SCRA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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SUB-COMMITTEE ON CORRECTIONS AND CONDITIONAL RELEASE ACT OF THE STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
SOUS-COMITÉ SUR LA LOI SUR LE SYSTÈME CORRECTIONNEL ET LA MISE EN LIBERTÉ SOUS CONDITION DU COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le lundi 22 novembre 1999
Le président (M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)): La séance est ouverte. Au nom du sous-comité, je remercie tous les témoins d'être venus.
[Français]
Je vous souhaite à tous la bienvenue. Nous sommes réunis ici ce soir afin de discuter d'une question très importante, soit la libération d'office.
[Traduction]
Voici comment nous précéderons: chaque témoin prendra la parole à tour de rôle, peut-être dans l'ordre dans lequel vous vous êtes assis et dans lequel vous figurez sur l'ordre du jour.
[Français]
Est-ce que vous avez tous reçu une copie de l'ordre du jour? D'accord.
[Traduction]
Nous accueillons le professeur Anthony Doob, qui présentera ses remarques à titre particulier, ainsi que M. Julian Roberts.
[Français]
Le Barreau du Québec est représenté par Carole Brosseau et Jacques Normandeau.
[Traduction]
M. Cuthbert est le représentant de l'Association canadienne des chefs de police. Représentez-vous aussi l'Association canadienne des policiers? Il semble que M. Giffin est malade.
Le surintendant Peter Cuthbert (Association canadienne des chefs de police): Non, je ne suis pas le porte-parole de l'Association canadienne des policiers. Je représente l'Association canadienne des chefs de police.
Le président: D'accord.
De l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, nous accueillons Kim Pate, ainsi que le professeur Michael Jackson, représentant l'Association du Barreau canadien.
[Français]
L'Association canadienne de justice pénale est représentée par Rob Tropak et Gaston St-Jean.
[Traduction]
David Giffin, de l'Association canadienne des policiers, devait être ici, mais on me dit qu'il ne pourra être présent. Nous accueillons aussi Steve Sullivan, du Centre canadien des ressources pour les victimes de crime, ainsi que Graham Stewart, de la Société John Howard du Canada.
[Français]
L'Association des services de réhabilitation sociale du Québec est représentée par Johanne Vallée et Madeleine Ferland.
[Traduction]
Elizabeth White représente la Société Saint Léonard.
Le plus simple serait probablement de vous demander de prendre la parole dans l'ordre dans lequel vous figurez à l'ordre du jour. Vous aurez chacun cinq minutes pour vos remarques liminaires, puis, il y aura une période de questions.
Le premier nom sur la liste est celui de M. Anthony Doob.
M. Anthony N. Doob (témoignage à titre personnel): Je vous ai fait parvenir un mémoire écrit que je vais résumer.
Je crois savoir que vous envisagez la possibilité d'abolir la libération d'office dans sa forme actuelle et de donner à la Commission des libérations conditionnelles le pouvoir de déterminer à quel moment un détenu qui a déjà purgé deux tiers de sa peine pourra être remis en liberté. Je vous encourage fortement à rejeter cette possibilité pour les trois raisons suivantes.
Premièrement, si tout ce qui nous importait était la possibilité que des infractions soient commises avant l'expiration du mandat, la solution serait simple: Maintenir en incarcération tous les détenus jusqu'à l'expiration de leur mandat. En revanche, si on se préoccupe de toutes les infractions commises par ceux qui ont purgé une peine d'emprisonnement, on doit s'assurer que tous les détenus ont profité pleinement de programmes de libération graduelle.
Si la libération graduelle était supprimée, les délinquants qui ont le plus besoin d'une réinsertion graduelle et contrôlée dans la collectivité seraient les moins susceptibles de l'obtenir. Il serait beaucoup plus probable qu'ils soient élargis au moment de l'expiration de leur mandat ou immédiatement avant. Autrement dit, vous vous trouverez à échanger un nombre relativement petit d'infractions commises par ceux qui sont libérés avant l'expiration de leur mandat actuellement pour ce qui serait certainement un nombre supérieur, peut-être très supérieur, d'infractions que commettraient ceux qui seraient libérés à un moment ultérieur de leur peine.
Ainsi, au lieu d'accroître la sécurité du public, la proposition que vous semblez envisager diminuerait la sécurité du public et pourrait même coûter des vies. Le fait que ces crimes ne mériteraient peut-être pas les manchettes comme ceux qui sont commis par les libérés conditionnels ne devraient réconforter ni vous ni qui que ce soit s'intéresse véritablement à la sécurité du public.
Il est assez facile de prédire ce que sera l'effet global de l'abolition de la libération conditionnelle. Davantage de détenus qu'à l'heure actuelle devront purger une plus grande partie de leur peine en prison.
En 1997-1998, 4 900 prisonniers sous responsabilité fédérale ont été libérés d'office. C'est une augmentation par rapport aux deux années précédentes. Si l'on combine le nombre de détenus libérés d'office au nombre assez substantiel de détenus libérés à l'expiration du mandat, on a un tableau assez clair de l'incidence de la libération d'office sur la remise en liberté des délinquants en général.
De plus en plus, la CNLC hésite à accorder la libération conditionnelle. En effet, le nombre de libérés d'office est très supérieur actuellement à l'ensemble des détenus en semi-liberté ou en libération conditionnelle totale. Les données prouvent clairement une chose importante: si la libération d'office disparaissait et qu'il n'y avait pas de date normale de libération avant l'expiration du mandat, les détenus passeraient une période considérablement plus longue en prison.
Bien sûr, c'est ce que souhaitent certains défenseurs de l'abolition de la libération d'office. En fait, ils demandent des peines plus lourdes, ce qui résulterait manifestement de l'élimination de la libération d'office. J'espère que votre comité n'examine pas cette proposition comme façon quelque peu malhonnête de prolonger les peines de façon détournée.
J'estime qu'il y aura de 2 400 à 3 600 détenus de plus dans nos pénitenciers de façon permanente si cette proposition est acceptée. À mon avis, c'est une estimation modérée de l'incidence directe de cette mesure. En ce qui a trait au coût pécuniaire, il s'agirait d'un coût annuel continu de 123 millions de dollars à 184 millions de dollars. Cela s'ajouterait au coût en immobilisation qui irait de 360 millions de dollars à 540 millions de dollars. Ces estimations des coûts de construction des nouvelles installations proviennent du vérificateur général et sont en dollars de 1993.
On peut trouver d'autres façons de dépenser cet argent. On pourrait par exemple offrir des programmes qui ont fait leur preuve pour réhabiliter les jeunes, auquel cas on pourrait consacrer de 12 000 $ à 15 000 $ de plus à la réinsertion sociale et à la réhabilitation de chaque adolescent qui a été reconnu coupable d'une infraction sérieuse et avec violence au Canada.
Ce n'est là qu'une façon d'utiliser ces fonds pour accroître la sécurité publique. Si vous êtes disposés à présenter une proposition qui coûterait plus d'un demi-milliard de dollars la première année et de 123 millions à 184 millions de dollars chaque année subséquente, il importe que vous vous demandiez si cet usage constitue la meilleure façon d'accroître la sécurité publique. Si vous y réfléchissez, vous trouverez la réponse. Il n'est pas difficile de trouver d'autres façons de dépenser ces sommes et d'en faire un meilleur usage pour la sécurité du public.
La troisième raison, c'est que la signification de l'emprisonnement est un enjeu complexe qui mérite probablement davantage d'attention en droit pénal. Il y a 12 ans, la Commission canadienne sur la détermination de la peine, même si son mandat portait avant tout sur la détermination de la peine, a formulé des recommandations sur la libération conditionnelle, car elle est inextricablement liée à la peine. La Commission canadienne sur la détermination de la peine a catégoriquement maintenu que toute modification au régime de libération conditionnelle devait se faire en tenant compte des effets sur la détermination de la peine. Honnêtement, il serait irresponsable de recommander des changements radicaux à la libération conditionnelle sans déterminer d'abord les répercussions qu'ils auraient, d'une part, sur l'emprisonnement et, d'autre part, sur la détermination de la peine.
Si le comité veut étudier attentivement cette proposition ou toutes autres mesures semblables, je l'encourage plutôt à recommander dans son rapport que l'on étudie la question de la signification de l'emprisonnement. C'est un sujet important qui ne devrait pas être examiné superficiellement. De même, toute recommandation en vue de changements importants devrait se faire après un débat complet et ouvert.
Merci beaucoup.
Le président: Merci, monsieur Doob.
Monsieur Julian Roberts.
M. Julian Roberts (témoignage à titre personnel): Merci de m'avoir invité à témoigner.
Je n'ai pas de mémoire écrit. Je ferai quelques brèves remarques.
Essentiellement, j'aimerais rappeler au comité l'historique de certaines de ces dispositions. Je m'intéresse à la réforme des peines depuis environ 1984, année où j'ai participé aux travaux de la Commission canadienne sur la détermination de la peine et j'ai constaté notamment chez le grand public, que j'étudie, une certaine impatience. Pourquoi ne faisons-nous pas cela? Ne serait-il pas plus simple...? Sur ce sujet aussi, on discerne une certaine impatience. Il serait plus simple peut-être d'abolir la libération d'office et de s'en remettre au mécanisme de la libération conditionnelle, mais là n'est la question. La simplicité en soi n'a ni mérite, ni vertu, et je vais vous en donner deux exemples.
La libération fondée sur la catégorisation est une solution simple. Ceux qui sont reconnus coupables d'une certaine infraction se voient infliger une peine particulière et sont remis en liberté sous certaines conditions. La loi de la deuxième récidive, adoptée aux États-Unis, a le grand avantage de la simplicité. Le problème, c'est qu'elle est presque inutile. La simplicité n'est pas une vertu. Il s'agit ici d'une affaire complexe. Ce qu'il nous faut, c'est la clarté et la responsabilisation, et c'est ce que j'aimerais vous rappeler.
• 1940
J'aimerais maintenant faire quelques remarques sur certains
des arguments qui ont été avancés plus tôt aujourd'hui.
Quelqu'un a demandé à quoi sert-il d'avoir un cadre législatif pour l'administration de la peine? Encore une fois, je répondrais qu'il faut remonter dans le temps. Notre Parlement a choisi d'imposer le cadre prévu par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Si vous voulez savoir pourquoi le Parlement nous a imposé le régime de libération conditionnelle que nous avons actuellement, lisez le hansard, car c'est là que se trouve la réponse. C'est un enjeu complexe et on ne trouvera pas de solution en faisant fi du passé comme on semble vouloir le faire.
Je vous encourage à être pratiques et à vous concentrer sur les conséquences probables d'une telle mesure. Je vous encourage aussi à être prudents dans toute modification de l'architecture de la libération conditionnelle au pays. Comme l'a dit Tony Doob, c'est un sujet très complexe et c'est pourquoi la Commission canadienne sur la détermination de la peine et d'autres organisations, telles que la Commission de réforme du droit du Canada naguère ont recommandé que tout changement soit évalué non pas isolément, mais en fonction de son incidence sur tout le système.
J'aimerais aussi faire la distinction entre ce que je considère comme une proposition visant à réduire la criminalité et ce qui pourrait très bien n'être que le désir de punir. Cet après-midi, quelqu'un a suggéré que toute violation aux conditions de la liberté conditionnelle devienne une infraction criminelle. À mon avis, une telle mesure contribuerait peu à réduire ou à prévenir le crime. C'est tout simplement une mesure punitive. Si un contrevenant viole une condition importante de sa liberté sous condition, il devrait être réincarcéré; que cela devienne une infraction criminelle ne l'aidera nullement.
Je vous demanderais aussi d'examiner la structure d'ensemble du régime de détermination de la peine au Canada, qui prévoit notamment que la violation d'une condition d'une ordonnance de condamnation avec sursis n'est pas une infraction criminelle. La loi en question a reçu l'approbation du Parlement il y a trois ans. Il ne faut donc pas faire fi du passé.
En ce qui a trait aux effets probables, j'en ai recensé deux. On s'entend généralement pour dire que l'abolition de la libération d'office, ou son remplacement, entraînerait une augmentation au recours à l'incarcération et, par conséquent, des coûts de l'incarcération. On ne s'entend peut-être pas sur l'ampleur de ces coûts, mais ils augmenteront, c'est certain. Le temps passé en prison augmentera aussi. Il faut en tenir compte, et que les autorités correctionnelles et le Parlement examinent cela en détail.
La deuxième question est de savoir dans quelle mesure cette proposition contribuera à réduire la criminalité, à prévenir le nombre d'infractions commises par les libérés d'office qui seront dorénavant libérés autrement ou maintenus en incarcération. À cet égard, je vous rappelle simplement le chiffre donné par M. Ingstrup, soit moins de 1 p. 100, 0,5 p. 100. C'est tout ce que vous avez. Si vous envisagez de modifier la disposition ou le mécanisme de la libération d'office, ce n'est qu'à l'égard d'un demi pour cent qu'on pourra peut-être prévenir davantage la criminalité. Il faut alors effectuer une analyse des coûts et des avantages. Si vous entreprenez une analyse statistique, je crois que vous constaterez que cela ne vaut pas le prix que certains sont prêts à payer.
Merci beaucoup.
Le président: Merci, monsieur Roberts.
[Français]
Nous allons maintenant entendre les représentants du Barreau du Québec, Me Brosseau et Me Normandeau. Je vous accorde cinq minutes.
Me Carole Brosseau (avocate, Comité en droit criminel, Barreau du Québec): Merci, monsieur le président. Notre point de vue rejoint un peu les arguments qui ont été énoncés par M. Roberts et M. Doob. Nous appuyons leur conclusion quant à la tenue d'un débat ouvert et exhaustif sur la question.
Lorsqu'on parle de libération d'office, on ne peut pas analyser simplement cette question ou l'extraire de tout le processus d'évaluation de la libération conditionnelle. Le Barreau du Québec a produit en mars 1999 un mémoire exhaustif sur cette question, ainsi que sur toutes les questions qu'avait soulevées le Comité permanent de la justice.
Il en est ressorti, comme le soulignait M. Roberts, que c'est toute la question de la détermination de la peine qui est visée par cette libération d'office. Il faut évaluer les effets qui découleraient de changements ou de l'abolition même de la libération d'office.
Quand on parle de reddition de comptes, on parle de reddition de comptes du système carcéral en général, ainsi que de la responsabilité des services correctionnels à l'égard des traitements ou à l'égard du processus d'intégration progressive des individus dans la société. La libération conditionnelle est un processus complexe qui comporte plusieurs aspects.
• 1945
Je vais maintenant céder la parole à Me Normandeau.
Me Jacques Normandeau (avocat, Barreau du Québec): Je travaille dans le milieu carcéral depuis près de 12 ans et je puis vous dire que l'abolition de la libération d'office ne saura sûrement pas régler les problèmes; bien au contraire, elle va probablement en créer. Je crains qu'on ne fasse qu'accentuer la récidive rapide. Je crois qu'on doit toujours garder en tête que les cas qui se rendent à la libération d'office sont souvent ceux qu'on appelait, dans les pénitenciers à sécurité maximale, les cas d'échec du système. Il s'agissait de cas qu'on n'était pas capable d'amener à une libération dans le cadre d'une semi-liberté ou d'une libération conditionnelle totale. On a remarqué que les détenus qui étaient libérés dans le cadre d'une libération d'office étaient ceux qui présentaient un risque plus grand.
En incarcérant une personne pendant une année ou une année et demie de plus, on ne fait en bout de ligne que reporter l'échéance et déresponsabiliser le service. On transmet le problème directement à la société au lieu de tenter de le régler. Il est indéniable que la majorité des personnes qui bénéficient d'une libération d'office sont des cas plus compliqués et plus complexes. Par contre, ce n'est pas parce que ce sont des cas trop compliqués qu'on devrait faire moins d'efforts pour les régler. Il est très clair que ceux qui vont subir par la suite les conséquences de ce manque d'efforts seront les citoyens à l'extérieur.
Ayant longtemps pratiqué dans ce milieu, je suis en mesure de vous dire qu'on n'a jamais obtenu de bons résultats chez les gens qui avaient eu une longue incarcération et qui avaient été libérés sans encadrement.
On a parlé d'un autre système de surveillance qui serait établi par la cour par la suite. On aurait tort de croire que ce système serait en mesure d'évaluer chaque dossier de la cour au moment où les personnes seraient libérées à la fin d'un mandat d'incarcération. Ces gens ont normalement beaucoup plus de problèmes, sont plus difficilement contrôlables et ont besoin de plus d'appui. En les laissant à eux-mêmes, on ne ferait que lancer la serviette. On n'obtiendrait que le résultat contraire à l'objectif visé. Il y aurait une récidive plus rapide et des sentences plus longues et, en bout de ligne, ce seraient les citoyens qui paieraient la facture.
À mon avis, pendant l'incarcération, on doit faire tout ce qu'on peut pour amener une personne à avoir un comportement responsable dans la société par la suite. Ce n'est pas en prolongeant l'incarcération qu'on arrivera à ce but; c'est tout à fait le contraire qui se produira. En bout de ligne, ça risque d'être un exercice strictement mathématique. Il ne faut pas oublier que si on instaurait ce système le 1er janvier de l'an zéro, on ne ferait que retarder d'environ un an et demi la sortie de tous ceux qui devaient être libérés à cette date. Lorsqu'on aura franchi cette année et demie, on se retrouvera probablement à chaque mois face au même nombre de personnes libérées, mais elles seront libérées cette fois-ci sans aucun contrôle. On jouerait à la roulette russe, et les citoyens à l'extérieur risqueraient d'en payer le prix. Merci.
Le président: Merci beaucoup.
[Traduction]
Nous entendrons maintenant le surintendant Cuthbert, de l'Association canadienne des chefs de police.
Le surintendant Peter Cuthbert: Merci, monsieur. Je m'appelle Peter Cuthbert. Je suis membre de l'Association canadienne des chefs de police et surintendant au Service de police régionale d'Ottawa-Carleton.
Pour commencer, j'aimerais vous transmettre les regrets du commissaire Boniface, de la PPO, président du Comité des modifications législatives de l'ACCP, et de M. Vince Westwick, vice-président, qui n'ont pu venir ce soir.
Je remercie aussi le président du sous-comité d'avoir encore une fois invité l'ACCP à lui faire part des vues des chefs de police et des cadres de police du Canada.
Depuis que le comité a commencé son examen du projet de loi, l'ACCP a adopté des opinions bien arrêtées sur la libération d'office. Voici un court extrait du hansard du 13 décembre 1994, p. 71:7:
-
Nous croyons aussi que le juge qui détermine la peine devrait être
mandaté pour tenir compte de la véritable date de remise en
liberté. Si la loi prévoit la libération d'office, comme c'est le
cas à l'heure actuelle, ce qui signifie qu'une peine de trois ans
est en fait une peine de deux ans, et nous en reparlerons dans un
moment, le juge qui impose la peine devrait en tenir compte. Nous
allons même plus loin. Nous estimons que le juge qui détermine la
peine devrait au moins tenir compte de la véritable date de
libération et en parler dans les motifs de sa décision.
-
Nous ne sommes pas motivés par le désir de voir les juges imposer
des peines plus longues, bien que cela nous plairait. Nous voulons
simplement que les juges qui imposent des peines expliquent à la
collectivité les motifs de leur décision et précisément comment se
déroule le processus. Autrement dit, si on veut qu'un contrevenant
purge une peine d'emprisonnement minimale d'un an et maximale de
deux ans, c'est ce que devrait dire la peine; il est inutile
d'imposer une peine d'emprisonnement de trois ans, avec toute la
sévérité que cela sous-entend. À notre avis, ce genre de chose sape
la confiance du public, la confiance de la collectivité et la
confiance qu'ont les gens dans le système de justice pénale.
C'était un extrait du procès-verbal des délibérations de ce comité du 13 décembre 1994 ainsi qu'un extrait du témoignage de l'ACCP présenté par M. Vince Westwick, qui est maintenant vice-président du comité des modifications législatives de l'Association canadienne des chefs de police.
Si je comprends bien la loi, à l'heure actuelle, la peine se divise comme suit. Après six mois, le directeur de la prison peut donner à un détenu un permis de sortie ou lui accorder un placement à l'extérieur sans qu'il ait à obtenir d'abord l'autorisation de la commission des libérations conditionnelles. Six mois avant que le délinquant ne soit admissible à la libération conditionnelle, il peut obtenir la semi-liberté. Après avoir purgé un tiers de sa peine, le délinquant est admissible à la libération conditionnelle totale, bien que le juge ayant imposé la peine puisse ordonner que le détenu sera admissible à la libération conditionnelle totale seulement après avoir purgé la moitié de sa peine. Une fois qu'il a purgé deux tiers de sa peine, le délinquant est libéré d'office et fait l'objet d'une supervision obligatoire. Le Service correctionnel peut maintenir en incarcération, jusqu'à l'expiration du mandat, seulement les détenus pour lesquels il a des motifs raisonnables de croire qu'ils causeront des lésions corporelles graves ou la mort d'autrui, c'est ce qu'on appelle le maintien en incarcération ou le blocage de la libération d'office.
Vous examinez la libération d'office après que deux tiers de la peine ait été purgée. L'ACCP n'appuie pas la structure actuelle des peines. L'ACCP est d'avis que le public ne comprend pas et qu'il n'appuie pas les dispositions sur la libération d'office et qu'il est même scandalisé d'apprendre que les délinquants sont libérés automatiquement après avoir purgé deux tiers de leur peine d'emprisonnement.
En théorie, l'ACCP n'est pas contre l'idée d'imposer une peine comprenant une période d'incarcération, une période de liberté sous condition et une période de supervision. L'ACCP tient à ce que les peines soient ouvertes, transparentes et expliquées clairement par les juges qui les imposent afin qu'elles soient bien comprises par la collectivité et les victimes.
La meilleure façon de décrire la façon dont les peines sont comptabilisées est de prendre l'exemple d'une peine d'emprisonnement de trois ans. Le juge déclare «trois ans, mais...». Déjà, tous savent que le contrevenant sera élargi dans deux ans, et qu'il sera peut-être libéré sous condition dans un an. Nous sommes certains que la plupart des gens ne savent pas que les directeurs de prison peuvent libérer un détenu après qu'il ait purgé six mois de sa peine seulement.
À notre avis, il faudrait dire que la peine est de deux ans, avec l'admissibilité à la libération conditionnelle après la moitié de la peine. Le juge qui prononce la peine devrait fixer les conditions de la surveillance dans la communauté, au moyen d'une ordonnance de probation. Ce serait mieux adapté à ce que la collectivité peut s'attendre, comprendre et approuver. C'est plus clair.
En terminant, l'ACCP estime que la structure des peines, pour la libération d'office, contribue au manque de confiance du public dans la détermination de la peine; les mêmes principes pourraient être appliqués de manière que la peine soit exprimée plus clairement; la probation devrait remplacer la surveillance obligatoire et être imposée par le juge; le Service correctionnel du Canada doit pouvoir modifier les conditions de probation; dans ce cadre, l'admissibilité doit être repoussée à la moitié de la peine; et enfin, personne ne devrait pouvoir être libéré dans la collectivité en vertu d'un permis de sortie ou d'un placement à l'extérieur, sans l'aval de la Commission nationale des libérations conditionnelles.
Je tiens à remercier le comité et son président de cette occasion de présenter la position de l'ACCP sur ce sujet très important.
Le président: Merci beaucoup.
Écoutons maintenant Mme Kim Pate, de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.
Mme Kim Pate (directrice exécutive, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry): Je tiens à remercier le président et le comité de nous avoir permis de les rencontrer et de leur parler de cette question.
J'ai bien envie de rectifier un certain nombre de choses que je viens d'entendre, mais qu'il suffise de dire qu'il est important d'avoir à l'esprit que la libération d'office n'est pas automatique et que même si c'est un droit, c'est un droit révocable.
Il importe aussi de se rappeler que la raison de l'existence de la libération d'office, c'est qu'il s'agit d'un outil clé pour gérer la peine et la libération de manière que ceux qu'on associe à un risque—pas le risque le plus élevé, puisque dans ces cas-là il y a maintien en incarcération—sont libérés dans la collectivité avec une certaine surveillance, plutôt que d'être libérés à la fin de leur peine, sans surveillance aucune.
• 1955
Il ne faudrait surtout pas oublier qu'il y a un nombre
croissant de détenus maintenus en incarcération, de même que de
libération d'office assorties à des assignations à résidence,
précisément pour cette raison: on essaie de mieux gérer les peines.
Il importe aussi de savoir que d'après les recherches effectuées sur le maintien en incarcération, le Service correctionnel et la Commission nationale des libérations conditionnelles sont extrêmement prudents dans leurs décisions. On a déjà parlé des taux de récidive, particulièrement des taux de récidive avec violence, chez les détenus en libération d'office.
Je pense qu'il est aussi important de se rappeler que pour les femmes, en particulier, il y a de maintes raisons d'attendre la date de libération d'office, ou d'être libérées d'office, avec peu de possibilités. D'abord, il y a un manque de programmes de libération communautaire au Canada. Comme l'a dit clairement cet après-midi le commissaire des Services correctionnels, nous risquons de consacrer beaucoup plus de ressources à l'augmentation du taux d'incarcération des détenues, particulièrement chez les Autochtones, faute d'avoir des ressources importantes et suffisantes pour leur libération dans la collectivité.
Il importe aussi de faire remarquer, par ailleurs, alors que votre comité se demande s'il doit conserver la libération d'office pour les contrevenants adultes, qu'un nouveau projet de loi sur la justice chez les jeunes vient d'être déposé. Il faut tenir compte de l'expérience des praticiens, des recherches effectuées, du succès relatif des contrevenants en libération d'office, de l'importance d'assurer une surveillance de ceux qui sont à risque, et du fait qu'il y a un taux très élevé de récidive chez les jeunes qui sont libérés à la fin de leur peine et qui n'ont aucun mécanisme de libération d'office, ou d'autres types de libération... Or, dans le nouveau projet de loi sur le système de justice pénale pour les jeunes, on prévoit un mécanisme semblable, en raison de son efficacité chez les adultes.
Je crois donc que le fait que l'on l'introduit de la libération dans la collectivité plus tôt que ce que d'aucuns suggèrent, soit la libération à la fin de la peine, montre bien que des recherches ont été faites, que ceux qui élaborent la politique et les lois ont estimées nécessaires. Avant de commencer à envisager une réduction des possibilités de libération dans la collectivité, il faut s'assurer qu'on procédera à un examen approfondi et réfléchi de cette question très complexe, comme l'ont recommandé mes collègues Tony Doob et Julian Roberts.
Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup.
Et maintenant, au nom de l'Association du Barreau canadien, M. Michael Jackson.
M. Michael Jackson (membre, Comité sur l'emprisonnement et la libération, Section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien): Merci, monsieur le président.
Comme quelques autres témoins l'ont déjà dit ce soir au comité, il est à mon avis très important de bien comprendre l'histoire récente avant de se pencher sur cette question. Beaucoup de concessions ont été faites cet après-midi entre les membres du comité et les témoins, au sujet d'une définition de la libération d'office. Est-ce un droit? Est-un privilège? Est-ce un droit mérité? Je ne ferai pas une analyse juridique de la chose, mais je dirai qu'il s'agit d'un droit présumé.
Ce qui importe plus encore que de gagner le concours de la définition correcte de la libération d'office—après tout, n'oubliez pas que je suis avocat—, c'est de comprendre que même aussi récemment qu'en 1970, un prisonnier, au Canada, qui arrivait aux deux tiers de sa peine, était libéré dans la collectivité, et sa peine se terminait réellement par des moyens juridiques. Cette personne était tout à fait libre. De 1970 à 1999, le dernier tiers de la peine lui permet maintenant d'être «un peu libre», selon la description d'un perspicace criminologue. Votre liberté est assortie de diverses conditions, qui peuvent être extrêmement fastidieuses, et on peut vous ramener en prison pour bien moins qu'une infraction criminelle, comme on l'a entendu cet après-midi. Je crois donc important de comprendre cela.
• 2000
Ce qui est toutefois plus important encore, c'est de placer la
discussion et le débat sur la libération d'office dans le contexte
des amendements encore plus récents apportés à la structure de
détermination de la peine. Il y a eu à la Chambre un débat long et
animé sur l'adoption du projet de loi C-41 qui, ceci est très
important, insérait pour la première fois de l'histoire canadienne,
des principes de détermination de la peine dans le Code criminel,
un événement décisif qui s'était fait attendre, dans la maturation
du système de justice pénale.
Le principal élément de ce remaniement et de cette codification des principes de détermination de la peine était l'importance de limiter le recours à l'incarcération. MM. Doob et Roberts vous ont recommandé de consulter le hansard. Je peux peut-être vous éviter ce travail en vous renvoyant à l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Gladue, en avril dernier. La Cour suprême a passé en revue tout ce qui a mené à l'adoption du projet de loi C-41, qui intégrait des principes de détermination de la peine et aussi, pour la première fois, des peines conditionnelles dans le lexique du droit pénal canadien.
En revoyant cet historique, la Cour suprême a conclu:
-
[...] à l'époque de l'étude du projet de loi C-41, le gouvernement
estimait que la nouvelle partie XXIII avait un caractère
essentiellement réparateur. Les modifications proposées visaient
tout particulièrement à réduire le recours à l'emprisonnement comme
sanction [...]
La Cour suprême insistait à la fois sur le problème général du recours excessif à l'incarcération au Canada, et sur le problème particulier de la surreprésentation des Autochtones au sein de la population carcérale canadienne. Le commissaire des services correctionnels, M. Ingstrup, a cité cet après-midi l'arrêt Gladue, mais je pense qu'il vaut la peine de rappeler encore une fois au comité ce qu'a dit la Cour suprême:
-
Le Canada fait figure de chef de file mondial dans de nombreux
domaines, et particulièrement en matière de politique sociale
progressiste et de droits de la personne. Malheureusement, notre
pays se distingue aussi, à l'échelle mondiale, par le nombre de
personnes qu'il met en prison.
Suit une description de notre position au haut d'une liste peu enviable de pays pour ce qui est de l'incarcération de personnes. La conclusion de la cour: «Ces statistiques relatives au taux d'incarcération n'inspirent aucune fierté.»
L'abolition de la réduction légale de la peine aura nécessairement pour conséquence que des détenus purgeront une plus grande partie de leur peine en incarcération; cela est diamétralement opposé au principe de la modération du recours à l'emprisonnement. Plutôt que d'avoir un effet réparateur, cette mesure pousserait la politique pénale canadienne dans une voie encore plus honteuse.
La deuxième chose sur laquelle je me dois d'insister, c'est que l'abolition de la réduction de peine légale aurait un effet sur les détenus autochtones qui préoccupent particulièrement l'Association du Barreau canadien, et qui à notre avis, devrait inquiéter particulièrement tous les Canadiens.
La question de la surreprésentation des peuples autochtones était un point d'intérêt particulier de l'arrêt Gladue. Dans sa décision unanime, la Cour suprême a passé en revue les chiffres désormais trop familiers de la surreprésentation autochtone. Elle citait le rapport publié par l'Association du Barreau canadien en 1988, intitulé Locking up Natives in Canada:
-
[...] la prison symbolise pour les adolescents autochtones l'avenir
que leur réserve la société, au même titre que l'école secondaire
et le collège pour tous les autres Canadiens. Dans un contexte
historique, la prison est, pour bon nombre de jeunes Autochtones,
l'équivalent de ce que les pensionnats étaient pour leurs parents.
Après étude de ce rapport et d'après ses propres analyses, la Cour suprême conclut:
-
Ces constations exigent que l'on reconnaisse l'ampleur et la
gravité du problème, et qu'on s'y attaque. Les chiffres sont
criants et reflètent ce qu'on peut à bon droit qualifier de crise
dans le système canadien de justice pénale.
Plutôt que d'atténuer la crise, l'abolition de la réduction légale de la peine ne fera que l'aggraver. Voici pourquoi.
D'après un examen des statistiques sur les détenus autochtones du Service correctionnel, qui ont été compilées dans le cadre de l'examen quinquennal de la LSCMLS et qui ont été présentées au comité, les détenus autochtones sont beaucoup moins susceptibles de se voir accorder une libération conditionnelle totale, et risquent davantage d'être incarcérés jusqu'à l'expiration du mandat. Autrement dit, ils bénéficient moins souvent des libérations discrétionnaires et sont beaucoup plus souvent frappés par des maintiens en incarcération discrétionnaire.
• 2005
Tout changement législatif qui aurait pour résultat, sur
l'ensemble du système carcéral, de prolonger les périodes
d'incarcération et d'augmenter la portée des libérations
discrétionnaires aurait pour conséquence inévitable, même si elle
n'est pas délibérée, d'intensifier la discrimination systématique
dont sont victimes les délinquants autochtones. Pour justifier une
telle réorientation de la politique, il faudrait une démonstration
très convaincante de ses avantages pour la sécurité publique. Cette
démonstration n'a pas été faite, et ne saurait l'être, d'après les
faits que nous connaissons.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup.
Nous écouterons maintenant M. Rod Tropak et M. Gaston St-Jean, de l'Association canadienne de justice pénale.
M. Rob Tropak (président, Association canadienne de justice pénale): Merci, monsieur le président.
Nous avons fourni notre mémoire au sous-comité, mais nous n'avons pu le faire traduire en français avant l'audience de ce soir. Nous nous en excusons.
La libération d'office est un produit de la LSCMLS, qui abolissait la remise de peine méritée et la remplaçait par la libération d'office aux deux tiers de toute peine d'emprisonnement et avait pour résultat la surveillance des détenus jusqu'à l'expiration du mandat.
D'après les chiffres les plus récents publiés par la Commission nationale des libérations conditionnelles, le nombre de détenus en libération d'office est passé de 2 086 en 1992-1993 à 2 699 en 1998-1999. C'est une augmentation d'environ 23 p. 100, depuis l'entrée en vigueur de la LSCMLS. De 1998 à 1999, la libération d'office a permis 4 430 libérations, soit 55 p. 100 de toutes les libérations de détenus, ce qui coïncide de près avec la moyenne de 55,8 p. 100 des cinq années précédentes, si on remonte jusqu'à 1994-1995.
La taille et la composition de la population carcérale fédérale ont changé au cours des dix dernières années, parallèlement aux tendances de la criminalité, particulièrement en ce qui touche les crimes de violence. Ce changement a eu un effet sur l'administration de la libération d'office. Une augmentation à long terme du nombre de crimes de violence a eu un effet sur la taille et la composition de la population carcérale, qui comprend maintenant davantage d'agresseurs sexuels violents, dont beaucoup se sont vu refuser ou révoquer la libération conditionnelle. Tous ces facteurs contribuent à augmenter le nombre de contrevenants qui restent en prison jusqu'à la date de la libération d'office.
Ce qui nous préoccupe le plus, c'est qu'une grande proportion des détenus pourrait ne jamais avoir été libérés avant leur libération d'office. Cela montre le grand besoin que nous avons d'intensifier nos efforts pour mettre sur pied des programmes de réinsertion sociale efficaces, tant dans les établissements carcéraux que dans la collectivité. Puisque seulement quatre détenus sur 10 obtiennent une libération conditionnelle, il faut concentrer nos efforts sur les six autres et encourager leur participation à des programmes mis sur pied pour répondre à leurs besoins. Lorsqu'on leur refuse une libération conditionnelle, beaucoup de détenus baissent les bras et attendent simplement leur libération d'office. L'espoir d'une libération en semi-liberté ou en libération conditionnelle totale grâce à leur participation à des programmes doit être encouragée, dans le meilleur intérêt à long terme des détenus et de la société.
Au cours des cinq dernières années, environ 60 p. 100 des libérations d'office ont été couronnées de succès. Il y auraient des incidences graves, si on ne libérait pas ceux qui terminent avec succès leur période de libération d'office. La proportion de détenus libérés directement des pénitenciers, en libération d'office, sans avoir eu auparavant de semi-liberté ou de libération conditionnelle totale, a augmenté de 23 p. 100 au cours des cinq dernières années, passant de 42 p. 100 en 1994-1995 à 65 p. 100 en 1998-1999.
Par conséquent, l'abolition pure et simple de la libération d'office ne semble pas être une solution appropriée, et sans mesure compensatoire, serait même inacceptable. Dans les circonstances, il serait préférable de conserver la libération d'office, si ce n'est que pour permettre un processus de réinsertion graduelle et une période de surveillance, qui semble avoir un effet positif dans 60 p. 100 des cas, en plus de réduire la population carcérale.
En conclusion, nous ne pouvons accepter allègrement l'idée d'une abolition pure et simple de la libération d'office pour le moment, si aucune autre solution n'est proposée. La libération d'office offre au moins la possibilité d'une libération graduelle et d'une surveillance dans la collectivité, pour une période limitée, soit des concepts qui ont toujours trouvé des appuis, puisque cela réduit un peu la population carcérale. Mais cela, en soi, ne serait être accepté comme raison suffisante pour conserver la libération d'office.
• 2010
À notre avis, il faudrait plutôt une réforme complète de la
gestion des peines et de la planification des libérations, qui
mettrait en valeur la mission déclarée du SCC, qui est d'encourager
et d'aider les contrevenants. On veillerait ainsi à ce que tous les
efforts soient consacrés à une meilleure préparation du
contrevenant à sa libération et à ce qu'il reçoive tous les
encouragements nécessaires pour participer à des programmes
destinés à l'aider. On veillerait à ce que tous les appuis
possibles soient fournis dans la collectivité, pour favoriser la
réinsertion du contrevenant ou de la contrevenante et pour réduire
le risque de récidive.
L'examen actuel de la LSCMLC a souligné que la libération d'office était une question particulièrement délicate, ayant de nombreuses ramifications. Nous suggérons que cette question soit étudiée de manière plus approfondie, qu'on explore les autres options et leurs incidences, et qu'un autre examen de ces questions ait lieu dans trois ou cinq ans.
Sans nier l'importance qu'il faut accorder à la libération d'office, nous demandons depuis longtemps un examen de la gestion des peines et des libérations, qui assurerait l'uniformité du processus correctionnel. Nous ferions donc bon accueil à cet examen, qui pourrait avoir lieu en même temps.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Nous entendrons maintenant M. Steve Sullivan, du Centre canadien de ressources pour les victimes de crime.
M. Steve Sullivan (directeur exécutif, Centre canadien de ressources pour les victimes de crime): Merci, monsieur le président. Je suis ravi d'être de nouveau avec vous pour présenter notre point de vue au comité, au sujet de la LSCMLC et, plus particulièrement, de la libération d'office.
Il faut que l'on sache que je suis en faveur de la libération conditionnelle. Je pense que ses principes sont bons. Il est bien plus censé de libérer quelqu'un dans la collectivité assez tôt et de les y surveiller. Je ne suis pas l'une de ces malhonnêtes personnes auxquelles faisait allusion M. Doob, qui croit que l'élimination de la libération d'office allongerait les peines. La peine est ce qu'elle est, quelle soit purgée en prison ou dans la collectivité. Qu'il y ait libération d'office ou pas, cela n'augmentera pas la peine d'un seul détenu.
J'ai écouté les débats plus tôt aujourd'hui et j'ai écouté toutes vos observations qui étaient très éclairantes, mais il n'est pas logique de dire que vous craignez que quelqu'un soit évalué par la commission des libérations conditionnelles, parce qu'ils vont examiner le cas de cette personne et dire: «Non, il présente un risque trop élevé pour le mettre en liberté dans la société; nous allons plutôt le libérer tout de suite.» Cela n'a aucun sens. Si la personne représente un risque trop élevé pour que la commission des libérations conditionnelles le mette en liberté, cela devrait peut-être nous dire quelque chose.
Il y a certainement un plus grand nombre de libérations d'office que de libérations conditionnelles de jour ou de libérations totales pour ceux qui ont commis des infractions graves. Si on regarde la procédure d'examen expéditif, le taux de succès pour ceux qui sont évalués par la commission des libérations conditionnelles est beaucoup plus élevé que n'importe quel type de libération automatique, qu'il s'agisse d'une procédure d'examen expéditif ou d'une libération d'office.
On a beaucoup parlé de ce que cela nous coûtera et du fait que cela nous obligerait à construire d'autres prisons. Je ne comprends toujours pas, si le taux de succès est si élevé pour les libérations conditionnelles, pourquoi nous ne pouvons pas faire confiance à la Commission des libérations conditionnelles pour décider si ces gens doivent être libérés ou non. Si ce sont de bons candidats pour la libération conditionnelle, alors ils seront peut-être de bons candidats pour la libération d'office, et la Commission des libérations conditionnelles peut prendre cette décision. Bien qu'il ne l'ait pas dit ici aujourd'hui, M. Gibbs a déclaré précédemment aux médias qu'il avait certaines préoccupations relativement au manque de participation de la Commission des libérations conditionnelles à la libération d'office.
L'autre question qui me dérange, c'est lorsqu'on dit que s'il n'y a pas de libération d'office, la Commission des libérations conditionnelles doit automatiquement trancher. Il ne semble pas y avoir de terrain commun, mais il devrait y avoir un moyen. Nous avons fait deux recommandations lorsque nous avons comparu devant votre comité. D'abord, nous n'appuyons pas la libération automatique par le mécanisme de la libération d'office. Nous faisons confiance à ce dont Mme Venne a parlé—la libération conditionnelle selon le mérite.
La façon dont le système fonctionne à l'heure actuelle—et vous le savez tous—c'est que si le Service correctionnel du Canada ne renvoie pas le dossier, la Commission des libérations conditionnelles n'a pas d'autre choix que de dire que cette personne ne peut être libérée. Nous recommandons que même en l'absence d'un renvoi par le Service correctionnel du Canada, la Commission des libérations conditionnelles se voit confier l'examen du dossier. On part du principe qu'il y aura libération. Si le SCC ne lui renvoie pas le dossier, la Commission des libérations conditionnelles aurait quand même le pouvoir de décider si on va le garder en prison ou non.
Cela revient à avoir le choix de dire: «Oui, nous croyons au principe de la libération conditionnelle; nous croyons qu'il faut encourager les gens.» M. Tropak a parlé de certains détenus qui, lorsqu'on leur refuse la libération conditionnelle, laissent tout simplement tomber et attendent la libération d'office. Que leur apprenons-nous au sujet de la responsabilité si nous disons tout simplement: «Très bien, vous n'êtes pas admissible à la libération conditionnelle, mais vous n'avez qu'à attendre la libération d'office et nous vous laisserons partir»? Ne serait-il pas plus encourageant de dire à ces gens: «Vous n'avez pas obtenu de libération conditionnelle après avoir purgé le tiers de votre peine, mais si vous travaillez assez fort, vous l'obtiendrez après les deux tiers». Cela leur apprendrait quelque chose.
Voilà les observations que je voudrais faire au début. Nous ne devrions pas dire que c'est l'un ou l'autre. Il devrait y avoir un moyen terme.
Le président: Merci beaucoup.
De la Société John Howard du Canada, nous recevons M. Graham Stewart.
M. Graham Stewart (directeur exécutif, Société John Howard du Canada): Merci, monsieur le président. Je suis ravi d'être ici ce soir. Comme vous le savez, j'ai écrit au comité et présenté un mémoire incluant certains des faits et des arguments fondamentaux.
• 2015
J'aimerais tout d'abord dire que lorsque je me suis joint à la
Société John Howard en 1969, il y avait deux façons de sortir de
prison pour un détenu sous responsabilité fédérale. L'une était la
libération conditionnelle, l'autre était d'attendre l'expiration de
la peine avec réduction de peine. Après avoir purgé les deux tiers
de sa peine, le détenu était libéré, ayant obtenu une réduction de
peine. Il y avait donc réduction de peine, ce n'était pas un
programme de mise en liberté anticipée. La peine était en fait
raccourcie.
Il y avait beaucoup d'enthousiasme face à la libération conditionnelle à l'époque. On était d'avis qu'il s'agissait d'une méthode de surveillance et que l'aide offerte dans le cadre de ce processus était utile pour ceux qui sortaient de prison et que cela réduisait la possibilité de récidive. Il n'était pas logique que ceux qui étaient considérés comme étant ceux qui nous inquiétaient le plus reçoivent le moins d'aide, le moins de surveillance.
En fait, la libération d'office—ou la surveillance obligatoire, comme on l'appelait à l'époque—était une façon de surveiller les gens sans réduire d'une journée le temps qu'ils passaient en prison. Les parlementaires de l'époque craignaient tout autant que ceux d'aujourd'hui de donner l'impression de ne pas être assez stricts face au crime. La solution était excellente. Nous pouvons faire en sorte qu'ils purgent chaque jour qu'ils doivent purger en prison, mais nous ajoutons cette période de surveillance qui a converti la réduction de la peine en surveillance, et c'est ce que l'on faisait.
Au fil des ans, le succès de la libération d'office je pense a démontré que la libération sous surveillance a en fait réduit la criminalité à long terme, et n'a pas pour autant mis en danger la sécurité du public pour les raisons que j'ai déjà données, c'est-à-dire que ces gens n'auraient pas été en prison de toute façon. Abolir la libération d'office, ou la refuser à une personne, augmente de 50 p. 100 la peine d'emprisonnement. La peine n'a pas changé, mais c'est le temps passé en prison qui change. Il s'agit d'une augmentation importante de l'incarcération.
Si on fait cela de façon générale avec toute la population carcérale, il s'agit-là d'une mesure administrative sans précédent et qui pourrait avoir de telles conséquences. Cela va à l'encontre des principes de la détermination de la peine qui ont été adoptés récemment par le gouvernement. Cela va à l'encontre des principes de la LSCMLC. Cela se produirait alors que le Canada a déjà l'un des pourcentages d'incarcération les plus élevés au monde, un pourcentage très élevé. Cela ne réduit pas le crime à plus long terme. À moins qu'une telle mesure ne s'accompagne d'une augmentation considérable du budget du Service correctionnel du Canada, nous devons comprendre que ce dernier n'aura plus d'argent à consacrer, comme il le fait à l'heure actuelle, aux programmes de traitement et de réadaptation qui ont fait leurs preuves, selon la recherche qui a été fait ici même et ailleurs dans le monde, pour ce qui est de réduire la criminalité à long terme. Cela aura donc des conséquences qui iront bien au-delà des simples coûts; même ceux qui auraient profité d'une libération conditionnelle ne pourront profiter des programmes qui existent à l'heure actuelle.
Le Canada a de la chance d'avoir un système correctionnel qui met l'accent sur la réadaptation et la réintégration et qui en fait sa responsabilité. Je pense qu'une mesure qui diminuerait cela serait une tragédie par rapport à tout le développement de ce qui constitue le service correctionnel par opposition à un système de simple pénalité comme il existe à l'échelle internationale.
Le Service correctionnel a l'obligation de réduire le récidivisme, que ce soit pendant la période de la peine ou après. Cela n'est pas simplement ma philosophie, une idée que j'ai; c'est la loi. C'est ce que dit la LSCMLC à l'heure actuelle. Il s'agit de renvoyer une personne dans la communauté comme un citoyen respectueux de la loi, non pas seulement jusqu'à mardi, jusqu'au mois prochain, mais comme un citoyen respectueux de la loi. Cela sous-entend une solution à plus long terme qu'on ne peut éliminer de façon arbitraire.
Je suis d'avis que le fait de s'éloigner d'un mécanisme de libération progressive est une façon d'abdiquer ses responsabilités de réintégration dans la communauté, obligations que le gouvernement doit à mon avis avoir et maintenir. Lorsque nous nous démettons de cette responsabilité, nous laissons en fait toute la question de la réintégration dans la communauté et de la réduction du crime dans la communauté à la police et au secteur des bénévoles. Nous n'avons ni les ressources ni le pouvoir d'être efficaces, comme nous avons très bien pu le constater avec les dispositions concernant la détention et l'horrible situation dans laquelle nous nous retrouvons ces jours-ci en chassant les gens d'une communauté à l'autre comme des fugitifs.
La détention n'est pas le modèle sur lequel nous devrions bâtir notre système correctionnel et un système de mise en liberté sous condition.
• 2020
Je conclurais en disant que je suis fermement convaincu que la
mise en liberté sous condition n'existe pas dans notre système
parce que nous pensons que les contrevenants la méritent. Ce n'est
pas de la clémence. Nous appliquons une certaine forme de mise en
liberté sous condition parce qu'ils en ont besoin et nous aussi, si
nous voulons vraiment mettre sur pied un système qui, à long terme,
permettra de réduire la criminalité.
Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup.
[Français]
Je donne la parole aux représentantes de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec, Johanne Vallée et Madeleine Ferland.
Mme Johanne Vallée (directrice générale, Association des services de réhabilitation sociale du Québec): Chers membres du comité, nous vous remercions de nous avoir invitées à comparaître devant votre comité.
Notre position repose sur un objectif fondamental, soit la paix, la sécurité et le mieux-être des collectivités, et sur un principe simple, à savoir que les contrevenants se doivent de répondre de leurs actes et que la société doit agir de manière responsable pour assurer leur réintégration dans la communauté.
Les citoyens bénévoles qui dirigent les organismes communautaires venant en aide aux contrevenants adultes et que nous représentons sont profondément convaincus que la protection des citoyens et la réhabilitation sociale des contrevenants passe essentiellement par de bons programmes correctionnels, une continuité entre ces programmes et ceux offerts dans la communauté, un encadrement et un accompagnement des contrevenants dans le cadre d'une remise en liberté progressive.
Nous croyons que les mesures les plus efficaces sont celles qui visent à accroître la responsabilisation des contrevenants, et que ces mesures doivent s'amorcer dès le début de l'incarcération.
La libération d'office est, selon nous, une mesure pragmatique. Nous estimons que le législateur s'est donné un mécanisme pour assurer l'encadrement ou la surveillance d'individus qui, de toute façon, vont se retrouver dans la rue. Elle revêt donc un caractère préventif.
Par ailleurs, il importe de reconnaître le défi que constitue cette forme de mise en liberté. Notre expérience au Québec démontre que plusieurs individus qui bénéficient de cette mesure sont souvent très réfractaires à d'autres formes de mise en liberté ainsi qu'aux conditions qui les accompagnent. De plus, ils préfèrent parfois faire du temps plutôt que de s'impliquer activement dans les différents programmes correctionnels. Ceux-ci sortiront donc en libération d'office et auront à l'occasion recours aux organismes de la communauté, c'est-à-dire les maisons de transition, dans le cadre d'un dépannage. Ils seront assurés d'avoir un gîte ainsi que le temps nécessaire à la recherche d'un logement ou d'un emploi. D'autres individus présentant un risque plus élevé en raison de leur profil seront remis en liberté en libération d'office avec assignation en résidence. Ces détenus se retrouveront également en maison de transition et devront respecter un ensemble de conditions. Cette dernière forme de libération d'office est beaucoup plus contraignante pour le contrevenant.
Malgré les différences entre les deux façons d'utiliser la libération d'office, le défi demeure important pour les intervenants qui doivent non seulement encadrer ces détenus, mais également contribuer à leur motivation et à leur responsabilisation. Dans un court laps de temps, soit la période qui débute aux deux tiers de la sentence et se termine à la fin de la sentence, les intervenants, tant ceux du Service correctionnel que ceux de la communauté, devront ajuster leur intervention pour assurer une réinsertion sociale efficace.
Comme je le disais tout à l'heure, bien que la libération d'office soit une mesure pragmatique, ce contexte d'intervention est loin d'être idéal. Dans ces circonstances, il y a lieu de s'interroger sur l'objectif de réinsertion sociale qui accompagne cette mesure.
C'est pourquoi nous réaffirmons notre position selon laquelle la libération conditionnelle doit demeurer la mesure de remise en liberté privilégiée par l'ensemble des acteurs. La libération conditionnelle est une mesure sérieuse qui allie l'aide et le contrôle. Elle offre aux intervenants la possibilité d'ajuster leur intervention au fur et à mesure que le contrevenant effectue sa réinsertion sociale, se responsabilise et retisse son réseau social. Enfin, elle favorise une meilleure préparation des cas, ainsi que la collaboration entre les divers intervenants qui oeuvrent en milieu carcéral, dans la communauté et dans les organismes communautaires.
À notre avis, le cadre juridique actuel sous-estime fortement l'effet stimulant de la libération conditionnelle sur les individus. Depuis l'entrée en vigueur de la loi en 1992, la Commission nationale des libérations conditionnelles n'a plus l'obligation de procéder à un examen systématique des cas; elle ne procède maintenant à un examen que sur demande. De plus, lorsque les cas qui lui sont soumis font l'objet d'un refus, un délai de deux ans s'ensuit, générant un sentiment de frustration et surtout la démotivation des sujets. Certains décideront d'attendre la libération d'office pour sortir dans la communauté. Pour d'autres, le délai de deux années les amènera inévitablement à la libération d'office.
• 2025
Nous croyons essentiel de retrouver les conditions
permettant de motiver les individus à se prendre en
main de façon responsable. C'est pour cette raison que
nous formulons les recommandations suivantes, que nous
vous présentons par ordre de priorité.
Premièrement, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition doit absolument affirmer que la réinsertion sociale constitue le meilleur moyen d'assurer la protection du public et, puisqu'il s'agit de la liberté des individus, le système correctionnel et de mise en liberté doit recourir aux mesures les moins restrictives possibles.
Deuxièmement, la Commission nationale des libérations conditionnelles doit procéder de manière systématique à l'examen de tous les dossiers d'individus admissibles à une semi-liberté.
Troisièmement, par la suite, la Commission nationale doit être tenue d'examiner à tous les six mois l'ensemble des cas admissibles à une libération conditionnelle.
Quatrièmement, la libération d'office doit être maintenue.
Cinquièmement, pour assurer le succès de la réinsertion sociale, des programmes de réhabilitation doivent débuter à l'intérieur des pénitenciers et se poursuivre dans la communauté.
Nos recommandations font notamment écho à celles du vérificateur général du Canada qui, à plus d'une reprise, a souligné l'importance de préparer les dossiers des détenus à l'intérieur d'une période de temps respectant le processus de mise en liberté via la libération conditionnelle.
En conservant la libération d'office tout en mettant davantage l'accent sur les autres formes de mise en liberté conditionnelle, la société agit de manière responsable et le législateur veille à ce que les mécanismes de réinsertion et de réhabilitation sociales des détenus indispensables à la protection du public soient disponibles.
En terminant, malgré les défis associés à cette mesure, l'absence de données complètes sur le profil des contrevenants qui se retrouvent en libération d'office et le portrait partiel quant aux facteurs pouvant influencer le recours à cette mesure dictent également la prudence quant aux choix que nous devons faire.
Il nous apparaît plus convenable de maintenir la tradition canadienne, c'est-à-dire de préserver les mécanismes de remise en liberté auxquels sont associées des mesures d'encadrement, de sorte que l'aide aux délinquants soit disponible et que le public soit assuré de sa sécurité.
Le président: Merci beaucoup.
[Traduction]
Le dernier témoin est Elizabeth White, qui représente la Société Saint-Léonard du Canada.
Mme Elizabeth White (directrice exécutive, Société Saint-Léonard du Canada): Il est tentant de me contenter de dire que j'approuve ce qui a été dit jusqu'ici. J'aimerais remercier le président et les membres du sous-comité de m'avoir invitée à faire quelques brèves remarques au sujet de la libération d'office, son utilité et sa pertinence. Je ne vais pas lire la lettre que j'ai envoyée il y a environ un mois. Je tiens simplement à insister sur certains aspects essentiels de cette question.
Les faits qui ont été présentés à votre comité sont très convaincants. Certaines questions paraissent peut-être floues, mais après analyse, il ne fait aucun doute que le système en place est très efficace.
En second lieu, j'aimerais dire que la libération d'office est un droit garanti par la loi. En fait, il s'agit, comme vient de le dire mon collègue, de faire valoir un droit présumé. Ce n'est pas un droit absolu de franchir la porte sans la moindre restriction, et d'ailleurs nous ne devrions jamais laisser les gens en parler de cette façon, car ce serait induire les autres en erreur.
La troisième chose que j'aimerais dire, c'est que la libération d'office s'inscrit très bien dans la gestion des peines. Notre système de justice repose sur le principe que les personnes chargées d'établir la peine ne sont pas les mêmes que celles qui l'appliquent. La libération d'office et les autres formes de mise en liberté sous condition n'ont rien à voir avec la sanction. Elles visent à permettre aux anciens détenus de réintégrer la collectivité avec un minimum de risque. Or, l'absence de ressources suffisantes dans la collectivité est une question distincte sur laquelle il faudra évidemment se pencher, mais ce n'est pas une raison pour refuser la libération d'office.
En outre, cet après-midi et ce soir, plusieurs intervenants ont dit qu'ils ne sont pas très enthousiastes à l'idée de permettre à certaines personnes de réintégrer la collectivité sous surveillance—c'est-à-dire leur accorder la libération d'office—s'ils n'ont pas réussi à obtenir une mise en liberté conditionnelle. En réalité, comme nous le savons tous, les détenus qui se sont vu infliger une peine à durée précise sortent un jour ou l'autre. Est-ce que nous ne voulons pas tous que ces personnes dont les besoins sont très grands, aient accès à un maximum de mesures d'intervention, de surveillance et d'appui pendant ces premières semaines et ces premiers mois d'une importance cruciale, lorsqu'ils s'adaptent à la vie à l'extérieur d'un établissement carcéral? Nous savons que la surveillance dans la collectivité est plus efficace. Nous savons que les gens sont vulnérables quand ils sortent de prison. Nous connaissons le profil à risque élevé des détenus. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur tout cela.
• 2030
Certains ont également parlé aujourd'hui du fait que les gens
comprennent mal la libération d'office et, en fait, les autres
formes de mise en liberté sous condition. La réponse à ce problème
ne consiste pas à simplifier un système qui, nous le savons, est
très complexe. Il s'agit d'offrir une information plus complète à
la société, de mieux sensibiliser les gens, et de garantir une plus
grande transparence de tout le système correctionnel et de mise en
liberté sous condition, de sorte que les personnes désireuses d'en
savoir plus puissent bien comprendre comment les choses se passent.
En un mot, le système de libération d'office fonctionne bien et nous ne devrions pas essayer de le tripoter, ou d'en modifier tel et tel aspect. Ce n'est qu'un élément d'un système assez cohérent de mesures correctionnelles et de mise en liberté sous condition. Nous espérons que le sous-comité décidera d'en recommander le maintien.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, et je remercie tous les témoins d'avoir respecté le délai qui leur était imparti. Cela nous facilite les choses.
Nous allons essayer de faire des tours de dix minutes, car notre façon de procéder va être un peu différente. Lorsqu'un des membres du sous-comité pose une question à un témoin donné, si les autres veulent ajouter quelque chose, qu'ils me fassent signe et je les mettrai sur ma liste. Il est donc possible que nous ne respections pas tout à fait le temps prévu pour chaque intervention.
Je signale également que je sais que M. Doob doit prendre l'avion à 22 heures, et il doit donc nous quitter peu après 21 heures. Je ne sais pas si d'autres doivent prendre des dispositions, mais je comprendrais si vous devez vous en aller. Si vous devez partir, faites le moi savoir dès à présent et nous adapterons les questions en conséquence.
Nous commençons par M. Gouk, pour un tour de dix minutes.
M. Jim Gouk (Kootenay—Boundary—Okanagan, Réf.): Merci, monsieur le président.
Nous avons beaucoup de témoins en si peu de temps. Je n'ai pas de questions directes. J'ai pris des notes qui s'adressent aux divers intervenants.
Comme j'adore les analogies, j'en ai deux qui me paraissent pertinentes. Dans l'ensemble, elles traduisent ce que j'ai entendu dire à la plupart des gens. Mme Pate se sentira sans doute plus concernée que la plupart d'entre nous.
Lorsqu'on a un rhume et qu'on le soigne, on peut s'en débarrasser en sept jours, mais si on ne fait rien, cela prend une semaine. J'ai horreur de voir les gens considérer la libération d'office de la même manière, à savoir qu'ils ne font rien pour se faire pardonner, ils ne manifestent pas le moindre remords, ne cherchent pas à s'améliorer, à coopérer ou quoi que ce soit. Ils se disent le système est là, et une peine de détention de trois ans équivaut à deux ans. À quelques exceptions près, c'est en général la façon dont les choses se passent et c'est pourquoi nous nous penchons sur la question.
La majorité des personnes présentes ce soir sont pour le maintien de ce système, qu'elles abordent sous l'angle humanitaire pour le détenu. Je me demande toutefois pourquoi nous insistons pour libérer les prisonniers après qu'ils ont purgé deux tiers de leur peine. Pourquoi ne pas envisager de les faire sortir encore plus tôt? Pourquoi ne pas nous concentrer sur les mesures nécessaires pour aider les gens, pas seulement en leur disant qu'ils doivent agir de telle et telle façon ou sinon ils ne seront pas mis en liberté? En fait, il faudrait les aider grâce à toutes sortes de mesures originales pour qu'ils puissent sortir encore plus tôt de prison.
J'approuve totalement l'idée de permettre aux personnes non violentes, coupables d'une première infraction, de sortir après avoir purgé un sixième de la peine, à condition de l'avoir gagné. Pour les récidivistes, il faudrait toujours y réfléchir à deux fois, lorsqu'ils ont purgé un tiers de la peine. Je souhaite que la majorité des détenus puissent sortir rapidement de prison, mais pas parce que nous avons une politique qui prévoit qu'il suffit de purger les deux tiers de la peine, le délai est écoulé, et on peut s'en aller, mais peut-être en prévoyant certaines conditions et diverses autres mesures. La politique n'est pas liée aux efforts que fait cette personne pour réintégrer la société en y participant à part entière. De notre côté, il nous incombe de mettre à leur disposition des programmes utiles et de les inciter à s'en prévaloir.
Il y a un autre exemple qui me paraît pertinent. Vous avez seulement entendu des gens dire et répéter que nous connaissons un sérieux problème de pauvreté puisquÂun grand nombre de gens vivent en dessous du seuil de la pauvreté dans notre pays, et qu'il suffit donc d'abaisser le seuil pour résoudre le problème. C'est absurde, mais c'est la même chose que de prétendre qu'il faut adopter un système plus gentil, plus généreux et non pénalisant en laissant simplement les gens sortir de prison, et qu'il faut résoudre le problème du surpeuplement dans les prisons en libérant les détenus. À mon avis, cette façon de voir les choses ne tient pas plus que dans le cas de la pauvreté. En tant que société, il nous incombe—nous, parlementaires, et vous, en tant que personnes qui vous intéressez de près à notre système carcéral—de trouver une façon d'améliorer le système.
• 2035
Lorsque nous ne nous attachons pas à encourager les détenus à
mieux se comporter, nous empiétons sur les droits de tous les
autres détenus qui eux, agissent convenablement et veulent se
racheter, qui essayent de s'améliorer pendant qu'ils sont en
prison, de façon à pouvoir réintégrer une société productive dès
leur sortie. Disons que nous renonçons à ce principe et prenons
l'exemple d'une personne qui a commis une série de vols avec
effraction—pas nécessairement une infraction avec violence, mais
un acte criminel quand même assez grave—et nous l'incarcérons;
pendant sa détention, cette personne se bat avec les gardiens de la
prison. Elle les insulte et leur lance des objets—nous avons une
assez bonne idée de ce que les gardiens reçoivent à l'occasion dans
la figure. Il peut arriver que cette personne vandalise sa cellule
parce que quelque chose l'a exaspérée, ou qu'elle lance des
aliments dans la cafétéria. Mais après avoir purgé les deux tiers
de sa peine, elle sort. Ce n'est pas normal. À mon avis, nous
relâchons une personne antisociale qui aura du mal à s'adapter dans
la société.
Il est donc normal, selon moi, de révoquer la libération d'office automatique, mais il faudrait en échange partir du principe que leur cas sera automatiquement examiné en vue d'une libération. Il faut faire confiance à la Commission des libérations conditionnelles. Si celle-ci n'assume pas cette responsabilité que nous entrevoyons de façon collective, il nous faudra en saisir la commission. La solution ne consiste pas à la contourner. Parallèlement, nous devrions mettre l'accent sur de meilleurs programmes à l'intention des détenus, de sorte que nous n'aurions pas à nous préoccuper de leur mise en liberté après avoir purgé deux tiers de la peine car cela nous permettrait d'en faire sortir un grand nombre même plus tôt, une fois qu'ils se sont réadaptés.
Le président: Pour la réponse, j'ai M. Doob sur ma liste.
M. Anthony Doob: Merci beaucoup.
La différence entre nous ne tient sans doute pas au fait que nous ne recherchons pas tous le même résultat. Je soutiens même que bon nombre des arguments qui ont été avancés n'étaient pas essentiellement ou même strictement d'ordre humanitaire. Ils concernaient en réalité la sécurité du public. Graham Stewart l'a très bien résumé en disant qu'ils en ont besoin et que nous en avons besoin.
Lorsqu'on a affaire à un détenu qui, de l'avis de tous, est un dur à cuire, refusant la plupart du temps de collaborer, qui n'a peut-être même réussi à terminer les programmes qui lui ont été offerts—et je pense que Steve Sullivan m'a repris à très juste titre—le problème vient de ce que nous ne parlons pas de modifier la durée de la peine. Il s'agit de voir comment cette peine est purgée. Le problème vient de ce que nous sommes confrontés à la date d'expiration du mandat. Il nous faut donc nous demander comment accroître les chances qu'a cette personne de réintégrer la société à long terme—pas simplement avant l'expiration du mandat, mais également par la suite. Les recherches et nos intuitions vont dans le même sens. Relâcher quelqu'un directement à l'expiration du mandat n'est absolument pas la bonne façon de faire.
Le problème auquel se heurte la Commission des libérations conditionnelles—et ceci n'est pas une critique à l'endroit de ses membres—c'est que lorsqu'une personne présente un risque, surtout dans la situation actuelle, où l'on considère la commission comme responsable du risque à court terme, c'est-à-dire avant l'expiration du mandat, les mesures que nous prenons visent à réduire au minimum ce risque à court terme. Nous ne nous préoccupons pas de la sécurité du public à long terme.
Il nous suffit de dire que nous ne pouvons tout simplement pas relâcher les gens dès l'expiration du mandat. Nous savons que c'est difficile et nous savons que cela va à l'encontre de l'objectif recherché. Ce qu'il faut faire, c'est encourager la réintégration des détenus en supprimant la libération d'office et en permettant à ce grand nombre de gens qui sont mis en liberté surveillée de purger une plus grande partie de leur peine. Hormis le facteur coût, pour lequel j'ai fait quelques estimations et pour lequel vous avez certainement d'autres données, nous ne faisons en fait que mettre en danger la sécurité du public.
Le président: Monsieur Jackson.
M. Michael Jackson: J'ai une remarque à faire pour répondre à la préoccupation de M. Gouk. Il semble dire que les détenus ont le choix de mal se comporter pendant leur détention, d'enfreindre toutes les règles, tout en étant convaincus que, faute de pouvoir prouver qu'ils doivent rester en prison, ils pourront sortir après avoir purgé les deux tiers de leur peine, éventuellement en étant assujettis à une condition de résidence.
À mon avis, cela ne tient pas compte du fait que Service correctionnel du Canada n'est pas faible quand il s'agit de prévoir tout un éventail de mesures d'incitation. Lorsqu'un détenu est indiscipliné, il est enfermé dans un établissement à sécurité maximale, et jouit de moins de privilèges. S'il commet des infractions, il sera puni conformément au code disciplinaire et pourra passer de longues périodes en isolement cellulaire. Si c'est un véritable perturbateur, il finira à l'unité spéciale de détention.
• 2040
Ce scénario rappelle le paradoxe dont a parlé M. Doob. À
certains égards, si l'on adopte un système axé sur le mérite—et,
par intuition, on veut que les gens méritent certaines choses—le
paradoxe par rapport à la sécurité du public vient de ce qu'on peut
dire au détenu qui est très perturbateur, qui a un comportement
agressif à l'égard du personnel, qui ne respecte pas les règles de
la prison: «Vous n'obtiendrez rien; en fait, vous allez gâcher
votre vie et nous vous garderons ici jusqu'au dernier jour de la
peine.»
J'ai interrogé des hommes qui sont relâchés après avoir été détenus dans une unité spéciale de détention, ou en isolement cellulaire au sein de cette unité et qui se baladent librement. Tout le monde ici présent devrait trembler à l'idée qu'une personne peut quitter l'unité spéciale de détention. Même si l'on peut justifier que le détenu mérite d'y être enfermé étant donné ce qu'il a fait, est-ce que nous méritons qu'un individu aussi dangereux soit relâché dans les rues de Montréal et qui est devenu dangereux soit à cause de son propre comportement soit à cause du traitement qu'il a reçu, et auquel on permet ensuite de se promener librement en attendant littéralement de trouver sa prochaine victime? Voilà le genre de cas qui exige des mesures d'intervention qui permettent de réduire au lieu d'accroître le risque.
Kim et moi connaissons une de mes clientes détenue au pénitencier de la Saskatchewan et pour laquelle la détention en sécurité maximum est justifiée. Elle a été détenue et restera sans doute dans une institution à sécurité maximum jusqu'au jour de sa libération. Je crains pour sa vie en prison, et il y a tout lieu de craindre pour la vie des autres quand elle sera mise en liberté.
Il faut donc examiner tous les aspects liés au mérite et à ce que nous méritons et atteindre un juste équilibre.
Le président: Avez-vous une brève question complémentaire, monsieur Gouk?
M. Jim Gouk: Si une personne est si dangereuse qu'on ne peut pas l'atteindre, il a été dit ce soir qu'il faudrait prévoir six mois de plus de détention, ou six mois de protection pour la société. Le revers de la médaille, c'est le cas de la jeune femme détenue dans l'unité spéciale de détention à Québec et qui a peu à peu, par sa faute, franchi les différentes étapes du système, en faisant plusieurs sorties avec effraction et en adoptant un comportement épouvantable, jusqu'à ce qu'elle finisse à l'unité spéciale de détention. Quelqu'un a alors réussi à lui parler à lui venir en aide, et elle est désormais en voie de réadaptation.
C'est sur ce genre de choses qu'il nous faut nous concentrer, au lieu de dire que, quelque soit l'horreur de l'acte criminel commis et l'absence de remords manifesté par les détenus, il faut les faire sortir plus tôt pour pouvoir les contrôler. Dans tous les cas possibles, il nous faut trouver une façon de communiquer avec ces personnes afin qu'elles gagnent cet avantage—non pas pour nous permettre de dire qu'elles l'ont gagné, mais pour que nous ayons vraiment réussi à les réadapter. Si nous ne nous concentrons pas sur cet aspect du problème, ce que nous faisons ne sert à rien.
Le président: Merci.
[Français]
Madame Venne, je vous accorde 10 minutes.
Mme Pierrette Venne (Saint-Bruno—Saint-Hubert, BQ): Ma question s'adresse à Me Normandeau.
On remet aujourd'hui en question tout le processus des nominations et le fonctionnement interne de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Si notre sous-comité recommandait l'abolition de la libération d'office, quels seraient, selon vous, les impacts possibles sur la commission à la lumière des allégations de M. Vastel, du quotidien Le Soleil?
J'aimerais également savoir quelles améliorations vous pourriez nous suggérer. Comme vous avez pu le constater, monsieur le président, ma question est directement reliée au sujet. Merci.
Me Jacques Normandeau: L'abolition de la libération d'office n'améliorerait évidemment pas la situation actuelle. Elle ne ferait que l'aggraver.
Je suis entièrement d'accord avec ceux qui affirment que le problème se situe au niveau de l'indépendance des commissaires et de leur statut. Il s'agit là de l'une de nos principales préoccupations. On a soulevé la qualité des commissaires, du système de nominations et du suivi fait en cours de mandat. Les commissaires devraient avoir la meilleure formation possible et posséder l'indépendance nécessaire au bon exercice de leurs fonctions. Ces aspects ont été soulevés par plusieurs personnes. J'ai moi aussi pris connaissance des nouvelles ce matin.
Ce qui est évident, du moins au Québec, c'est qu'il y a un problème pressant au niveau de de l'interférence exercée à plusieurs niveaux face aux décisions des commissaires. Je n'invente pas ces choses. Même les commissaires tiennent régulièrement de tels propos. Évidemment, cela pose un problème sérieux au niveau de la commission et porte atteinte à la crédibilité du système, qui se trouve entaché lorsqu'on laisse de telles choses se poursuivre. On a besoin d'avoir des réponses à ce niveau-là. Avant même de songer à abolir la libération d'office, on devrait d'abord s'assurer que les commissaires puissent avoir une réelle indépendance et soient en mesure d'exercer leurs pouvoirs sans crainte de pressions administratives de la part de leurs supérieurs. C'est une situation tout à fait évidente, entre autres au Québec.
Le président: Madame Ferland.
Mme Madeleine Ferland (membre, Association des services de réhabilitation sociale du Québec): Je crois que si on abolissait la libération d'office, le problème ne se situerait pas au niveau de la Commission des libérations conditionnelles.
Notre rapport indique jusqu'à quel point nous croyons que la libération conditionnelle est une bonne mesure pour aider l'individu à retourner dans la société et comment elle sert à assurer la protection du citoyen.
Par contre, la limite se trouve dans la mesure où on peut prédire ou non la récidive. Les météorologues vous diront qu'ils aimeraient bien être capables de vous dire s'il y aura tempête ou non dans cinq jours. Votre médecin aimerait bien pouvoir vous dire si, dans cinq ans, vous allez mourir d'une crise cardiaque ou non. On ne peut pas faire de prédictions dans des sciences qui sont beaucoup plus avancées que les sciences criminologiques ou les sciences sociales. Les sciences sociales ont fait un grand pas au cours des dernières années, mais nos outils de prédiction ont encore des limites. Nous nous basons là-dessus pour formuler nos recommandations, tout comme les commissaires le font avant de prendre des décisions.
Les statistiques indiquent que 20 p. 100 des gens qui se sont rendus à leur date de libération d'office vont récidiver. Il ne faut toutefois pas oublier que 60 p. 100 de ceux qu'on considérait comme n'étant pas «sortables» ne vont pas récidiver. Et encore là, on ne tient pas compte des 26 p. 100 qui sont réincarcérés à la suite d'un bris de conditions. C'est donc la limite de nos outils de prédiction qui fait en sorte qu'il faut absolument garder le mécanisme de libération d'office aux deux tiers de la peine.
Mme Pierrette Venne: Je comprends très bien votre argumentation. D'ailleurs, je voulais justement demander à Mme Vallée de préciser une affirmation qu'elle faisait lors de son allocution. Elle disait: «Nous croyons que les mesures les plus efficaces sont celles qui visent à accroître la responsabilisation des contrevenants.»
Je regardais récemment l'émission Zone libre, dans laquelle on nous montrait les détenus de Donnacona. J'imagine que vous avez aussi vu cette émission, qui était assez édifiante pour tout le monde. Je vais vous avouer honnêtement que j'ai été très surprise de constater, en regardant cette émission, que les gardiens faisaient très attention pour que les Hell's Angels ne rencontrent pas les Rock Machines quand ils se déplacent d'une salle à l'autre. C'est vraiment fantastique de voir à quel point ils prennent soin de ces gens-là. Lorsqu'on regardait bien, on voyait qu'il y avait des irréductibles là-dedans, des gens qui n'avaient aucune intention de se responsabiliser. Que pensez-vous pouvoir faire et quelle attitude avez-vous vis-à-vis de ces gens qui n'ont rien à foutre de la responsabilisation?
Mme Johanne Vallée: Madame Venne, je vous dirai que je suis très prudente face aux reportages de certains médias et à certaines allégations. Lorsqu'on a une expérience dans ce milieu et qu'on prend le temps de regarder plus en profondeur, on se rend compte que la réalité est beaucoup plus complexe. Malheureusement, une émission comme Zone libre a permis à de gros bras, comme on dit dans notre jargon, de renforcer leur image.
Quand on prend les personnes individuellement, séparément, on constate qu'elles vivent une autre réalité. On sait bien dans notre milieu qu'elles ne jouissent pas d'une très grande longévité, qu'elles n'atteignent pas un âge très avancé. Il y a une façon de les responsabiliser et de travailler avec elles.
• 2050
Il va sans dire que ceux qui font partie du
crime organisé font face à des défis majeurs: le
poids de la gang, les valeurs culturelles et la
possibilité de s'en sortir.
Il y a des choses qui se font et qui ne sont
malheureusement pas connues. Des choses assez
particulières se font dans
la communauté et dans les réseaux communautaires et on
réussit à
sortir, à moyen terme, des gens du crime organisé.
Leur cas ressemble un peu à celui d'un individu qui a des problèmes d'alcoolisme. S'il sait que les gens autour de lui l'abandonnent, cela ne l'aidera pas à s'en sortir. Par contre, s'il sait que le jour où il sera prêt à s'en sortir, des gens seront là pour lui tendre la main, pour l'encadrer et le contrôler, mais aussi pour l'appuyer, il aura bien plus de chances de s'en sortir.
On ne doit jamais abdiquer.
Mme Pierrette Venne: J'admire votre optimisme, mais il arrive qu'une personne dise qu'elle n'a aucune intention de faire quoi que ce soit pour être réadmise dans la société. D'ailleurs, vous avez vous-même entendu de tels propos de la part de ces gros bras dont vous parliez. Vous vous souvenez de ce détenu qui disait carrément à la télé qu'il n'avait pas l'intention de retourner dans la société. Il avait commis un crime pour pouvoir rester à l'intérieur. Je veux bien être optimiste, mais dans ce cas-là, je serais plus...
Mme Johanne Vallée: Je vous répéterai, madame Venne, que nombre d'alcooliques n'ont jamais voulu se prendre en main, ont toujours nié leur problème et ont dit ne pas avoir besoin d'aide pour s'en sortir. D'autre part, regardez tous ceux qui s'en sont sortis grâce à des mouvements comme celui des AA.
Les contrevenants les plus dangereux purgent des sentences à perpétuité, mais il y a toujours d'autres façons d'encadrer les autres détenus. Je vous invite à venir dans des organismes communautaires et à faire un séjour dans une maison de transition. Ce n'est pas une sinécure. Il y a des moyens d'aide et des moyens de contrôle. On n'a qu'à regarder ce qui se fait au niveau du Service correctionnel et de la surveillance intensive qu'on exerce. Les contrevenants ont à répondre de leurs actes à tout moment et à toute heure, ne sachant pas à quelle heure l'agent du Service correctionnel va sonner à la porte. Des tests d'urine sont faits sur une base aléatoire. Ce n'est pas une sinécure. Je suis consciente qu'ils présentent un certain risque, mais il existe certains outils dont on bénéficie. Il est indéniable qu'on pourrait améliorer la collaboration entre le Service correctionnel et la police, et même le réseau communautaire. Il y a des façons d'intervenir qui nous permettent d'assurer la sécurité du public ainsi qu'un encadrement serré des individus qui présentent un risque.
Le président: Merci, madame Venne.
[Traduction]
Monsieur MacKay, vous avez 10 minutes.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier tous les participants. Cela nous a permis d'entendre des opinions très variées et très réfléchies sur un grand nombre de questions différentes.
Au sujet de cette question précise, notre comité doit prendre garde à ne pas simplifier les choses à l'extrême. C'est une crainte que nous éprouvons tous. Toutefois, en général, les parlementaires, les législateurs et les dirigeants ont tendance parfois à oublier que c'est dans une certaine mesure ce que la population attend d'eux. Je dis que, en général, au lieu de se débarrasser des systèmes qui ont été mis en place, souvent, nous avons tendance à alourdir les formalités administratives et les mesures législatives déjà en vigueur. Il nous faudrait donc parfois prendre un peu plus de recul. Je conviens qu'il y a toujours un risque à essayer de simplifier les choses à l'extrême, mais parfois la population comprend mieux le problème que nous ne le pensons.
Ceci dit, je suis d'accord avec le commentaire du professeur Doob. Je respecte énormément ce qu'a dit Graham Stewart sur la mise en liberté graduelle. C'est autant nécessaire pour eux que pour nous. Nous convenons tous autour de la table, tous les membres du comité, que mettre quelqu'un en liberté de but en blanc est ce qu'il y a de plus dangereux. Faire passer quelqu'un d'un environnement carcéral, d'un environnement de vase clos directement à la rue est le pire des scénarios possibles.
• 2055
Cependant, il y a un ou deux autres facteurs qu'il ne faut pas
oublier. C'est triste à dire, mais il y a des individus qui tant
qu'ils auront un souffle de vie, constitueront un danger pour la
société et que, peu importe les ressources et les moyens mis en
oeuvre par le système, ne seront jamais réinsérables.
Cela ne veut pas dire qu'il faut faire une croix sur un bon nombre de détenus. Cependant, je crois qu'il est préférable de faire porter nos efforts sur ceux qui peuvent être réinsérés. Nous ne pouvons régler le problème de tous.
La confiance du public dans le système est une affaire politique, il ne faut pas l'oublier. Quand j'entends quelqu'un comme Steve Sullivan dire que le public perd confiance... Peter Cuthbert a dit à peu près la même chose: 12 ans ne veut pas dire 12 ans, pourquoi dans ce cas essayer de faire croire que 12 ans veut dire 12 ans quand ce n'est pas vrai? Ce n'est pas du tout comme ça.
On ne cesse de parler actuellement, peut-être un peu trop, dans notre système juridique de réalité des sentences. Cependant, à mon avis, dans une certaine mesure, nous y sommes obligés si nous voulons rétablir une certaine confiance du public dans le système. Beaucoup de bons apôtres s'y efforcent mais pourquoi continuer à prétendre que 12 ans c'est 12 ans ou quelle que soit la sentence?
Il y a une considération incontournable à savoir que la libération d'office permet la relaxation pure et simple sans ce dernier filtre. D'aucuns l'ont déjà dit, mais qu'y a-t-il de mal à ce que la Commission des libérations conditionnelles, qui existe justement pour jouer ce rôle, ne porte ce dernier jugement, n'examine chaque cas? Pourquoi ne pas exercer un certain pouvoir discrétionnaire ce dernier jour plutôt que pas de pouvoir discrétionnaire du tout? C'est le rôle que devrait jouer la commission.
Pour éviter tout malentendu, personne ne suggère d'éliminer de cette loi les articles consacrés à la libération d'office et de ne les remplacer par rien. Personne parmi nous ne le suggère, pas plus, d'après ce que je peux comprendre, qu'aucun des témoins qui ont comparu devant vous. Ce n'est pas une option. Nous voulons mettre en place quelque chose de plus efficace.
Le président: Monsieur MacKay, pourriez-vous laisser le professeur Doob répondre? Il doit partir pour attraper son avion.
M. Peter MacKay: Certainement.
M. Anthony Doob: J'ai une réponse très brève à cette question. J'aimerais répéter que je suis tout à fait d'accord et que je ne vois aucun problème à ce que toute la question des peines, de leur réalité et de leur complexité soient réexaminées. Je pense simplement que ce n'est pas le moment et certainement pas dans la précipitation. C'est une question très complexe. Elle concerne l'ensemble de la structure judiciaire. Je me contenterai donc de répéter ce que j'ai déjà dit.
Mais pour ce qui est de la deuxième chose, de la question de la réalité des peines, pour revenir à un des propos, je crois, de Kim Pate tout à l'heure, je crois qu'il importe de ne pas oublier que dans le projet de loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, projet dont je le suppose votre comité plénier sera bientôt saisi, il est prévu que les peines combineront l'incarcération et des congés de réinsertion justement dans le but que nous préconisons tous, à savoir éviter que des jeune se retrouvent brutalement libérés à la fin de leur peine.
Je tiens à revenir à la question évoquée par Peter Cuthbert et que vous, monsieur MacKay, venez aussi de resoulever. J'aimerais vous rappeler que le projet de loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents renferme quelque chose d'assez analogue. Selon une disposition, le juge dans son ordonnance d'incarcération et de supervision, arrête que l'intéressé doit purger un certain nombre de mois d'incarcération suivis d'un certain nombre de mois dans la collectivité, sous surveillance et sous certaines conditions.
Le gouvernement va donc dans ce sens dans la nouvelle législation. J'estime que c'est une excellente initiative mais bien entendu, ce qui est intéressant, c'est que ce n'est pas automatique. Pour l'essentiel, c'est une période de temps déterminé pendant laquelle l'intéressé purgera une partie de sa peine dans la collectivité parce que les jeunes, comme les adultes, finissent par sortir. Ce que je vous supplie de ne pas oublier c'est que ce sont des gens qui vont finir par se retrouver dans la rue. Ce n'est donc pas une question de si mais de comment.
Merci beaucoup.
Le président: Merci, monsieur Doob.
M. Anthony Doob: Je m'excuse mais je dois vous quitter. Je croyais que vous deviez commencer un peu plus tôt ce soir.
Le président: Monsieur MacKay, il vous reste trois minutes et demie.
M. Peter MacKay: Le problème c'est que tout le monde ne devrait pas être automatiquement libéré. Je suppose que c'est une des réponses à cette question. Il y a aussi ce besoin de certitude pour les détenus de savoir quand au juste ils seront libérés. Ils voudront toujours pouvoir être libérés plus tôt que prévu. Ça tombe sous le sens. Dans l'ancienne Loi sur les jeunes contrevenants, aussi diffamée qu'elle l'était pour de nombreuses raisons, les jeunes contrevenants savaient—et le public savait—que s'ils étaient condamnés à deux ans de prison, ils feraient bel et bien ces deux ans. Un programme pouvait être organisé pour concorder avec la réalité de cette peine.
En fait, c'est bien de cela qu'il s'agit. Imposer une peine appropriée n'est pas sorcier. Il faut la personnaliser pour chaque délinquant. C'est le rôle des juges. Après c'est aux responsables des prisons de s'en charger, à la Commission des libérations et au Service correctionnel.
Il est malheureux qu'un des éléments manquants ici, un des témoignages que nous n'avons pas entendu—bien que nous l'ayons entendu au cours de nos déplacements—est celui des gardiens. Je ne sais si cela se fait, mais il me semble que la Commission des libérations, voire les représentants des services correctionnels, pourraient probablement profiter de l'expérience des gardiens qui sont en contact quotidien avec les détenus. Je crois qu'on a parfois tendance à l'oublier. Je le dis simplement en passant.
Je reviens encore une fois à cette nécessité d'exercer une certaine discrétion en bout de ligne, juste avant que la porte ne soit ouverte. Dans son mandat, la Commission des libérations devrait avoir à porter ce jugement dans tous les cas, plutôt que de constater simplement que la date de libération d'office est arrivée, quelle que soit la participation, les efforts de réinsertion et la bonne ou la mauvaise conduite de l'intéressé. Je crois que c'est ce que les observateurs et beaucoup de personnes concernées dans le système, trouvent inadmissible dans le concept de libération d'office.
[Français]
Le président: Mme Ferland et Me Brosseau voudraient faire des commentaires.
Mme Madeleine Ferland: Premièrement, je suis d'accord qu'une sentence de 12 ans veuille dire 12 ans, parce qu'après sa libération, l'individu continue de purger sa peine dans la communauté. Des restrictions lui sont imposées et il a des programmes à suivre. Ce n'est pas drôle là-dedans, mais c'est dans l'eau qu'on apprend à nager. Donc, c'est dans la communauté qu'on apprend à devenir un honnête citoyen. Plusieurs études qui sont faites des programmes nous démontrent que ces derniers sont efficaces quand ils sont appliqués dans la communauté. Par ailleurs, si l'individu n'est vraiment pas libérable, on a toujours à l'heure actuelle la possibilité de le garder en incarcération.
Un autre aspect porte sur la période de probation une fois la peine purgée. On en a parlé tout à l'heure. Ayant observé ce processus sur le plan provincial—au centre où je travaille, nous avons aussi des cas provinciaux—, je sais que les résultats ne sont pas les mêmes. Durant la période de probation qui suit la peine, on n'a pas le même pouvoir sur l'individu. On ne peut pas l'incarcérer aussi facilement que lorsqu'il est en libération conditionnelle s'il ne respecte pas les conditions ou s'il y a désorganisation. Il est en probation; il en faut beaucoup pour pouvoir le réincarcérer. À ce moment-là, la société est moins bien protégée.
Le président: Merci.
Maître Brosseau.
[Traduction]
M. Peter MacKay: Pourrais-je répondre très rapidement?
J'ai utilisé cet exemple des 12 ans. Si un détenu est libéré au bout de huit ans d'une peine de 12 ans, il n'est pas libéré sous condition pendant le restant de sa peine de 12 ans.
[Français]
Mme Madeleine Ferland: Évidemment.
[Traduction]
M. Peter MacKay: La période de temps qui reste lorsqu'il est libéré n'est pas ajoutée. Les conditions ne restent pas les mêmes que lorsqu'il était emprisonné. Sauf un manque de respect des conditions dans lesquelles il a été libéré, il ne sera pas réemprisonné. Il n'aura pas à rendre compte de tout ce qu'il fait jusqu'à l'expiration du mandat.
[Français]
Mme Madeleine Ferland: Les conditions sont modifiables, mais elles peuvent effectivement s'appliquer jusqu'à l'expiration du mandat. On peut aussi le réincarcérer après huit ans, neuf ans, dix ans ou onze ans. Il n'y a rien qui empêche de le réincarcérer si, à un moment donné, il y a désorganisation ou si la société est en danger.
Le président: D'accord.
Maître Brosseau, s'il vous plaît.
Me Carole Brosseau: Merci. Mme Ferland a exposé en partie ce que je voulais répondre moi-même.
D'autre part, on a cité l'exemple des jeunes contrevenants. Je peux vous dire qu'on en a longuement parlé et qu'on va réformer cette loi. D'ailleurs, on se prononcera quand viendra le temps d'étudier ce projet de loi.
• 2105
Je peux vous dire qu'à l'heure actuelle, au Québec, la
Loi sur les jeunes contrevenants comporte un programme
de mesures de rechange. Ces mesures sont beaucoup
utilisées et on a, au Québec, le plus bas taux de
récidive et de mise sous garde fermée des jeunes
contrevenants. Si les mécanismes de réinsertion
y faisaient échec, je ne vois pas pourquoi... Le
Québec n'est pas tellement fautif à l'égard des jeunes
contrevenants. Ce principe pourrait être
appliqué aux délinquants adultes.
Je suis également d'accord sur un autre point au sujet de la peine réelle. La peine est déjà une punition en soi. On l'assortit de conditions. La libération conditionnelle est un mécanisme de réinsertion sociale par lequel on s'assure que le public et la société seront en sécurité. L'objectif est de s'assurer que l'individu qui a une attitude ou un comportement délinquant n'ait plus ce comportement à la fin de sa peine.
On a parlé des programmes. Les programmes qui ont été appliqués en 1992 sont-ils toujours adaptés à la réalité de 1999? Ne faudrait-il pas examiner toute la situation d'ensemble? M. Jackson en a parlé tout à l'heure. Le Canada a l'un des taux d'incarcération les plus élevés au monde. N'y aurait-il pas lieu de réévaluer entièrement cette situation sans remettre en cause tout le système des libérations conditionnelles?
C'est la question de l'imputabilité, c'est-à-dire de la responsabilité et du rôle du Service correctionnel et de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qu'il faut notamment...
Le président: Je dois vous arrêter là. Merci.
Me Carole Brosseau: D'accord, je m'arrête.
[Traduction]
Le président: Monsieur Wappel.
M. Tom Wappel (Scarborough-Sud-Ouest, Lib.): Merci.
J'aimerais poser quelques questions mais je veux commencer avant tout par féliciter Kim Pate. Nous discutons de la réalité ou de la vérité des peines, mais il est temps de discuter de la vérité des définitions. Je crois que la libération d'office, étant un droit révocable qui n'est pas automatique, est par définition une vérité.
Je tiens à poser une question à l'Association canadienne de justice pénale. Lorsque vous êtes venus nous voir la première fois, vous nous avez dit: «Aucune forme de libération ne devrait être automatique». Vous avez même ajouté: «Dans tous les cas, la libération devrait être fondée sur le mérite et sur la décision d'une instance chargée d'évaluer ce mérite». Est-ce que c'est toujours votre position ou en avez-vous changé? Si c'est toujours votre position, considérez-vous la libération d'office comme relevant de la catégorie des décisions automatiques? Je commencerai par çà.
M. Gaston St-Jean (directeur exécutif, Association canadienne de justice pénale): S'il fallait absolument répondre par oui ou par non, dans les circonstances actuelles nous répondrions que nous continuons à estimer que les formes automatiques de libération ne sont pas la meilleure solution. Cependant, nous ajouterions, comme nous le faisons dans le mémoire d'aujourd'hui et dans les mémoires précédents, à moins qu'une meilleure solution ne soit trouvée—solution qui nous échappe pour le moment—c'est probablement la meilleure pour le moment.
M. Tom Wappel: Je vous remercie de cette précision.
Je suis désolé que les deux professeurs soient partis mais je tiens à revenir sur quelque chose qu'a dit M. MacKay. J'aimerais savoir pourquoi les gens ont l'impression que si nous proposions quelque chose d'autre que le système actuel de libération d'office, cela voudrait dire automatiquement que les détenus seraient incarcérés jusqu'à l'expiration de leur mandat. Pourquoi est-ce ce que tout le monde pense?
Le président: Quelqu'un? Monsieur Stewart.
M. Graham Stewart: Cette question a été posée plusieurs fois et à mon avis elle mérite une réponse. Je vais essayer et d'autres voudront peut-être compléter ma réponse.
La question a été posée un peu plus tôt de savoir la raison de cette réticence à ce que la Commission des libérations examine tous les cas.
M. Tom Wappel: Non, ma question s'adresse directement à ce que le professeur a dit: «Nous ne pouvons laisser les gens emprisonner jusqu'à la fin de leur peine». C'est exactement ce qu'il a dit. Je veux savoir pourquoi les gens pensent cela. D'une manière ou d'une autre, d'aucuns semblent avoir l'impression que notre sous-comité veut que les gens soient enfermés jusqu'à ce qu'ils aient purgé la dernière seconde de leur peine. Pourquoi? Où avez-vous déniché cela?
M. Graham Stewart: Je ne sais pas où les gens l'ont déniché mais personnellement nous estimons qu'assujettir la libération d'office à une décision de la Commission aurait cet effet pour la majorité des condamnés. Ce serait considérable, en fait, un grand nombre de condamnés ne seraient libérés que le dernier jour de leur peine.
M. Tom Wappel: Vous n'accordez donc aucune foi au sens de responsabilité statutaire de la Commission de libération. C'est bien ce que vous dites?
M. Graham Stewart: Oui. Exactement.
M. Tom Wappel: Merci.
M. Graham Stewart: Et pour la raison suivante, si je peux la donner.
Le président: Certainement.
M. Graham Stewart: Je crois, et c'est important, que si le monde était aussi simple que nous aimerions qu'il le soit et si la Commission des libérations était aussi parfaite que nous l'aimerions, toutes les libérations conditionnelles se solderaient par un succès et tous les libérés d'office récidiveraient, ce qui n'est pas le cas. Si c'était aussi simple pour être ainsi prévisible, nous n'aurions pas besoin de faire surveiller les libérés conditionnels, nous pourrions simplement libérer ces gens et nous aurions toutes les raisons du monde d'abolir définitivement le système de libération d'office.
La réalité veut qu'il y ait une très petite différence au niveau du taux de réussite entre ces deux groupes, ce qui nous indique conséquemment que la Commission des libérations sous-estime grossièrement le nombre de réussites. Donc si nous confions tout le système de libération conditionnelle à une Commission qui n'a cessé de démontrer au cours des décennies qu'elle sous-estimait considérablement et constamment les taux de réussite, nous courons véritablement le risque de compromettre toute la procédure de mise en liberté graduelle.
En fait, ceci ne repose pas simplement sur la prédiction. Il ne s'agit pas simplement de savoir si une commission des libérations conditionnelles ou une autre commission peut lire l'avenir. C'est un processus correctionnel reposant sur l'idée que l'on peut façonner le comportement, et toute la notion de libération graduelle a en fait pour but de façonner ce comportement et pas simplement de prédire son aboutissement.
Le président: J'ai aussi le professeur Jackson et Mme Vallée qui voulaient répondre à cette question particulière.
Monsieur Jackson.
M. Michael Jackson: Je pense aussi que c'est là la question, et je crois qu'il ne faut pas tourner autour de la réponse.
Si l'on examine la compétence de la Commission et son expérience dans le domaine qui la préoccupe le plus et qui concerne la protection du public, on parle en fait de la législation sur la détention. Il s'agit d'une catégorie d'individus qui préoccupe tout le monde—les personnes qui, croit-on, vont récidiver si on les relâche après qu'elles aient purgé les deux tiers de leur peine et tuer ou blesser grièvement quelqu'un durant cette période entre les deux tiers de leur peine et l'expiration théorique de leur sentence. C'est un jugement catégorique, et Service correctionnel Canada consacre énormément de ressources à réfléchir à ces renvois en vue d'un examen de maintien en incarcération et à toutes ces décisions.
Les recherches de Service correctionnel du Canada montrent qu'il n'y a pratiquement pas de différence entre les individus qui sont détenus en vertu de leur taux de récidive pendant les deux années suivantes et ceux qui sont mis en liberté d'office. Par conséquent, la capacité de prédiction de la Commission lorsqu'elle examine les cas qui la préoccupent le plus, et auxquels elle consacre l'essentiel de ses ressources, n'est pas démontrée.
L'abolition de la libération d'office aboutirait en fait à un taux de détention beaucoup plus élevé. Si vous regardez l'autre côté, la libération conditionnelle totale, c'est-à-dire les cas des individus les plus fiables d'après la Commission, vous constatez—et je me reporte aux toutes dernières statistiques de Service correctionnel du Canada, celles de novembre 1999, que vous avez dû recevoir aussi—vous constatez que le taux de récidive des individus en libération conditionnelle totale est de 12 p. 100 pour ce qui est des infractions non violentes et de 2 p. 100 pour les infractions violentes.
Il s'agit des meilleurs individus. La Commission nationale des libérations conditionnelles nous dit que ce sont les cas que Service correctionnel du Canada nous adresse souvent avec une recommandation de libération conditionnelle. Et nous sommes bien d'accord, ce sont les individus qui présentent le moins de risque de récidive, c'est le dessus du panier. Ils ont les meilleures chances de réintégration. Sur ce total, 12 p. 100 récidivent avec une infraction non violente et 2 p. 100 avec une infraction violente. La plupart se réintègrent avec succès à la société.
Examinons le cas des libérations d'office. Ce sont les cas pour lesquels le Parlement, dans le régime actuel, décrète que ces individus doivent être relâchés après avoir purgé deux tiers de leur peine et peuvent être réintégrés à la collectivité sous la supervision de Service correctionnel du Canada. Les derniers chiffres montrent que 11 p. 100 de ces personnes libérées d'office commettent une infraction non violente et 3 p. 100 une infraction violente. C'est pratiquement le même pourcentage.
Étant donné que les personnes en libération conditionnelle totale sont plus longtemps en situation de libération conditionnelle, cela montre que ces gens sont un peu meilleurs. On aurait pensé que l'écart était beaucoup plus grand.
M. Tom Wappel: Mais il y a des différences beaucoup plus grandes une fois que les personnes ont purgé leur peine. Le taux est de 4 p. 100 contre 20 p. 100.
M. Michael Jackson: Mais ce n'est pas la période dont nous parlons.
M. Tom Wappel: C'est de cela que je parle maintenant, et il n'y a pas de raison de s'en tenir uniquement à la période où ils sont en situation de libération conditionnelle d'office. Il faut voir l'ensemble. Il faut songer à la protection de la société, comme vous ne cessez de nous le rappeler.
M. Michael Jackson: Si vous faites cela et que vous allez un peu plus loin, je dirais que si l'on relâche les individus plus tard, sans leur donner l'avantage de la libération conditionnelle d'office, ce chiffre et cet écart à long terme—et c'est ce que dit M. Doob—vont augmenter, c'est-à-dire la probabilité de récidive va s'accroître au lieu de diminuer. C'est une question de confiance dans l'aptitude de la Commission nationale des libérations conditionnelles à estimer les risques de récidive, et dans sa prudence.
Je dirais d'autre part qu'actuellement—d'après mon expérience puisque je suis régulièrement présent aux auditions des commissions de libération conditionnelle, qu'il s'agisse de présenter des demandes de libération conditionnelle ou de m'opposer au maintien en incarcération ou à l'assignation à résidence—il y a beaucoup de différences. Une audience de commission de libération conditionnelle, c'est en fait un examen du mérite d'un individu. La commission examine des indices, elle lui demande: Avez-vous amélioré votre vie? Avez-vous fait quelque chose pour vous améliorer? C'est comme ça que procède la commission pour accorder une libération. Dire que la Commission des libérations conditionnelles, si on lui donne la possibilité de décider si des individus sont libérés après avoir purgé deux tiers de leur peine va automatiquement dire, du jour au lendemain: Bon, nous allons appliquer un ensemble de critères complètement différents... Non, elle va fonctionner avec les mêmes raisonnements. En fait, elle n'autorisera pas la libération d'un nombre important d'individus qui pourraient en apparence être remis en liberté, et qui, lorsqu'ils sont libérés d'office, se comportent pour la grande majorité de façon honorable et ne récidivent pas.
[Français]
Le président: Madame Vallée, vous vouliez répondre à la question de M. Wappel.
Mme Johanne Vallée: Si on abolit la libération d'office, tant et aussi longtemps que la loi n'obligera pas la commission à faire une examen systématique de tous les cas, on risque de vivre exactement ce qu'on vit à l'heure actuelle. Si, à l'intérieur du Service correctionnel, les dossiers ne sont pas bien montés, ils ne pourront pas être présentés à la commission.
Il y a une autre chose. On constate que certains détenus, pour différentes raisons, ne font pas eux-mêmes la demande parce qu'ils ne comprennent pas la procédure à suivre, parce qu'ils ne savent pas quels éléments doit contenir leur dossier pour obtenir une audience de libération conditionnelle.
Donc, il faut absolument que la loi réintroduise l'obligation, comme c'était le cas auparavant, d'un examen systématique de tous les cas et, lorsque la commission décide de ne pas accorder une libération, il faut qu'il y ait un nouvel examen six mois plus tard.
[Traduction]
M. Tom Wappel: Mais, madame, c'est exactement ce que j'ai écrit parce que je pensais que c'était ce que vous aviez dit dans votre témoignage. Vous vouliez que la Commission nationale des libérations conditionnelles examine tous les dossiers pour savoir quels détenus étaient admissibles à une libération conditionnelle. Je n'ai aucune objection à cela. Ce qui me dérange un peu, c'est que, si l'on maintient le principe de la libération d'office, quel est l'intérêt de demander à la Commission nationale des libérations conditionnelles d'étudier tous les dossiers si, de toute façon, ces individus vont être relâchés quelle que soit l'opinion de la Commission des libérations conditionnelles? Je comprends que vous recommandiez que cette commission examine tous les dossiers s'il n'y a plus de mise en liberté d'office, car il faut que quelqu'un le fasse à ce moment-là, puisqu'on ne veut pas que ces individus restent incarcérés jusqu'à la date d'expiration de leur mandat. Et je ne comprends pas votre recommandation, si je la comprends bien, qui consiste à dire que la Commission devrait étudier tous les dossiers mais qu'il faut quand même maintenir le principe de la libération d'office. À mon avis, c'est une perte de temps pour la Commission nationale des libérations conditionnelles si de toute façon ces individus vont être libérés d'office, quelle que soit la conclusion à laquelle la Commission aboutit au terme de l'examen de ces dossiers.
[Français]
Le président: Après votre réponse, nous donnerons la parole à quelqu'un autre.
Mme Madeleine Ferland: Je vais redire ce que j'ai déjà dit. À l'heure actuelle, le processus décisionnel entre en ligne de compte. On veut que la commission revoie tous les cas parce que l'individu sera plus motivé et plus responsabilisé si sa libération est une libération conditionnelle plutôt qu'une libération d'office.
• 2120
Tous nos systèmes sont basés, pour une bonne part, sur
l'approche cognitive, sur l'apprentissage; on apprend
quand on a intérêt à le faire. C'est pourquoi les
résultats sont meilleurs lorsque l'individu profite
d'une libération conditionnelle plutôt que d'une
libération d'office. Dans ce dernier cas, l'individu
estime que cela lui est dû. Jusqu'à un certain
point, c'est un peu vrai.
Par contre, le processus de décision fait en sorte qu'on ne peut pas prédire exactement lesquels vont récidiver et lesquels ne récidiveront pas. Tout le processus, qui est quand même basé sur l'expérience, fait en sorte que ce n'est pas totalement fiable. Nous avons des statistiques qui permettent de dire, par exemple, que trois individus sur cinq ne récidiveront pas. Qui vous dit que vous n'êtes pas en face des deux autres?
Il y a aussi tous les facteurs rattachés au délit. On énumère à l'annexe 1 les délits liés à la violence. À ce moment-là, on sera davantage prudent parce que le risque de récidive est associé à des délits graves.
Par ailleurs, on sait aussi que certains individus qui n'ont jamais commis de délits violents vont récidiver. On sait même aussi que le taux de récidive, pour certains délits qui ne sont énumérés ni à l'annexe 1 ni à l'annexe 2, est de 18,5 p. 100. En l'occurrence, ce sont les fraudeurs.
Le processus décisionnel tient aussi compte des besoins. Les ressources seront mises à la disposition de l'individu en fonction de ses besoins. Encore là, cela peut varier beaucoup, et la cote qui est donnée est «élevé», «médium» ou «faible».
On va aussi se baser sur le comportement en institution. Or, ceux qui ont la tête dure dans l'établissement ne sont pas nécessairement ceux qui l'auront assez dure pour ne pas récidiver.
Il y a aussi le fait qu'on impute une grande responsabilité à la commission dès qu'il se produit une erreur.
Le président: Madame, il faut que je vous arrête.
Mme Madeleine Ferland: D'accord.
[Traduction]
Le président: Monsieur Gouk, une brève...
[Français]
Un commentaire bref, s'il vous plaît.
Me Jacques Normandeau: Je voudrais simplement faire ressortir que nous avons remarqué, dans la pratique quotidienne, qu'il y a ce que l'on appelle des zones grises. Ce sont des dossiers difficiles de personnes qui seraient prêtes à revenir dans le droit chemin mais qui ne le font pas. Évidemment, cela ne se fait pas au moyen d'un interrupteur on/off, mais plutôt graduellement.
Lorsque la commission refuse la libération conditionnelle à une personne qui a encore deux ans de prison à purger en se fondant sur un jugement très serré, lorsque la commission est très hésitante, elle dit à cette personne qui est en train de faire des démarches concrètes pour modifier son attitude générale qu'elle ne pourra sortir qu'au moment de sa libération d'office. Les répercussions de ce jugement sont constatés dans le service par les agents qui travaillent avec cette personne. Elle ne fait plus d'efforts et se laisse aller parce que la commission ne lui a pas fait confiance.
Si je comprends bien ce qu'on a demandé ici, il devrait être possible qu'un tel cas soit revu par la commission bien avant la date de la libération d'office en bonne et due forme, puisque celle-ci est imminente. L'individu aura alors une chance plus grande de réussir. Si vous reportez simplement sa libération de deux années, il va sentir que ses efforts ont été inutiles et qu'on le laisse tomber.
Dans l'ancien régime, on avait des revues de remise de peine régulièrement, à tous les six mois, et la commission était en mesure de constater l'évolution de la personne qu'elle rencontrait. À partir des rapports qui étaient faits par le service, on voyait l'évolution du processus de réinsertion sociale. Dans le régime actuel, on a complètement perdu cela. C'est ce qu'on constate tous les jours.
Le président: Merci, maître Normandeau.
Me Jacques Normandeau: Je voudrais terminer en parlant d'un point qui semblait important. On a demandé si la commission ne devait pas elle-même faire l'évaluation de la libération d'office. Je suis de l'avis de Me Jackson sur ce point. Il est clair que la commission est favorable aux cas les plus beaux, ceux pour lesquels la statistique est la meilleure. On libère ces gens, et la perception qu'a la commission, lorsqu'elle a accorde une libération, n'est absolument pas la même que celle qu'elle aurait si elle avait à décider d'une libération d'office. Le danger qu'il y aura, et je suis convaincu que c'est ce qui va se passer, c'est que les gens ne voudront pas prendre la responsabilité d'assumer le risque.
Si un commissaire libère quelqu'un faisant partie d'une catégorie qui a un taux plus élevé que la moyenne, il se dit que si la personne rebondit, il en sera responsable. On renvoie donc le problème au service. C'est le réflexe qu'on a.
Le président: Je dois vous arrêter là, s'il vous plaît.
[Traduction]
Monsieur Gouk, un bref commentaire et ensuite je passerai à M. Saada et à M. Grose.
M. Jim Gouk: Je serai très bref, et je vous demanderai d'avance de m'excuser car je vais devoir partir lorsque j'aurai eu ma réponse. Ce que nous faisons est très intéressant, mais j'ai un gros retard de sommeil et un bon bout de route à faire. J'ai bien peur de somnoler au volant.
Le principe de la libération anticipée, c'est qu'on donne aux individus une meilleure occasion de se réintégrer à la société, parce qu'ils ont besoin d'avoir une interaction sociale, de s'occuper d'une maison, de tenir un budget. Si on ne le fait pas bien, cela a des conséquences, mais je crois que ce qui est important, c'est la résultante de l'action. C'est là qu'intervient la notion de mérite dans une prison. S'il n'y a pas de conséquences des actions à l'intérieur d'une prison, que va-t-il se passer une fois que l'individu sera sorti?
• 2125
Monsieur Jackson, vous m'avez étonné lorsque vous avez dit
dans votre dernière réponse que les commissions des libérations
conditionnelles fonctionnaient essentiellement sur le principe du
mérite et que vous aviez peur que, si l'on supprime la mise en
liberté d'office et qu'on étudie les dossiers de ces détenus une
fois qu'ils ont purgé deux tiers de leur sentence, on va les
étudier uniquement sur la base du mérite. Franchement, je
trouverais lamentable qu'on ne le fasse pas. Pourtant, cela a l'air
de vous déranger. Peut-être pourriez-vous m'expliquer un peu mieux
pourquoi.
M. Michael Jackson: Il y a une contradiction. Je pense qu'elle se résout... Je ne suis pas un fanatique des statistiques; nous en avons eu à foison cet après-midi, mais les chiffres que je trouve frappants sont ceux qui concernent les individus libérés d'office alors que la Commission ne les juge pas méritoires. Elle ne constate pas qu'il s'agit de quelqu'un ayant participé à tous les programmes, qui est bien noté dans les profils d'évaluation des risques, qui a établi de bonnes relations avec son agent de gestion des cas... Il n'y a rien de tout cela. Par conséquent, la Commission examine le cas sous l'angle du mérite, et se demande si le candidat peut être libéré sous condition ou fonctionner correctement sous surveillance, elle ne constate aucun de ces éléments.
Mais d'après les chiffres que personne ne semble contredire, la très grande majorité de ces individus libérés d'office se comportent très bien et ne commettent pas de nouvelle infraction. Je pense que c'est là-dessus que devrait être axée la question: à la place de ce chiffre qui témoigne d'un succès remarquable, faut-il adopter un régime de mise en liberté discrétionnaire sachant que la Commission, si elle applique ses critères de décision habituels, va décréter à tort que l'individu en question ne mérite pas d'être mis en liberté? C'est pourtant la leçon de la détention.
J'ai les chiffres ici. Ce sont les propres chiffres du Service correctionnel du Canada. Ce sont eux qui font la recommandation. La Commission des libérations conditionnelles est d'accord avec eux dans 90 p. 100 des cas. Le Service correctionnel du Canada a toutes les raisons de bricoler les chiffres pour leur donner une valeur de prévision.
D'après leurs propres chercheurs, sur 235 individus que l'on s'attendait à voir commettre une infraction avant l'expiration de leur mandat, et la Commission le croyait aussi, 26 seulement ont commis une telle infraction. Évidemment, pour les victimes, 26, c'est beaucoup. Je ne le nie pas. Il reste néanmoins que 209 prisonniers ont collectivement passé des centaines d'années en prison à cause du jugement de la Commission des libérations conditionnelles qui estimait à tort que ces individus présentaient un maximum de risque.
Ce que je veux dire, c'est qu'en laissant à la Commission des libérations conditionnelles des pouvoirs de décision plus discrétionnaires, on va avoir beaucoup plus de décisions erronées, alors que les faits montrent qu'on peut protéger le public en assurant une surveillance des individus au lieu de les maintenir en détention jusqu'à l'expiration de leur mandat.
Le président: Merci, monsieur Jackson.
[Français]
Monsieur Saada.
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Il y a trois éléments que je voudrais faire valoir.
Premièrement, l'objet même du débat, me semble-t-il, tient au fait que la pression du public augmente parce qu'il a l'impression d'être moins bien protégé. Au lieu de nous dire qu'il faut peut-être corriger la perception du public, notre premier réflexe est de dire qu'il faut encore abaisser la barre. M. Gouk a employé cette image tout à l'heure, mais pas dans le même sens.
En tant que législateurs dont la vision devrait être à long terme, nous ne pouvons pas abaisser la barre chaque fois qu'une difficulté pédagogique se pose en rapport avec la perception du public. Si quelque chose ne fonctionne pas bien dans le système, je comprends. Mais si le système fonctionne bien alors que la perception est qu'il ne fonctionne pas, au lieu de changer le système, il faut expliquer comment le système fonctionne.
Je suis sincèrement ouvert à la possibilité de solutions de rechange, mais j'ai écouté très attentivement tout l'après-midi, et on ne m'a pas convaincu que le système proposé donnerait de meilleurs résultats que celui qu'on a actuellement.
Par contre, à plusieurs reprises, et j'aimerais qu'on en prenne note pour plus tard, lorsqu'on fera notre rapport, on a fait état des limites quant à la prévisibilité du comportement. À plusieurs reprises, on a dit que dans l'état actuel de la science, on pouvait prévoir jusqu'à tel point, mais pas au-delà.
• 2130
Peut-être vaudrait-il la peine que ce comité ou un
sous-comité fasse des recommandations visant à
approfondir la recherche là-dessus. Je ne
me souviens pas qu'on en ait parlé de
façon spécifique et je
pense qu'il vaudrait la peine qu'on le fasse.
Il y a une chose qui me fascine. Par définition, quand on traite avec des détenus, on traite avec des individus qui ont chacun leurs problèmes spécifiques, qui ont chacun vécu dans un contexte spécifique, qui ont chacun commis un crime spécifique. Cependant, on voudrait trouver une solution générale à tous ces problèmes spécifiques. Cette approche me fait un peu peur. J'ai peur qu'à cause de cette généralisation, on finisse par dire à un détenu qu'il va demeurer plus longtemps incarcéré parce qu'il n'a pas suivi les programmes imposés pendant qu'il était en prison. En fait, il n'est pas du tout assuré que le public sera davantage en sécurité si on le garde en prison.
J'ai l'impression qu'on prend le problème à l'envers. Ce qui me préoccupe beaucoup, c'est qu'au lieu de traiter du vrai problème, on traite de toute une série de perceptions du problème. C'est ce qui me préoccupe. Bien sûr, un taux de récidive de 2,9 p. 100, 3 p. 100, ou 5 p. 100 est trop élevé, mais les chiffres importent peu. Un taux de 0,5 p. 100 est déjà trop élevé et j'aimerais pouvoir travailler à le réduire, mais je ne suis pas prêt à le faire au sacrifice de ce qui me paraîtrait logique et convaincant. On ne m'a pas encore convaincu qu'un changement de système permettrait de réduire ce taux.
Le président: Y a-t-il des commentaires?
M. Gaston St-Jean: Je suis content que vous souleviez la question de la perception du public. Je pense en effet qu'on légifère trop souvent pour apaiser les perceptions du public, qui sont souvent fausses. Ce faisant, on adopte des mesures très pointues en fonction d'un problème donné sans tenir compte de l'ensemble des problèmes qui doivent être abordés.
Au chapitre de la perception du public, je pense qu'il y a beaucoup d'éducation à faire au niveau de la députation. Dans certaines circonstances, il peut être rentable d'entretenir l'idée que si une partie de la peine est purgée au sein de la collectivité, la peine est de ce fait écourtée. Or, comme on l'a répété souvent ce soir, la peine reste toujours la même. C'est celle qui a été imposée par la cour. L'endroit où elle est purgée n'est qu'une modalité. Chaque fois qu'un organisme communautaire ou un membre de la députation affirme que, ce faisant, on écourte la peine, il rend un mauvais service au public. C'est un problème important, et je suis content qu'on le souligne. J'espère que le comité...
Le président: Merci.
[Traduction]
Oui, monsieur Grose.
M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je regrette vraiment que mon ami de l'Association canadienne des chefs de police ne soit plus là. J'aurais bien aimé discuter avec lui évidemment.
Je suis manifestement à côté de la plaque, comme d'habitude. J'ai l'impression, d'après ce que j'ai entendu aujourd'hui, que si nous modifions le régime de mises en liberté d'office en demandant à la Commission des libérations conditionnelles d'examiner les dossiers, bon nombre de ces individus ne seront pas remis en liberté et il y aura tout un engorgement, etc., ce qui fait que l'on continuera à essayer de contourner la Commission des libérations conditionnelles. Pourquoi est-ce que nous ne réglons pas une bonne fois pour toutes le problème de cette Commission? C'est trop simple?
Le président: Des réactions?
M. Tom Wappel: On ne peut pas faire simple, il faut que ce soit complexe.
M. Michael Jackson: Je sais qu'il y aurait d'excellentes raisons de revoir le fonctionnement de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Je ne suis pas le premier, et le Barreau n'est pas la première organisation à poser des questions sur la façon dont sont nommés les membres de cette Commission. Ils prennent des décisions de poids. La plupart du temps, ces décisions sont aussi importantes que celles du juge qui a prononcé la sentence, et pourtant, le processus de nomination des membres de la Commission des libérations conditionnelles... Et encore, c'est nettement mieux qu'autrefois, où le seul critère était d'avoir des appuis politiques. Je pense que la sélection est bien meilleure maintenant, mais on est encore loin de la rigueur qui préside à la nomination des juges. Je crois que le public aurait infiniment plus confiance dans la Commission si ses membres étaient nommés en vertu d'une procédure beaucoup plus rigoureuse.
• 2135
L'autre problème, c'est qu'en matière de transparence et
d'équité, les décisions de la Commission laissent beaucoup à
désirer. Toutes ces questions débordent probablement du cadre de
l'examen de la Loi sur le système correctionnel et la mise en
liberté sous condition, mais elles me semblent quand même
importantes.
Pour ce qui est de la réalité ou de la fiction des sentences, ce qui est singulier, c'est que jusqu'à 1970, 12 ans signifiaient huit ans, c'est-à-dire que la sentence expirait au bout de huit ans. Ce n'est que depuis 1970 que les sentences signifient vraiment ce qu'elles signifient, c'est-à-dire que 12 ans signifient 12 ans.
Monsieur MacKay, si vous étiez prisonnier et qu'on vous libérait sous condition au bout de huit ans, en sachant que pendant les quatre années suivantes c'est un agent des libérations conditionnelles qui déterminerait avec qui vous avez des contacts, si vous pouvez partir en vacances à l'étranger, si vous pouvez vous installer dans une autre localité, si vous pouvez prendre un emploi particulier... Je pense que vous prendriez conscience du caractère vraiment conditionnel de cette liberté. En réalité, l'individu continue à purger sa peine et à payer sa dette envers la société.
Mais je pense que toute cette question d'une révision de la Commission des libérations conditionnelles est beaucoup plus vaste. Peut-être l'examen de la Loi débouchera-t-il là-dessus, mais dans ce cas il faudra faire beaucoup plus de recherches, de même qu'il faudra beaucoup plus de recherches pour redéfinir la notion de vérité de la condamnation.
Je voulais aussi ajouter quelque chose à propos d'une remarque de M. MacKay concernant le besoin de certitude—qui fait partie de la vérité de la détermination de la peine évidemment—mais aussi l'absence du personnel correctionnel. Je crois que ce personnel correctionnel aurait beaucoup d'appréhension à l'idée d'un régime qui abolirait la mise en liberté d'office pour la remplacer par un régime différent. En vertu de la Charte, je ne pense pas qu'une telle modification pourrait être rétroactive, ce qui veut dire que toutes les personnes actuellement incarcérées purgeraient leur peine sous réserve d'une mise en liberté d'office. Seules les condamnations prononcées après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi seraient prononcées dans le cadre du nouveau régime. Du point de vue du personnel correctionnel, imaginez ce que ce serait d'être confronté quotidiennement à l'amertume d'individus qui devraient continuer à purger leur peine dans des conditions différentes de celles dont jouiraient leurs frères et leurs soeurs dans les cellules voisines. Je pense qu'il serait très inquiet du risque d'agitation dans les prisons, du risque en fait d'aggravation de l'incertitude chez les prisonniers.
Le président: Kim Pate, vous vouliez faire une remarque à ce sujet.
Mme Kim Pate: En plus de ce que disait Michael, ayant personnellement discuté avec les membres du Service correctionnel du Canada et comparu devant la Commission des libérations conditionnelles pour aborder certaines de ces questions, je pense qu'il est important de se souvenir que la pression publique qui s'exerce sur le comité s'applique aussi à ceux qui travaillent dans le système, et qui sentent aussi les conséquences du conservatisme des recommandations de maintien en incarcération. Il est clair que de nombreux individus n'auraient pas besoin de rester incarcérés, ce que montrent à mon avis les résultats des recherches sur les cas de ces individus maintenus en incarcération. Cette discrétion s'exerce déjà avec excessivement de prudence, aussi bien au Service correctionnel du Canada qu'à la Commission nationale des libérations conditionnelles.
Ce qui me frappe, surtout quand on parle de femmes, c'est que l'on voit de plus en plus des questions qui traditionnellement étaient considérées comme des risques surtout pour les femmes—les risques pour leur aptitude à survivre et à vivre à l'extérieur, les risques liés à leurs besoins—formulés en termes de facteurs de risque. Ce sont des questions dont nous avons parlé ailleurs à propos du classement et de ces sortes de catégories, et des répercussions aussi.
Donc il ne s'agit pas simplement de revoir ce que fait la Commission des libérations conditionnelles, mais l'ensemble des ressources disponibles et les genres de pressions qui s'exercent. Je crois que c'est pour cela que beaucoup d'entre nous considèrent que l'examen des variables qui interviennent est extrêmement complexe et que la mise en liberté d'office constitue une soupape de sécurité. En fait, les détenus qui sont mis en liberté d'office sont généralement considérés comme présentant plus de risques que ceux qui sont mis en liberté conditionnelle totale ou en liberté conditionnelle de jour. En réalité, les statistiques montrent que ce n'est pas le cas. S'il y avait un moyen de les maintenir en incarcération, on l'aurait vraisemblablement fait et ils seraient peut-être déjà incarcérés.
M. Ivan Grose: C'est ce qui me dérange. Pourquoi contournons-nous ce problème de la Commission des libérations conditionnelles? Je suis d'accord pour que les condamnés purgent leurs peines à l'extérieur dans toute la mesure du possible; nous n'avons pas le choix. Mais je crois aussi que cette mise ne liberté d'office, qui est quelque chose de nouveau pour moi, est une fausse solution. Je connaissais très bien l'ancien système.
J'ai entendu témoins après témoins nous dire que si nous laissons le choix à la Commission des libérations conditionnelles, ces détenus resteront plus longtemps en prison. À ce moment-là, on va contourner la commission. Pourquoi ne pas la supprimer purement et simplement? Qu'on s'occupe de ces individus jusqu'aux deux tiers de leurs mandats, et c'est tout.
Le président: Nous allons entendre M. Stewart répondre à cette question puis ce sera au tour de M. Wappel.
M. Graham Stewart: Il me semble très important ici d'établir une distinction entre le fait de prédire la réussite et celui d'essayer d'y changer quelque chose. Quand on va à l'hôpital, un médecin qui ne fait que prédire qu'on s'en tirera ou non n'est pas d'une très grande utilité. Nous nous attendons à ce que le médecin fasse quelque chose. Voilà le problème: la Commission nationale des libérations conditionnelles ne peut faire qu'une prédiction. Mais la supervision est le processus par lequel on essaie de changer les choses.
M. Wappel a dit tout à l'heure que ceux qui sont soumis au régime de libération d'office risquent davantage de récidiver à l'expiration de leur peine quand ils n'ont plus de supervision. Nous pouvons en déduire que la supervision supprime l'activité criminelle. Mais nous savons aussi que ceux qui sont libérés de prison récidivent généralement dans les deux années qui suivent. La courbe de récidive se stabilise nettement au bout de deux ans. Il est donc essentiel de maintenir en place cette supervision qui permet de supprimer l'activité criminelle pendant assez longtemps pour que le délinquant ait une chance de se réinsérer dans la communauté. En fait, la période moyenne de supervision pour la libération d'office est d'environ sept mois. Nous disons en somme que des preuves montrent que la supervision donne des résultats, mais elle n'est assurée qu'à court terme.
Nous devons donc distinguer ce concept où la Commission nationale des libérations conditionnelles fait une prédiction et s'en sert comme moyen d'empêcher toute activité qui permettrait en fait de changer des choses. Si la Commission nationale des libérations conditionnelles prédit que je vais poser un risque, nous voulons avoir en place un système correctionnel qui essaie de faire une différence. Si on ne se sert de cette prédiction que comme moyen d'empêcher toute activité, nous faisons en sorte que le détenu récidive.
Le président: Merci, monsieur Stewart.
Monsieur Wappel.
M. Tom Wappel: Merci.
Je m'adresse à la Société Saint Léonard, mais tout d'abord permettez-moi de dire que cette consultation m'a paru extrêmement utile. J'ai ainsi pu très bien comprendre de quoi chacun parle et pourquoi il en parle.
Dans la lettre de la Société Saint Léonard, madame White, vous dites croire qu'il est crucial d'offrir une période de supervision dans la communauté. Je ne pense pas qu'il y ait un seul membre du sous-comité qui s'y oppose. J'espère que vous êtes rassurée.
Vous dites que nous ne devrions pas essayer de tripatouiller le système, parce qu'il fonctionne. Je pense que vous avez même employé le mot «tripatouiller».
M. Fournier, sous-ministre, dans ses observations dit:
-
Pour conclure, dans l'ensemble, le présent système [...] fonctionne
bien. [...] Dans le cas des libérations d'office, le taux
d'infraction avec violence diminue depuis cinq ans [...]
-
Est-il possible d'apporter des améliorations? Évidemment. On
pourrait penser à des choses comme l'amélioration de la
programmation; l'amélioration de l'évaluation des risques;
...quand on parle de libérations d'office, je ne sais pas...
-
surveillance améliorée dans la communauté; davantage [...] de
partenariat avec des groupes communautaires [...]
Le sous-ministre pense donc qu'on peut toujours améliorer les choses. Appelez-vous cela du tripatouillage?
Mme Elizabeth White: Non, ce n'est pas du tripatouillage, monsieur Wappel. Comme je l'ai déjà dit, toutes les ressources et toutes les améliorations dont pourraient bénéficier les services correctionnels communautaires ne pourraient qu'accroître la sécurité du public.
M. Tom Wappel: Fort bien, merci.
Le président: Monsieur MacKay, vous avez une question?
M. Peter MacKay: Toujours à ce propos, je pense que les ressources sont la grande question à propos de laquelle tous ceux que nous entendons et tous ceux qui siègent au comité s'accordent à dire que nous pourrions faire davantage. Il s'agit simplement de voir si nous dépensons davantage pour assurer la réinsertion des détenus—c'est évidemment une décision qui relève du gouvernement—ou si l'on investit davantage dans les soins de santé ou l'éducation? C'est la grande question de principe.
J'aimerais reprendre un autre point. Je ne veux pas insister sur ce que vous avez dit, monsieur Jackson, mais il y a une chose qui me préoccupe dans cette discussion, et qu'on oublie parfois, c'est que si une personne est libérée dans huit ans et non dans 12 ans, elle y gagne encore au change. Que les détenus purgent leur peine en prison ou au sein de la communauté, ils paient leur dette envers la société, dette qui a été imposée par le juge. On peut être d'accord ou non, mais le fait demeure que c'est la durée de la sentence qui a été imposée compte tenu de ce que cette personne avait fait. À tort ou à raison, une fois les recours épuisés, c'est la durée de la sentence qui a été fixée.
• 2145
Parfois, nous n'osons plus employer le mot «dissuasion». La
dissuasion générale et spécifique demeure un facteur lorsqu'on
décide quelle sentence sera imposée. L'amendement, la réadaptation,
la protection du public: tous ces facteurs sont pris en compte pour
fixer la durée de la sentence, mais la dissuasion demeure.
Quant à savoir si nous pouvons ou non changer le système, compte tenu de ce que vous venez de dire, nous ne pouvons rien faire si nous nous laissons paralyser par le fait qu'il y aura une contestation judiciaire en vertu de la Charte des droits et libertés. Nous allons nous retrouver liés et tout à fait paralysés quand viendra le moment de changer quoi que ce soit. En fait, ce que vous venez de dire, c'est qu'on ne peut agir rétroactivement, qu'on suscitera des émeutes dans les prisons parce qu'on mettra en place un nouveau système qui permettrait à quelqu'un de bénéficier d'un mode différent de détermination de la peine ou de calcul de la durée de celle-ci avant qu'il puisse être libéré. Je ne crois pas que ce soit le cas.
M. Michael Jackson: Ce dont je parle ce sont des répercussions du type de changement que le comité, à ce qu'on nous dit, envisage soit l'idée de passer à un système de libération discrétionnaire aux deux tiers plutôt que de conserver le modèle présomptif qui existe actuellement. Je suppose que vous avez tous vu cette pyramide inversée mise au point par le SCC en ce qui concerne l'entonnoir de la criminalité, le nombre total d'infractions rapportées à la police, nombre d'infractions qui sont classées par mise en accusation, le nombre de personnes qui sont condamnées à la détention, et puis le nombre d'infractions commises par ceux qui sont libérés d'office, ce qui vous donne la moitié de 0,5 p. 100. Quant à la protection du public et au type de dividende qui résulteraient de l'abolition du système de libération d'office—soit cette protection à court terme—étant donné que plus de détenus seront maintenus en incarcération, il y en aurait moins qui contribueraient à la constitution du 0,5 p. 100 pendant leur libération d'office.
Il faudrait aussi tenir compte de ce qui selon Graham se produirait en l'absence de supervision. Les détenus en fait seraient libérés sans supervision, ce qui augmente les possibilités et le risque qu'ils récidivent en fin de compte, sans compter le fait qu'on créera un système inégal dans les institutions pénales, parce qu'on ne peut imposer la rétroactivité sans invoquer la clause dérogatoire. Tout cela doit être pris en compte.
Ce que j'ai dit, et ce que j'ai entendu essentiellement aujourd'hui, c'est que ces types de dividendes contribuant à la protection du public soit n'existent pas soit sont si minimes qu'il serait contre-productif de les mettre en place, étant donné qu'ils iraient à l'encontre de toutes les récentes interventions législatives, lesquelles visent en réalité à limiter et non pas à allonger l'emprisonnement dans notre approche correctionnelle.
Le président: Merci, monsieur Jackson.
M. Peter MacKay: J'ai une question bien précise à poser à ce sujet.
Le président: Bien précise.
M. Peter MacKay: Pourquoi présume-t-on que la Commission nationale des libérations conditionnelles, dans sa sagesse et à sa discrétion, va nettement augmenter le nombre de détenus qu'elle détiendra jusqu'à l'expiration de leur mandat si ce nouveau système est mis en place, système en vertu duquel on réexaminerait le cas de chacun? Selon le système en place, nous savons que la commission a le pouvoir discrétionnaire, si elle l'estime justifié, de détenir une personne jusqu'à l'expiration de son mandat. Elle ne le fait pas dans la grande majorité des cas qu'elle examine. Pourquoi présumez-vous qu'elle va détenir un nombre beaucoup plus grand de détenus jusqu'à l'expiration de leur mandat, si on lui accorde ce nouveau pouvoir de supervision?
M. Michael Jackson: C'est parce que les critères sont très différents. Le critère général pour la libération sur parole consiste à voir si le détenu peut être libéré dans la communauté sans poser de risque excessif pour celle-ci, ou de savoir si oui ou non la libération va contribuer à sa réinsertion. Ce sont les critères employés en vertu de la Loi sur la libération conditionnelle.
M. Peter MacKay: Mais ce n'est pas la même chose.
M. Michael Jackson: La commission a établi que les détenus qui ont purgé les deux tiers de leur peine, ont soit demandé la libération conditionnelle ou ont obtenu de leurs équipes de gestion des cas, des rapports tellement défavorables qu'ils ont intérêt à ne pas présenter de demande parce qu'elle ne sera pas acceptée. On a jugé qu'ils ne respectent pas les critères voulus.
• 2150
Pour ce qui est de la détention, le critère consiste à voir si
cette personne va commettre une infraction entraînant la mort ou
des blessures graves pendant la période écoulée entre la libération
d'office et l'expiration du mandat, et c'est un critère très
différent. Bien des gens ne tombent pas dans la deuxième ou la
première catégorie dans un régime où l'on abolit cette libération.
C'est le premier critère qu'on appliquerait. Est-ce que cette
personne, si elle est libérée posera un risque excessif, ou est-ce
une personne dont la libération contribuera à sa réinsertion? La
commission a déjà répondu négativement à cette question.
Ce que je dis, c'est que les éléments dont on dispose indiquent que dans un bon nombre de ces cas les détenus peuvent et sont effectivement réinsérés dans la communauté en raison du facteur qu'a mentionné Graham, et c'est le fait que le SCC s'occupe alors de ces personnes dans la communauté et en tire le meilleur parti possible. De l'avis de tous, le SCC fait un travail tout à fait remarquable dans ce domaine.
Mais c'est là que se trouve la différence. Ces gens n'auraient pas cette possibilité dans un système où la commission fonctionnerait de façon très prudente. Et je devrais dire qu'elle fonctionne de façon encore plus prudente maintenant, parce qu'en vertu de votre plan actuel de libération d'office, si quelqu'un commet une nouvelle infraction, la commission pourrait dire qu'elle ne l'aurait jamais laissé partir. Avec un système de libération discrétionnaire, la commission verra qu'on la pointera du doigt, et ses politiques en matière de décision seront encore plus conservatrices.
Le président: Monsieur Tropak, sur cette question.
M. Rob Tropak: Oui, un très bref commentaire, parce que l'on se demande toujours pourquoi on ne semble pas faire confiance à la commission pour qu'elle prenne les décisions appropriées en temps opportun.
Je ne prétends pas parler au nom de tous, mais je pense qu'on a l'impression que si la commission fait une erreur de jugement, elle pêchera plutôt par prudence en réduisant le nombre de délinquants libérés. C'est vraisemblablement ce qui se produira.
M. Peter MacKay: Qu'est-ce qu'il y a de répréhensible à tenter de protéger la société et à éviter un crime plutôt que d'alléger la peine de ce détenu?
M. Rob Tropak: Permettez que je poursuive—et je crois que tout le monde sera d'accord là-dessus.
Étant donné que dans bien des cas—et les statistiques sur la libération d'office le prouvent—ce qu'il faut, c'est interagir avec ce délinquant sous supervision et on a une bien meilleure impression quand on surveille un délinquant dans la collectivité. Les surveillants sont tout à fait en mesure de déterminer quand les choses tournent mal. Si vous examinez les statistiques sur la libération d'office, dans un très grand nombre de cas où les conditions ne sont pas respectées, il y a révocation. Le nombre est plus élevé que pour les semi-libertés ou les libérations conditionnelles totales.
Je pense que de façon générale on vous dira qu'il importe de décider, pour un grand nombre de ces délinquants qui ne sont pas libérés avant l'octroi de la libération d'office, de les réinsérer dans la collectivité. Une fois qu'ils y sont, nous sommes dans une bien meilleure position de juger si leur libération devrait ou non être maintenue. C'est beaucoup plus difficile avant la libération, et nous estimons qu'en en confiant la responsabilité à la commission on réduira le nombre global des délinquants libérés.
Le président: Merci, monsieur Tropak.
[Français]
Madame Venne, il est près de 10 heures. Ce sera la dernière intervention.
Mme Pierrette Venne: Je suis tout à fait d'accord et je serai brève.
Je crois, monsieur le président, qu'on devrait faire une recommandation dans laquelle on dirait que la Commission des libérations conditionnelles a besoin d'un très grand ménage étant donné toutes les critiques que nous avons entendues aujourd'hui à son sujet.
Plusieurs ici nous ont dit que la commission était plus que conservatrice; on vient de l'entendre encore. J'ai même entendu quelqu'un dire aujourd'hui qu'il n'avait aucune confiance en cette commission. C'est quelqu'un qui occupe un poste assez important, je dirais même un poste de juge. Quand un juge en arrive à dire qu'il n'a aucune confiance en cette commission, il y a certainement lieu d'en faire la révision ou tout au moins de faire une recommandation à cet effet.
Je pense qu'il est temps de se pencher sur le cas de la Commission des libérations conditionnelles. C'est ma dernière recommandation, monsieur le président.
Le président: Merci.
Est-ce qu'il y a d'autres commentaires des témoins avant que nous de terminions?
M. Jacques Saada: Comme je n'ai pas eu le temps de le faire tout à l'heure, j'aimerais ajouter un petit mot à ce que Tom disait tout à l'heure.
• 2155
Cet après-midi, j'en ai appris plus sur le processus et sur
les préoccupations en l'espace de quelques heures
que j'en avais appris auparavant à lire je ne sais
combien de tonnes de pages de documents.
Merci beaucoup à vous tous.
[Traduction]
Le président: Très bien, merci d'avoir été des nôtres, merci à tous. Il se fait tard, et je sais que vous êtes venus de très loin.
[Français]
Merci beaucoup du temps et de l'énergie que vous nous avez consacrés.
La séance est levée.