FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 16 mai 2000
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.)): La séance est ouverte.
Nous sommes ici pour examiner le projet de loi C-19. Les témoins que nous accueillons aujourd'hui sont l'honorable Richard Krieger, président de l'International Education Missions' Commission on War Criminals in the United States, M. David Matas, avocat principal de B'nai Brith Canada, enfin et surtout—nous avons peut-être gardé le meilleur pour la fin—M. Warren Allmand, président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique.
Je signale aux deux autres témoins que M. Allmand a été des nôtres et que par conséquent, nous nous réjouissons de sa présence parmi nous aujourd'hui. Nous sommes peut-être légèrement partiaux à son égard.
M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Il a toutefois rompu les rangs de temps en temps.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Ce n'est pas vrai. Il rougit cependant.
Monsieur Krieger, pourriez-vous faire votre exposé.
L'hon. Richard Krieger (président, International Education Missions Inc.): Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, c'est un privilège de comparaître devant vous aujourd'hui pour appuyer l'esprit de la Loi sur les crimes contre l'humanité.
Je m'appelle Richard Krieger et je suis président d'International Education Missions, une organisation américaine non gouvernementale (ONG) bipartite et sans but lucratif, dont vous trouverez à la fin du mémoire la liste des objectifs et des membres du conseil d'administration. Vous constaterez que notre conseil d'administration comprend deux ou trois anciens directeurs de l'Office of Special Investigations (Bureau des enquêtes spéciales) du Département de la Justice, qui s'occupe des criminels de guerre nazis aux États-Unis, ainsi que des membres réputés du Congrès américain, d'anciens ambassadeurs et d'éminentes personnalités de divers pays.
Je signale pour votre gouverne que j'ai modifié le texte initial que le bureau du greffier a eu l'amabilité de reproduire et de préparer pour vous en anglais. On n'a pas encore eu le temps de le faire traduire en français mais on m'a assuré qu'il le sera.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Il s'agit uniquement des modifications; la version originale a été traduite.
M. Richard Krieger: J'ai été nommé à un poste par deux présidents des États-Unis: Jimmy Carter et Ronald Reagan. Sous le président Carter, j'ai occupé le poste de conseiller auprès du Holocaust Memorial Council des États-Unis. J'ai aussi servi le président Bush à titre de consultant auprès de l'Office of International Operations de l'Immigration and Naturalization Service.
• 0945
L'IEM est une organisation relativement récente puisqu'elle
n'a été fondée qu'en 1987 mais, chacun de leur côté, nombre de nos
membres s'occupent, depuis des décennies, de questions qui vous
intéressent. Moi, par exemple, je m'emploie depuis le début des
années 70 à amener devant les tribunaux des criminels de guerre
nazis et d'autres violateurs des droits fondamentaux. Je suis
d'ailleurs fier d'avoir participé à la démarche qui a abouti à la
création de l'OSI en 1979.
Aux côtés d'Elie Weisel, lauréat du Prix Nobel, nous avons aidé à démontrer au peuple américain que le régime sandiniste du Nicaragua cherchait délibérément à anéantir les Indiens Mesquitos de ce pays. J'ai contribué aussi à soustraire des réfugiés à la tyrannie dont ils étaient victimes en Éthiopie, au Cambodge, au Honduras, au Salvador, au Vietnam, au Nicaragua, en Roumanie, en Russie et au Rwanda, et qui sévit toujours au Soudan et en Iran. Pourtant, à la stupéfaction de l'IEM, de nos collaborateurs et des agences de coopération, et malgré la répugnance que cela a provoqué chez la plupart des Américains, nombre d'individus ayant perpétré ces atrocités et d'autres encore bénéficient aujourd'hui des droits et libertés qui existent aux États-Unis et au Canada.
C'est pourquoi nous, à l'IEM, sommes profondément reconnaissants au ministre des Affaires étrangères et au président du comité d'avoir attiré l'attention du Parlement sur cette affaire en présentant le projet de loi C-19, Loi sur les crimes contre l'humanité. En fait, nous reconnaissons avec quelque satisfaction, et la communauté internationale aussi, les tentatives antérieures faites par le gouvernement canadien pour régler cette affaire et le fait qu'il ait reconnu en toute franchise qu'il fallait agir, en présentant ce projet de loi.
Nous sommes aussi reconnaissants au Sénat américain d'avoir adopté si rapidement, et à l'unanimité, la loi S. 1754, Titre III, l'Anti-Atrocity Alien Deportation Act (Loi sur l'expulsion des étrangers ayant commis des atrocités) et nous attendons avec impatience que la Chambre des représentants des États-Unis adopte à son tour, et dans les plus brefs délais, la loi correspondante H.R. 3058.
S'il n'est pas amendé, le projet de loi américain prévoira que tous les auteurs d'actes de torture pourront être interdits de séjour aux États-Unis. Il prévoira que tous les auteurs d'actes de torture qui sont entrés aux États-Unis pourront être expulsés et que ceux qui sont devenus citoyens américains seront dénaturalisés avant d'être expulsés. Il prévoira que l'OSI administrera le programme concernant toutes les causes visant des étrangers qui ont commis un génocide ou des actes de torture et disposera des crédits nécessaires pour s'acquitter de ses attributions, dont le montant n'est toutefois pas précisé.
Cependant, l'IEM et d'autres ONG ont suggéré les amendements suivants. Le premier consiste à étendre la définition des étrangers agresseurs dans la Loi de sorte qu'elle englobe les criminels de guerre et les violateurs des droits fondamentaux en plus des tortionnaires. Le deuxième vise, en conformité avec la Convention internationale contre la torture, à poursuivre tous ces agresseurs aux États-Unis s'il n'existe aucun mécanisme sur le plan international ou dans un État étranger permettant des voies de droit régulières, impartiales et reconnues internationalement. Le troisième consiste à créer dans la Loi un groupe de travail interorganisations sur les violateurs des droits fondamentaux, les tortionnaires et les criminels de guerre aux États-Unis (Inter-Agency Working Group on Human Rights Abusers).
Je parle de cette question maintenant, comme je l'ai fait lorsque j'ai témoigné aux audiences de la Chambre des représentants à Washington, parce que le projet de loi américain devrait inquiéter le Canada. Comme les États-Unis sont sur le point d'adopter et d'édicter ce projet de loi, ces individus abominables se chercheront un autre refuge et le Canada n'est-il pas le pays idéal pour eux? Comme les États-Unis, il procure à tous ses citoyens et résidents de grandes libertés et possibilités. Par conséquent, mesdames et messieurs, je vous demande de tout coeur d'adopter le projet de loi C-19.
Toutefois, alors que les mesures prises contre les crimes contre l'humanité rallient les suffrages dans le monde entier, la Cour pénale internationale suscite une certaine controverse. Je vous suggère donc de repenser à la possibilité de traiter des deux questions dans le même projet de loi. Il n'existe pas de traité d'extradition entre les États-Unis d'une part et le Tribunal criminel international pour le Rwanda et le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie d'autre part, mais la Cour suprême des États-Unis a confirmé récemment le jugement de la Cour d'appel qui a statué que la ratification des tribunaux internationaux suffisait à établir le droit d'extradition de tout criminel de guerre cité par l'un ou l'autre des tribunaux. Les États-Unis ont donc extradé un criminel de guerre rwandais pour qu'il subisse son procès devant le tribunal.
• 0950
En outre, je crois savoir que le Département américain de la
Justice fait enquête sur certains tortionnaires qui se trouveraient
aux États-Unis, dans l'intention de porter des accusations. Je
présume que le Canada se trouve dans la même situation que les
États-Unis.
Le Canada et les États-Unis sont en train de mettre sur pied un programme destiné à empêcher les terroristes de traverser la frontière pour se rendre dans le pays voisin. Le Canada et le Département américain de la Justice ont signé un protocole d'entente portant sur l'échange de renseignements sur les violateurs des droits fondamentaux, les criminels de guerre et les tortionnaires. J'espère que ce programme s'appliquera aussi aux étrangers qui sont des criminels de guerre, des tortionnaires et des violateurs des droits fondamentaux.
L'IEM estime que le Groupe de travail interorganisations (GTI) devrait être créé par une loi aux États-Unis et chargé de la question des crimes contre l'humanité commis par des individus qui se trouvent aux États-Unis ou qui tentent d'y entrer. Ce serait préférable à un GTI général sur les crimes contre l'humanité. Madame la présidente, je recommande à votre comité de proposer la création d'un tel groupe de travail. Les mesures et les actions de votre pays contre ces êtres malveillants ne peuvent pas être efficaces si elles sont prises par un seul organe du gouvernement. Elles commandent un effort concerté et coordonné des Affaires étrangères, de la Justice, de l'Immigration, du renseignement et de la sécurité nationale, ainsi que la coopération des ONG qui travaillent dans ce domaine. À la fin de mon mémoire, j'ai annexé la recommandation de l'IEM sur la création d'un tel groupe de travail aux États-Unis et je demanderais à la présidente de la soumettre au comité.
En examinant le projet de loi C-19, nous avons constaté que les victimes elles-mêmes sont prises en considération puisqu'elles pourront recevoir un remboursement de leur agresseur, si elles ont perdu des biens et si la CPI impose une amende.
Nous croyons que le comité aurait sans doute intérêt à examiner la loi américaine sur la protection des victimes de torture, PL 102-256, qui autorise les victimes ou leurs mandataires à poursuivre les agresseurs, devant un tribunal civil américain, pour la torture et les meurtres qu'elles-mêmes ou un membre de leur famille ont subi. Même si aucune somme, quelle qu'elle soit, ne saurait compenser les brutalités infligées aux victimes, un tribunal qui rend un jugement contre un agresseur et qui lui impose un châtiment apporte une certaine satisfaction, sans pour autant effacer la hantise post-traumatique que ces personnes devront endurer pour le restant de leurs jours. Aux États-Unis, il y a des ONG qui ont travaillé avec des avocats pour aider des victimes dont l'agresseur avait été retrouvé.
Madame la présidente, je demanderais au comité d'accepter un exemplaire de la loi américaine PL 102-256 et de l'examiner. Il est annexé au mémoire.
De plus, bien qu'une action civile n'ait pas le même poids que le jugement d'une cour criminelle, nous recommandons néanmoins qu'il soit interdit au service de l'immigration ou au service de la citoyenneté, si une victime intente un procès civil contre un présumé agresseur, d'accorder la citoyenneté à celui-ci tant que le procès n'est pas terminé et que tous les recours ne sont pas épuisés et si le tribunal se prononce contre le présumé agresseur, il faut refuser de lui accorder ce privilège.
En ce qui concerne certaines dispositions du projet de loi, au par. 6(3) de la section «Infractions commises à l'étranger», dans la définition «Crimes contre l'humanité», à la page 5, on emploie le mot «torture». Toutefois, il n'est pas précisé quel sens on donne à ce mot. Est-ce celui du Code criminel, celui du Statut de Rome, ou un tout autre sens?
À la page 27, projet d'alinéa 76b) au sujet de l'extradition d'un État vers un autre d'une personne qui arrive au Canada sans consentement préalable, on peut lire:
-
b) dans les autres cas,
—non visés par la CPI—
-
pendant une période maximale de vingt-quatre heures jusqu'à ce
qu'une demande d'autorisation de transit ait été reçue de l'État ou
entité par le ministre».
L'État ou entité qui présente la demande n'est donc pas censé agir sans consentement préalable. Cette disposition ne prévoit pas les cas d'urgence ou les simples erreurs; elle ne laisse aucune latitude non plus au cabinet du ministre. Je vous suggère d'amender le libellé de façon à prévoir un certain délai général après que le ministre a averti l'État qui fait transiter l'individu par le Canada. Il serait inacceptable de remettre un agresseur en liberté à cause d'une erreur de formalités.
Il serait très avantageux d'étendre la compétence des tribunaux sur les crimes de guerre, mais nous craignons la politisation possible de la CPI. Nous attirons votre attention sur les causes soumises récemment à la Cour internationale de justice de La Haye: des plaintes pour crimes de guerre ont été déposées à la suite du bombardement accidentel de l'ambassade de Chine par les États-Unis et de la mort de réfugiés tués accidentellement par des avions de guerre de l'OTAN. Après enquête, les procureurs de La Haye ont affirmé que ces incidents n'étaient pas des crimes de guerre.
• 0955
Pourtant, chaque fois que de grands pays comme le vôtre et le
nôtre remplissent leur obligation morale de maintenir la paix dans
le monde entier, ils prêtent le flanc à des accusations politisées
lancées contre leur action par les gouvernements et les insurgés
avec lesquels ils cherchent précisément à coopérer. Les pays comme
les nôtres, par exemple la France, l'Angleterre et l'Allemagne,
devront réévaluer leurs engagements internationaux à la suite de la
création de la CPI comme le prévoit actuellement le Traité de Rome.
Je ne vous parle pas au nom des États-Unis, mais je prends la liberté de citer une déclaration faite le 9 mai 2000 par la secrétaire d'État américaine Madeleine Albright:
-
Notre proposition, celle dont nous discutons activement avec les
autres gouvernements, ne vise nullement à modifier le Statut de
Rome de la Cour pénale internationale, adopté en 1998. Nous
cherchons plutôt une solution procédurale compatible avec le Statut
de Rome, qui permettra aux États-Unis d'être au moins un «bon
voisin» pour la Cour. Cette réorientation de notre politique sera
très bénéfique pour la Cour [...] Les États-Unis seront en mesure
de lui venir en aide un peu comme ils ont soutenu les tribunaux
pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda.
En outre, le Statut de Rome ne concerne pas uniquement les violations commises après la mise en oeuvre de la CPI. Qu'arrive-t-il alors à ceux qui ont perpétré des atrocités au Cambodge, en Ouganda, en Somalie, en Haïti, en Iran et au Soudan? Nous serions forcés d'essayer d'obtenir une expansion des tribunaux spéciaux. J'ignore quelle est la période de rétroactivité de la loi. Le déplacement forcé d'une population chassée d'un territoire occupé est un crime de guerre. Tant que les États-Unis et le Canada pourraient avoir des réserves à cet égard, la loi s'appliquerait rétroactivement à compter de la date de fondation des deux pays.
En conséquence, je vous demande de séparer les deux principaux objets du projet de loi C-19 en deux lois distinctes: a) premièrement, la capacité accrue du Canada de prendre des mesures contre les auteurs d'actes de torture, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité et b) deuxièmement, le rapport entre le Canada et la CPI au sens du Statut de Rome.
L'IEM tient à exprimer sa gratitude pour les mesures que vous avez prises afin de renforcer la capacité d'intervention du Canada contre certains des criminels les plus notoires que le monde ait jamais connus.
Je vous remercie de m'avoir permis de prendre la parole devant le comité. Je répondrai avec plaisir et de mon mieux à toutes vos questions.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Monsieur Matas.
Me David Matas (avocat principal, B'nai Brith Canada): Merci de m'avoir donné l'occasion de venir témoigner.
J'ai plusieurs observations très précises à faire au sujet du projet de loi. Nous apprécions le projet de loi et un certain nombre de ses dispositions. Nous sommes heureux d'apprendre que le sens de «crime contre l'humanité» a été élargi de façon à inclure la torture et la violence sexuelle.
Nous sommes également heureux de constater qu'il n'est plus besoin de prouver la double criminalité, à savoir qu'il y ait à la fois infraction contre le Code criminel canadien et infraction contre le droit international. L'affaire Finta de la Cour suprême du Canada a mis en évidence plusieurs obstacles aux poursuites contre les auteurs de crimes de guerre et c'en était un. Cette affaire a montré que c'est au jury qu'il appartient de rendre une décision sur les deux types d'infractions, à savoir l'infraction contre le droit international et l'infraction contre le Code criminel canadien. Les jurys ne sont pas très habilités à prendre des décisions en matière de droit international et, par conséquent, ce projet de loi résout ce problème de façon très satisfaisante.
Il règle également un problème grave soulevé par l'affaire Finta, à savoir que l'antisémitisme est en soi un motif de défense, eu égard à l'holocauste. Ce problème est réglé par une disposition précise du projet de loi.
Nous aurions cependant plusieurs modifications à recommander au projet de loi. L'une est l'intégration des deux définitions de crime. Le projet de loi renferme des définitions différentes des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, soit une définition si les crimes sont commis au Canada et une autre s'ils sont commis à l'étranger. Nous estimons qu'il ne devrait y avoir qu'une seule et même définition, que les crimes soient commis au Canada ou à l'étranger.
Si les deux définitions ne sont pas fusionnées, il devrait y avoir au moins une temporalité commune. À l'heure actuelle, hors du Canada, les actes sont punissables s'il s'agit d'actes criminels en vertu du droit international au moment où est commis l'acte ou l'omission. En d'autres termes, les actes commis à l'étranger sont punissables rétroactivement s'ils sont commis avant l'adoption de ce projet de loi. À l'intérieur du Canada, les actes ne sont condamnables que s'ils sont commis après l'adoption du projet de loi. Nous estimons que la meilleure formule est la première et que, peu importe qu'ils aient été commis à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada, les actes devraient être punissables s'ils étaient considérés comme des actes criminels au moment où ils ont été commis.
• 1000
Je dirais que le problème est que la différence actuelle ouvre
la porte à des contestations devant les tribunaux en raison des
injustices théoriques qui pourraient en découler, selon la position
dans laquelle on se trouve. Cette différence est une source de
vulnérabilité dans les poursuites.
Nous suggérons d'adopter une disposition analogue à celle du paragraphe 7(3.77) du Code criminel. C'est une disposition qui concerne l'aide ou l'encouragement à l'égard du crime. Nous suggérons de l'inclure dans le projet de loi. Cette disposition fait actuellement partie des dispositions du Code criminel se rattachant au droit international.
Le cinquième point est que nous voudrions une disposition analogue au paragraphe 21(2) du Code criminel dans ce projet de loi en ce qui concerne les infractions commises à l'étranger. Ce paragraphe porte sur les personnes qui forment ensemble le projet de commettre des infractions.
Sixièmement, un problème se pose en ce qui concerne le génocide parce que le Code criminel contient déjà des dispositions à ce sujet dont le présent projet de loi ne tient pas compte. La définition de génocide n'est pas la même dans le projet de loi que dans le code et le code contient des dispositions concernant «l'incitation au génocide» qui est également une infraction dans le Statut de Rome et par conséquent dans le projet de loi. Les peines sont toutefois différentes—cinq ans dans le code et emprisonnement à vie dans le projet de loi—on ne sait pas très bien quelle peine prévaudra si ce projet de loi est adopté. Nous estimons que la peine d'emprisonnement à vie est plus appropriée et devrait remplacer celle du Code criminel.
Septièmement, le projet de loi précise que les crimes définis dans le Statut de Rome sont définis conformément au droit international coutumier. Ce n'est bien entendu pas le cas. Le Canada ne peut réglementer le droit international. Le droit international n'est pas assujetti aux décisions du Parlement et le droit international coutumier peut être identique à ce que dit le Statut de Rome ou peut en différer. Nous estimons que le Statut de Rome est un progrès par rapport au droit coutumier international et pas seulement une reformulation de ce dernier. Les dispositions du projet de loi ne sont pas les mêmes que celles du droit coutumier international.
Mis à part le fait que le Parlement essaie de prendre légalement une initiative qu'il n'a, légalement parlant, pas le droit de prendre, à savoir déterminer en quoi consiste le droit international, ces dispositions engendreront un problème si le Statut de Rome constitue effectivement un progrès, comme nous le croyons. Dans ce cas, des personnes qui ont commis un acte qui n'était pas considéré comme une infraction au droit international ou au droit local au moment et à l'endroit où il a été commis pourraient être poursuivies au Canada. Cette personne pourrait être poursuivie uniquement si elle venait au Canada et tombait sous le coup du pouvoir exagéré que le Canada s'est attribué en s'adjugeant une compétence universelle dans le contexte de ce projet de loi.
Cette disposition du projet de loi devrait être retirée ou il faudrait du moins indiquer que le Statut de Rome donne des précisions au sujet du droit international classique mais pas au sujet du droit international coutumier.
Huitièmement, le projet de loi devrait définir ce que sont les éléments moraux des crimes perpétrés. Il ne le fait pas. Le Statut de Rome inclut ce type de définition qui mérite d'être examinée. C'est un obstacle causé par l'affaire Finta et qui n'est pas réglé de façon satisfaisante ou pas réglé du tout. Dans l'affaire Finta, la majorité et le juge Cory ont décrété que pour commettre un crime contre l'humanité, il fallait avoir plus que de simples intentions criminelles. Il faut que l'accusé ait l'intention d'infliger un supplice cruel ou la mort en toute connaissance de cause, de façon calculée et préméditée. Il faut avoir en fait des intentions inhumaines. Cette décision va trop loin et il faut la rectifier.
Neuvièmement, il faudrait inclure une disposition précisant que les acteurs non étatiques et les chefs d'État peuvent être poursuivis pour les actes criminels dont il est question dans le projet de loi. Le Statut de Rome renferme des dispositions semblables mais pas le projet de loi. Je vous rappelle que pour résoudre le problème qui se posait dans l'affaire Pinochet, la Chambre des lords a dû être saisie de cette affaire à deux reprises. Je n'aimerais pas du tout que ce problème reste en suspens alors que ce projet de loi pourrait le résoudre.
Dixièmement, le projet de loi renferme une disposition juridictionnelle déformée, qui se trouve actuellement dans le Code criminel. Nous estimons que c'était une erreur dans le code et que c'en est une dans le projet de loi. Elle oblige le tribunal à remonter en arrière pour déterminer qui avait compétence au moment où l'acte a été commis. Sur le plan juridique, tout ce qui est nécessaire en droit international, c'est de savoir quelle était la nature de l'infraction à ce moment-là. Cela ne s'oppose pas au principe de la rétroactivité des poursuites contre un individu pour un acte jugé répréhensible au moment où il a été commis mais qui depuis a trouvé refuge au Canada.
Onzièmement, sans tenir compte de cela, la disposition portant sur la compétence pose des problèmes en termes de droit international parce qu'elle est formulée de façon positive plutôt que sous la forme négative. Le droit international autorise que l'on fasse allusion au type de compétence sauf dans les cas où cela est expressément interdit. Ce projet de loi n'adopte pas cette position.
• 1005
Douzièmement, au lieu de laisser un tribunal décider s'il y a
compétence en droit international, le Parlement a le pouvoir de le
faire. La solution la plus simple consisterait à préciser qu'il y
a compétence lorsque l'accusé est trouvé au Canada, un point c'est
tout.
Treizièmement, le projet de loi reprend le paragraphe 607(6) du Code criminel mais en reformulant le moyen de défense d'autrefois acquit, il engendre un problème. Nous estimons qu'une personne qui était représentée par l'avocat qu'elle avait mandaté, sans qu'elle soit présente ou punie, ne devrait pas être autorisée à invoquer le moyen de défense d'autrefois acquit, mais ce projet de loi le permet. Par ailleurs, une personne qui était présente et qui s'est enfuie avant de purger sa pleine sentence ne devrait pas être autorisée à invoquer cet argument, mais ce projet de loi le lui permet également.
Quatorzièmement, le projet de loi autorise l'accusé à se prévaloir des justifications et excuses prévues dans la loi canadienne alors qu'il ne le devrait pas. À notre avis, ça représente un inutile report de la loi actuelle, qui exige la preuve que le crime a été perpétré au Canada. Cette disposition pourrait éventuellement créer des problèmes en raison, par exemple, de la possibilité d'invoquer pour sa défense l'argument de l'agent de la paix canadien prévue dans le Code criminel, qui ne devrait pas être accessible mais qui l'est du fait que cette disposition reprend les dispositions de la loi canadienne. C'est un autre problème engendré par l'affaire Finta qui n'a pas été résolu de façon satisfaisante, parce que le juge a accepté que l'accusé se prévale de l'argument de l'agent de la paix.
Quinzièmement, le projet de loi envisage la possibilité d'invoquer la défense du pardon sans procès, mais il ne devrait pas en tenir compte. Un exemple de ce type de défense chez nos voisins du Sud est le pardon que le président américain, Richard Nixon, a reçu de son successeur, Gerald Ford—pas pour un crime de guerre, devrais-je ajouter, mais c'est tout de même un cas qui pourrait se produire. On constate cette omission dans le Statut de Rome, mais rien ne justifie une répétition de cette erreur dans le cas présent.
Seizièmement, le projet de loi prévoit qu'il est possible d'invoquer comme moyen de défense des ordres émanant d'un supérieur, mais il ne devrait pas l'inclure. Il n'est pas inclus dans le Code criminel lorsqu'il est question du crime de torture et il devrait également être exclu dans ce cas-ci. Nous avons à nouveau un problème d'intégration, comme en ce qui concerne le génocide. Cette disposition se trouve dans le Code criminel sans référence au projet de loi, et c'est la même chose en ce qui concerne la torture; elle se trouve dans le Code criminel sans référence au projet de loi. Par conséquent, si quelqu'un est poursuivi en vertu de la disposition du Code criminel concernant la torture, qui est une disposition de juridiction universelle, cette personne ne peut invoquer les ordres émanant d'un supérieur, alors que si elle est poursuivie pour le crime contre l'humanité qu'est la torture, elle le peut. Par conséquent, les deux dispositions n'ont pas été intégrées convenablement. Nous estimons qu'il conviendrait d'exclure purement et simplement la possibilité d'invoquer des ordres émanant d'un supérieur pour sa défense.
Cependant, si ce moyen de défense subsiste—et j'en arrive au dix-septième point—il devrait être mis sur le même pied que celui fondé sur l'argument de l'agent de la paix. Nous avons déjà dit que cette dernière possibilité de défense ne devrait pas être maintenue mais que, si elle l'est, ce moyen de défense devrait être manifestement illégal, au même titre que celui invoquant les ordres d'un supérieur.
Dix-huitièmement, le projet de loi ne mentionne pas quelle loi est pertinente au regard de l'aspect manifestement illégal d'un moyen de défense tel que les ordres d'un supérieur. Cette disposition comprend trois sous-éléments différents qui se rapportent à des lois différentes. L'alinéa 14(1)a) fait probablement référence au droit local, tandis que les alinéas 14b) et 14c) font référence au droit international mais la distinction n'est pas prévue dans le projet de loi, ce qui risque de causer la confusion. En fait, cette confusion s'est manifestée dans l'affaire Finta. La Couronne a tenté de démontrer que le décret Baky, que Imre Finta a invoqué comme moyen de défense, était manifestement illégal en vertu du droit hongrois. Par conséquent, il faudrait dissiper cette confusion.
Dix-neuvièmement, le projet de loi ne mentionne pas qui décide, du juge ou du jury, si l'ordre était manifestement illégal. À notre avis, ce devrait être le juge. C'est une question qui concerne le droit international et nous ne devrions pas nous exposer au même problème que celui qui s'est posé dans le cadre de l'affaire Finta où le jury a dû prendre une décision en matière de droit international. Les dispositions du Code criminel en matière de répression d'une émeute stipulent que c'est le juge qui décide de l'illégalité manifeste en cas de répression d'une émeute.
Vingtièmement, le projet de loi adopte seulement certaines parties du Statut de Rome, alors que le texte entier devrait être adopté. C'est pourtant ce que le Parlement avait fait dans le cas d'autres lois telles que la Loi sur les Conventions de Genève et la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange nord-américain. Toutes les dispositions du Statut de Rome devraient être incluses dans le projet de loi.
• 1010
En écoutant mon collègue, j'ai inévitablement remarqué que
nous ne tenions pas tout à fait le même discours. Par conséquent,
je me demande si je pourrais m'attendre à ce que vous posiez des
questions et fassiez des commentaires au sujet de sa suggestion de
subdiviser le projet de loi en deux. Nous estimons que le projet de
loi ne devrait pas être subdivisé et qu'il devrait rester tel quel.
Je comprends que mon collègue ait des préoccupations légitimes au sujet de la façon dont le projet de loi se présente actuellement, parce que ça pose des problèmes. Le sixième et le vingtième points que j'ai déjà mentionnés concernent des problèmes légitimes provenant du fait que nous n'avons qu'un seul projet de loi et que l'intégration n'a pas été très bien pensée. Par conséquent, ça pose un problème mais celui-ci peut être résolu sans subdiviser le projet de loi.
Je crains notamment que le fait de scinder le projet en deux ne retarde l'élément canadien et ne nous laisse que l'élément «Statut de Rome». L'élément canadien est une tentative de rectifier les problèmes causés par la décision Finta. Cette décision a été prise en 1994, c'est-à-dire il y a six ans. C'est un délai assez long pour que l'on rectifie les problèmes. Par l'intermédiaire de B'nai Brith, nous avons déjà présenté une pétition contre le Canada à la Commission interaméricaine des droits de l'homme à Washington, D.C., parce que les problèmes engendrés par la décision Finta n'avaient pas encore été résolus. Par conséquent, nous ne souhaitons pas que la rectification de ces problèmes soit retardée ne fût-ce que d'un jour.
En outre, la méfiance à l'égard de la Cour pénale internationale que mon collègue a mentionnée n'est certainement pas aussi grande au Canada qu'aux États-Unis. Elle est peut-être même inexistante au Canada, mais je sais que cette méfiance existe aux États-Unis.
Enfin, le Statut de Rome renferme des dispositions qui sont complémentaires. À mon avis, l'objectif est le même que celui de ce projet de loi: légiférer sur la criminalisation des infractions au pays. Le fait d'adhérer au Statut de Rome ne signifie pas seulement envoyer des criminels devant le tribunal qui a été établi en vertu de ce statut. L'objectif est d'intenter des poursuites contre ces personnes dans le pays qui a ratifié le statut, ce que ce projet de loi fait en ce qui concerne le Canada. Si nous avons une loi de ce genre, il est bon d'intégrer les dispositions concernant la complémentarité avec les autres dispositions sur les poursuites au Canada et de le faire en même temps.
Merci bien.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Monsieur Allmand.
M. Warren Allmand (président, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique): Merci, madame la présidente.
Je tiens à m'excuser de ne pas avoir préparé de mémoire écrit. Ce n'est que vendredi que j'ai été averti que je comparaissais aujourd'hui et, hier, j'ai participé à une conférence préparatoire aux élections au Mexique qui a duré toute la journée. Par conséquent, je n'ai que quelques notes manuscrites. Mes commentaires porteront donc uniquement sur les principes généraux du projet de loi et pas sur des questions précises, comme les commentaires de mon ami David Matas; il a fait une analyse très minutieuse de diverses dispositions du projet de loi.
Madame la présidente, au nom de Droits et Démocratie—c'est notre nouveau nom abrégé depuis le 1er avril—je suis heureux d'appuyer le projet de loi C-19, visant à mettre en oeuvre le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et à permettre au Canada de ratifier ce traité important.
Le 9 juin 1998, juste avant la Conférence de Rome, je suis venu témoigner pour exhorter le gouvernement à appuyer la création d'une cour pénale indépendante puissante et efficace pour poursuivre les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocides. J'ai alors dit que la création d'une telle cour serait un progrès important dans la protection des droits de l'homme et dans la lutte contre la culture d'impunité qui persiste dans de nombreux pays.
Pendant une trop longue période, des despotes ont assassiné, mutilé et violé leurs propres citoyens et ceux d'autres pays sans devoir rendre de comptes ni subir de sanctions ou de peines. On pouvait en déduire que ce genre de comportement était acceptable de la part d'un président, d'un général ou d'un haut fonctionnaire.
Le 17 juillet 1998, après six semaines de négociations, la communauté mondiale a fait le premier pas pour mettre un terme à cette situation. Elle a adopté le Statut de Rome de la Cour pénale internationale par 120 voix contre 7, avec 22 abstentions. Le Canada a joué un rôle de premier plan, d'abord en présidant le groupe de pays appuyant le projet de création de cette cour puis en présidant le comité plénier qui a mené les négociations ardues à bon terme.
• 1015
Cependant, ce n'était que le premier pas. Pour que le projet
se réalise, il était nécessaire que le statut soit ratifié par
60 États. Depuis lors, notre organisation et plusieurs centaines
d'autres ONG mènent une campagne en faveur des 60 ratifications et
des lois de mise en oeuvre nécessaires. C'est pourquoi nous sommes
extrêmement satisfaits du projet de loi C-19.
Le Canada montre une fois de plus l'exemple en étant le premier pays signataire à déposer une loi de mise en oeuvre détaillée. Le 9 mai dernier, c'est-à-dire il y a quelques semaines, 96 nations ont signé le statut et huit l'ont ratifié mais aucune n'a encore adopté de loi de mise en oeuvre comparable au projet de loi C-19. Nous nous attendons à ce que des progrès considérables soient faits cette année, tant en ce qui concerne la ratification que la mise en oeuvre du statut. Nous espérons obtenir les 60 ratifications requises en 2001.
Il est bon de signaler qu'à l'occasion de l'adoption du Statut de Rome, une commission préparatoire a été établie pour ébaucher les éléments du crime, c'est-à-dire rédiger une définition précise des crimes visés dans le statut, des règles de procédure, des éléments de preuve et des dispositions financières nécessaires. La commission préparatoire s'est réunie trois fois en 1999 et une fois en mars 2000; elle se réunira à nouveau en juin et en novembre. Nous espérons que ces travaux encourageront d'autres pays à ratifier le statut.
La Coalition pour la Cour pénale internationale, où Droits et Démocratie est membre du comité directeur, a participé activement à toutes les réunions de la commission préparatoire pour s'assurer que les règles de procédure et les éléments du crime concordent avec le statut et n'en affaiblissent pas les dispositions.
Permettez-moi de vous rappeler pourquoi un tel tribunal est absolument essentiel. Le concept remonte à la création des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, à la suite des horribles atrocités de la Seconde Guerre mondiale. Alors que bien des personnes estimaient ces tribunaux nécessaires, et ce, à juste titre, on considérait toutefois qu'ils étaient partiaux, du fait qu'ils avaient été établis par les vainqueurs pour juger les perdants et qu'ils avaient été créés dans un but précis. De nombreuses personnes estimaient qu'il fallait créer un tribunal pénal permanent international pour juger tous les crimes de guerre et crimes contre l'humanité, quels que soient le pays ou les individus concernés. Hélas, le projet a été mis en veilleuse pendant toute la durée de la guerre froide et il a été ravivé il y a une dizaine d'années à peine, à l'occasion du démembrement de l'empire soviétique.
La création d'un tel tribunal se justifie plus que jamais en raison des massacres sanglants et des violations systématiques des droits fondamentaux au Vietnam, au Cambodge, en Chine, au Rwanda, en Somalie, en Ouganda, au Chili, en Amérique latine, en Afrique du Sud et aux Philippines. Dernièrement, nous avons été témoins de l'attaque de civils non armés en Sierra Leone, du déplacement forcé de peuples au Soudan ainsi que de l'expulsion et du meurtre de fermiers au Zimbabwe. Bien qu'ils étaient nécessaires, les tribunaux spéciaux créés pour le Rwanda et la Yougoslavie l'ont été dans un but précis et engendrent une justice inégale étant donné que les criminels de guerre de divers autres pays ne sont pas punis du tout.
La responsabilité de tels crimes ne devrait pas être tributaire des opinions et du veto du Conseil de sécurité. Par conséquent, la création d'une Cour pénale internationale permanente est nécessaire. Alors que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale n'est pas parfait et ne nous a pas permis d'obtenir tout ce que nous réclamions pendant les négociations, le vote du 17 juin nous a apporté davantage que nous ne l'espérions il y a trois ou quatre ans.
Premièrement, la compétence de la Cour portera sur les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide. Le statut considère également l'agression comme un crime mais on attend que les États parties s'entendent sur une définition.
Deuxièmement, les enquêtes et les poursuites peuvent être déclenchées à la suite d'une intervention du Conseil de sécurité, d'un État partie ou par le procureur indépendant agissant de sa propre initiative, en fonction de quelque source d'information que ce soit, mais ce dernier doit s'adresser auparavant à une chambre ayant fait une instruction préliminaire.
Troisièmement, lorsque l'enquête est déclenchée par un État partie ou par le procureur, un des États concernés doit être un État partie—ou donner son consentement. L'État partie doit être l'État où le crime a eu lieu, c'est-à-dire l'État territorial, ou l'État dont l'accusé est ressortissant, c'est-à-dire l'État de nationalité. Ça ne comprend donc pas l'État qui a la garde de l'accusé—l'État gardien—ni l'État dont la victime est citoyenne. Ces conditions préalables représentent un recul par rapport au principe de la compétence universelle recommandé par la coalition des ONG.
• 1020
D'autre part, le Statut de Rome adopte le principe de la
complémentarité en vertu duquel les États sont priés d'adopter des
lois internes concernant les mêmes crimes et de poursuivre ces
accusés dans leurs tribunaux. La Cour pénale internationale
n'exercera sa compétence que si l'État concerné est absolument
incapable ou refuse d'intenter des poursuites. C'est précisément
l'objet du projet de loi C-19.
La Cour aura désormais compétence en ce qui concerne les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, dans le cadre de conflits internes ou internationaux.
Une enquête peut être retardée par le Conseil de sécurité mais ne nécessite pas son autorisation préalable. Je signale que cette dernière proposition avait été faite par plusieurs États mais qu'elle a été rejetée à la Conférence de Rome.
Enfin, les États parties sont obligés de coopérer avec la Cour pénale internationale et de mettre ses ordres à exécution. Le Canada prévoit une telle coopération dans le projet de loi C-19.
Le projet de loi C-19 est la principale loi de mise en oeuvre du Statut de Rome au Canada mais diverses obligations prévues dans le contexte de ce statut ont été mises en oeuvre par le biais de modifications apportées en 1999 à la Loi sur l'extradition.
D'une façon générale, nous sommes satisfaits des dispositions du projet de loi C-19. Ce projet de loi nous dote non seulement d'une législation canadienne en ce qui concerne les crimes énoncés dans le Statut de Rome—David dit qu'il ne s'applique pas à tous les crimes mais à la plupart d'entre eux, pour autant que je sache—mais l'article 8 accorde en outre une compétence universelle en ce qui concerne les personnes qui commettent de tels crimes à l'extérieur du Canada. En outre, en vertu des dispositions de l'article 48, quiconque fait l'objet d'une demande de remise présentée par la Cour pénale internationale ne peut bénéficier de l'immunité et le projet de loi prévoit l'entière coopération du Canada avec la Cour.
Mes seules réserves en ce qui concerne le projet de loi sont les suivantes, et je vous recommande de consulter les experts des deux ministères concernés avant l'étude article par article.
Premièrement, les acteurs non étatiques tels que les entreprises sont-ils inclus dans ce projet de loi? David en a parlé également. Autrement dit, si une entreprise comme Talisman collabore avec un État pour commettre des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, les dispositions de ce projet de loi s'appliquent-elles à cette entreprise? On a quelques doutes à ce sujet, bien que plusieurs experts soient positifs à cet égard. Je voudrais vérifier, parce que je ne suis pas certain.
Deuxièmement, les dispositions de ce projet de loi s'appliquent-elles dans la même mesure que l'article 25 du Statut de Rome à ceux et celles qui apportent leur aide ou leur concours à la commission d'un crime ou qui y contribuent ou sont complices? J'estime qu'il est extrêmement important que les dispositions de ce projet de loi concernant l'aide et la complicité concordent avec celles de l'article 25 du Statut de Rome.
Troisièmement, je voudrais savoir si, en ce qui concerne la Cour pénale internationale, il n'est pas préférable d'employer toujours le terme «reddition» plutôt que le terme «extradition», puisque plusieurs pays ont des restrictions constitutionnelles en ce qui concerne l'extradition de leurs citoyens.
Si les dispositions du projet de loi ne sont pas suffisantes à cet égard, je vous recommande d'y apporter des amendements pendant l'étude article par article. Je suis certain que le gouvernement, qui désire adopter le projet de loi le plus efficace possible, ne veut pas de lacunes qui ouvrent la voie aux échappatoires.
Madame la présidente, mesdames et messieurs, je vous encourage à adopter le projet de loi mais à faire les vérifications que j'ai mentionnées. Je regrette de ne pas avoir eu le temps de préparer un mémoire en bonne et due forme mais je répondrai volontiers à vos questions sur le projet de loi.
J'ajouterais que notre centre, en collaboration avec un centre de Vancouver, prépare un manuel pour les petits pays francophones et anglophones d'Afrique et des Antilles pour les aider en ce qui concerne la mise en oeuvre et la ratification du Statut de Rome. Ce manuel devrait être prêt sous peu. Merci.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Monsieur Obhrai.
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Merci, madame la présidente.
Merci pour votre exposé. M. Matas a très vite compris en quoi vos opinions et celles de M. Krieger divergeaient en ce qui concerne le statut et les dispositions que vous recommandez d'adopter. Vous avez, bien entendu, répondu à plusieurs questions, mais je voudrais que M. Krieger réponde en ce qui concerne ce point précis.
Après cela, je voudrais... Cette question s'adresse aux trois témoins. Je crois que l'une des principales préoccupations concerne la souveraineté canadienne, les lois canadiennes et la capacité du Canada et du Parlement de maintenir le droit démocratique des Canadiens de se faire entendre. Dans quelle mesure les dispositions de ce projet de loi n'empiètent-elles pas sur ces prérogatives? À en juger d'après l'exemple que vous citez à propos de l'affaire hongroise...
Une voix: L'affaire Finta.
M. Deepak Obhrai: Oui, l'affaire Finta. Désolé, c'est M. Matas qui l'a mentionnée. Elle révèle ce qui préoccupe les Canadiens et la plupart d'entre nous, y compris les membres de mon parti. Il y a un rapport avec les commentaires que M. Allmand a faits dans son exposé au sujet du massacre des fermiers de race blanche au Zimbabwe. La plupart des observateurs estiment que c'est une violation des lois du pays et que ceux qui ont commis ces crimes devraient être poursuivis en vertu des lois nationales. Je crois que c'est une des principales préoccupations. Vous pourriez peut- être faire des commentaires à ce sujet.
Me David Matas: En ce qui concerne la question de la souveraineté, je signale que nous avons signé le traité. En signant un traité, on accepte toujours certaines contraintes du fait même qu'on ne peut plus violer ce traité. En signant un traité, on restreint toujours notre souveraineté dans le domaine couvert par ce traité. Je ne pense pas qu'il faille en conclure que le Canada ne devrait jamais signer de traités. Je ne pense pas que ce soit la position que vous adopteriez.
M. Deepak Obhrai: Je ne dis pas cela. L'exemple frappant du Statut de Rome, que vous essayez de modifier... à cet égard. Vous avez tous deux des opinions différentes, liées notamment à des contraintes de temps. Jusqu'où faut-il remonter?
Me David Matas: Je pense que nous avons tous deux la même préoccupation mais que vous l'avez interprétée de deux façons différentes. D'après ce que je peux comprendre, cette préoccupation n'est pas liée au Statut de Rome proprement dit mais au fait que nous allions plus loin que celui-ci et que nous prenions des initiatives que nous ne sommes pas obligés de prendre. C'est le problème.
Comme l'indique mon collègue, le Statut de Rome nous oblige à intenter des poursuites pour des infractions postérieures à son entrée en vigueur. Par contre, dans ce projet de loi, nous prévoyons la poursuite des auteurs de ces infractions à partir de juillet 1998, même s'ils ont commis leurs actes sur le territoire d'États qui n'ont pas signé le traité ou sont citoyens d'États non signataires. Autrement dit, nous criminalisons au Canada un comportement qui, dans le cas des étrangers qui arrivent au Canada, n'est pas criminalisé par leurs lois nationales.
C'est une erreur, pas parce que c'est une renonciation de souveraineté mais parce que nous n'avons pas pris un tel engagement dans le Traité de Rome. Par conséquent, nous avons créé le problème suivant: dans ce projet de loi, nous considérons comme un crime une infraction qui n'était pas considérée comme telle au moment et à l'endroit où elle a été commise. Elle ne devient une infraction que parce que l'intéressé entre au Canada et que nous pouvons l'appréhender. Voilà le problème.
M. Deepak Obhrai: Richard pourrait peut-être faire des commentaires à ce sujet.
M. Richard Krieger: Je m'excuse. Je n'ai pas très bien entendu.
Aux États-Unis, nous ne fixons pas de date de rétroactivité parce que nous estimons que le nombre d'événements passés qui doivent être traités est élevé et que nous sommes au courant de la présence d'auteurs de certains de ces actes sur notre territoire. Nous ne précisons pas dans notre projet de loi que les actes doivent avoir été commis depuis l'entrée en vigueur de la loi. Nous indiquons uniquement que les dispositions du projet de loi s'appliquent à quiconque a participé à ces actes.
M. Warren Allmand: Madame la présidente.
M. Deepak Obhrai: Oui, allez-y.
M. Warren Allmand: Je voulais faire un commentaire sur la question de la souveraineté. Les frontières entre États ne devraient jamais protéger les auteurs de génocides, de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre. La possibilité de s'autoriser à commettre ces crimes en se prévalant des frontières ou de la souveraineté d'un État est une notion dépassée. La souveraineté n'est pas un concept non restrictif. On la restreint en devenant membre des Nations Unies, en adhérant à la Charte des Nations Unies et en ratifiant nombre d'autres conventions internationales.
Les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme sont des droits universels et ceux qui violent ces droits, que ce soit en commettant un génocide, des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre, ne devraient jamais être protégés par la souveraineté d'un État. En fait, la nouvelle politique sur la sécurité de la personne mise de l'avant par le Canada et d'autres pays reconnaît que la communauté internationale a le droit d'intervenir lorsqu'on s'attaque à la sécurité des individus.
M. Deepak Obhrai: Monsieur Allmand, personne ne parle de...
M. Warren Allmand: Dans ce cas, j'ai mal interprété votre question.
M. Deepak Obhrai: Je crois que vous faites fausse route.
Nous essayons de faire comprendre qu'il y a au Canada des lois faites par les parlementaires qui sont jugés responsables de ces lois et qui devront rendre des comptes s'ils essaient de protéger les auteurs de crimes. Je crois que vous faites fausse route en disant que... Ce que je veux dire, c'est que nous sommes des parlementaires, des parlementaires élus qui devraient être tenus comptables de la poursuite du même objectif, celui de traduire en justice les auteurs de crimes. Personne ne nie ce fait ou ne prétend qu'ils devraient échapper à la justice. Il s'agit ici d'une question de mise en oeuvre, de façon d'atteindre l'objectif qui est de les traduire en justice.
M. Warren Allmand: Je ne comprends pas. Vous opposez-vous à certaines dispositions du statut ou à certaines dispositions du projet de loi C-19?
M. Deepak Obhrai: Non, nous essayons d'atteindre un certain équilibre... quelqu'un de l'extérieur prendra la relève. C'est la raison d'être de la plupart des questions qui ont été soulevées. En fait, même le Congrès ukrainien a...
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
M. Deepak Obhrai: Laissez-moi terminer.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Il va falloir attendre le tour suivant, parce qu'il ne vous reste plus de temps.
Monsieur Turp.
[Français]
M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): D'abord, j'aimerais remercier les trois témoins qui se présentent devant nous ce matin et qui nous aident à comprendre ce projet de loi et peut-être à trouver des moyens de l'améliorer.
Monsieur Krieger, j'ai seulement un commentaire à faire. Je crois qu'il est entendu ici que la Cour pénale internationale est une bonne chose pour la communauté internationale et qu'il est essentiel de mettre en oeuvre ces dispositions par une loi. Vous nous donnez quelques conseils qu'on va peut-être suivre, mais puisque vous êtes influent dans les milieux américains, j'aimerais que vous invitiez votre gouvernement à adhérer au Statut de Rome créant la Cour pénale internationale. C'est un traité très important pour l'avenir de cette communauté et, si les États-Unis ne participent à ce traité, cela diminuera l'importance de la cour, de cette institution très importante que la communauté internationale se donne. C'est mon premier commentaire. Vous pourrez peut-être y réagir tout à l'heure.
Monsieur Matas, vous avez présenté plusieurs points que nous allons étudier avec tout le sérieux que méritent vos recommandations et celles du B'nai Brith. J'aimerais soulever quelques questions en ce qui concerne vos propositions.
La première porte sur la structure de la loi. Cela a été évoqué par M. Krieger, mais est-ce qu'on pourrait considérer que cette loi puisse être structurée de façon un peu différente? Pourrait-il y avoir une partie qui soit une loi de mise en oeuvre du Statut de Rome, avec des dispositions visant à mettre en oeuvre de façon très particulière les dispositions du statut, et une autre partie qui modifie le Code criminel de façon à mieux harmoniser les dispositions existantes du Code criminel avec les nouvelles dispositions qui doivent être adoptées pour les fins de la complémentarité que vous avez évoquées?
• 1035
Vous dites que la structure actuelle est
correcte, mais pourrait-on envisager une
meilleure façon de mettre en oeuvre les obligations de
deux natures, celles de collaborer avec la cour et de
punir des crimes contre l'humanité qui auront été
commis après l'entrée en vigueur de la convention et de
punir ces mêmes crimes contre l'humanité, quel que soit
le moment où ils ont été perpétrés, sans égard à
l'entrée en vigueur ou non de la convention?
C'est ma première question et elle me vient du fait que
vous suggérez dans votre mémoire, par exemple,
d'intégrer l'ensemble du texte de la convention du
statut dans le projet de loi plutôt que de n'en incorporer
que quelques dispositions précises, comme le fait
l'actuel projet de loi dans son annexe.
La deuxième question porte sur les non-state actors et les chefs d'État. Vous avez une suggestion précise là-dessus. J'aimerais que vous précisiez ce que l'on devrait faire. J'aimerais savoir d'ailleurs ce que vous voudriez que l'on fasse sur la question de l'immunité des chefs d'État. La semaine dernière, j'ai posé aux gens des Affaires étrangères et de la Justice une question sur l'application de l'immunité pendant que les chefs d'État sont sur notre territoire. D'après vous, est-ce que l'on devrait pouvoir arrêter un chef d'État en exercice sur notre territoire à l'occasion d'une conférence de la Francophonie ou du Commonwealth, par exemple, et le traduire en justice devant nos tribunaux? C'est ma deuxième question.
Ma troisième question est plus technique. Je m'adresse au juriste que vous êtes. Je pense que le traité codifie le droit international coutumier. Vous suggérez qu'il va au-delà de cela, qu'il le bonifie progressivement. J'aimerais savoir pourquoi vous prétendez que ce n'est pas de l'incorporation du droit coutumier, mais plutôt de la codification progressive du droit international. J'ai bien d'autres questions, mais je vais m'arrêter ici.
[Traduction]
M. Richard Krieger: Je répondrai d'abord à votre commentaire.
À mon avis, ce qui est nécessaire, c'est une conversation entre organismes analogues à ce sujet et, puisque vous êtes très préoccupés par la création de la CPI et que les États-Unis, le gouvernement et le Congrès, ont des réticences à son sujet, il serait peut-être bon d'en discuter à votre niveau, avec les comités internationaux du Congrès et le bureau des affaires étrangères du Département d'État, pour déterminer comment on pourrait trouver un terrain d'entente.
Je pense que personne ne conteste en principe la nécessité de créer un organisme comme la CPI. Il faudrait examiner les préoccupations qu'a le gouvernement américain quant à la politisation éventuelle de cet organisme et ses autres préoccupations et il faudrait en discuter. C'est en effet la seule façon pour vous de savoir ce qu'en pense exactement le gouvernement américain et pour le gouvernement américain de savoir ce que vous en pensez. Ces discussions permettraient peut-être de s'entendre sur quelques améliorations. Il serait peut-être bon d'entamer des discussions avant d'aller plus loin et avant que les parties ne soient divisées en deux camps de plus en plus retranchés sur leurs positions.
Allez-y, monsieur Mattas.
Me David Matas: Je me rends compte que vous avez peut-être d'autres questions que les trois que vous venez de me poser mais celles-ci me suffisent amplement pour le moment.
En ce qui concerne la structure de la loi, je crois effectivement qu'elle peut être différente et je recommande de la modifier quelque peu. Je ne recommanderais pas de la subdiviser davantage comme vous le suggérez, si j'ai bien compris votre question, mais de la subdiviser d'une autre façon, de façon temporaire plutôt que géographique.
• 1040
J'estime personnellement que toutes les dispositions devraient
être intégrées. Après tout, du fait de la complémentarité des
dispositions, on intentera des poursuites au Canada à la fois pour
les crimes sur lesquels porte le Statut de Rome et pour les crimes
pour lesquels nous avons théoriquement déjà le pouvoir d'intenter
des poursuites en vertu du Code criminel. La séparation des crimes
contre l'humanité et des crimes de guerre, qui nécessiterait deux
définitions différentes des distinctions que nous faisons
actuellement, serait une source de complexité et de confusion
inutiles.
Le gros problème en ce qui concerne actuellement le projet de loi, c'est que, comme je l'ai signalé, il n'intègre pas complètement les dispositions du statut. Il n'en renferme qu'une partie. Deuxièmement, il indique que le traité codifie le droit international coutumier et non le droit international classique, question que j'aborderai dans quelques instants étant donné qu'elle fait l'objet de votre troisième question. Je crois que c'est un gros problème. Si ces deux problèmes sont résolus, vous pourriez intégrer harmonieusement l'ensemble du système. Ce ne serait pas compliqué.
Vous me demandez de préciser ma pensée en ce qui concerne les acteurs non étatiques et les chefs d'État. C'est en fait assez simple. Je parle de l'article 27 du Statut de Rome que j'ai annexé à mon mémoire qui dit:
-
1., Le présent Statut s'applique à tous de manière égale, sans
aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En
particulier, la qualité officielle de chef d'État ou de
gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de
représentant élu ou d'agent d'un État, n'exonère en aucun cas de la
responsabilité pénale au regard du présent statut, pas plus qu'elle
ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.
-
2., Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent
s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du
droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour
d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne.
Par conséquent, en ce qui concerne votre question portant sur un chef d'État en visite, la réponse est affirmative. Nous pouvons non seulement le poursuivre en vertu de ce Traité de Rome mais nous sommes en outre obligés de le faire nous-mêmes ou de saisir la Cour de l'affaire ce qui, en raison du principe de la complémentarité, nous oblige également à intenter des poursuites ici. Le problème que pose ce projet de loi est qu'il ne règle pas la question. Nous risquons d'avoir le même problème que celui qui s'est posé en Grande-Bretagne—à propos, il faut le reconnaître, d'un chef d'État qui n'est plus en fonction et non d'un chef d'État actuellement en fonction—à savoir devoir intenter des poursuites tout en étant confrontés à une question de droit non réglée. C'est l'occasion pour vous de la régler et je vous recommande de le faire.
En ce qui concerne la dernière question portant sur le droit international coutumier et le droit international classique, à quoi ont servi les négociations de Rome si la question relevait déjà du droit international coutumier? À quoi sert-il d'essayer de convaincre les États de signer le traité dans ce cas? Le but de ces négociations et de ces tentatives de persuasion est de faire progresser le droit et d'améliorer la situation.
Par exemple, une disposition que je n'apprécie pas particulièrement est la période de retrait de trois ans pour les crimes de guerre accordée aux signataires du traité. Je ne pense pas que les signataires doivent avoir la possibilité de se retirer. À supposer qu'un État le fasse, dira-t-on que ça n'a pas d'importance parce que c'est du droit international coutumier? On est coincé de toute façon.
Peut-on actuellement poursuivre en vertu du Code criminel un chef d'État américain en visite, même si les États-Unis n'ont pas signé le traité et n'ont pas l'intention de le faire, même si nous affirmons que la question relève du droit international coutumier? Je ne pense pas. Il est exagéré d'insinuer que les dispositions auxquelles nous avons consacré beaucoup de temps et d'efforts, que ce soit pour les négocier ou pour essayer d'inciter les États à y adhérer, sont déjà applicables.
Voilà mes réponses.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je vous explique la situation. La sonnerie retentira dans environ cinq minutes. Elle durera une demi-heure. Cependant, si la Chambre a le quorum, elle pourra lancer l'appel au vote à n'importe quel moment. Par conséquent, lorsque la sonnerie retentira, je devrai suspendre la séance.
M. Warren Allmand: Je vois. Je voulais répondre à la question de M. Turp.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): À moins que M. McWhinney ne veuille faire des observations à ce sujet...
M. Ted McWhinney (Vancouver Quadra, Lib.): Je voudrais faire consigner quelques brefs commentaires au compte rendu, si c'est possible.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur McWhinney.
M. Ted McWhinney: Je voudrais que le commentaire suivant soit bien consigné au compte rendu. Nous avons signé le Traité de Rome et il ne subsiste aucun doute au sujet de la politique canadienne, de sa signature, de sa ratification et de sa mise en oeuvre. J'ignore si j'ai bien compris M. Krieger mais il nous a suggéré de consulter des experts au sujet de certaines difficultés. Nous n'avons pas de difficultés. Nous avons pris la décision politique de signer et de ratifier le statut. C'est notre politique. C'est un élément important de cette politique et nous le mettrons en oeuvre...
Nous sommes conscients des réticences à caractère politique des autorités américaines, mais c'est une décision qui leur appartient et nous n'avons pas besoin de suivre leurs traces. Notre politique est claire et sans équivoque.
• 1045
J'avais en fait posé une question précise au conseiller
juridique au début des audiences; je lui avais demandé de nous
envoyer une réponse par écrit, réponse que nous n'avons pas encore
reçue, mais je suppose que nous la recevrons bientôt; je lui ai
demandé si, pendant les opérations dans les Balkans, on avait
signalé officiellement aux autorités militaires canadiennes
qu'elles étaient assujetties à la loi nationale en ce qui concerne
la compétence des tribunaux spéciaux. Je crois que c'est une
question de principe fondamentale. Quant à savoir si l'on peut
invoquer le fait qu'il y a eu violation du droit international,
c'est une autre question mais en ce qui concerne la compétence...
Par exemple, si les protocoles de Genève sur les bombardements
aériens créent des règles de droit contraignantes, un événement qui
peut être considéré comme accidentel tombe alors clairement sous
leur application.
Les procureurs ont rendu leur décision en invoquant principalement le fait que la question n'est pas réglée, mais le fait même que le Canada ait ratifié le traité et décidé de le mettre en oeuvre indique que c'est notre politique et que nous ne pouvons pas revenir sur cette politique. Le Traité de Rome ne pose pas le même problème que les conventions concernant la main- d'oeuvre parce que la loi confère au gouvernement fédéral le pouvoir de mettre un traité en oeuvre. Nous n'avons pas le problème que posent les conventions sur la main-d'oeuvre à savoir la répartition des pouvoirs de mise en oeuvre entre les provinces et le gouvernement fédéral.
Êtes-vous du même avis, monsieur Allmand et monsieur Matas?
Me David Matas: C'est ma position. Cependant, l'exemple des conventions sur la main-d'oeuvre m'a rappelé un autre problème que pose ce projet de loi. Les dispositions du Code criminel en ce qui concerne la torture considèrent ce genre de crime comme des infractions au droit international mais c'est le procureur général de la province et non le Procureur général du Canada qui peut intenter des poursuites alors qu'en vertu du présent projet de loi, c'est le Procureur général du Canada et non le procureur général d'une province qui peut intenter des poursuites pour torture ou pour les crimes contre l'humanité. Par conséquent, il y a non seulement deux types de défenses différentes pour deux infractions pratiquement identiques mais en outre, les poursuites peuvent être intentées par deux procureurs différents. L'intégration de ces dispositions n'a pas été faite non plus.
M. Richard Krieger: Je n'avais pas l'intention de dire que le Canada et les États-Unis devaient agir exactement de la même façon. J'essayais de dire à ces messieurs quelle serait la meilleure formule pour se mettre d'accord au cas où l'on voudrait le faire.
M. Ted McWhinney: Je ne critique pas les États-Unis. On reconnaît les problèmes et les charmes de la séparation des pouvoirs à la mode américaine. Nous ne voulons pas nous mêler de la politique intérieure des États-Unis.
Monsieur Matas, voulez-vous dire qu'il serait peut-être bon d'envisager, comme solution, la création d'un type de poursuites spéciales relevant de la loi fédérale dans le contexte de la mise en oeuvre des obligations internationales du Canada? Je crois qu'il serait bon de confirmer les pouvoirs législatifs fédéraux en la matière au Canada. Ce problème n'a manifestement pas été réglé par le Conseil privé dans les conventions sur la main-d'oeuvre de 1937 mais je ne vois pas pourquoi on ne le réexaminerait pas en l'an 2000. Pensez-vous à une solution de ce genre?
Me David Matas: Je n'irais pas aussi loin que cela parce que ça permettrait d'intenter des poursuites pour des infractions à caractère environnemental faisant l'objet d'un traité.
M. Ted McWhinney: La Convention de Rome ne porte-t-elle pas sur des infractions substantielles?
Me David Matas: Je vous l'accorde... Si la province intervient en cas de torture, c'est uniquement en raison de ses responsabilités en matière d'administration de la justice. Ce sont des domaines très spécialisés. Nous avions autrefois un problème de manque de spécialisation chez les procureurs et, malheureusement, au sein de la magistrature. Nous devons constituer un noyau d'experts dans ce domaine. Nous n'y arriverons pas tant que les pouvoirs de poursuite seront répartis entre le gouvernement fédéral et les provinces.
• 1050
En fait, nous n'avons jamais dû entamer des poursuites contre
des actes de torture, et la question n'est pas liée aux problèmes
créés par l'affaire Finta. Ceux-ci n'ont rien à voir avec le crime
de torture, parce que la défense axée sur les ordres émanant d'un
supérieur n'intervient pas alors que c'était l'argument invoqué
dans l'affaire Finta. Il semble que l'absence de poursuites pour
torture soit due uniquement au manque de spécialisation. Par
conséquent, si nous voulons que les dispositions concernant la
torture soient efficaces, il faudrait que le gouvernement fédéral
ait compétence en matière de poursuites.
M. Ted McWhinney: M. Allmand est-il d'accord avec vous? Ensuite, dans la réponse que vous avez donnée au sujet d'une question de M. Turp concernant l'affaire Pinochet, vous avez dit que vous n'aviez aucune objection à soumettre à la loi canadienne un touriste de passage—ou un patient de passage—qui serait chef d'État... Vous n'avez aucune objection à ce que la loi canadienne intervienne en ce qui concerne les aspects importants de la Convention de Rome.
M. Warren Allmand: À mon avis, c'est couvert par l'article 8, à l'alinéa b).
M. Ted McWhinney: Oui.
M. Warren Allmand: À propos de certaines de vos observations, je tiens à dire que je m'opposerais catégoriquement à ce que ce projet de loi soit subdivisé en deux ou à ce qu'on en modifie la structure. Il est toujours possible d'améliorer un projet de loi, dans quelque secteur de droit que ce soit. Durant toutes les années que j'ai passées au Parlement, je n'ai jamais vu un projet de loi parfait.
Je ne modifierais pas ce projet de loi, sauf si l'on y découvrait un défaut majeur. J'ai signalé deux ou trois dispositions qui pourraient être améliorées mais je m'opposerais à ce qu'on y apporte des modifications uniquement pour l'améliorer légèrement ou en améliorer la forme, parce que nous essayons de montrer l'exemple aux autres pays pour ce qui est de la ratification du statut et que, dans l'ensemble, c'est un bon projet de loi. Je ne pense pas qu'il soit souhaitable pour l'instant de le subdiviser ou d'en modifier complètement la structure de façon à le rendre éventuellement un peu plus parfait.
Si certains amendements s'avèrent nécessaires, apportez-les. Cependant, étant donné que l'objectif est de faire adopter ce projet de loi, j'estime qu'il serait délicat d'y apporter des amendements uniquement pour l'améliorer légèrement et prévoir des situations hypothétiques. Je voudrais qu'il soit adopté rapidement.
M. Ted McWhinney: Et en ce qui concerne...
M. Warren Allmand: Je crois que c'est prévu à l'alinéa 8b).
À propos de la distinction entre le droit international coutumier et le droit international classique, je signale que le droit international coutumier s'applique à tous les États, qu'ils soient parties au traité ou non. Je pense que le droit international coutumier...
M. Ted McWhinney: Pour autant que la situation n'ait pas été modifiée en vertu d'une convention.
M. Warren Allmand: C'est exact, mais la convention en question, c'est-à-dire le Statut de Rome, ne s'appliquerait qu'aux États parties ou signataires si l'on s'en tient au droit statutaire. Le droit international coutumier s'appliquerait à tous les États et permettrait d'instaurer une compétence universelle en vertu des dispositions de ce projet de loi.
M. Ted McWhinney: Et le droit international coutumier qui évolue sans cesse serait applicable sous sa forme constamment renouvelée.
M. Warren Allmand: Exactement.
M. Ted McWhinney: Êtes-vous d'accord, monsieur Matas?
Me David Matas: Le problème que pose le projet de loi est qu'il contient une disposition indiquant expressément que le Statut de Rome codifie le droit international coutumier, alors que ce n'est pas le cas. C'est le problème...
[Français]
M. Daniel Turp: Il y a un débat là-dessus.
[Traduction]
M. Ted McWhinney: Cela a-t-il de l'importance? Où est le problème si le droit coutumier devient droit conventionnel?
Me David Matas: Le problème se pose pour les États non signataires.
[Français]
M. Daniel Turp: C'est ça,
[Traduction]
pour cette rétroactivité.
M. Ted McWhinney: Il y a également des discussions quant à savoir si une convention ratifiée par un nombre suffisant d'États... C'est l'argument utilisé en ce qui concerne les protocoles supplémentaires de Genève de 1977. Une convention ratifiée par un nombre suffisant d'États peut devenir—et je crois que c'était à l'origine de l'avis dissident du juge Lach en ce qui concerne le Plateau continental de la mer du Nord, mais c'est un fait généralement accepté actuellement—contraignante du fait même que le nombre d'États qui l'ont ratifiée est suffisant par rapport au nombre de non-signataires.
Me David Matas: Je crois que c'est exact. Cependant, le projet de loi indique que c'est la coutume depuis juillet 1998, en l'absence de signataires. S'il y a 160 ou 180 signataires, on pourrait dire que c'est la coutume mais pas quand il n'y en a pas.
[Français]
M. Daniel Turp: Je ne suis pas d'accord sur cela. Il peut y avoir une codification du droit international dans un traité. Ça, c'est l'affaire du Plateau continental de la mer du Nord. Plusieurs juristes prétendent que le Statut de Rome codifie le droit international coutumier, et je crois que vous avez une opinion différente là-dessus. Vous prétendez qu'il codifie progressivement le droit international, alors que je crois que la doctrine majoritaire prétend qu'une bonne partie du contenu substantif du Statut de Rome codifie le droit international coutumier tel qu'il existe.
[Traduction]
Me David Matas: Ce n'est pas au Parlement à prendre ce genre de décision. C'est une question de droit international.
[Français]
M. Daniel Turp: Non. On peut constater cela comme parlement.
[Traduction]
Me David Matas: Mais si vous êtes les seuls à le faire, le Canada est déphasé.
M. Ted McWhinney: Si nous voulons adopter une loi de mise en oeuvre d'un traité et qu'il codifie le droit coutumier, c'est à nous qu'il appartient de décider du degré d'intervention du droit coutumier.
Me David Matas: Oui, nous pouvons décider des dispositions à inclure dans la loi mais pas de la nature du droit international coutumier.
M. Ted McWhinney: Oh si. Nos juges doivent peut-être prendre ce genre de décision quotidiennement. Dans l'affaire Pinochet, la très conservatrice Chambre des lords s'est en quelque sorte aventurée dans ce domaine.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): C'est très intéressant, mais j'aimerais que l'on continue... Cependant...
M. Ted McWhinney: Nous avons fait d'énormes progrès, madame la présidente...
Des voix: Oh, oh!
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): C'est un débat extrêmement intéressant. C'est toutefois à M. Obhrai d'avoir la parole.
M. Deepak Obhrai: C'est le but essentiel du débat et du présent projet de loi. Du fait que le droit coutumier intervient, il convient de déterminer quel degré de souveraineté nous allons lui accorder. Je tiens par conséquent à poursuivre ce débat.
Monsieur McWhinney et monsieur Turp, vous pouvez m'interrompre ou poser des questions quand vous voulez. Faisons en sorte que la discussion soit ouverte. En fin de compte, ce que nous essayons de déterminer, c'est la nature du traité que nous signons.
Vous donnez votre opinion, ce qui est bien. Du fait que les parlementaires sont des représentants élus, ils doivent également examiner l'orientation que nous prenons.
Poursuivez le débat. Ça m'intéresse de revenir à la même question parce que je m'interroge au sujet de ce que M. Allmand a dit dans son exposé en ce qui concerne le Zimbabwe.
Je ne contesterai pas qu'il y ait des problèmes au Zimbabwe. Bien des personnes y ont perdu la vie. Cependant, les lois nationales devraient prévaloir... Ça suscite des interrogations quand on aborde des problèmes analogues. Il y a d'autres questions importantes, comme l'affaire Pinochet et autres affaires analogues mais quand on les aborde, les parlementaires s'interrogent.
M. Warren Allmand: Je dirais que lorsque des chefs d'État ou des gouvernements encouragent des massacres sur leur territoire, ces agissements pourraient constituer un crime contre l'humanité, comme au Rwanda, où les autorités ont laissé le service public de radiodiffusion se déchaîner et encourager le massacre d'une race minoritaire.
Je n'insinue pas qu'on soit allé aussi loin au Zimbabwe, mais le président d'un pays qui encourage la violence contre une minorité commet en quelque sorte un crime contre l'humanité et, lorsqu'on a décrété qu'il s'agit d'un crime... C'est à une cour qu'il appartient de le prouver mais je ne pense pas que la souveraineté de l'État doive protéger... Aucune loi ne devrait permettre aux présidents et aux gouvernements d'encourager les attaques violentes contre des minorités et leur assurer l'impunité; je crois qu'ils devraient répondre de ce genre de crimes.
M. Deepak Obhrai: Pour la commodité du raisonnement, il est un fait qu'une dictature ou un régime militaire n'est pas soutenu par la loi et n'est pas légitimé par celle-ci en tant qu'émanation du peuple. Ce genre de régime a enfreint la constitution. Dans ce cas, j'aurais tendance à être d'accord avec vous et à trouver que l'État veut se protéger contre ce genre d'abus, mais je crois que la situation est différente lorsqu'il s'agit d'un gouvernement légitime, d'un gouvernement élu par le peuple, par la majorité, conformément à la constitution du pays.
M. Warren Allmand: Il est malgré tout possible d'avoir élu à la tête d'un pays une majorité qui persécute une minorité. Au Canada, les Autochtones n'auraient jamais pu constituer une majorité à l'échelle provinciale ou à l'échelle nationale. Pourtant, j'estime qu'il ne serait pas acceptable—et je n'insinue pas que ça puisse arriver, mais... Dans quelque pays que ce soit, si la majorité prend des mesures susceptibles de susciter la haine et la violence contre la minorité du pays, même sans violer la constitution, c'est un crime contre l'humanité, à mon avis.
M. Deepak Obhrai: Insinuez-vous en quelque sorte que les ex-dirigeants du pays pourraient être traduits devant cette cour?
M. Warren Allmand: Non, ce n'est pas ce que j'insinue. Ce que je veux dire, ...
M. Deepak Obhrai: Certains membres du gouvernement le disent, mais ça fait partie du débat...
M. Warren Allmand: Les gouvernements élus légitimement, conformément à la constitution du pays... Ils ne sont pas pour autant à l'abri d'éventuelles accusations pour crimes contre l'humanité.
Me David Matas: Vous nous invitez en quelque sorte à poursuivre le débat précédent...
M. Warren Allmand: Oui. Je vous en prie.
Me David Matas: ...et vous me permettez de le faire.
Je constate que nous avons une discussion sur ce que l'on entend par le droit international coutumier. M. McWhinney a fait remarquer très justement que les juges peuvent décider de ce qui constitue le droit international coutumier et il se demande par conséquent pourquoi le Parlement ne pourrait pas le faire aussi.
• 1100
Ma réponse est la suivante: premièrement, en matière
d'application du droit international, les juges ne sont pas liés
par les précédents, parce qu'il n'y a pas de précédents en droit
international. Deuxièmement, les juges examinent les arguments
juridiques, écoutent les arguments des deux parties puis rendent
une décision, mais le Parlement ne peut pas le faire parce qu'il
n'est pas un tribunal.
J'irais volontiers en cour avec M. Turp. Nous pourrions argumenter. Je pourrais défendre une cause et il pourrait défendre la cause adverse. Un juge rendrait un jugement que nous serions tenus de respecter. Ce n'est toutefois pas ce qui se passe en l'occurrence. Vous prenez une décision politique et pas une décision juridique fondée sur des arguments juridiques, et nous estimons qu'une telle intervention de la part du Parlement serait déplacée.
Si vous estimez vraiment que le projet de loi codifie le droit international coutumier, je vous invite à demander au gouvernement de consulter la cour pour déterminer la nature du droit international coutumier en vigueur à ce moment-là; on pourrait alors prendre une décision qui serait intégrée au projet de loi.
[Note de la rédaction: Inaudible]
M. Ted McWhinney: ... également, dans leurs origines historiques. Ils ont par conséquent la compétence voulue pour déterminer en quoi consiste le droit international coutumier, au même titre qu'ils prennent des décisions en ce qui concerne le droit coutumier canadien.
Me David Matas: J'en suis conscient.
M. Warren Allmand: Nous ne prendrons pas cette décision aujourd'hui.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Si nous adoptons ce projet de loi et ratifions le statut, pourra-t-on arrêter et juger au Canada des visiteurs originaires de Chine ou d'Inde, pour ne citer que deux pays, si l'on avance des preuves indiquant qu'ils ont joué un rôle dans un régime responsable, ou sont personnellement responsables, d'exécutions extrajudiciaires ou de torture?
M. Warren Allmand: Oui, s'ils ont commis à l'étranger les crimes énumérés à l'article 6, à savoir, un génocide, un crime contre l'humanité ou un crime de guerre. L'alinéa 8a) du projet de loi énonce plusieurs conditions et indique qu'il faut être notamment citoyen canadien, mais l'alinéa 8b) dit:
-
8b) à l'époque, le Canada pouvait, en conformité avec le droit
international, exercer sa compétence à cet égard à l'encontre de
l'auteur, du fait de sa présence au Canada, et après la
perpétration, celui-ci se trouve au Canada.
Je crois que dans un cas sans équivoque tel celui d'un individu comme Pol Pot en visite au Canada, cette disposition permettrait de l'arrêter.
Je crois que l'on pourrait arrêter Pinochet également. Il y aurait matière à interprétation, mais j'ai l'impression qu'on pourrait.
M. Deepak Obhrai: Vous avez fait une observation pertinente et je continuerai à parler du cas où il s'agit de régimes démocratiques... Qui accuse ces personnes et leur dit: «Vous représentez peut-être la majorité...»? À supposer que quelqu'un les accuse devant la Cour internationale. Bien des gens le font.
Il faut faire une distinction très nette. On n'a pas de preuves formelles; on parle de cas comme ceux auxquels madame vient de faire allusion. Par conséquent, ça pose un problème.
Me David Matas: Il n'y a pas de poursuites privées à la Cour pénale internationale ou en vertu du Traité de Rome ni en vertu des dispositions de notre Code criminel. Quiconque peut solliciter l'intervention d'un procureur en disant que peu importe... mais cette seule initiative ne déclenche pas des poursuites.
M. Ted McWhinney: Vous parlez de cour nationale. Ça ne s'appliquerait pas à la Cour internationale. Votre question est pertinente en ce qui concerne les cours nationales mais pas les cours internationales.
[Français]
M. Daniel Turp: Si on veut poursuivre là-dessus, monsieur Matas...
[Traduction]
Me David Matas: Désolé, il était en train de me parler.
[Français]
M. Daniel Turp: C'est une question importante, madame la présidente. Je l'ai soulevée la semaine dernière, et M. Robinson m'a donné une réponse qui révélait un peu la pratique ou, en tout cas, l'intention du gouvernement dans la façon dont il appliquerait cette loi. La réponse du fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères était que, pour ne pas être assujettis nous-mêmes et ne pas assujettir nos chefs d'État et de gouvernement ou nos diplomates à des procédures abusives sur la base de la compétence universelle lorsqu'ils vont à l'étranger, on ne veut pas arrêter et traduire en justice des chefs d'État ou des chefs de gouvernement en visite au Canada. C'était le cas, par exemple, du président du Burundi, qui était ici il n'y a pas très longtemps pour un Sommet de la Francophonie.
• 1105
J'aimerais savoir si, selon vous, monsieur Matas et
monsieur Allmand, il devrait y avoir une politique qui
autorise clairement l'arrestation des chefs d'État
et de gouvernement en exercice—pas de ceux qui ne sont
plus en fonction, comme M. Pinochet ou d'autres—et
les prive de l'immunité
qui empêche de les traduire en justice quand ils
ont commis des crimes contre l'humanité, contre
leur peuple.
Est-ce qu'il devrait y avoir quelque chose de clair là-dessus et est-ce que le projet de loi devrait permettre d'arrêter facilement des personnes en exercice qui ont commis des crimes contre l'humanité?
[Traduction]
Me David Matas: Je crains que nous n'arrivions pas à tomber d'accord au sujet du droit coutumier et du droit classique. Je n'aurais aucune objection si nous intentions des poursuites contre quelqu'un du Burundi, pour autant que le Burundi ait signé et ratifié le traité et que le crime ait été commis après la ratification, parce que c'est une violation du traité. Le Burundi l'a signé et le Canada aussi.
S'agit-il de droit international coutumier? Vous en paraissez convaincus mais moi pas. J'hésiterais à préciser dans la loi que c'est une codification du droit coutumier international. Je n'aurais aucune objection à laisser les tribunaux trancher la question mais je n'affirmerais pas d'emblée que c'est du droit coutumier international.
[Français]
M. Daniel Turp: Je ne comprends pas votre réserve, monsieur Matas, parce qu'un parlement ainsi que les juges, les agents de l'État, les organes de l'État ont le droit de constater l'existence du droit coutumier et, en le constatant, de contribuer à consolider son existence, à permettre aux tribunaux internationaux, par exemple, de compter parmi les éléments de la pratique une loi ou une décision judiciaire.
Dans ce sens-là, même dans la Constitution canadienne, que vous connaissez très bien, à l'alinéa 11g), le constituant canadien a légiféré pour constater l'existence de principes permettant de poursuivre, même de façon rétroactive, des personnes ayant commis des crimes contre l'humanité. Si le constituant peut le faire, pourquoi le législateur ne peut-il pas le faire?
[Traduction]
Me David Matas: Il y a une différence. Vous utilisez le terme constater qui équivaut, je suppose, en anglais à «to take notice» ou «to observe that it's the case that this is so». C'est parfait. Je pense que le gouvernement peut le faire.
Mais c'est différent. Le Parlement constitue; il ne déclare pas. Un parlement crée quand il légifère. Il ne fait pas seulement des observations sur le monde qui l'entoure.
Qu'il s'agisse de droit international coutumier ou pas, si le Parlement le dit, cette affirmation a pour effet de créer une infraction, même si elle est erronée. C'est là le problème.
Lorsque le gouvernement affirme que c'est du droit international coutumier, il reconnaît tout simplement qu'il est lié par ce droit; il accepte la coutume. Il n'oblige pas des étrangers à l'accepter, ce que fait le Parlement. Il impose une obligation aux ressortissants de pays étrangers qui n'ont pas la même optique du droit international coutumier. Voilà la différence.
M. Ted McWhinney: Il y a une différence...
[Français]
M. Daniel Turp: Votre théorie est intéressante, mais...
[Traduction]
M. Warren Allmand: Je me permets de signaler qu'il y a d'autres conventions qui concernent ces crimes. Par exemple, en ce qui concerne le génocide, de nombreux pays ont ratifié la Convention sur le génocide bien avant d'avoir examiné celle-ci, et cette convention ainsi que les Conventions de Genève sur les crimes de guerre imposent des obligations.
Donc, dans la partie consacrée aux infractions commises à l'extérieur du Canada, quiconque
-
commet à l'étranger, après l'entrée en vigueur du présent article
-
a) un génocide,
...puis l'alinéa 8b) dit:
-
à l'époque,
Je crois qu'il est possible d'arrêter un chef d'État. Ça dépendrait de la quantité de preuves que vous avez. Pour quelque crime que ce soit, qu'il ait été commis au Canada ou à l'étranger, si l'on a suffisamment de preuves portant sur l'un de ces trois crimes, je crois qu'il serait possible d'arrêter un chef d'État et de lui intenter des poursuites.
[Français]
M. Daniel Turp: J'ai une autre question pour M. Allmand. L'alinéa 8b), que vous avez cité, exige souvent que, pour être traduite en justice, une personne soit présente au Canada, sous custodial jurisdiction comme on nous disait la semaine dernière. Pensez-vous, ainsi que M. Matas s'il désire répondre, qu'on devrait supprimer l'exigence de la présence sur le territoire et qu'on devrait se donner la compétence universelle, beaucoup plus large, de traduire en justice des personnes qui ont commis des crimes contre l'humanité même si elles ne sont pas présentes sur le territoire canadien?
M. Warren Allmand: L'article 9 dit:
-
(1), Les poursuites à l'égard d'une infraction visée par la
présente loi qui aurait été commise à l'étranger peuvent être
engagées dans toute circonscription territoriale au Canada, que
l'accusé se trouve ou non au Canada, et celui-ci peut subir...
Je sais que c'est discutable, mais j'estime que vous pourriez le faire et que vous devriez pouvoir le faire en vertu de la théorie de la compétence universelle.
Me David Matas: Non. Je dirais si la victime est canadienne... Voulez-vous savoir si, quand il n'y a aucun lien avec le Canada—l'auteur du crime n'est pas canadien, la victime n'est pas canadienne, le crime n'a pas été commis en territoire canadien et la personne concernée n'est pas au Canada—on peut procéder à l'extradition pour faire venir cette personne au Canada pour le procès? Est-ce votre question?
M. Daniel Turp: Non.
Me David Matas: Ah bon.
M. Daniel Turp: C'est plus que ça. Peut-on intenter des poursuites contre une personne même si elle est absente? Peut-on intenter des poursuites contre le dirigeant de la Sierra Leone ou d'autres...
Me David Matas: En leur absence?
M. Daniel Turp: Exactement.
[Français]
en contumace. Est-ce qu'on peut faire le procès en contumace de quelqu'un qui a commis des crimes contre l'humanité? Est-ce que nous devrions nous donner le pouvoir de le faire?
[Traduction]
M. Warren Allmand: Vous parlez de l'article 9.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Krieger.
M. Daniel Turp: Non.
[Français]
L'article 9 porte davantage sur une question procédurale. Ici, il s'agit de la compétence.
[Traduction]
Me David Matas: Je ne me souviens pas que ce soit exigé par le Traité de Rome. Je ne sais pas si c'est nécessaire pour l'amélioration de la justice internationale. Je ne sais pas trop ce que ça donnerait. La personne ne serait pas là et elle n'aurait peut-être pas le moindre lien avec le Canada.
Ce que je suggère de faire, et c'est ce que font les Américains—et nous le faisons aussi dans une certaine mesure—c'est dire que la personne n'est pas admissible parce que l'on a des motifs raisonnables de croire qu'elle a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. On l'inscrit sur la liste de surveillance. Je pense toutefois qu'il ne faut pas aller plus loin que ça.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Krieger, vouliez-vous faire d'autres commentaires à ce sujet? On dirait que oui.
M. Richard Krieger: Non. J'avais deux ou trois questions à poser au sujet de ces accusations.
L'une d'elles concerne la validité des accusations et l'auteur des accusations. Plusieurs groupes de défense des droits de la personne prétendent que l'Australie a commis un génocide à l'égard des aborigènes. Que faites-vous dans un cas semblable? Comment traitez-vous les Australiens quand ils font l'objet de telles accusations? Comment traitez-vous cette affaire?
L'autre question que je me pose concerne la discussion que nous venons d'avoir au sujet de la validité des procès dont l'issue est l'acquittement de personnes faisant l'objet d'accusations à l'étranger. Quelle est la validité de ces procès? Qui les juge? Qu'en pensons-nous?
Je voudrais citer un exemple.
En 1997, trois membres des services secrets péruviens ont commis des atrocités et ont été reconnus coupables. En 1998, ils ont été à nouveau traduits en justice et en 1999, le gouvernement au pouvoir a jugé bon de les acquitter. Grâce à cet acquittement, l'un d'entre eux a reçu un visa pour assister à une réunion de l'Organisation des États américains (OEA) aux États-Unis. Nous étions totalement impuissants, à cause de leur acquittement.
J'aurais deux questions à poser. La première est: comment définiriez-vous les preuves et comment définiriez-vous les accusations que vous êtes en train d'examiner en ce qui concerne les Australiens? La deuxième est: qui devrait être juge de ce qui se passe dans le tribunal d'une nation «amie»?
Le deuxième point est abordé dans le projet de loi qui parle d'un tribunal relatif aux accords, valeurs et concepts internationaux; je crois que c'est très difficile à surveiller et à examiner.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): C'est un autre aspect du problème. Quand on se demande qui doit prendre la décision et qui doit être juge parmi les nations amies, on dirait que ça incite à garder un comportement très hypocrite. Si vous êtes notre ami, nous ne vous poursuivrons pas. Par contre, nous nous en prendrons à ceux qui ne sont pas nos amis. Comment régler ces injustices? Qui décide de porter les accusations?
M. Warren Allmand: Comme on l'a signalé, c'est la raison d'être d'un procureur indépendant. Les poursuites peuvent être déclenchées de trois façons. Elles sont intentées par le Conseil de sécurité, par un État partie ou par le procureur indépendant. Le procureur indépendant doit s'adresser à un tribunal préparatoire pour obtenir les preuves. Par conséquent, les possibilités que des accusations gratuites et irresponsables contre certaines personnes débouchent sur des poursuites sont très réduites.
En ce qui concerne l'authenticité, la loi donne à la Cour pénale internationale le pouvoir d'examiner l'authenticité d'un procès qui s'est déroulé à l'étranger. S'il était manifeste qu'il s'agit d'un faux procès, les autorités du pays auraient toujours compétence, mais c'est une question de preuves. Si le jugement rendu est contestable, je crois que les autorités devraient accepter un acquittement. Si le procès n'est pas authentique... il est question de l'authenticité de...
M. Deepak Obhrai: Entre-temps, un chef d'État en visite au Canada serait-il détenu? Si on le renvoyait dans son pays, il ne reviendrait pas. Est-ce exact?
M. Warren Allmand: Ça dépendrait de la quantité de preuves que les poursuites canadiennes... Si c'est de notoriété publique... et je vais vous citer un exemple très clair. À supposer qu'il s'agisse d'un individu tel que Pol Pot, qui est venu au Canada et que l'on a de nombreuses preuves qu'il a commis de graves crimes contre l'humanité à plusieurs reprises, je ne crois pas que les autorités canadiennes risqueraient de commettre une erreur en intentant des poursuites. En cas de doute, les autorités devraient prendre une décision. C'est ce qu'on fait actuellement dans nos provinces. Les procureurs de la Couronne se demandent parfois s'ils possèdent suffisamment de preuves pour porter des accusations. Vous seriez confrontés au même dilemme.
C'est toutefois possible, à mon avis. C'est non seulement possible mais c'est souhaitable. La solution idéale est de forcer ces individus à rester dans un pays sûr pour eux, parce qu'ils ne sont pas bienvenus ailleurs dans le monde. Je crois qu'on a clairement fait comprendre à Pinochet et autres individus du même acabit que, s'ils veulent commettre des crimes aussi atroces que ceux qu'ils ont commis, ils auraient intérêt à rester chez eux.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): D'accord.
M. Daniel Turp: Vous pourriez rentrer chez vous en affichant un large sourire.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je crois que vous ne risquez rien en parlant de Pol Pot, puisqu'il est décédé. Mais que feriez-vous si Pinochet venait au Canada?
M. Warren Allmand: En fait, notre centre a recommandé... Une soeur canadienne a été torturée au Chili. La GRC a fait une enquête à ce sujet et a constaté que l'on n'avait pas suffisamment de preuves. Nous avons écrit une lettre au ministre de la Justice et au ministre des Affaires étrangères pour recommander de faire une demande d'extradition semblable à celle de l'Espagne, en invoquant le fait qu'une de nos citoyennes avait été torturée sous le régime Pinochet et qu'il faudrait porter des accusations contre ce dernier—comme l'ont fait, je pense, les autorités suisses, françaises, belges et celles de plusieurs autres pays dont des citoyens avaient été torturés.
[Français]
M. Daniel Turp: Madame la présidente, le Bloc québécois a posé plusieurs questions en Chambre demandant cela aussi, mais le gouvernement n'a pas le courage de le faire.
[Traduction]
M. Ted McWhinney: Si vous admettez le principe que même des pays amis et leurs dirigeants devraient être sujets à enquête au même titre que les autres pays, le fardeau de la preuve serait beaucoup plus grand. Réciproquement, pour tout autre pays ratifiant la convention, nos dirigeants seraient en principe assujettis aux mêmes règles.
M. Warren Allmand: Oui, exactement.
M. Ted McWhinney: C'est le principe de l'égalité.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Matas.
Me David Matas: J'ai deux commentaires à faire. En entendant Daniel Turp, j'ai décidé que je devais prendre la défense du gouvernement, même si je ne le fais pas toujours.
Le problème en ce qui concerne la demande d'extradition de Pinochet est que, lorsqu'il sera là, nous ne pourrons pas invoquer le droit pénal à cause du jugement rendu dans l'affaire Finta. Ça ne servirait pas à grand-chose d'obtenir son extradition parce qu'il serait acquitté du fait que notre droit pénal ne serait pas applicable. Le projet de loi C-19 tente de régler ce problème.
M. Deepak Obhrai: Et le droit coutumier international?
Me David Matas: Je dirais que le droit coutumier international va trop loin.
L'autre commentaire que j'ai à faire est que la crainte qu'un procureur se déchaîne n'est pas fondée parce que nos deux tribunaux internationaux spéciaux—celui pour le Rwanda et celui pour l'ex-Yougoslavie—ont déjà reçu de nombreuses allégations gratuites et ridicules et que les procureurs n'en ont manifestement pas tenu compte. Le service des poursuites de ces deux tribunaux se sont comportés de façon responsable et consciencieuse et nous pensons que la Cour pénale internationale se comporterait de la même façon.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Monsieur Cotler.
M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): J'ai un certain nombre de questions à poser dont certaines concernent les témoignages. Je voudrais que l'un des témoins fasse des commentaires sur le témoignage d'un autre.
Je voudrais poser une question à M. Matas au sujet de la formule de l'action civile proposée par M. Krieger, à la page 4 de son mémoire. Cette formule est tirée du Torture Victims Protection Act des États-Unis. Elle consiste à permettre aux victimes ou à leurs agents d'avoir recours à une action civile pour intenter des poursuites contre les auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Estimez-vous que cette possibilité devrait être incluse dans ce projet de loi?
Me David Matas: Nous avons un problème d'ordre constitutionnel dans ce cas-ci. Je suis certain que vous en êtes conscient. Cette question relève du droit de la responsabilité civile délictuelle et l'on considère généralement qu'il relève de la compétence de la province. Je prévois que nous aurions un problème d'ordre constitutionnel si cette possibilité de recours était incluse dans ce projet de loi. À mon avis, il serait plus simple que ce genre d'initiative soit prise par les provinces et non par le Parlement fédéral; ça limiterait les risques de contestation devant les tribunaux.
Je ne suis pas sûr que le droit de la responsabilité civile délictuelle actuel permette le recours au type de formule qui se trouve déjà dans la loi. En droit de la responsabilité civile délictuelle, selon la décision rendue dans l'affaire Phillips c. Eyre, si j'ai bonne mémoire, un délit commis à l'étranger est passible de poursuites. Il est passible de poursuites au Canada et est considéré comme un préjudice à l'étranger. Tous ces agissements sont considérés comme des préjudices à l'étranger.
À mon avis, il ne serait même pas nécessaire d'adopter une nouvelle disposition en matière délictuelle à l'échelon provincial pour pouvoir régler le problème mais je suis convaincu que ce serait utile parce que ça dissiperait tout doute. Ça ferait de la publicité et ça permettrait aux citoyens d'être au courant. Ce serait un remède qui n'a encore jamais été utilisé au Canada.
Une voix: Les Canadiens ne sont peut-être pas au courant de l'existence d'un remède.
Me David Matas: C'est en partie parce qu'ils ne sont pas au courant de l'existence du remède mais aussi parce que les particuliers hésitent à s'en prendre aux auteurs de crimes de ce genre. C'est un problème courant que les Américains sont parvenus à contourner grâce à de nombreuses initiatives prises au nom de la collectivité non gouvernementale. Nous avons besoin d'une formule de ce genre.
Si des réparations étaient exigées dans le cadre d'une condamnation au criminel de sorte qu'elles feraient partie intégrante de la peine, ce serait à mon avis une solution pour nous parce que les réparations feraient partie intégrante du droit pénal au lieu de relever du droit de la responsabilité civile délictuelle. Je ne m'y opposerais certainement pas. En fait, le Statut de Rome envisage cette possibilité et le Parlement pourrait très bien l'envisager également.
Je commence à partager les opinions de Warren Allmand. Ce n'est pas encore dans le projet de loi et ce n'est pas un problème. C'est seulement une autre possibilité. Je me demande si le fait d'ajouter une disposition concernant les réparations retarderait l'adoption du projet de loi.
M. Warren Allmand: Le projet de loi contient déjà une disposition semblable.
M. Irwin Cotler: Il s'agit de la disposition concernant la saisie des biens.
M. Warren Allmand: Oui.
M. Irwin Cotler: C'est différent.
M. Warren Allmand: C'est effectivement différent.
[Français]
M. Daniel Turp: Il y a là un fonds.
[Traduction]
M. Warren Allmand: Oui, il y a un fonds.
M. Irwin Cotler: Il y a un fonds mais c'est différent d'un remède.
M. Warren Allmand: C'est exact.
M. Irwin Cotler: Je voudrais parler de votre dernier commentaire, à savoir qu'il ne faut pas ajouter de nouvelles dispositions mais qu'il faut régler les problèmes dans le projet de loi même. Vous avez dit que le projet de loi règle certains des problèmes engendrés par le jugement Finta; cependant, j'ai relevé dans votre exposé cinq passages différents où vous mentionnez des problèmes engendrés par le jugement Finta qui, selon vous, ne semblent pas être réglés par le projet de loi. Suggérez-vous que l'on poursuive l'étude de ce projet de loi sans ces amendements? En d'autres termes, serait-il préférable d'adopter ce projet de loi tel quel, sans essayer de régler les problèmes engendrés par le jugement Finta que de ne pas avoir de projet de loi du tout?
Me David Matas: Je ne suis pas venu ici pour faire ce choix-là.
M. Irwin Cotler: Je vous pose la question.
Me David Matas: Je suis venu pour suggérer des modifications au projet de loi. J'espère que ce n'est pas un choix que je devrai faire ici. C'est vous qui avez le pouvoir de modifier le projet de loi et j'espérais vous persuader de le faire.
• 1125
Votre observation est exacte; ce projet de loi règle certains
des problèmes engendrés par le jugement Finta mais pas tous. Si
nous l'adoptons tel quel, nous obtiendrons une loi qui posera des
problèmes étant donné que l'accusé pourrait invoquer les défenses
énoncées dans le jugement Finta. L'accusé pourrait donc être
acquitté même s'il a enfreint le droit international, ce qui nous
empêcherait de respecter les obligations qui nous incombent en
vertu du droit international. À mon avis, nous avons absolument
besoin d'apporter quelques modifications à ce projet de loi.
M. Warren Allmand: J'estime que vous êtes dans l'obligation de vérifier au moins les problèmes soulevés par David. C'est la première fois que j'entends parler de plusieurs de ces problèmes; je les ignorais totalement avant d'entendre son excellent témoignage. Si c'est absolument essentiel, vous devriez apporter des modifications au projet de loi, mais si de telles modifications ne servaient à l'améliorer que légèrement ou à ne le rendre qu'un peu plus cohérent, j'estime que l'on pourrait attendre. La question est de savoir si l'adoption du projet de loi risque d'être retardée pour apporter des modifications qui ne sont pas essentielles. Par contre, modifiez-le si c'est essentiel.
Me David Matas: Il ne faut pas oublier, bien entendu, que si ce projet de loi est fonctionnel, il y aura des poursuites et des défenses. Les défendeurs invoqueront tous les moyens de défense possibles et imaginables. Certains moyens de défense seront acceptables et d'autres pas. Il faut prévoir s'ils seront acceptables et s'il convient de permettre aux défendeurs de les invoquer.
Même s'il s'agissait d'arguments de défense tout à fait injustifiés tels que «je n'avais pas l'intention d'être inhumain. Même si j'ai tué toutes ces personnes, j'avais d'autres motifs de commettre ces actes. Je protégeais mon peuple parce que je pensais que ces personnes étaient nos ennemis.», vous seriez obligés de les accepter. Vous ne devriez pas permettre à un défendeur d'invoquer ce genre d'arguments.
[Français]
M. Daniel Turp: Je comprends ce sentiment d'urgence que vous avez. Je pense qu'il résulte beaucoup du cas de Finta, du fait qu'il n'y ait pas eu de procès après cela et qu'on ait dû envisager d'autres mesures.
Toutefois, il est quand même intéressant de voir qu'une des parties de cette loi, une fois adoptée, n'aura d'effet que lorsque le traité sera en vigueur, n'est-ce pas? Il n'y a peut-être pas tellement d'urgence dans ce cas-là, parce qu'il pourrait n'être en vigueur que dans cinq ou dix ans, lorsque les 60 ratifications auront été obtenues.
Je comprends qu'on ne doive pas ajouter des choses qui ralentissent l'adoption et l'entrée en vigueur de cette loi, parce qu'on pourra entreprendre des procès sur la base de certaines dispositions de la loi elle-même, sans égard aux dispositions qui mettent en oeuvre la convention.
Moi aussi, je souhaite qu'il y ait des amendements, s'ils sont utiles, et je crois que le sentiment d'urgence ne devrait pas empêcher l'adoption des amendements qui s'imposent. MM. Robinson et Piragoff sont là derrière et nous écoutent. J'espère que les gens d'en face vont penser qu'il est utile et important d'avoir la meilleure des lois afin qu'on ne revive pas les problèmes qu'on a eus avant et après le cas Finta, problèmes qui font que ceux qui sont déjà sur ce territoire après avoir commis des crimes contre l'humanité, ou qu'on peut accuser d'avoir commis des crimes contre l'humanité, ne sont pas traduits en justice.
Or, vous savez comme moi qu'il y en a des centaines et des centaines. M. Matas pourra vous le dire. J'aimerais que vous nous disiez combien il y en a. Vous le savez très bien, de même que M. Allmand. Il y en a d'autres sur la planète qui cherchent souvent à trouver refuge au Canada pour se soustraire à de telles poursuites.
J'ai une petite question qui s'adressera à M. Matas. Monsieur Allmand, peut-être devriez-vous faire faire une étude par vos avocats du centre. Peut-être avez-vous encore le temps de le faire. Peut-être pourriez-vous nous donner des notes rédigées par certains de vos chercheurs du Centre international pour les droits de la personne et le développement démocratique. Est-ce que ce projet de loi, dans son état actuel, contient des dispositions qui pourraient être déclarées inconstitutionnelles parce qu'incompatibles avec celles de la Charte canadienne des droits et libertés?
M. Warren Allmand: Avez-vous déjà posé cette question aux fonctionnaires?
M. Daniel Turp: Je l'ai posée aux hauts fonctionnaires au sujet d'un des articles.
[Traduction]
Me David Matas: C'est une question intéressante.
M. Irwin Cotler: J'ai posé la même question.
Me David Matas: Je crois que c'est l'alinéa 11f) ou 11g) qui dit que l'on ne peut pas punir rétroactivement l'auteur d'un crime, sauf si l'acte était déjà considéré comme criminel en vertu du droit international coutumier ou des principes généraux de droit reconnus par la communauté internationale à l'époque où il a été commis. En ce qui me concerne, le droit international coutumier dans la Charte est déterminé par les tribunaux et non par le Parlement, parce que ce n'est pas le Parlement qui décide ce que signifie la Charte. Par conséquent, je ne vois pas comment nous pourrions échapper...
M. Daniel Turp: Qui a adopté la Charte?
Me David Matas: Le Parlement a adopté la Charte mais le Parlement et les assemblées législatives...
M. Daniel Turp: Les parlements.
Me David Matas: Oui, les parlements et pas seulement le Parlement du Canada.
M. Irwin Cotler: C'est le problème, parce que l'alinéa 11g) concerne un moyen de défense précis à savoir qu'on ne devrait pas invoquer rétroactivement dans les cas de... etc. L'autre question est de savoir s'il y a certaines restrictions en matière de moyens de défense... En ce qui concerne les ordres d'un supérieur par exemple, vous estimez peut-être que ce type de défense ne règle pas complètement le problème du jugement Finta, mais d'autres observateurs diront peut-être que les restrictions imposées en ce qui concerne la défense axée sur les ordres d'un supérieur empêchent l'accusé d'avoir recours à des moyens de défense qui devraient lui être accessibles en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Il pourrait dire, à propos du paragraphe 14(3) du présent projet de loi: «Vous m'avez privé d'un moyen de défense que le jugement Finta me permettait d'utiliser et qui est conforme à la Charte canadienne». Je me fais l'avocat du diable. Je joue peut-être un peu...
M. Daniel Turp: Il faut une clause nonobstant.
M. Irwin Cotler: Oui.
Me David Matas: Non, je ne suis pas d'accord, parce que le jugement Finta ne précise pas que son interprétation est une interprétation de la Charte. Certaines dispositions de la Charte ont été invoquées dans l'affaire Finta mais ces moyens de défense ont été rejetés. La cour qui a rendu le jugement dans cette affaire a dit que le Code criminel concordait avec la Charte mais le point faible de son jugement est, à mon avis, qu'il était fondé sur le droit international et pas sur la signification des dispositions de la Charte.
La raison pour laquelle cette disposition de rétroactivité est importante est qu'elle nous ramène à l'opposition entre le droit international coutumier et le droit international classique. Même si le Parlement fait ce que je lui déconseille de faire, je ne suis pas sûr que les tribunaux le permettraient, à cause de l'alinéa 11g) de la Charte. C'est le problème qui pourrait se poser et que je recommande à vos attachés de recherche d'examiner.
[Français]
M. Daniel Turp: Il y a des problèmes d'inconstitutionnalité nouvelle, par rapport à l'application de la Charte, quant à certaines défenses ou quant à l'impossibilité d'invoquer certaines défenses. Est-ce qu'il devrait exister un recours à la clause nonobstant?
[Traduction]
Me David Matas: Non, parce que le seul problème que je relève est lié à une disposition que je n'aime pas. Je me demande donc pourquoi je recommanderais une clause nonobstant pour ça. Au contraire, je crois que cette disposition devrait purement et simplement disparaître. Si elle est maintenue, je pense qu'elle devrait être contestée en vertu de la Charte.
Je dirais qu'en règle générale, il ne faut jamais avoir recours à une clause nonobstant. Il ne faut jamais y avoir recours, à mon avis.
M. Ted McWhinney: Ne serait-il pas préférable de régler ces questions dans le contexte de cas concrets, lorsqu'ils se présentent? Elles ne compromettent pas la validité générale de la loi de mise en oeuvre du Statut de Rome. Ne serait-il pas préférable d'attendre que des cas bien précis se présentent?
Je voudrais connaître l'opinion de M. Cotler à ce sujet. Ce sont des arguments valables et, sans vouloir briser le rythme de notre mise en oeuvre relativement rapide du traité, ne s'agit-il pas de questions qu'il vaudrait mieux essayer de régler dans le contexte de cas bien précis, comme dans le cadre de l'affaire Finta?
Me David Matas: Premièrement, les tribunaux auraient à mon avis beaucoup plus de facilité à régler ces questions si le projet de loi intégrait toutes les dispositions du Statut de Rome au lieu de n'en intégrer qu'une partie. Deuxièmement, si des problèmes manifestes se posent—des contradictions entre la disposition sur la torture du Code criminel et celle du projet de loi, la disposition sur le génocide du Code criminel et celle du projet de loi—et si les tribunaux sont confrontés à des erreurs ou à des confusions législatives, ils régleront ces questions de leur mieux. Je ne suis toutefois pas certain qu'il soit bon de rédiger des projets de loi de cette façon pour laisser le soin aux tribunaux de démêler les problèmes. Troisièmement, plusieurs dispositions posent directement des problèmes. Il ne s'agit pas de simples confusions ou de gaffes. Il s'agit bel et bien de problèmes et il faut prévoir les dispositions nécessaires pour les régler.
M. Ted McWhinney: Pourrait-on demander au secrétaire parlementaire s'il n'y a pas moyen d'obtenir une réponse écrite du ministère de la Justice au sujet de ces divers points? J'insiste sur le fait que l'évolution de la Charte est liée essentiellement à des contestations ponctuelles devant les tribunaux. Elle a beaucoup évolué depuis son adoption en 1982. La législation judiciaire a évolué de cette façon également et c'est normal.
M. Irwin Cotler: Pour répondre en quelque sorte à votre question, je dirais qu'une des difficultés est liée au fait que ce projet de loi essaie, entre autres choses, de régler des problèmes causés par le jugement Finta. Certains des problèmes engendrés par le jugement Finta subsistent et si ce projet de loi ne les règle pas, nous devrons trouver un moyen de les régler au cours de l'étude article par article ou d'une autre façon. Si l'on veut que ce soit, comme nous l'avons dit, un «projet de loi modèle», il faudrait ne pas rester exposés aux problèmes engendrés par l'affaire Finta.
[Français]
M. Daniel Turp: Je voudrais ajouter quelque chose, monsieur Matas, avant que vous ne preniez la parole. On est passé par un moment difficile après l'affaire Finta. Les procédures ont été arrêtées et il n'y a pas eu de poursuites. Il ne faut pas que la même erreur se répète avec ce projet de loi. Il faut permettre au ministère de la Justice, au procureur général et aux ONG qui font la promotion de la poursuite et qui, à juste titre, nous disent de ne pas laisser l'impunité régner dans ce pays... Il faut avoir une loi exempte de tout problème, du moins en apparence.
C'est pourquoi il faut prendre le temps de bien examiner les propositions de M. Matas et peut-être même le temps d'obtenir une opinion juridique. Ce comité-ci est un comité parlementaire. Peut-être devrait-il obtenir une opinion sur la conformité du projet de loi C-19, dans son état actuel, à la Charte canadienne des droits et libertés. Le ministère de la Justice fait souvent des études de conformité des projets de loi par rapport à la Charte. Il faudrait peut-être en avoir une en main. Cela pourrait nous être très utile.
[Traduction]
Me David Matas: Oui.
Comme je l'ai signalé, B'nai Brith a présenté une pétition à la Commission interaméricaine des droits de l'homme au sujet du Canada à cause de l'affaire Finta. Elle a ouvert un dossier et une audience a déjà eu lieu. Cette commission a proposé de voir s'il n'y avait pas moyen d'obtenir un règlement à l'amiable et cet effort parlementaire est, dans une certaine mesure, une tentative de voir s'il est nécessaire de maintenir cette plainte.
Si le Parlement adopte un projet de loi qui laisse en suspens les problèmes causés par le jugement Finta, nous maintiendrons notre pétition auprès de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, qui pourrait être amenée à décréter que le Canada enfreint la American Declaration on the Rights and Duties of Man et le traité de l'Organisation des États américains en adoptant ce projet de loi. Nous pourrions obtenir un jugement ou une opinion à ce sujet dans des délais relativement brefs.
De toute évidence, je ne peux pas vous garantir que c'est ce qui arriverait mais c'est possible. Le cas échéant, ce serait de toute évidence une cause d'embarras pour le Canada et je crois que vous préféreriez éviter ce genre de situation.
[Français]
M. Daniel Turp: Une dernière question. Les légistes sont là derrière. Vous savez que c'est la première fois que, pour mettre en oeuvre une convention internationale, on adopte une loi particulière. Quand on a mis en oeuvre la convention contre la torture, contre la prise d'otages, on a amendé le Code criminel. On n'a pas adopté une loi distincte. Est-ce qu'il n'aurait pas été plus simple d'amender plusieurs des dispositions du Code criminel? J'imagine qu'il s'agit d'une décision politique prise par les divers ministères. Ou bien est-ce qu'il était très important de se donner une loi distincte sur les crimes contre l'humanité au plan symbolique et parce qu'on doit mettre en oeuvre une convention aussi importante que la Cour pénale internationale selon le Statut de Rome?
[Traduction]
Me David Matas: Je crois que c'est ce que nous avons fait en ce qui concerne la Loi sur les Conventions de Genève. Il s'agit d'une loi spéciale. Par conséquent, je n'ai aucune objection à ce qu'on adopte un projet de loi spécial. Par contre, je n'aime pas beaucoup la façon dont il est intégré au Code criminel parce que, comme je l'ai déjà dit, l'intégration n'est pas très bonne en ce qui concerne le génocide et la torture. Je n'ai toutefois aucune objection à ce qu'on adopte une loi spéciale.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Avez-vous une question à poser, monsieur McWhinney?
M. Ted McWhinney: Je signale que nous avons pris note des commentaires très intéressants qui ont été faits et des possibilités de clarification qui ont été mentionnées. Nous comprenons le désir d'adopter ce projet de loi avant l'ajournement des chambres mais il serait utile d'obtenir un avis du ministère de la Justice sur les problèmes constitutionnels qui ont été abordés et de recevoir, si possible, une réponse assez rapidement, dans un délai d'une semaine par exemple.
[Français]
M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.): Dans cet esprit, madame la présidente, je vais me renseigner pour savoir si, lors de notre retour après la semaine de relâche, pendant laquelle il n'y aura pas de débats en Chambre, il serait possible de nous fournir cette opinion. Je vais me renseigner dès aujourd'hui.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
[Note de la rédaction: Inaudible]
M. Daniel Turp: ...
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Avez-vous des commentaires à faire, monsieur Krieger?
M. Richard Krieger: Je voulais seulement poser une question. J'ignore si le groupe de M. Allmand les représente mais, en 1998, il y avait sept centres de réadaptation des victimes de torture et de crimes de guerre au Canada. Je ne sais pas si l'on a entendu parler d'eux ou si vous comptez les inviter à témoigner.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): J'ignorais qu'il y avait sept centres au Canada.
M. Richard Krieger: J'enverrais volontiers la liste à David.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Monsieur Cotler.
M. Irwin Cotler: J'ai une question à poser à la fois à M. Krieger et à M. Matas; à M. Krieger parce qu'il a abordé le sujet dans son mémoire et à M. Matas parce qu'il a écrit un article à ce sujet. Il s'agit des dispositions du droit pénal international concernant les crimes de guerre qui ont été incorporées à titre de référence et qui indiquent que le transfert direct ou indirect de civils en territoire occupé constitue un crime de guerre. Vous l'avez mentionné dans votre exposé mais seulement à titre de référence. M. Matas a écrit un article à ce sujet. Cette question a été abordée dans le cadre des débats de la Chambre des communes. Aussi, je me demandais si vous pourriez faire des commentaires plus précis à ce sujet.
M. Richard Krieger: Pas beaucoup, sauf dire que c'est un problème dans plusieurs pays. Il a été signalé. Je sais que M. Matas a écrit un article à ce sujet et il pourrait peut-être vous en parler. Je peux uniquement vous parler de la mise en oeuvre et des conséquences.
Me David Matas: Le problème est que le transport de civils vers des territoires occupés doit être fait sous la contrainte, sinon ça pourrait être un simple encouragement. Commet-on un crime de guerre ou un crime contre l'humanité quand on leur donne des subventions en espèces, qu'on leur propose un service de ramassage des ordures, qu'on asphalte les rues ou qu'on leur offre d'autres avantages? Les opinions varient à ce sujet. À mon avis, il faut que ce soit sous la contrainte.
Le problème n'est pas résolu dans la loi ni dans le cadre des discussions concernant les éléments du crime. J'espérais qu'une des commissions préparatoires examinant les éléments du crime le résoudrait. La définition des éléments du crime pour ce crime a fait l'objet d'un consensus sans que ce problème soit résolu. C'est un excellent exemple du genre de problème qui se pose quand on dit que c'est une codification du droit international coutumier. Qui sait quelle décision les tribunaux prendront au sujet de la signification de cette infraction lorsqu'un débat aura lieu à ce sujet au sein de la communauté internationale.
On a beau dire que, quelle que soit la décision des tribunaux, c'est une obligation contractée du fait même d'avoir signé le traité, mais le fait est que c'est la loi pour tous les pays, à partir de 1998, qu'ils soient signataires du traité ou non. Ce serait fou. Je pense que c'est une bonne raison de rejeter une disposition comme le paragraphe 6(4) de ce projet de loi.
[Français]
M. Daniel Turp: Les tribunaux font la même chose, monsieur Matas. Voudriez-vous que, comme les tribunaux, on demande à un expert de venir ici nous dire l'état du droit coutumier pour que l'on constate que ces règles existaient à telle date dans le droit coutumier? Les tribunaux le font aux États-Unis. Il y a même des experts qui viennent témoigner par affidavit, qui font l'étude de la pratique et qui constatent l'existence d'une règle coutumière. Peut-être devrions-nous le faire avant de légiférer. On pourrait faire venir comme témoin un expert ou un grand juriste. On pourrait demander à Alain Pellet ou à des professeurs d'Oxford ou d'ailleurs de venir nous informer de l'état du droit coutumier, et ensuite on légiférera en tenant compte de leur témoignage.
[Traduction]
Me David Matas: Je dirais que si la question devait être portée devant une cour, je ne pourrais pas trouver de tribunal plus éminent que celui devant lequel je me trouve présentement.
Cependant, si vous voulez connaître l'état du droit, vous ne pouvez pas prendre la décision vous-mêmes. Vous devez demander l'avis d'un tribunal. Vous ne pouvez pas demander l'avis d'un témoin expert. Si vous voulez savoir quel est l'état du droit, il faut vous adresser à un tribunal. C'est ce que vous devriez faire.
M. Daniel Turp: C'est un problème théorique. Nous sommes les législateurs...
Me David Matas: C'est vous qui décidez de ce que sera la loi.
M. Daniel Turp: ...et nous décidons de ce qu'est la loi. Les tribunaux l'interprètent.
Me David Matas: Vous décidez de ce que sera la loi mais vous ne décidez pas de ce qu'est le droit international coutumier. Il y a des discussions à ce sujet et il ne s'agit pas de discussions de politique générale. Ce n'est pas une question de volonté. C'est une question de réalité extérieure.
M. Ted McWhinney: Non. C'est une réalité en constante évolution et les cours internationales modifient beaucoup plus le droit international coutumier que les cours de common law par les interprétations qu'elles en font.
M. Daniel Turp: Si le droit international fait partie des lois du pays, pourquoi le gouvernement ne peut-il pas en
[Français]
prendre acte
[Traduction]
dans ce projet de loi?
Me David Matas: Comme vient de le signaler le professeur McWhinney, s'il me permet de l'appeler ainsi, le droit international coutumier évolue constamment. Cependant, le Parlement intervient de temps en temps. Nous ne modifions pas constamment la loi et nous ne la modifions pas en fonction de tous les changements que subit le droit international coutumier.
M. Daniel Turp: Par conséquent, votre préoccupation est que
[Français]
on arrête dans le temps le droit coutumier. Est-ce cela? Si on adopte une loi, nous arrêtons le droit coutumier dans le temps et nous l'empêchons d'évoluer. Est-ce bien cela?
[Traduction]
Me David Matas: C'est un problème mais le deuxième problème est que je ne crois pas que vous ayez raison.
[Français]
M. Daniel Turp: Il y a un débat là-dessus.
[Traduction]
M. Warren Allmand: À mon avis, lorsque le Parlement adopte des lois, ces lois sont une interprétation de ce que nous considérons comme la coutume. Je suis d'accord avec M. McWhinney et M. Turp. Le droit évolue constamment mais les lois représentent ce qui est devenu le droit coutumier dans le pays concerné.
[Français]
M. Daniel Turp: Monsieur Matas, ça donne une certaine certitude au contenu du droit coutumier. C'est ce que fait l'intervention du Parlement; ça lui donne une certaine certitude. C'est vrai qu'il évolue, mais ce pourrait être la contribution d'un parlement, justement, que de donner au droit coutumier international une dimension de certitude qu'il n'a pas en lui-même.
Est-ce qu'une loi pourrait empêcher les tribunaux de faire évoluer le droit coutumier? Est-ce que vous croyez qu'en adoptant une loi comme celle-ci, où l'on constate l'existence du droit coutumier, on prive les tribunaux de la compétence de l'appliquer selon son évolution?
[Traduction]
Me David Matas: S'il s'agit d'une loi qui ne touche que les Canadiens au Canada; vous êtes libres de dire ce que vous voulez. Peu importe que vous ayez raison ou tort. Le Parlement a le droit de dire ce qu'il veut. Cependant, en ce qui concerne ce projet de loi, il touche des citoyens d'autres pays qui ne sont pas dotés de lois identiques aux vôtres et c'est seulement lorsqu'ils viennent au Canada qu'ils peuvent être assujettis aux lois canadiennes.
En droit international, ce serait un empiétement sur les droits des personnes qui ne sont pas des citoyens du pays et qui n'ont commis aucun délit selon la loi de leur pays, sauf si elles ont enfreint les règles du droit international—et il s'agit du droit international proprement dit et pas de la conception que nous en avons. C'est de l'usurpation que de décider de le faire parce qu'on peut le faire.
M. Ted McWhinney: Avant le jugement final, c'est ce qu'a fait la Chambre des lords britannique dans le cas de Pinochet. Le premier jugement correspondait précisément à ce que vous déconseillez de faire. Il n'y a pas de gros problème à mon avis. Il y a l'interaction avec l'exécutif et la cour a fait deux pas en avant alors que l'exécutif a fait un pas en arrière.
Les assemblées législatives peuvent seulement exprimer leur conception du droit international coutumier à un moment précis. Elles ne peuvent pas aller plus loin. Elles ne peuvent pas entraver l'évolution du droit coutumier.
[Français]
M. Daniel Turp: C'est un débat vraiment fascinant, parce que si c'est vrai, que
[Traduction]
le droit international fait partie des lois du pays...
M. Ted McWhinney: Oui, selon les règles du droit coutumier.
M. Daniel Turp: ...mais les lois l'emportent sur le droit coutumier.
[Français]
Dans le moment, nous sommes en train d'adopter un statute. Si l'état du droit coutumier évolue et que les tribunaux veulent appliquer le droit coutumier, ils ne pourront pas appliquer un droit coutumier différent de celui qui est constaté dans une loi donnée,
[Traduction]
parce que les lois l'emportent.
[Français]
Vous soulevez un point tout à fait fascinant et qui mérite probablement qu'on s'y arrête, parce qu'il ne devrait pas relever du Parlement de freiner l'élan du droit coutumier et de priver les tribunaux de la capacité d'appliquer le droit coutumier tel qu'il évolue.
Me David Matas: Le Parlement ne devrait pas enfreindre le droit international et il ne devrait pas en accélérer l'évolution. Il devrait le laisser évoluer à son rythme.
[Français]
M. Daniel Turp: C'était une excellente réflexion, monsieur Matas. On devrait y repenser, n'est-ce pas, les amis?
Des voix: Ah, ah!
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je ne contrôle plus la discussion, par conséquent...
M. Ted McWhinney: Le secrétaire parlementaire a les solutions et je...
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Puisque vous n'avez pas attendu ma permission, je pense que je profiterai de l'occasion pour lever la séance.
Je tiens à vous remercier tous. Personnellement, j'ai trouvé que c'était une des séances les plus intéressantes auxquelles j'aie assisté. Comme je l'ai dit, j'étais dépassée de loin par la discussion et vous pourriez peut-être la poursuivre plus tard.
M. Daniel Turp: Pendant l'étude article par article.
Des voix: Oh, oh!
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Oui.
Merci d'être venus.
La séance est levée.