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HERI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE

COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 29 février 2000

• 1108

[Traduction]

Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): La séance du Comité permanent du patrimoine canadien est ouverte.

[Français]

Le comité se réunit aujourd'hui pour poursuivre son étude de l'industrie canadienne de l'édition du livre.

[Traduction]

Je tiens à sincèrement remercier les témoins de leur présence. Nous sommes désolés d'avoir pris un peu de retard avant de commencer.

Pour adopter des motions, il nous faut un quorum de neuf députés. Il nous en manque un. Dès qu'un nouveau député sera arrivé, j'interromprai peut-être la séance, parce que nous devons adopter notre budget. S'il n'est pas adopté, nous n'aurons pas l'argent pour fonctionner, et nous sommes déjà en souffrance de fonds. Cela prendra donc quelques minutes, à moins que les députés ne veuillent refuser le budget; dans ce cas-là, il faudra plus de temps. J'espère que ce sera adopté sans problèmes.

Ah, nous y voici. Mesdames et messieurs les témoins, je vous prie donc de patienter un peu.

Vous avez tous reçu une copie du budget prévoyant la continuation du travail du comité d'ici au 31 mars, ce qui représente un montant de 39 00 $. Lorsque nous en avons discuté la première fois, vous vous en souviendrez, M. de Savoye a demandé qu'on lui accorde un peu de temps pour l'étudier. Plusieurs jours se sont écoulés depuis, et j'aimerais donc savoir si quelqu'un propose une motion d'adoption du budget jusqu'au 31 mars 2000.

• 1110

[Français]

Monsieur de Savoye.

M. Pierre de Savoye (Portneuf, BQ): Monsieur le président, j'ai pris connaissance du budget qui nous est proposé et j'aurai plusieurs questions à ce sujet. Je crains qu'elles ne retardent indûment l'audition des témoins qui sont ici. Je suggérerais que l'on discute de la motion après que nous aurons entendu les témoignages. Je sais que nous devons avoir quorum. Cependant, je suis capable de rester ici et je m'y engage. Je pense que mes collègues du Parti libéral peuvent en faire autant par déférence pour nos témoins.

Si vous voulez discuter de la motion tout de suite, comme j'ai plusieurs questions, les travaux du comité seront retardés indûment. Je vous en avise à l'avance.

Le président: On peut en discuter après l'audition des témoins, monsieur de Savoye. Cependant, j'ordonne qu'on prenne le vote sur cette motion aujourd'hui même. On ne peut le retarder plus longtemps. Il n'y a plus d'argent dans la caisse.

C'est très bien de poser toutes sortes de questions, mais je pense qu'à un moment donné... L'autre jour, on a attendu, on vous a écouté et on a remis la question à plus tard. Aujourd'hui, vous demandez encore le renvoi de la question. Je veux bien attendre jusqu'à la fin des travaux de la journée et demander aux membres du comité de rester ici. Toutefois, je peux vous assurer qu'on n'en discutera plus après aujourd'hui. Le vote sera pris aujourd'hui.

Si vous n'êtes pas d'accord, vous voterez contre le budget, mais il n'y a plus d'argent dans la caisse. Nous devons rembourser des témoins de leurs dépenses, et je ne peux pas laisser traîner cela indéfiniment.

Puisque vous avez des questions, ce sera fait plus tard et je vais demander aux députés de rester, mais je puis vous assurer que ce sera terminé aujourd'hui. Si on ne réussit pas à régler cela en une heure, on restera plus longtemps pour en finir. Ce sera fait aujourd'hui sans faute, d'une façon ou d'une autre.

Si on refuse le budget, on le refusera et, à ce moment-là, on en subira les conséquences, mais on ne peut attendre plus longtemps. La greffière me dit qu'il n'y a pas un sou dans la caisse aujourd'hui. Il faut être raisonnable. Il faut, à un moment donné, qu'on bouge, qu'on invite des gens. On doit payer leurs dépenses, et des chèques sont aujourd'hui en suspens parce qu'on ne peut pas adopter le budget. Je ne pense pas que ce soit raisonnable.

[Traduction]

Je vais reporter l'adoption du budget à la fin de la réunion. Je demande cependant aux députés de rester, afin que nous ayons un quorum.

[Français]

Je vais ouvrir la séance d'aujourd'hui. Nous allons commencer par entendre

[Traduction]

McNally Robinson Booksellers, représentée par Mme Holly McNally, propriétaire.

Avec l'aide de nos attachés de recherche, nous avons établi un ordre de comparution. Vous pouvez le constater, il y a de nombreux témoins; nous vous demandons donc d'être concis, afin que chacun d'eux ait la possibilité de prendre la parole et que les députés aient la possibilité de poser des questions.

Madame McNally.

Mme Holly McNally (propriétaire, McNally Robinson Booksellers): Merci, monsieur le président. Je tâcherai de faire de mon mieux.

Ce matin, mon associé, Paul McNally, et moi-même voudrions que nos observations portent en particulier sur la culture. Nous défendons la thèse selon laquelle les librairies sont d'un apport positif pour le Canada et pour la culture canadienne et que les librairies indépendantes sont liées les unes aux autres par une chaîne culturelle, interrégionale, qui traverse tout le pays. Après tout, le Canada c'est la culture des régions.

Il s'agit d'une chaîne culturelle qui propose la diversité. Ce sont des centaines de librairies différentes, qui offrent des choix culturels multiples aux Canadiens. Cette chaîne représente des librairies fermement ancrées dans leurs collectivités locales, où elles portent une attention très particulière aux lecteurs, aux écrivains et aux éditeurs de la région. Il s'agit d'une chaîne très différente de la mégachaîne nationale, Chapters, qui offre la monoculture de la grande entreprise et qui est gouvernée par un siège social situé ailleurs.

Nous sommes de la région des Prairies. McNally Robinson a des magasins à Winnipeg et à Saskatoon. Nous sommes de bruyants partisans de la culture des Prairies. Notre mandat est de promouvoir vigoureusement les écrivains de notre région, et nous nous en acquittons avec enthousiasme et conviction. Dans nos magasins, nous offrons des occasions de lectures publiques et de lancements de livre à plus de 400 auteurs par année. Près de 99 p. 100 de ces auteurs sont des Canadiens, et 85 p. 100 de ces auteurs sont des Prairies.

En 1987, nous avons fondé la tradition des prix littéraires du Manitoba. Nous continuons à commanditer, tous les ans, trois grands prix accordés à des écrivains du Manitoba. Nous transmettons au Winnipeg Free Press un palmarès hebdomadaire des livres les plus vendus, palmarès qui est truffé de noms d'auteurs locaux, au ravissement de ces derniers, parce qu'ordinairement ils ne se retrouveraient sur aucune liste des meilleures ventes, quelle que soit l'importance de leurs ventes régionales.

À l'intention du réseau de bibliothèques locales, nous produisons un catalogue des livres les plus en demande, ce qui permet aux bibliothèques d'éviter les listes où dominent les titres américains au profit de listes de titres plus canadiens et, pour la première fois, de titres régionaux. Nous produisons des bulletins de nouvelles mensuels, qui font la promotion des auteurs locaux et des événements où ils seront présents. Ces bulletins sont envoyés à 17 000 foyers. Nous en faisons autant sur notre site Web, dont une partie est consacrée en permanence aux écrivains de la région des Prairies.

• 1115

Dans nos magasins, une partie de l'étalage est réservée aux livres régionaux. Il y a un libraire sur les lieux, pour s'occuper des centaines de livres publiés à frais d'auteur, comme cela se produit lorsque les éditeurs manquent d'argent, chose qui semble arriver couramment au Canada, surtout pour l'édition régionale. Il existe toute une industrie régionale de publication à compte d'auteur, qui vient combler cette lacune. Il y a beaucoup de voix qui demandent à être entendues, et nous nous associons volontiers à elles, permettant assez souvent que les oeuvres de ces auteurs se retrouvent sur la liste des meilleures ventes de notre ville.

Nous faisons également de l'édition nous-mêmes, et nous avons produit un livre sur Winnipeg, à l'époque où personne d'autre n'en publiait. Nous allons le mettre à jour cette année. Nous faisons cela avec les fonds de McNally Robinson, pas avec des subventions. Nous en faisons autant avec des livres pour enfants.

Voici donc l'essentiel de mon message: c'est à ce travail que nous nous consacrons. C'est ce que font les libraires indépendants quotidiennement, dans leurs magasins, partout au Canada. Si nous donnons l'impression de chanter nos propres louanges, eh bien tant mieux, parce que le Canada est une culture des régions et que les librairies indépendantes contribuent à l'essor des cultures régionales ainsi qu'à un véritable et important resserrement du tissu intellectuel de notre pays. Et j'ai tenu à vous dire comment nous le faisons.

Je cède maintenant la parole à mon mari, Paul.

Le président: Paul.

M. Paul McNally (McNally Robinson Booksellers): J'ai vu un exemplaire du mémoire de Chapters, et j'ai remarqué qu'une des grandes rubriques qui y figure fait écho aux observations de Holly. On y dit que les librairies sont une bonne chose pour le Canada et pour la culture canadienne, bien que l'on tienne à bien préciser que Chapters est une bonne chose pour le Canada. C'est d'ailleurs une rengaine que chantonne Chapters depuis sa création. Cela a permis aux gens de Chapters de se présenter à Ottawa et d'adresser des demandes très précises au gouvernement canadien. Règle générale, ces demandes ont été exaucées.

Tout d'abord, en 1994, Chapters a demandé avec insistance que Borders Books and Music ne puisse pas accéder au marché canadien de la vente de livres au détail. À partir du moment où le gouvernement canadien a accédé à cette demande générale, il n'était plus question que Barnes & Noble s'installe au Canada, ce qui signifiait que les libraires canadiens avaient les coudées franches pour rester Canadiens et continuer à s'approvisionner en livres auprès d'éditeurs canadiens. Chapters, qui est, de loin, le plus grand réseau de librairies du Canada, a été le principal bénéficiaire de cette politique et de cette décision.

Lorsque Coles et Smiths ont décidé de fusionner pour devenir Chapters, la direction générale des fusions et de la concurrence a constaté qu'ils devenaient une force dominante, qu'ils semblaient avoir la mainmise sur 50 p. 100 du marché, même s'ils ne prétendaient n'avoir que 16 p. 100 du marché. Le Bureau de la concurrence a tenu à préciser que leur part du marché était bien plus élevée que cela, et qu'elle se rapprochait de ce que l'on pourrait appeler la zone dangereuse.

Chapters a déclaré: «Nous devons avoir une chaîne canadienne de librairies, pour ne pas permettre aux chaînes américaines d'avoir la mainmise sur le marché canadien.» Les gens de Chapters ont encore une fois prétendu que si nous n'acceptions pas Chapters, nous allions devoir accepter les librairies américaines. Cet argument leur a donc permis d'obtenir, en quelque sorte, un marché protégé, libre de toute concurrence américaine. Ils ont obtenu la permission d'avoir une part dominante du marché.

Cette situation nous dérange vraiment. Je voudrais vous dire pourquoi, en me basant sur deux arguments distincts. Premièrement, nous ne croyons pas que Chapters ait été une bonne chose pour le Canada parce que Chapters s'est systématiquement occupé d'éliminer les libraires indépendants du pays. À Vancouver, Duthie Books est passé de dix magasins à un seul, de taille réduite. À Calgary, Sandpiper a disparu. À Toronto, Britnell a disparu. À Winnipeg, il y avait une adorable petite librairie qui s'appelait Heaven Book and Music (livres et musique du paradis). Et voici la métaphore: lorsque Chapters vient dans votre ville, le paradis ferme ses portes.

Chapters est une bien mauvaise chose pour la culture canadienne parce qu'elle détruit la toile qui liait les magasins indépendants dont Holly vient de vous parler. Bien sûr, Chapters prétend qu'elle remplace ce réseau par un autre qui accorde une tout aussi grande importance à la culture canadienne. Pour vous montrer, par un seul exemple, comment cela est faux, je précise que lorsque Chapters a ouvert trois magasins à Winnipeg, faisant passer le marché du livre de cette ville de 70 000 pieds carrés d'étalage à plus de 120 000, elle a ajouté 85 000 pieds carrés d'étalage dans un marché qui ne comptait antérieurement que 70 000 pieds carrés.

• 1120

Chapters a publié dans les journaux des annonces couvrant des pages entières où elle faisait la réclame de la programmation littéraire, des lancements de livre et des lectures publiques à venir. Pendant les trois ou quatre premiers mois de son existence, il y a eu une floraison de ces types d'activités. Toutefois, dès que la fièvre de l'ouverture des magasins est retombée, Chapters a tout simplement arrêté. Elle a reconnu à demi-mots ne pas très bien réussir à présenter ces événements.

Comme le dit Holly, nous organisons environ 400 lectures publiques et lancements de livre par année. D'après ce que je vois dans le Winnipeg Free Press toutes les semaines, Chapters en organise peut-être de 20 à 25, avec trois grandes surfaces dans la ville de Winnipeg. Elle détient environ 75 p. 100 du marché de vente de livres au détail de Winnipeg, et elle présente environ 10 p. 100 de la programmation littéraire ou moins. Sa prétention d'être le grand partisan de la culture canadienne et des auteurs canadiens est, du moins à Winnipeg, pure fanfaronnade.

Le président: Pouvez-vous conclure, afin que d'autres puissent avoir la possibilité de parler?

Mme Holly McNally: Nous craignons que les prix canadiens n'augmentent parce que les éditeurs doivent bien trouver le moyen de faire leurs frais. Nous nous inquiétons du manque de diversité des oeuvres parce qu'elles seront choisies par un nombre de personnes qui va en diminuant et, pire encore, nous craignons que certains livres ne réussissent pas à se faire publier si Chapters ne veut pas les commander. Nous nous inquiétons de leurs demandes insatiables d'allocations pour étalage et de fonds coopératifs, parce que les indépendants n'auront pas une part de cet argent pour former des associations avec des éditeurs en vue de promouvoir les auteurs canadiens et d'organiser les événements que nous aimons tant, ceux qui mettent en vedette des auteurs canadiens.

Nous craignons d'être obligés de nous approvisionner chez notre concurrent, Pegasus, qui appartient à Chapters à hauteur de 82 p. 100. Nous craignons les plans grandioses d'expansion visant à construire encore plus de magasins à Saskatoon, où nous exploitons un grand magasin et où il y a cinq libraires indépendants. Chapters veut construire une librairie de 40 000 pieds carrés, alors que la population de Saskatoon ne compte que 190 000 habitants.

Nous craignons que Pegasus, avec sa voracité en oeuvres stockées, n'avale tout rond les nouveaux titres canadiens à mesure qu'ils sont publiés et qu'elle les thésaurise dans son entrepôt, ce qui nous contraindra à les acheter chez eux pour pouvoir les mettre en vente.

Nous vous demandons donc de protéger les Canadiens contre l'augmentation des prix des livres canadiens. Ils sont déjà assez coûteux. Ne nous forcez pas à acheter nos livres chez notre principal concurrent pendant que, simultanément, il nous dame le pion sur le marché du livre. Ne permettez pas l'érosion encore plus marquée de cette chaîne culturelle en permettant que s'installent dans nos villes des magasins de 40 000 pieds carrés dont personne n'a besoin.

Nous vous demandons d'interrompre l'expansion de Chapters-Pegasus pendant un certain temps. Nous vous demandons d'empêcher les accords de distribution exclusive qui ont des effets néfastes sur les libraires indépendants et d'en suspendre l'application provisoirement.

Merci.

Le président: Merci, madame McNally.

Nous avons six autres témoins à entendre. Je vous prie donc d'être concis. Je donne maintenant la parole à Mme Sally Hawkes, qui représente The Independents.

Mme Sally Hawkes (directrice, The Independents): Merci. Monsieur le président; mesdames et messieurs, bonjour.

Permettez-moi d'abord de remercier le comité de donner aux libraires indépendants l'occasion de venir aujourd'hui vous présenter leurs préoccupations et de répondre à vos questions éventuelles. C'est un privilège que nous apprécions.

Il est également pertinent de signaler qu'au moment où nous comparaissons devant vous, une autre petite librairie indépendante s'apprête à mettre fin à ses opérations. Au moment même où je vous parle, Odyssey Books à Kanata, à peine à quelques milles d'ici, et un magasin parent, rue Albert, s'apprêtent à bientôt fermer leurs portes de façon permanente. En qualité de membre de la communauté des libraires d'Ottawa et d'ex-directrice de The Independents, groupe de marketing constitué par des libraires de l'est de l'Ontario il y a cinq ans pour contrebalancer l'impact des magasins Chapters sur notre marché, je suis une fois de plus attristée de voir disparaître un autre membre de notre organisation.

La perte d'une autre bonne librairie ne peut que montrer la nécessité de souligner les difficultés auxquelles font face les détaillants indépendants du Canada. L'érosion des librairies de quartier du fait de la présence de Chapters, la profonde réduction des prix exercée par les magasins-entrepôts et l'intégration verticale de Chapters et de Pegasus menacent notre existence même.

De nouvelles technologies ont entraîné de vastes changements dans notre industrie à tous les niveaux de fonctionnement, du simple passage à des systèmes informatisés de contrôle des stocks aux nouveaux services de commerce électronique qu'offrent beaucoup de nos magasins membres. Les nouvelles technologies nous ont permis d'offrir de meilleurs services aux clients, d'améliorer nos communications tant avec nos clients qu'avec nos fournisseurs et de nous proposer de nouveaux défis à relever dans l'optique d'une croissance future.

La nouvelle technologie est également assortie de ses propres problèmes. Les coûts de démarrage et les frais continuels d'entretien peuvent être prohibitifs. Et à vrai dire, nous sommes des libraires, pas des ingénieurs électriciens, sans compter que le perfectionnement et la formation coûtent également très cher.

• 1125

Les libraires canadiens indépendants font également face à des difficultés croissantes à cause de l'expansion continuelle de Chapters et son intégration verticale avec le groupe de grossistes Pegasus. Comme indépendant, je n'ai aucune relation avec Chapters et je n'en ressens pas le besoin. Chapters est tout simplement mon concurrent.

Je ne vais pas passer de commandes chez Pegasus puisque cela nuirait tout à fait à la survie de ma propre entreprise. En faisant affaire chez Pegasus, je donnerais accès à cette entreprise à des renseignements exclusifs sur mon magasin, au profil de ma base de clients ainsi qu'à des renseignements sur la façon dont je paie mes comptes et contrôle mes finances. Quoi qu'ait dit M. Zook ici jeudi dernier, je ne peux jamais m'attendre à un traitement juste et équitable de la part de Pegasus lorsque cette entreprise a déjà une relation privilégiée avec Chapters.

Dans le monde réel assujetti à l'offre et à la demande, est-il probable que des ressources rares ne soient pas attribuées tout d'abord au client le plus important? Comme mère de deux enfants, je vais toujours nourrir mes propres enfants affamés avant ceux de mon voisin.

L'existence même de Pegasus et les immenses stocks qu'elle doit tenir pourraient tout simplement m'empêcher de mettre des livres canadiens dans les mains de mes clients.

La semaine dernière, M. Stevenson a comparu devant vous et a demandé, encore et encore, la preuve que le refus de Chapters d'acheter un livre signifiait que ce titre n'était pas publié. Il vous demande de faire la preuve à rebours, ce qui évidemment est impossible. Je ne saurais vous montrer ce livre. Il n'a tout simplement pas été publié.

Je peux par contre vous dire que le refus de Chapters de vendre tel ou tel livre a peut-être nuit à la mise en marché de ce livre et en a fort probablement fait augmenter le prix. Des prix plus élevés et un tirage plus faible signifient moins de lecteurs, une moins grande disponibilité dans les bibliothèques publiques partout au pays et des redevances inférieures pour les auteurs.

Nous comptons sur le gouvernement du Canada pour qu'il se porte à la défense des intérêts des libraires canadiens indépendants. Premièrement, nous demandons que soit abolie le plus tôt possible la TPS sur les livres. Avec les merveilleux excédents que M. Martin nous a annoncés justement dans son budget hier, nous pourrions maintenant nous attendre à ce que les livres soient exemptés de cette taxe.

Nous demandons également que le ministère du Patrimoine canadien consente un financement amélioré et à long terme a des secteurs tels que les nouvelles technologies, la commercialisation des auteurs canadiens et de leurs livres, des promotions ciblées de la Journée du livre et un financement d'accès facile pour les projets de commercialisation à l'échelle locale et en magasin. C'est certes très facile à faire en créant un programme parallèle au programme de développement de l'industrie du livre. Ce serait là une mesure de relance extrêmement efficace pour toute notre industrie et une telle initiative répondrait aux besoins des Canadiens de toutes les régions du pays, qu'il s'agisse de nos clients, de nos fournisseurs ou de nos auteurs.

Les libraires indépendants sont disposés à travailler ensemble et sont en mesure de le faire afin d'établir un marché compétitif. Nous comptons que notre gouvernement reconnaîtra le déséquilibre actuel que provoque Chapters en nous donnant l'occasion de réunir un grand nombre de gens d'affaires indépendants. Il nous faut du temps et il faut que notre gouvernement intervienne avant qu'il ne soit trop tard.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, madame Hawkes.

Monsieur Nicholas Hoare, de Nicholas Hoare Ltée.

M. Nicholas Hoare (président, Nicholas Hoare Ltée): Monsieur le président, j'aimerais vous donner un exemple concret de ce que nous, comme groupe dans ce pays, vivons au quotidien—je pense d'ailleurs que l'analogie évidente est très claire.

Le Canada représente 7 p. 100 du marché américain. Le pays tout entier a essentiellement le même poids que l'État de la Californie. Nous sommes du menu fretin dans un très grand étang. Afin de mettre la main sur nos livres, il nous faut payer rubis sur l'ongle dès l'annonce de la sortie d'un livre, ou renoncer à le vendre. Dans notre pays, où si le tirage est à 5 000 exemplaires, plutôt qu'à 50 000 à peine 40 milles au sud d'où nous sommes, nul besoin d'être un génie pour comprendre qu'une entreprise géante, de détail ou grossiste, ou de concert avec d'autres, peut faire des ravages quant au nombre d'exemplaires mis à la disposition de spécimens comme moi-même.

De plus, si le tirage est à 5 000 exemplaires et que 3 500 de ceux-ci ont été immédiatement réservés par un seul client, nul besoin là encore d'être un génie pour voir que les 1 500 exemplaires restants devront être répartis de nombreux clients d'un bout à l'autre du pays, avec pour résultat que si vous ne commandez pas immédiatement, vous ne recevrez pas le livre ou vous le recevrez dans six mois, si vous avez de la chance.

• 1130

J'exagère peut-être, et peut-être pas. L'exemple le plus évident, c'est l'éditeur canadien de renom, McClelland and Stewart, qui suit cette voie depuis des décennies et tout à coup se retrouve dans une situation extrêmement pénible parce que ses tirages n'ont pas changé, contrairement à ce qui est attendu de lui.

Poussons l'exemple un peu plus loin encore. Si ces 5 000 exemplaires sont essentiellement promis et qu'on est disons un mois avant Noël, c'est extrêmement difficile pour un secteur qui dispose d'un mois par année pour constituer son stock à temps pour vendre à sa clientèle, surtout si en janvier, après Noël, l'éditeur se fait couper l'herbe sous le pied par Chapters qui retire rapidement tous les exemplaires qui restent dans tous ses magasins pour les renvoyer à l'éditeur en demandant un remboursement alors qu'en fait nous aurions pu les vendre.

Nous sommes particulièrement inquiets non pas de notre propre situation, mais des répercussions pour les victimes innocentes qui se retrouvent autour de nous. Les éditeurs sont durement frappés et ont pris des mesures de leur propre initiative. Les imprimeurs sont durement frappés parce qu'ils envisagent avec horreur le spectre d'un très gros client qui ferait faillite à la suite d'une expansion excessive, les plaçant dans une situation délicate lorsque les éditeurs ne pourront pas payer leurs comptes. Nous sommes donc tous ensemble dans cette affaire. Ce que j'essaie de faire valoir, au risque d'abuser de votre patience, c'est que nous sommes dans une situation extrêmement pénible qui non seulement détruit les indépendants, mais menace gravement ceux qui restent.

Je vais terminer mes remarques en disant simplement qu'au cours de la seule dernière année, à la suite de ce que j'appellerais les absorptions, les grands éditeurs tels que Random House ont augmenté leurs prix de 40 à 55 p. 100 et Doubleday, de 40 à 52 p. 100, et General Publishing, de 50 à 60 p. 100, et pendant toute cette période notre dollar canadien s'est maintenu, face au dollar américain. Je dirais même qu'au Canada, alors que les prix augmentaient, indirectement, nos coûts ont diminué.

Il est important de noter qu'à cause de l'intrusion de Pegasus, monsieur le président—nous parlons purement et simplement de Pegasus et de Chapters ici ce matin—, les éditeurs n'ont pas jusqu'à présent été prêts à suivre les mouvements et à réduire leurs prix proportionnellement au coût du dollar américain. Par conséquent, je me trouve en l'an 2000 obligé de vendre un livre de poche de 9,95 $—acheté en dollars américains aux États-Unis à 9,95 $—à 16 $CAN l'exemplaire si je me le procure chez General Publishing. Pour moi, c'est inéquitable, c'est absurde et c'est tout à fait injustifié.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Hoare.

Madame Wedler, de Inside Story Bookstore.

Mme Anne Wedler (propriétaire, Inside Story Bookstore): Merci.

Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs du Comité du patrimoine canadien. J'aimerais vous remercier de m'avoir invitée à vous adresser la parole ici aujourd'hui.

Je m'appelle Anne Wedler et avec mon mari, je suis propriétaire de trois petites librairies rurales en Nouvelle-Écosse. Nous vendons des livres depuis plus de 15 ans et nous avons investi tout notre temps, nos efforts et nos ressources à établir notre entreprise. Ce que nous faisons nous passionne. C'est notre vie et notre gagne-pain. Nous sommes établis dans une communauté et nous sommes axés sur cette petite ville. Nous avons un rayon bien garni de livres régionaux sur la Nouvelle-Écosse et nous sommes heureux de faire la promotion de tous les auteurs régionaux.

J'ai couché mes pensés sur papier pour vous aujourd'hui et le document vous sera distribué après la réunion. Il s'agit des réponses aux questions que vous nous aviez demandé de couvrir. J'ai également fourni une traduction française. Elle n'est pas parfaite, mais nous avons fait de notre mieux. Dans ce document, je parle des chaînes, plus particulièrement de Chapters mais aussi de Costco.

Les libraires canadiens indépendants font face à de nombreux défis, qu'il s'agisse de l'établissement des prix et de l'accès aux stocks, des conditions de distribution, de la TPS, d'escomptes importants, de perception publique et d'attentes accrues. En Nouvelle-Écosse, nous faisons encore une fois face à la possibilité que l'on impose la TVH sur les livres ce qui nous rendra tout à fait incapables de nous mesurer à la concurrence dans notre propre pays.

• 1135

Au cours des seules cinq dernières années, nous avons été témoins d'une évolution rapide dans le domaine de la technologie avec l'Internet, le commerce électronique et la concurrence mondiale. Le changement est synonyme de l'avenir dans l'industrie du livre et de l'évolution des livres électroniques et de la publication sur demande.

Vous demandez que peut faire le gouvernement du Canada. Normalement, je dirais que le gouvernement ne doit pas s'ingérer dans les affaires. Les entreprises peuvent en général s'en sortir seules. Comme dans la nature, il y a des cycles dans les affaires. La nature survit aux inondations et aux feux et le terrain se remet en état. La nature est une unité équilibrée.

Toutefois, il y a déséquilibre dans le monde de la vente au détail des livres au Canada. Il y a un déséquilibre lorsqu'un seul joueur contrôle le marché et donc l'accès au produit et influence les décisions sur la publication et la réimpression. Il y a un déséquilibre lorsqu'un titre canadien est épuisé chez l'éditeur et le grossiste, mais s'accumule dans une chaîne de magasins. Il y a déséquilibre au niveau du commerce au sein de l'industrie même. Il y a un grand déséquilibre lorsque notre concurrent n'est pas indépendant face à Pegasus. Pegasus comme grossiste peut devenir notre fournisseur et nous ne voulons pas être forcés d'acheter chez notre concurrent.

Il faut régler les questions de domination du marché et de monopole. Un milieu sain stimule la concurrence et un déséquilibre au niveau des escomptes et des conditions des transactions peut entraîner la fermeture d'une entreprise. Sans concurrence loyal dans le marché, les prix augmenteront sans contrôle. Le consommateur sera l'ultime perdant. En ce qui concerne le gouvernement, vous pourriez contrôler les prix, les escomptes, et les conditions. Il faut une égalité des chances à l'intérieur du pays.

Il faut surtout faire le promotion des auteurs canadiens. Voilà la source de tous nos revenus. Auteurs, éditeurs, détaillants, lecteurs, tous en profiteront. Encouragez la publication des meilleurs au pays en établissant des normes d'excellence, soit par jury ou en imposant des normes de sélection strictes. Encouragez la diversité régionale au pays; cela fait partie de notre patrimoine.

Il faut soit instaurer le transport-marchandises gratuit ou avoir un tarif pour les livres. Les tarifs ne devraient pas être exemptés à partir de Toronto.

Éliminez la TPS sur les livres, ce qui avantagera le consommateur, les étudiants et en dernière analyse, les lecteurs.

Ne nous forcez pas à nous approvisionner chez notre concurrent. Le projet de loi C-32 pourrait nous forcer à le faire.

Adoptez une loi qui oblige les fonds publics à demeurer à l'intérieur du Canada afin de stimuler notre économie, pour qu'ils ne soient pas aspirés par l'Internet et les Américains et les techno-ventes traditionnelles. Aidez à protéger et à encourager la vente au détail des livres canadiens. N'ouvrez pas les portes aux géants américains du détail.

N'utilisez pas nos deniers publics ou des lois pour renflouer nos concurrents lorsqu'ils font faillite. On n'a pas renfloué les victimes indépendantes canadiennes du rouleau compresseur qu'est Chapters.

Merci.

Le président: Merci, madame Wedler.

Monsieur Christopher Smith.

M. Christopher Smith (propriétaire, Collected Works; The Independents): Monsieur le président, mesdames et messieurs du comité, c'est un grand honneur que d'être ici aujourd'hui pour vous adresser la parole.

Je suis le propriétaire d'une petite librairie indépendante ici à Ottawa qui a ouvert ses portes il y a à peine trois ans. J'ai ouvert mes portes après l'arrivée de Chapters sur la scène et donc de nombreuses façons, je n'ai pas le même point de vue que mes collègues ici. Néanmoins, je dois dire qu'exploiter une petite librairie axée sur la communauté est aujourd'hui une lutte constante. L'époque des vaches grasses est certainement révolue.

Je suis également le directeur intérimaire de The Independents que Sally Hawkes a créé avec Paul King il y a cinq ans.

Je partage l'avis de tous mes collègues que les libraires indépendants sont le pivot central de la dimension culturelle de l'édition du livre et de la lecture au pays. Nous organisons des activités dans notre magasin, et nous essayons de mettre l'accent tout particulièrement sur les poètes et les auteurs canadiens à petit tirage. J'aimerais notamment voir votre comité s'assurer que nous préservons la diversité culturelle de ce pays à la base.

J'aimerais tout particulièrement aborder la question de la consolidation des fournisseurs et des distributeurs. Par exemple, Bantam et Random House ont été rachetés par Bertrlsmann et fusionnées. Cela a des retombées dans la mesure où il y a de moins en moins de représentants de vente dans ce domaine, en partie à cause de Chapters.

• 1140

Chapters est maintenant le plus gros client de la plupart de nos principaux fournisseurs. En outre, Chapters a provoqué la disparition de plusieurs indépendants. Cela signifie qu'il leur faut réduire leur personnel de vente. À leur avis, il n'est pas nécessaire d'avoir des représentants sur place pour leurs livres parce que l'entreprise peut s'en tirer avec un directeur national des ventes qui se rend au bureau chef de Chapters ou de Pegasus et déjà la vente de la moitié du tirage est assurée.

Cela nous laisse dans une situation très injuste. Nous n'avons pas accès de la même façon aux auteurs qui sont en tournée. Nous n'avons pas le premier choix. Souvent, nous entendons parler de titres après leur parution au lieu d'avant. Nous n'avons pas d'interaction, face à face, avec nos fournisseurs comme par le passé. J'aimerais que l'on se penche sur cette question.

Merci beaucoup.

Le président: Merci, monsieur Smith.

De la Atlantic Provinces Booksellers Association, M. Charles Burchell.

M. Charles Burchell (propriétaire, The Book Room; Atlantic Provinces Booksellers Association): Bonjour mesdames et messieurs. Je vous remercie sincèrement de m'avoir invité ici aujourd'hui.

Cette table ronde est très importante. Pour moi, la réunion est très importante car le résultat pourrait constituer la différence entre être acculé à la faillite et être en mesure de continuer la tradition de la plus ancienne librairie au Canada. The Book Room vient de fêter son 160e anniversaire.

Je suis le président et directeur du magasin et j'y travaille depuis 32 ans. Je suis président sortant de la Atlantic Provinces Booksellers Association et j'ai été administrateur pendant 13 ans, des années 60 et au début des années 80, de la Canadian Booksellers Association. Je viens d'être réélu directeur de la CBA pour un mandat de deux ans.

L'une des questions que vous nous avez demandée, c'était le genre de rôle que nous voulons voir assumer par le gouvernement du Canada afin de servir les intérêts des auteurs, des lecteurs et des détaillants canadiens.

D'abord, il faut briser la domination insupportable du marché de Chapters d'une façon ou d'une autre afin de permettre aux entreprises indépendantes d'avoir la possibilité de survivre. Offrez un programme de commercialisation ou de promotion aux libraires indépendants afin de promouvoir les auteurs canadiens en fournissant le financement nécessaire pour tenir de tels événements. Je le répète, abolissez la taxe sur les livres. Mettez en place un programme qui force les bibliothèques publiques et les institutions à acheter leurs livres de libraires accrédités dans leur région et au véritable prix de détail suggéré. Comme vous le savez, le Québec l'a fait et je suis convaincu que c'est un des principaux éléments qui a permis aux libraires indépendants de demeurer viables. On devrait faire la même chose pour le reste du pays. Nous n'aimons pas voir nos deniers publics aller vers le sud et je suis persuadé que vous ne le souhaitez pas non plus.

Nous aimerions également que les règles du jeu soient uniformes dans tous les domaines, notamment pour les conditions d'achat. Pourquoi ne pouvons-nous acheter des livres au même prix?

En ce qui concerne les conditions de paiement, pourquoi recevrons-nous un appel du représentant d'un éditeur nous demandant pourquoi la facture n'est pas payée après 61 jours, alors que Chapters et Pegasus, par exemple, ont probablement obtenu 120 jours ou plus?

En ce qui concerne maintenant la publicité, comment se fait-il que les libraires indépendants de ce pays ne soient pas traités comme Chapters par les éditeurs?

Vous savez par ailleurs que de nombreux magasins de Chapters, ou affiliés, facturent l'éditeur lorsqu'un livre est présenté en bout d'étalage, ou en bout d'allée. Nous avons nous aussi des présentoirs en bout d'étalage, mais nous ne facturons rien de spécial. Apparemment, les éditeurs n'ont pas toute la marge de manoeuvre voulue pour offrir ce même avantage aux libraires indépendant. On sait également que Chapters se fait payer pour présenter un livre sur l'étagère avec la jaquette entièrement visible pour le client. Nous estimons que les libraires indépendants devraient eux aussi pouvoir être indemnisés pour ce genre de présentation des livres.

• 1145

Ce qui me paraît le plus important, c'est que l'on ait un règlement qui fera en sorte que mes concurrents, Pegasus et Chapters, ne deviennent jamais, au grand jamais, mes fournisseurs. Si le gouvernement tolérait ce genre de choses, le projet de loi C-32, qui vient juste d'être adopté, devrait être modifié pour permettre aux libraires canadiens de s'approvisionner aux États-Unis. Pour le moment ce n'est pas ce que nous souhaitons, mais si rien n'est fait, nous risquons de ne pas avoir le choix.

De nombreux livres sortant de l'ordinaire que les libraires indépendants, au titre de leur effort de promotion culturelle, arrivent à se procurer pour leurs clients qui les demandent ne seront pas offerts de cette façon dans les magasins-entrepôts, qui n'ont pas aussi facilement accès à ces petits éditeurs inconnus. Il est fréquent qu'un client nous demande de commander un livre de caractère assez inhabituel, et que nous apprenions au cours de la conversation qu'il a essayé de le faire commander chez Chapters, pour se faire dire que le livre était épuisé. Lorsque nous consultons nos propres sources, nous constatons au contraire que le livre est disponible, et sommes alors en mesure d'en passer la commande. Cela est donc l'indication que les bases de données et sources d'information de Chapters ne couvrent pas tout l'éventail des livres disponibles en anglais que la plupart des libraires indépendants peuvent obtenir. Cela permet de conclure que les magasins comme Chapters desservent un marché très limité. Il y a beaucoup de livres disponibles que les clients demandent, et que seuls les libraires indépendants qui sont prêts à faire les recherches et qui ont les compétences pour cela, en même temps que les outils, peuvent obtenir. Et c'est en général ce qu'ils arrivent à faire pour leurs clients.

Ce genre de phénomène aura des répercussions très négatives, en Nouvelle-Écosse par exemple, sur l'activité des écrivains et des éditeurs locaux. Nous avons en Nouvelle-Écosse un secteur de l'édition et des belles-lettres tout à fait viable. Les magasins-entrepôts tels que Chapters ne sont pas équipés pour accommoder ce secteur. D'ailleurs, ils ne le désirent pas. Ils n'ont pas envie de s'occuper d'un auteur local qui a écrit un livre dont il aimerait laisser en dépôt deux ou trois exemplaires au magasin. C'est précisément le créneau des libraires indépendants. Nous acceptons ces livres, nous les rangeons sur nos rayons, et nous les mettons sur nos présentoirs exactement comme les autres. Il arrive parfois que ces écrivains se mettent à prendre plus d'importance et à beaucoup écrire, mais si le libraire indépendant n'est pas prêt à accueillir leurs premiers livres et à les mettre en vitrine, ces auteurs ne perceront pas et ne réaliseront jamais leur rêve.

Chaque Noël voit son arrivage de best-sellers. Dans notre librairie, ce sont en général les livres d'auteurs locaux qui réalisent le meilleur chiffre de vente. Nous sommes heureux de pouvoir apporter notre soutien à ces auteurs, en même temps qu'à leurs éditeurs. Si nous n'étions pas là, il n'y aurait personne pour le faire. Et cela ne changera pas. Pourtant voilà des livres qui sont riches en information historique et connaissances diverses, et il est fort probable qu'ils ne seraient jamais édités à l'échelle nationale si les libraires indépendants disparaissaient.

Merci de m'avoir consacré une partie de votre temps. Je répondrai volontiers à vos questions.

Le président: Merci, monsieur Burchell.

[Français]

Nous accueillons maintenant le vice-président de l'Association des libraires du Québec, M. Ghislain Chouinard.

M. Ghislain Chouinard (vice-président, Association des libraires du Québec): Monsieur le président, mesdames et messieurs du comité permanent, je vous remercie d'offrir à l'Association des libraires du Québec cette occasion de présenter son point de vue sur le marché du livre au Canada.

Même si on a souvent tendance à penser que le Québec est une autre planète parce que la langue y est différente et que les livres qui y sont vendus proviennent d'éditeurs différents, j'aimerais faire ressortir une chose très importante: nous vivons exactement la même situation que celle des libraires indépendants anglophones. Nous faisons face à une concentration de la distribution; nous vivons dans un marché occupé par une seule mégachaîne. On peut dire que, dans notre cas, ce marché est bipolaire, mais ce n'est sans doute qu'une question de temps avant qu'il devienne unipolaire. Nous nous trouvons exactement dans la même situation. Dans votre cas, cela s'appelle Chapters; chez nous, cela s'appelle Renaud-Bray et Champigny. Donc, la situation est à peu près la même.

• 1150

Depuis trois ans, entre 1997 et 1999, 38 librairies indépendantes ont fermé leurs portes dans la province de Québec. Alors, quand on vous dit que c'est différent, ce n'est pas vrai. Sur le plan de la concentration, certains effets sont les mêmes, en particulier en ce qui a trait aux remises. Je reprends ce que M. Burchell disait tout à l'heure.

Au Québec, un décret oblige les bibliothèques à acheter leurs volumes dans un réseau de librairies agréées, qu'elles soient indépendantes ou non. Cependant, il existe quelque part un distributeur qui intègre verticalement une chaîne de librairies, ce qui procure à ces dernières divers avantages, entre autres des surremises. Ces avantages sont carrément déloyaux envers les libraires indépendants.

Il y a donc concentration et c'est exactement la même situation. Cela, c'est en attendant que Chapters débarque chez nous. C'est un secret de Polichinelle, en effet, qu'ils seront certainement intéressés par le marché du Québec et du volume français. Donc, à brève échéance, dans notre cas, nous aurons trois grandes chaînes au lieu d'une seule.

Je vous dirai que la principale préoccupation du libraire indépendant, actuellement, c'est la concentration et le fait que son concurrent, à côté de lui, est à même de savoir ce qu'il a acheté, quel est son chiffre d'affaires, quelle est sa façon de fonctionner et quel est son marché.

Pour ma part, je suis dans une région protégée par la Loi D-8.1. Mon concurrent, qui est de l'extérieur de la région et fait partie de ce groupe, sait exactement le chiffre d'affaires que représentent les ventes aux bibliothèques dans ma région. Il n'a donc pas besoin d'attendre longtemps les résultats d'une étude de marché; il n'a qu'à consulter ces chiffres de vente chez moi pour savoir exactement quand venir s'établir et où se trouve l'emplacement optimal où s'établir.

On parle aussi de l'incidence de l'implantation des nouvelles technologies. Dans notre cas, leur incidence a été bénéfique en ce sens que nous nous sommes dotés d'une banque de données centralisée, d'une centrale de référence pour le Québec. Cette centrale fait la collecte des notices bibliographiques directement chez les distributeurs et les met à la disposition des librairies agréées. Cela facilite énormément nos recherches, de la même façon que chez les libraires anglophones, je pense.

L'apparition de l'autoroute de l'information a créé un outil de recherche qui a simplifié la recherche bibliographique. De ce point de vue, l'impact a été bénéfique.

En ce qui a trait au commerce électronique, le marché francophone d'Amérique du Nord étant trop petit pour que les acteurs majeurs—j'entends par là Amazon.com ou chapters.ca—viennent s'établir et commercer pour en tirer une rentabilité certaine, ce qui fait qu'à court terme, nous sommes un peu protégés. Je dis bien «à court terme» parce qu'il est évident qu'à partir du moment où les banques de données vont se développer et se démocratiser, ces joueurs auront intérêt à venir faire du e-commerce au Québec comme ailleurs.

Par contre, nous avons, à l'Association des libraires, un projet, qui est presque complété, de portail pour les libraires indépendants. Ce sera une librairie virtuelle qui regroupera tous les libraires indépendants sous un seul portail de commerce électronique et qui s'appellera La librairie virtuelle du Québec.

Je peux vous dire dès aujourd'hui que ladite librairie virtuelle sera probablement associée au portail de la CBA. À moyen terme, le projet sera d'avoir un grand portail représentant tous les éditeurs et libraires canadiens, qu'ils soient francophones ou anglophones. En union avec la CBA, on pourra arriver à en faire quelque chose de fort intéressant.

En ce qui a trait aux relations que nos types de librairies peuvent entretenir avec les grandes chaînes, je pense que je n'ai rien à ajouter à ce que mes collègues anglophones ont dit précédemment. On ne peut entretenir de véritables relations. Ce sont là des phénomènes de concurrence. Nous aimerions qu'ils soient fair, que cette concurrence soit loyale, que nous puissions jouer sur la même patinoire et, tout simplement, que nous ayons les mêmes conditions.

• 1155

Bien entendu, dans un contexte de concentration où les distributeurs deviennent toujours de plus en plus gros, où l'un acquiert l'autre et où leur nombre diminue toujours, ce n'est pas évident. Ce n'est pas facile. Il faut que les relations soient très bonnes, et c'est pourquoi un portail unique, un regroupement de libraires est tout à fait approprié.

Quant au rôle du gouvernement du Canada, il me semble intéressant. Dans les frais fixes de toute librairie, certains postes sont très importants, entre autres le transport. Le transport des livres au Québec coûte une fortune. Pour ce qu'il en est chez mes collègues anglophones, je l'ignore, mais chez nous, c'est un poste très important.

Lorsque le tarif des livres a été aboli à Postes Canada, on a créé le PADP pour trois ans. Cela nous a permis de pallier la disparition du tarif des livres. Pendant trois ans, nous avons eu des subsides pour nous aider à payer les transporteurs pour l'expédition de nos volumes. Cependant, c'était un programme triennal qui est maintenant terminé.

Pour ma part, et tous nos membres sont d'accord avec moi, je crois que le gouvernement du Canada fait bien peu, en réalité, pour aider directement les libraires et je pense qu'on a besoin de programmes comme le PADP.

Il y a le PADIE pour les éditeurs. On fait beaucoup pour les éditeurs, mais on fait très peu pour les libraires. De ce côté-là, il y aurait énormément de place pour un apport financier aux frais de transport, de promotion des produits canadiens, d'animation et de tout ce qui entoure une librairie.

En terminant, on a beaucoup parlé ici de la TPS sur les livres. M. Martin a déposé hier un budget qui se voulait tout à fait intéressant. Il y manquait, selon moi, juste une petite chose: l'abolition de la taxe sur les livres. Pour paraphraser un slogan de chez nous, qui contient un jeu de mots à peu près intraduisible malheureusement—et j'espère que l'interprète qui fait son travail derrière moi me pardonnera—, taxer les livres, c'est imposer l'ignorance.

Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Chouinard. Vous avez mentionné des éléments très importants qui vont nous donner beaucoup à réfléchir.

Nous allons terminer par la présentation de M. Peter Woolford, qui est vice-président principal aux Politiques, au Conseil canadien du commerce de détail.

[Traduction]

M. Peter Woolford (premier vice-président, Politiques, Conseil canadien du commerce de détail): Merci, monsieur le président. Comme l'ont déjà dit les personnes qui m'ont précédé ici, c'est un plaisir de pouvoir venir témoigner au comité. Nous apprécions beaucoup cette chance qui nous est donnée de pouvoir participer aux délibérations du comité.

Notre conseil est de façon très générale la voix du commerce de détail canadien. Nous sommes une association professionnelle financée par ses membres, dont nous représentons tout l'éventail des activités de vente au détail. Cela signifie donc que je suis ici pour représenter toute la palette de librairies existantes. Parmi nos membres nous comptons de grandes chaînes nationales spécialisées telles que Chapters. Nous avons également parmi nos membres des libraires indépendants, mais également des chaînes régionales de librairies. Il y a par ailleurs des détaillants qui vendent également des livres, mais pas uniquement, selon une formule de vente à grande échelle ou comme le font les grandes surfaces. Nous comptons encore parmi nos membres des détaillants pour lesquels le livre n'est qu'un à côté pour les autres produits qu'ils offrent dans leurs magasins.

Nous ne pouvons guère aujourd'hui faire mieux qu'aider le comité à y voir un peu plus clair dans cette forêt de tensions, pressions de toutes sortes et courants divers qui traversent le secteur de détail aujourd'hui. Voilà donc ce que j'aimerais faire pour le bénéfice du comité. Je parlerai d'abord de ces tendances et courants qui animent le marché de détail, puis je parlerai un petit peu des orientations de la chaîne des fournisseurs qui acheminent le produit jusqu'au niveau de détail sur le marché.

Je dirai d'abord que le marché de détail aujourd'hui est un champ de bataille, où la bataille qui se livre est particulièrement sanglante. On peut dire, sans hésitation, que le détail est devenu plus dur, plus compétitif depuis dix ou quinze ans. Il est clair que le client en a plus pour son argent, mais en échange les coûts de vente au détail et les marges ont été soumis à d'énormes tensions, alors que l'on investissait par ailleurs massivement dans les nouvelles technologies, ce qui a permis à la productivité de ce secteur de progresser.

• 1200

Toutes ces tensions s'expliquent par les conditions de plus en plus dures sur le marché, l'arrivée de nouveaux concurrents, une croissance faible du revenu individuel disponible et les formules nouvelles et plus efficaces que l'on voit aujourd'hui. Par ailleurs, le pouvoir des nouvelles technologies a transformé ce genre d'activités commerciales du strict point de vue de la productivité. Nous assistons à la multiplication des systèmes «points de vente», nous voyons se développer une commercialisation à partir de bases de données, et nous voyons les chaînes logistiques être gérées par l'intelligence artificielle.

Un des développements clé du commerce de détail depuis dix ans a été le passage à de nouvelles formules de vente. Le magasin-entrepôt, dont les libraires indépendants vous ont beaucoup parlé ce matin, se généralise dans de nombreux secteurs de détail. Nous avons également vu de grandes sociétés et chaînes de vente au détail spécialisées, parallèlement à d'autres formules de vente, faire figure de concurrents de plus en plus puissants. Cette montée en puissance vient des nouvelles économies d'échelle ainsi réalisées.

Les anciennes économies d'échelle se situaient essentiellement dans la phase production. La chaîne de production à l'usine permettait des gains marginaux de compétitivité en allongeant la durée de vie de la production et en augmentant les volumes. Ce que nous voyons maintenant au niveau du détail ce sont de nouvelles économies d'échelle résultant de l'investissement des capitaux, de la publicité, du marketing, du fonctionnement et de la gestion des magasins, des pouvoirs de négociation avec les fournisseurs et de la préférence du consommateur pour un nom connu. Pendant les années 90, dans de nombreux secteurs de détail, des parts de marché ont été enlevées aux petits détaillants par des groupes de taille moyenne et plus importante.

Le commerce de détail a toujours été—et je suis sûr que les libraires indépendants me donneront raison—un secteur très dur pour ceux qui veulent en vivre. Depuis toujours, le commerce de détail est une activité où un pourcentage important des entreprises sont en difficultés.

Si vous voulez vous reporter à notre site Internet, www.retailcouncil.org, nous y avons affiché une enquête, c'est-à-dire une recherche qui porte sur le commerce de détail de façon générale. Nous nous servons entre autres de chiffres de Statistique Canada sur la rentabilité. Pour l'ensemble des secteurs de détail, 30 à 40 p. 100 des groupes se retrouvent avec une perte nette chaque année. Vingt à 30 p. 100 des détaillants affichent un avoir négatif. Nous nous trouvons donc face à un secteur d'activité où le roulement est très rapide, et où de nombreuses entreprises font face à d'énormes difficultés économiques.

Et cela est vrai quelle que soit l'importance de ces détaillants. Si vous vous reportez dix ans en arrière, vous constaterez que nous avons assisté à la disparition de nombreux détaillants indépendants, et nous avons aussi vu disparaître des chaînes de taille moyenne, en même temps d'ailleurs que de grands noms au rayonnement national. Tout cela est le fait de l'apparition de ces nouvelles formules que j'évoquais, en même temps que de ces tensions dues à la concurrence.

La stratégie qui semble avoir réussi dans certains autres secteurs, pour les indépendants, est celle de la recherche d'une niche marchande. Nous avons vu des indépendants, aux prises avec ce genre de tensions dues aux nouvelles formules et aux nouveaux concurrents, s'orienter vers la recherche d'un créneau où ils peuvent être plus efficaces. On peut énumérer un certain nombre de points communs à ces sous-secteurs du détail: haute spécialisation dans le choix du produit—et je pense que les libraires indépendants de ce matin vous en ont parlé—, emplacement du magasin, connaissance précise et approfondie du marché, c'est-à-dire excellente connaissance du marché local, et venant s'ajouter à cela un service à la clientèle absolument superbe, adapté aux conditions locales, le service personnalisé. Voilà certaines des stratégies utilisées par ces détaillants.

L'autre chose qui nous arrive, et dont j'aimerais vous entretenir un petit peu, c'est le commerce au détail électronique, la vente par Internet. Je pense que cela va bouleverser profondément le commerce de détail, dans une mesure que nous ne pouvons pas encore apprécier. À cet égard, la vente de livres sera certainement un des secteurs les plus touchés. Cela a d'ailleurs démarré très rapidement, très largement en raison de la nature du produit lui-même, vendu en librairie ou ailleurs. Le consommateur canadien est capable de chercher le meilleur produit au meilleur prix, ce qui exerce des pressions énormes sur les détaillants classiques, quelle que soit leur taille. Cela vaut aussi bien pour les grandes chaînes nationales que pour les libraires indépendants, pour une compagnie qui se spécialise dans le livre que pour celle qui en vend parallèlement à autres choses.

Les deux coprésidents de la Table ronde sur les possibilités des affaires électroniques canadiennes, établie par le ministre Manley, ont très bien formulé l'alternative. Ou les entrepreneurs canadiens prendront l'initiative, ou ils prendront du retard. Je vais d'ailleurs citer David Pecaut et John Roth dans leur introduction au rapport:

    Le Canada se retrouve face à un choix. Nous pouvons profiter rapidement et pleinement de l'essor du commerce électronique, ou nous complaire dans notre modeste succès en risquant de prendre du retard sur d'autres économies plus avancées.

• 1205

Les membres du comité, et tout le secteur de détail, ne doivent pas sous-estimer le pouvoir de ce nouvel outil entre les mains du consommateur, lorsqu'il s'agit d'évaluer l'avenir de notre industrie.

Je vais vous parler un petit peu des tendances au sein de la chaîne d'approvisionnement du secteur de détail. Là encore, depuis 10 à 15 ans, les rapports ont été profondément remaniés. Les détaillants sont maintenant mieux placés que leurs fournisseurs pour savoir ce que veut le client, et le phénomène de concurrence au détail leur a donné les moyens d'obtenir de leurs fournisseurs ce qu'ils désirent. Voilà une nouveauté par rapport au passé.

Jusqu'ici les détaillants n'avaient d'autres possibilités que de présenter au consommateur ce que le fournisseur lui imposait. Ce qu'il y a de nouveau maintenant, c'est que dans de nombreux secteurs le détaillant fonctionne plus comme agent du client que du fournisseur. C'est-à-dire que le détaillant connaît son marché et transmet au fournisseur les desiderata du client. Il ne fait aucun doute que les détaillants ont imposé une réduction des coûts aux fournisseurs. Il suffit de se reporter aux articles de journaux là-dessus.

Il y avait, dans un des journaux d'hier, un article intéressant selon lequel les fournisseurs de l'industrie automobile sont eux aussi soumis à ces pressions résultant de l'utilisation de l'Internet: à savoir que les grands constructeurs d'automobiles contraignent leurs fournisseurs à revoir leurs prix et leurs produits. C'est donc le détaillant qui est en mesure d'imposer ses volontés au fournisseur. On voit également le détaillant travailler en partenariat avec le fournisseur, dans des domaines tels que la publicité de produits, les conditions spéciales de prix selon les modalités de présentation des livres, en bout d'étalage, etc., les coupons... Il y a, pour le détaillant, mille façons d'utiliser ce nouveau pouvoir qui lui vient du marché, pour instaurer avec son fournisseur une relation de longue durée.

De plus, le cybercommerce interentreprises est en train de retirer du système l'inventaire au prix de détail et les coûts de détail, et ce pour tous, à partir du fabricant jusqu'aux grossistes et aux détaillants; et qui plus est, il fait remonter dans la chaîne certains de ces coûts, de sorte que ce sont plus les fournisseurs que les détaillants qui doivent les assumer désormais.

Ces innovations technologiques commencent souvent dans les grandes entreprises, mais comme le signalait Mme Hawkes, elles ruissellent jusqu'aux détaillants indépendants relativement vite, même si cela peut poser de graves problèmes pour ces derniers qui doivent faire face à un milieu qui évolue rapidement. Les coûts peuvent être faibles au départ, mais le simple fait d'essayer de les cerner, de les gérer, de les utiliser intelligemment et pour faire face à la concurrence pose un défi énorme.

Je terminerai par ceci. Dans son ensemble, l'industrie du détail est un secteur passionnant, trépidant, où la concurrence est féroce. Il est difficile de faire de l'argent. Cette industrie est mue par des gens déterminés et intelligents qui ne font pas dans le sentiment lorsqu'il s'agit d'optimiser leurs investissements. La difficulté, c'est que ces gens sont justement nos clients.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Woolford.

Cette table ronde a été extrêmement introductive et intéressante pour les membres du comité. Nous passons donc maintenant aux questions des députés et nous commençons par M. Mark.

M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, Réf.): Merci, monsieur le président, et merci à tous nos témoins de ce matin.

Commençons par être optimistes. Je conviens avec vous que l'entreprise indépendante est sans aucun doute le fer de lance de notre nation. Je n'ai pas besoin de vous rappeler que 85 p. 100 de tous les emplois sont créés par l'entreprise indépendante. Chaque fois que des changements sectoriels nuisent à la petite entreprise, il y a de quoi se préoccuper.

M. Woolford a brossé un tableau exact de l'économie actuelle, en tout cas pour ce qui est de l'évolution de la technologie et du marché. À preuve, ce qui est arrivé à de grandes maisons, comme Eaton, l'année dernière.

Ce matin nous avons pointé du doigt Chapters et Pegasus; mais je me demande si ce phénomène et cette dynamique disparaîtraient vraiment si ces deux-là étaient absents du jeu, étant donné la présence d'Amazon et de grands magasins-entrepôts tels que Costco et Wal-Mart.

Le débat ne tournerait-il pas plutôt autour des changements qui surviennent dans la mise en marché et la technologie et autour de la capacité d'adaptation à cette évolution? Est-ce là où se trouve le débat?

Le président: Qui veut répondre? Monsieur McNally?

M. Paul McNally: Il faut quand même reconnaître que les avantages conférés à Chapters du fait—du moins en partie—qu'elle prétendait être le chevalier canadien en lutte contre Amazon et contre les grands magasins-entrepôts américains, lui ont permis de dominer de façon incroyable le marché de la vente du livre au Canada. Et Chapters revient à la charge en tentant de renforcer sa position de domination grâce à l'intégration verticale que représente pour elle Pegasus.

Il ne s'agit donc pas de demander si les libraires indépendants sont disposés à faire la concurrence aux autres libraires. Non, il y a beaucoup de grands magasins-entrepôts indépendants dans le commerce du livre au Canada qui sont très bien gérés. La question est plutôt de savoir si le gouvernement, par sa politique, ne donne pas une trop grande liberté d'action à un seul joueur sur le marché et lui permet d'user souvent de tactiques d'intimidation.

• 1210

Le président: Personne d'autre ne veut répondre? Monsieur Mark.

M. Inky Mark: Merci.

M. Chouinard a signalé que votre organisation s'adaptait au changement en mettant sur pied collectivement un site Internet. Sachez d'abord que je ne suis pas ici pour défendre Chapters. Comme tous les autres membres du comité, je veux m'assurer que les règles du jeu sont les mêmes pour tous et qu'il y a concurrence loyale sur le marché.

Qu'avez-vous fait, vous qui êtes des petits indépendants, pour vous adapter à ces pressions commerciales et technologiques?

Le président: Voulez-vous savoir ce que les autres pensent de ce que M. Chouinard...

M. Inky Mark: Non, je demande à tous les témoins ce qu'ils ont fait pour s'adapter aux changements technologiques et commerciaux.

Le président: En vous basant sur l'exemple donné par M. Chouinard.

M. Inky Mark: C'est cela.

Le président: Autrement dit, l'un ou l'autre d'entre vous a-t-il pris des initiatives telles que celles que M. Chouinard a décrites?

Mme Sally Hawkes: Je peut-être répondre en premier.

La Canadian Booksellers Association a déjà un site commercial en direct sur le web, depuis plus d'un an. Bon nombre de nos membres ont déjà leurs propres sites web. Hier soir, j'ai justement visité le site web de McNally Robinson, et je l'ai trouvé formidable. Toutefois, pour en avoir un comme cela, il faut engager des frais de démarrage énormes, de même que des frais d'entretien, comme je l'ai déjà signalé. Mais beaucoup de nos membres peuvent servir leurs clientèles au moyen de leurs sites web. Cela nous permet d'ailleurs d'élargir considérablement notre bassin de clients, dans tout le Canada. Et même si ma librairie se trouve à Ottawa, je peux même avoir des clients à Taïwan, ce qui est d'ailleurs le cas.

[Français]

Le président: Monsieur Chouinard.

M. Ghislain Chouinard: Oui, la Librairie virtuelle du Québec, dont je vous ai parlé tout à l'heure, est effectivement une façon de prendre ce virage et de modifier notre façon de faire du commerce afin de faire face aux nouvelles technologies.

Mais au-delà de cela, nous pensons que la force de Chapters, de Renaud-Bray ou de Champigny, c'est d'être regroupés et d'avoir un poids politique face à la distribution, c'est-à-dire face à ceux qui vous vendent vos produits. Tant que vous serez un petit libraire indépendant, vous n'aurez que votre propre poids, qui ne pèsera pas lourd dans la balance. Pourquoi la Librairie virtuelle du Québec est-elle intéressante? C'est qu'elle regroupe sous un portail, qui est virtuel—on le dit bien—et qui n'a pas d'entité légale, des libraires indépendants qui se retrouvent et qui, un jour ou l'autre, pourront aller chercher un pouvoir de négociation face à un distributeur. Ce n'est pas vrai que les remises, au Québec, sont les mêmes pour tout le monde et qu'elles s'établissent à 40 p. 100. C'est tout à fait faux. On négocie une remise. Lorsque j'achète 500 exemplaires d'un même livre, je vais voir l'éditeur et je lui dis qu'une remise de 40 p. 100 n'est pas suffisante et que je veux plutôt une remise de 48 p. 100. Ce phénomène existe aussi au Québec.

D'une façon plus générale, nous pensons que l'intégration verticale, telle que vous la vivez au Canada anglais et telle qu'on la vit au Canada français, doit être utilisée à notre avantage aussi. Mon point de vue là-dessus est celui que partagent beaucoup de membres de l'Association des libraires du Québec, ou du moins les membres de son conseil d'administration, à savoir que nous devrions nous regrouper pour acheter un distributeur exclusif. Ce ne sont pas de nouveaux phénomènes commerciaux qui apparaissent; c'est tout simplement le fait que n'importe qui vend n'importe quoi à n'importe quel prix. Ce qu'on fait, c'est tout simplement changer les règles du jeu en plein milieu de la joute. C'est pourquoi nous devons réagir, et cette façon de réagir peut être valable.

[Traduction]

Le président: Nous reviendrons à vous, monsieur Mark.

[Français]

Monsieur de Savoye.

M. Pierre de Savoye: C'est extrêmement intéressant de vous écouter parce que vos témoignages sont manifestement empreints de cet amour que vous portez à votre métier de libraire. Vous nous avez expliqué combien il vous tenait à coeur de bien servir votre client et de vous assurer que des auteurs moins connus, des auteurs qui débutent puissent avoir un certain rayonnement. Je crois que sous cet aspect-là, vos témoignages nous vont droit au coeur. Mais ce n'est pas seulement une question de coeur; c'est aussi une question de portefeuille, une question d'inventaire et une question d'approvisionnement.

• 1215

Le problème que vous vivez a déjà été vécu par d'autres industries. On peut penser à la pharmacie du coin, qui n'est plus maintenant au coin. On peut penser à ces petites épiceries qui ont été remplacées par de grands supermarchés. Toutes ces transitions ont eu des conséquences pour le consommateur et également pour certains fournisseurs. On sait que les grandes surfaces favorisent certains fournisseurs, à certaines conditions, ce qui fait que les fournisseurs moins favorisés deviennent des cibles d'achat par les gros.

Mais lorsqu'on parle du livre, on parle de la culture et on ne peut pas traiter ça comme des médicaments, même si les médicaments sont très importants, ou comme les pommes de terre ou les morceaux de viande. Ce que je sens ici, c'est que votre industrie est en pleine crise de restructuration. Si ce n'était que ça, ça passerait encore, mais le rythme de la restructuration est extrêmement rapide, il vous est imposé par des chaînes et vous avez peine à suivre ce rythme. Vous êtes prêts à vous restructurer, vous voulez vous restructurer et vous êtes en mesure de le faire, pourvu que le temps vous soit consenti pour y parvenir. Est-ce que d'une certaine façon, le rôle que nous aurions à jouer, en tant que Parlement fédéral, ne serait pas justement de vous donner ce temps en nous assurant, dans l'intermède, que certaines pratiques monopolistiques ne soient pas exercées par les chaînes qui dirigent actuellement le jeu? Est-ce que vous avez des commentaires là-dessus, madame Hawkes, madame Wedler ou Mme McNally?

[Traduction]

M. Paul McNally: Je dirais que oui.

Mme Sally Hawkes: Vous avez mis le doigt dessus. Le délai est absolument un critère essentiel, et le fait que nous n'ayons réussi à tenir le coup devant cette expansion incroyablement rapide de Chapters dans tout le Canada... L'intégration verticale avec Pegasus remonte à mai dernier et nous est tombée dessus, dans notre industrie, comme la foudre, tout au long de l'automne. Elle a des conséquences pour nos opérations quotidiennes et pour notre existence même comme libraires.

Nous avons absolument besoin de temps pour retrouver nos esprits et pour permettre aux petits indépendants... Les libraires qui sont ici devant vous représentent tout de même des grandes maisons qui réussissent assez bien—je touche du bois; mais il faut aussi faire emboîter le pas aux autres 230 libraires indépendants qui vendent au détail pour qu'ils soient sur la même longueur d'ondes que nous et qu'ils s'adaptent aux nouvelles technologies disponibles, ce qui les aiderait à combattre tous les Chapters du Canada qui vont s'installer dans leurs voisinages pour leur faire une concurrence quotidienne. Vous avez raison: le temps est un facteur essentiel.

Mme Anne Wedler: Je suis tout à fait d'accord. Nous ne sommes pas des vendeurs de pommes de terre, mais plutôt des vendeurs de culture. Chez nous, nous n'avons pas raté le coche et nous avons adopté toutes les dernières technologies. Contrairement à moi, mon mari est un crac de la technologie à tous égards. Nous avons notre propre site web et nous faisons du cybercommerce. Nous avons notre ligne téléphonique sans frais. Nous avons toutes sortes de trucs qui nous permettent d'avoir des liens avec d'autres sites. Nous avons opté pour cette façon de faire pour nous tenir à jour du point de vue technologique, mais l'obstacle auquel nous nous heurtons aujourd'hui dépasse de loin la simple croissance technologique mondiale. Nous ne nous heurtons pas uniquement à l'évolution technologique: nous nous heurtons aussi à une transformation de fond en comble de notre industrie. On peut presque parler d'une révolution, car les participants ne cessent de s'empiler et de fusionner pour grossir encore plus. Même l'édition souffre de ce gigantisme.

Vous voyez que le milieu évolue, et il est difficile de le cerner rapidement. Il nous faut donc réfléchir pour tenter de déterminer comment nous pouvons faire face à la concurrence du mieux possible. Comment pouvons-nous mieux servir notre public avec notre produit? C'est un milieu exigeant, et il nous faut du temps pour nous y adapter, mais la technologie nous talonne sans cesse.

• 1220

[Français]

M. Peter Woolford: On peut profiter de l'expérience qu'on a vécue dans les autres secteurs du commerce de détail afin de nous guider. Vous avez parlé du domaine des pharmacies, où l'on retrouve maintenant des regroupements coopératifs. Je pense entre autres à la chaîne nationale Pharmasave, qui regroupe environ 200 petits pharmaciens indépendants qu'on retrouve dans les provinces de l'Atlantique, en Ontario et dans les provinces de l'Ouest. Ce regroupement permet à ces pharmaciens indépendants de protéger leur avenir dans une structure qui n'est pas une structure corporative comme une franchise, mais où les actionnaires sont les pharmaciens eux-mêmes.

Le seul mot d'encouragement qu'on peut donner aux libraires, c'est que d'autres commerçants, comme vous l'avez mentionné, ont vécu auparavant cette situation de changement. Les libraires peuvent tirer des leçons de leurs expériences. La seule chose qu'on sait dans l'industrie du détail, c'est que tout va changer, que les défis se posent à tous les indépendants, quelle que soit leur taille, et qu'il faudra déterminer comment nous réglementerons ce domaine.

Le président: Monsieur Bonwick et monsieur Bélanger.

[Traduction]

M. Paul Bonwick (Simcoe—Grey, Lib.): Merci, monsieur le président.

J'aimerais vous faire part d'une réflexion qui m'est venue à la lumière d'information que j'ai recueillie dans ma circonscription et de ce que me disent mes électeurs; puis, j'aurais peut-être une ou deux questions à vous poser.

M. Woolford a décrit de façon très éloquente la situation lorsqu'il a expliqué l'évolution rapide de votre industrie et les conséquences pour les membres, et lorsqu'il a évoqué le rôle que le gouvernement fédéral pourrait jouer dans cette évolution rapide.

Je pense que je vais jouer à l'avocat du diable en reprenant certaines des déclarations qui ont été faites et en regard desquelles j'ai écrit certains commentaires. Mme McNally a dit notamment que personne n'avait besoin de Chapters, et j'ai manqué ce qu'elle a dit après. Quant à Paul, il a continué en disant que Chapters n'apportait rien de bon aux Canadiens. Mais lorsque je parle à mes électeurs, ils semblent adorer cette librairie. Visiblement, des Canadiens de toutes les régions du pays la fréquentent, sans quoi Chapters ne pourrait continuer à exister. Les Canadiens trouvent que Chapters convient à leur style de vie. Ils aiment bien pouvoir aller bouquiner, puis savourer un cappuccino tout en lisant les journaux qui sont offerts en grand choix. Les Canadiens considèrent qu'ils ont le droit de choisir d'en être le client. J'aimerais savoir ce que vous dites de cela.

M. McNally a ensuite parlé des tactiques d'intimidation qu'utilisait Chapters. Ayant moi-même été dans les affaires, je sais que ce qui est pour quelqu'un une tactique d'intimidation passe pour quelqu'un d'autre pour des pratiques commerciales saines. Comment faire...? Vous, vous représentez les indépendants. Mais en dernière analyse, nous sommes tous ici pour servir le consommateur canadien et l'aider à se procurer des produits canadiens, et nous sommes ici pour voir comment nous pouvons y parvenir.

J'aimerais vous faire part brièvement d'un scénario qui pourrait être représentatif d'une situation semblable à la vôtre. Supposons une petite région rurale du Canada, comme la mienne, où on annoncerait l'ouverture d'une grande galerie d'art. Je crois que cette annonce serait reçue de façon très positive par la collectivité. Elle serait considérée comme une possibilité pour la population locale d'avoir accès à un segment plus vaste de la culture. Mais en même temps, l'ouverture de cette grande galerie d'art pourrait nuire sérieusement aux affaires d'un petit commerce indépendant spécialisé en produits d'art desservant particulièrement les artistes locaux.

Quel rôle le gouvernement fédéral peut-il jouer? Doit-il refuser l'entrée sur le marché à Chapters parce qu'il doit protéger les commerces locaux? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Enfin, M. de Savoye semble interpréter votre demande comme une exhortation à vous laisser plus de temps pour vous adapter à l'évolution du marché. Combien de temps le gouvernement fédéral doit-il freiner cette énorme industrie en croissance pour pouvoir vous laisser du temps pour vous adapter?

• 1225

Le président: Vous avez posé quatre questions, et il faudrait répartir le temps de réponse pour que nous...

M. Paul Bonwick: Combien de temps avons-nous? C'est ça qu'il nous faut savoir: disposons-nous de cinq ou de dix minutes?

Le président: Disons dix minutes, mais cela inclut les réponses. Qui veut commencer?

Mme Holly McNally: Aucun d'entre nous ne croit que Chapters cessera d'exister si elle est mise temporairement sur la touche. Il y a déjà un grand nombre de magasins Chapters dans toutes les régions du pays, et si les gens veulent fréquenter ces librairies, libre à eux, car elles sont établies dans pratiquement toutes les localités. Mais a-t-on vraiment besoin d'un plus grand nombre de ces librairies? Larry Stevenson a lui-même affirmé que Chapters avait peut-être déjà sursaturé le marché. À Saskatoon, où nous sommes établis, il existe déjà cinq indépendants en plus de nous-mêmes, et pourtant, Chapters songe à construire une librairie de 40 000 pieds carrés: je ne parle ni de 15 000 ni de 25 000 pieds carrés, mais d'une librairie de 40 000 pieds carrés dans une localité qui compte 190 000 habitants. C'est absurde.

M. Paul McNally: Oui. La stratégie de Chapters en est une de grappe, et c'est un terme tiré de la technologie des armes des années 70 désignant le lancement d'un seul obus d'artillerie ou d'une seule bombe dans une zone ciblée, en vue de produire des explosions multiples et d'endommager au maximum la cible avec un minimum de feu.

Chapters s'est installée dans des marchés... À Winnipeg, un déplacement de 20 minutes vous sépare de maintenant 85 000 pieds carrés de nouvelle surface de librairie. On ne parle pas ici d'une augmentation graduelle dans la surface de librairie à Winnipeg mais plutôt d'une augmentation du simple ou double! On a vu la même chose se produire à Calgary et à Vancouver. Et des grands noms dans la culture canadienne comme Duthie's, Sandpiper et Britnells de Toronto ont mordu la poussière à la suite de cela.

C'est un euphémisme que de parler d'une stratégie de grappe, car il s'agit plutôt d'une saturation délibérée du marché afin de s'accaparer une grosse part du marché, puis de s'en retirer. Comme le disait Holly McNally, Larry Stevenson lui-même a concédé qu'il y avait saturation.

Quant à savoir si Chapters apporte quoi que ce soit de bon aux Canadiens, cette chaîne a mené un sondage auprès de sa clientèle dont les résultats sont publiés dans le numéro actuel de la revue Quill & Quire: on a constaté que 50 p. 100 des clients ne savaient pas qu'ils se trouvaient dans un commerce canadien. Ils se croyaient dans une librairie américaine. Dans ce contexte-là, comment dire que Chapters apporte quoi que ce soit de bon pour la culture canadienne?

Pour ce qui est de savoir combien de temps il faudrait, cinq ou 10 ans, si on pouvait imposer une sorte de ralentissement, je crois même qu'il y a eu des précédents et qu'on a imposé une limite à la croissance...

Le président: Quelqu'un d'autre veut-il répondre brièvement? Madame Wedler.

Mme Anne Wedler: Je voudrais commenter ce que vous avez dit au sujet du choix offert aux consommateurs. Il est très important de maintenir ce choix. Je connais même un endroit aux États-Unis, à proximité de Harvard, où il y a plus de librairies par habitant à l'intérieur d'un mille carré que nulle part ailleurs aux États-Unis. Or, toutes ces librairies semblent survivre. Mais c'est une autre paire de manches.

On doit pouvoir offrir la diversité à la population et lui laisser la possibilité de choisir, tout en entretenant de bonnes relations de travail d'une entreprise à l'autre. Mais le problème, c'est qu'ici on a affaire à un méga géant du livre qui profite de conditions de commerce et de ressources indues, et qui peut être beaucoup plus généreux que ce que pourrait espérer offrir l'un ou l'autre d'entre nous à lui seul; autrement dit, la présence de ce géant déforme la réalité puisqu'on a permis son intégration au marché en «mettant le paquet». Ce n'est pas que nous refusions la concurrence, car nous pouvons y faire face. C'est tout simplement que les dés sont pipés au départ, si j'ose dire. On n'a pas tous en main les mêmes cartes quand on fait affaire avec Chapters comme concurrent.

Mme Sally Hawkes: Puis-je répondre également à votre question sur le délai? Nous ne pouvons évidemment demander au gouvernement d'intervenir pour une durée indéterminée, mais nous demanderions plutôt que Chapters soit forcée à se départir de ses intérêts dominants dans Pegasus, qui sont à hauteur de 80 p. 100. Cela donnerait au moins l'impression d'une entente non préférentielle entre Chapters et le groupe de gros Pegasus.

[Français]

Le président: Monsieur Bélanger.

M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): J'aimerais, moi aussi, vous poser quelques questions, si vous me le permettez.

[Traduction]

Monsieur Woolford, le Conseil canadien du commerce de détail s'est-il prononcé sur la notion d'intégration verticale et a-t-il expliqué comment cette intégration verticale pourrait nuire à la portion vente au détail de l'industrie?

• 1230

[Français]

Monsieur Chouinard, vous avez à quelques reprises fait allusion au thème de l'intégration verticale. Personnellement, c'est la préoccupation qui m'anime le plus. Je peux comprendre que du point de vue de la concurrence et du commerce du détail, ce thème puisse ne pas plaire à ce groupe-ci, mais je pense qu'il y a là une légitimité qui est acceptable, pourvu qu'elle ne devienne pas animée elle-même de l'intention d'écraser un marché.

Est-ce que la Librairie virtuelle se prêtera à une intégration verticale? Qui va distribuer les livres de la Librairie virtuelle? J'essaie de comprendre le fonctionnement de l'industrie. Ce qu'on semble reprocher à l'ensemble Pegasus-Chapters, c'est cette capacité d'influencer indûment, de par sa force au niveau de la vente au détail, ce qui se passe derrière, c'est-à-dire au niveau de la distribution et au niveau de l'édition. Ce que Mme Hawkes et moi cherchons à connaître, c'est la façon dont les indépendants pourraient concurrencer chapters.ca ou Amazon.com pour la distribution du livre.

Selon ce qu'on a entendu jusqu'ici, avant qu'un distributeur existant avant l'arrivée de Pegasus puisse faire parvenir un livre à un consommateur, il s'écoulait un délai de six à huit semaines, et même parfois de plusieurs mois. Si telle est la réalité, je peux comprendre qu'un consommateur ait besoin d'une capacité de livraison plus rapide que celle-là. Comment allez-vous mener concurrence, sans nécessairement passer par Pegasus?

[Traduction]

Monsieur le président, on devrait peut-être poser une autre question au Bureau de la concurrence—c'est peut-être de l'inédit pour lui. Le Bureau de la concurrence s'est-il intéressé à l'interfinancement de certains commerces de détail, qui semblent être très rentables, et qui subventionnent ceux qui sont le moins? Cette pratique peut-elle être tolérée ou pas? Nous voudrons peut-être poser la question au Bureau de la concurrence.

Je m'en tiendrai à cela, car je n'ai plus de temps. J'avais aussi une question au sujet de

[Français]

la bipolarité aussi. Est-ce qu'on procède au Québec à deux intégrations verticales? Comment le Canada français réagira-t-il à celles-ci? En passant, j'aimerais dire à M. Chouinard que j'admire son vocabulaire.

[Traduction]

Le président: Nous commencerons par M. Woolford, puis

[Français]

nous accorderons la parole à M. Chouinard.

[Traduction]

M. Peter Woolford: Merci, monsieur le président.

Dans le milieu du détail, il se produit aujourd'hui ce que l'on appellerait la désintermédiation. Autrement dit, pour pouvoir être plus efficients et pour pouvoir se débarrasser de coûts dans le système qui permet d'approvisionner les consommateurs, les détaillants contournent tous ceux qui étaient traditionnellement les exploitants intermédiaires.

Il y a environ 10 ans, au faîte de la guerre du magasinage transfrontière, nous avons fait un sondage des plus intéressants. Les membres de ce comité-ci et d'autres se rappelleront peut-être qu'à cette époque, les Canadiens magasinaient en masse de l'autre côté de la frontière. Et nous avons dû tenter de comprendre pourquoi les prix canadiens étaient plus élevés que les prix américains.

L'un des éléments qui en est ressorti clairement, c'est que les détaillants américains de tout acabit, même à l'époque, se rendaient directement à l'étranger ou directement chez le fournisseur pour acheter leurs produits, qui passaient par conséquent du fournisseur au détaillant. Au Canada, le produit passait entre toutes sortes de mains. Il existait alors l'importateur, ou le grossiste, ou le distributeur ou même le spécialiste régional, et toutes ces couches faisaient grimper les coûts.

Dans le milieu de la vente au détail, l'évolution technologique permet désormais au détaillant de se débarrasser de tous les intermédiaires et de faire affaire directement avec le fournisseur premier.

M. Mauril Bélanger: Les détaillants du secteur alimentaire disent au contraire qu'ils sont extrêmement préoccupés par l'intégration verticale.

M. Peter Woolford: Oui, mais le détaillant assume certaines fonctions et s'en remet au fournisseur pour d'autres; le processus est beaucoup plus clair. Il y a moins d'intermédiaires. Le fournisseur vient livrer directement chez vous. C'est le fournisseur qui établit le prix des produits, pour la plupart des marchandises. Bien des choses se font directement.

• 1235

M. Mauril Bélanger: Si c'est le cas, il nous faudra donc décider que la capacité de contrôler le marché dépend de la part que l'on occupe sur le marché de détail?

M. Peter Woolford: Je ne suis pas certain...

M. Mauril Bélanger: S'il n'y a pas d'intermédiaire entre le producteur et le détaillant—si c'est direct, comme vous le dites—comment pouvons-nous déterminer qu'un vendeur contrôle indûment le marché? Peut-on décider quelle part du marché de détail il occupe? Ça n'a pas d'importance, puisqu'il n'y a pas d'intermédiaire entre les deux. Il y a un lien direct entre le fournisseur et le détaillant. Comment peut-on déterminer s'il y a intégration verticale et quel degré d'intégration est acceptable?

M. Peter Woolford: Il faudrait pour cela je suppose examiner quelle portion du marché de détail final le vendeur intégré verticalement possède et quelle est la concurrence que lui livrent les autres fournisseurs.

M. Mauril Bélanger: D'accord, merci.

M. Peter Woolford: À ce sujet, nous sommes étonnés de constater que même des détaillants indépendants s'approvisionnent maintenant à l'étranger et passent des commandes directes de ce genre. C'est donc une tendance qui existe.

Le président: Merci.

[Français]

Avant de donner la parole à M. Chouinard, je voudrais demander à M. Woolford s'il a écrit aux éditeurs du Oxford Dictionary pour leur demander d'y ajouter le mot «dis-intermediation».

M. Peter Woolford: Oui, monsieur le président.

[Traduction]

Des voix: Oh, oh!

Le président: C'est tout un mot.

[Français]

Monsieur Chouinard.

M. Ghislain Chouinard: Monsieur Bélanger, votre question renferme deux questions. Il s'agit probablement d'une question bipolaire. Lorsque je parlais de bipolarité, je vous disais qu'on vivait l'intégration verticale au Québec depuis de nombreuses années.

D'un côté, il y a le groupe Sogides, qui représente les Messageries ADP et qui est propriétaire de la chaîne de libraires Garneau. Qu'est-il arrivé récemment? On a assisté à l'intégration de Havas, le deuxième plus important groupe européen d'édition. Havas, qui a des intérêts dans l'Agence de distribution populaire, arrive, et l'Agence de distribution populaire fait l'acquisition des librairies Renaud-Bray et fusionne Garneau et Champigny. On se retrouve donc face à 22 libraires qui sont directement en ligne avec un distributeur et un éditeur, parce que Sogides englobe aussi le Groupe Ville-Marie. Je vous dirais même qu'à la limite, c'est l'auteur à la demande. Ça, c'est de l'intégration totalement verticale.

D'un autre côté, on a le groupe Quebecor, un nom qui dit quelque chose à toute le monde ici. Quebecor a fait l'acquisition, il y a quelques années, d'un groupe qui s'appelait Archambault. Archambault est quand même un joueur très important au Québec, un joueur de catégorie killer, qui offre des rabais systématiques sur plusieurs articles. Une fin de semaine par mois, tout article en magasin est offert à 25 p. 100 de rabais. On occupe carrément la place aux fins d'occuper la place, de la même façon que le fait Chapters. C'est carrément une sursaturation du marché.

Le marché n'est pas capable d'absorber tout ce qu'il y a en termes de librairies. Pourquoi s'établit-on là? C'est pour écraser les autres. De plus, on est en intégration verticale. Il y a donc deux grands pôles d'intégration verticale et rien ne dit—on en parle d'ailleurs—que ces deux pôles-là ne seront pas, à un moment donné, regroupés ensemble. On ne sait pas lequel va acheter l'autre, mais cela nous guette. Le jour où cela se produira, on se ramassera carrément dans la même situation que les libraires qui font leur métier au Canada anglais.

Vous parliez aussi de la Librairie virtuelle du Québec et nous disiez qu'elle n'était d'aucune façon une intégration verticale. Cette librairie virtuelle est conçue un peu de la même façon que la cbabook.org puisqu'elle est une librairie virtuelle centralisée. L'internaute consulte une banque de données dans un portail unique et peut se rendre au site de sa librairie préférée, parce que toutes les librairies y sont, un peu comme au troisième étage de cbabook.org. L'internaute fait sa commande à la librairie virtuelle qui, bien que centralisée, redistribue la gestion de la commande aux libraires indépendants. Ainsi, si je n'ai pas un livre en stock, la commande est transmise à la banque de données, puis elle est acheminée à un autre libraire qui est membre de la LVQ et ainsi de suite. Nous avons donc une librairie virtuelle qui est centralisée, mais qui est décentralisée au niveau de l'opération de livraison.

Le président: Nous avons encore du temps.

[Traduction]

Nous avons encore vingt minutes, soit le temps pour trois questions. Nous allons entendre Mme Lill, M. Muise et M. Limoges.

• 1240

Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Merci d'être venus nous rencontrer. Je dois avouer qu'après avoir entendu votre témoignage et celui d'autres témoins, je suis très inquiète de l'état de l'industrie du livre au Canada. On nous dit que c'est un véritable champ de bataille et je trouve que vous êtes des guerriers très éloquents.

J'aimerais en savoir davantage au sujet de cette industrie. On nous dit qu'elle connaît une croissance énorme. On nous a déjà dit la même chose au sujet des pêches et nous savons tous où cela nous a menés aujourd'hui. J'aimerais savoir qui achète des livres à l'heure actuelle. Est-ce vraiment une industrie en forte croissance? D'après les chiffres, il semble que la majeure partie des augmentations des ventes de Chapters soient dues au fait que les librairies de détail ont été cannibalisées par les autres indépendants; il semble qu'à l'heure actuelle, les profits soient en perte de vitesse.

Le 29 octobre 1999, le Globe and Mail a publié un article sur la chute des actions de Chapters. On y disait que le prix des actions avait chuté, que cela n'avait rien d'étonnant et que leur valeur pourrait diminuer encore. Je paraphrase, bien sûr, mais on disait à la fin de cet article, et cela m'a effrayée, que d'après le directeur financier de Chapters, il n'y a pas à s'inquiéter de cette situation parce que les stocks sont retournables.

Je me demande à quoi cela sert que ces entreprises gigantesques ouvrent tant de boutiques et achètent tant de livres, pour meubler leurs énormes rayonnages et combler leurs énormes espoirs de profit, si en fin de compte il leur suffit de renvoyer chez les éditeurs leurs stocks invendus. Il y a de quoi effrayer les éditeurs de tout le pays. En fait, c'est effrayant pour tous les participants à ce secteur.

Peut-on dire que cette industrie est saine si son plus grand participant peut décider qu'il lui suffit tout simplement de retourner ses stocks invendus? Ce qu'il déclare, c'est qu'il n'assume aucune responsabilité dans cette industrie, qu'il n'en fait pas partie et qu'il retournera tout simplement ses restes de stock.

Quelqu'un peut-il donc me dire si cette industrie connaît une croissance énorme? Cette croissance se fait-elle aux dépens des indépendants? J'aimerais également connaître le rôle que joue les auteurs dans cette bataille. Perdons-nous également du terrain à ce chapitre?

M. Charles Burchell: Je vais essayer de répondre à vos questions, en partie du moins, et mes collègues pourront se joindre à moi.

Les livres qui sont achetés sont payés, mais ils sont retournables dans un certain délai. Ils nous sont vendus en fonction de promotions futures qui ne se réalisent pas toujours. Nous apprenons tout à coup qu'une nouvelle fournée de livres va être publiée et à l'heure actuelle, par exemple, nous examinons les catalogues des livres qui sortiront à l'automne et nous décidons ce que nous devons retourner parce que nous aurons besoin des rayons. Oui, nous retournons des livres.

À l'heure actuelle, le roulement des livres dans les magasins de Chapters fait que le pourcentage des livres retournés est très faible. En fait, Chapters recommande des centaines de livres de plus qu'il n'en retourne. Si ce roulement devait cesser pendant six mois, ce serait sans doute un désastre. Compte tenu du volume élevé de marchandises dans les magasins de Chapters, lorsque les livres ne se vendent pas, et un grand nombre ne se vendent pas autant que prévu, alors, il y a beaucoup de retours.

Mme Sally Hawkes: Vous avez également mentionné que d'après M. Stevenson, Chapters connaît une croissance énorme. Lorsqu'une chaîne ouvre un nouveau magasin chaque mois, il y a une croissance évidente. À mon avis, c'est surtout de ce côté-là qu'il y a de la croissance dans cette industrie.

Pour ce qui est des auteurs, ils devraient tous être inquiets des ventes au rabais que font les magasins de Chapters. Je ne connais pas les chiffres, mais cela doit influer sur leurs redevances. Vous êtes auteure, madame Lill, et vous en savez probablement davantage que moi à ce sujet.

Lorsqu'elle a reçu le Prix du gouverneur général, en 1998, l'auteure Jane Urquhart a dit dans son discours qu'elle remerciait les libraires indépendants de lui avoir permis d'être auteure et de remporter ce prix. Sans libraires indépendants, où ira-t-on chercher les nouveaux lauréats du Prix du gouverneur général, un prix qui a été créé ici, pour tous les Canadiens, par les libraires indépendants?

M. Christopher Smith: Si vous me permettez, j'ajouterai qu'entre autres, Chapters se sert de ses gros stocks de livres pour tapisser les mures de ses magasins. Cela a pour résultat... Comme on l'a déjà dit, les éditeurs canadiens impriment un nombre déterminé de livres. Si ces livres se trouvent surtout dans les magasins de Chapters mais qu'ils n'en sortent pas, cela signifie que nous ne pouvons pas en avoir des exemplaires.

• 1245

J'en ai eu un exemple concret l'automne dernier. Penguin Books Canada a publié un livre d'intérêt local intitulé Sisters in the Wilderness. Mais l'éditeur a manqué de livres. Il y en avait un grand nombre d'exemplaires dans l'ouest du Canada, où le livre était moins populaire, mais parce que Penguin craignait un trop grand nombre de retours de Chapters, il a décidé de ne pas rééditer cet ouvrage. Cela signifie qu'un livre qui aurait pu être un best-seller pour Sally, pour moi et pour d'autres détaillants d'Ottawa...

M. Nicholas Hoare: Et de Montréal...

M. Christopher Smith: Et les détaillants de Montréal, merci. Nous n'avons pas pu en obtenir. Nous n'avons pas pu tirer de revenus de ce livre parce que nous n'avons pas pu en avoir d'exemplaires. Ce qui se produit, c'est que les éditeurs essaient de deviner combien d'exemplaires Chapters va retourner. Ils ont une assez bonne idée de la quantité, mais les Canadiens n'ont pas accès à ces livres pour cette raison.

Le président: Très bien, madame McNally, mais soyez brève.

Mme Holly McNally: Ils se servent de livres pour tapisser dans les murs de leurs magasins, mais souvent, ce ne sont pas les livres canadiens que les gens voudraient. Je le sais, car nos magasins reçoivent constamment des auteurs canadiens en tournée. Ils nous disent qu'ils sont heureux de voir leurs livres chez nous parce que Chapters ne les vend pas. Cela s'est produit encore vendredi dernier. C'est constant. Je souhaitais faire cette observation au sujet de la diversité des stocks, dont vous avez discuté précédemment.

M. Peter Woolford: Monsieur le président, puis-je apporter une explication?

Au Canada, il n'y a pas de croissance du marché de détail. Les dix dernières années ont été horribles pour l'industrie. Le revenu personnel disponible, c'est-à-dire l'argent que vous et moi dépensons sur des produits de consommation, n'a pas augmenté. Le consommateur moyen entre dans le magasin—n'importe quel magasin—avec moins d'argent en poche qu'il n'en avait en 1989. Cela a obligé l'industrie à se cannibaliser, et nous savons les luttes sauvages qui se sont livrées pour l'obtention des parts de marché. Pour qu'une entreprise puisse croître, une autre doit péricliter.

L'augmentation de la population a entraîné une très légère croissance, mais aujourd'hui, les Canadiens ont très peu... pardon, jusqu'à hier, les Canadiens disposaient de très peu d'argent à dépenser. Grâce aux réductions d'impôt, ils en auront un peu plus, mais le fait est que la situation des familles canadiennes ne s'est pas améliorée. Cela signifie que dans le commerce de détail, où les profits dépendent de la croissance... Pour des raisons dont certaines m'échappent, dans le commerce de détail, il n'y pas de profit sans croissance. Les détaillants doivent croître constamment et cela signifie qu'ils doivent s'arracher les clients.

Le président: Monsieur Muise.

M. Mark Muise (Ouest Nova, PC): Merci, monsieur le président.

Je remercie nos invités. J'ai trouvé cette séance très instructive et je tiens à dire que je suis vraiment conscient du rôle que jouent les libraires et les éditeurs indépendants dans la promotion de la culture canadienne. Je sais à quel point c'est important pour nous.

Je tiens également à répéter ce qu'a dit M. Bélanger, monsieur le président. Je ne crois pas que nous sommes en mesure d'évaluer le degré de concurrence dans cette industrie. Nous devrions demander l'opinion du Bureau de la concurrence à ce sujet et voir si nous pouvons trouver une solution à ce problème.

Je ne ferai pas comme certains de mes collègues qui ont posé quatre ou cinq questions. Je me limiterai à deux.

Monsieur Smith, vous avez fait une observation qui a piqué ma curiosité. Vous avez dit que vous avez créé votre entreprise après l'arrivée de Chapters. J'aimerais bien savoir pourquoi vous avez fait cela, sachant tout ce que vous nous avez dit au sujet de cette industrie et sachant quel défi vous devriez relever. Vous ne devez pas être attiré seulement par les profits. La promotion de la culture canadienne—pour revenir à ma première observation—vous tient probablement à coeur. J'aimerais que vous abordiez cette question sous quelques angles différents, si vous le voulez bien.

Monsieur Woolford, vous avez mentionné précédemment que le conseil du commerce de détail ne représente pas seulement les libraires indépendants mais aussi des entreprises comme Chapters et Pegasus. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, puisque vous semblez travailler sur les deux plans. Comment pouvons-nous résoudre le problème des libraires indépendants, d'une part, et que peut-on faire, d'autre part, dans le cas de Pegasus et Chapters? Vous semblez un peu entre deux chaises et je serais curieux de savoir quelle solution vous auriez à proposer.

• 1250

C'est tout, monsieur le président.

M. Christopher Smith: Je me suis lancé dans cette entreprise parce que j'aime les livres. C'est ce qui me motive. Mais je veux aussi faire des profits. C'est mon gagne-pain. Je m'estime privilégié d'être libraire au Canada.

L'un de mes objectifs, dans mon magasin, est de faire connaître les bons auteurs canadiens et de vendre leurs oeuvres à mes clients. C'est pour moi une grande responsabilité.

J'ai également travaillé pendant des années, en fait depuis 1981, dans des librairies familiales. J'ai travaillé ici, à Ottawa, chez Prospero, une entreprise qui a été rachetée par Coles et qui a été finalement intégrée à ce qu'on appelle maintenant Chapters. J'ai été très troublé de voir une excellente librairie indépendante se faire cannibaliser lentement mais sûrement pour être réduite au rang d'entreprise plutôt banale. Avant d'être acquise par une grande société, il y avait chez Prospero une liberté et une marge de manoeuvre qui y rendaient le travail très agréable. C'est ce que j'ai essayé de retrouver en ouvrant ma propre boutique, et je puis vous dire que j'y ai bien réussi.

Chapters ne correspond pas au goût de tous les clients. Dans bien des cas, son existence pousse les clients à retourner chez les libraires indépendants, mais malheureusement en nombre insuffisant pour que nous puissions survivre. L'une des choses qui m'inquiètent, c'est qu'il existe au Canada un beau réseau de librairies indépendantes que Chapters est occupé à démanteler. Que se produirait-il si Chapters disparaissait? Que se produirait-il si une société américaine était autorisée à la racheter parce que ses profits ne lui permettent plus de croître toute seule? S'il n'y a pas de librairies indépendantes, s'il n'y a pas ce réseau, nous serons baisés—pardonnez-moi le terme cru—du point de vue culturel.

M. Mark Muise: Merci.

M. Christopher Smith: Je vous en prie.

M. Peter Woolford: Je ne vous remercie pas de poser cette question, monsieur Muise, car c'est exactement celle que je craignais. En bref, je ne sais pas comment on peut résoudre ce problème dans une telle industrie.

Comme les autres témoins l'ont dit clairement ce matin, il faut de la concurrence. Ils veulent un marché qui bouge. Par contre, que peut-on faire lorsque de grandes entreprises arrivent sur le marché et offrent aux clients des services qui attirent leur clientèle? Je ne sais vraiment pas comment répondre à cela.

Toutefois, l'expérience d'autres éléments de l'industrie montre qu'après des épisodes de faillites et de fermetures d'entreprise, il se produit exactement ce que décrivait M. Smith tout à l'heure. C'est-à-dire que de nouvelles entreprises indépendantes sont créées, des entreprises qui fonctionnent selon la nouvelle dynamique et trouvent le moyen d'être compétitives.

C'est un mince réconfort pour ceux qui doivent traverser une période de changements structurels, mais si vous prenez le cas des pharmacies, comme je l'ai déjà dit à M. de Savoye tout à l'heure, ou si vous regardez ce qui se fait aux États-Unis, les entreprises indépendantes de détail—toutes, et pas seulement les librairies—survivent, prospèrent et sont très compétitives. Certaines entreprises ont réussi à obtenir différents créneaux du marché, au centre et aux deux extrémités. C'est toutefois un changement très difficile et je ne sais pas comment vous pourriez le faciliter. J'aimerais bien avoir des réponses à vous proposer, mais je n'en ai pas.

Le président: Monsieur Limoges.

[Français]

M. Rick Limoges (Windsor—St. Clair, Lib.): Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Je suis bien content que M. Woolford soit venu nous présenter un point de vue différent, celui d'un grand détaillant. J'ai toutefois été un peu déçu qu'il se lance dans l'usage sélectif de certaines statistiques. J'estime à vrai dire que la croissance du revenu personnel a été bonne au Canada. En fait, des millions de gens travaillent, leur nombre augmente, et nous avons donc réparti la richesse et la prospérité. Je ne crois pas qu'il soit très utile de citer des statistiques sur le revenu moyen, entre autres. Mais je m'écarte du sujet.

• 1255

Il faut que nous puissions distinguer certaines questions qui s'appliquent à l'ensemble de la vente au détail et celles qui nous permettront de faire des propositions pour mieux protéger la culture canadienne, le contenu canadien et les créateurs de chez nous. Il est absurde de dire que la terre devrait cesser de tourner pendant 5 ou 10 ans. Tous les groupes que j'ai rencontrés réclament un statut fiscal privilégié. Ce n'est pas non plus la solution.

Je connais bien le commerce de détail. Mes parents étaient détaillants. Jusqu'à l'année dernière, ma femme faisait également du commerce de détail. Elle a abandonné la lutte. Mais au Canada, la structure du commerce de détail a toujours été inefficace et la tendance à éliminer les intermédiaires est positive pour les consommateurs. Comme l'a dit également M. Woolford, c'est une mince consolation pour ceux qui doivent livrer bataille, mais pour survivre, les entreprises devront être innovatrices et compétitives de façon créative.

J'aimerais que nos témoins parlent plus précisément des moyens que nous pourrions prendre pour protéger la culture et le contenu canadiens. Puisque nous n'avons pas beaucoup de temps, essayons d'éviter pour l'instant les mesures protectionnistes qui correspondent à l'intérêt personnel. Monsieur Woolford, avez-vous des observations à ce sujet? Mme Hawkes a peut-être aussi des observations à faire.

M. Peter Woolford: Je ne connais pas suffisamment bien la vente de livres au détail pour répondre à l'aspect culturel de votre question. J'ai essayé ce matin de vous donner une vue d'ensemble de la vente au détail. Je préfère laisser la parole à ceux d'entre nous dont c'est le gagne-pain.

M. Rick Limoges: Cela dit, vos autres observations nous ont donné une bonne idée du contexte.

M. Peter Woolford: Merci.

M. Rick Limoges: Madame Hawkes, s'il vous plaît, ou quelqu'un d'autre...

Mme Sally Hawkes: Avec plaisir.

Dans mes remarques préliminaires, j'ai parlé de la création de l'Association des libraires de l'est de l'Ontario, dont j'ai déjà été directrice. L'Association a été créée en 1995, lorsque nous avons entendu dire que le tout premier magasin Chapters ouvrirait à Ottawa. Depuis nous entretenons des relations très avantageuses avec le ministère du Patrimoine du Canada et nous avons pu obtenir pour plus de 100 000 $ de subventions de ce ministère.

Avec cet argent, nous avons réalisé divers projets, entre autres fournir du matériel de promotion à nos membres. Depuis quatre ans, nous réalisons une campagne de publicité importante dans le Ottawa Citizen, avec l'appui de l'industrie canadienne de l'édition. Nous avons fait de la publicité pour la Journée du livre du Canada. Depuis quatre ans, nous tenons dans la capitale nationale des séries de lecture qui ont permis d'amener à Ottawa de grands auteurs canadiens. Nous n'aurions jamais pu le faire auparavant, car le monde de l'édition canadienne ne nous en aurait pas donné l'occasion. Nous avons également appuyé et financé la campagne Word on the Street qui est offerte à Ottawa depuis deux ans. Ce sont des activités qu'ont entreprises les détaillants indépendants pour faire la promotion de la culture et des livres canadiens auprès de nos clients.

Je demande à ce que l'on continue de financer ce genre d'activités, des activités qui devraient être offertes à toutes les librairies, à la base, afin d'éviter que ces magasins doivent s'affilier à un organisme pour y avoir accès. Si un libraire présente une proposition vraiment intéressante pour promouvoir la culture et les oeuvres canadiennes, le gouvernement devrait pouvoir financer ce genre de projet.

M. Christopher Smith: Permettez-moi d'ajouter quelque chose. L'argent que nous recevons ne vient pas seulement de Patrimoine Canada; je ne voudrais pas vous donner l'impression que nous ne sommes venus ici que pour chercher des sous. Nous demandons également de l'argent à nos éditeurs et à nos fournisseurs et il y a renforcement mutuel des fonds que nous obtenons des secteurs public et privé. Nous pouvons utiliser l'argent qui nous vient de Patrimoine Canada pour proposer à Bantam, Penguin ou un autre éditeur une activité de promotion de leurs livres et, simultanément, de la culture canadienne. Nous voulons simplement de l'aide pour mettre en place l'infrastructure nécessaire.

Le président: M. Mark m'a demandé de lui laisser le temps de poser une brève question.

M. Inky Mark: Merci, monsieur le président. Ma question s'adresse à M. Woolford.

• 1300

Les exploitants indépendants ont dit avoir besoin de plus de temps pour s'adapter aux changements. Croyez-vous que ce soit une demande raisonnable? Le gouvernement devrait-il intervenir? Comment cela influerait-il sur les autres détaillants?

M. Peter Woolford: Je ne sais pas comment on pourrait gagner du temps dans un marché qui évolue comme celui-là. Comme je l'ai dit en conclusion de mes remarques, les consommateurs canadiens sont absolument sans scrupules. Ils n'ont aucune loyauté. Ils n'ont aucun respect pour les vendeurs. Ce qu'ils veulent, c'est en avoir le plus possible pour leur argent.

Les libraires sont tous confrontés au même problème, quelle que soit la taille de leur entreprise, et c'est que la concurrence est devenue internationale. Auparavant, la vente au détail était toujours une entreprise d'ordre national ou local. Ce n'est plus le cas. Si le consommateur n'est pas satisfait de ce qu'il peut obtenir chez lui, il peut l'obtenir ailleurs, par Internet. Je ne sais pas très bien comment on pourrait mettre fin à cela. Les octets qui traversent la frontière vers amazon.com ou barnesandnoble.com ne sont pas différents de ceux de mes conversations téléphoniques et il n'existe pas de moyen d'empêcher les Canadiens de se procurer des marchandises là où ils le veulent.

Certains de nos détaillants indépendants sont des libraires et croyez-moi, je suis bien conscient des difficultés auxquelles ils doivent faire face. J'ai beaucoup de sympathie, comme nous tous, pour les autres éléments du secteur qui ont connu cette situation. À tout prendre, c'est encore plus difficile aujourd'hui qu'il y a 10 ou 15 ans, lorsque le problème s'est posé pour les épiciers indépendants, les pharmaciens indépendants ou les quincailliers indépendants. Au moins, ils n'avaient pas à faire concurrence à de grandes multinationales vendant à partir des États-Unis des marchandises produites à bas coût à partir d'un entrepôt dans une banlieue industrielle. C'est aujourd'hui le cas des libraires. Ils doivent tous les jours lutter contre amazon.com.

Je ne crois pas que l'on puisse gagner du temps pour eux. Je ne vois pas comment cela serait possible.

M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci.

Je remercie très sincèrement nos témoins. Leurs opinions nous sont extrêmement précieuses.

Monsieur Shepherd, vous vouliez poser une petite question? Il ne reste à peu près plus de temps, veuillez donc être bref.

M. Alex Shepherd (Durham, Lib.): Je vous prie d'excuser mon retard. J'ai raté une partie de la réunion, mais je souhaite parler plus particulièrement de Pegasus.

Puisque nous visons une cible mobile, j'aimerais savoir s'il existe des preuves, anecdotiques ou autres, des effets de cette relation sur vous, en ce qui a trait à la possibilité de prix abusifs. Autrement dit, vos coûts augmenteraient-ils par rapport à ce qu'ils sont maintenant si vous deviez, aujourd'hui ou plus tard, acheter chez Pegasus?

Je m'intéresse également au marché d'importation. On nous a dit que les détaillants achètent directement chez des grossistes étrangers, mais si Pegasus constitue leur meilleur choix—et ils nous ont dit qu'ils offrent des rabais sur les quantités, etc.—si c'est le seul endroit pour importer des livres au Canada, quels seront les effets pour les détaillants indépendants?

M. Nicholas Hoare: Permettez-moi de répondre à cette question.

Je sais que le temps est notre ennemi mortel, mais je dirai que nous sommes très inquiets, collectivement, des méthodes monopolistiques, quelle que soit leur nature, qui peuvent être appliquées à l'industrie du livre. Les dégâts qu'a faits un arrivant particulier sur le marché sont disproportionnés, à notre avis. Cela est dû en grande partie au fait que celui-ci a suffisamment de pouvoir pour limiter ou fermer notre accès à son marché, un marché qui nous appartient tout autant qu'à lui mais qui n'en est pas moins menacé.

J'aimerais vous citer en exemple le cas d'un ami à moi de très longue date qui est un éditeur de Toronto et qui, depuis longtemps, subit les coups et les contrecoups de la situation dans l'industrie du livre. L'an dernier, aux environs de cette époque, il a appris la nouvelle déplaisante qu'il ne pourrait pas vendre ses livres en gros à Pegasus compte tenu des conditions fixées par la société. Pour revenir aux tactiques de fier-à-bras dont parlait plus tôt l'un de vos collègues, je pense pouvoir dire—et mes collègues m'appuieraient d'ailleurs—qu'on n'y est pas allé de main morte avec mon ami et qu'on lui a fait clairement comprendre que s'il ne faisait pas ce que l'on attendait de lui, tous les livres provenant de sa maison d'édition qui se trouvaient dans les magasins et à l'entrepôt lui seraient retournés immédiatement. Sommée de mettre ses menaces à exécution, Pegasus a renvoyé sans préavis à ce pauvre éditeur 56 caisses de livres moins de 15 jours plus tard.

• 1305

Si cela ne vous donne pas une idée de ma situation et de notre situation à tous, j'y perds mon latin. Cet exemple montre bien qu'on écoutera très attentivement ce que dit Pegasus qu'on se trouve au Canada, à New York ou à Londres.

Ce que je crains le plus au sujet de l'alliance Pegasus—Chapters, c'est que si elle n'obtient pas satisfaction au Canada, elle va simplement contourner le réseau de distribution canadien, ce que lui permet sa taille, et s'adresser directement à la source pour obtenir des livres.

Le point que je fais valoir est très sérieux. Si l'alliance ne peut pas obtenir des livres au Canada à des conditions qui lui convient, elle contournera simplement notre réseau de distribution. Voilà ce qu'on peut faire quand on a autant de pouvoir. Il s'agit, à mon avis, d'un chantage culturel et d'une très grande menace qui plane sur nous tous.

Je ne sais pas si j'ai vraiment répondu à votre question, mais je pense qu'on ne voit ici que la pointe de l'iceberg. Tout comme vous, j'ai beaucoup d'autres choses à faire que de venir comparaître devant un comité, mais je suis ici aujourd'hui pour attirer votre attention non pas sur quelque chose qui m'effraie—nous avons un créneau et nous avons survécu pendant 31 années—, mais qui effraie notre industrie dans son ensemble qui n'est pas en mesure de faire face à de tels géants.

Nous sommes ici parce que nous voulons être compétitifs, mais il faut pour cela que les mêmes règles s'appliquent à tous et que les petits éditeurs ne puissent pas faire l'objet d'un chantage de la part de leur plus important client, lequel peut leur retourner leurs livres du jour au lendemain.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

M. Mauril Bélanger: Il serait utile que vous puissiez expliquer les circonstances auxquelles a fait face votre ami l'éditeur, soit à ce comité, soit au Bureau de la concurrence parce que les éditeurs ont craint jusqu'ici de venir nous exposer leur problème, craignant de faire l'objet de représailles.

M. Nicholas Hoare: Vous avez tout à fait raison.

M. Mauril Bélanger: Si personne n'est prêt à venir expliquer exactement ce qu'il en est à ce comité, cela ne l'aidera pas beaucoup dans ses travaux.

Le président: Nous vous remercions d'être venus. Nous vous sommes fort reconnaissants. Vous nous avez donné beaucoup de renseignements. Je voudrais encore une fois vous remercier au nom de tous les membres du comité.

Merci d'être venus.

Je voudrais demander aux membres du comité de rester pour poursuivre la réunion car il reste une question à régler.

• 1307




• 1310

Le président: Nous avons un budget supplémentaire de 39 000 $ qui a été distribué auprès de tous les membres. Je voudrais donc obtenir votre approbation de ce budget aujourd'hui.

[Français]

Monsieur de Savoye.

M. Pierre de Savoye: Monsieur le président, est-ce que quelqu'un a proposé cette motion et est-ce que quelqu'un l'a appuyée? Après cela, j'aimerais prendre la parole, tel que le Règlement le permet.

Le président: Il n'est pas nécessaire d'appuyer une motion en comité.

M. Pierre de Savoye: Monsieur le président, au début de cette rencontre, vous paraissiez un peu déconcerté par le fait que je voulais prendre la parole sur cette motion. Or, comme vous le savez, tous les députés autour de cette table peuvent prendre la parole sur toute motion. J'ai un certain nombre de questions à poser, sur une motion budgétaire entre autres. Comme j'ai plusieurs questions à poser, je me suis dit que c'était préférable de le faire après que les témoins aient été entendus.

Le président: Je m'excuse. D'accord.

M. Pierre de Savoye: Plus tôt, j'ai demandé à Mme la greffière de nous procurer le budget original qui date, on le sait, d'avant les premières rencontres tenues par ce comité en octobre, puisque c'est un budget résiduel, je crois, qui nous vient de la session précédente.

Il faut quand même voir qu'on nous demande d'approuver une somme de 40 000 $. Je me suis demandé ce que l'on a produit avec l'argent qui nous a été consenti depuis que l'on siège. J'ai le plaisir de siéger à ce comité-ci depuis le jeudi 28 octobre; c'était notre première rencontre.

• 1315

Je regardais un peu les rencontres qu'on a eues, les témoins qu'on a rencontrés, les personnes que nous avons invitées, à commencer par Mme la ministre, et je me demandais ce qu'on allait livrer pour cet argent-là. On peut bien demander de l'argent, mais il faut aussi livrer la marchandise. Or, à ce jour, que je sache, le comité ne s'est pas préoccupé de préparer un rapport, de faire le point ou d'élaborer des recommandations, soit pour la Chambre, soit pour le ministère, soit pour un organisme que l'on aurait rencontré. On a posé des questions, on a eu des échanges, parfois un peu écourtés à cause des circonstances, mais on n'a pas été capables de tirer des conclusions qui nous auraient permis d'avoir un sens d'utilité.

En d'autres termes, je m'instruis et on s'instruit tous. Je pense qu'on fait des réflexions très enrichissantes. On permet à nos témoins d'informer les observateurs qui viennent du ministère ou de divers organismes. On permet une réflexion qui sans doute peut mener à des résultats, mais jamais on n'a mis, noir sur blanc, les conclusions de nos réflexions et les orientations que l'on voudrait privilégier. Jamais on n'a écrit ce qu'il nous semblerait convenable de faire pour les divers organismes dont le ministère du Patrimoine canadien a la responsabilité, directement ou indirectement. Ainsi, monsieur le président, je trouve qu'on est un peu tardifs.

On arrive à la fin du mois de février—on a quand même commencé à siéger en octobre—et on inscrit des travaux au programme, soit la rencontre d'un certain nombre de témoins et l'étude d'un certain nombre de sujets, et on se met d'accord pour dire que les sujets qu'on veut étudier sont des sujets importants. Je suis d'accord que ce sont des sujets importants. Tout ce que ce comité-ci a fait est important. Le problème, c'est que cette importance n'est pas identifiée dans des orientations, des recommandations, dans une réflexion qui soit dirigée dans une direction particulière. Ce comité ne peut pas et ne doit pas être strictement un comité qui écoute et qui pose des questions. On n'est pas ici comme on serait à l'université, bien que la richesse des informations qu'on nous présente vaut largement ce que pourrait nous apporter n'importe quel cours universitaire

Non, nous sommes ici pour faire davantage que ça. Nous sommes ici en tant que parlementaires, pour recueillir le meilleur de ce que les témoins peuvent nous donner et ensuite offrir au ministère, aux divers organismes et à la Chambre le fruit de nos réflexions, nos conclusions et nos recommandations.

Jamais, monsieur le président, nous n'avons pris ne fût-ce que quelques minutes pour réfléchir à ces questions. Ce que je suis en train de faire aujourd'hui, je pense que c'est la première fois que nous le faisons. Nous abordons collectivement cette question, et c'est la présentation d'un ajout au budget qui me donne l'occasion de toucher à ce sujet crucial. M. Bélanger me regarde et je crois qu'il me comprend.

M. Mauril Bélanger: Pierre, n'estime pas que je te comprends; je ne te comprends pas du tout.

M. Pierre de Savoye: Peut-être devrais-je expliquer à M. Bélanger le sens de mon intervention, monsieur le président. Le sens de mon intervention est très simple: si, d'une part, il y a des règles qui permettent d'empêcher les parlementaires de s'exprimer sur certains sujets, il y a, d'autre part, fort heureusement, des règles qui permettent aux parlementaires de s'exprimer dans d'autres circonstances.

La loi du nombre, en vertu du Règlement de la Chambre, n'a pas toujours préséance. Elle a préséance dans un certain nombre de cas, particulièrement dans le cas des votes visant à limiter l'attribution de temps, mais dans d'autres cas, la prépondérance du nombre ne peut pas empêcher un député, particulièrement dans un comité, de s'exprimer sur un sujet aussi longuement qu'il le désire. En fait, elle ne peut empêcher aucun député de s'exprimer sur un sujet donné.

Dans le cas de ce budget-ci, monsieur le président, je vois qu'on veut ajouter une dépense supplémentaire aux sommes qui ont déjà été dépensées. Je me demande tout simplement ce que nous avons fait des sommes déjà dépensées. Sommes-nous capables de rendre compte de l'argent déjà dépensé? Sommes-nous capables de montrer un bien livrable qui corresponde aux sommes déjà dépensées?

• 1320

Je pense qu'il est légitime, avant d'engager de nouvelles sommes, de vouloir s'assurer que les sommes déjà dépensées ont servi à quelque chose, que nous avons apporté un enrichissement à l'action parlementaire dont nous sommes responsables.

Or, il faut bien admettre que si, d'une part, nous avons vaillamment travaillé à recevoir les témoins, à les écouter, à interroger nos visiteurs, dont Mme la ministre du Patrimoine en tout premier lieu, à poser de bonnes questions et à obtenir des réponses, parfois très éclairantes et parfois moins, d'autre part, nous n'avons jamais colligé le fruit de nos réflexions parce que nous n'avons pas pris le temps de faire une telle démarche en commun.

C'est désagréable de devoir faire une telle intervention à ce moment-ci, mais croyez-moi, chers collègues, j'ai beaucoup de considération pour chacun d'entre vous. Par ailleurs, je sais que vous avez beaucoup de considération pour les procédures auxquelles nous sommes tous et toutes astreints.

Monsieur le président, puisqu'on parle de budget, je me disais que nous avions, au cours de l'examen des travaux futurs du comité, mis un bon nombre de sujets à l'ordre du jour. J'en ai mis plusieurs moi-même, et j'espère que nous aurons le temps et l'occasion d'en faire l'étude.

D'autres sujets ont été portés à l'ordre du jour, entre autres la question de la distribution des livres—c'est un sujet important et nous l'avons abordé aujourd'hui—, mais jamais, monsieur le président, n'avons-nous établi, en discutant des travaux futurs du comité, le moment où nous ferions le point sur ces travaux et où nous arriverions à des conclusions.

Je vous donne l'exemple du témoignage de l'honorable Hedy Fry, secrétaire d'État au Multiculturalisme et à la Situation de la femme, qui est venue nous parler de la situation de la femme. C'était le jeudi 2 décembre. À ce moment-là, nous avions reçu Mme Fry, qui nous avait expliqué un peu les visions qu'elle avait pour l'action de la portion du ministère dont elle avait la responsabilité. Elle nous disait:

    Chez nous, les différentes cultures peuvent s'épanouir ensemble. La diversité y est valorisée. Un partenariat s'est établi entre les citoyens et l'État. Ici, nous avons réalisé un équilibre entre, d'une part, la liberté individuelle et la prospérité économique et, d'autre part, la répartition des risques et des bénéfices.

Monsieur le président, vous remarquerez que Mme Fry nous donne ici une orientation. Elle nous donne une indication de ce qu'elle croit être la situation. Nous n'avons pas eu l'occasion de vérifier, entre nous, si c'était notre perception également. Nous ne sommes pas obligés de partager l'opinion, d'une secrétaire d'État, aussi compétente soit-elle—et Dieu sait que j'ai un respect énorme pour Mme Fry. Avant de dépenser des sommes d'argent supplémentaires pour entendre d'autres témoins sur de nouveaux sujets, il me semble qu'on devrait se permettre de regarder à fond les sujets dont on a déjà discuté et de tirer des conclusions. Malheureusement, ce n'est pas ce que nous faisons. Nous avançons sans jamais fermer les sujets que nous avons abordés.

C'est un peu comme si un étudiant au niveau universitaire suivait un certain nombre de cours successivement, sans jamais passer d'examens, sans jamais obtenir son diplôme. Par conséquent, nous accumulons un savoir et une information incroyable—«incommensurable» serait peut-être un trop grand mot—, une information très dense, mais nous n'en faisons strictement rien. Et c'est là que le bât blesse. Pourquoi dépenser des sommes d'argent supplémentaires pour faire venir des témoins qui vont nous entretenir de nouveaux sujets fort intéressants et sans doute nécessaires si nous ne pouvons pas arriver, entre nous, à tirer des conclusions sur les sujets que nous avons déjà abordés?

• 1325

Il me semble, monsieur le président, que nous nous activons beaucoup, mais que nous le faisons de façon fort incomplète. Nous convoquons des gens. Nous payons leurs déplacements. Nous payons leur hébergement. Nous payons leurs dépenses, et ça vaut le coup, parce qu'ils enrichissent notre connaissance, notre savoir, notre perception des réalités en nous faisant partager leur vécu. Les personnes qui ont témoigné devant nous sont des gens de grand savoir et de grande compétence. L'argent que nous avons investi pour les faire venir ici a été bien investi, mais c'est à nous de faire fructifier cet investissement, et c'est ce que nous ne faisons pas. Nous laissons l'investissement là. Nous laissons cette valeur sur une tablette, où elle va recueillir la poussière.

Monsieur le président, j'ai devant moi des bleus des rencontres que nous avons eues. Il y a là beaucoup d'information, mais, malheureusement, cette information n'amasse que de la poussière. Et je dois vous avouer que si ce n'était de l'intervention que je fais aujourd'hui, et du moment où je la fais, peut-être que nous n'aurions jamais pris le temps de constater qu'en dépit de tous les efforts que nous faisons quotidiennement ici, en comité, il ne restera à la fin que du papier et pas d'action.

En tant que parlementaire, je ne crois pas qu'il y ait quelqu'un autour de cette table qui veuille seulement pousser du papier et créer des archives. Nous voulons aussi créer de l'action. Nous voulons aussi obtenir des résultats. Nous voulons aussi que des choses changent. Nous voulons aussi que les situations s'améliorent. Nous voulons aussi jouer notre rôle de politiciens responsables devant la population. Malheureusement, monsieur le président, c'est ce que nous ne faisons pas.

Le budget qui est par-devant nous est somme toute modeste, quand on connaît les dépenses que les comités peuvent encourir. C'est un budget dans lequel on alloue 5 000 $ pour les rapports. Or, on parle de rapports en braille, et je suis d'accord sur cela. Il est bon que cette information et les débats que nous avons eus puissent être disponibles pour les personnes qui doivent se servir du braille pour en prendre connaissance.

Nous parlons de rapports sous forme de disques optiques compacts, une excellente technologie qui permet une diffusion très large et très complète de l'information à notre disposition. Nous parlons aussi de cassettes. Nous voulons aussi que nos rapports soient sur l'Internet. C'est excellent. Cinq mille dollars, monsieur le président, c'est donné. Mais si cette information ne reste que sur l'Internet, que sur des cassettes, que sur des DOC et qu'en version braille, nous n'aurons pas accompli notre mandat: nous n'aurons pas fait ce pour quoi nous sommes payés. Nous sommes payés pour faire des recommandations qui, éventuellement, peuvent se transformer en mesures législatives, par la volonté de la Chambre des communes et du Sénat.

Monsieur le président, nous ne posons pas seulement des questions et...

Le président: Une minute, s'il vous plaît.

M. Pierre de Savoye: Je vous en prie, monsieur le président.

Le président: C'est un rappel au Règlement.

[Traduction]

M. Paul Bonwick: Excusez-moi, monsieur de Savoye.

M. de Savoye a fait quelques excellentes observations concernant le budget et le processus budgétaire et compte tenu de cela, je voudrais d'abord retirer ma motion d'appui au budget pour que le comité ait le temps nécessaire pour examiner l'information soumise par M. de Savoye et préparer aussi une réponse d'ensemble pour jeudi. Je demande donc le consentement pour retirer ma motion d'appui au budget.

[Français]

M. Pierre de Savoye: Monsieur le président...

[Traduction]

M. Paul Bonwick: Afin de permettre, monsieur le président, au comité d'avoir le temps nécessaire pour examiner l'information soumise pour que tout le monde se sente à l'aise pour appuyer le budget...

M. Rick Limoges: Peut-être que M. de Savoye peut rester ici et parler jusqu'à notre retour jeudi.

[Français]

M. Pierre de Savoye: Monsieur le président, je veux mentionner deux choses. D'abord, le sujet est important. La motion est devant nous depuis une semaine. Si j'ai eu le temps de me préparer, d'autres l'ont eu. Deuxièmement...

Le président: Une seconde, monsieur de Savoye. C'est devant nous depuis ce matin. C'est vous-même qui avez mentionné que la motion n'avait pas été présentée plus tôt. Elle a été présentée ce matin. Elle est devant nous depuis une semaine parce que c'est vous qui avez demandé un délai. Ce n'est pas parce que quelqu'un d'autre a demandé un délai. Alors, la motion est devant nous depuis aujourd'hui. Nous avons une demande que la motion soit retirée, et le proposeur...

• 1330

[Traduction]

M. Paul Bonwick: En tant que proposeur de la motion, je demande...

M. Pierre de Savoye: Cela exige le consentement unanime et je ne suis pas d'accord.

Une voix: Allons-nous lever la séance dans ce cas?

[Français]

Le président: Oui.

M. Pierre de Savoye: Monsieur le président, mon collègue Limoges mentionnait que je pourrais continuer à parler jusqu'à jeudi et qu'il reviendrait. Je devrai m'arrêter de parler lorsqu'il n'y aura plus quorum, mais je reprendrai mon intervention dès que nous aurons de nouveau le quorum.

Monsieur le président, je poursuis, à moins que vous me disiez que nous n'avons plus le quorum.

Le président: Nous n'avons plus le quorum.

M. Pierre de Savoye: Alors, je continuerai la prochaine fois. Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Merci.

Cette réunion du Comité permanent du patrimoine canadien est ajournée.