considérer que l'écheveau de la situation dans les Balkans révèle de façon troublante la décadence morale et culturelle desdites élites dominantes.
Je vais donc traiter surtout des conséquences que la guerre aura pour le nouveau système international et, éventuellement, pour la sécurité et la stabilité du monde occidental même.
Près d'une décennie s'est écoulée entre l'opération Tempête du désert et le «bombardement humanitaire». En 1991, le Traité de Maastricht a été signé, et le reste de la décennie a été témoin de l'usurpation graduelle de la souveraineté européenne traditionnelle par le régime de Bruxelles, dominé par le capital et composé de bureaucrates non élus qui ont maintenant l'audace de dire à l'Autriche comment mener ses affaires. De ce côté-ci de l'Atlantique, nous avons vu la signature de l'ALENA, et, en 1995, l'Uruguay Round du GATT a abouti à la création de l'OMC. Les années 90 ont donc été une période au cours de laquelle les bases du nouvel ordre mondial ont graduellement été jetées.
Une fois ridiculisé le principe de la souveraineté nationale, la population en est même venue à applaudir au démantèlement des institutions qui lui offraient justement son seul espoir de pouvoir représentatif. Le processus est suffisamment engagé pour que le président Clinton se soit permis d'affirmer («A Just and Necessary War», New York Times, 23 mai 1999) que sans le bombardement de la Serbie, «c'est l'OTAN qui aurait été discréditée pour ne pas avoir défendu les valeurs mêmes qui sont sa raison d'être».
En fait, cette guerre était aussi injuste qu'inutile. Mais si les propos de M. Clinton sont importants, c'est parce qu'il a ouvertement déclaré nul et sans effet le système international en vigueur depuis la Paix de Westphalie en 1648. S'il était imparfait et avait fréquemment été violé, ce système n'en constituait pas moins la base d'un credo mondial dont seuls certains totalitaires rouges et noirs se sont ouvertement écartés.
Depuis le 24 mars 1999, ce système est remplacé par la nouvelle doctrine Clinton, qui est une copie conforme de la doctrine Brejnev de la souveraineté limitée, laquelle a servi à justifier, en 1968, l'occupation de la Tchécoslovaquie par des forces dirigées par l'URSS. Comme son prédécesseur soviétique, M. Clinton invoque une notion abstraite et idéologiquement chargée—celle des droits de la personne universels—comme prétexte pour violer la loi et déroger à la tradition. La doctrine Clinton est ancrée dans l'orgueil insondable que conçoit l'élite bipartisane de la politique étrangère de Washington dans l'ivresse qu'elle ressent du fait que les États-Unis soient la dernière et la seule superpuissance dans le monde. Les formalités juridiques sont dépassées, et les impératifs moraux—qui ne sont jamais sacro-saints dans les affaires internationales—cèdent la place à l'exercice cynique d'une moralité circonstancielle qui varie selon la position qu'occupe chaque intervenant dans l'échelle des valeurs de la superpuissance.
• 0950
Ainsi, la grandeur d'âme impériale fait sa rentrée, mais sous
un visage nouveau. La religion, le patriotisme et les rivalités
nationalistes ne jouent plus. Mais la soif d'aventure et
d'importance qui a mené les Britanniques à Pékin, Kaboul et
Khartoum, les Français à Fashoda et Saigon, et les Américains à
Manille, se manifeste de nouveau. Il en résulte qu'on a fait la
guerre à une nation indépendante parce qu'elle avait refusé que des
troupes étrangères foulent son sol. Les autres justifications
invoquées sont toutes des rationalisations ultérieures. Les
puissances qui ont livré cette guerre ont encouragé et soutenu la
sécession d'une minorité ethnique qui, lorsqu'elle sera officielle,
rendra nombre de frontières européennes provisoires. Dans le
contexte de n'importe quelle autre nation européenne, cette
histoire semblerait relever du surréalisme. Or, les Serbes ont
maintenant été avilis et diabolisés au point de ne plus pouvoir
compter désormais être traités comme tout le monde.
Mais le fait que l'Ouest ait pu faire aux Serbes tout ce qu'ils voulaient n'explique pas pourquoi il fallait qu'ils le fassent. Il ne vaudrait guère la peine de réfuter une fois de plus les faibles excuses avancées pour motiver l'intervention. L'argument humanitaire a été invoqué. Mais que dire des guerres livrées au Cachemire, au Soudan, en Ouganda, en Angola, en Sierra Leone, au Sri Lanka, en Algérie? Bien filmées et «Amanpourisées», chacune d'elles vaudrait bien une dizaine de Kosovo. Elles ne s'accompagnaient pas de «génocide», bien sûr. Comparée aux champs de bataille du tiers monde, la guerre du Kosovo a été un conflit banal et de faible intensité, plus sale peut-être que celui qui faisait rage en Irlande du Nord il y a 10 ans, mais beaucoup plus propre que celui du Kurdistan. Avec en tout 2 000 morts, tous camps confondus, jusqu'en juin 1999, et ce, dans une province comptant plus de deux millions d'habitants, il est moins sanglant que les 450 homicides recensés chaque année à Washington pour une population de 600 000 habitants. Compter les cadavres, cela ne se fait pas, mais quand on pense aux atrocités et aux opérations de nettoyage ethnique sur lesquelles l'OTAN fermait les yeux—quand elle ne les tolérait pas, comme elle l'a fait notamment en Croatie en 1995 ou dans l'est de la Turquie—, il est clair que les principes universels n'ont rien eu à voir avec la guerre du Kosovo. À Washington, Abdullah Ocalan est un terroriste, mais les membres de l'UCK, eux, combattent pour la liberté.
De quoi s'agissait-il donc, alors? De «stabilité régionale», nous a-t-on dit; si on n'avait pas mis fin au conflit, il se serait étendu à la Macédoine, à la Grèce, à la Turquie, en fait à l'ensemble des Balkans, et enfin à une grande partie de l'Europe. Mais le remède choisi—bombarder la Serbie pour la forcer à laisser le Kosovo albanais, purifié sur le plan ethnique, se séparer et tomber sous l'emprise de la narco-mafia de l'UCK, sous l'oeil conciliant de l'OTAN—déclenchera une réaction en chaîne qui embrasera l'ensemble de la moitié jadis communiste de l'Europe. La première victime sera l'ex-république yougoslave de Macédoine, où la rétive minorité albanaise constitue le tiers de la population totale. Et les Hongrois de Roumanie (plus nombreux que les Albanais au Kosovo) et du sud de la Slovaquie n'exigeront-ils pas qu'on suive le modèle de Pristina? Qu'est-ce qui empêchera les Russes de l'Ukraine, de la Moldavie, de l'Estonie et du nord du Kazakhstan de leur emboîter le pas? Ou les Serbes et les Croates de la chroniquement instable et condamnée Bosnie de Dayton? Et enfin, lorsque les Albanais auront fait sécession par la seule force de leur nombre, le modèle sera-t-il valable le jour où les latinos du sud de la Californie ou du Texas seront plus nombreux que leurs voisins anglo-saxons et se mettront à réclamer la création d'un État bilingue, ce qui conduira à la réunification de cette partie des États-Unis avec le Mexique? La Russie et la Chine devront-elles menacer de bombarder les États-Unis si Washington ne se rend pas aux voeux des latinos?
Pour l'instant, l'OTAN a gagné, mais l'Ouest a perdu. La guerre a miné le principe sur lequel l'Ouest est fondé, à savoir la primauté du droit. La notion de droits de la personne ne pourra jamais servir de base à la primauté du droits pas plus qu'à la moralité. Privés de racines dans le temps et dans l'espace, les droits de la personne universels seront à la merci de chaque nouvelle façon qu'on inventera de les violer ou de chaque nouvelle forme que prendra le statut de victime. La tentative mal inspirée visant à transformer l'alliance défensive qu'est l'OTAN en une mini-ONU assumant hors zone des responsabilités qu'elle s'est elle- même confiées conduit tout droit à d'autres Bosnie et à d'autres Kosovo. Maintenant que les «clintoniens» et l'OTAN ont réussi au Kosovo, on peut s'attendre à ce qu'ils aillent chercher des aventures inédites et encore plus dangereuses ailleurs. Mais la prochaine fois les Russes, les Chinois, les Indiens et les autres ne seront pas dupes au point de croire aux slogans du marché libre et des droits de la personne démocratiques, et l'avenir de l'Ouest dans cet éventuel et inévitable conflit pourrait être incertain.
Le Canada devrait réfléchir aux implications de cette façon de faire et trouver le courage de dire non à l'interventionnisme mondial—dans son propre intérêt comme dans celui de la paix et de la stabilité dans le monde. Est-il vraiment obligé de rester là sagement à regarder faire en silence alors qu'on prépare une expérience militaire longue et dangereuse qui nous conduira à une vraie guerre pour le contrôle de l'Asie centrale? Devra-t-il bientôt aller sauver d'autres UCK menacés de génocide le long de la frontière islamique de la Russie par des groupes ethniques encore inconnus de la presse occidentale, mais qui pourraient fournir des excuses pour intervenir, excuses qui seraient aussi bonnes, ou plutôt aussi mauvaises, que celles des Albanais du Kosovo?
• 0955
Le Canada a-t-il connu une histoire impériale si heureuse
qu'il doive maintenant chercher un autre centre de commandement
impérial à Washington pour compenser son indépendance de Londres?
Le Canada est-il à l'aise aujourd'hui avec la vérité qui se fait
jour graduellement, à savoir qu'il est moins libre de choisir entre
la guerre et la paix qu'il ne l'était à titre d'État libre du
Commonwealth aux termes de l'ancien Statut de Westminster? Car on
ne saurait douter que rien qui puisse être appelé l'alliance ne
voulait la guerre que l'OTAN livrait en avril et en mai derniers,
alors que le recours à la force était orchestré au coeur de
Washington en 1998.
Il convient de se demander dans quelle mesure ce retour au statut impérial mineur par le Canada et les autres pays de l'OTAN n'engendre pas un processus politique dirigé par les médias qui vide de l'expression «processus décisionnel national» de tout son sens et fait de ces pays de simples meneurs de claque officiels. Il vaut aussi la peine de se demander comment il se fait que pendant cette guerre le but premier de l'OTAN était de garder l'alliance unie, quelle discipline cela impliquait et avec quelle facilité et quels sanguinolents résultats l'OTAN pourrait recommencer.
On ne peut plus soutenir l'absolutisme moral que les partisans de l'intervention armée ont invoqué en lieu et place de l'argumentation rationnelle. Les dilemmes bien réels créés par la responsabilité que les humains ont les uns envers les autres ne doivent pas être invoqués pour rallumer l'impérialisme viral de l'Ouest réétendu. Plus la nouvelle doctrine sera arrogante, et plus on acceptera de faire passer des mensonges pour la vérité. Pouvoir faire «quelque chose» soutient l'estime de soi, à condition de ne pas croire que nous sommes moins acteurs moraux que consommateurs de choix faits d'avance.
À l'aube du millénaire, nous vivons dans un colisée virtuel où des fauteurs de troubles exotiques et dangereux ne sont pas jetés aux lions, mais massacrés par les machines volantes magiques de l'Empire. Alors que les candidats au châtiment—ou au martyre—sont poussés dans l'arène, beaucoup de gens dans l'Ouest réagissent au spectacle comme autant de consommateurs impériaux et non comme des citoyens ayant le droit parlementaire et le devoir démocratique de remettre le spectacle en cause.
Puissent les résultats de votre enquête me donner tort. Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur. Je vous promets que notre étude ne remontera pas à la Paix de Westphalie. J'admire beaucoup l'érudition de votre allocution. Merci.
Monsieur Dyer, je vous remercie d'être venu. Vous arrivez de Londres, je crois.
M. Gwynne Dyer (témoignage à titre personnel): Oui, via Toronto.
Je voudrais tout simplement aborder les quatre problèmes qui méritent une attention urgente à la suite de l'intervention au Kosovo. On peut bien évidemment revenir sur les causes, les motifs, etc., plus tard, mais parlons plutôt des répercussions. C'est la question la plus urgente, à mon sens. Je vais mentionner les quatre problèmes, et ce sera à vous d'y revenir par la suite. Je vais vous expliquer quels sont ces problèmes à mon avis et ce qu'il importe de faire d'urgence.
Le premier problème est lié à la MINUK, comme nous l'appelons, et à l'administration du Kosovo au cours des huit mois écoulés depuis la fin de la guerre, qui a été une véritable catastrophe. Sur les 6 000 policiers demandés par Bernard Kouchner, l'administrateur, 2 000 seulement sont arrivés. Ce n'est pas que le transport soit particulièrement lent, c'est simplement... En fait, son propre gouvernement, celui de la France, n'a pas encore fourni un seul policier. En conséquence, outre les difficultés compréhensibles que présente la constitution d'un conseil administratif composé d'habitants du Kosovo de langue serbe et albanaise—le plan prévoyait trois Kosovars et un Serbe—jusqu'à aujourd'hui, il n'y a eu encore aucune administration au niveau local.
Cette province, qui compte deux millions d'âmes, avec tous les problèmes auxquels elle est confrontée, est donc entièrement administrée par des étrangers. Il n'y a pas non plus de juges nommés localement, et, jusqu'à tout dernièrement, il n'y avait même pas d'entente sur le code juridique qui sera mis en oeuvre par les forces de police, qui brillent par leur absence, ou par les juges, qui n'ont même pas encore été nommés.
Rien d'étonnant dans ces circonstances à ce que le Kosovo ressemble fortement à un État sauvage. Même si le nombre de Serbes tués par des Albanais et, dans une moindre mais toutefois importante mesure, d'Albanais tués par des Serbes, a diminué au fil des mois, il y a quand même entre 400 et 700 Serbes qui ont été tués au cours des huit derniers mois. Une bonne partie de ces gens-là, mais pas tous, ont été tués parce qu'on leur reprochait simplement d'être Serbes. C'est un résultat inadmissible d'une guerre qui s'est déroulée pour éviter une purge ethnique.
• 1000
La semaine dernière, cinq Albanais ont été tués par des
grenades dans le nord de la ville de Kosovska Mitrovica, la seule
ville du Kosovo où il y a encore une population mixte. Même si les
deux ethnies vivent dans la même ville, elles sont séparées par la
rivière, et les tentatives des Serbes pour se débarrasser des
derniers Albanais qui vivent au nord de la rivière se poursuivent
malgré les efforts d'intervention des militaires français. Ces
derniers viennent à peine d'obtenir le renfort de militaires
allemands et italiens.
Même l'imposition de la paix, au sens le plus large qu'on lui donne, c'est-à-dire que les gens risquent moins d'être tués par leurs voisins, en dépit de la présence de 40 000 soldats de la KFOR, a été au mieux sporadique. C'est un problème qu'on peut résoudre en partie grâce à une injection de fonds. Les fonds, ou les ressources humaines que ces derniers auraient payées, n'ont pas été fournis par les gens qui... Nous parlons du coût de deux ou trois jours de bombardement.
C'est à mon avis la question qui revêt le plus d'urgence. Quoi que l'on pense du début du conflit, l'issue a été déplorable. Et c'est une catastrophe qu'on pourrait éviter. Si vous pensez que ces interventions sont souhaitables dans certaines circonstances, il vous incombe en priorité à l'avenir de vous assurer que ce conflit ne prendra pas fin en discréditant le principe même de l'intervention humanitaire.
Le deuxième problème qui se pose est lié aux répercussions dans les Balkans. On a promis à tous les pays voisins qu'ils seraient admis rapidement dans l'Union européenne s'ils acceptaient de mettre leur territoire, ou du moins leur appui diplomatique, à notre disposition pendant la guerre. Il fallait que la Hongrie refuse le passage des convois russes, il fallait que les Roumains ne protestent pas quand les missiles de croisière atterrissaient accidentellement sur leur territoire, etc. Ces promesses ont été faites aux Bulgares, aux Roumains et aux Hongrois, qui, évidemment, attendaient déjà leur tour pour être admis dans l'Union européenne, mais on leur a promis que le processus serait accéléré. En fait, des promesses plus vagues, mais néanmoins fermes, ont été faites à la Macédoine, qui jamais auparavant n'avait été considérée comme membre éventuel de l'Union européenne. Il a été question de la Croatie, peut-être avec de nouveaux dirigeants à sa tête, etc., et le pays est depuis dirigé par d'autres personnes.
Un premier pas a été fait en vue de tenir ces promesses lorsque, vers la fin de l'année 1999, l'Union européenne a décidé de porter de six à 12 la liste de membres éventuels, incluant évidemment la Turquie ainsi que les voisins immédiats du Kosovo et de l'ex-Yougoslavie.
C'est un problème qui n'est pas près d'être réglé. Je ne prétends pas que ce soit une conséquence infâme de la guerre, mais c'est une question extrêmement complexe. Ces pays ont atteint des niveaux très différents de développement économique, et même politique. Certains d'entre eux, comme la Hongrie, ont relativement peu de difficultés à respecter les exigences requises pour être membre de l'Union européenne. Ils ont un régime politique démocratique qui fonctionne assez bien, et la transition vers une économie de libre marché s'est faite assez rapidement et sans brutalité, même si de nombreux Hongrois ne sont pas tout à fait du même avis sur ce point. La Roumanie est un candidat pratiquement aussi plausible pour accéder rapidement à l'Union européenne que, disons, le Cambodge.
En s'ouvrant à tous ces nouveaux pays, l'Union européenne se heurtera à d'énormes difficultés. Cela risque de provoquer un retard de l'expansion de l'Union européenne dans les domaines où il n'y aurait normalement pas dû y avoir de problèmes. Les responsables ont essayé de résoudre ce problème dans une certaine mesure en annonçant qu'à partir de maintenant les candidats ne feront pas tous partie du même convoi pour arriver en même temps, mais qu'ils pourront progresser dans leur demande d'adhésion à leur propre rythme. Par conséquent, il se pourrait fort bien que l'Union européenne s'élargisse en 12 fois au lieu que cette expansion se produise lors d'un seul grand rassemblement.
• 1005
L'autre problème qui en découle et auquel il faudrait accorder
de l'attention, c'est qu'en Europe centrale—et l'Autriche en est
l'exemple le plus flagrant—on assiste à une réaction populaire
très virulente à la perspective que la population de tous les pays
d'Europe de l'Est et du Sud-Est aura effectivement le droit de
résidence, une fois que ces pays se seront joints à l'Union
européenne, en Allemagne, en Autriche et ailleurs, conséquence
nécessaire et inévitable de l'adhésion à l'Union européenne. Je
vous demande de réfléchir à la façon dont les Autrichiens, qui font
peut-être erreur, mais qui ont des idées bien arrêtées sur cette
question, envisagent la perspective de voir des Roumains ou des
Turcs s'installer à Salzbourg si cela leur plaît.
Le président: Même si cela ne les dérange pas de pouvoir s'établir en France si cela leur plaît.
M. Gwynne Dyer: Vous avez tout à fait raison. Je ne suis pas partisan de Haider à cet égard; je signale simplement les risques de problèmes.
Le président: On ne veut pas nécessairement que les autres jouissent des mêmes avantages que soi une fois qu'on fait partie du club.
M. Gwynne Dyer: C'est ce qu'on appelle «remonter l'échelle», ce qui se fonde sur une tradition ancienne.
Le troisième aspect est l'avenir de ce genre d'intervention. Nous avons en fait créé des attentes, tant parmi notre population que dans l'ensemble du monde, à savoir que lorsque des massacres ont lieu, lorsque le génocide semble imminent, nous intervenons pour y mettre un terme. Quoique très louable en théorie, ce genre de chose est impossible en pratique, car on ne peut pas intervenir chaque fois.
Nous avons participé à cette guerre en essayant de nous convaincre qu'aucun de nos soldats ne se ferait tuer. Cela a débouché sur une stratégie sérieusement biaisée, laquelle venait de ce que les gouvernements de l'OTAN étaient convaincus que leurs populations n'accepteraient pas de victimes. Je veux parler de la fameuse «ligne de Mogadishu», qu'on appelle également le «critère de Douvres» dans les bureaux de Washington, principe selon lequel aucune intervention militaire américaine ne doit s'effectuer à l'étranger à des fins humanitaires si elle risque de faire 20 victimes chez les soldats américains—leçon tirée de Mogadishu, où 19 Américains sont morts en un après-midi. Le week-end suivant les Américains quittaient l'endroit.
L'appui politique pour ce genre d'initiative, même si les gens sont très choqués par les images qu'ils voient à la télévision, est assez fragile pour s'assurer que ce genre d'opération ne puisse être entreprise que lorsqu'on peut s'attendre à un minimum de victimes dans nos rangs. Autrement dit, si on appuie le principe de l'intervention, il faut également faire preuve de beaucoup d'illogisme—l'illogisme est toujours une qualité—dans le choix des interventions que l'on décide de faire.
Il va sans dire qu'il est ridicule de proposer une intervention pour protéger les Tchétchènes contre les Russes. Il y a 150 millions de Russes, et ils possèdent des armes nucléaires. S'ils se lançaient dans un génocide sur une grande échelle, ce qui n'est pas le cas, il serait quand même très difficile de décider—et je pense que nous finirions par rejeter l'idée—d'engager une action militaire contre la Russie, et encore plus contre la Chine à cause du Tibet, etc., les autres exemples qu'on met de l'avant pour prouver que nous n'aurions pas dû le faire là où nous pouvions le faire, car nous ne le faisons pas là où c'est impossible.
Ce n'est pas mon avis. Je soutiens qu'il faut intervenir lorsque c'est nécessaire et faisable. En fait, c'est l'argument qui a été avancé par Tony Blair à Chicago au beau milieu de la guerre, lorsqu'il a dit que nous avions une doctrine d'intervention partiale.
Je m'en tiendrai là, car il y a beaucoup à dire à ce sujet, mais je préfère m'abstenir pour le moment. Si vous voulez approfondir la question, nous pourrons le faire.
La dernière remarque que j'aimerais faire, c'est que nous avons énormément brouillé les pistes sur le plan du droit international. Nous avons déclenché une guerre illégalement, car la seule justification d'entrer en guerre, aux termes du droit international selon la définition de la Charte des Nations Unies, c'est lorsqu'on est attaqué et qu'on agit par légitime défense, ce qui n'était bien évidemment pas le cas en Serbie, ou si l'on obtient l'autorisation des Nations Unies, ce que nous n'avions pas et n'avons pas demandé, car nous savions qu'il serait impossible de l'obtenir. Nous avons agi en fonction de ce que nous supposons être le principe supérieur des droits de la personne.
Cette opinion est largement justifiée sur le plan pratique, et elle l'est également du point de vue juridique dans la mesure où il existe, dans le droit international de l'après-guerre, un texte contradictoire, ou du moins distinct, à savoir la convention contre le génocide de 1948, à laquelle s'ajoutent des lois comme la convention contre la torture de 1977, lesquelles supposent toutes le droit et le devoir d'intervenir même sans l'autorisation des Nations Unies. Il est très frappant de voir, par exemple, qu'en 1995 le gouvernement américain a refusé pendant deux mois de prononcer le mot «génocide» au sujet de la situation au Rwanda, l'affaire la plus vite réglée de la décennie, car si l'on avait parlé de génocide, les États-Unis auraient été obligés d'intervenir pour y mettre fin.
• 1010
Il y a donc maintenant, au vu et au su de tous, la Charte de
Nations Unies, qui s'oppose à la convention contre le génocide,
etc., et nous avons décidé d'en prendre les éléments qui nous
intéressent selon le cas. Nous allons sans doute continuer de faire
ce choix selon ce qui nous convient pour l'instant, car à long
terme il nous incombe de concilier ces deux textes de loi
internationaux qui sont en partie contradictoires.
Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Dyer.
Je tiens à remercier tous les témoins de cet examen très utile et très approfondi qu'ils ont fait des événements passés et, dans une certaine mesure, du moins nous l'espérons, de ce qu'on peut faire à l'avenir pour résoudre une partie des énormes problèmes qui assaillent la région.
J'ai sur ma liste M. Strahl, puis M. Robinson et M. McWhinney.
Monsieur Strahl, ce sera 10 minutes par intervention au premier tour, puis nous ferons un deuxième tour de cinq minutes.
M. Chuck Strahl (Fraser Valley, Réf.): Compris.
Je remercie tous les témoins pour leurs exposés. C'est un sujet très intéressant, comme on l'a déjà dit, surtout pour prendre une décision quant à l'avenir.
Pour commencer, j'ai deux questions à poser précisément à M. Dyer.
Quand vous parlez de l'avenir de notre rôle d'intervention, j'aimerais savoir si vous parlez du Canada, ou du monde occidental, de l'OTAN ou des Nations Unies, ou quoi exactement. À mon avis, le Canada a une capacité militaire très restreinte, si l'intervention est d'ordre militaire, pour lutter contre les violations des droits de la personne. J'ai l'impression qu'il nous faut toujours compter sur les États-Unis, car nous n'avons pas les moyens voulus pour intervenir. Comme quelqu'un l'a déjà dit, nous obéissons au doigt et à l'oeil aux États-Unis, car nous n'avons pas les moyens d'intervenir nous-mêmes sur le terrain.
Je sais que dans les articles que vous avez écrits par le passé vous avez soutenu que les interventions dans divers pays en vue de défendre la cause des droits de la personne vont être de plus en plus importantes pour la communauté internationale. À votre avis, la capacité militaire du Canada ne limite-t-elle pas notre aptitude à décider des cas où nous souhaitons intervenir? En fait, nous choisissons les situations où les Américains disent que nous avons une chance de réussir.
M. Gwynne Dyer: Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous sur ce point. Dans le cas du Kosovo, il est évident que nous avons suivi les Américains et les Britanniques, qui ont pris l'initiative, surtout les Britanniques—qui étaient toujours les premiers à vouloir intervenir—et dans une moindre mesure les Français. Étant donné le lieu où ce conflit se déroule en Europe, en fait aux portes de l'OTAN, il est invraisemblable que l'intervention se fasse par le biais de l'organisation, et étant donné l'endroit où se trouvent les principaux membres de l'OTAN autres que les États-Unis, il était inévitable que ce pays décide d'intervenir.
Si on compare avec l'intervention au Timor oriental, l'automne dernier, qui a également mis en cause... Il ne s'est pas agi en l'occurrence de bombarder l'Indonésie, ce qui aurait été absurde. Il n'a jamais été dit clairement que c'était le gouvernement indonésien, plutôt que certains éléments des forces armées, qui était responsable de ce massacre et de l'expulsion forcée de la population du Timor oriental. Toutefois, à la suite des énormes pressions économiques exercées auprès de l'Indonésie, la constitution et l'envoi de cette force de maintien de la paix au Timor oriental en vue de mener une opération assez semblable à celle que mène actuellement la KFOR au Kosovo n'ont absolument pas été le fruit d'une initiative américaine. Pendant tout le processus, les Américains traînaient de l'arrière.
En fait, les deux premières semaines où nous étions en train de constituer cette force de maintien de la paix, le président Clinton continuait à dire qu'aucun Américain n'y prendrait part. Les Australiens, manifestement les voisins les plus proches, fournissaient le plus grand nombre de soldats, mais nous avions engagé les nôtres avant même les Américains. Il en va de même pour plusieurs pays d'Europe et d'Asie, et notamment les Philippines et la Corée du Sud. Les situations varient donc selon les circonstances.
Je conviens sans nul doute que si l'on intervient en Europe ou sur le continent américain, il est presque inévitable que les principaux membres de l'OTAN prendront l'initiative et que cette intervention est presque impensable si les Américains ne sont pas d'accord, à défaut de prendre carrément la direction des opérations. Dans d'autres régions du monde, la situation est moins claire. Il existe un certain nombre de régions dans le monde où des soldats canadiens sont présents sous divers auspices, comme les forces onusiennes, ou aux côtés de troupes américaines, comme au Timor oriental, mais en aucun cas nos forces d'intervention ne sont assujetties au commandement, au leadership moral ou à une coercition politique de la part des États-Unis.
• 1015
La restructuration des Forces canadiennes, qui est envisagée
et loin d'être terminée, pas même au niveau du plan, prévoit qu'un
plus grand nombre de nos soldats seront assignés à ces tâches et un
moins grand nombre assignés aux conflits classiques d'Europe du
Nord pour lesquels nous nous sommes préparés pendant les années 60,
70 et 80. À l'heure actuelle, les Forces canadiennes sont mises à
rude épreuve et tellement étirées qu'on peut voir à travers elles.
Elles sont ainsi éparpillées notamment en raison d'une pénurie de
forces terrestres, lesquelles sont plus nécessaires pour ce genre
d'interventions. La restructuration résoudra en partie le problème,
du moins nous l'espérons, même si personne n'a encore vu de plan
détaillé.
M. Chuck Strahl: Je suis d'accord avec vous. Espérons que ce sera le cas. J'espère que les budgets futurs et la réorganisation en cours de notre armée tiendront compte du fait que nous avons besoin d'une armée canadienne forte pour toutes ces raisons. Nous ne faisons pas toujours ce qu'il faut, mais nous ne ferons pas grand-chose si nous n'avons pas les moyens de participer à certaines de ces interventions.
J'aimerais savoir ce que les témoins pensent du rôle du Tribunal pénal international au cours de cette période post-intervention. En fait, je me demande si cette question devrait être portée devant ce tribunal ou si les tribunaux de guerre internationaux, qui se concentrent sur un conflit ou une région donnée, sous les auspices des Nations Unies, n'offrent pas une meilleure solution. Est-ce que le Tribunal pénal international doit avoir un rôle à jouer, ou va-t-il devenir, comme certains le craignent, un déversoir pour une foule de problèmes qui ne seront peut-être jamais résolus? En d'autres termes, est-ce un organisme qui s'occupe plus de questions bureaucratiques que de véritables solutions de problèmes?
Le président: Nous avons entendu parler du Tribunal pénal international, et c'est pourquoi cette question nous intéresse au plus haut point. Vous demandez s'il ne réglera que des problèmes bureaucratiques. À mon avis, il faut voir plus loin que cela. De par son existence même, il risque de permettre la menace de crimes de guerre.
M. Chuck Strahl: Et c'est ce que j'aimerais savoir. Il me semble que c'est une arme à double tranchant, et c'est pourquoi cette question m'intéresse.
Le tribunal, à première vue, semble être une bonne idée. Si nous ciblons notre intervention dans les endroits où nous sommes vraiment en mesure d'intervenir et que c'est un acte nécessaire et faisable—ce qui est à la base de votre argument, monsieur Dyer—je crains que le Tribunal pénal international n'ait un champ d'action si vaste qu'il sera appelé à intervenir non seulement lorsque ce ne sera pas nécessaire, mais également lorsqu'il sera tout à fait impossible de mettre ses décisions en vigueur. Il deviendra alors non pas un organisme d'exécution efficace, mais plutôt une instance utilisée à des fins politiques pour porter sa cause devant la communauté internationale.
C'est pourquoi je me demande s'il contribuera ou non à résoudre le problème.
Le président: Avant que M. Dyer ne réponde, monsieur McWhinney, aviez-vous une brève question à poser?
M. Ted McWhinney (Vancouver Quadra, Lib.): Il faut bien préciser que le Tribunal pénal international n'a pas encore été créé. La loi exige 60 ratifications.
Monsieur Strahl, vous voulez sans doute parler des tribunaux spéciaux de l'ONU pour les crimes de guerre, notamment en Yougoslavie et au Rwanda.
M. Chuck Strahl: Non, je parle du projet. Je sais que ce tribunal n'est pas encore créé, mais il y a eu beaucoup de...
M. Ted McWhinney: Il faudra peut-être attendre longtemps avant que 60 pays ne ratifient ce projet.
Le président: M. Strahl a été très clair dans sa question. Est-ce qu'il vaut mieux conserver le genre de tribunaux spéciaux qui existent déjà, ou vaut-il mieux faire appel au Tribunal pénal international? Je vois où vous voulez en venir, car nous essayons tous de trouver une réponse.
Monsieur Dyer.
M. Gwynne Dyer: Non seulement le tribunal n'existe pas encore, mais même après 60 ratifications et sa constitution, il n'y aura pas de participation américaine, ce qui est un gros problème. Certains pensent que cela viendra. On a vu une tendance se dessiner vers la fin des années 80 et dans les années 90, où souvent les Américains ne signent pas un document international au départ, mais 10 ans plus tard il y a un changement de gouvernement, et les États-Unis finissent par signer. C'est selon ce principe que nous avons signé le traité sur la non-utilisation des mines antipersonnel, par exemple.
• 1020
À supposer que ce tribunal voie le jour et même qu'il y ait
une participation américaine, l'échéancier prévu ne lui permettra
pas de se pencher sur les problèmes de l'heure, c'est-à-dire le
problème actuel et celui de l'an dernier. La question est plus
vaste que cela. Il s'agit de savoir si nous ne sommes pas en train
de créer un monstre bureaucratique et s'il ne vaut pas mieux
confier ces problèmes à des tribunaux provisoires constitués
spécialement pour se pencher sur des problèmes précis.
À mon avis, et je parle par intuition, car nous n'avons aucune preuve, les tribunaux spéciaux ne peuvent être créés qu'après coup. Il faut qu'il y ait une catastrophe pour qu'on juge utile de constituer ce tribunal, de sorte qu'on est toujours en train d'essayer de faire du rattrapage dans ces cas-là.
Par conséquent, en principe, il vaut mieux disposer d'un tribunal qui peut intervenir ou au moins recommander des mesures dès le début d'un conflit susceptible de déboucher sur un génocide, à condition que cet organisme n'essaie pas d'en faire trop. Il n'est pas question de faire la police dans tous les pays du monde et en permanence, et un tribunal qui prétend que quelqu'un va le faire pour lui n'est pas un instrument utile.
En revanche, il y a des progrès prometteurs dans certains domaines, comme l'application de la convention contre la torture, avec l'arrestation du général Pinochet et l'horreur des voyages que semblent avoir depuis bon nombre d'autres dictateurs à la retraite. Cela nous porte à croire que le fait de centraliser cette force de l'ordre au sein d'un organisme permanent constituera un moyen très utile d'imposer une, comment dirais-je, certaine discipline politique dans le monde.
Le président: Laissez à tous les tribunaux nationaux le soin de décider s'ils vont...
M. Gwynne Dyer: C'est exact. C'est ce que nous faisons pour le moment. Les tribunaux nationaux ont le droit et le devoir de faire appliquer le droit international, mais ils agissent de façon très ponctuelle. En général, par exemple, Suharto ne s'est pas rendu en Allemagne en août dernier, car il risquait d'être arrêté, même s'il se rend dans ce pays depuis une trentaine d'année pour y subir un traitement médical. Quant à Mugabe, il a dû fuir Johannesburg en décembre quand le gouvernement éthiopien a découvert qu'il était dans cette ville pour se faire soigner. Cela se fait, mais cela se fait de façon très ponctuelle, et il serait préférable de centraliser ce moyen de pression.
Le président: Monsieur Trifkovic.
M. Srdja Trifkovic: Je suis sidéré de voir que notre seule option soit de choisir entre le Tribunal pénal international et des tribunaux ad hoc. C'est un peu comme s'il fallait faire un choix entre le cancer et la leucémie.
À mon avis, les organismes quasi judiciaires internationaux qui ont une structure bureaucratique et poursuivent des objectifs politiques ne sont ni souhaitables ni pratiques si l'on considère qu'un tribunal doit constituer une tribune impartiale pour l'administration de la justice. Si l'on doit en juger par l'action de ce tribunal bidon qu'on appelle cour de La Haye en ex-Yougoslavie, la leçon qu'on tire de cette auguste instance est que c'est Moscou en 1938, et non pas Nuremberg en 1946, qui est son modèle de justice. Cette cour a été créée pour des raisons purement politiques par le Conseil de sécurité, qui s'est fondé sur le chapitre 7. La façon dont il a procédé, sa règle de la preuve, le choix des personnes à accuser et à poursuivre, et enfin le fait qu'il ait refusé de condamner et de poursuivre des personnes qui, à première vue, devraient l'être, comme les dirigeants des 19 pays de l'OTAN, prouvent bien que c'est avant tout un organisme politique. Il n'y a aucune raison de croire qu'un Tribunal pénal international puisse être différent.
Il va sans dire que si des gens comme Clinton et Blair décident des interventions qui sont nécessaires et faisables, ils finiront par décider des poursuites qui sont nécessaires et faisables. Le genre de discipline politique que cet organisme imposerait dans le monde nous ramène étrangement à l'esprit Le meilleur des mondes de Huxley et 1984 d'Orwell.
Je suppose que les organismes comme ceux dont vous parlez nous feront franchir un pas de plus vers un totalitarisme mondial au sein duquel les traditions locales et nationales du droit, de la justice et de la jurisprudence, qui sont importantes parce qu'elles ont évolué dans le contexte d'une véritable culture nationale autonome, seront remplacées par des principes mondiaux, soi-disant universels et donc, par nécessité, idéologiques.
Le président: Très bien.
Mme Radmila Swann: Puis-je ajouter quelque chose?
Le président: Je regrette; il faut passer à autre chose, même si cette discussion est des plus fascinantes.
Je voudrais simplement ajouter qu'il faut toujours faire un choix, et je vais donc vous demander: quelle solution préférez- vous? Pour moi, la solution de rechange, c'est qu'il y aura toujours des tribunaux impériaux américains qui imposent leur compétence dans le monde entier, ce qui risque d'être pire pour vous. De toute façon, ce n'est qu'une réflexion...
M. Srdja Trifkovic: Pour moi, la solution de rechange consiste à redécouvrir la beauté d'une société des nations où le droit et les relations internationales se fonderont sur des intérêts nationaux éclairés, dont la règle d'or sera: «Je ne refuserai à personne ce que je demande pour moi-même.»
Je ne prétends pas qu'il s'agisse d'un âge d'or disparu depuis longtemps, disons en Europe entre 1815 et 1914, auquel nous devrions aspirer par nostalgie réactionnaire. Je dis simplement que ce que l'on nous offre en remplacement dans le meilleur des mondes des Blairistes et des Clintoniens est bien pire et beaucoup plus effrayant.
Le président: Très bien.
M. Chuck Strahl: Eh bien, vous avez posé la question, monsieur le président. Vous l'avez posée.
Des voix: Oh, oh!
Le président: C'est exact; j'ai posé la question. Nous sommes allés jusqu'en 1939, et jusqu'à présent nous avions évité cela.
Nous allons maintenant passer à M. Robinson.
M. Svend J. Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier les trois témoins de leurs témoignages très convaincants. J'aurais quelques questions à poser, mais, si vous le permettez, je voudrais tout simplement demander à M. Dyer de faire des observations au sujet du tribunal spécial, en un sens en réponse à M. Trifkovic, car je partage certainement bon nombre des préoccupations qu'il a soulevées.
Lorsqu'on regarde certaines des décisions délibérées qui ont été prises par l'OTAN pour ce qui est de viser... par exemple, Mme Swann a mentionné l'incident de l'attaque sur le train. L'OTAN a dit qu'il était trop tard pour éviter la bombe; ils ne l'ont vu qu'à la dernière minute. Ils ont accéléré le film, mais ne l'ont vu qu'à la toute dernière minute. Ce que l'on semble avoir oublié, c'est qu'il y a eu une seconde attaque après la première. De toute évidence, s'ils n'ont pu éviter la première, ils auraient certainement pu éviter la seconde. Il y a donc eu une deuxième frappe délibérée sur le train, et 55 personnes innocentes ont perdu la vie.
Il y a eu une attaque sur un pont à Varvarin, non pas au milieu de la nuit, mais en plein jour. Bon nombre d'innocents ont perdu la vie en se rendant au marché.
Ou l'utilisation des bombes à dispersion... Lorsque je suis allé au Kosovo, on m'a amené à un endroit en particulier où l'on retrouve les restes de ces bombes. C'était un champ agricole avec des enfants autour.
Il est possible de présenter des arguments assez convaincants pour dire que ce n'était pas une erreur terrible, mais certaines décisions délibérées ont été prises relativement à certaines cibles et par conséquent des civils ont perdu la vie. Nous entendrons plus tard le professeur Mandell qui cherche à porter cette affaire devant le tribunal spécial, mais je me demande si M. Dyer pourrait peut-être faire des observations et répondre à la critique qui a été faite—que je partage, d'ailleurs—au sujet de la qualité de la justice qui est dispensée par un tribunal spécial de cette nature qui devrait peut-être également faire enquête sur les crimes qui auraient pu être commis par l'OTAN au cours de cette guerre.
M. Gwynne Dyer: L'attaque au sujet de laquelle j'ai en fait le plus de doute est celle contre la station de télévision. J'y ai songé à plusieurs reprises et il s'agit là indubitablement d'une décision qui n'a pas été prise par un pilote.
Même si on ralentit le film à sa vitesse originale... Les pilotes qui opèrent dans un environnement aérien hostile n'ont peut-être pas en fait les bonnes priorités en tête, moralement parlant. Ils veulent se débarrasser de la bombe et sortir de là, ils ne tiennent pas à rester près de la zone cible.
L'attaque contre le centre de télévision mérite certainement qu'on y accorde davantage d'attention. Ce n'est pas seulement la maquilleuse qui a perdu la vie. Environ 15 techniciens ont perdu la vie. Et contrairement à la plupart des autres frappes que nous avons effectuées sur des immeubles gouvernementaux serbes, où nous leur avons pratiquement téléphoné... De toute évidence, plus personne ne travaillait là. Ils étaient partis le premier jour de la guerre. Mais nous leur avons téléphoné et nous leur avons dit: «Faites sortir le gardien de nuit. L'immeuble du ministère serbe de l'Intérieur est la cible ce soir.»
Généralement parlant, nous avons insisté lourdement au cours de cette guerre sur la nécessité d'éviter les pertes civiles, ne serait—ce que pour la simple raison que ça ne paraît pas très bien à la télévision. Le sondage effectué par Human Rights Watch laisse entendre que près de 500 civils serbes ont perdu la vie au cours de cette guerre. La quantité de matériel militaire utilisée laisse entendre que de façon générale on a tenté de réduire au minimum les pertes civiles. Mais on a ensuite les cas où il y a eu des frappes à la suite d'une décision politique qui a été prise, et il est clair que c'est une décision qui a été prise tout en haut de la chaîne de commandement. Ce sont des questions sur lesquelles il faut faire enquête.
M. Svend Robinson: Lorsque vous parlez d'une enquête...
M. Gwynne Dyer: Je veux dire qu'il devrait y avoir... Je ne dis pas qu'un crime a été commis, mais il faut faire enquête afin de déterminer si un crime a été commis, si on a enfreint la loi de la guerre, je pense que c'est là une demande raisonnable.
Dans l'ensemble, le rapport de Human Rights Watch—et c'est un document intéressant—ne dit pas que l'OTAN a massivement abusé des lois de la guerre, mais il laisse entendre qu'il y a certains cas qui méritent de faire l'objet d'une enquête. Et ils devraient, en toute équité, faire l'objet d'une enquête. Franchement, l'OTAN devrait faire elle-même cette enquête. Elle ne devrait pas attendre que le tribunal international fasse enquête. J'aimerais beaucoup que nous fassions enquête.
Je ne crois pas cependant que de façon générale la politique était d'enfreindre les lois de la guerre ou de cibler les civils. Pour des raisons de propagande, certains ponts sur le Danube qui n'avaient pas d'utilisation militaire visible ont été détruits—une politique très inefficace, car le Danube est toujours bloqué aujourd'hui—et le centre de télévision est un autre exemple. Dans l'ensemble, les cibles ont été choisies avec prudence et en respectant la primauté du droit.
M. Svend Robinson: Eh bien, encore une fois, nous pourrions avoir un débat sur cette question. À Pristina, j'ai eu l'occasion de voir les ruines d'une autre erreur de l'OTAN, en fait avec un médecin dont la belle-mère était parmi les personnes qui ont perdu la vie. C'était une installation postale, une installation de communications, au centre-ville de Pristina. C'est un autre accident. Mais je comprends que vous soyez d'accord pour dire que le tribunal spécial devrait examiner ces cas également.
J'aimerais demander à Mme Swann si elle pourrait nous parler davantage de la situation actuelle, particulièrement au Kosovo, et de l'incapacité totale apparente à mettre en oeuvre les dispositions de la résolution 1244 des Nations Unies.
Un couple est venu me voir à mon bureau de circonscription. Leur tante âgée était allée au marché à Pristina—elle était d'origine serbe—et lorsqu'elle est rentrée à la maison, son appartement était occupé par des Kosovars d'origine albanaise qui lui ont dit: «Sortez, et ne revenez plus. C'est tout.» Cela est arrivé trop souvent. Il y a eu trop de pertes de vie. La résolution 1244 des Nations Unies est essentiellement une lettre morte.
Je me demande cependant si Mme Swann pourrait nous parler davantage de la façon dont elle voit la situation actuelle au Kosovo, et ce qui est encore plus important, car notre comité doit faire des recommandations au gouvernement, quel rôle le Canada peut et doit jouer, puisqu'il est l'un des pays à intervenir là-bas à l'heure actuelle. Il faudrait peut-être avoir plus de ressources, mais que devrions-nous faire pour chercher à faire respecter de façon plus efficace la résolution 1244?
Mme Radmila Swann: Merci.
Dans mon exposé, en fait, je n'ai pas suffisamment parlé des souffrances du peuple au Kosovo à l'heure actuelle. Nous avons ici à Ottawa une jeune femme qui a de la famille à Kosovska Mitrovica. C'est la région qui est divisée. Les Serbes sont en majorité dans la partie nord de la ville et les Albanais constituent la majorité dans le sud, mais il y a aussi des Kosovars albanais dans le nord.
Elle a un oncle qui travaille comme médecin à l'hôpital de Kosovska Mitrovica à l'heure actuelle. La centrale qui contrôle l'électricité pour toute la ville de Kosovska Mitrovica se trouve dans la partie sud, dans le secteur albanais. Les Albanais coupent l'électricité chaque fois qu'ils en ont envie. Cette hôpital n'a pas d'approvisionnement stable en carburant, en électricité ou en eau. L'hôpital a besoin de toutes sortes de matériel médical. On s'imagine ce que cela signifie lorsqu'un médecin est en train de traiter un patient et que tout à coup il n'y a plus d'électricité; tout à coup il n'y a plus d'eau à l'hôpital.
• 1035
La même jeune femme m'a dit que son cousin, un jeune homme de
18 ans, a été blessé, il jouait au basket-ball devant sa maison
avec trois membres de sa famille. Un jeune garçon albanais—et
c'est important; ce sont des enfants. Nous pensons que nous avons
des problèmes au Canada avec la Loi sur les jeunes contrevenants.
En Europe, les enfants causent beaucoup de problèmes également. Un
jeune garçon de 10 ou 12 ans est passé devant les jeunes qui
jouaient au basket-ball et a lancé une bombe. Son cousin a failli
mourir. Il a été grièvement blessé. Un autre garçon a subi des
blessures moins graves.
Les gens à Mitrovica savent très bien qui a lancé cette bombe. Ils l'ont dit à la KFOR. Ils l'ont dit à la police. Rien n'a été fait. Ils savent également quel Albanais a lancé une bombe dans un café, tuant plusieurs Serbes. Rien n'a été fait. Ils sont très découragés.
On m'a dit par ailleurs que les Serbes de Mitrovica sont allés voir la KFOR et lui ont dit: «Vous devez nous protéger. Si vous ne nous protégez pas, nous devrons chasser hors de la ville les Albanais qui restent, car nous n'avons pas vraiment le choix. Nous ne pouvons pas vivre ainsi.» Le soir même, des avions et des hélicoptères ont été envoyés au-dessus de la région albanaise, pour protéger les Albanais, pour s'assurer que les Serbes ne les chasseraient pas—mais aucune protection supplémentaire n'a été accordée aux Serbes.
Il y a de nombreuses anecdotes. À Gnjilane, les Serbes qui restent se sont réfugiés dans l'église. Les femmes enceintes donnent naissance dans l'église. Ils ne peuvent sortir. C'est absolument atroce.
Je pense que vous vous rappelez tous cette histoire malheureuse... eh bien, ce n'est pas une histoire, c'est un fait. Un employé des Nations Unies a été tué tout simplement pour avoir parlé serbe à Pristina. C'est désastreux.
Quant à ce que nous pouvons faire pour l'avenir, je pense qu'il serait très important de commencer par permettre à la police serbe de revenir au Kosovo. Il avait été entendu dans l'accord qui a été signé en juin que la police serbe pourrait protéger les zones serbes. Qu'il y aurait une police serbe pour garder la frontière. Je pense que ce serait un début.
M. Svend Robinson: Cela faisait partie de la résolution 1244.
Mme Radmila Swann: Exactement. Ce serait le début de deux messages. Ce serait un message encourageant pour les Serbes avant qu'ils soient tous obligés de partir pour leur dire que oui, quelqu'un se soucie d'eux; il y aura une certaine protection pour eux.
Deuxièmement, ce serait également un message pour les Albanais extrémistes. Je dis bien les Albanais extrémistes, car il est important, je pense, de dire aux fins du compte rendu que les Serbes ne détestent pas les Albanais. Ce sont les terroristes. Nous parlons ici de l'UCK. Je voudrais tout simplement rappeler aux membres du comité qu'il y a des milliers d'Albanais qui vivent très heureux en Serbie. Je ne sais pas si les sanctions les rendent très heureux, mais ils ne sont pas persécutés. Voilà l'important.
J'enverrais un message aux Albanais pour leur dire qu'ils ne peuvent pas régner librement au Kosovo.
Une voix: C'est une suggestion utile. Merci.
Le président: Un rappel au Règlement? Je crains que nous ayons de loin dépassé le temps qui nous était alloué.
M. Chuck Strahl: On me distribue constamment des documents, et je ne sais vraiment pas de qui ni d'où cela vient, ni qui en est responsable. Certains de ces...
Le président: C'est une tentative pour vous déstabiliser, monsieur Strahl. C'est un complot politique.
M. Chuck Strahl: Peut-être. Vous supposez qu'il y a une certaine stabilité au départ. Je me demande si nous pourrions tout simplement savoir où...
La greffière: Tous les documents sauf celui-ci viennent des témoins et celui-ci vient de quelqu'un dans l'auditoire.
M. Chuck Strahl: Très bien.
M. Srdja Trifkovic: Je suis responsable de ce livre en particulier car on m'a dit que vous n'aviez pas le texte complet du diktat de Rambouillet.
Le président: Nous l'avons. Nous l'avons eu. C'est quelque chose que les témoins ont dit. Nous l'avons depuis longtemps, et on en a parlé lorsque nous avons débattu...
M. Chuck Strahl: C'est bien. C'est lui qui a apporté ce livre. C'est un membre de l'auditoire qui nous l'a fait parvenir.
M. Srdja Trifkovic: Il y a par ailleurs un de mes articles dans la revue Chronicles.
M. Chuck Strahl: Cela vient donc de vous également.
M. Srdja Trifkovic: Oui.
M. Chuck Strahl: Très bien. Je suis beaucoup plus heureux maintenant que je connais le contexte.
Le président: Eh bien, nous ne voulons pas vous corrompre avec trop d'information.
M. Chuck Strahl: C'est bien. Les photos ne sont pas assez grandes. Ça va.
Le président: Très bien. Nous allons maintenant passer à M. McWhinney.
M. Ted McWhinney: Au fait, nous avons le texte de l'accord de Rambouillet. Nous l'avons étudié en détail, alors passons à autre chose. Un témoin a dit imprudemment qu'elle ne l'avait pas lu et qu'elle n'avait pu l'obtenir. Ce n'est tout simplement pas le cas.
Permettez-moi tout simplement de dire en guise d'introduction que je comprends les problèmes auxquels Gwynne Dyer a fait allusion, avec raison d'ailleurs, relativement au Tribunal pénal international. C'est une situation Kathleen Mavourneen. C'est peut-être maintenant, ce ne sera peut-être jamais, mais je ne crois pas que nous devrions dénigrer le tribunal spécial pour le Rwanda ou l'ex-Yougoslavie. Il y a eu des changements importants au niveau des membres du tribunal. Il ne représente plus les pays membres de l'OTAN. Je connais très bien deux des juges. Shahabuddeen de la Guyane est l'un des juristes les plus sérieux et un ancien membre du Tribunal mondial. Il fait partie de ce tribunal. Wang Tieya, qui a été chassé de Chine par la Bande des quatre pendant la Révolution culturelle, siège à ce tribunal. Ce sont des gens intéressants. Et le nouveau procureur est une professionnelle, une procureure générale de la Suisse. C'est une femme très capable.
Il y a certains cas intéressants faisant intervenir des avocats canadiens devant ce tribunal, de sorte que nous devrions peut-être attendre pour voir ce qui va se produire.
Passons maintenant à Mme Swann. J'ai bien aimé ses observations, et j'aimerais la rassurer en lui disant que la politique gouvernementale canadienne ne vise pas à diaboliser quelque segment que ce soit de notre collectivité. Il y a eu une assemblée d'environ 1 000 personnes, je crois, dans ma circonscription. Mon collègue Svend Robinson et moi-même avons débattu cette question. Nous sommes très heureux que tous les membres de notre collectivité expriment légitimement leur point de vue. Nous accordons donc une grande valeur à votre comparution et à la façon très tempérée dont vous avez présenté vos recommandations parfois très saisissantes.
Si vous me le permettez, j'aimerais vous poser une question. Vous savez qu'il y a eu un changement, pour ainsi dire, au niveau de la responsabilité pour l'opération du Kosovo en cours de route. Vous savez que le ministre canadien des Affaires étrangères s'est rendu à Moscou en compagnie de son homologue grec. Vous savez également qu'à la suite de cette visite, les pays du G-8 ont signé la déclaration de St-Petersbourg. L'opération est passée de l'OTAN au G-8 et la résolution 1244 est passée fermement et entièrement sous la responsabilité des Nations Unies. Soyons clairs à ce sujet. Le Conseil de sécurité a voté, la Chine s'est abstenue, mais tous les autres, y compris la Russie, ont voté en faveur de la résolution.
Nous avons donc un fondement juridique pour les opérations actuelles sous l'égide des Nations Unies et le Canada a fait preuve de beaucoup d'initiative à cet égard. Vous êtes au courant, je pense, et vous vous réjouissez certainement de ce développement, n'est-ce pas?
Mme Radmila Swann: Je ne crois pas que cela se soit passé avant le début du bombardement le 24 mars.
M. Ted McWhinney: Non, je parle des politiques canadiennes. Je pense que nous pouvons tout simplement déclarer aux fins du compte rendu que le gouvernement canadien a travaillé très activement avec d'autres pays pour faire en sorte que l'opération soit entièrement sous le contrôle et l'autorité des Nations Unies. Ce n'est pas la même chose naturellement que de dire que c'était le cas depuis le début, mais on ne peut nier le rôle que le Canada a joué, en partie pour répondre aux représentations d'organisations communautaires comme la vôtre.
Mme Radmila Swann: Je suis désolée, j'ai un peu de mal à vous entendre, monsieur McWhinney.
Je me rappelle que M. Axworthy, dans sa première allocution, a dit que ce n'était pas une guerre; qu'il s'agissait d'une action humanitaire. Notre gouvernement canadien savait certainement ce qu'il faisait à ce moment-là et que le bombardement de la Serbie n'était pas un acte humanitaire.
Notre participation a été importante dès le début. Je ne suis pas sûre exactement de ce que nos diplomates canadiens ont dit ou de l'influence qu'ils ont pu avoir. Je soupçonne qu'ils n'ont pas eu grand-chose à dire lors des négociations à Rambouillet. Tout était contrôlé par les États-Unis. Ce qui me trouble surtout, c'est le fait que lorsque la Serbie—Yougoslavie—s'est montrée prête à signer un accord de paix à Rambouillet, elle a essuyé un refus. Je pense que l'influence que nous avions aurait dû être utilisée à ce moment-là pour déclarer notre position avec nos alliés.
M. Ted McWhinney: Nous n'avons pas participé au processus de Rambouillet, comme vous le savez, mais on ne peut certainement pas faire abstraction du rôle que des organismes comme le vôtre ont joué, en exprimant légitimement leur point de vue, dans le cadre d'initiatives comme celle du Canada, de la Grèce et d'autres pour faire en sorte que cette opération retourne entièrement sous l'autorité et le contrôle légaux des Nations Unies dans la résolution 1244. À votre avis, cela constitue certainement une étape positive, n'est-ce pas?
Mme Radmila Swann: J'estime que nos collectivités n'ont pu avoir suffisamment accès à nos députés. Nous n'avons pas eu suffisamment d'occasions d'exprimer notre point de vue.
Je me rends compte que les députés ne sont pas responsables de ce que dit la presse, mais nous n'avons pas eu accès aux médias non plus. Nous n'avons eu que quelques rares occasions. Nous avons constaté que peut-être une lettre sur dix parmi celles que nous leur avons envoyées a été publiée. Nous avons envoyé des communiqués pour annoncer des séances d'étude ou des manifestations, et très souvent, ces communiqués n'ont pas été publiés.
Je me rappelle avoir tenté de visiter mon député au moment du bombardement. C'était au beau milieu du bombardement. Je l'ai vu à d'autres occasions, mais à cette occasion en particulier on m'a dit qu'il ne pourrait me voir avant environ six semaines parce qu'il était à l'étranger. C'est très long six semaines lorsqu'on est au beau milieu d'un bombardement et que l'on voudrait faire cesser ce bombardement.
Le même soir, j'ai vu mon député à la télévision, et au cours des quelques jours qui ont suivi, on a parlé dans les journaux de ses allocutions à la Chambre des communes. Il est clair qu'il n'était pas à l'étranger. Ce n'était peut-être pas de sa faute—c'était sans doute la faute de son bureau—mais en toute honnêteté, je ne crois pas que nous ayons eu l'occasion de faire connaître notre point de vue.
M. Ted McWhinney: Je ne peux parler pour les autres, naturellement, mais je peux dire que pour ma part, et c'est sans doute le cas également de Svend Robinson, jÂai reçu régulièrement des communications de la communauté serbe qui est une communauté très importante à Vancouver. Lorsque les gens ont demandé à me voir, je les ai rencontrés immédiatement et à plusieurs reprises. J'ai transmis leur point de vue au gouvernement canadien, et je crois que leur contribution a été très utile pour aider le gouvernement canadien à élaborer une position activiste très ferme pour faire en sorte que la responsabilité passe de l'OTAN au G-8 et en fin de compte relève des Nations Unies.
M. Robinson et moi-même avons parfois rencontré les mêmes personnes, mais à Vancouver il n'y a certainement pas eu de problème de communication.
Mme Radmila Swann: En fait, je dois ajouter que je sais qu'il y a eu de bonnes communications à Vancouver et je tiens à vous en remercier aux fins du compte rendu.
M. Ted McWhinney: Merci beaucoup, et pour toute autre communication future, je serai certainement très heureux... Mon bureau est toujours ouvert. Toutes les communautés canadiennes ont la possibilité de s'exprimer et je le répète, notre politique ne vise pas à diaboliser quelque segment que ce soit de la population canadienne. Le charme de la mosaïque canadienne, c'est que tout le monde peut exprimer son point de vue et se faire écouter. Les Canadiens peuvent ainsi contribuer au processus décisionnel collectif et je vous remercie de votre exposé et de nous avoir présenté votre point de vue de façon très modérée.
Mme Radmila Swann: Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur McWhinney.
Madame Marleau.
Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.): Rétrospectivement, les choses sont toujours parfaitement claires, et aujourd'hui, nous nous rendons compte que ce coin du monde n'est pas mieux qu'il ne l'était et que la situation est encore plus désespérée.
• 1050
Lors d'une séance du comité au début de la semaine, un des
témoins, un ancien ambassadeur dans la région, a essentiellement
dit que nous avions été induits en erreur, que les chiffres étaient
exagérés, que l'information sur le terrain n'est pas arrivée
jusqu'aux politiciens, et que CNN a joué un rôle majeur pour
convaincre les populations qu'il s'agissait d'un exercice
humanitaire ou autre, et par conséquent c'est ainsi que l'opération
est allée de l'avant.
J'ai une question à vous poser. Nous voyons certaines choses qui se sont passées et je ne dis pas que cela n'est pas vrai; c'est peut-être même tout à fait juste. Comment pourrions-nous empêcher ce genre de choses à l'avenir? Quelles mesures le gouvernement du Canada pourrait-il prendre afin de s'assurer que nous ne tombions pas dans le même genre de piège encore une fois?
Je crois que nos intentions étaient honorables. Cela ne faisait aucun doute dans mon esprit à l'époque. Depuis, certaines des statistiques qu'on nous avait données à l'époque ont été réfutées. Je pose donc la question pour l'avenir.
J'ai plusieurs points à soulever. J'espère que je n'aborde pas trop de questions différentes.
Je déplore le fait, je suis très troublée par le fait, que nous ne dépensions pas autant d'argent aujourd'hui pour aider la région que nous en avons dépensé pour la bombarder. Je peux vous dire que le gouvernement canadien a dépensé des centaines de millions de dollars pour jouer le rôle qu'il a joué, même s'il n'était pas très important. Je crois que tous les pays ont dépensé énormément d'argent pour des bombardements. Je ne pense pas qu'ils soient prêts à dépenser autant à l'heure actuelle. Je pense que nous devons jouer un rôle très important pour faire en sorte que tous ceux qui sont intervenus jusqu'à présent soient prêts à investir les mêmes ressources qu'ils ont investies dans les bombardements. Je pense que cela serait très important. Si nous pouvions faire cela, cela aiderait certainement.
J'ai une troisième question. Partout dans le monde on voit que la police civile est de plus en plus nécessaire. Les militaires interviennent, mais les populations sont plus à l'aise avec la police civile. Y a-t-il quelqu'un parmi vous qui pense qu'il serait avantageux de mettre sur pied une force policière des Nations Unies ou une sorte de force policière internationale qui serait formée pour ce genre d'exercice?
Je regarde certaines régions du monde. Prenons Haïti. Lorsque les militaires sont partis, nous avons eu besoin de ce genre de service de police. La même chose se produit à l'heure actuelle. Nous n'avons pas de personnel formé. Nous n'en avons pas suffisamment. Nous n'investissons peut-être pas suffisamment de ressources. Quelqu'un a-t-il une idée de la façon dont nous pourrions combler cet écart et rétablir l'ordre et la loi dans ces régions du monde très troublées?
M. Gwynne Dyer: Permettez-moi d'abord de répondre à votre dernière question. Je pense que c'est en fait là le problème.
Une force policière des Nations Unies, qui serait à la disposition des divers gouvernements ou d'administrations provisoires à la suite d'événements comme ceux qui se sont produits au Kosovo est sans aucun doute une bonne idée s'il s'agit en fait d'une force policière professionnelle, non pas d'une sinécure pour diverses personnes, comme c'est souvent le cas avec les institutions des Nations Unies. Vous savez, mon ivrogne de beau- frère doit être déporté le plus rapidement possible; nommons-le commandant de la police des Nations Unies. Je suis sûr que notre avocat peut arranger cela.
M. Ted McWhinney: Vous ne parlez pas personnellement.
M. Gwynne Dyer: Non, non, je ne parle pas personnellement. Mes beaux-frères sont tous aussi sobres que... Bien, vous savez.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Monsieur Dyer, je crois que vous avez un beau- frère à Toronto, alors j'espère que vous ferez attention à ce que vous allez dire.
M. Gwynne Dyer: Oui, effectivement. Il était sobre lorsque je suis parti ce matin.
Avec les institutions internationales, on risque toujours d'obtenir le plus petit dénominateur commun. À ce sujet, bien qu'il s'agisse là d'une très bonne idée, il n'y a pas de pénurie de polices professionnels aussi grave au niveau national, et on peut plus ou moins garantir qu'ils seront professionnels car ils sont constamment utilisés dans des rôles opérationnels actifs au pays. Si l'on pouvait persuader les gouvernements de hausser la barre pour ces forces policières... Avec une force policière des Nations Unies, les problèmes de langues et les problèmes de connaissance du terrain seraient tout aussi importants. La grande majorité de ses membres n'auront jamais vu le pays avant d'y être déployés.
• 1055
Donc vous ne gagnez rien en termes d'adaptation, de souplesse,
de connaissance du terrain et vous courez même le risque de perdre
quelque chose en termes de professionnalisme. Mais qu'il s'agisse
de policiers recrutés par les Nations Unies ou que les
gouvernements nationaux soient plus disposés à fournir après les
bombes les flics, cette lacune reste à combler.
Pour ce qui est de vos deux autres questions, j'ai du mal à vous répondre parce que je ne considère pas que les pays de l'OTAN se soient rendus coupables, comme vous le dites, d'un crime, pas plus, d'ailleurs, que les informations aient été trompeuses que des décisions ont été prises sur la base d'hypothèses totalement fausses. Mais considérant, pour un instant, votre perspective...
Mme Diane Marleau: Ce n'est pas la mienne, c'est celle de certains observateurs.
M. Gwynne Dyer: ...ou celle de mes compagnons ici présents...
Mme Diane Marleau: Je ne parle pas d'eux mais d'observations faites plutôt...
M. Gwynne Dyer: Oui.
S'il s'est avéré que dans cette circonstance ou dans d'autres circonstances les informations qui nous ont été communiquées étaient imparfaites, pour commencer, c'est parce que le monde est ainsi fait et par-dessus tout les médias, mais les gouvernements ont à leur disposition d'autres moyens d'information. Il est frappant de constater que de manière traditionnelle le Canada a toujours dépendu de ses alliés pour lui fournir ce genre de renseignements. Notre budget de renseignements est très limité. Le SCRS n'est pas une agence de collecte de renseignements à l'étranger. Nous n'avons pas de service de collecte de renseignements militaires à l'étranger. Pour l'essentiel, nous laissons à nos grands frères et à nos grandes soeurs le soin de nous dire ce qui se passe et nous prenons nos décisions sur la base de renseignements de deuxième main.
En toute honnêteté, je ne pense pas que les renseignements recueillis, soit par les médias, soit par les agences de renseignements occidentales en cette occasion, aient été si trompeurs que des décisions ont été prises sur la base d'hypothèses fautives, mais c'est certainement ce qui s'est passé dans d'autres circonstances, et cela milite en faveur, au minimum, d'un effort modeste de collecte de renseignements canadienne—je ne parle pas d'espionnage, mais simplement le fait d'avoir quelqu'un sur le terrain qui comprend la situation et la langue et qui fait régulièrement des rapports sur l'évolution des événements. Bien entendu, nos ambassades ont pour tâche de faire ce travail mais elles sont en sous effectif; elles consacrent 80 p. 100 de leur travail à des activités commerciales. Il n'y a pas quelqu'un vraiment responsable de ce genre de travail dans la majorité de nos ambassades. Prendre nos décisions sur la base de renseignements authentiques ne coûterait pas grand-chose.
Le président: Madame Swann.
Mme Radmila Swann: J'aimerais intervenir.
En réponse à votre première question, vous devez vous souvenir des commentaires de M. Bissett...
Mme Diane Marleau: C'est à lui que je faisais allusion.
Mme Radmila Swann: J'ai eu le bonheur d'être ici mardi soir pour les entendre et c'est avec raison qu'il a dit que les ambassadeurs jouaient un rôle de messager. Ses opinions et ses analyses des faits qui ont été envoyées à Ottawa n'ont pas été prises en compte dans la solution finale, n'ont pas été un des éléments inclus dans les décisions prises.
Même si nous recevons des renseignements parfaits de nos représentants à l'étranger—et je reconnais avec M. Dyer l'insuffisance de notre personnel à l'étranger—il est toujours possible que les renseignements communiqués au Parlement ne soient pas entièrement corrects. Je vous encourage tous, j'encourage tous les parlementaires à être extrêmement exigeants, à réclamer des débats, à réclamer des réponses parce qu'il s'agit de décisions aussi importantes que celle-là. C'était une guerre et nous nous y sommes engagés.
La presse étrangère donnait des renseignements nettement supérieurs à ceux qui étaient reçus ici au Canada et aux États- Unis. Vous remarquerez que dans mon document, dans le document que j'ai déposé, il y a de nombreuses références tirées de journaux français, de journaux allemands—de journaux allemands alors qu'on sait que l'Allemagne était tellement impliquée puisque certains sont allés jusqu'à accuser le gouvernement allemand de soutenir l'UCK. Pourtant, ce sont les journaux allemands qui ont rapporté des faits qui étaient beaucoup plus proches de la vérité que ce qu'on nous racontait ici.
• 1100
Par conséquent, j'implore les parlementaires d'agir
individuellement. Il y a tellement de discipline de parti que je
crains sincèrement que les députés n'aient pas suffisamment de
liberté pour penser par eux-mêmes et poser autant de questions
qu'ils devraient peut-être le faire. Je suis un ardent défenseur de
la démocratie parlementaire.
Le président: Je suis abonné au Guardian Weekly qui cite tous les articles importants du monde. Nous ne sommes donc pas uniquement limités à nos journaux du matin.
Mme Diane Marleau: Nous entendons tous les mêmes informations.
Le président: Je lis beaucoup en français. Je suis d'accord avec vous, la presse européenne est beaucoup plus dense, mais c'est une réflexion de l'esprit européen.
Mme Radmila Swann: Vous saviez donc que le massacre de Racak n'était pas véridique mais une invention.
Le président: Il m'était impossible de savoir si l'opinion exprimée dans un journal était différente ou supérieure à celle exprimée dans une autre journal. Ce ne sont que des opinions de journaliste. Si vous pensez que vous avez du mal à vous faire entendre par la presse, venez nous en parler à nous les politiciens. M. Dyer ne publiera jamais ce que j'ai dit, ne vous en faites pas.
Mme Radmila Swann: Je ne voudrais pas insister, mais à Racak il y avait des photographes.
Le président: Nous allons donner la parole à Mme Augustine puis la redonnerons à MM. Strahl et Robinson.
Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Je tiens à remercier les témoins de la lucidité qu'ils font entrer dans la discussion.
Je me bats avec toute une série de questions que les événements passés me posent. Je me demande où se trouve l'avenir du Kosovo. Est-ce qu'il deviendra un protectorat international? Deviendra-t-il une entité indépendante? Quelles sont les transitions d'après-guerre inévitables? Quelles pièces faut-il rassembler pour reformer un tout?
Un des témoins a dit que les bombardements n'avaient pas mis fin à la purification, mais qu'ils avaient créé les conditions pour le retour de centaines de milliers de citoyens ordinaires qui avaient été expulsés. Selon ce même témoin, si l'OTAN n'était pas intervenue il est plus que vraisemblable que ces expulsés seraient toujours en Macédoine, en Albanie et au Montenegro, et la communauté internationale se retrouverait avec sur les bras une crise humanitaire aux proportions gigantesques.
Ce tableau de la situation, entre autres, nous incite à nous demander, ce que nous réserve l'avenir.
M. Srdja Trifkovic: J'aimerais faire quelques commentaires sur l'avenir. Nous semblons oublier une question plus globale: que nous réserve le long terme? La crise du Kosovo est avant tout le résultat de la participation des États-Unis aux événements du Kosovo. Jusqu'à ce que Dick Holbrooke décide d'intervenir en déployant le grand jeu, c'était, et j'insiste, un conflit sans grand intérêt et de petite envergure comme ce que nous constatons tout le temps un peu partout dans le monde. Actuellement, il y a toute une série de raisons géopolitiques incitant l'administration de Washington à être présente dans les Balkans. Il nous faudrait beaucoup plus de temps pour pouvoir entrer dans tous les détails.
L'important pour vous en tant que membres de ce comité est de ne jamais prendre les alibis humanitaires et autres pour argent comptant. Vous devez toujours supposer qu'il se cache toujours d'autres prétextes derrière. L'un d'entre eux pour les États-Unis consiste à se constituer un point d'ancrage au milieu de l'Europe à l'abri des fluctuations des relations transatlantiques. Si les Allemands, les Français et d'autres décident de se créer une défense de structure européenne qui progressivement détachera les Européens de l'Ouest de l'OTAN et finira par mener à la fermeture des bases américaines à Naples, Francfort et Munich, il restera aux Américains les accès de Skopje, Pristina et Tuzla qui leur permettront de rester présents à la fois politiquement et militairement sans être affectés par un quelconque changement des relations transatlantiques.
Quand je dis qu'il y a des raisons géopolitiques qui ont leur propre logique, je ne prétends pas que dans ce cas particulier nous puissions établir une séquence définitive d'événements. Je dis simplement que les objectifs humanitaires et moraux en soi ne sont qu'une explication ni suffisante ni nécessaire.
• 1105
Pour envisager l'avenir du Kosovo à plus long terme, il faut
nous poser la question suivante: que se passera-t-il si
l'administration américaine, après Clinton ou même après le
successeur de Clinton quel qu'il soit, perd son intérêt pour les
Balkans? Pour le moment, ils créent la demande pour leur
participation en établissant toute une série de petites unités
fragmentées et non viables qui, en elles-mêmes, n'ont la
signification ni politique, ni culturelle, ni historique d'un
accord de Dayton pour la Bosnie, signification que n'a pas le
Kosovo, pas plus que demain, peut-être, le Sanjak ou le Montenegro,
peu importe.
Si la présence des garants de la Pax Americana disparaît des Balkans, nous aurons de nouveau une crise de mêlée générale hobbesienne. Et le comble de la tragédie, c'est que tout ce qui se fait actuellement ne vise pas à fonder une paix solide, juste et durable mais n'est qu'un simple exercice d'improvisation qui n'a rien à voir avec l'histoire, rien à voir avec l'évolution politique et culturelle de cette région du monde. C'est une simple satisfaction des besoins du moment.
Je ne le dis pas parce que je suis né en Serbie, mais je le dis comme quelqu'un qui essaie de comprendre l'essence politique du problème. Jusqu'à présent l'administration américaine a appliqué le principe selon lequel les aspirations de tous les groupes ethniques de la région peuvent être satisfaits aux dépens des Serbes et le résultat, c'est une paix carthaginoise imposée à la nation serbe qui créera une source constante de besoins de revanche chez les Serbes et une détermination à remettre les pendules à l'heure une fois que l'oncle Sam aura perdu son intérêt pour cette région. J'ai le sentiment qu'il y aura une guerre que mèneront les Serbes pour récupérer le Kosovo, Kosovo qu'ils estiment leur avoir été injustement arraché.
Donc, quel que soit le scénario arrêté par Bruxelles, Londres, Washington, Ottawa ou Bonn pour le Kosovo aujourd'hui, il ne vaudra pas le papier sur lequel il sera écrit s'il ne tient pas compte des réalités géopolitiques à long terme, et ces réalités sont assez simples. Vous ne pourrez imposer un Kosovo multiculturel, un Kosovo multiethnique si la population—et ici je pense principalement aux Albanais—est déterminée à ce que le Kosovo soit monoethnique. En incluant une participation de Serbes à 25 p. 100 dans n'importe quelle instance quasi représentative que vous proposerez, vous ne réinventerez pas un Kosovo multiethnique où les grands-mères n'auront plus peur de rentrer chez elles.
Actuellement, le seul moyen pour que les populations au Kosovo se sentent en sécurité dans leurs communautés c'est de procéder à une partition de facto. Que cela soit accompagné d'un modèle constitutionnel et politique consacrant cette partition importe peu. Mais il faut que vous compreniez qu'une paix carthaginoise imposée à la nation serbe qui ne prend pas en considération les intérêts légitimes des Serbes à long terme, qui ne prend pas en considération les concessions qui feront que chaque partie aura l'impression d'avoir perdu quelque chose mais aussi d'avoir gagné quelque chose, la situation sera ressentie comme invivable, injuste et à long terme deviendra la source d'un autre conflit.
Le président: Très bien. Sur ce point de vue relativement pessimiste, nous devons maintenant passer à M. Strahl.
Monsieur Strahl, est-ce que vous avez une question à poser? Ensuite il y aura M. Robinson et nous passerons à un nouveau tour.
M. Chuck Strahl: J'ai une question à poser à M. Dyer.
Monsieur Dyer, je sais que vous avez écrit dans le Times Colonist sur la côte Ouest. Vous avez commencé par poser la question de l'avenir: Que faire maintenant? Quand intervenir? Sur la base de quels critères, etc? Et dans vos écrits vous dites être intrigué par le manque de réaction de nombreux pays occidentaux au sort de nombreux chrétiens persécutés dans différentes régions du monde.
Bien entendu, nous avons le rapport de M. Harper sur les violations des droits de la personne au Soudan. Tout le monde doit maintenant se demander comment intervenir. Il est inconcevable que des gens ne comprennent pas l'ampleur du problème au Soudan, avant tout une tentative de purification ethnique menée par des responsables et des partisans du gouvernement qui persécutent les chrétiens et d'autres ethnies dans le Sud. Il est inconcevable que le monde occidental n'en connaisse pas l'ampleur, le nombre de victimes, etc. Pourtant quand nous rapportons ces faits, on nous répond que cela ne justifie pas une intervention militaire, voire, pratiquement pas une intervention diplomatique.
• 1110
Je ne sais pas s'il y a un parallèle à dresser avec ce qui se
passe en Serbie ou pas, mais il me semble qu'en triant sur le volet
nos interventions de façon complètement arbitraire—avec pour seul
facteur le fait qu'il y ait ou pas un aéroport à proximité ou que
le moment pour intervenir soit le plus opportun—nous affaiblissons
le droit moral que nous avons d'intervenir dans quelque situation
que ce soit.
Ça m'embête d'avoir à le dire, parce que je voudrais bien que cela cesse, mais il est très frustrant de voir ce qui se passe et de constater que le gouvernement canadien décide d'intervenir ou pas selon qu'il lui est possible ou pas de faire atterrir ses avions militaires sur des pistes pavées. Et si l'aéroport n'est pas pavé, le gouvernement canadien fermera les yeux pendant des années sur les atrocités qui sont commises. Il refuse non seulement d'intervenir, mais il refuse même d'exercer des pressions diplomatiques ou d'agir sur ce plan.
Je voudrais savoir quels genres de critères nous devrions nous fixer pour intervenir, et je ne parle pas uniquement du Canada, mais aussi de l'ONU et d'autres instances comme l'OTAN? On a l'impression que l'on ferme les yeux sur le nettoyage ethnique qui se passe actuellement au Soudan, et qui constitue l'une des pires atrocités de la deuxième moitié du XXe siècle, tout simplement pour nulle autre raison qu'il est difficile de se rendre sur place.
M. Gwynne Dyer: J'en conviens, même si le fait que nous n'ayons pas réagi lorsque les chrétiens étaient persécutés ne m'a pas vraiment laissé perplexe; j'ai même été relativement content de voir que nous ne réagissions pas de façon sélective uniquement lorsque les chrétiens étaient persécutés, et que nous avions évolué un peu...
M. Chuck Strahl: Mais il ne faudrait pas non plus refuser de les sauver.
M. Gwynne Dyer: Non, il ne le faudrait pas. Mais ce que j'essayais de faire comprendre... En fait, j'avais écrit cela pour le bénéfice d'un auditoire à majorité musulmane, et ce que j'ai dit a été diffusé partout au Moyen-Orient, et même interprété de travers par certains.
Ce qui me plaît, c'est que nous ne réagissions pas de façon automatique lorsque que ce sont les chrétiens qui sont les victimes, et que nous ayons évolué un peu, au point où nous nous préoccupons tout autant des musulmans, lorsqu'ils sont des victimes, que de tout autre groupe. Mais dans le cas du sud du Soudan, il est vrai que les chrétiens sont les victimes.
Le problème, c'est qu'il est vraiment difficile d'y avoir accès. En termes pratiques, une intervention dans le sud du Soudan, qui se trouve à 1 500 milles du Caire et à quelque 500 milles de l'aéroport de Nairobi ou de Kampala, constitue du point de vue logistique une tâche presque insurmontable. Et le Soudan est un grand pays!
Il est donc beaucoup plus pratique d'intervenir dans ce cas-ci en imposant des embargos, des boycotts, en exerçant des pressions diplomatiques, notamment, et c'est ce qu'on a essayé de faire. Cette semaine, on a vu que les Américains avaient pris position de façon beaucoup plus vigoureuse que notre propre gouvernement—ils sont un joueur de taille sur un petit échiquier. Mais rien ne justifie que l'on ne déplore pas de la même façon les autres atrocités commises ailleurs dans le monde.
Il faut aussi que j'aborde une autre chose, que j'appellerais l'allergie à l'Afrique. Je ne crois pas que cela soit une allergie raciste. Cette allergie découle d'une malheureuse expérience qu'a eue le Canada en Somalie, au début de la dernière décennie, et qui fut particulièrement amère pour les Canadiens pour des raisons qui n'ont rien à voir ni avec l'Afrique ni avec la Somalie, mais plutôt avec ce qu'étaient nos forces armées à l'époque.
Partout en Occident, à la suite de ce qui s'était passé particulièrement en Somalie et du tracé de la fameuse ligne de Mugdisho, on a hésité de façon sélective à intervenir dans les crises humanitaires survenues subséquemment en Afrique. N'oublions pas non plus que la situation logistique est toujours plus compliquée en Afrique. De plus, sur ce continent, les conflits ne se limitent pas généralement à deux parties. Par conséquent, une intervention lors de conflits multilatéraux est en soi beaucoup plus complexe, et celui qui intervient n'est plus là comme médiateur impartial et soldat de la paix, mais devient celui que s'arrachent toutes les parties afin d'exploiter sa présence. C'est effectivement ce qui s'est passé en Somalie.
• 1115
Malgré tout, on assiste actuellement à la mise sur pied d'une
force de maintien de la paix—internationale et pour la plupart non
africaine—qui sera envoyée au Sierra Leone, pour remplacer les
Nigérians qui ont eu à assumer le fardeau jusqu'à maintenant. Ce
n'est pas une cause perdue, mais je reconnais que nous avons été
sélectifs. Il est impossible de ne pas l'être. En termes pratiques,
nous devons trouver des façons de reconnaître cette sélectivité,
tout en dénonçant moralement les mêmes atrocités, et en expliquant
de façon claire pourquoi nous décidons de ne pas agir. C'est
beaucoup plus honnête.
M. Chuck Strahl: Je serais d'accord avec vous. Le Canada n'a évidemment pas les ressources voulues pour aider tout le monde. En fait, même les Américains ont réduit leur capacité d'intervention considérablement, et ne peuvent donc plus être le sauveur de tous.
Quant au conflit en Serbie—et je ne parle pas uniquement de la guerre au Kosovo mais de certaines des autres atrocités qui ont été commises en 1995 et à d'autres moments—la capacité d'un pays d'intervenir comme nation et de dénoncer les violations des droits de la personne est presque directement proportionnelle à la capacité qu'il y a sur la scène internationale de dénoncer toutes les atrocités sans exception.
M. Gwynne Dyer: Oui, on ne peut pas nécessairement intervenir, mais on peut certainement les dénoncer.
M. Chuck Strahl: En effet, et la communauté serbe du Canada qui suit ce qui s'est passé a le droit d'être offensée que les atrocités qui ont été commises contre les Serbes dans ces régions troublées n'aient pas attiré autant l'attention du Canada ou même du reste du monde. Cela explique pourquoi ils sont à ce point indignés de ce qui a été fait depuis.
Ce n'est pas que nous ayons mal agi là-bas, parce que toutes sortes de facteurs sont entrés en jeu. Toutefois, il est beaucoup plus facile pour un pays de justifier son action lorsqu'il a constamment dénoncé de façon persistante tous les abus commis par toutes les parties quelles qu'elles soient, avant son intervention. Malheureusement, nous ne l'avons pas fait.
Le président: Est-ce une déclaration ou une question?
M. Chuck Strahl: Une déclaration, et je n'irai pas plus loin.
Le président: Monsieur Strahl, il vous intéressera peut-être de savoir que le discours de M. Axworthy a été distribué aux membres du comité lundi, et que ce discours énonce la position du gouvernement canadien et les critères d'intervention. Il s'agit du discours prononcé par M. Axworthy à l'ONU, et qui énonce les principes qui se rapprochent de ceux que vous et M. Dyer avez proposés. Si vous voulez le lire, nous vous en ferons tenir copie.
M. Chuck Strahl: Merci.
Le président: Avant de passer la parole à M. Robinson, je signale que le professeur Trifkovic doit nous quitter sous peu pour s'envoler vers l'Europe.
M. Srdja Trifkovic: En fait, je dois m'envoler pour Chicago, d'où je m'envolerai vers Amsterdam. Je peux rester encore 10 minutes.
Le président: D'accord, mais sentez-vous libre de partir quand il le faudra. Si vous décidez de vous lever tout bonnement pour partir...
M. Srdja Trifkovic: Aucune larme ne sera versée.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Au contraire. Mais qui sait si ce seront des larmes de crocodile ou des larmes de joie? Nous vous remercions d'avoir pris le temps voulu pour comparaître, et ce que vous nous avez dit était des plus intéressants. Lorsqu'il sera pour vous l'heure de partir, n'hésitez pas à vous lever tout bonnement et à quitter la salle. Si le comité ne s'interrompt pas, j'espère que vous ne prendrez pas cela pour de l'impolitesse: votre contribution a été des plus importantes. Merci.
Monsieur Robinson.
M. Svend Robinson: Je crains de devoir quitter le comité à peu près en même temps. Toutefois, les larmes qui seront versées pour mon départ ne seront peut-être pas aussi intenses...
Une voix: Ce seront certainement des larmes de crocodile, dans votre cas.
Le président: Mais y aura-t-il des larmes de versées?
Des voix: Oh, oh!
Le président: Monsieur Robinson, c'est votre arrivée qui provoque les larmes et non votre départ.
M. Svend Robinson: J'ai été rassuré d'entendre ce qu'a dit M. Strahl au sujet du Soudan. Je remarque qu'il semble y avoir une certaine divergence d'opinions là-dessus entre lui et son collègue, M. Martin. Je préfère évidemment son point de vue à lui, et j'espère qu'il pourra influencer son collègue.
J'ai une question pour M. Trifkovic et une autre pour Mme Swann, tout particulièrement.
Pourriez-vous nous parler un peu plus de ce qui pourrait être préoccupant dans ce qui se passe à Pancevo et nous expliquer ce que vous en savez. J'ai eu l'occasion de me rendre là-bas, et je crois que l'on fait face potentiellement à un désastre environnemental. Que sait-on des résultats du bombardement dans la région, et quels tests environnementaux a-t-on faits pour examiner l'eau, l'air, etc. Cela soulève de sérieuses préoccupations.
• 1120
En second lieu, et je m'adresse aux deux témoins, j'aimerais
que vous nous parliez un peu de la responsabilité que pourraient
avoir les Serbes du Kosovo dans les écarts de conduite constatés.
Le haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés parle de façon documentée d'un énorme exode des Albanais du Kosovo avant le 24 mars. Vous avez certainement entendu ces rapports. On dit que 90 000 d'entre eux ont dû quitter leurs maisons et leurs villages.
Croyez-vous que les bombardements ont exacerbé les déplacements de population? J'en suis sûr, pour ma part. Beaucoup de ceux à qui j'ai parlé me racontaient que des Serbes sur place montraient le doigt vers le ciel en disant: «C'est vous qui êtes responsables de ce qu'a fait l'OTAN». Ils se sentaient assiégés par l'UCK et par les bombes de l'OTAN, et lorsque la population sur le terrain est sans défense, elle se sent totalement vulnérable. D'ailleurs on peut dire à bien des égards qu'il s'agissait d'une guerre de poltrons. Quoi qu'il en soit, la population a été déplacée en masse, des centaines de milliers de gens ont dû quitter leurs maisons et ont été chassés.
J'étais sur la route qui allait de Pristina jusqu'à la frontière avec la Macédoine, et d'une place à l'autre, on traversait des villages fantômes. Souvent, les maisons avaient été rasées par le feu. Il y a des gens qui sont coupables de cela.
J'aimerais que nos deux témoins reconnaissent que cela aussi fait partie de la guerre et qu'il faudra faire le point sur ces événements tragiques.
M. Srdja Trifkovic: Je répondrai à votre deuxième question, puis je devrai partir.
Il y a une chose importante à comprendre dans la guerre des Balkans, et c'est que rien n'est tout noir ou tout blanc. Malheureusement, c'est le plus grave problème que nous ayons eu à surmonter, à savoir la façon dont les médias ont couvert la guerre, la façon quasi théorique avec laquelle ils ont analysé la guerre et avec laquelle les décisions politiques ont été prises.
Dès le début du conflit, la perception s'est développée de la culpabilité des Serbes pour ce qui se passait à Krajina, en Bosnie et au Kosovo, même si, très souvent, les raisons pour lesquelles les Serbes avaient agi dans la Krajina étaient les mêmes que les raisons pour lesquelles les Albanais avaient agi au Kosovo, et vice versa. Dans certains cas, les Serbes étaient des séparatistes de facto qui voulaient la sécession, alors que dans d'autres cas, ils prônaient l'unité.
S'il faut vraiment quantifier les actes répréhensibles, il me semble néanmoins impossible de prouver que les Serbes étaient pires que les autres, puisqu'ils constituent aujourd'hui la plus grande population de réfugiés à l'extérieur de l'Afrique subsaharienne. C'est presque une lapalissade que d'affirmer que les Serbes ont commis des actes répréhensibles, car dans l'imbroglio des Balkans, toutes les parties ont commis des actes répréhensibles. Si vous exigez des Serbes qu'ils battent leur coulpe, ils devraient peut- être le faire. Mais pour citer notre patriarche, Pavle, si les Serbes se mettent à adopter certaines des techniques utilisées par leurs ennemis entre 1941 et 1945 dans le prétendu État indépendant de la Croatie et s'ils se mettent à penser comme eux, alors il est vrai qu'ils méritent d'être punis.
Si nous voulons établir une certaine équité dans ce débat, il ne faut pas oublier alors que la perception générale de la culpabilité serbe est disproportionnée, surtout en ce qui a trait aux indélicatesses humanitaires et aux crimes de guerre. Cette perception ne correspond pas à la réalité sur place. Tout comme au Kosovo, vous auriez pu voir, en conduisant de Glina à Zagreb, les villages de la Krajina complètement incendiés les uns après les autres. Leurs habitants sont morts ou en exil en Serbie. Ils ne vont pas revenir chez eux.
Si cette guerre servait à rapatrier les Albanais, ou pour reprendre les propos mémorables du ministre de la Défense britannique d'alors, «les Serbes dehors, les Albanais chez eux et l'OTAN au milieu», eh bien personne ne parle de rapatrier les Serbes au Kosovo ces temps-ci. Si, comme l'a déclaré Mme Augustine, cette guerre visait à rapatrier quelque 700 000 Albanais déplacés, personne n'envisage sérieusement de programme pour rapatrier le quart de million de Serbes déplacés, de non-Albanais, sous l'égide de l'OTAN, après la victoire de celle-ci.
• 1125
Je suis le premier à admettre que les Serbes ont eu des torts,
mais comme tous les autres. Cela ne signifie pas pour autant que
nous allons nous demander dans quelle mesure les Croates méritaient
d'être bombardés pour avoir collectivement contribué à l'exode d'un
quart de million de Serbes de la Krajina. Dans quelle mesure les
Musulmans méritent-ils d'être châtiés et bombardés, puisqu'à
l'heure actuelle Sarajevo, qui était jusqu'en 1991 la deuxième
ville serbe en importance, est maintenant Serbenfrei?
Si nous voulons rétablir un minimum de réalisme dans ce débat, il ne faut pas oublier qu'aucun groupe ethnique n'a à lui seul l'exclusivité de l'erreur et de la culpabilité humaines.
Merci.
M. Svend Robinson: Monsieur Dyer, vous vouliez faire une observation?
M. Gwynne Dyer: J'ai été frappé par l'utilisation du terme Serbenfrei pour décrire le fait que les autorités serbes ont obligé par la force la population serbe de Sarajevo à partir après la signature des accords de Dayton. Dans cette ville, certains Serbes ont été arrachés de leurs foyers par la police serbe. J'étais sur place et j'en ai été témoin. L'idée que les Musulmans albanais et bosniaques ou que les Croates ont une part égale de responsabilité...
Ils ont tous eu des torts. La guerre n'est jamais exempte d'horreurs. Mais ni le nombre total de réfugiés, ni celui des morts ni les épreuves de massacres ne montrent en quoi que ce soit que la responsabilité est partagée de façon égale et sans distinction par tous les groupes ethniques des Balkans.
C'est peut-être dans une certaine mesure parce que les Serbes avaient hérité de l'armement lourd de l'ancienne armée yougoslave et qu'ils avaient ainsi la possibilité de faire davantage de dégâts. Je le reconnais. Les Musulmans bosniaques n'avaient pas l'artillerie lourde nécessaire pour bombarder les villages serbes comme les Serbes ont bombardé Sarajevo. Mais j'estime que c'est travestir les faits que de laisser entendre qu'il n'y a pas de différence entre Vukovar et Srebrenica, d'une part, et la Krajina, d'autre part—les Serbes de la Krajina qui ont perdu leurs foyers semblent compter double par rapport aux Croates qui ont été chassés de chez eux.
M. Srdja Trifkovic: Je trouve très étonnant, tant moralement qu'intellectuellement, que l'on prétende moins important ce qui s'est fait dans la Krajina qu'à Srebrenica, même si les événements de la Krajina ont fait de 9 000 à 12 000 victimes serbes. Je trouve particulièrement répréhensible que l'on parle du «massacre» du Kosovo, car ce prétendu massacre est l'un des plus gros mensonge politiques médiatisés de la décennie, sinon du siècle. Dans quelques décennies, ce mensonge sera relégué dans la même catégorie que le meurtre à la baïonnette des bébés belges par l'armée du Kaiser en 1914.
Vous m'excuserez, mais je dois partir. Merci.
M. Svend Robinson: Madame Swann, vous alliez faire un bref commentaire sur l'environnement...
Le président: Puis-je vous demander d'être brève? Nous devons continuer.
Mme Radmila Swann: D'accord, mais j'aimerais également commenter brièvement ce qui vient d'être dit au sujet des crimes au Kosovo.
Pour ce qui est du nombre des réfugiés—pour revenir à ce que disait également Mme Augustine—il ne fait aucun doute que le nombre de réfugiés du Kosovo, de ceux qui ont été forcés de partir, a été énorme après le bombardement. Cela a fait une très grande différence. Vous vous souviendrez que l'OSCE a également déclaré ne pas avoir constaté de preuve de purification ethnique lorsqu'elle surveillait la situation.
J'aimerais faire également d'autres observations. Rien ne prouve que le gouvernement yougoslave avait une politique soit de génocide, soit de purification ethnique. Il y a eu bien sûr des victimes, c'était la guerre. Oui, il y a eu des réfugiés. Et en fait, on ne saurait avoir logiquement à la fois un génocide et une purification ethnique. Ou bien vous tuez les gens, ou bien vous les chassez.
Mais sinon, pour ce qui est de la Krajina, M. Dyer a dit que pour les Serbes, chasser les Croates de leurs foyers était deux fois moins important que l'inverse. Je suis très étonnée par cette observation, parce que contrairement aux Albanais du Kosovo, les Serbes de la Krajina n'ont pris part à aucune activité terroriste. Cela fait une grande différence. Ils étaient des citoyens paisibles de ce qu'ils estimaient être la Yougoslavie. Ils étaient dans la même situation que les Anglo-Saxons du Québec, à l'heure actuelle.
• 1130
Pour ce qui est de la question de Pancevo, je dois avouer que
je n'en sais trop rien à l'heure actuelle. Je sais par contre que
des tonnes de produits chimiques ont été déversés dans l'air et
aussi dans le Danube. Cela a été fait délibérément, car les
scientifiques qui travaillaient au complexe—il ne s'agit pas d'une
usine mais plutôt d'un énorme complexe chimique comprenant un
grande nombre d'usines différentes—ont jugé que ce serait moins
dangereux pour la population. Ils ont pris la décision terrible que
ce serait moins dangereux pour la population de déverser ces
produits chimiques dans l'eau plutôt que de les laisser polluer
l'air.
On a fait des tests, mais je ne saurais dire—et je ne voudrais pas en présumer—dans quelle mesure le gouvernement yougoslave a pu remédier à la pollution à Pancevo. Ce que m'ont dit les gens de la communauté serbe, c'est qu'on a recommandé aux femmes enceintes d'un certain nombre de mois—c'est le gouvernement qui l'a annoncé—de se faire avorter en raison du risque de donner naissance à des enfants malformés.
Le président: Merci.
M. Svend Robinson: Merci.
Le président: M. McWhinney figure sur ma liste, mais auparavant, j'aimerais faire une brève observation.
Je suis désolé que le professeur soit parti car je tiens à signaler que l'examen de cette question n'est facile pour aucun de nous. Vous laissez entendre dans votre document que les parlementaires n'étaient pas bien informés, qu'il n'y a pas eu de discussion... Nous avons tenu de longs débats sur cette question au Parlement et notre comité a siégé régulièrement pour l'examiner et en débattre. Croyez-moi, nous avons fait un examen approfondi des questions légales, morales et politiques qui étaient soulevées. Et ce n'était pas facile. Un de mes commettants, qui est dans la salle aujourd'hui, est venu régulièrement me dire que j'avais complètement tort. Il en est encore convaincu. Cela ne signifie pas pour autant que nous n'avons pas fait des efforts et que nous ne reconnaissons pas la complexité et la difficulté de ce sujet qui nous donne encore bien du mal.
Ce que nous voulons savoir, c'est ce qui a mal fonctionné, ce qui a donné de bons résultats et ce que nous pouvons faire à l'avenir. Je crains que nos audiences se soient trop étendues jusqu'à présent sur les événements du passé. Vous dites qu'il n'y a aucune preuve que les Serbes aient commis un génocide ou qu'ils aient poussé les réfugiés à partir; je suis tenté de vous répondre que dans ce cas, pourquoi le tribunal des crimes de guerre a-t-il porté des accusations, s'ils n'ont rien fait? Cela me trouble.
Mais il me semble que ce qui se passe ici... Que faisons-nous en ce qui concerne les trois questions que nous avons examinées ce matin? Et qu'en est-il de la MINUK? Madame Swann, M. McWhinney a posé une très bonne question. Il a dit que si vous contestez la légalité des mesures prises auparavant par l'OTAN parce qu'elles n'étaient pas sanctionnées par l'ONU, la situation actuelle est sanctionnée par l'ONU. Vous ne pouvez pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Vous devez accepter qu'il s'agit d'une opération légale. Si vous considériez auparavant que cette action était illégale parce qu'elle n'était pas sanctionnée par l'ONU, cette fois-ci cette présence est sanctionnée par l'ONU. Mais comment en assurer l'efficacité? Cela semble la grande question, et jusqu'à présent, mise à part votre recommandation selon laquelle nous devrions avoir recours à la police serbe, ce qui est une recommandation intéressante... Mais relèverait-elle de l'autorité ou du commandement de l'ONU? Comment cela fonctionnerait-il?
Mais en quoi consiste notre travail là-bas? J'aimerais vous poser la question ainsi qu'à M. Dyer: Quelles sont les choses constructives que nous pouvons faire là-bas? Quels sont les aspects à améliorer?
Deuxièmement, qu'en est-il des sanctions? Nous n'en avons pas entendu parler. On nous a parlé du tort qu'elles causent à la population yougoslave, mais nous devons nous attaquer aux problèmes qui existent. On nous dit que tant que M. Milosevic sera là, aucune solution ne sera possible dans les Balkans. Les sanctions permettent-elles d'en arriver à une solution? Les souffrances de la population serbe justifient-elles le sacrifice que représentent pour elle les sanctions? C'est une situation analogue à celle qu'a vécue l'Irak, entre autres. Ce sont de grandes questions. Vous pourriez nous aider en nous indiquant, mises à part les souffrances que ressent la population, les mesures constructives que nous pourrions prendre.
Certains de mes électeurs m'ont dit: «Écoutez, nous devrions au moins permettre aux gens de leur envoyer des colis. Nous devrions permettre aux Serbes installés ici dans notre pays d'aider leurs collègues, leurs familles et leur pays.» Nous pourrions peut- être formuler des recommandations pratiques à cet égard. C'est pourquoi nous aimerions que vous nous aidiez en ce sens.
• 1135
Troisièmement, et je m'adresse à vous, monsieur Dyer,
j'aimerais vous poser une question vraiment difficile à propos de
toute cette question du tribunal pénal international et de
l'orientation que nous sommes en train de prendre. En ce qui
concerne l'une des leçons tirées de cette intervention, si vous
êtes en train de nous dire que nous intervenons uniquement lorsque
nous le pouvons et que nous ne devrions jamais intervenir parce que
nous n'intervenons que de façon sélective, j'en déduis que si nous
n'intervenons pas en Russie c'est parce que la Russie a des armes
atomiques, etc., et que ce serait une guerre trop coûteuse...
Lorsque nous examinons la question des armes nucléaires, des armes
chimiques et des armes de destruction massive, ce que vous me
dites, c'est que nous sommes en train de créer un village global où
chaque dictateur de pacotille s'assurera de faire l'acquisition
d'armes de destruction massive afin que personne n'ose intervenir
sur son territoire.
Si on situe la chose dans un contexte historique, si M. Milosevic avait eu la bombe atomique, nous ne serions pas intervenus. Cela m'indique que le prochain M. Milosevic va s'assurer d'avoir une bombe atomique avant d'agir. Je suppose que cela vaut pour M. Saddam Hussein en Irak et qu'il s'agit d'un problème auquel nous devons nous attaquer.
Ce n'est peut-être pas une question juste, mais après tout...
M. Gwynne Dyer: Non, ce n'est pas une question juste, mais...
Le président: Quoi qu'il en soit, ce sont mes trois questions: Que pouvons-nous faire pour améliorer la mission actuelle des Nations Unies? Deuxièmement, qu'en est-il des sanctions? Troisièmement...?
M. Gwynne Dyer: Permettez-moi encore une fois de répondre à la dernière question en premier, parce que c'est la plus générale et la plus importante, puis nous pourrons passer aux détails, qui sont des détails très importants.
Si M. Milosevic avait possédé une arme nucléaire, serions-nous intervenus? Je crois que oui. Une arme nucléaire ne change pas tout.
Le président: Ça change tout s'il y en a 10 000.
M. Gwynne Dyer: Absolument. L'Afrique du Sud avait six armes nucléaires. Israël en avait 200. Nous envisageons quand même la possibilité d'une guerre terrestre conventionnelle au Moyen-Orient dans laquelle ces armes ne seront pas utilisées. Nous prévoyons qu'elles ne seraient pas utilisées.
Les armes nucléaires en grand nombre peuvent détruire le monde ou du moins détruire des continents et de toute évidence elles modifient la donne. C'est la situation à laquelle nous faisons face lorsque nous traitons avec les Russes, peut-être même les Chinois. Une ou deux armes nucléaires, c'est une calamité si vous vous trouvez dans le voisinage, mais cela ne suffit pas à détruire un continent. Il est peu probable qu'un pays qui ne possède qu'une ou deux armes nucléaires et qui est en conflit avec une alliance qui, elle, en possède beaucoup, s'en serve. Elles permettent de bluffer, mais s'en servir, c'est suicidaire.
Si vous croyez un tant soit peu à la dissuasion, cela ne devrait pas modifier l'ensemble des relations. Il est nettement préférable que les peuples n'aient pas d'armes nucléaires, y compris nous, mais dans l'intervalle, je ne crois pas que cela modifie automatiquement toutes les autres relations et tous les autres choix.
J'en resterai là, car j'estime que dans un certain sens nous sommes en train de parler d'un problème inexistant. Si nous parlions de centaines d'armes nucléaires et d'une capacité évidente de s'en servir et de les protéger d'une première frappe, alors ce serait une tout autre paire de manches.
En ce qui concerne ce que l'on peut faire à propos de la MINUK et de la KFOR et de l'administration générale du Kosovo à l'heure actuelle, je dirais qu'en fait une aide financière serait extrêmement utile, car si nous pouvions fournir de l'aide aux populations serbes et albanaises, si nous pouvions faire venir la police, si nous pouvions rapidement mettre sur pied une administration civile... peut-être une administration sans tête si on peut dire, parce qu'il est très difficile d'obtenir que les membres albanais et serbes siègent ensemble à un conseil administratif, et que nous sommes toujours en train d'en débattre. En fait, il est extrêmement difficile de persuader un représentant serbe de siéger à un conseil où siègent des Albanais, et je comprends pourquoi. Mais même une structure juridique qui permettrait l'arrestation de criminels par une force policière désignée, et leur comparution devant des tribunaux désignés se composant de juges compétents—cette mesure à elle seule modifierait la donne, et c'est surtout une question de ressources.
En ce qui concerne l'avenir à long terme du Kosovo, nous avons fait des demi-promesses assez contradictoires. Dans la résolution 1244, et en fait dans l'accord qui a mis fin aux bombardements, nous avons parlé du retour des Serbes—un nombre limité, non précisé, de policiers serbes, et ainsi de suite. Je ne crois pas qu'il faudrait exclure complètement cette option, mais comme vous le dites, il s'agit de déterminer de qui cette police relèverait. D'après ceux qui se trouvent à l'heure actuelle au Kosovo, la situation a tellement dégénéré que la création de cantons est peut- être la seule solution à court terme. C'est une option qui est loin de nous plaire. Nous nous y sommes farouchement opposés à la fin de la guerre—l'idée d'établir une zone sûre pour les Serbes dans le nord, ce qui aurait fini par entraîner la partition du Kosovo.
• 1140
Aujourd'hui, nous sommes en train de parler essentiellement de
cantons au sein du Kosovo—surtout, Kosovska Mitrovica, mais aussi
Gracanica au centre, et peut-être quelques zones dans le sud où se
trouve une population serbe assez importante. Je ne crois pas que
ce soit une solution intéressante—et je suis sûr que c'est l'avis
de tout le monde—mais pour assurer simplement la sécurité des
Serbes qui sont restés, c'est peut-être une solution provisoire
nécessaire et un endroit où la police serbe, à condition qu'elle
relève au bout du compte de l'administration locale et ne devienne
pas simplement une force armée qui sert de contrepoids à la KFOR
dans la province, cette solution serait souhaitable. Mais à plus
long terme, cela ne règle absolument pas la question de la
souveraineté serbe et de l'autodétermination des Albanais ou du
Kosovo.
Enfin, en ce qui concerne la question des sanctions, je les considère absolument inutiles. Je ne vois pas l'utilité pour l'instant de poursuivre les sanctions contre la Serbie, qui s'est, après tout, conformée à nos exigences au sujet du Kosovo—après 78 jours de bombardements, mais quoi qu'il en soit elle a respecté nos exigences. Il n'y a plus de violations massives de droits de la personne en Serbie permettant de justifier la poursuite des sanctions, et sur un plan purement pratique, si M. Milosevic faisait encore des siennes, il serait impossible d'imposer à nouveau des sanctions si elles n'avaient pas été levées. Vous n'auriez donc plus de moyens de pression contre la Serbie, contre M. Milosevic, si vous ne leviez pas les sanctions qui causent beaucoup de tort et de souffrances à la population serbe qui n'est absolument pas responsable de la situation actuelle.
Le président: Très bien. Ces précisions sont très utiles. Je vous remercie.
Madame Swann.
Mme Radmila Swann: Je pense que nous devrions travailler avec le gouvernement de la Serbie. Nous devrions ramener la police, mais nous devrions aussi travailler avec le gouvernement serbe étant donné que le Kosovo fait toujours partie de la Serbie. Cela rassurerait les Serbes et sans aucun doute certains Albanais qui sont terrorisés par la mafia albanaise à l'heure actuelle. La police serbe et les hauts fonctionnaires serbes possèdent de l'expérience dans l'administration. Il est beaucoup plus logique de faire appel à leurs services que d'essayer de transformer les terroristes de l'UCK en policiers.
Il y a aussi la question du désarmement des Albanais. D'après tous les rapports, cela n'a pas été fait. Au début de juin, il avait été proposé qu'au lieu de procéder au désarmement, on devrait procéder à la démilitarisation. La démilitarisation n'a pas fonctionné non plus. Nous savons que l'UCK a encore en sa possession beaucoup d'armes dont elle se sert.
Je suis également d'accord avec M. Dyer lorsqu'il propose que nous fournissions de l'argent au Kosovo, et en fait, à l'ensemble de la Serbie. Cela contribuerait certainement à réduire le pillage et le vol puisque cela laisserait entrevoir à la population la possibilité de reconstruire leurs maisons, la possibilité de gagner de quoi se nourrir et de se procurer les choses nécessaires à la vie au lieu de devoir se battre pour les obtenir.
En ce qui concerne les sanctions, je considère, moi aussi, qu'elles devraient être levées. Elles nuisent à un grand nombre de personnes innocentes.
En ce qui concerne M. Milosevic, je ne suis pas une partisane de M. Milosevic. Je suis une citoyenne canadienne née ici et non en Yougoslavie. Mais je dois dire que nous devrions nous interroger sur la mesure dans laquelle nous mettons l'accent dans notre politique étrangère sur des individus—la même chose vaut pour Saddam Hussein en Irak, ou Fidel Castro, ou M. Milosevic ou qui que ce soit. Je n'aime pas que nous soyons en train de discuter de la façon de nous débarrasser de M. Milosevic. Nous avons eu des premiers ministres impopulaires, mais je pense que si quelqu'un au Portugal ou au Brésil ou ailleurs discutait de la façon de se débarrasser de notre premier ministre, nous trouverions cela tout à fait choquant.
• 1145
Je considère qu'il n'appartient pas au gouvernement canadien
de se préoccuper de la façon de destituer le dirigeant d'un autre
pays. C'est l'affaire du peuple serbe. Mais si nous sommes vraiment
préoccupés par les activités humanitaires, par l'aide humanitaire,
si nous voulons assurer la paix dans le monde, nous travaillerons
en collaboration avec le gouvernement en place jusqu'à ce que le
peuple serbe décide d'en changer. Ils ont signé la paix. Nous ne
devrions pas continuer la guerre.
M. Svend Robinson: Je suis désolé, mais je dois partir car j'ai un avion à prendre pour Vancouver. J'aimerais simplement soulever une question de procédure, si les témoins veulent bien m'excuser pendant un instant. Il s'agit des audiences proprement dites.
J'ai toujours cru comprendre qu'après avoir entendu les témoins, comme les témoins d'aujourd'hui, les témoins du ministère et ainsi de suite, de toute évidence nous devrions entendre le témoignage du ministre des Affaires étrangères et celui du ministre de la Défense. C'est ce que j'avais cru comprendre. En fait, j'ai soulevé la question au cours de la réunion que nous avons tenue pour discuter du déroulement de ces audiences. Ce sont les ministres qui au bout du compte sont responsables devant le peuple canadien. Je ne suis pas sûr, mais après mon entretien avec la greffière, on semble se demander si ce sera le cas.
J'aimerais avoir une garantie—et je suis sûr que mes collègues seront d'accord avec moi, car de toute évidence nous traitons de questions découlant de la situation à l'heure actuelle—car il est essentiel que nous entendions les témoignages du ministre de la Défense nationale et du ministre des Affaires étrangères. Il n'est pas nécessaire de tenir deux audiences séparées, mais il est essentiel de les entendre, monsieur le président. Pour qu'il y ait responsabilité politique, nous devons entendre les témoignages des ministres. J'aimerais simplement avoir la garantie que les ministres seront effectivement invités à témoigner.
[Français]
M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.): Monsieur le président, je pense que c'est une nouvelle demande qu'on nous fait ce matin.
Une voix: Non.
M. Denis Paradis: J'ai assisté aux séances et je n'ai pas du tout compris cela dans ce sens-là.
[Traduction]
Le président: Monsieur Robinson, la greffière m'indique que d'après le procès-verbal des séances dont nous discutons, il n'y a pas eu de décision de la part du comité de convoquer les deux ministres devant nous sur cette question. Les ministres comparaîtront devant nous sur d'autres questions. Vous pourrez leur poser des questions à ce sujet. Bien sûr, si le comité veut les inviter, c'est très bien. Mais d'après ce que je crois comprendre, il n'y a eu aucune sorte de condition préalable selon laquelle nous convoquerions les deux ministres dans le contexte de ces audiences en particulier. Ils comparaîtront devant nous...
M. Svend Robinson: Monsieur le président, nous n'arrivons même pas à obtenir que les ministres comparaissent devant nous pour discuter de quoi que ce soit à ce stade-ci. Nous en sommes encore à essayer de déterminer quand ils peuvent se libérer. Les ministres n'ont pas comparu devant nous... Je tiens à réitérer que ce sont le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense nationale qui sont responsables devant nous en tant que parlementaires. Ce sont des collègues parlementaires, et ils sont responsables de la politique gouvernementale. Mais tout de même, après avoir entendu les témoignages des fonctionnaires et des témoins, nous devrions avoir la possibilité d'interroger les ministres qui sont responsables. Je ne peux pas imaginer que mes collègues d'en face s'opposent à pareille chose.
Le président: Eh bien, vos observations ont été versées au compte rendu, mais nous débattrons de cette question plus tard. Il ne nous reste que dix minutes.
M. Svend Robinson: Nous pourrions peut-être reprendre cette discussion à la prochaine réunion du comité de direction, si le comité de direction pouvait se réunir au début de la semaine prochaine, monsieur le président.
Le président: Nous avons beaucoup de réunions, mais nous verrons ce que nous pouvons faire. Je comprends ce que vous dites. Cependant, comme je l'ai dit, essayons de ne pas trop nous étendre sur cette question car nous avons des témoins à entendre.
M. Ted McWhinney: En fait, Svend, je préférerais avoir la réaction des ministres à notre rapport lorsque nous en serons à cette étape. Nous avons entendu de nombreux témoignages. Je pense que certaines idées très claires ont été présentées et je préférerais avoir la réponse des ministres par la suite, parce que je crois que nous allons formuler certaines recommandations. Mais permettez-moi de revenir au sujet de notre discussion.
À une époque, notre politique étrangère était très eurocentriste, et j'ai trouvé amusante la mention de l'approche chrétienne face à la politique étrangère. Notre politique étrangère a été administrée par les Britanniques essentiellement jusqu'en 1931. Vous rappelez-vous l'époque Gladstone, lors de la rivalité qui l'a opposé à Disraeli? Bien entendu, c'étaient les Turcs qui étaient diabolisés à cette époque. Dans le domaine de la politique étrangère, les Anglais aimaient beaucoup parler de ces «innommables» Turcs comme prétexte pour intervenir au Moyen-Orient et dans divers autres pays. Mais ici, nous sommes un pays multiculturel où de nombreuses religions se côtoient, et je tiens à vous assurer que sur pratiquement chaque question, chacune de nos collectivités culturelles m'écrit pour me communiquer son point de vue. Elles sont en droit de le faire car cela est un aspect légitime de l'élaboration de la politique étrangère, et nous communiquons ce point de vue.
Je vais simplement faire une déclaration et vous pourrez peut-être y répondre. Je ne suis pas sûr que tout le monde sache vraiment quand la diplomatie du compromis signifie diplomatie discrète. Quelle est l'ampleur de l'énergie intellectuelle dépensée par le ministère des Affaires étrangères pour faire en sorte que la mission du Kosovo et sa conclusion soient placées sous l'égide des Nations Unies? Beaucoup de gens y ont travaillé—M. Axworthy, le premier ministre de la Grèce, M. Simitis, et le ministère des Affaires étrangères Papandreou fils, le ministre russe des Affaires étrangères—et voilà. C'est une réalité.
• 1150
Nous essayons de déterminer quelle fonction doivent assumer
les institutions internationales et quel rôle nous devons jouer au
sein de ces institutions. Depuis l'époque de Lester Pearson et de
Paul Martin père, la politique étrangère canadienne considère les
Nations Unies comme le principal instrument de notre politique
étrangère. Le droit international prévoyait-il un droit
d'intervention humanitaire? Je pense que la plupart des
spécialistes mettront en doute l'existence de ce droit avant
l'incident du Kosovo. Nous devons tous étudier ce qui se passe à
l'heure actuelle. Même les Américains sont en train de le faire.
Bien que les spécialistes américains et russes aient tendance à
entretenir des liens plus étroits avec leurs ministères des
Affaires étrangères respectifs que ceux de ce pays, un processus
d'examen est en cours.
Je m'attends à ce que le comité fasse rapport au ministre de ses recommandations. L'une des recommandations claires qui s'est dégagée, c'est que s'il y a intervention humanitaire et que nous y participons, nous aimerions qu'elle se fasse sous des auspices véritablement internationales et non dans le cadre d'une alliance régionale.
Que se passe-t-il dans le cas du véto par le Conseil de sécurité? Leslie Green a parlé—comme je l'ai fait d'ailleurs—du recours à l'Assemblée générale. Il a soulevé cette question dans le discours qu'il a prononcé à Edmonton. On a pensé qu'on n'avait pas eu recours à l'Assemblée générale parce que les gens croyaient qu'il serait impossible d'obtenir une majorité des deux tiers. C'est une question intéressante et hypothétique qui a été soulevée.
De toute évidence, monsieur le président, nous allons formuler des recommandations. Ce qui semble se dégager des témoignages que nous avons entendus, c'est que nous voulons des auspices internationales véritables et qu'elles fassent l'objet d'un contrôle.
Je pense que l'une des questions secondaires, c'est la frustration qu'éprouve le Canada. Vous vous rappellerez que nous ne faisions pas partie du Groupe des sept qui s'est penché sur la question des Balkans ni de l'Accord de Rambouillet. Nous n'y avons pas participé. C'est pourquoi je pense qu'à l'avenir nous devrons peut-être proposer d'en faire partie.
Le droit international est en train d'évoluer et il débute souvent par des mesures unilatérales qui ne sont pas justifiées sur le plan juridique. Prenons le droit de la mer. La zone de 200 milles des eaux territoriales que nous avons instaurée contre l'Espagne et le Portugal est un précédent que nous avons établi en droit international et que nous avons réussi à faire accepter parce qu'il soulevait une question internationale beaucoup plus vaste. C'est ce qui est en train de se produire.
Mais vous pouvez nous aider. Vous nous avez aidés en nous indiquant les modalités et les processus qui doivent régir ce genre de mission.
Le président: Mais évitons d'aborder la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, adoptée à l'époque de M. Trudeau, parce que c'est là où M. McWhinney veut nous entraîner.
M. Ted McWhinney: Comme vous le savez, cette mesure prise par M. Trudeau a brisé le coeur de Paul Martin père.
Le président: Mais il s'agit de droit international.
M. Gwynne Dyer: Je suis très heureux que vous ayez soulevé cette question. En fait, ce sont les Islandais qui ont montré la voie en ce qui concerne la zone de 200 milles, et nous leur avons emboîté le pas. Mais vous avez tout à fait raison: C'est souvent en s'écartant des lois existantes qu'on en arrive à en créer de nouvelles.
Dans ce cas particulier, il faut comprendre que nous avons affaire à deux textes de droit international créés après 1945, dont l'une renforce dans un certain sens le système westphalien. Mais il s'agit d'une nouvelle orientation. La Charte des Nations Unies rend la guerre illégale, ce qui n'était pas le cas auparavant, sauf...
M. Ted McWhinney: Le recours à la force armée est illégal.
M. Gwynne Dyer: Le recours à la force armée est illégal sauf dans les deux conditions que j'ai mentionnées au tout début ce matin, dont aucune ne s'appliquait dans le cas de la mission au Kosovo.
Il existe un autre texte de droit international de l'après- guerre, à savoir la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention contre le génocide, qui va nettement à l'encontre de la Charte, ce que savaient d'ailleurs ceux qui l'ont signée. Je soupçonne qu'ils ont réussi à faire signer ce texte en faisant valoir que la signature de ce texte ne portait pas à conséquence puisqu'il ne serait pas appliqué et qu'il valait aussi bien le signer tout de suite. Et effectivement, au cours des 30 années qui ont suivi, il n'a pas été appliqué.
La situation a changé au cours des années 90 à cause de l'absence d'une force d'équilibre qui nous empêche d'agir en vertu des autres dispositions humanitaires du droit international. Elles sont maintenant sorties du placard, si on peut dire. Je ne crois pas que nous nous soyons basés en fait sur ces principes en mars, mais en nous évertuant à trouver des principes pour expliquer nos actions, nous avons rapidement constaté qu'ils existaient depuis le début.
Donc, maintenant nous sommes aux prises—et je crois que cela continuera—avec le problème de concilier ces deux textes de droit international, dont l'un impose l'obligation morale absolue de se porter à la défense des droits de la personne lorsqu'ils sont bafoués de façon extrême par les gouvernements; et dont l'autre accorde au gouvernement la souveraineté absolue et l'immunité contre l'intervention. Souvenez-vous comment nous avons traité Pol Pot, le chef souverain d'un État souverain qui a été renversé par les Vietnamiens. Et on a mis fin au génocide, mais qui avons- nous continué à reconnaître au cours des 10 années qui ont suivi? Pol Pot.
• 1155
Ce texte de loi ne se soucie absolument pas des droits de la
personne. Il y a de nobles principes dans la Charte des Nations
Unies, mais si vous lisez le chapitre 7, vous voyez qu'il n'a rien
à voir avec les droits de la personne, il concerne la souveraineté
de l'État.
Il existe cet autre texte de loi que l'on a sorti du placard, pour ainsi dire. Si vous voulez, nous avons rétroactivement justifié nos actions en vertu de ce texte de loi. Nous avons la tâche de concilier ces deux textes. Il s'agit essentiellement de se pencher sur la façon dont fonctionnent les Nations Unies afin que cette organisation puisse fonctionner dans ces secteurs où le veto risque de la paralyser. Pour ce faire, on pourrait envisager de renforcer le pouvoir de l'Assemblée générale qui a été émasculée de son pouvoir réel depuis pratiquement sa création.
La solution consistera peut-être, et ce sera sans doute celle qui sera retenue au bout du compte, à élargir la composition permanente du Conseil de sécurité. Et c'est un obstacle que l'on peut franchir en deux étapes. Je ne serais pas étonné si on accédait aux demandes d'adhésion permanente du Japon, de l'Allemagne et de l'Inde. Nous aurons donc un Conseil de sécurité comptant, disons, neuf ou dix membres permanents, et on pourrait imaginer une situation où le droit de veto, qui continuerait d'être exercé, devrait être exercé par deux pays. On peut même imaginer que les Américains accepteraient ce genre de situation parce qu'ils seraient sûrs de toujours pouvoir compter sur quelqu'un qui voterait comme eux. Donc on passerait d'un veto absolu à un veto partagé, veto qui se diluerait avec le temps. Mais de toute évidence, cela n'est pas pour demain.
Le président: Il y a la règle du consensus moins une voix en vigueur à l'OSCE, qui rend tout le monde dingue là-bas aussi.
M. Gwynne Dyer: Oui, mais je pense que c'est ce vers quoi nous nous dirigeons.
Le président: Madame Swann, très rapidement parce que notre temps est écoulé.
Mme Radmila Swann: J'aimerais simplement dire que je suis d'accord avec tout ce que M. McWhinney a dit sauf en ce qui concerne son hypothèse de départ, à savoir qu'il fallait intervenir au Kosovo à cause de la catastrophe humanitaire.
M. Ted McWhinney: Je suis désolé, l'opinion que j'ai exprimée n'était pas normative. J'ai bien pris soin de ne pas le faire.
Mme Radmila Swann: Je croyais avoir compris...
M. Ted McWhinney: Non, j'ai évité délibérément de le faire parce que j'ai traité les questions techniques adressées à des témoins comme vous [Note de la rédaction: Inaudible]... j'ai délibérément évité d'exprimer une opinion normative.
Mme Radmila Swann: Très bien. Donc je reformulerai mes commentaires. Nous sommes en train de parler d'un processus, et je pense qu'il est très important d'examiner quand nous pourrions intervenir pour des questions de droits de la personne. Cependant, nous ne devrions pas oublier le fait le plus important ici, à savoir que l'intervention qui s'est produite en Yougoslavie n'a pas eu lieu parce qu'il y avait eu violation des droits de la personne. Rien n'indique qu'il y ait eu un grand nombre de morts et un grand nombre de réfugiés avant le début des bombardements.
Le président: Je vous remercie de votre observation. Je dois vous avouer que j'ai beaucoup de difficulté à accepter cette proposition, et le fait même de l'exprimer amoindrit une grande partie des autres arguments qui ont été avancés, car si on n'admet pas les faits, à quoi bon alors traiter de ces questions? Quoi qu'il en soit, c'est le débat que nous avons eu à l'époque de l'intervention, et je suppose que c'est un débat qui se poursuivra.
Monsieur Dyer, avant de partir, vous pourriez peut-être répondre à une question à propos des sanctions, étant donné que notre comité examinera la question des sanctions contre l'Irak. Vous avez fait une observation très intéressante en indiquant à quel point elles étaient tout à fait inutiles compte tenu de la situation actuelle dans l'ancienne Yougoslavie. Pourriez-vous commenter très brièvement le régime actuel de sanctions tel qu'il s'applique à l'Irak et nous indiquer si ce régime de sanctions a une utilité sur le plan politique?
M. Gwynne Dyer: Sans laisser entendre que ma recommandation finale serait différente, il est certain que la situation est différente en Irak. Les sanctions imposées contre la Serbie n'ont à mon avis aucune utilité sur le plan politique. Nous n'avons formulé aucune exigence à l'heure actuelle qui permettrait de lever les sanctions, si les Serbes s'y conformaient. Ces sanctions représentent plutôt un jugement moral. Je partage en fait dans une grande mesure ce jugement moral, mais je ne vois pas l'utilité de punir des citoyens serbes pour les agissements de leurs dirigeants alors que tout cela est maintenant du passé.
• 1200
Les sanctions contre l'Irak sont plus complexes en ce sens
qu'elles ont été imposées dans un but politique, c'est-à-dire le
désarmement de ce pays dans le domaine de ce qu'on appelle les
armes spéciales, c'est-à-dire son arsenal nucléaire, biologique et
chimique, une tâche dont on pourrait prétendre qu'elle n'est pas
encore terminée et qu'elle ne le sera peut-être jamais. Dieu sait
que cela fait suffisamment longtemps déjà que nous y travaillons,
et ce petit jeu auquel nous avons joué a en général toujours été
gagné au bout du compte par les Irakiens. Je pense que nous avons
eu l'essentiel de leurs usines de fabrication d'armes nucléaires,
mais ils ont gardé leur potentiel et ils continueront
immanquablement à le conserver. Mettre fin aux sanctions contre
l'Irak serait donc admettre la défaite.
Par ailleurs, sur le plan humanitaire, le désastre provoqué par nos sanctions est de loin plus grave qu'en Serbie. Les éléments dont vous devez tenir compte ici sont bien différents à mon sens, c'est-à-dire l'ampleur d'une part des problèmes et d'autre part des souffrances humaines.
Je reste toutefois sur l'impression que, quoi qu'il en soit, nous sommes en passe d'abandonner l'objectif premier, c'est-à-dire un désarmement complet de l'Irak sur le plan des armements non conventionnels, en d'autres termes de retirer—je ne me souviens pas du sigle—le corps expéditionnaire que nous avions envoyé sur place l'an dernier pour débusquer ces armes pour reprendre plutôt les bombardements. Ces bombardements ont servi à masquer l'abandon de la mission première. Ainsi donc, si la mission a été abandonnée, l'argument avancé pour abandonner également les sanctions à l'appui de cette mission devient, à mon avis, plus péremptoire encore. Étant donné le volet humanitaire, toute une génération irakienne complètement détruite, je pense que le reste de l'argumentation doit militer en faveur d'un abandon des sanctions là également.
Le président: Merci beaucoup. Vous avez été très édifiant et nous reviendrons à cela.
Je voudrais maintenant remercier tous nos témoins.
Madame Swann, vous apprendrez sans doute avec intérêt qu'au sujet de ce que vous disiez à propos de la reconstruction, il y a un groupe d'Américains qui, en plus de nous-mêmes... L'été dernier, à St-Petersbourg, j'ai travaillé à l'OSCE avec le sénateur Voinovich à élaborer des résolutions qui seraient précisément axées sur la reconstruction plutôt que sur... Comme vous l'avez signalé, monsieur Dyer, pour le prix de deux jours de bombardement, nous pourrions probablement faire dans ce secteur beaucoup plus de bien que ce n'est le cas actuellement. On tente donc effectivement de sortir des paramètres actuels pour faire d'autres progrès, mais c'est une chose extrêmement difficile, je l'admets.
Je tiens donc à vous remercier très sincèrement d'être venus nous livrer vos réflexions. Elles nous aideront à composer des recommandations à l'intention du gouvernement, recommandations qui auront, c'est ce que nous espérons, des répercussions positives et qui nous permettront de ne plus uniquement rester obnubilés par le passé.
Je vous remercie encore une fois, nous avons été ravis de vous avoir parmi nous.
M. Gwynne Dyer: Merci à vous.
Mme Radmila Swann: Il n'y a pas de quoi. Bonne chance.
Le président: Merci, cela fait plaisir.
La séance est levée. Le comité reprendra la discussion mardi à 9 h 30.