FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 2 mars 2000
Le président suppléant (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous allons commencer l'étude de la politique canadienne sur la non-prolifération nucléaire, le contrôle des armes et le désarmement.
Nous avons le plaisir d'avoir avec nous ce matin l'ambassadeur du Canada aux Nations Unies pour le désarmement, M. Chris Westdal. Dans son rapport déposé en 1998, intitulé Le Canada et le défi nucléaire: réduire la valeur politique des armes nucléaires au XXIe siècle, le comité appuie fortement le TNP comme pierre angulaire des efforts internationaux visant à la fois à limiter la prolifération des armes nucléaires et à maintenir la pression en vue de leur réduction et, à terme, leur élimination.
Le comité recommande, entre autres choses, une consultation annuelle avec la société civile sur la question nucléaire et que l'ambassadeur au désarmement du Canada comparaisse devant le comité chaque année pour discuter des questions nucléaires. Il est à noter que le Traité de non-prolifération des armes nucléaires est entré en vigueur en 1970 et qu'on fêtera son 30e anniversaire très bientôt. Il s'agit de la deuxième visite de M. Westdal devant ce comité. Il a également présidé les efforts du Canada à la Conférence d'examen et de prorogation du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de 1995.
En janvier 2000, le gouvernement du Canada a tenu une première consultation avec la société civile sur la question nucléaire. Pour terminer, les efforts du Canada à la Conférence d'examen de l'an 2000 du TNP en avril et mai seront aussi dirigés par M. Westdal.
Donc, bienvenue, monsieur Westdal. Vous avez 10 minutes pour nous faire part de vos commentaires d'introduction. Après cela, nous passerons aux questions du comité.
Monsieur Westdal.
M. Chris Westdal (ambassadeur du Canada aux Nations unies pour le désarmement): Merci, monsieur le président. Je parlerai en anglais, mais je suis prêt, bien sûr, à discuter de ces questions en français si vous le voulez.
[Traduction]
C'est un honneur pour moi de comparaître devant vous ce matin pour discuter de la politique de désarmement et de non-prolifération nucléaires du Canada. J'accepterais volontiers cette invitation n'importe quand, mais je suis particulièrement heureux que mon intervention survienne à la veille d'un événement important. Dimanche prochain, le 5 mars, marquera en effet le 30e anniversaire de l'entrée en vigueur du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP.
Trois décennies après son introduction, le TNP demeure le traité multilatéral de contrôle des armements qui rallie le plus grand nombre d'adhérents; il est le seul instrument international juridiquement contraignant qui vise à empêcher la prolifération des armes nucléaires et qui engage les États dotés de l'arme nucléaire à se départir de leur arsenal. Conçu dans le but de limiter le nombre des États dotés de l'arme nucléaire aux cinq qui fabriquaient des dispositifs nucléaires et en ont fait exploser avant 1967, soit la Grande-Bretagne, la France, la Chine, la Russie et les États-Unis, le TNP représente une triple aubaine pour ces 187 membres: la non-prolifération nucléaire, le désarmement nucléaire et la coopération dans les utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire.
Le traité est dans l'esprit de bien des gens ces jours-ci, et non seulement pour des raisons historiques. Dans un peu plus de six semaines, les 187 États parties se retrouveront au siège de l'Organisation des Nations Unies à New York pour entreprendre le premier examen en règle du traité depuis sa reconduction pour une période indéfinie en 1995. Je peux vous assurer que le Canada fera tout en son pouvoir pour garantir le succès de cette conférence. Le gouvernement canadien, après tout, est convaincu que le TNP est l'instrument international le plus efficace dont il dispose pour réaliser les objectifs fondamentaux canadiens que sont la non-prolifération et le désarmement nucléaires. Il croit fermement que le respect plein et entier, par la communauté internationale, des obligations prévues dans le TNP est essentiel à la sécurité et à la stabilité.
Le Canada a fait clairement la preuve de son engagement à l'égard du traité durant la conférence d'examen et de reconduction de 1995. Il participait alors activement aux efforts en vue de reconduire indéfiniment le traité, et il a proposé un processus d'examen renforcé destiné à en assurer la pertinence et la viabilité à long terme. À l'époque, j'étais ambassadeur au désarmement basé à Ottawa, et j'ai alors dirigé la délégation du Canada à la conférence de 1995.
• 0915
Le processus d'examen renforcé, dont nous nous sommes faits
les champions durant les trois sessions du comité préparatoire et
que nous mettrons activement de l'avant à la conférence d'examen de
2000, est fondé sur le principe de la permanence et de la
responsabilité. Pour nous, ce principe est l'essence même de la
reconduction du traité.
Dans le contexte d'un traité reconduit pour une période indéfinie, permanence et responsabilité signifient pour nous que tous les États doivent démontrer sur une base continuelle qu'ils s'acquittent de tous les engagements qu'ils ont contractés en adhérant au TNP, pour prouver, dans un sens, leur fidélité. Cela suppose entre autres de se conformer à l'article VI, qui oblige les parties à poursuivre de bonne foi des négociations sur «des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire».
Les États qui ont participé à la conférence d'examen de 1995 ont bien compris les difficultés posées par l'exécution des obligations du Traité. C'est pourquoi ils ont élaboré un ensemble de principes et d'objectifs qui, entre autres, a fourni un programme d'action sur lequel appuyer les futures initiatives de non-prolifération et de désarmement.
Le document sur les principes et objectifs adopté en 1995 renfermait plusieurs cibles indicatives destinées à favoriser l'application pleine et entière du traité, et il établissait des normes spécifiques en regard desquelles pourrait être mesurée la conformité avec les dispositions du traité. Parmi ces normes figure la réalisation de progrès dans plusieurs domaines, dont l'universalité de l'adhésion au traité, la non-prolifération, la création de zones exemptes d'armes nucléaires, la négociation d'une interdiction de la production de matières fissiles utilisées dans des armes et la négociation d'un traité global d'interdiction des essais nucléaires.
Cinq ans après l'adoption des principes et objectifs, nous devons nous demander dans quelle mesure ils ont été réalisés. Cette question est particulièrement pertinente à ce stade-ci. Alors que nous soulignons le 30e anniversaire de l'ère du TNP et que nous nous préparons à la tâche sérieuse d'assurer le succès de la conférence d'examen, nous devons évaluer la situation de façon critique: dans notre marche vers le désarmement et la non-prolifération nucléaires, où sommes-nous rendus, et combien de chemin nous reste-t-il à parcourir?
Mesdames et messieurs les membres du comité, il y a de bonnes et de mauvaises nouvelles. Permettez-moi de commencer par le plus sombre.
Comme vous le savez, après les espoirs qu'avait suscités la fin de la guerre froide au début des années 90, les dernières années n'ont pas été encourageantes pour ceux qui prônent un meilleur contrôle des armes nucléaires et un désarmement progressif. Il y a eu de la prolifération horizontale. L'Inde et le Pakistan, des rivaux qui s'affrontent régulièrement dans une lutte acharnée, possèdent maintenant des armes nucléaires et entendent ajouter à leur arsenal. Le ministre indien des Affaires étrangères Jaswant Singh a exprimé en 1998 une opinion répandue en Asie du Sud:
-
Si la dissuasion fonctionne en Occident—et de toute évidence, tel
est le cas puisque les pays occidentaux persistent à vouloir
conserver des armes nucléaires—pourquoi ne fonctionnerait-elle pas
en Inde?
Au sujet de la dissuasion nucléaire en Occident, sachez que l'Asie du Sud est très bien renseignée et qu'elle cite régulièrement le texte de l'OTAN sur le sujet.
Il y a eu une nouvelle rationalisation des arsenaux nucléaires en Russie et un abaissement du seuil d'utilisation de ces arsenaux. La nouvelle doctrine militaire russe accorde une priorité élevée à la dissuasion nucléaire et ne fait aucune distinction entre les conflits régionaux et une guerre mondiale lorsqu'il s'agit de l'utilisation d'armes nucléaires.
La Russie s'y engage à ne pas utiliser d'armes nucléaires contre un État doté de l'arme nucléaire, sauf si un tel État s'allie à un autre État lui aussi doté de l'arme nucléaire pour l'attaquer, mais elle se réserve le droit de recourir à des armes nucléaires en riposte non seulement à une attaque nucléaire mais aussi à une attaque où seraient utilisées d'autres armes de destruction massive. Dans les milieux de l'OTAN, on est ambivalent au sujet de l'utilisation des armes nucléaires pour prévenir l'utilisation non seulement des armes nucléaires mais aussi des armes chimiques et biologiques.
• 0920
Le processus américano-russe de réduction des armes
stratégiques, le START, est au point mort, bien qu'on évoque de
nouveau la possibilité que, dans le contexte d'une entente sur une
modification du Traité sur les missiles antimissiles balistiques,
la Douma puisse bientôt ratifier START II, ce qui renverrait ainsi
la balle START aux États-Unis où toute modification de START II
postérieure à la ratification américaine originale doit recevoir
l'aval du Sénat américain.
Le Sénat américain a rejeté le CTBT, le Traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires. Ce rejet, qui constitue un échec majeur, répudie des décennies d'espoirs et de travail à la Conférence du désarmement, qui a eu lieu à Genève, et sape les perspectives de progrès dans des domaines directement reliés, comme la négociation que nous attendons depuis longtemps d'un traité interdisant la production de matières fissiles devant servir dans des armes.
À Genève, la Conférence du désarmement, qui et le seul organe multilatéral de négociation dans le domaine, n'a pu convenir d'un programme de travail en raison de différences importantes entre les principaux membres sur des sujets comme les pourparlers concernant le désarmement nucléaire, la prévention d'une course aux armements dans l'espace extra-atmosphérique, qui est évidemment intimement liée au système antimissile national et au Traité sur les missiles antimissiles balistiques, et le contrôle des matières fissiles, ainsi que d'attitudes rigides, comme l'interprétation très stricte des exigences de consensus et l'insistance sur la règle voulant que rien ne soit convenu tant que tout n'est pas convenu. Comme vous le savez bien en tant que parlementaires, il s'agit d'une recette qui assure la paralysie.
Je ne dois pas oublier de signaler les intentions américaines de construire un système antimissile national. La Russie et la Chine s'opposent avec véhémence au plan américain, faisant valoir que son déploiement violerait le Traité sur les missiles antimissiles balistiques de 1972 et conduirait à la destruction de tout le régime des accords de désarmement. Le Canada estime que le traité constitue une pierre d'angle de la stabilité stratégique globale et il craint qu'il ne soit miné par des changements incompatibles avec ses objectifs. Nous suivons de près la situation, comme le précisera plus tard ce matin, mon collègue, Paul Heinbecker.
Voilà quelques-uns des obstacles qui nous barrent encore la route. Disons que les choses pourraient aller mieux.
Cela dit, tout est loin d'être perdu. J'aimerais vous parler de quelques-uns des éléments positifs. D'abord, depuis 1995, la négociation du Traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires a été achevée, et l'élaboration de son système de surveillance internationale, qui est sans précédent dans le domaine du contrôle des armes internationales, progresse. Le nombre de pays qui ont signé le traité s'élève à 155 et, sur ce nombre, 53 l'ont ratifié. Vous remarquerez que le gouvernement américain et de nombreux porte-parole ont insisté pour dire que la question n'est pas de savoir si le Sénat américain va ratifier le traité mais quand il va le faire.
Le nombre global d'ogives nucléaires déployées continue de diminuer très rapidement. Les États-Unis et la Russie devancent effectivement l'échéancier des réductions auxquelles ils se sont engagés dans START I. En effet, l'élimination des ogives, qui est complexe et extrêmement coûteuse, est pratiquement terminée. Entre 1 000 et 2 000 ogives sont détruites chaque année, ce qui correspond à peu près à la totalité du système très coûteux qui a été constitué. C'est à peu près la capacité totale actuellement.
Les États-Unis, la Russie et l'Agence internationale de l'énergie atomique, l'AIEA, ont convenu d'une initiative trilatérale destinée à confier à l'Agence la supervision de l'excédent des matières fissiles utilisables dans des armes. On pouvait lire récemment dans les journaux que 36 autres tonnes de matières fissiles avaient été saisies en Russie et confiées à la supervision de l'AIEA. Des tonnes de matières fissiles sont placées sous surveillance même si les négociations sur le Traité interdisant la production de matières fissiles qui auront lieu à Genève risquent d'être reportées. Il s'agit vraiment d'une opération importante de contrôle des matières fissiles au sol.
Il y a d'autres bonnes nouvelles. Le Royaume-Uni et la France ont pris des mesures pour réduire la quantité et le genre d'ogives ainsi que le nombre de sites de déploiement, pour accroître la transparence et pour instaurer des moratoires unilatéraux sur la production de matières fissiles utilisables dans des armes.
• 0925
Ensuite, au chapitre des bonnes nouvelles, il ne faut pas
oublier votre propre étude fort impressionnante, et ma copie de
travail est assez abîmée. J'en ai très souvent cité le sous-titre
en guise de résumé de la position du Canada à l'égard des armes
nucléaires: Réduire l'importance politique de l'arme nucléaire au
XXIe siècle. Combinée à la réponse très directe et à l'énoncé qu'a
délivrés le gouvernement en avril dernier, votre étude nous a
donné, à moi et à mes collègues, une analyse de politique unique et
globale pour nos travaux à Genève, à la Conférence du désarmement,
à New York, à la première Commission de l'AGNU et lors de grandes
réunions concernant les traités.
J'aimerais terminer en disant que nous nous sommes appliqués à donner suite à la réponse du gouvernement à votre rapport, ce qui inclut, comme vous le savez, une comparution annuelle de ma part et de la part de mes successeurs devant votre comité.
J'espère que vous serez heureux d'apprendre que, plus tard dans la journée, j'amorcerai une série de conférences sur ces enjeux dans le cadre du programme de sensibilisation et de consultation du ministère. Je suppose que vous avez tous entendu parler des consultations sur les enjeux nucléaires qui ont eu lieu il y a un mois ici, à Ottawa, avec des représentants de la société civile et auxquelles ont participé le ministre Axworthy et votre président, Bill Graham. À mon point de vue, ces consultations—qui donnent suite à une autre de vos recommandations—ont été extrêmement utiles.
Après tout, la volonté et l'énergie politiques nécessaires pour redonner leur élan vital au contrôle des armes nucléaires et à la réduction de la menace que constituent ces armes, ne viennent pas des coulisses de l'ONU à New York où des huis clos de la Chambre du Conseil du Palais des Nations à Genève. Dans des démocraties comme la nôtre, l'énergie et la volonté politiques jaillissent du coeur et de l'esprit des citoyens pour ensuite investir les plates-formes qui se présentent, les mandats qui sont confiés et les politiques qui sont appliquées, au pays et à l'étranger, par nos leaders politiques.
Cela met fin, monsieur le président, à ma déclaration liminaire. Je vous remercie de votre attention et je suis impatient de discuter avec vous et de répondre à vos questions.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur l'ambassadeur, de votre exposé.
Nous allons passer aux questions de mes collègues, en commençant par Mme Debien.
[Français]
Madame Debien, s'il vous plaît.
Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Bon matin, monsieur l'ambassadeur. Bienvenue à notre comité. Je vous remercie de vous être déplacé pour venir nous rencontrer. Parmi les aspects sombres que vous avez soulignés dans votre mémorandum, il y a celui de la construction d'un système antimissiles national par les États-Unis qu'on appelle la fameuse Guerre des étoiles. Je pense que c'est ce dont on parle. Évidemment, on sait très bien que la Chine et la Russie s'opposent à ce projet des États-Unis, qui violerait, comme vous le dites si bien, le Traité antimissiles balistiques. Vous nous dites que le Canada suit ce processus de très près, mais il n'est fait mention nulle part de la position du Canada concernant la construction de ce système antimissiles par les États-Unis. Comme vous le savez, il y a peut-être là une contradiction de la part de l'allié que nous sommes pour les États-Unis sur le plan de la défense. Je pense à notre engagement avec notre puissant allié à l'OTAN. Dans le cas de la construction éventuelle—et il semble que ce soit déjà commencé, qu'il y ait déjà des démarches et des plans de faits—quelle est la position du Canada face à son puissant voisin concernant la construction de ces systèmes antimissiles balistiques?
M. Chris Westdal: Je devrais d'abord dire que Paul Heinbecker, le sous-ministre adjoint qui s'occupe de ces questions, comparaîtra devant vous plus tard ce matin. Je le laisserai donc répondre en détail à cette question et je vous inviterais en fait à revenir sur le sujet avec lui.
Cela dit, à mon point de vue, comme ambassadeur pour le désarmement—et nous l'avons déjà dit publiquement et à de nombreux autres pays, évidemment—l'impact d'un changement nous préoccupe bien sûr, et particulièrement l'abrogation éventuelle d'un traité aussi important que le Traité sur les missiles antimissiles balistiques, tout comme l'impact de son abrogation sur des ententes connexes sur le désarmement et le contrôle des armes et sur la situation sur le terrain.
Nous surveillons naturellement de très près les négociations qui se déroulent entre les États-Unis et la Russie. L'issue de ces négociations sera déterminante tout comme le fait de savoir s'ils estiment que le traité peut être modifié sans contredire ses objectifs fondamentaux mais tout en permettant la construction limitée d'un système antimissile national. Je pense que nous devrons attendre que les négociations aient progressé.
En tant qu'ambassadeur pour le désarmement, je me préoccupe des effets d'entraînement que pourraient avoir les modifications au traité, mais après avoir dit que ces négociations sont en cours, que nous suivons de très près la question à Genève et à New York et que nous l'examinons avec des collègues et d'autres responsables aux États-Unis et en Russie, je vais laisser le sous-ministre adjoint Paul Heinbecker vous exposer la position du gouvernement.
Merci.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Avez-vous une question à poser, madame Debien?
[Français]
Mme Maud Debien: Non, je n'ai pas de questions pour le moment.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci.
[Traduction]
Monsieur McWhinney.
M. Ted McWhinney (Vancouver Quadra, Lib.): Merci monsieur l'ambassadeur.
Le président Nagendra Singh—alors qu'il dirigeait le Tribunal mondial—et moi avons écrit un livre intitulé Nuclear Weapons and Contemporary International Law, en 1989, au moment où la guerre froide venait de se terminer et que la détente était à son apogée. Pour nous, le désarmement n'était pas un ensemble de traités inertes, mais un processus en constante évolution. Nous étions très optimistes. L'initiative de défense stratégique des États-Unis avait été abandonnée par le président Reagan dans le cadre du processus de négociation du traité sur l'interdiction des armes nucléaires à portée intermédiaire en 1987. La situation suscitait beaucoup d'espoir.
Vous avez très clairement fait une distinction entre votre rôle et celui de votre éminent collègue qui est ici ce matin. Mais, tout compte fait, pensez-vous que la situation est moins favorable qu'en 1989, ou qu'à la fin des années 80, au moment de l'apogée de la détente et à la fin de la guerre froide? Pensez-vous que l'initiative unilatérale prise par les États-Unis aurait été considérée contraire au processus visé par la détente? Autrement dit, est-ce que vous activités comme ambassadeur pour le désarmement ne sont pas vraiment conditionnées par des questions politiques plus vastes, la fin de la bipolarité, la fin du système de freins et de contrepoids, et le passage de la bipolarité à l'unipolarité? C'est vraiment un problème, n'est-ce pas? Aujourd'hui, cette situation influence toutes vos activités et celles de vos collègues dans une certaine mesure.
M. Chris Westdal: Oui, il est certain que mon travail, tout comme celui de mes collègues, s'inscrit dans le contexte plus large des relations politiques entre les grands États. À la Conférence sur le désarmement, à Genève, par exemple, nous ne pouvons pas plus négocier de traités particuliers sans volonté politique et instructions précises qu'une équipe de base-ball professionnel ne peut jouer sans programme ni itinéraire.
• 0935
Il y a toutefois des discussions très utiles qui peuvent avoir
lieu. Certes, l'avenir d'un traité particulier dépend beaucoup des
relations qu'entretiennent les principaux intervenants. Notre
travail est fortement influencé par le climat qui règne,
c'est-à-dire si les parties veulent faire progresser les choses ou
si, au contraire, les relations sont de plus en plus méfiantes et
tendues. Je suis donc d'accord avec vous au sujet du contexte plus
large dans lequel s'inscrit notre travail.
Je pense que vous avez aussi tout à fait raison de dire que le désarmement est un processus très dynamique dont les tendances sont plus importantes que le nombre de traités signés. Nous devons tenir compte de la différence entre 8 000 ou 6 000 armes nucléaires stratégiques, parce qu'on ne meurt qu'une fois de toute façon.
Vous avez raison de vous demander si la situation est moins favorable qu'elle ne l'était en 1989 ou juste après la guerre froide. Il y a eu une époque où elle était vraiment très favorable. D'ailleurs, la reconduction du traité pour une période indéfinie sans mise aux voix—ce qui est important—à New York en 1995 en est la plus belle preuve. Mai la plupart des bonnes nouvelles de l'époque ne le sont plus autant. Pour toutes les raisons que j'ai expliquées dans ma déclaration, la limitation des armements nucléaires suscite plus d'hésitation et l'intensification des efforts de réduction en vue d'une interdiction complète soulève moins d'enthousiasme. C'est pourquoi la conférence sur le TNP est si importante.
Les conférences du Traité de non-prolifération des armes nucléaires sont intégrées à ce système précisément pour donner à ses membres la possibilité de voir si les dispositions du traité sont respectées, si ses objectifs sont en voie d'être réalisés et s'il y a oui on non des chances que soient un jour respectées les dispositions du traité. C'est sûr que dans six semaines, à New York, les participants analyseront toutes ces tendances et poseront les mêmes questions que vous: sommes-nous en train de manquer le coche, de perdre une occasion de tirer pleinement parti du climat amélioré et incomparablement moins hostile qui règne entre les grandes puissances, comparativement à il y a 15 ans, par exemple?
Enfin, à ce sujet, je crois qu'il est très important de maintenir l'avantage que nous avons toujours eu, d'observer de près ces tendances et de ne pas perdre de vue le fait que notre situation, quelles que soient les difficultés que j'ai décrites et la détérioration qu'on puisse observer dans ces tendances, est loin d'être si effrayante que certains des dangers avec lesquels nous avons vécu tout au long de la guerre froide.
M. Ted McWhinney: Je suis heureux que ceci soit inscrit au compte rendu. Je pense que nous apprécions tous le travail du ministère, et nous reconnaissons que votre tâche est plus difficile que celle de vos prédécesseurs il y a 10 ans, lorsque les choses avançaient et qu'il y avait un mécanisme d'équilibre entre les grandes puissances.
Permettez-moi de vous demander des précisions que vous pourriez ou non, selon les directives du ministère, être autorisé à nous donner. Peut-être pourrais-je formuler toutes mes questions, et vous donnerez une réponse générale.
À propos du Traité ABM, êtes-vous en mesure de nous dire si nous avons exposé aux États-Unis les répercussions possibles du système de défense antimissile qu'ils proposent et qui, en fait, s'avère être une démarche unilatérale contraire aux règles qui gouvernent les relations entre les États-Unis et la Russie?
M. Chris Westdal: Oui, nous avons exprimé notre inquiétude sur les répercussions possibles de toute mesure qui pourrait saper ou faire échouer ce traité. Nous avons exprimé ces préoccupations publiquement, et aussi directement aux intéressés.
Bien entendu, nous avons pris acte—et je crois que c'est important de le souligner—du fait que dans la discussion à ce sujet qu'a eue le premier comité l'automne dernier, nous avons toujours insisté sur le fait qu'il s'agit d'un accord bilatéral signé il y a 28 ans avec l'URSS, et qu'il faut toujours bien réfléchir aux éléments des accords bilatéraux qui, selon nous, devraient être réévalués, s'il est nécessaire de les revoir. Nous voulions respecter la nature bilatérale de ce traité. Bien entendu, sa portée s'étend bien au-delà des États-Unis et de la Russie, ses deux signataires.
M. Ted McWhinney: Monsieur le président, auriez-vous objection à ce que je prenne encore deux ou trois minutes?
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Allez-y, vous pouvez continuer.
M. Ted McWhinney: D'accord, merci. J'ai deux autres questions à poser dans le même ordre d'idée.
Le droit international pose une obligation, en vertu du traité entre les entités, aux membres du club nucléaire, ceux qui sont dotés d'armes nucléaires—et nous n'en sommes pas. Il y a une obligation de désarmement, d'agir avec toute la célérité possible pour réduire les stocks d'armes nucléaires. Croyez-vous que des mesures plus fermes de la part des cinq grandes puissances pourraient être utiles à vos démarches et aux nôtres, du gouvernement du Canada?
M. Chris Westdal: Oui, je crois qu'il y a autre chose à souligner, au sujet des cinq dernières années, c'est la décision du Tribunal international, qui était assez compliquée, comme vous le savez. Elle était cependant assez claire en ce qui concerne le fait que le traité, à l'article VI, obligeait les États dotés d'armes nucléaires à s'efforcer de mener ces négociations à terme plutôt que d'en discuter indéfiniment. Bien entendu, dans ce domaine comme dans bien d'autres, le leadership s'illustre par l'exemple.
M. Ted McWhinney: Nous avons les dossiers de la période où ont été faites les démarches auprès du tribunal. J'ai recommandé, je crois que c'était à Joe Clark... en tout cas au gouvernement conservateur, puis ensuite à notre gouvernement, que nous intervenions dans l'affaire des armes nucléaires. J'ai même offert de rédiger un exposé d'opinion libre, même si à l'époque je n'étais pas encore au gouvernement. Nous ne l'avons pas fait. Rétrospectivement, croyez-vous que ç'aurait pu être utile d'exprimer fermement notre point de vue sur le désarmement?
M. Chris Westdal: Je pourrais dire, de façon générale, que ces questions sont d'ordre politique et trouveront une solution politique au moment opportun. Quant à savoir quand elles deviendront effectivement du domaine du droit international, vous y avez plus réfléchi et vous avez plus écrit sur la question que je n'ai pu le faire. Toutefois, nous ne vivons pas encore à une époque où ce sont les lois sur les armes nucléaires qui les déterminent.
M. Ted McWhinney: Admettons l'effet éducatif positif de cette opinion, peut-être pourriez-vous... J'avais l'impression, et j'ai reçu une réponse semblable il y a dix ans à ce sujet, qu'elle venait, malheureusement, des bureaux professionnels du ministère. Vous n'êtes pas obligé de commenter ceci.
[Français]
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur McWhinney.
Monsieur Speller, c'est à votre tour. Nous passerons ensuite à Mme Debien et à M. Paradis.
[Traduction]
M. Rob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.): Merci. Je vais poursuivre sur ce que disait Ted.
C'est toujours bon de passer après Ted, parce qu'on a une perspective plus théorique de toute la question.
Je sais que vous n'avez pas apporté votre boule de cristal, mais j'aimerais vous interroger sur la Conférence d'examen 2000 du TNP. Manifestement, tout le monde nourrit de grands espoirs que cela aboutira à quelque chose. Avez-vous l'impression qu'il y ait des chances de succès? Que pourrions-nous faire de plus, en tant que comité, pour augmenter ces chances?
Deuxièmement, en tant que simple être humain, je m'inquiète de cette nouvelle prolifération d'armes nucléaires parmi les États délinquants, l'Inde et le Pakistan. J'ai entendu ce que vous disiez au sujet de leurs motifs. C'est un cas de «si les grands peuvent le faire, pourquoi pas nous?». Que faisons-nous pour faire face à cette situation, dans ces réunions? Pour moi, ces États constituent une plus grande menace pour notre avenir que les cinq grandes puissances. Je ne suis pas convaincu qu'on s'en occupe vraiment. Peut-être est-ce que je me trompe.
M. Chris Westdal: Pour répondre à la première question, l'avenir du TNP, il faudrait commencer par définir ce que nous pourrions qualifier de succès de cette conférence. Naturellement, tout le monde voudrait que ce soit une réussite, mais nous devons d'abord déterminer les critères du succès.
Dans les documents que j'ai fait circuler, nous indiquons nos quatre objectifs. Aucun d'eux n'est très surprenant.
Nous visons notamment la réaffirmation, une espèce de réaffirmation tangible que nous, les membres du Traité, avons foi en ce traité et que nous comptons le respecter. Nous ferions une sorte de déclaration sur la préservation et l'expansion de l'universalité du Traité, c'est-à-dire sur notre intention de maintenir au sein du groupe ceux qui y sont déjà et de bien démontrer que nous voulons que les quatre autres États du Globe, particulièrement l'Inde, le Pakistan et Israël, s'y joignent, en plus de Cuba.
Nous aimerions bien arriver à avoir une vision générale de l'avenir. On pourrait notamment formuler des principes et des objectifs en quelque sorte renforcés, un plan d'action pour l'avenir.
En plus, nous ferions une analyse rétrospective. Il serait très étonnant que tous les membres s'entendent sur une description des événements de ces cinq dernières années. Nous essaierons de faire quelque chose qui ait quelque substance et une incidence politique. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, le genre de politique qui est nécessaire pour redonner son élan vital au contrôle hésitant des armes nucléaires et pour ranimer les tendances progressives ne vient pas des coulisses des Nations Unies.
Donc l'un de nos objectifs est que la conférence ait quelque incidence politique. Il se pourrait, pour cela, qu'il faille projeter une image de marque publique plus ferme. Par contre, par exemple, nous encourageons depuis quelque temps les pays à suivre notre exemple là où notre ministre sera présent. Nous avons consulté des civils et des journalistes, et nous continuerons de le faire.
Vous entendrez parler des travaux qu'ont entrepris les moyennes puissances, sous la direction du sénateur Roche, et aussi de la campagne que mène la New Agenda Coalition, qui participera aussi à la Conférence du TNP, comme avec le premier comité—un groupe de pays avec lesquels nous collaborons étroitement, qui s'efforce de s'assurer que la Conférence d'examen lance un message explicite sur les préoccupations généralisées que suscite la tendance à la détérioration des rapports, et sur sa détermination à veiller au respect et à la réalisation des dispositions du TNP.
À propos de la deuxième question, sur les risques de prolifération des armes en Asie méridionale et de ce que nous faisons à ce sujet, je crois que le Canada a été parmi les pays qui y ont le plus réagi. Nous avons, par exemple, été très actifs au G-8, qui a mis sur pied le groupe de travail sur l'Asie méridionale dont nous assurons pour le moment la présidence. Une réunion du groupe de travail est prévue à Ottawa à la fin de ce mois-ci. Il compte maintenir les pressions pour le respect de huit ou neuf des critères établis à ce sujet par le du Conseil de sécurité, dans sa Résolution 1172.
Je pourrais vous décrire ces jalons, ou peut-être vous en remettre la liste plus tard. Ils concernent l'éventualité de l'armement de l'Inde. Ils encouragent des relations plus étroites, la transparence et les efforts pour stimuler la confiance entre les parties, et ils portent aussi sur la signature du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, le CTBT. Il y a de fortes espérances que les Indiens se préparent à signer le traité, peut-être lors de la visite du président Clinton cette semaine.
Donc, le comité veut maintenir les pressions, et il veut aussi s'assurer que les pays qui s'arment ne soient pas récompensés. Cette question touche de très près le noyau du problème: les attitudes des États armés à l'égard de leur arsenal et la perception du rôle des arsenaux. S'ils sont inutiles sur le plan militaire, certains leur attribuent un certain prestige, et c'est d'ailleurs la justification qu'ont donné explicitement certains pays.
• 0950
Le comité—et nous y sommes très actifs—veut s'assurer que le
message soit bien compris, que non, il n'y a ni prestige, ni
récompense pour ces pays. C'est un message absolument vital. Mais
je pense que vous savez que nous pensons comme vous, que ce genre
de prolifération des armes pose des risques et contribue à
augmenter le risque le plus général, c'est-à-dire tout simplement
que plus il y a d'armes et plus elles sont répandues, plus le
danger est grand qu'un jour elles tombent entre les mains d'esprits
assez malintentionnés pour les utiliser.
M. Bob Speller: Est-ce que la technologie nous amènera à cela? Est-ce que le monde en viendra à ressembler aux X-Files et à La Guerre des étoiles, où les gens se baladent avec des armes nucléaires dans leur porte-documents?
M. Chris Westdal: Les réalisations des organismes de recherche sur les armes ont été assez stupéfiantes depuis quelques dizaines d'années, et sont telles qu'il existe maintenant des armes nucléaires qui pourraient, tant elles sont faibles, faire sauter la coquille des oeufs durs de votre petit déjeuner, mais il y a aussi les armes nucléaires multimégatonnes qui pourraient détruire des villes entières. Il y a une gamme quasi infinie d'armes nucléaires.
Oui, il existe des armes nucléaires très petites et mobiles, donc ce n'est pas de la science fiction, mais je pense que les risques que cette technologie de très haut niveau tombe aux mains d'esprits malintentionnées sont peut-être exagérés. En tout cas, le risque que des gens puissent fabriquer ce genre d'armes dans leur sous-sol est certainement exagéré.
Généralement, ce qu'on pourrait imaginer tomber entre les mains de terroristes, par exemple, serait des mécanismes assez grossiers.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Westdal.
[Français]
Madame Debien, s'il vous plaît.
Mme Maud Debien: Monsieur l'ambassadeur, si vous vous rappelez bien, lors du premier examen du traité, en 1995, le Canada avait exprimé son désir que commencent des négociations en vue d'une convention d'arrêt de production. Or, il y a eu un mécontentement très important face aux négociations du CTBT à ce moment-là, lequel a contribué à faire croître l'appui accordé à la position de l'Inde, qui souhaitait que les négociations en vue d'une convention d'arrêt de production soient reliées à des négociations sur le désarmement nucléaire. Or, étant donné que le Sénat américain a refusé la ratification du CTBT en octobre dernier, ne croyez-vous pas que ce deuxième examen va se heurter, encore une fois, à la même problématique?
[Traduction]
M. Chris Westdal: Il ne fait pas de doute que le rejet ou le refus des Américains de ratifier le CTBT a sapé les espoirs de ratification du FMCT, le Traité sur l'interdiction de la production de matière fissile. Il y a un lien direct entre eux.
Je tiens à vous prévenir de ne pas vous laisser dérouter par ce dédale d'acronymes. Comme dans bien des domaines, ils sont très nombreux.
Pour ce qui est d'une solution rapide au contrôle des armements nucléaires et au programme de désarmement, vous vous rappelez certainement le PTBT, le Traité interdisant les essais d'armes nucléaires dans l'atmosphère, dans l'espace extra- atmosphérique et sous l'eau. En 1968, nous avons tenté avec le TNP d'enrayer leur propagation et d'engager ceux qui les possédaient à s'en débarrasser. Ensuite, avec le CTBT, nous devions mettre fin aux essais nucléaires, et après, avec le TIMF, le Traité sur l'interdiction de la production de matière fissile, nous étions censés arrêter de fabriquer la matière dont ils sont composés.
Il ne fait pas de doute que la demande pour la matière qui compose les armes nucléaires est liée à la possibilité de procéder à des essais. Vous avez donc tout à fait raison, il y a un lien direct entre l'interdiction des essais et l'éventualité de pouvoir interdire la production de matière fissile. Nous espérons tous que les progrès réalisés en vue de la ratification du CTBT qui, après tout, est un objectif historique que vise la Conférence sur le désarmement depuis des décennies, seront repris et que le Sénat américain ratifiera enfin le Traité.
• 0955
Vous savez que les exigences relatives à la prise d'effet du
Traité sont assez rigoureuses—l'ensemble des 44 États qui ont un
programme nucléaire doivent le ratifier pour qu'il puisse entrer en
vigueur—mais nous continuerons d'être actifs et des plus assidus
à la réalisation de cet objectif.
[Français]
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Monsieur Paradis.
M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.): D'abord, permettez-moi de vous féliciter. Je pense qu'il faut aussi se féliciter du fait que vous allez être appelé à comparaître devant les membres de ce comité à chaque année pour faire le point. C'est aussi important que de sensibiliser l'opinion publique, ce qui constitue aussi une partie de votre travail.
Je veux connaître votre opinion sur ce qui suit. L'an passé, nous avons fait partie d'une délégation à Washington. Parmi les personnes que nous avons rencontrées, il y en avait une, dont je ne me rappelle pas le nom, qui nous a parlé d'une idée qui s'appelle no first use. Or, dans le même ordre d'idées, la politique canadienne dit que le Canada continuera d'insister sur la nécessité de dépouiller les armes de leur importance politique. Cela se fait, mais si on pouvait diminuer, dans un premier temps, l'importance politique de ces armes pour en arriver à un dépouillement, trouvez-vous que l'idée du no first use pourrait être une avenue à l'intérieur de notre politique générale? Quel est votre point de vue sur cette approche? Je sais que le gouvernement américain ne l'appuie pas, mais il y a quand même des gens aux États-Unis qui appuient cette approche.
[Traduction]
M. Chris Westdal: Le concept du «no first use» n'est pas simple. On en parle parfois, je crois, d'une manière qui ne reflète pas la complexité du sujet.
Je ne veux pas «brouiller» les choses, mais tout d'abord il faut se demander si on parle du premier à agir ou du premier à utiliser des armes nucléaires plutôt que d'autres armes.
Nous avons exprimé soigneusement le point de vue du gouvernement canadien à ce sujet, mais je tiens à faire remarquer, tout d'abord, que contrairement à certaines attentes exprimées par l'opinion publique, le gouvernement canadien n'a pas pris position en ce qui a trait à cette question, et ce comité non plus, bien que nous ayons dit que le concept de la première utilisation et d'autres aspects de la doctrine nucléaire de l'OTAN et de sa politique seront étudiés dans le cadre de l'examen qui a été entrepris.
Quoi qu'il en soit, dans ce document-ci, le Canada continuera d'exprimer l'opinion, que nous défendons aussi, que ce qu'il comprend de la dissuasion nucléaire est que l'unique fonction des armes nucléaires est de dissuader les autres d'utiliser les leurs.
S'il devait jamais arriver le genre de catastrophe nucléaire qui, nous l'espérons—et nous faisons tout pour cela—n'arrivera jamais, ne pensez pas qu'on pourrait l'éviter en fin de compte rien que parce qu'un haut responsable se dépêcherait de dire, oh, en passant, il y a un problème d'ordre juridique et il faut bien comprendre les aspects politique et aussi légales, ou encore, oh, en passant, il y a une règle de «no first use».
J'insiste, ici, sur les armes nucléaires, parce qu'un élément inhérent à la dissuasion nucléaire, à la logique qui sous-tend la dissuasion nucléaire pendant la guerre froide et à la nature abominable des armes nucléaires est que, bien entendu, il faut être les premiers à les utiliser. Une guerre nucléaire n'aurait rien de comparable aux décisions qui sont prises dans la conduite d'autres guerres, relativement à l'investissement dans de nouvelles armes ou à la conception de nouveaux types d'armement. L'élément terrifiant de ce type d'échange, bien entendu, est que ce serait immédiat. Ce facteur est partie intégrante du problème.
Je vous dis cela pour vous faire comprendre que le concept de «no first use» fait l'objet d'une réflexion approfondie. C'est un problème qui sera étudié, comme notre ministre l'a dit, dans le contexte de l'examen qu'a déjà entrepris l'OTAN. Le gouvernement canadien n'a encore exprimé aucune opinion à ce sujet.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Westdal. Nous avons écoulé le temps dont nous disposions ce matin. Je tiens à vous remercier, monsieur l'ambassadeur, d'être venu témoigner devant notre comité.
Je tiens aussi à remercier M. David Viveash, qui est resté très silencieux, ce matin. Il est sous-directeur de la Direction de non-prolifération, du contrôle des armements et du désarmement au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
Merci, messieurs, d'être venus.
M. Chris Westdal: Merci.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Nous suspendons la séance cinq minutes.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Si tout le monde veut bien reprendre sa place, nous reprenons.
Ce matin, conformément à l'article 108 du Règlement, nous faisons l'examen de la défense antimissile, et notre témoin est M. Paul Heinbecker, sous-ministre adjoint, politique mondiale et sécurité.
La question de la défense antimissile nationale est très importante et les parlementaires doivent en suivre les développements de très près. Pour nous aider à en comprendre les implications politiques importantes, nous recevons ce matin M. Paul Heinbecker.
Monsieur Heinbecker, vous avez dix minutes pour faire votre exposé. J'ai appris que vous n'avez pas de texte. Prenez votre temps et commencez quand vous serez prêt.
M. Paul Heinbecker (sous-ministre adjoint, Politique mondiale de sécurité, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international Canada): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de m'avoir invité à participer à ces audiences. Je veux vous exposer aujourd'hui les perceptions qui me paraissent importantes, en tant que haut fonctionnaire. Je ne parlerai pas au nom du gouvernement, ni même du ministre des Affaires étrangères, puisque le gouvernement n'a pas encore pris de décision à ce sujet, comme vous le savez.
Le facteur le plus fondamental est que le programme national de défense antimissile est un programme américain. Les États-Unis n'ont pas encore décidé de le mettre en oeuvre et le gouvernement américain n'a pas invité officiellement le Canada à y participer. Ce programme présente d'importants enjeux pour le Canada, et l'avaliser pourrait avoir des répercussions considérables. Avant de prendre une décision à ce sujet, le gouvernement doit examiner un large éventail de facteurs.
Avant d'expliquer ces facteurs, peut-être serait-il utile que je vous dise le quoi, le où, le quand et le comment du DMN, selon notre point de vue.
Qu'est-ce que le DMN? Les travaux se poursuivent aux États-Unis sur la défense antimissiles balistiques depuis la fin du programme Guerre des étoiles du milieu des années 80. Le DMN aurait ses bases au sol, non pas dans l'espace, bien qu'il y aurait des capteurs dans l'espace pour détecter les missiles et en suivre la trajectoire. Un système national de défense antimissile prévoirait le lancement, à partir du sol, d'un projectile non armé appelé un véhicule de destruction, qui pourrait intercepter un missile et le détruire rien que par la force de l'impact. Tel qu'il est planifié actuellement, le DMN pourrait contrer une attaque avec un nombre limité de missiles et d'ogives.
Nous connaissons tous l'expression «défense par missiles de théâtre». Les systèmes se ressemblent, à quelques différences près. La défense par missiles de théâtre est prévue, comme son nom l'indique, pour être utilisée sur le théâtre de l'action, pour protéger les troupes américaines et, si possible, leurs alliés à l'étranger. Il est conforme aux amendements apportés en 1997 au traité, concernant la limitation des systèmes antimissiles balistiques, qui doit encore être ratifiée. Le sigle BMD, qui désigne le système de défense antimissiles balistique, est un terme générique qui englobe la défense contre les missiles de théâtre, le TMD, et le DMN. Pour éviter de vous dérouter, je ne l'utiliserai pas.
Pourquoi les États-Unis conçoivent-ils ce système? En gros, ils font valoir les arguments de la nouvelle menace que présente la prolifération des missiles et des armes de destruction massive, les WMD, que la technologie est un nouveau facteur, que le monde bipolaire n'existe plus, que la sécurité des États-Unis est menacée et que la nature des relations internationales a changé. Deux événements récents les ont encore plus pressés.
Premièrement, en 1998, le rapport bipartisan Rumsfeld, qui porte le nom de son président, l'ancien secrétaire de la Défense nationale Rumsfeld, et qui avait été commandé par le Congrès, est arrivé à la conclusion que les États-Unis pourraient, dans les cinq ans, soit bien plus tôt qu'il n'avait été prévu, être menacé par un missile balistique intercontinental venu d'un État délinquant.
Deuxièmement, en août 1998, la Corée du Nord a lancé le missile balistique Taepo Dong 1, qui serait capable d'atteindre certaines régions des États-Unis. Le 20 janvier de l'année dernière, le secrétaire américain de la Défense, M. Cohen, a reconnu qu'une menace existe, que cette menace est croissante et qu'elle pourrait bientôt mettre en danger non seulement les troupes américaines basées à l'étranger, mais aussi les États-Unis eux-mêmes.
• 1015
Un État délinquant doté d'un ICBM pourrait limiter les choix
des Américains en matière de politique étrangère, en faisant
chanter les futurs gouvernements américains.
En mars 1999, des projets de loi prévoyant le déploiement d'un système de défense nationale antimissile ont été approuvés par une vaste majorité au Sénat et à la Chambre des communes. Le 23 juillet, le président Clinton signait le National Missile Defence Act, qui prévoyait le déploiement d'un système DMN dès que ce serait technologiquement faisable. On y trouve aussi énoncés les critères qui régiraient les décisions relatives au déploiement.
Ces critères sont, premièrement, si la menace se matérialise ou non; deuxièmement, le degré d'avancement de la technologie; troisièmement, si le système est abordable et en quatrième lieu, ce sont des considérations sur la sécurité, dont les régimes de contrôle des armes et de désarmement, les relations avec la Russie et l'incidence de la décision sur les alliés. Ce sont-là des considérations de premier ordre pour les États-Unis.
La décision relative au déploiement n'a pas encore été prise et, en fait, elle pourrait bien ne pas l'être par la présente administration, ni même la suivante.
Où serait la base d'un système DMN? Pour l'instant, selon la planification des États-Unis, pour commencer, il n'y aurait qu'une seule base, en Alaska, où seraient déployées une centaine de fusées d'interception sol-air. Elles ne pourraient intercepter qu'un nombre limité de projectiles. Théoriquement, cette base pourrait assurer la protection de l'ensemble les États-Unis, y compris Hawaii, à ce que je comprends.
Les États-Unis ont apparemment besoin d'utiliser de l'équipement radar situé dans d'autres pays pour repérer les missiles lancés et guider l'intercepteur. Apparemment, aucun des pays concernés n'a encore accepté de prêter son territoire à cette fin. Selon les plans actuels du DMN, aucun dispositif de lancement ni aucun radar ne serait au Canada. Les États-Unis ne semblent pas avoir besoin du territoire canadien pour aucune des composantes du système DMN.
Il a été question à Washington d'une deuxième phase dotée de plus grande capacité et, peut-être, d'une base additionnelle pour d'autres intercepteurs.
[Français]
Quand est-ce que le système serait déployé? Lorsqu'il a signé le National Missile Defense Act en juillet dernier, le président Clinton a souligné que la décision finale de déployer un système NMD serait prise uniquement au terme d'un examen de l'état de préparation au déploiement prévu pour le mois de juin. Deux des trois premiers essais préalables à la prise d'une décision relative au déploiement sont terminés.
Le premier essai du véhicule destructeur de la NMD a eu lieu en octobre 1999. Même si ce véhicule a réussi à atteindre et à détruire le missile cible, quelques doutes ont été formulés au sujet de l'essai. Le deuxième essai, effectué en janvier 2000, n'a pas été entièrement réussi. Le dispositif de guidage du véhicule destructeur est tombé en panne six secondes avant l'impact prévu, de sorte que le véhicule n'a pas pu atteindre la cible. Il semble toutefois qu'il l'ait manqué de très peu.
Un autre essai crucial est maintenant prévu en mai. Les autorités américaines ont déclaré qu'il fallait au moins deux essais réussis pour prendre la décision de déployer un système. On a demandé récemment au gouvernement américain de retarder cette décision, surtout pour des raisons technologiques. En novembre 1999, un groupe d'experts du Pentagone a recommandé qu'on effectue des essais supplémentaires avant de prendre la décision de déployer un système. En janvier 2000, le directeur des évaluations et essais opérationnels du Pentagone a affirmé que des pressions excessives étaient exercées sur ce dernier pour en arriver à un point de décision artificiel dans le processus du développement, et que l'échéancier actuel ne tenait pas compte des énormes problèmes techniques. Même si la décision de déployer un système pourrait être prise dès juin 2000, il faudrait, bien entendu, attendre quelques années avant que le système soit effectivement en place. À l'heure actuelle, le déploiement pourrait avoir lieu au plus tôt en 2005, si tout va bien du point de vue technologique.
Le DMN suscite d'énormes préoccupations. D'abord et avant tout, le traité conclu en 1972 entre les États-Unis et la Russie concernant la limitation de système antimissile balistique ne permet pas de système de défense antimissile national, d'où les pourparlers qui sont en cours.
En vertu de ce traité, tel que modifié en 1974, chaque partie est autorisée à protéger soit sa capitale, soit une zone d'ICBM, mais pas les deux, et pas non plus le territoire national. L'Union soviétique a choisi Moscou et a installé un système. Les États-Unis ont choisi Grand Forks, sans pour autant rien installer.
Le traité est formulé de telle manière que la dissuasion puisse être efficace. Elle découle de la vulnérabilité mutuelle, et se fonde sur la prémisse que, puisque chaque partie au traité peut détruire l'autre, aucune n'essaiera.
La crainte que suscitait le traité ABM était que si l'une des parties possédait un système de défense antimissile efficace, elle pourrait lancer des armes nucléaires sur l'autre sans crainte de représailles. Selon la théorie courante, un système national de défense antimissile lancerait une vague de développement d'armes offensives pouvant abattre les défenses.
Pour soutenir la dissuasion, chacune des parties au traité a convenu de ne pas avoir la capacité de se protéger contre les armes nucléaires de l'autre.
Les États-Unis et la Russie s'entendent sur le fait qu'un système DMN serait incompatible avec le traité ABM. Les États-Unis ont invité la Russie à discuter d'amendements au traité. Les Américains tentent de persuader les Russes que la menace que présentent les États délinquants est réelle et doit être contrée, et aussi que l'envergure et la nature du système DMN que déploieraient les États-Unis contre cette menace ne saperaient en rien la défense des Russes.
Les Russes sont d'accord que la prolifération des missiles et des armes de destruction massive crée un nouveau contexte. De fait, ils soutiennent que le danger est plus grand pour eux que pour les États-Unis.
Néanmoins, ils estiment qu'un système national de défense antimissile aux États-Unis pourrait un jour saper la défense russe, et que la menace des États délinquants n'est pas assez grande pour risquer de mettre en jeu la stabilité qu'a créée le traité ABM, qu'il existe certainement d'autres moyens de contrer cette menace et qu'il faudrait les prendre.
Voilà pour l'essentiel de la question diplomatique.
Bien que nous ne soyons pas concernés par le traité ABM, nous le considérons comme la pierre angulaire du système international de contrôle des armements et de désarmement. Nous serions ouverts à l'amendement du traité si les partis peuvent se mettre d'accord, mais de toute évidence, nous aurions certaines réserves si l'une des deux parties devait abroger unilatéralement le traité.
Il faut faire très attention lorsque certains risquent de prendre des décisions qui pourraient saper un système qui a soutenu la retenue nucléaire et a permis la réduction des armements nucléaires.
Il convient de réitérer que le président des États-Unis n'a pas encore décidé de déployer un système ABM, que le Canada n'a pas été invité au débat et que, par conséquent, le gouvernement canadien n'a pas encore pris de décision sur son éventuelle participation.
Nous avons, néanmoins, suivi les progrès de la technologie depuis quelque temps. Comme nous n'en avons pas vraiment le temps, je ne décrirai pas nos activités en détail. Le général Macdonald vous a fait un exposé, et je crois qu'il a probablement assez bien expliqué nos activités.
Un facteur qui fait poids dans le débat sur le DMN est, bien évidemment, notre relation avec les États-Unis. De toute évidence, nous entretenons des rapports fréquents, étroits et productifs avec les États-Unis dans le cadre de toute la gamme des affaires bilatérales et internationales.
Rien que pour cela, nous ne pouvons pas prendre la moindre décision à la légère relativement au DMN. Plusieurs facteurs entreraient en ligne de compte dans une décision du cabinet de se joindre au programme DMN, notamment si, ce faisant, le degré de sécurité du Canada s'en trouverait augmenté ou réduit; si une telle décision risque d'avoir une incidence sur les relations économiques que le Canada entretient avec les États-Unis, et de quelle nature; dans quelle mesure la décision pourrait affecter la politique étrangère du gouvernement du Canada, comme, par exemple, s'il serait plus, ou moins indépendant; quel en serait le coût—le programme national de défense antimissile américain coûte près du total de notre budget de défense nationale; et quel effet cette décision aurait-elle sur les relations de défense du Canada avec les États-Unis.
Certains ont soutenu, par exemple, que si nous ne souscrivions pas au DMN, le NORAD s'atrophierait automatiquement. Cela ne me semble pas forcément vrai. Il est certain que si le DMN s'ajoutait au NORAD, il faudrait modifier certaines choses dans la manière dont le NORAD fonctionne. Mais on peut aussi soutenir que si le traité ABM devait être abrogé unilatéralement et si les relations entre la Russie et les États-Unis devaient redevenir hostiles, le NORAD et l'espace aérien canadien gagneraient en importance.
J'entends une sonnerie.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Je crois que c'est la sonnerie qui retentit toutes les demi-heures, monsieur Heinbecker. Il vous reste encore quatre ou cinq minutes.
M. Paul Heinbecker: Il ne m'en faut pas plus.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci.
M. Paul Heinbecker: Le gouvernement prendrait sa décision au sujet du DMN à la lumière de ces facteurs et des décisions qu'il devrait prendre au sujet d'autres questions de sécurité. Le terrorisme, la criminalité et le trafic de drogue, la défense électronique et la protection de l'infrastructure essentielle sont en train de changer la défensive américaine et présentent tous de l'intérêt pour nous aussi. Ensemble, et quelle que soit la réaction du Canada, ces facteurs font faire un virage important aux relations entre le Canada et les États-Unis relativement à la sécurité. Le gouvernement ne prendrait pas non plus, bien entendu, de décisions relativement au DMN sans peser les arguments que font valoir les proposants du système DMN et ses opposants.
Est-ce que nous soutenons l'évaluation de la menace exposée dans le rapport Rumsfeld et aussi des évaluations plus récentes, comme l'estimation qu'a faite le service de renseignements national en 1999? Est-ce que le DMN est une réaction pertinente devant cette menace?
Pour commencer, les systèmes d'armements nucléaires russes sont très réels et très sophistiqués. N'importe quelle menace venant des nouveaux États délinquants est bien moins immédiate et moins grande. Bon nombre d'Américains, y compris l'ancien sous-secrétaire américain de la défense, Joe Nye, qui est maintenant à Harvard, ont soutenu qu'une attaque par missile balistique venant d'un État délinquant est la forme la moins plausible d'action contre les États-Unis. Il n'y aurait aucun doute sur l'origine du missile et encore moins sur les conséquences de l'acte pour son auteur.
Élément peut-être plus important, les missiles de croisière, les aéronefs sans pilote lancés à partir de cargos, les navires de tramping dans le port de New York, la fameuse bombe dans la mallette et même les bombes fabriquées aux États-Unis par des groupes terroristes semblent des menaces à court terme plus plausibles. Pour l'instant, peu de mesures de défense sont prévues contre aucune de ces menaces, à part les avertissements que peuvent donner les services de renseignement. Le Programme national de défense antimissile ne serait pas grand chose dans tout cela, comme l'a fait remarquer le général Macdonald.
Est-ce que le DMN pourra fonctionner? D'après moi, il ne serait pas sage de sous-estimer les pouvoirs potentiels de la technologie, particulièrement lorsque l'argent n'est pas un problème et que règne un sentiment profond de vulnérabilité nationale.
Est-ce que ce serait rentable? Cela dépendrait du mode de calcul des coûts. Si la Russie et les États-Unis ne peuvent pas arriver à une entente sur l'amendement du traité ABM et si les États-Unis en viennent à abroger unilatéralement le traité, il y aura d'importantes répercussions à l'échelle internationale. Le traité ABM a été la clé, d'abord, des ententes sur la limitation des armes stratégiques et, tout récemment, des traités de réduction des armes stratégiques. C'est à lui qu'on doit la réduction des missiles à laquelle nous avons assisté ces dernières années.
START I a fait réduire le nombre de projectiles stratégiques déployés par les deux parties, qui n'en ont plus que 6 000. START II prévoit une nouvelle réduction, qui fera tomber ce nombre à 3 500 engins. Les États-Unis ont ratifié START II, mais pas les Russes, qui ont signalé leur intention de le faire au cours du printemps, à la suite des élections présidentielles. Nous les y encourageons tout à fait. Après cela, START III suivrait, et entraînerait une réduction des armes stratégiques des deux côtés, peut-être jusqu'à 1 500 engins chacun, mais plus probablement 2 000 ou 2 500. De plus, pour la première fois, START III porterait aussi sur l'importante quantité d'armes nucléaires tactiques.
Ces traités reposent tous sur un postulat de stabilité, en ce qui concerne l'équilibre nucléaire stratégique. Cet équilibre pourrait être perdu si le traité ABM devait être abrogé. Il y aurait très probablement un effet de domino sur les autres traités de contrôle des armements et les traités connexes y compris, surtout, le traité de non-prolifération, le traité d'interdiction totale des essais et le traité sur l'interdiction de la production de matière fissile, qui font actuellement l'objet de tentatives de négociation.
Il n'est pas sûr que la stabilité stratégique puisse résister à un tel climat, mais à première vue, cela semble peu probable. Les Russes craignent apparemment que le DMN puisse progressivement saper leur propre système stratégique de dissuasion et donner l'occasion aux États-Unis de se démarquer et de devenir invulnérables. Le système aurait des répercussions importantes sur les mesures stratégiques de dissuasion nucléaire de la Chine. La Russie et la Chine croient toutes deux, pour le moins, que leur position géostratégique serait compromise. Bien qu'aucun de ces deux pays, particulièrement la Russie, ne puisse se permettre de se lancer dans une course aux armements, il n'est pas impossible que de nouveaux programmes d'armes offensives soient mis sur pied en Russie et en Chine, et peut-être même dans le cadre d'une collaboration entre les deux pays. L'alliance potentielle de la technologie russe avec la prospérité croissante de la Chine susciterait, pour le moins, d'énormes inquiétudes.
• 1030
L'abrogation unilatérale du traité ABM aurait aussi des
conséquences sur nos alliés de l'OTAN. S'ils devaient devenir plus
vulnérables, l'Atlantique, de manière figurée, s'élargirait. Il est
bien évident que l'abrogation unilatérale du traité ABM soulèverait
des problèmes de taille, lourds de conséquences.
En outre, comme l'a fait remarquer Henry Kissinger dans un article qui a été publié récemment dans le Los Angeles Times, la décision sur le déploiement devrait être le premier devoir du prochain président. Il n'y a pas besoin d'être diplômé en sciences politiques pour comprendre qu'il y a d'autres moments plus opportuns qu'au beau milieu d'une campagne électorale pour prendre une décision si chargée de conséquences potentielles.
Les pourparlers se poursuivent entre les États-Unis et la Russie. Les négociateurs américains essaient de persuader la Russie que le traité ABM peut être modifié et doit l'être, d'une manière qui préserve, et même qui augmente la sécurité de chacun des signataires.
Les Russes s'efforcent de persuader les Américains que la sécurité des États-Unis et de la Russie peut être mieux assurée par d'autres moyens. Les Russes font apparemment des contrepropositions en ce sens, fondées sur des accords de 1997 entre les États-Unis et la Russie qui n'avaient pas été ratifiés.
Chacune des deux parties nous a assuré garder espoir que l'autre acceptera sa proposition.
En conclusion, le traité ABM est un traité entre les États-Unis et la Russie, mais la stabilité stratégique qu'il a créée par la réduction des armements est l'affaire de tout le monde, y compris la nôtre.
Le DMN semble être traité en priorité aux États-Unis, mais il reste encore bon nombre d'éléments inconnus importants. Est-ce que la technologie fonctionnera? Si la menace des États délinquants se matérialise, y a-t-il d'autres moyens d'y réagir? Les Russes conviendront-ils, en fin de compte, d'amender le traité ABM? Si les Américains abrogent le traité ABM, seront-ils en mesure de maintenir l'équilibre stratégique avec la Russie? Les alliés des États-Unis appuieront-ils une abrogation unilatérale du traité, si on en arrivait là? Ce sont là des questions réelles et très sérieuses auxquelles il faut encore répondre. Il reste encore à voir ce que décidera l'administration américaine, et la question de la participation du Canada reste à régler.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Heinbecker. Votre exposé était très intéressant. C'est la première fois que notre comité se penche sur la question des défenses antimissiles.
Nous allons maintenant procéder à des tours de table de dix minutes. Monsieur Martin, vous avez la parole.
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Réf.): Merci beaucoup, monsieur le président. Merci, monsieur Heinbecker, d'avoir accepté de comparaître devant nous aujourd'hui. Je vais être bref.
L'équilibre stratégique, selon moi, est loin d'être assuré. Premièrement, combien d'ICBM la Chine possède-t-telle à l'heure actuelle?
Deuxièmement, le Canada n'est pas en faveur du déploiement d'un système de défense antimissiles—quel impact cette décision pourrait-elle avoir sur nos relations avec les États-Unis et l'OTAN?
Troisièmement, j'aimerais savoir ce que vous pensez des concepts de la diminution de l'état d'alerte et du désaccouplage.
Dernièrement, j'aimerais savoir, brièvement, où nous en sommes avec le registre des armes classiques des Nations Unies, et si les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ont l'intention de faire preuve d'une plus grande transparence quant au nombre d'armes qu'ils vendent.
Merci.
M. Paul Heinbecker: Pour ce qui est de la capacité stratégique de la Chine, il faudrait poser la question au ministère de la Défense, qui est mieux placé que moi pour répondre à cette question.
Je crois comprendre que la Chine possède environ 20 ICBM capables d'atteindre l'Amérique du Nord, ainsi que de nombreux autres types de missiles. Elle a également entrepris un programme de modernisation de son arsenal.
Pour ce qui est de la décision du Canada de ne pas appuyer le déploiement d'un système DNM et de l'impact que cela peut avoir sur l'OTAN, il est évident, si l'on se fie à ce que j'ai dit, que ce projet est encore à l'étude. Les États-Unis et la Russie poursuivent leurs discussions. Je me suis entretenu avec les deux parties, et j'ai l'impression que les deux pensent qu'elles peuvent s'entendre à ce sujet.
M. Keith Martin: Permettez-moi de vous interrompre brièvement, monsieur Heinbecker... nous parlons de la Russie et des États-Unis, mais si nous nous tournons vers l'avenir, la Chine constitue une menace beaucoup plus importante, non seulement parce qu'elle a entrepris un vaste programme de modernisation de son appareil militaire, mais aussi parce qu'elle poursuit une politique étrangère assez agressive sur le plan régional. Par conséquent, nous ne savons pas ce que fera ce pays dans les années à venir. Elle est en train de renflouer son arsenal de façon radicale.
• 1035
Ma question est la suivante: est-ce que les décideurs, au
Canada et à l'étranger, tiennent vraiment compte de la menace que
présente la Chine sur le plan nucléaire? Ou est-ce que cette
question, pour eux, oppose uniquement la Russie et les États-Unis?
M. Paul Heinbecker: Je parle surtout de la Russie et des États-Unis parce que le traité ABM concerne essentiellement ces deux pays. Ce traité intéresse également beaucoup la Chine, qui verrait d'un mauvais oeil son abrogation. Elle s'opposerait sans doute à ce que le traité soit abrogé même si la Russie et la Chine arrivaient à s'entendre sur l'adoption d'un système ABM limité, puisque ce système aurait un impact important sur la Chine, qui ne compte qu'une vingtaine d'ICBM pour l'instant. La question qu'il faudrait alors se poser serait la suivante: que ferait la Chine dans cette éventualité? Elle renforcerait sa capacité offensive.
Est-ce que nous prenons cette question au sérieux? Oui, très au sérieux. Comme l'a mentionné M. Westdal, pour l'instant, la seule façon dont nous pouvons nous défendre contre les armes nucléaires, c'est en ayant recours à d'autres armes nucléaires. La dissuasion sert de fondement au système de défense. Elle demeure un moyen de défense efficace contre la Chine. Je fais allusion ici à la force de dissuasion américaine.
Pour ce qui est des concepts de la diminution de l'état d'alerte et du désaccouplage, ces concepts présentent beaucoup d'intérêt, car si vous craignez que des missiles ne soient lancés que d'un simple déclic ou du moins soudainement, la diminution de l'état d'alerte, et notamment le désaccouplage, feront gagner du temps aux décideurs et permettront d'éviter l'usage accidentel ou non autorisé des armes nucléaires. C'est une idée qui, aux États-Unis, est défendue par le général Butler—qui est à la retraite—et par plusieurs autres personnes. C'est également un principe auquel nous souscrivons. Cette question sera vraisemblablement abordée par l'OTAN lorsqu'elle entreprendra un examen de sa politique nucléaire et de sa doctrine stratégique, par suite—en fait, cet examen devrait commencer bientôt—des décisions qui ont été prises, et je n'exagère pas, à notre demande, lors du sommet de l'OTAN qui a eu lieu l'an dernier, et lors de la réunion de décembre des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN.
Pour ce qui est du registre des armes classiques de l'ONU, je n'ai pas grand-chose à dire à ce sujet, sauf que je reviens tout juste d'un voyage au Japon—en fait, j'y étais encore, hier. Pour moi, c'est encore la nuit. Comme je l'ai mentionné, la prévention des conflits sera au coeur des discussions des ministres des Affaires étrangères du G-8 à Miyazaki, l'été prochain. On prévoit, dans le cadre de cette rencontre, du moins pour l'instant, discuter des armes de petit calibre, et aussi de l'établissement de registres et de la nécessité d'assurer une plus grande transparence à ce chapitre. J'ai l'impression, et seul l'avenir le dira, que les cinq membres permanents au sein du G-8, c'est-à-dire quatre des cinq membres permanents, tiennent à faire avancer le dossier. Seul l'avenir le dira.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Heinbecker.
[Français]
Madame Debien.
Mme Maud Debien: Bonjour, monsieur Heinbecker. Je vous remercie beaucoup d'avoir accepté de venir à notre comité. Je vous remercie également d'avoir à peu près répondu à toutes les questions que j'avais l'intention de vous poser.
• 1040
J'avais posé une question concernant le déploiement
d'un système de défense nationale antimissiles et du
Traité antimissiles balistiques
à M. l'ambassadeur, qui m'a
dit que vous seriez mieux en mesure d'y répondre que
lui.
Vous avez quand même donné un certain nombre
d'explications. J'ai une vieille manie de professeur,
celle de synthétiser ce que j'ai compris.
Alors, comme c'est très technique et très complexe,
j'aimerais bien comprendre ce que vous nous avez dit.
Vous nous avez dit qu'il y avait actuellement aux États-Unis un programme en deux volets, dont le premier consiste en un système de fusées au sol basées en Alaska, auquel le Canada ne participe aucunement, et qu'il n'était pas question qu'on utilise le territoire canadien pour l'installation de ces fusées au sol. C'est ce que j'ai compris dans un premier temps. C'est le premier volet.
Pour le deuxième volet, vous nous avez dit, concernant le déploiement du système de défense nationale antimissiles des États-Unis, qu'il y avait eu deux essais qui avaient été plus ou moins réussis et qu'un troisième était en préparation pour mai 2000. D'accord?
Par contre, vous nous avez dit qu'il y avait des pressions excessives pour qu'on accélère le processus et qu'on s'en tienne à l'échéancier que les États-Unis voudraient respecter. D'autre part, vous nous avez dit que le Canada n'avait pas été non plus invité à participer à ce programme de déploiement d'un système de défense nationale antimissiles. Mais si le troisième essai devait réussir, en mai 2000, et compte tenu de l'échéancier prévoyant, nous avez-vous dit, un déploiement possible pour 2005, est-ce que le Canada ne devrait pas se préparer et, à tout le moins, réfléchir aux incidences que pourrait avoir une demande des États-Unis en ce sens?
Vous nous avez aussi donné un certain nombre de considérations sur lesquelles le gouvernement canadien devrait se pencher avant d'accepter quelque proposition que ce soit pour appuyer le déploiement d'un tel système. Vous avez parlé entre autres de s'assurer que ce système n'ait pas d'influence sur notre souveraineté nationale et sur notre position dans le monde. Vous avez dit que les éléments de sécurité seraient très réels et vous avez énoncé plusieurs autres considérations.
Je m'excuse de la longueur de la synthèse.
Étant donné que vous nous avez parlé de 2005 comme étant l'échéance pour le déploiement par les États-Unis, ne croyez-vous pas que notre comité devrait dès maintenant, possiblement avec le Comité de la défense nationale et des anciens combattants, se pencher sur les incidences que pourrait avoir une telle demande de la part des États-Unis, pour ne pas qu'on se fasse prendre, comme on dit chez nous, les culottes baissées?
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Monsieur Heinbecker.
M. Paul Heinbecker: Merci, madame.
Évidemment, le comité est maître chez lui, et cela dépend des opinions et des besoins des membres du comité. J'ai l'impression que ce sujet sera présent dans nos réflexions des années à venir. C'est une question très importante qu'il faut aborder avec prudence et clairvoyance.
C'est un débat qui doit être tenu dans l'ensemble de la population au Canada. Il est probable qu'un débat ici serait utile, mais d'un autre côté, la décision américaine n'est pas prise et elle est loin de l'être. Il est possible que la décision ne soit jamais prise. Cela dépend de votre bon emploi du temps.
Mme Maud Debien: Ce qui m'a fait réagir, c'est cette date de 2005 à laquelle vous avez fait allusion lorsque vous avez parlé de la technologie et d'une réussite possible de ces essais. Si vous avez avancé une date aussi précise, c'est que vous avez des indications qu'il se passe quelque chose. À la lumière de toutes les raisons que vous avez invoquées, ne devrions-nous pas tenir des consultations importantes à ce sujet-là?
M. Paul Heinbecker: Je ne voudrais pas m'immiscer dans les affaires du comité. C'est à vous qu'il appartient de décider si vous voulez tenir un débat au sujet du programme NMD. Il s'agit d'une question importante qui devra faire l'objet d'un débat plus vaste au Canada.
D'autre part, comme vous l'indiquiez, il est bien possible que des décisions doivent être prises bien avant 2005.
Mme Maud Debien: Merci.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Heinbecker.
Monsieur Paradis, s'il vous plaît.
M. Denis Paradis: Je poserai une brève question afin de comprendre l'importance que peut avoir le programme NMD par rapport à NORAD. Est-ce qu'à un moment donné, NORAD pourrait fonctionner adéquatement sans ce programme NMD? Est-ce qu'il y a un lien? J'aimerais que vous m'éclairiez là-dessus.
M. Paul Heinbecker: Comme je l'ai déjà indiqué, il est indéniable que NORAD serait affecté si le Canada décidait de ne pas participer au système de défense nationale ou si une telle décision était prise par les Américains. Mais, d'un autre côté, c'est loin d'être automatique. On devrait alors certainement modifier le mode de fonctionnement de NORAD, bien qu'on puisse imaginer certaines circonstances où NORAD pourrait devenir encore plus important qu'il ne l'est maintenant. Si on compare le rythme actuel de NORAD à son rythme des années 1980, on constate qu'il a beaucoup ralenti. Il est bien possible que, dans une situation où les liens entre les superpuissances seraient plus hostiles, les bombardiers représentent encore une menace ou, comme on dit aux États-Unis, a real and present danger, surtout si on les combinait aux missiles Cruise. Il est difficile d'imaginer que NORAD s'avérerait inutile dans de telles circonstances.
Il y a d'autres sphères d'activités où NORAD joue un rôle important dont, comme l'indiquait le général Macdonald, la lutte contre le terrorisme et la surveillance des côtes du Canada et des États-Unis en vue d'éliminer la contrebande.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci.
[Traduction]
Monsieur McWhinney.
M. Ted McWhinney: Je vous souhaite la bienvenue. Il est intéressant d'avoir votre point de vue éclairé sur le traité ABM. J'ai fait beaucoup de recherches là-dessus il y a 30 ans. Il est bon d'avoir quelqu'un qui est au courant de la situation.
M. Paul Heinbecker: Vos propos sont terrifiants.
Des voix: Oh, oh!
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Attendez de connaître la question.
M. Ted McWhinney: Oui, j'ai deux questions à poser.
• 1050
La première a trait au système de défense nationale contre les
missiles élaboré par les États-Unis. Vous vous souvenez peut-être
du projet de la guerre des étoiles, qui a été défendu par le
général Haig, lors du premier mandat de l'administration Reagan, et
ensuite par George Shultz, lors du deuxième mandat de celle-ci. On
a constaté que ce projet n'existait que sur papier, qu'il n'était
pas au stade d'exécution.
Que pensez-vous du projet actuel? Autrement dit, est-il rendu au stade d'exécution? Ou est-il encore à l'étude et donc négociable?
M. Paul Heinbecker: Le projet de la guerre des étoiles, quand il a été proposé la première fois, n'était qu'un concept. Son efficacité tenait au fait que les États-Unis avaient les moyens d'aller de l'avant avec ce projet très coûteux, mais pas l'Union soviétique. Elle a réagi vivement quand elle s'est rendu compte qu'elle n'était plus en mesure de rester dans la course—même si le projet n'était qu'un concept—en raison des dépenses énormes qu'il entraînait.
M. Ted McWhinney: C'était un projet qui nécessitait des investissements énormes, des investissements qu'un président soucieux d'équilibrer le budget n'était pas prêt d'effectuer inutilement.
M. Paul Heinbecker: Oui. Le système de défense nationale contre les missiles est beaucoup plus réel, plus avancé, que ne l'était le projet de la guerre des étoiles. C'est un projet moins ambitieux, du moins pour l'instant. Il vise uniquement à contrer un nombre limité de missiles, pas tous les missiles soviétiques. Il ne repose pas non plus sur l'usage de propriétés physiques avancées, de radars, ainsi de suite... Vous souvenez-vous de ces projectiles très intelligents et autres systèmes qui devaient être basés dans l'espace? Ce système-ci est complètement différent. Il est basé au sol.
Il représente, néanmoins, un défi de taille. On parle ici d'un projectile qui en frappe un autre et qui, pour être fiable, ne doit jamais rater sa cible. Le sénateur Biden l'a qualifié de ligne Maginot basée dans l'espace. Il y a donc...
M. Ted McWhinney: C'est une métaphore dangereuse, n'est-ce pas?
Une voix: Oui.
M. Paul Heinbecker: C'est une métaphore dangereuse. Je ne sais pas s'il a raison ou non, mais cela nous donne à réfléchir. Néanmoins, le système de défense nationale est à un stade beaucoup plus avancé que ne l'était le projet de la guerre des étoiles.
M. Ted McWhinney: Est-ce que le sénateur faisait preuve d'ironie quand il a dit cela? Si vous vous souvenez bien, les Français avaient investi des sommes énormes dans la ligne Maginot avant la Deuxième Guerre mondiale. Elle devait servir de stratégie défensive lors de la Première Guerre mondiale. Or, ce fut un gaspillage total d'argent. Les Allemands l'ont tout simplement contournée.
M. Paul Heinbecker: Le sénateur Biden est un grand connaisseur.
Des voix: Oh, oh!
M. Ted McWhinney: D'accord.
Revenons au traité ABM. Certaines clauses du traité étaient résolutoires et pouvaient être renouvelées tous les cinq ans, par voie d'accord bilatéral, pas nécessairement par voie de protocole. Est-ce que cela tient toujours? Parallèlement, le traité SALT 11 n'étant pas ratifié, il existe ce qu'on appelle un engagement d'honneur entre les États-Unis et l'Union soviétique, les deux pays s'étant engagé, mais de façon informelle, à respecter certaines dispositions du traité. Est-ce qu'ils le font toujours?
M. Paul Heinbecker: Vous parlez tdu...
M. Ted McWhinney: Du traité ABM.
M. Paul Heinbecker: Je ne sais pas si j'ai bien compris la question. Les dispositions du traité ABM sont respectées.
M. Ted McWhinney: Mais certaines sont résolutoires. Il y a des dispositions qui doivent faire l'objet d'un examen au bout de 20 ans, et il y en a plusieurs qui ont été reconduites, l'automne dernier, pour des périodes de cinq ans. C'est un processus continu. Est-ce qu'on l'applique toujours?
M. Paul Heinbecker: Oui.
J'ajouterais que, en 1997, les États-Unis et la Russie se sont entendus sur certaines modifications à apporter au traité. Une d'entre elles, si elle est ratifiée, permettrait le déploiement de missiles de théâtre. Ainsi, s'il y avait une concentration de troupe, par exemple, dans le Golfe, et si Saddam Hussein décidait d'utiliser des missiles emportant des armes de destruction massive, il faudrait être en mesure de l'arrêter et d'empêcher que ces missiles ne soient lancés.
Toutefois, ces modifications n'ont pas encore été ratifiées par les deux parties, bien qu'elles aient manifesté l'intention de le faire.
M. Ted McWhinney: Pour ajouter à la métaphore qui a été utilisée et à ce que l'ambassadeur Westdal a dit plus tôt, les responsables russes et américains chargés de négocier le traité SALT 1 ont tissé des liens très étroits. En fait, on a vu M. Foster et M. Kuznetsov, pour la partie russe, se promener ensemble dans le parc. On a écrit une pièce à ce sujet qui a été jouée à Broadway. Est-ce que ce dialogue positif se poursuit toujours entre les Russes et les Américains?
M. Paul Heinbecker: Dans le contexte du groupe G-8, le représentant russe, Mamedov, est le principal négociateur sur la maîtrise des armements. Le négociateur principal du côté des Américains est Strobe Talbott. Il ne fait pas partie du groupe, mais j'ai l'impression qu'ils entretiennent des rapports professionnels très étroits. J'ai également l'impression que chaque partie est très consciente de la stratégie politique qui a cours de l'autre côté. En effet, j'ai été étonné de voir à quel point les Russes sont conscients de ce qui se passe aux États-Unis, et vice versa.
Donc, je pense que les liens personnels et professionnels sont aussi étroits que dans le passé.
M. Ted McWhinney: Merci beaucoup.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Une dernière brève question de M. Martin.
M. Keith Martin: Merci beaucoup.
Monsieur Heinbecker, puisque vous ne parlez pas au nom du ministre, j'aimerais avoir votre avis sur ce que le Canada pourrait faire pour réduire la menace nucléaire qui pèse sur nous—les mesures qu'il pourrait proposer. S'il n'y avait pas de menace du côté de la Russie, est-ce que la menace que présente la Chine justifierait le déploiement d'un système de défense nationale contre les missiles? Je vous mets dans l'embarras.
M. Paul Heinbecker: Il ne faut pas oublier que chaque fois que les Canadiens abordent la question du désarmement d'armes nucléaires, ils parlent d'armes que possèdent d'autres pays. Manifestement, notre politique, notre objectif est de faire en sorte qu'il n'y ait pas d'armes nucléaires dans le monde.
Entre temps, je crois sincèrement que la diminution de l'état d'alerte et le désaccouplage nous assureraient sans doute une plus grande tranquillité d'esprit. Ils nous feraient gagner du temps, et nous ne nous retrouverions pas dans des situations où les armes seraient lancées «d'instinct». À mon avis, ni l'un ni l'autre des gouvernements n'agiraient de la sorte, mais la possibilité existe, du fait que les missiles sont prêts à être lancés. Ces mesures ont déjà été appliquées dans le cas des armes de l'OTAN, et nous aimerions que cette pratique devienne plus généralisée.
Ce serait une bonne chose qu'on ferme les sites de déploiement. Je pense que la France l'a fait. J'aimerais que le traité interdisant la production de matières fissiles soit mis en oeuvre parce qu'il représente une composante importante du processus.
M. Keith Martin: Je m'excuse—le traité interdisant la production de matières fissiles?
M. Paul Heinbecker: Oui, le traité interdisant la production de matières fissiles. Il y a aussi le CTBT. Il serait utile qu'on interdise complètement les essais.
S'il n'en tenait qu'à moi, l'Inde et le Pakistan réduiraient leurs arsenaux. Je pense qu'ils ont réussi, pour différentes raisons, à diminuer, plutôt qu'à renforcer, leur sécurité. Les relations entre l'Inde et le Pakistan sont actuellement très tendues. La menace de guerre entre ces deux pays est très réelle.
Pour ce qui est de la capacité nucléaire de la Chine et de la question de savoir si elle justifie la mise sur pied d'un système de défense nationale contre les missiles, cela fait partie du problème plus vaste que nous essayons de solutionner. La dissuasion a été la voie à suivre jusqu'à maintenant. La Chine pense à très long terme, et elle envisage clairement de devenir un joueur nettement plus important sur le plan international. Or, je ne sais pas si un système de défense nationale antimissiles serait utile dans ces circonstances.
M. Keith Martin: Merci beaucoup.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Heinbecker. Au nom des membres du comité, je vous remercie de votre visite de ce matin que nous avons grandement appréciée, d'autant plus que nous sommes conscients du décalage horaire que vous subissez. Nous allons maintenant prendre cinq minutes de repos avant de reprendre nos travaux et d'entendre le troisième groupe de témoins. Merci beaucoup.
[Traduction]
Je vous remercie d'être venu nous rencontrer.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Si vous êtes d'accord, nous allons commencer tout de suite.
Nous accueillons M. Pavel Podvig, attaché de recherche au Centre d'études sur le contrôle des armements, l'énergie et l'environnement, de l'Institut de physique et de technologie de Moscou.
• 1110
Nous accueillons également M. Ernie Regehr, que le comité
connaît déjà très bien. Il dirige le projet Ploughshares.
M. Podvig va nous présenter un exposé d'environ dix minutes. Il sera suivi de M. Regehr. Nous passerons ensuite aux questions.
Monsieur Podvig.
M. Pavel Podvig (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup. Je vais être bref et m'en tenir à quelques points fondamentaux.
Comme vous le savez, en juillet de cette année, l'administration américaine décidera si elle déploie ou non un système de défense antimissiles. Il se peut qu'elle reporte sa décision. Or, même si elle choisit de le faire, l'incertitude entourant le traité ABM et toute la question de la défense antimissiles nuit aux relations entre la Russie et les États-Unis et au processus de désarmement nucléaire.
L'idée de déployer un système de défense nationale contre les missiles n'est pas nouvelle. Elle remonte à l'époque du projet de la guerre des étoiles. L'idée a été vivement dénoncée par la Russie en particulier, qui est partie au traité ABM. Elle a également été vivement dénoncée par la Chine, par exemple. Or, la Chine n'est pas partie au traité, mais elle a clairement laissé entendre qu'elle est visée par celui-ci et qu'elle souhaite qu'il soit maintenu.
Même les alliés des États-Unis ont accueilli avec scepticisme l'idée de déployer un système de défense nationale—en tout cas, un système qui est censé couvrir le territoire américain. Mais même s'ils sont en faveur d'un tel système, qui, en théorie, protégerait les pays européens ou les troupes de l'OTAN, à ma connaissance, tous les projets conjoints que les États-Unis ont tenté de lancer avec leurs alliés européens en vue d'élaborer un système de défense plus complet ont échoué.
Quelles sont précisément les préoccupations de la Russie et de la Chine au sujet de ce système? Je vais parler davantage de la Russie, et vous comprendrez pourquoi. D'abord, les États-Unis soutiennent que ce système a une portée très limitée et qu'il vise uniquement à intercepter un certain nombre de missiles. Toutefois, si vous jetez un coup d'oeil sur l'architecture du système et son volet technique, vous allez constater que le système est conçu de manière à pouvoir être élargi. Il pourrait être élargi assez facilement et assez rapidement parce que la composante principale de l'infrastructure serait mise en place dès la première étape du déploiement. C'est surtout pour cette raison que la Russie s'oppose au projet. À son avis, le système pourrait, à la longue, servir à contrer toute force de dissuasion de la Russie.
La même question préoccupe la Chine, mais il y a plus. La Chine est très préoccupée par les plans de défense contre les missiles de théâtre des États-Unis. À nouveau, si vous vous concentrez sur l'aspect technique, même si l'on affirme que la défense du théâtre est relativement moins perfectionnée, une grande partie de celle-ci consisterait en une infrastructure spatiale, notamment des capteurs basés dans l'espace qui détecteraient l'approche de charges militaires et de missiles balistiques.
La Chine particulièrement a officiellement fait valoir sa préoccupation à la conférence sur le désarmement qui a eu lieu tout récemment, prévenant qu'elle s'opposerait probablement et prendrait des mesures pour s'opposer à tout développement visant à placer des armes ou des composantes de systèmes de défense dans l'espace.
• 1115
Pour en revenir plus particulièrement à la Russie, nous en
arrivons probablement, avec lenteur, à l'étape pratico-pratique.
Les États-Unis pourraient décider très prochainement de se retirer
du traité ABM. Quelle serait la réaction de la Russie? Elle a
indiqué que, naturellement, si les États-Unis décident de se
retirer du traité, elle envisagerait de se retirer elle-même du
START II. Toutefois, le START II n'a pas encore été ratifié et
n'est pas encore en vigueur. La menace n'est donc pas très réelle.
Toutefois, la possibilité que la Russie se retire du START et qu'elle mette fin aux programmes d'inspections réciproques qui sont prévus dans ce traité de limitation des armements a été mentionnée officieusement. Il en a été beaucoup question, officieusement.
En fait, le plus important point à retenir est l'incertitude qui entoure le traité ABM actuellement et les préoccupations qu'a la Russie concernant le déploiement futur d'un système de défense national contre les missiles aux États-Unis. Cette incertitude fait un tort réel au processus de désarmement nucléaire au moment même où nous en parlons.
L'aspect le plus dangereux, c'est que, si vous examinez les relations entre les États-Unis et la Russie, surtout en ce qui concerne le désarmement nucléaire, vous constaterez que tout presque est maintenant lié à la modification du traité ABM, ce qui est fort malencontreux. En Russie et aux États-Unis, il y a beaucoup à faire en ce qui concerne le désarmement et une véritable réduction des arsenaux nucléaires. Malheureusement, la question du traité ABM et l'intention annoncée par les États-Unis de mettre en place un système de DNM empêchent de progresser dans ce domaine.
Voilà qui met probablement fin à ce que j'avais à dire. Si vous avez des questions, j'y répondrai avec plaisir.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Je suis sûr qu'il y en a.
Monsieur Regehr.
M. Ernie Regehr (directeur, Politique et affaires publiques, Projet Ploughshares): Je vous remercie beaucoup.
Je tiens simplement à renchérir très brièvement sur ce qu'on vient de dire et vous faire des observations au sujet de la réaction canadienne au débat ou, plutôt, au manque de débat. C'est une partie du problème aux États-Unis; le débat se situe dans le contexte très particulier et étrange de la politique présidentielle. Les répercussions sur le contrôle des armements de la proposition n'ont pas encore vraiment fait l'objet de grandes audiences publiques. Il faut que ce débat ait lieu, et je crois que les travaux actuels du comité contribueront beaucoup à mettre en évidence ces préoccupations et ces enjeux au Canada.
Le Canada est à mon avis bien placé pour affirmer, dans le cadre de ce débat public, l'importance du multilatéralisme pour l'analyse des répercussions d'un système DNM. Le traité ABM est certes bilatéral, mais c'est aussi un texte éminemment multilatéral. Il a une influence non seulement sur les relations entre ces deux États, mais aussi sur la sécurité mondiale. Tous les États qui n'en sont pas signataires ont tout intérêt à ce que le traité survive et à faire en sorte que les fondements qui confèrent sa stabilité à la structure de dissuasion de la guerre froide entre les États-Unis et l'Union soviétique ne sont pas attaqués.
Au sein même des États-Unis, nous sommes témoins d'un effort essentiellement unilatéral visant à assurer la sécurité nationale unilatéralement, non pas par des moyens de dissuasion réciproques et dans le respect mutuel, mais par la poursuite d'une capacité militaire supérieure qui fait de l'Amérique une forteresse et la protège. Je crois que nous avons là un rôle à jouer pour affirmer la réciprocité de la sécurité.
Quant au rôle du NORAD, il faut aussi se rappeler et rappeler aux États-Unis que cet accord repose essentiellement sur des préoccupations et des intérêts réciproques des deux pays en matière de défense aérienne. Ces intérêts réciproques relatifs à la défense aérienne du territoire sont réels et, quoi que les Américains fassent sur le plan de la DNM, les préoccupations concernant la surveillance du territoire à des fins de défense ne disparaîtront pas.
• 1120
Comme l'a dit M. Heinbecker—et je m'en veux d'avoir manqué la
plus grande partie de son exposé—la DNM va probablement mettre
en relief l'importance des enjeux liés à la défense aérienne, la
menace des missiles de croisière n'étant pas le moindre.
Il importe au plus haut point que le Canada utilise ses bons offices pour porter à l'attention de l'administration américaine les préoccupations relatives au contrôle des armements et leurs conséquences sur le désarmement. Je crois que vous les connaissez bien. Nous en reparlerons donc tout à l'heure. On a l'impression qu'en dépit de toute la compétence et de toute l'expertise qu'ont assurément les Américains, les décisions sont prises surtout en fonction des impératifs politiques de la présidence et en vue d'enlever aux républicains un atout particulier. Il importe que nous abordions la question avec eux et que nous leur rappelions certaines répercussions générales multilatérales de leur réaction.
En ce qui concerne la multilatéralisation de la réaction à la menace des missiles balistiques, dans la mesure où elle existe, il faut insister sur le fait que la réaction à ces menaces doit s'inscrire dans les préoccupations générales de la communauté internationale. La responsabilité d'y réagir n'appartient pas qu'aux États-Unis.
Le rapport de votre comité et la réaction du gouvernement mentionnaient l'intérêt américano-russe dans le système international de notification de lancement. C'est un enjeu dont on a pris note en principe, mais dans les faits, on n'y donne pas vraiment suite. Voilà une chose que le Canada pourrait encourager.
Le potentiel existe pour mettre en place non seulement un système de détection précoce des lancements, mais aussi un moyen de surveillance réciproque de l'étape de préparation au lancement des missiles et des programmes de missiles. En cette capacité, un pareil système se transformerait essentiellement en mécanisme de vérification des programmes de diminution du niveau d'alerte et de désaccouplage du genre dont parlait M. Heinbecker. Cette proposition mérite une attention très sérieuse, car elle peut aider le Canada à appuyer et à parrainer tout effort attirant l'attention sur cette question.
Nous souhaitons ne pas faire une déclaration trop longue. Je vais donc y mettre fin tout de suite, car il me tarde d'entamer le débat.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Je vous remercie beaucoup.
[Français]
Nous allons maintenant entamer la période des questions. Madame Debien, s'il vous plaît.
Mme Maud Debien: Je vous souhaite la bienvenue, messieurs Podvig et Regehr. Je me rends compte, monsieur le président, que la première question que j'ai posée à l'ambassadeur concernant le déploiement d'un système de défense antimissiles a fait l'objet de la préoccupation de presque tous nos témoins et que nous nous sommes finalement presque limités à ce sujet-là, alors que le but premier de notre rencontre était de parler du prochain examen concernant le TNP, qui pourra se dérouler très bientôt, et de la position que devrait prendre le Canada dans ce domaine.
Monsieur Podvig, vous nous avez dit que la principale chose—je suis peut-être heureuse d'avoir soulevé le débat—qui nuit actuellement au processus de désarmement nucléaire, c'est l'incertitude concernant le Traité ABM. J'aimerais que vous précisiez votre pensée là-dessus.
• 1125
Je poserai évidemment une autre question à M. Regehr
concernant les prochaines négociations
qui auront lieu en avril prochain, à Genève, et qui
porteront sur le deuxième
examen.
[Traduction]
M. Pavel Podvig: D'accord. J'ai compris la question, je crois.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, il existe des incertitudes. Par exemple, la décision qu'est censée prendre l'administration américaine en juillet prochain pourrait bien être retardée. Comme vous le savez, la loi américaine prévoit que le système sera déployé dès que cela sera techniquement possible. Cependant, si vous examinez l'aspect technique, vous constaterez que le système ne peut pas faire le travail qu'il est censé faire. Donc, à en juger d'après le mérite technique, la décision ne sera jamais prise.
Cependant, il semble que les États-Unis... Vous pouvez comprendre que de nombreuses personnes ont directement intérêt à promouvoir cette idée de déploiement d'un système de DNM. Vous le constateriez aux États-Unis. Nous vivons donc actuellement—et par «nous», j'entends la Russie et les États-Unis, dans leurs relations bilatérales—sous l'effet de cette pression constante d'une éventuelle révocation du traité ABM par les États-Unis et du déploiement éventuel d'une structure de défense contre les missiles.
Je crois que cela nuit beaucoup au désarmement nucléaire bilatéral et, en règle générale, à la non-prolifération des armements.
[Français]
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Madame Debien, vous vouliez poser une question à M. Regehr?
Mme Maud Debien: Oui, je voulais poser une question au sujet du deuxième examen du traité, qui aura lieu très prochainement. D'après vous, quelles priorités le gouvernement canadien devrait-il faire prévaloir lors de cette conférence?
Je vous pose à nouveau une question que j'ai soulevée tout à l'heure. On se rappelle le mécontentement de certains pays face aux négociations du CTBT lors du premier examen, ce qui avait contribué à faire croître l'appui accordé à la position de l'Inde, selon laquelle les négociations en vue d'une convention d'un arrêt de production en vertu du CTBT devaient être reliées strictement à des négociations sur le désarmement nucléaire. Or, vous savez que le Sénat américain a refusé la ratification du CTBT. Je me demande si on ne risque pas de se retrouver face au même dilemme lors de la deuxième conférence.
[Traduction]
M. Ernie Regehr: Il faut vraiment comprendre que les enjeux liés à l'interdiction complète des essais de systèmes de défense nationale contre les missiles balistiques, que sa non-ratification et l'examen du traité de non-prolifération sont tous intimement liés. La survie du régime de non-prolifération et le respect constant de ce principe par la communauté internationale dépendent très lourdement de l'issue des deux autres questions.
• 1130
Voici comment les signataires percevront le traité de non-prolifération
selon moi. Si les États-Unis vont de l'avant avec
leur système de DNM, la réaction de la Russie, tout comme de la
Chine, sera inévitablement de contrer le déploiement d'une façon
quelconque. Le déploiement de ce système sera perçu, avec raison,
comme une escalade de la course aux armements et le renouvellement
de l'importance et du rôle des armes nucléaires dans les plans de
sécurité des grandes puissances, accroissant ainsi l'instabilité et
les dangers pour la communauté internationale. Les signataires non
militaires du TNP le verront donc comme la violation soutenue de
leurs obligations aux termes de l'article VI du TNP.
Toutes ces choses sont donc, selon moi, très étroitement liées. La déclaration préliminaire que j'ai faite au sujet de l'importance pour le Canada de réaffirmer l'approche multilatérale répondait en réalité à cette question—soit qu'il faut préserver le régime de non-prolifération et que, pour le faire, il faut réduire, comme l'a dit le comité et comme l'a affirmé le gouvernement dans sa réponse, soit qu'il s'agit-là de la politique centrale du gouvernement, la visibilité politique des armements nucléaires dans les systèmes de sécurité.
Le déploiement imminent d'un système de DNM et le refus de ratifier l'interdiction complète des essais nucléaires témoignent d'une intention contraire, en réalité, et lourde de conséquences. C'est l'une des raisons pour lesquelles il nous faut peser extrêmement soigneusement notre réaction au système de DNM et y réagir non pas en fonction de nos relations avec les États-Unis et de la gestion de ces relations, mais en termes d'intérêts multilatéraux en matière de sécurité.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Je vous remercie.
[Français]
Monsieur Paradis.
M. Denis Paradis: Merci, monsieur le président.
[Traduction]
J'aimerais tout d'abord féliciter M. Pavel Podvig pour son exposé. Sa présence ici ajoute une dimension très intéressante.
Ma question concerne ce que vous faites. Simplement pour bien comprendre où vous vous situez, qu'est-ce que l'Institut de physique et de technologie? Relève-t-il d'une université ou du gouvernement?
De plus, quel est votre travail au juste à cet institut?
M. Pavel Podvig: Le Centre de contrôle des armements est un organisme non gouvernemental. Nous travaillons essentiellement à des questions techniques liées au contrôle des armements et au désarmement. Nous travaillons aux dossiers techniques parce que tous les gens travaillant au centre, moi compris, sont des diplômés de l'Institut de physique et de technologie de Moscou. C'est l'équivalent russe à peu près du MIT, aux États-Unis.
Je ne prends pas la parole ici en tant que représentant du gouvernement de Russie, car je ne travaille pas pour lui. Je parle en mon nom personnel.
M. Denis Paradis: D'accord.
À nouveau, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre exposé.
M. Pavel Podvig: C'est moi qui vous remercie.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Monsieur Speller.
M. Bob Speller: Merci, monsieur le président.
Je m'excuse de n'avoir pas été là pour entendre vos exposés, mais j'ai fait un peu de recherche et je comprends ce dont il est question. Ma question sera donc d'ordre quelque peu général.
Il semble que l'on éprouve des difficultés avec les militaires russes. On semble craindre, dans certains milieux, que l'accent ne soit mis sur les armements nucléaires en raison justement de ces difficultés que connaissent les militaires russes. En fait, une certaine opinion en Russie veut que, peut-être pour la défense du pays, il faudrait insister davantage sur les armements nucléaires. C'est là ma première question.
• 1135
Ensuite, si c'est bien le cas, tout ce processus ne nous mène-t-il pas à
cette conclusion ou ne donne-t-il pas raison à ceux qui
aimeraient accroître la capacité nucléaire de la Russie? Ne serait-ce pas
le résultat ultime?
M. Pavel Podvig: Tout d'abord, je n'irai pas jusqu'à dire que ce recours accru aux armes nucléaires représente une tendance tout à fait nouvelle de la politique russe. C'est ainsi depuis quelques années maintenant. Il est couramment admis en Russie que le pays n'a pas les moyens de soutenir une armée classique et que, par conséquent, il devrait s'appuyer davantage sur les armements nucléaires.
Il est vrai que cette école de pensée existe, si vous le voulez, en Russie, surtout au sein des militaires. Toutefois, je ne serais pas pessimiste à cet égard, car cela n'écarte pas tous les travaux faits en vue d'un désarmement nucléaire.
Si vous demandez à savoir si cette insistance sur les armements nucléaires joue vraiment un rôle dans les difficultés que nous avons en Russie et aux États-Unis, par exemple avec le START II, et le fait que la Douma ne l'a pas ratifié, je vous répondrai par la négative. C'est sans rapport avec cette question.
Simultanément, je serais d'accord pour dire que cette idée de miser davantage sur les armes nucléaires est... Je ne dirais pas dangereuse. C'est seulement que je ne crois pas que c'est quelque chose que la Russie doive faire, en réalité. La solution serait plutôt de convaincre la Russie de participer à une nouvelle ronde de négociations sur le désarmement nucléaire, comme je l'ai dit tout à l'heure.
Ainsi, si vous vous arrêtez à l'état actuel du START II, à nouveau, bien qu'il n'ait pas été ratifié par la Douma, il est clair que ce n'est pas l'impasse. On pourrait faire quelque chose. Il existe des moyens d'en arriver à un nouveau traité de désarmement nucléaire prévoyant des niveaux réduits d'armes nucléaires.
Toutefois—et j'insiste sur ce point—la plus grande source de problèmes actuellement est le fait que toute mesure qui mènerait à des progrès réels dans l'élimination des armements nucléaires ou de l'accent mis sur les armements nucléaires dans la politique russe est lié, explicitement ou implicitement, aux concessions russes faites dans le traité ABM.
C'est vraiment malheureux. Comme je l'ai dit, la position en Russie est de s'opposer vivement au traité. En toute franchise, je ne vois pas pourquoi il faudrait qu'il en soit ainsi, pourquoi cette position devrait être liée à la question de la défense contre les missiles. Malheureusement, c'est ainsi.
Ai-je répondu à votre question?
M. Bob Speller: Oui.
J'ai appris, ce matin—ce que j'ignorais—que tant les États-Unis que la Russie peuvent avoir un système de défense contre les missiles. La Russie en a un actuellement quelque part aux alentours de Moscou. Ce système est-il analogue à ce que les Américains souhaitent faire à l'échelle de leur pays? Pouvez-vous nous le dire?
M. Pavel Podvig: Le système que la Russie a actuellement en place aux alentours de Moscou est, à de nombreux égards, le même système de protection que les États-Unis ont déployé en 1974 ou en 1975. Les États-Unis ont exploité le système pendant quatre mois, puis l'ont abandonné après avoir décidé qu'il n'était pas pratique.
Il semble que l'Union soviétique ait cru qu'elle disposait de beaucoup plus d'argent que les États-Unis, ce qui était une très grave erreur.
Ce que nous avons actuellement se compare à l'ancien système de protection des États-Unis, à de très nombreux égards. Il est dicté par la technologie.
M. Bob Speller: Il s'agit donc d'une technologie désuète.
M. Pavel Podvig: Oui, elle est très désuète, bien que le système ait été déployé et branché vers le début ou le milieu des années 80, si ma mémoire est bonne. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une technologie des années 70 essentiellement.
La Russie n'a rien qui se rapproche de ce qu'envisagent les États-Unis. La Russie n'a pas de pareil système et ne projette pas d'en installer un. En un certain sens, je dirais que, pour de nombreuses raisons, la décision de ne pas se lancer dans la défense contre les missiles est prudente. En fait, on a mentionné tout à l'heure que, durant le programme de la Guerre des étoiles, par exemple, l'Union soviétique n'avait ni les ressources ni la technologie pour rivaliser avec les États-Unis. Bien que ce soit vrai, ce n'est qu'une partie de la vérité. Il y a aussi le fait qu'il n'existait pas en Union soviétique de force politique nous encourageant à nous lancer dans cette aventure coûteuse sur le plan technique.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Monsieur Podvig, quelles sont selon vous les chances que les États-Unis et la Russie parviennent à s'entendre sur certaines modifications au traité ABM? Si elles sont bonnes, quelle sorte d'entente serait utile?
M. Pavel Podvig: Vous me posez là une question très difficile.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Elle est brève.
M. Pavel Podvig: Si vous examinez la scène politique où se tient le débat sur la limitation des systèmes antimissiles balistiques à Moscou, comme je vous l'ai dit, les principaux joueurs là-bas sont les militaires, et les militaires s'opposent fermement à toute modification du traité—à bon droit, en fait, puisque, comme je l'ai dit, bien que les États-Unis proposent une très légère modification pour permettre le déploiement de ce système très limité qui ne comprendrait que quelques contre-intercepteurs et ainsi de suite, si vous examinez le texte du traité, il est très clair que pour autoriser ce système limité de défense, il faudra en changer les dispositions fondamentales, notamment l'article 1.
En Russie, on comprend très bien, selon moi, dans tous les camps, que toute entente relative à une modification du traité sonnerait en fait la fin du traité tel que nous le connaissons. La modification n'est donc pas possible, en un certain sens. Cependant, à nouveau, si vous vous arrêtez à la scène politique, des indices laissent croire que dans certaines circonstances, la Russie pourrait accepter de modifier le traité. À mon avis, cela pourrait atténuer à court terme les frictions dans les relations entre les États-Unis et la Russie. Toutefois, les conséquences à plus long terme seraient très fâcheuses.
• 1145
Pour vous en donner un exemple, en 1993, le START II était
perçu comme une très grande réalisation, un net pas en avant. Sept
ans plus tard, il est maintenant clair que c'était en fait une
erreur. Plutôt que de favoriser le désarmement, il est devenu en
réalité en obstacle. Je me méfierais donc de toute entente
éventuelle entre les États-Unis et les Russes à ce sujet parce
que—je le répète—elle sera peut-être bonne à court terme, mais
beaucoup moins bonne à plus long terme.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Je vous remercie.
Monsieur Regehr, avez-vous quelque chose à dire?
M. Ernie Regehr: Oui. J'aurais de brefs commentaires à faire à ce sujet. Il est tout à fait concevable que les États-Unis et la Russie puissent s'entendre en vue de modifier le traité. Je crois, toutefois, que les conséquences d'une telle entente seraient profondes et qu'elles ne coïncideraient pas forcément avec les meilleurs intérêts de la Russie, que la Russie ne le ferait pas volontiers, dans la mesure où elle est manifestement à certaines pressions des États-Unis. C'est pourquoi j'estime que la position canadienne au sujet du traité ABM est très importante.
La position énoncée s'oppose à une modification unilatérale du traité. Cependant, elle devrait en réalité ne pas appuyer de modification, d'affaiblissement du traité, parce qu'actuellement, la Russie est isolée et ne reçoit pas d'aide pour faire obstacle à la modification du traité. Elle a besoin d'une aide internationale beaucoup plus forte sur le plan diplomatique, puisqu'il est tout à fait clair que la modification du traité et l'autorisation de même la forme la plus limitée de DNM sera perçue par la Russie et la Chine comme les premières étapes d'un système plus complet, ce qui aura toute une série de conséquences sur le contrôle des armements et le désarmement, y compris la militarisation de l'espace et les autres choses que mentionnait M. Podvig, le déploiement dans l'espace de capteurs liés au contrôle et au commandement de missiles d'interception.
Voilà qui engendre le débat. Vous avez entendu les témoignages de M. John Steinbruner et de M. Podvig au cours des derniers jours. Malheureusement, il ne pouvait demeurer ici jusqu'à la réunion d'aujourd'hui, mais il a régulièrement parlé du problème fondamental d'incompatibilité entre l'utilisation militaire et l'utilisation commerciale de l'espace extra-atmosphérique. Quand des biens dans l'espace sont perçus comme des cibles militaires légitimes, ainsi que ce genre de capteur le serait inévitablement, cela entrave énormément l'exploitation commerciale de l'espace. Il existe donc ici des répercussions à long terme auxquelles on n'a pas encore bien réfléchi et dont il faudra débattre avec soin avant de prendre des décisions concernant un système de DNM.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Monsieur Podvig.
M. Pavel Podvig: Si je puis me permettre de reprendre brièvement votre question, dans la deuxième partie, vous demandiez à savoir quel genre d'entente il y aurait s'il y avait accord?
Si vous y réfléchissez sérieusement, comme je l'ai dit, un pareil accord serait possible dans certaines circonstances. Il faudrait alors qu'il maintienne le principe fondamental du traité, soit d'interdire toute défense musclée du territoire. Toutefois, on pourrait faire exception pour le genre de système limité de défense que projettent les États-Unis.
Le plus important principe à inclure dans tout traité modifié—il perdrait une grande partie de sa valeur, mais nous pourrions quand même le renforcer; nous pourrions profiter de l'occasion pour en renforcer certains énoncés—est l'interdiction totale et absolue d'armes, d'intercepteurs, dans l'espace, ce qui influe sur ce que nous venons de dire.
Si l'on jette un coup d'oeil au traité ABM actuel, on ne sait pas trop si des intercepteurs pourraient être lancés dans l'espace étant donné qu'ils sont interdits. Cependant, plusieurs échappatoires qui pourraient être tournés en ce qui a trait aux armes fondées sur de nouveaux principes physiques.
• 1150
Ainsi, si vous parlez de quelque modification au traité ABM,
je crois que la communauté internationale devrait aussi faire
valoir très vivement que tout intercepteur fondé sur des principes
physiques devrait être interdit—aucun laser déployé dans l'espace
ou quelque autre type d'arme. Cela mitigerait en quelque sorte
l'effet de la destruction de l'essence du traité.
Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci beaucoup messieurs Podvig et Regehr de vos observations. Nous en reconnaissons la grande valeur.
Avant de suspendre nos travaux, l'avis de motion de Keith Martin concernant l'ACDI est inscrit à l'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui, mais comme nous n'avons pas le quorum, nous ne pouvons pas en discuter. Nous reportons donc la question à notre prochaine réunion. Merci.
La séance est levée jusqu'à nouvelle convocation de la présidence.