Passer au contenu
;

SRID Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

SUB-COMMITTEE ON HUMAN RIGHTS AND INTERNATIONAL DEVELOPMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DES DROITS DE LA PERSONNE ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 22 mars 2000

• 1538

[Traduction]

La présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.)): La présente séance du Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité des affaires étrangères et du commerce international est ouverte. Comme nos témoins ne l'ignorent pas, les choses ont été plutôt mouvementées ici depuis deux semaines, et je m'attends à ce que d'autres membres du comité se joignent à nous en cours de séance. Nous serons heureux d'entendre votre exposé, mais nous devrons avancer rondement car je crois qu'un vote aura lieu à 17 h 30.

Comme nos témoins le savent, le sous-comité s'intéresse énormément aux défis auxquels doit faire face l'Afrique. Nous avons donc décidé d'identifier une question précise liée à la sécurité des personnes en Afrique, de l'étudier à fond et de faire des recommandations au gouvernement à cet égard.

Au cours de nos travaux, on a suggéré que nous explorions le rôle de la société civile en Afrique, en particulier dans des pays comme la république démocratique du Congo où, en raison du présent conflit qui se déroule, les gens ne peuvent toujours se fier au gouvernement pour obtenir de l'aide. Étant donné la complexité de la situation au Congo, cependant, un de nos membres s'est demandé si une telle étude serait utile, voire possible—je pense qu'il s'agissait de Mme Debien. La députée a exprimé certains doutes à ce sujet.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a passé le mois de janvier à discuter des questions relatives à l'Afrique, y compris de la situation au Congo, et le Canada a annoncé une contribution de 2,5 millions de dollars pour appuyer le processus de paix là-bas. Il y a quelques semaines, nous avons entendu un certain nombre de représentants de groupes congolais au Canada afin de mieux comprendre toute la gamme des opinions existantes sur les défis que doit affronter le Congo. Je dois reconnaître que les opinions étaient très diversifiées. Je pense que les quatre témoins ont exprimé quatre opinions différentes.

• 1540

Aujourd'hui, nous accueillons des représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, de même que de l'ACDI. Ils sont venus nous brosser un tableau de la situation du Congo et nous expliquer quelle est la politique canadienne à l'égard de ce pays. Ils vont également nous dire quel pourrait être le rôle du Canada dans l'amélioration de l'existence des Congolais lorsque le processus de paix sera assuré.

Tout d'abord, accueillons nos témoins. Nous avons devant nous M. Joseph Caron, sous-ministre adjoint pour l'Asie-Pacifique et l'Afrique; Mme Sandelle Scrimshaw, qui occupait le siège voisin du mien dans l'avion où nous nous sommes rencontrés et qui est directrice générale du Bureau de l'Afrique; M. Philippe Beaulne, sous-directeur de la Division de l'Afrique centrale et de l'Ouest, ainsi que M. Rolando Bahamondes, de l'ACDI, analyste régional pour l'Afrique centrale et les Grands Lacs à la Direction générale de l'Afrique et du Moyen-Orient.

Monsieur Caron, je crois que c'est vous qui allez ouvrir le bal.

M. Joseph Caron (sous-ministre adjoint, Asie-Pacifique et Afrique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): En effet, je vous remercie, madame la présidente.

Dans mon exposé, je me limiterai à la genèse, si vous voulez, de la situation actuelle qu'on retrouve dans la région de l'Afrique centrale. Je parlerai un peu de nos intérêts dans cette région, puis je ferai quelques commentaires sur l'aspect société civile. Je céderai ensuite la parole au représentant de l'ACDI, qui nous parlera plus en détail de ce que nous faisons pour la société civile parce que, bien entendu, le financement se fait principalement par l'ACDI.

Lorsqu'on demande aux Canadiens quels sont les pays ou les continents les plus importants dans le monde en ce qui a trait aux intérêts du Canada, ils vont répondre, d'emblée, les États-Unis, puis peut-être l'Europe occidentale ou le Japon, la Chine et l'Asie. Mais si on demande aux Canadiens ce que le Canada devrait faire du point du vue diplomatique et dans quelles régions du globe il devrait centrer son attention, ils vont parler de développement, des droits de la personne, de gouvernance, et de l'importance de faire connaître les valeurs canadiennes à l'extérieur, voire, d'aider d'autres pays à faire leurs ces valeurs. Ainsi, l'Afrique ne vient pas immédiatement à l'esprit des gens lorsqu'on leur pose la première question, mais il s'agit certainement du continent où tout ce qu'on nous cite en réponse à la deuxième question constitue un facteur important en matière de relations internationales.

[Français]

Pour bien comprendre la situation qui prévaut au coeur de l'Afrique, y compris la situation de crise qui est surtout concentrée au Congo, il faut connaître un petit peu l'histoire. La plus grande partie de l'Afrique a été explorée par les occidentaux. Vous connaissez peut-être l'expression anglaise «the scramble for Africa», qui décrit exactement ce qui s'est produit au XIXe siècle. Le territoire sur lequel nous nous concentrerons principalement aujourd'hui est le Congo et la région avoisinante, qui sont au centre de ce célèbre scramble, de cette quête pour des colonies.

Comme vous le savez, le Congo a été une colonie belge. Le Congo-Brazzaville, qui se trouve juste au nord, était une colonie française. Le Cameroun a été une colonie française et britannique. La République centrafricaine a été une colonie française. Dans l'est du centre, l'Ouganda a été une colonie britannique, tandis que le Rwanda-Burundi a, à différents moments, subi l'influence des Allemands, des Belges et des Français. Lorsqu'on se dirige vers le sud, on constate qu'il y a des influences britanniques. À l'ouest, nous avons l'Angola, qui était sous l'égide portugaise. Toute cette région a donc déjà hérité de différents intérêts qui peuvent être source de collaboration, mais aussi de conflits.

• 1545

Le Congo est un vaste pays au centre de l'Afrique. Il est le troisième en taille, après le Soudan et l'Afrique du Sud.

[Traduction]

Elle compte environ 60 millions de personnes, ce qui signifie qu'on y retrouve environ deux fois la population du Canada, sur une superficie comparable à celle du Québec et de l'Ontario prises ensemble. Il s'agit d'une région aux ressources naturelles immenses, qui compte de grandes richesses naturelles, mais dans le monde moderne, posséder des richesses naturelles peut ne pas suffire. Pour les mettre en valeur, il faut également pouvoir compter sur des États fonctionnels, des institutions, des réseaux de transport, des systèmes de communication et des régimes fiscaux fiables. Pour convertir toute cette richesse potentielle, il faut qu'un certain développement ait eu lieu. Or, on ne saurait avoir de développement là où il y a conflit.

La région se situe au centre même d'une zone de conflit qui s'étend de la Corne de l'Afrique, où se battent à l'heure actuelle l'Erythrée et l'Éthiopie. La Somalie a été le théâtre de nombreux troubles ces 15 à 20 dernières années. L'Ouganda lui-même est relativement stable. Pourtant, on y retrouve des groupes de guérilla comme la Lord's Resistance Army et les Forces démocratiques alliées, qui disputent le pouvoir au gouvernement Museveni en partie à cause de considérations ethniques. Le Rwanda et le Burundi ont connu de terribles épreuves, bien entendu, la plus dramatique et la plus catastrophique d'entre elles étant le génocide rwandais de 1994. Le Burundi est toujours aux prises avec une guerre civile. Lorsqu'on se retourne vers l'ouest, vers l'Angola, là encore on retrouve une guerre civile. Et chacun de ces conflits possède, comme déversoir, en quelque sorte, la région du Congo elle-même.

Comme je l'ai dit, le Congo est un ancienne colonie belge.

[Français]

de 1965 à 1996 et était gouverné par M. le président Sese Seho Mobutu, qui était tristement célèbre pour ses actes de corruption et qui n'a pas contribué—c'est le moins qu'on puisse dire—au développement de son propre État. La région a été frappée d'instabilité ainsi que des effets de la crise ethnique qui sévissait au Rwanda.

[Traduction]

Je ne sais pas si tout le monde peut reconnaître l'emplacement du Rwanda sur la carte. C'est à peu près au milieu, vers l'Est. Le conflit ethnique qui s'y est déroulé en 1994 a débordé, avec des conséquences très dramatiques, dans la région est du Congo. Les forces responsables de la purification ethnique au Rwanda, qui étaient mues par des motifs politiques, et dont le groupe le plus célèbre était l'Interamwe, les Forces militaires rwandaises,

[Français]

les forces armées rwandaises,

[Traduction]

ont été chassées du pays. Il s'agissait, en grande majorité, de Hutus. Ils ont été chassés par les Forces surtout composées de Tutsis qui sont maintenant largement majoritaires au sein du gouvernement du président Bizimungu et du vice-président Paul Kagame. En refoulant leurs ennemis dans l'est du Zaïre, ils ont déclenché une réaction en chaîne qui a fait que leur conflit s'est transposé dans le secteur est de l'ex-Zaïre. En même temps, le Burundi, ce petit État au sud du Rwanda, vivait ses propres conflits entre Tutsis et Hutus. Un nombre important de Hutus ont dû s'enfuir dans l'est du Zaïre pour échapper aux Forces tutsis du Burundi et pour se regrouper dans le but de préparer une contre-attaque.

• 1550

Tous ces mouvements de population ont mené, en fin de compte, à la création d'un groupe important qui s'est nommé l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre.

L'objectif initial de cette force était de remédier à l'instabilité qui régnait dans l'est du Congo. Elle s'est cependant transformée en un mouvement formé de Congolais, mais aussi de Rwandais et d'Ougandais, visant à déstabiliser, puis à remplacer le gouvernement Mobutu parce qu'on jugeait qu'il favorisait les Forces hutus qui avaient pénétré dans l'est du Zaïre. Pour remédier à ce problème, d'après le Rwanda et l'Ouganda, la seule solution était de contrôler les forces du gouvernement au Zaïre.

Ce regroupement a choisi une personne du nom de Laurent Kabila pour prendre la tête du mouvement. Kabila lui-même vient du sud-est, de la région du Katanga. Il a mené ses troupes jusqu'à Kinshasa, qu'il a capturé, et il a renversé le gouvernement Mobutu. C'est ici que les choses se compliquent. Je vais tenter de rester clair.

Tous ces événements se sont déroulés parce que les pays de l'est croyaient qu'en fin de compte, ils seraient capables de contrôler le gouvernement de Kinshasa, à l'ouest. Mais Kabila se méfiait de ses alliés. Il s'est retourné contre eux et s'est allié avec—et ici je simplifie grandement—entre autres, les Forces hutus qui avaient été chassées du Rwanda. Essentiellement, il s'en est pris à ceux qui l'avaient aidé à se rendre jusqu'à Kinshasa.

En tentant de prendre le contrôle de l'ensemble du Zaïre, qui avait été rebaptisé Congo, Kabila a obtenu l'appui de la Namibie, de l'Angola et du Zimbabwe. Ces trois pays ont envoyé des troupes au Zaïre, au Congo donc, pour aider Kabila à combattre les forces ougandaises, rwandaises et hutus.

Les Zimbabwéens sont intervenus militairement pour plusieurs raisons. Le président Mugabe lui-même voulait asseoir son leadership régional et estimait que ce serait une façon d'y arriver. La partie sud-est du Congo recèle d'immenses richesses, et il avait donc également intérêt à y avoir accès. L'Angola est intervenue parce qu'il était toujours aux prises avec la guerre civile et qu'il souhaitait contrôler les forces rebelles qui risquaient d'utiliser le Congo comme une base arrière. En appuyant Kabila, l'Angola se trouvait donc mieux placée pour lutter contre les rebelles de l'UNITA basées hors de l'Angola. Quant à la Namibie, elle est intervenue essentiellement par souci de solidarité à l'endroit d'un État qui se trouvait menacé.

Tous ces pays mènent actuellement leurs propres guerres ou interviennent dans la guerre intestine au Congo. Cette dernière s'est intensifiée en raison du fait que certaines forces congolaises, en s'alliant aux Rwandais et aux Ougandais, ont formé trois groupes différents qui contrôlent chacun une région du pays. Voilà donc la guerre intestine qui a lieu actuellement, sans compter toutes les guerres extérieures, si vous me permettez l'expression, qui ont toutes, fort commodément, le Congo pour champ de bataille.

La situation se complique encore, mais je ne pense pas qu'il soit utile d'entrer dans les détails.

[Français]

La réaction de la communauté internationale face à cette situation a d'abord été principalement exprimée par l'Organisation de l'unité africaine, qui a pris la plus grande initiative en vue de développer un contexte de négociation pour les six pays qui combattent, y compris le Congo, et les forces internes du Congo qui combattent entre elles.

• 1555

Appuyés par les Nations Unies, ils en sont venus le 10 juillet dernier à la signature d'un accord dans la ville de Lusaka, en Zambie, qu'on appelle depuis l'Accord de Lusaka. Selon les termes de cet accord conclu sous l'égide de l'OUA avec l'appui des Nations Unies, toutes les parties signataires se sont entendues pour respecter un cessez-le-feu, pour retirer leurs troupes, pour mettre fin à leurs combats, pour libérer les soldats des forces armées qu'ils détenaient en otages et pour éventuellement se retirer dans leur pays, et en même temps pour appuyer un dialogue intercongolais afin que les Congolais obtiennent de nouveau leur souveraineté territoriale et puissent vivre en paix et en sécurité dans leur propre pays.

L'Accord de Lusaka n'a jusqu'à présent pas remporté un grand succès, quoiqu'il demeure le seul et unique encadrement pour un accord éventuel au Congo. Le dialogue intercongolais n'a pas de dynamique centralisée. Plusieurs dialogues ont eu lieu en même temps, et le gouvernement Kabila n'a pas encore trouvé les moyens d'assurer sa propre sécurité d'une part et d'autre part de faire avancer le dialogue de façon à ce que les trois groupes combattants et lui puissent en arriver à un accord.

Le Rwanda recherche toujours une sécurité frontalière qui, selon lui, ne lui est pas fournie. Il refuse donc de retirer ses troupes, tout comme refusent de le faire l'Ouganda, le Zimbabwe, l'Angola et la Namibie, qui sont toujours sur place.

En janvier, les Nations Unies ont tenté, à l'initiative des Américains, d'amener tous les acteurs à New York pour qu'ils essaient d'en arriver à un nouvel accord ou de mettre en vigueur l'accord qui existe. Sept chefs d'État sont venus participer à ces discussions. De nombreux pays amis intéressés, dont le Canada, qui était représenté par M. Axworthy, ont participé à ces pourparlers. Jusqu'à présent, ces efforts n'ont pas porté fruit et on n'a pas réussi à mettre en oeuvre une dynamique qui mènera tôt ou tard au retrait des troupes et au dialogue national.

D'ailleurs, la situation militaire s'envenime. Il y a encore des forces dans les deux pays qui pensent qu'elles peuvent gagner la guerre en utilisant la force militaire pour atteindre leurs objectifs respectifs. La situation reste malheureusement inchangée.

Les Nations Unies ont pris un engagement lors de leur adoption de la résolution la plus récente, la résolution 1291, à laquelle vous avez fait allusion, madame la présidente. Lorsque la situation sera suffisamment stable et que le secrétaire général des Nations Unies aura confirmé que cette stabilité est bel et bien en place, jusqu'à 5 537 observateurs, troupes d'appui, troupes de transport et communicateurs viendront en aide afin d'appuyer la mise en oeuvre de l'Accord de Lusaka. M. Kofi Annan n'a toujours pas indiqué que c'était le cas. D'ailleurs, depuis quelques jours, tout semble indiquer que nous sommes loin d'en arriver à une situation qui soit suffisamment stable sur le terrain pour que les troupes, y compris une modeste participation canadienne, puissent y entrer.

[Traduction]

Permettez-moi donc de conclure cet exposé simplifié à l'extrême. J'imagine que lorsqu'on a une carte en tête, les choses sont plus faciles à comprendre.

Pour ce qui est maintenant de la société civile, il y a une chose qui fonctionne ou semble fonctionner raisonnable au Congo. Disons qu'il y a deux piliers importants. Le premier est que dans l'ensemble, les Congolais sont acquis à l'idée de l'unité nationale et à la protection de leurs frontières. Il n'y a dans ce pays aucune force digne de ce nom qui milite pour le démantèlement du Congo. L'unité nationale, la paix, la souveraineté, des frontières stables et protégées—tout le monde est d'accord sur ce point. C'est donc un point de départ.

• 1600

Les instruments de l'État—ce que nous prenons pour acquis comme la réparation des routes, le paiement des taxes et les dépenses publiques—sont essentiellement inopérants au Congo. Il existe des administrations rurales et régionales qui fonctionnent dans une certaine mesure, mais ce qui fonctionne le mieux, ce sont les nouveaux protagonistes représentés par les organisations de la société civile. Les églises sont extrêmement importantes. Et d'ailleurs, je céderai la parole dans quelques instants, parce qu'il est important d'identifier certains des groupes vraiment importants qui représentent des intérêts sociaux, civils, religieux et, éventuellement, politiques, et qui tous se sont plus ou moins engagés dans ce dialogue national qui est en dernier ressort l'ultime source de stabilité pour le Congo.

Ma conclusion sera que le Canada a un rôle important à jouer au Congo étant donné nos ressources, nos intérêts, notre histoire, la présence d'une diaspora congolaise au Canada, les intérêts du gouvernement ainsi que ceux du développement, et ce rôle concerne essentiellement la société civile.

La présidente: Je vous remercie.

Sandelle, vous faites...

M. Rolando Bahamondes (analyste régional, Afrique centrale et Grands Lacs, Agence canadienne de développement international): Merci beaucoup, madame la présidente.

Je pense que le Congo est l'un de ces pays pour lequel il est extrêmement difficile de différencier la solution au conflit et le développement. C'est d'ailleurs à mon avis l'une des raisons pour lesquelles les Affaires extérieures et l'ACDI travaillent en aussi étroite collaboration dans ce dossier.

Je ne vais guère m'étendre davantage sur l'excellent exposé que vient de vous faire M. Caron, mais je vais vous dire quelques mots au sujet des activités de l'ACDI et leur évolution au Congo... [Note de la rédaction: Difficultés techniques]... particulièrement dans les années 80. À l'époque, nous étions présents au Congo et notre intervention était d'un genre tout à fait classique [Note de la rédaction: Difficultés techniques]... et la promesse formelle de gouverner le pays a tenu jusqu'au début des années 90, jusqu'à ce que le président Mobutu... [Note de la rédaction: Difficultés techniques]

De 1992 à 1993, nous n'avions quasiment aucuns programmes au Congo. Nous avions un petit crédit pour le Congo, mais il ne fonctionnait pas très bien. Après l'arrivée au pouvoir du président Kabila en 1997, le Canada a reconsidéré ces programmes et l'aide à accorder au Congo.

La présidente: Excusez-moi, j'aimerais juste avoir un mot avec Mme Debien?

[Français]

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Le son part, il revient, puis il repart.

[Traduction]

La présidente: Le système d'amplification semble avoir des hauts et des bas, et ils ont du mal à entendre M. Bahamondes.

Poursuivez, je vous prie.

M. Rolando Bahamondes: Comme je le disais, en 1998, le Canada a décidé, à l'instar de la majeure partie de la communauté internationale, de recommencer des activités de développement au Congo. Pendant la première année du gouvernement Kabila, un certain nombre de politiques économiques et sociales très progressistes ont été introduites au Congo ce qui, dans une certaine mesure, a attiré l'attention et mobilisé l'appui de la communauté internationale.

Depuis le début de la guerre dont parlait M. Caron, je pense que les activités ont un peu ralenti. Dans le cas du Canada, nous avons conservé nos programmes depuis 1998. À toutes fins pratiques, le gouvernement est davantage un symbole qu'un gouvernement au sens que nous donnons au terme. Je dirais que les ministères et les institutions congolaises sont inopérantes. Le pays lui-même a été ravagé par 30 années de dictature sous M. Mobutu. Non seulement le gouvernement, mais l'infrastructure nationale toute entière, ont été totalement détruits. Lorsque la paix sera rétablie, le Congo devra repartir à zéro, en particulier pour ce qui est des activités de développement.

• 1605

Mais le disait également M. Caron, l'un des facteurs positifs qui se sont dégagés du processus a été la société civile. En effet, tous les programmes que nous conduisons avec le Congo, exception faite d'une partie de l'aide que nous accordons à la Banque centrale de ce pays, sont exécutés par le truchement de la société civile.

L'objectif que nous poursuivons en conduisant le programme consiste à déterminer comment rétablir la paix. Nos interventions poursuivent deux grands objectifs: le premier est le dossier des droits de la personne, de la démocratie et de la bonne gouvernance. C'est là notre objectif premier. Le second objectif consiste à tenter de répondre aux besoins fondamentaux de la population. Le pays et sa population ont des besoins énormes et grâce à la fois aux programmes bilatéraux et aux contributions multilatérales offertes par les organisations internationales, nous essayons d'une façon ou d'une autre d'offrir une aide humanitaire tout en contribuant à faire avancer le processus de paix.

Je voudrais illustrer de façon un peu plus détaillée le genre de projets que nous conduisons actuellement au Congo. Pour commencer, je dois vous dire que depuis trois ans, sur le plan bilatéral, nous avons dépensé ou engagé environ 17 millions de dollars, à quoi il faut ajouter 10 millions de dollars de contribution provenant d'initiatives multilatérales à caractère essentiellement humanitaire. Nous avons par ailleurs également quelques initiatives en partenariat. Nous travaillons notamment dans le domaine de l'éducation.

Sur un plan bilatéral, comme je viens de vous le dire, nous tentons de déterminer comment il serait possible d'appuyer un processus susceptible d'amener une paix durable au Congo. Nous avons en particulier un fonds, que nous avons constitué en partenariat avec la société civile, qui sert à financer le dialogue national dans la perspective du Dialogue intercongolais, comme le prévoit l'accord de Lusaka. En deux mots, ce dialogue a pour but de tenter de trouver une solution politique aux conflits qui ravagent le Congo.

La société civile, ou

[Français]

le Collectif des forces vives,

[Traduction]

comme on l'appelle au Congo, est un partenaire paritaire dans ce dialogue, tout comme le gouvernement et les autres partis politiques. Je pense qu'il est fondamental de renforcer la société civile et de l'aider dans le processus qui doit conduire au Dialogue intercongolais.

Nous avons également un autre projet intitulé Appui à la démocratie qui est une façon de renforcer les moyens d'action institutionnels de la société civile afin qu'elle puisse jouer un rôle aussi bien au niveau politique qu'au niveau économique.

Enfin, un autre projet dans la même veine est intitulé Projet d'appui au développement démocratique et, grâce à ce projet, nous essayons de promouvoir et de protéger les droits de la personne et d'améliorer la participation populaire au processus décisionnel.

Là encore, il s'agit de projets à court terme et à longue perspective et par lesquels nous tentons de favoriser un rôle pour la société civile dès lors que la paix sera rétablie dans le pays.

Comme vous le savez peut-être, lors de l'assemblée générale du Conseil de sécurité à New York, le ministre Axworthy a annoncé plusieurs initiatives à l'appui du processus de paix au Congo. Parmi ces initiatives, l'ACDI en finance deux: la première vise à faciliter le dialogue Intercongolais et la seconde la démobilisation et la réinsertion des enfants soldats.

S'agissant du dialogue Intercongolais, notre rôle consiste à aider le facilitateur du dialogue, M. Masire, l'ex-président du Botswana, qui s'efforce de faciliter le processus qui devra conduire au dialogue Intercongolais. M. Masire présidera également les délibérations pendant le dialogue. Mais je pense toutefois que l'essentiel ici consiste à déterminer comment faire en sorte que les parties en viennent à se parler et que les participants assistent au dialogue lorsque celui-ci aura lieu. Ici encore, je voudrais souligner le fait que, aux termes de l'Accord de Lusaka,

[Français]

Collectif des forces vives

[Traduction]

ou la société civile, est un participant paritaire au processus.

À l'heure actuelle, nous nous employons à mettre en place les éléments de soutien que nous allons apporter. Plusieurs autres pays y concourent aussi indirectement, et nous travaillons en concertation dans ce sens.

Le second problème est celui des enfants soldats. Au Congo, c'est un problème majeur. On estime que 10 000 enfants ont été enrôlés dans l'armée, et l'UNICEF a lancé une initiative visant à assurer à réinsertion de ces enfants dans la société. Il s'agit d'un défi de taille, mais il est essentiel. Il s'agit en effet de la jeunesse, de l'avenir du pays. Je pense que dans ce contexte, l'UNICEF a déjà beaucoup d'expérience dans la région.

• 1610

Dans l'ensemble, madame la présidente, je voulais simplement vous faire valoir qu'au Congo, nous conduisons un programme de faible envergure. Par ailleurs, il s'agit d'un programme souple. Nous devons en effet nous adapter à la situation. Notre principal partenaire est la société civile, et cela restera le cas, parce que c'est la seule structure qui soit opérante, et qu'il s'agit également du seul groupe qui ait vraiment une idée de la façon de rétablir la paix au Congo.

Pour conclure, nous sommes actuellement en train de revoir notre programme d'aide au Congo et de nous préparer à ce qu'il faudra faire lorsque la paix sera rétablie afin de préparer dès maintenant les fondements d'un développement futur.

Je vous remercie beaucoup.

La présidente: Merci.

Y a-t-il d'autres exposés?

[Français]

La présidente: Madame Debien.

Mme Maud Debien: Madame et messieurs, je vous souhaite la bienvenue à notre comité. La semaine dernière, nous avons entendu des gens de la diaspora congolaise ici, au Canada, et en particulier des membres de la communauté vivant à Montréal. Ils nous ont parlé longuement de la conférence de Montréal et de son suivi, et donc du dialogue intercongolais, que j'ai suivi et qui me semble être une excellente initiative.

J'ai posé une question à un témoin au sujet de la problématique. Je lui ai demandé si on pouvait parler de luttes ethniques dans le cas de tous les pays qui sont en conflit. Il m'a répondu que le problème ne se situait pas à ce niveau. Il me disait que ces gens-là avaient toujours vécu en étroit voisinage. J'ai par la suite rencontré en privé d'autres personnes qui vont souvent là-bas et qui travaillent là-bas. [Note de la rédaction: Difficultés techniques] ...la principale cause de ce conflit-là est la pauvreté. C'est la pauvreté qui en est à l'origine. C'est un petit peu contradictoire puisqu'il y a des ressources naturelles importantes dans la région. Les dictateurs se sont approprié les richesses et la corruption endémique a sévi, tandis que les populations ont été laissées pour compte et vivent depuis des années dans un état d'extrême pauvreté. Leurs terres sont de moins en moins fertiles parce qu'il n'y a pas d'infrastructures et d'outils pour les entretenir. Un autre facteur important est l'importante explosion des populations. Puisqu'on a besoin de sol et de nourriture, on transgresse un certain nombre de frontières. Évidemment, quand on dépasse nos frontières, les conflits surgissent et toute la question de l'appropriation des ressources naturelles se pose.

Ce sont les facteurs qu'on m'a donnés comme étant à la source profonde de ce conflit-là. Personne ne peut nier qu'il y a eu des luttes ethniques entre les Tutsi et les Hutu au Rwanda. Il semble toutefois que ce ne soient pas ces luttes ethniques qui aient dégénéré et été la cause du conflit, mais plutôt fondamentalement cette problématique de la pauvreté, l'augmentation de la population et le besoin de terres. Lorsqu'on se penche sur ce qui se passe actuellement entre les Lendus et les Hemas, tout à fait dans le nord, il est évident qu'il y a une lutte entre deux peuples, deux ethnies, mais ce n'est pas une lutte ethnique en soi. C'est essentiellement une lutte pour l'appropriation de terres à cause de l'extrême pauvreté.

• 1615

J'aimerais entendre votre son de cloche là-dessus. Est-ce que ces explications, qui me semblent valables, sont fondées ou pas?

On m'a remis un document où l'on énumère tous les investissements miniers canadiens en zone de conflit en République démocratique du Congo. Cinq grandes compagnies canadiennes y figurent et elles y oeuvrent soit sous forme de compagnies d'exploration minière, soit sous forme de compagnies de sécurité, un peu dans le style de ce qu'on a vécu avec Talisman au Soudan. M. Axworthy nous a dit que Talisman s'était fait taper sur les doigts et qu'il aurait dû prendre le soin de se donner un code d'éthique pour intervenir. Dans le dernier numéro de la revue de la Société pour l'expansion des exportations, on dit exactement la même chose. On a un bel exemple de ce qu'il ne faut pas faire en Afrique.

J'aimerais que l'ACDI, et surtout son volet de coopération industrielle, me dise dans quelle mesure l'ACDI met les points sur les i face à ces compagnies-là. Quand je m'adresse à l'ACDI, qui est tributaire du ministre, je m'adresse évidemment aussi au ministre.

M. Joseph Caron: La première question que vous avez soulevée est d'une telle profondeur et d'une telle complexité que chacun de nous a sans doute une opinion différente et peut-être même contradictoire. J'inviterai donc mes collègues à exprimer leur point de vue personnel.

Je crois pour ma part que des conflits de cette ampleur découlent rarement d'une simple raison. Je ne crois pas que la pauvreté en soi mène à de tels conflits. Les gens sont pauvres, ils souffrent de malnutrition et ils n'ont pas l'énergie et les armes nécessaires pour se livrer à des guerres. On pourrait identifier de nombreux autres endroits au monde où la pauvreté sévit tout autant, par exemple en Asie, au Bangladesh et en Inde. Je ne crois pas que la pauvreté soit nécessairement à l'origine de la guerre. Il faut invoquer d'autres motifs que l'insatisfaction des gens, leur profond malaise et le fait que leurs enfants meurent de faim, bien que ces motifs puissent certainement être exploités.

Lorsqu'on parle du Congo, surtout de l'est du pays, où la plupart des conflits sont actuellement concentrés, on peut évoquer toute une série d'intérêts qui s'affrontent. C'est un très ancien débat qui se perpétue lorsqu'on cherche à savoir s'il y a essentiellement un élément ethnique ou non. Ce qu'on sait de façon certaine, c'est que cet élément ethnique est invoqué comme motif de l'opposition d'un groupe à un autre groupe par certaines gens, des personnes ambitieuses et des escrocs.

Prenez, par exemple, la situation dans laquelle se trouvent depuis un siècle les Tutsi dans l'est du Zaïre. À l'époque Mobutu, ils faisaient l'objet de discrimination et on ne leur accordait pas la citoyenneté. On leur a éventuellement accordé la citoyenneté, bien qu'on la leur ait par la suite retirée. Aujourd'hui, cette question reste incertaine. De telles situations sont certainement utilisées par certains acteurs lorsque cela sert bien leur cause.

Lorsqu'on se penche sur les conflits qui sévissent à l'heure actuelle, il est difficile de nier que certaines personnes évoquent ces éléments ethniques, mais il ne faut pas oublier qu'il y a d'autres mobiles pour ces actions, dont des considérations purement commerciales et l'enrichissement personnel. Il y a aussi des raisons liées à la défense nationale.

• 1620

Le gouvernement d'Ouganda vous dira qu'il est présent parce qu'il doit s'opposer aux trois groupes de guérilleros qui, quand il peuvent, attaquent surtout le nord-ouest du pays. On peut songer à plusieurs raisons. Le manque de développement et la pauvreté sont des motifs que peuvent facilement invoquer ceux qui veulent faire la promotion de leurs propres intérêts. Voilà mon point de vue.

Sandelle, je vous invite à exprimer votre point de vue.

Mme Sandelle Scrimshaw (directrice générale, Bureau de l'Afrique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Je pourrais ajouter que nous avons eu une discussion fort intéressante au sujet de l'origine de ces problèmes avec les nouveaux ambassadeurs du Rwanda et du Burundi lorsqu'ils ont présenté leurs lettres de créance récemment. Ils ont tous deux nié que cet élément ethnique était le problème. Ils disaient que les Hutu et Tutsi avaient vécu ensemble pendant de longues périodes et que leur histoire avait été marquée de cycles de violence. Selon eux, il s'agit d'un problème de gouvernance. Ils croient que les gouvernements utilisent l'élément ethnique comme un instrument politique qui leur permet d'exercer un contrôle sur les populations. Je crois qu'il s'agit d'un aspect important.

Lorsqu'on ajoute à ces facteurs la pauvreté qu'on connaît au Rwanda, le surpeuplement par rapport à la capacité de la terre, ainsi que l'insatisfaction de la population face au manque d'appui du gouvernement en termes d'infrastructures et de services sociaux, on a une ambiance propice aux conflits.

Mme Maud Debien: Le gouvernement est en déliquescence, ce qui fait que chacun part de son côté et que tout le monde est roi. Est-ce cela que vous voulez dire?

Mme Sandelle Scrimshaw: Aussi longtemps qu'on aura une gouvernement qui ne reflétera pas la volonté du peuple, de toutes les populations, et qui ne sera pas imputable, il régnera un climat où il pourra y avoir des revendications de plus en plus importantes.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Monsieur Gruending, bienvenue au comité. Je sais que c'est vous qui allez vous charger du volet développement de nos travaux.

M. Dennis Gruending (Saskatoon—Rosetown—Biggar, NPD): En effet, madame la présidente.

La présidente: Et la parole est à vous.

M. Dennis Gruending: Je vous remercie.

Je vous remercie tout d'abord d'être venus cet après-midi et j'aurais une question concernant l'intervention de l'ACDI.

Vous parlez d'apporter un concours par le truchement de la société civile. Tout cela, nous le voyons de loin grâce notamment à la télévision ou aux livres. Je me souviens avoir lu l'ouvrage de Robert Kaplan Coming Anarchy, où l'auteur livre une vue fort pessimiste de la situation, surtout dans le cas des pays d'Afrique. Pourriez-vous nous brosser un peu le tableau? Lorsque vous dites que vous offrez un concours par le truchement de la société civile, qui sont ces gens au juste et comment ont-ils effectivement la possibilité de fonctionner d'une façon tant soit peu normale? Sont-ils entravés dans ce qu'ils font par des actes d'intimidation ou de violence, par un danger quelconque? Dans quelle mesure leur est-il facile d'intervenir, même si vous les y aidez?

M. Rolando Bahamondes: Cela fait personnellement environ 27 ans que je travaille dans le domaine du développement et, pour être franc avec vous, je n'ai jamais vu un réseau d'institutions de la société civile comme il en existe un au Congo.

Je pense que la société civile est un ensemble d'institutions qui s'occupe non seulement de la bonne gouvernance ou du rétablissement de la paix, mais également de la prestation de services à l'intention de la population au sens large. Le gouvernement proprement dit n'a ni les ressources, ni les structures nécessaires pour offrir à la population les services de santé, l'instruction publique et l'approvisionnement alimentaire de base. Le pays est divisé et, chose étrange, la société civile a réussi à trouver le moyen de fonctionner, même dans les territoires occupés. Nous parlons donc ici d'une série d'institutions, des petites institutions réunies sous une même ombrelle, qui ont la même voix et poursuivent un agenda commun, dans le souci de faire respecter l'Accord de paix de Lusaka, de faire en sorte que le gouvernement soit partie prenante en faisant entendre sa voix, qui est précisément un des volets de la société civile. Mais ici encore, il y a une autre facette de son intervention, en l'occurrence offrir un crédit minimum aux cultivateurs, essayer d'assurer l'instruction publique primaire, construire de petites écoles et ainsi de suite.

• 1625

Nous n'avons pas les moyens d'envoyer des Canadiens travailler dans le genre de conditions qu'on trouve au Congo. Par conséquent, la seule façon pour nous d'avoir la certitude que notre aide parvienne effectivement à destination, c'est-à-dire à ceux qui en ont besoin, c'est de passer non pas par le gouvernement, parce que le gouvernement n'a même pas la structure institutionnelle nécessaire pour s'en charger, mais par ces petites organisations, offrir un genre de gros fonds d'intervention, comme nous l'appelons, c'est-à-dire une série de crédits que ces organisations peuvent utiliser, selon le genre de projets qu'elles vont financer, et de cette façon faire en sorte que le peu d'argent que nous avons réservé au Congo ne se retrouve pas uniquement à Kinshasa, mais parvienne également aux autres régions du pays et serve à financer l'éducation, le développement agricole, le petit crédit, le micro-crédit, voire l'élaboration de mesures législatives qui permettraient de promouvoir le rôle de la femme, c'est-à-dire en fin de compte l'ensemble du tableau.

M. Dennis Gruending: J'aimerais vous poser une toute petite question dans le même sens, parce que j'aimerais vraiment savoir s'ils peuvent y arriver étant donné la situation et la conjoncture nationales? Je ne doute pas du bien-fondé qu'il y a à passer par la société civile, mais les membres de la société civile peuvent-ils vraiment y arriver?

M. Rolando Bahamondes: Certainement, ils le peuvent. La preuve en est qu'il n'y a pas que le Canada qui achemine son aide de cette manière, toute la communauté internationale passe également par ce réseau d'institutions de la société civile pour l'acheminement de l'aide au développement. Tous les bailleurs d'aide que je connais—les Français, les Belges, les Américains—travaillent par le truchement de ces institutions dans cette optique.

Encore une fois, c'est un cas qui, autant que je sache du moins, sort vraiment de l'ordinaire. La capacité d'organisation et la capacité d'acheminement existe bel et bien. Nous avons évalué nos propres projets, de sorte que nous savons que l'aide que nous fournissons aboutit là où elle est censée arriver. C'est un vecteur qui est utilisé pas seulement par le Canada, mais par toute la communauté internationale y compris les organisations des Nations Unies.

M. Dennis Gruending: Je vais commencer par poser ma question, après quoi vous déciderez celui d'entre vous aux Affaires étrangères qui est le mieux placé pour y répondre.

Lorsque nous parlons d'une mission d'observation, parce que nous disons que nous sommes favorables au déploiement rapidement d'un fort contingent d'observateurs des Nations Unies, lorsque nous parlons d'envoyer un haut gradé sur place et peut-être aussi 10 observateurs militaires, il me semble qu'à cet égard, notre raisonnement et nos plans pratiques sont relativement modestes, en ce sens que nous n'envisagerions pas d'intervenir à plus grande échelle comme nous l'avions fait au Rwanda, non sans mal d'ailleurs. J'aimerais savoir quel est à votre avis notre rôle à cet égard et si ce rôle demeurerait aussi modeste que vous venez de le dire.

M. Joseph Caron: Le contexte ressemble à ceci: Pour commencer, on avait fait valoir qu'il fallait que les Nations Unies démontrent leur engagement à l'endroit du processus de Lusaka, de sorte qu'il y eut une première résolution qui créa la MONUC, la Mission d'observation des Nations Unies au Congo, dont faisait partie, dès les premiers temps, un Canadien, un colonel.

La phase suivante, c'est ce qui a été approuvé le 24 février, est en quelque sorte le deuxième volet. Il s'agit essentiellement de la fonction observation qui serait assumée—et il se peut que je me trompe—par 500 observateurs et 5 000 hommes de troupes. C'est de cela que nous parlons ici.

La troisième phase serait, de l'avis de certains intervenants, une opération de plus grande envergure qui consisterait essentiellement, primo, à observer la situation pour déterminer si effectivement le cessez-le-feu a été appliqué et si les premiers éléments de l'Accord de Lusaka ont été mis en place, après quoi, bien entendu, il s'agirait ensuite de concrétiser intégralement l'Accord de Lusaka.

Nous sommes encore très loin de la phase trois et d'ailleurs—je pense que vous n'étiez pas là lorsque j'en ai dit un mot au tout début—, la situation actuelle rend la phase deux même plus difficile encore à réaliser. La phase deux ne pourra en effet survenir que si le secrétaire général de l'ONU juge que la sécurité sur place est suffisamment bien assurée pour que les observateurs que nous enverrons ne soient pas en danger.

• 1630

Le Congo est un pays immense, et 5 500 personnes dans un pays aussi immense peuvent se perdre facilement. Le pays n'a pas d'infrastructure; ce que l'on peut observer est donc limité. On ne peut voir et entendre que ce qui est humainement possible de voir et entendre. Dans de pareilles circonstances, notamment lorsque les gens sont répartis sur un vaste territoire comme le Congo, ils deviennent extrêmement vulnérables. À moins de convaincre Kofi Annan et les gens autour de lui—et dans le cas du Canada, à moins de convaincre le chef d'état-major de la Défense également—que les Canadiens ne courent aucun risque et qu'ils seront en sécurité, ils n'iront pas.

Pour revenir à la question des 10 sur 5 700, ce qui me semble être le but de votre question, de plus en plus, à quelques très importantes exceptions près, l'ancienne Yougoslavie étant un exemple évident et le Timor oriental étant un exemple des plus récents, nous évitons d'envoyer... Dans la plupart des opérations, notre contribution a été davantage au niveau du haut commandement, qu'il s'agisse des transports ou des communications. Nous croyons que notre contribution est des plus utiles dans ces deux domaines.

[Français]

Puisque le Congo est un pays francophone d'abord et avant tout, les capacités canadiennes dans les deux langues sont évidemment grandement appréciées, surtout au plan des communications. Nous n'avons pas encore déterminé quelles seront les véritables fonctions de nos forces une fois qu'elles seront sur place. Comme je l'indiquais, la décision de les envoyer doit être prise à deux niveaux.

[Traduction]

M. Dennis Gruending: Est-ce que j'ai le temps de poser une autre question rapidement?

La présidente: Non, désolée. Mais vous aurez de nouveau la parole au prochain tour.

Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Je vous remercie, madame la présidente.

Je vous remercie d'être venu nous faire part de renseignements qui nous aideront au fur et à mesure que nous progresserons dans nos travaux.

Toute cette notion de dialogue m'a laissé perplexe. Si les gens recherchent la paix, si les belligérants disent qu'ils veulent la paix, où est le problème alors? J'avoue ne pas comprendre. Si tout le monde est d'accord, et si tout le monde a signé l'accord... Pourriez-vous m'expliquer encore quel est le problème?

M. Joseph Caron: La vie serait tellement simple s'il suffisait de signer un accord, avec toute la bonne volonté humaine. Or, de toute évidence, les parties qui ont signé l'accord de Lusaka pensaient l'été dernier qu'il était dans leur intérêt d'interrompre le conflit, d'évaluer leurs positions respectives, d'examiner la position de la communauté internationale, puis de décider des mesures à prendre.

Mme Jean Augustine: Il s'agissait donc d'une trêve et non pas...

M. Joseph Caron: Vous me demandez de vous dire ce qui s'est passé sur le terrain.

Tout d'abord, l'accord de Lusaka est dans une certaine mesure un accord très complexe. C'est un document est très complet, puisqu'il aborde les différents aspects du conflit. Il prévoit une structure de prise de décisions pour assurer la mise en oeuvre de l'accord. L'une des difficultés, au niveau le plus simple, réside dans le fait que M. Kabila dit qu'il ne respectera cet accord qu'une fois que toutes les troupes étrangères auront quitté son pays. Comment peut-il entamer un dialogue intercongolais si la moitié de son pays est occupé par des troupes étrangères et leurs alliés congolais? Pour leur part, les Rwandais et les Ougandais disent qu'ils ne se retireront qu'une fois qu'on aura entamé un dialogue intercongolais qui aura permis de régler la situation, de garantir leurs frontières et de faire en sorte que tous les groupes de guérilla ne reviendront pas à la charge. C'est une situation typique où les choses sont au point mort.

Je ne ferai peut-être que répéter l'évidence en vous disant que les combats se poursuivent. Manifestement, certains pensent qu'ils peuvent encore gagner au plan militaire.

Mme Jean Augustine: Autrement dit, le travail de M. Massire n'a pas encore commencé?

M. Joseph Caron: Si. En fait, il se trouve au Congo maintenant, et nous nous sommes mis en rapport avec lui. M. Beaulne l'a rencontré récemment. Cela dit, il entre à peine en fonction, et il n'est pas Congolais; il vient du Botswana. Il ne parle pas français et ne dispose pas d'une infrastructure.

• 1635

L'une des choses qui n'est peut-être pas ressortie clairement dans nos exposés jusqu'à présent, c'est qu'il existe différents éléments de la société civile—ce dont nous n'avons pas parlé—, mais tous les autres partis politiques sont encore là. Il y a un manque flagrant de cohérence, de cohésion et de vision commune chez les différents acteurs, y compris ceux de la société civile. Certains acteurs de la société civile ont un certain concept quant à la façon de diriger le pays et d'entamer le dialogue même, et de ce que devrait être le rôle du gouvernement.

Il y a quelques semaines, on a entamé, sous les auspices des églises, un dialogue important qui a duré plusieurs jours. Certains ont même invité le gouvernement Kabila à participer, tandis que d'autres se sont retirés justement parce que le gouvernement Kabila y prenait part.

C'est quelque chose qui rappelle Balzac et Dickens. Toutes les tendances humaines sont présentes, et tous conviennent qu'il est impératif d'entamer un dialogue, mais on ne s'entend pas sur les participants, la structure du dialogue ni sur l'ordre du jour. Tout cela s'est passé la semaine dernière.

Mme Jean Augustine: Effectivement, c'est ce qui ressort clairement.

Les États-Unis sont-ils un acteur là-bas? Je ne parle pas des Nations Unies, mais bien des États-Unis.

M. Joseph Caron: Oui, et c'est une question très importante.

Les États-Unis ont joué en quelque sorte au «mauvais garçon» aux Nations Unies en ce sens qu'ils ne paient pas leurs cotisations et n'appuient pas tellement les missions de maintien de la paix des Nations Unies, ou ce que nous appelons les mesures de consolidation de la paix. Mais je dois dire que sur cette question, ils ont agi assez rapidement, et c'est en grande partie grâce à eux que les choses ont bougé en janvier. En toute franchise, je pense que seuls les Américains sont en mesure de rassembler tous les belligérants autour d'un accord. Tous les belligérants sont venus d'asseoir autour d'une table, comme nous le faisons vous et moi dans cette salle. Même si les combats se poursuivaient dans la brousse, les États-Unis ont néanmoins réussi à les réunir. Évidemment, les États-Unis ont des liens très étroits avec l'Ouganda et le Rwanda; ils ont donc un rôle important à jouer.

La participation d'acteurs étrangers est peut-être cruciale si non décisive dans certains cas, mais sans la volonté des principaux belligérants, il est très difficile d'imposer une solution, notamment dans des situations aussi complexes que celles-ci.

Mme Jean Augustine: En ce qui concerne la question du soutien que nous donnons au groupe de la société civile, s'agit-il de groupes qui sont du bon côté du conflit ou est-ce que nous les finançons peu importe...?

M. Joseph Caron: J'essaierai de répondre à votre question, mais nous comptons sur la sagesse de ce comité pour déterminer quel côté est le bon.

La présidente: Je vous remercie de cette observation.

Ceci m'amène en fait à la question que je voulais vous poser. Quand on voit des guerres civiles comme en Bosnie et au Kosovo, nous sommes généralement tous d'accord pour dire que la plupart de ces guerres... On peut dire que les conflits ethniques et la pauvreté en sont des causes, mais tout bien considéré, il me semble que la corruption et la soif du pouvoir et de la richesse sont la cause profonde de tous ces conflits.

L'Afrique est pleine de contradictions. Les ressources naturelles y sont abondantes et je suppose qu'elle a un potentiel énorme d'agriculture et de production alimentaire, entre autres choses. Pourtant, c'est là qu'on retrouve le plus de pauvreté, et je présume que c'est à cause des régimes corrompus. Après avoir entendu l'historique de ce conflit et tout ce qui se passe là-bas, et après avoir entendu les témoins, on a envie de baisser les bras et de se dire «que peut-on bien faire?»

Voici donc ma question: Croyez-vous que le rôle des parlementaires canadiens est de recommander au gouvernement de contribuer au développement de la société civile?

Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que la solution à long terme est d'éduquer tout le monde, car quand tout le monde est éduqué, il est difficile de manipuler les gens. Vous avez indiqué qu'il y aura un examen des programmes et des initiatives que nous avons prises là-bas pour aider les groupes à se constituer en groupes improvisés de la société civile. Pensez-vous que nous avons un rôle à jouer dans cet examen, et quels témoins, d'après vous, devrions-nous entendre à ce sujet?

• 1640

M. Joseph Caron: Vous m'avez posé plusieurs questions, et j'inviterai mes collègues à y répondre aussi.

Tout d'abord, en ce qui concerne le rôle des parlementaires, il y a une réunion qui se déroule maintenant—il est peut-être un peu tard—en tout cas, qui se déroule aujourd'hui, à Lusaka.

Philippe, voulez-vous ajouter quelque chose?

[Français]

M. Philippe Beaulne (directeur adjoint, Direction de l'Afrique centrale et occidentale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Nous avons financé la tenue d'un colloque qu'ont organisé différentes organisations, dont Parliamentarians for Global Action, et auquel assistent actuellement deux parlementaires canadiens, MM. Pratt et Guimond.

Nous avons voulu regrouper des parlementaires des différents pays de la région, dont certains sont en guerre. On y retrouve une dizaine de pays, dont l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, le Zimbabwe, la République centrafricaine, la Namibie et naturellement la Zambie puisqu'il s'agit de Lusaka. Une délégation congolaise y participe également. Nous cherchions une façon de réussir à faire participer les parlements et l'appareil législatif à la résolution des conflits dans la région. On a adopté, il y a quelques heures, une déclaration et un plan d'action que nous pourrons vous faire parvenir dès que nous en aurons obtenu le texte. Voilà un exemple de ce qu'on peut accomplir au niveau parlementaire. Je céderai maintenant la parole à mes collègues.

[Traduction]

M. Rolando Bahamondes: Merci beaucoup. Si vous me le permettez, madame la présidente, j'aimerais répondre à la question de Mme Augustine, puis poursuivre, car les deux choses sont intimement liées.

Je pense qu'il est très important de savoir si nous avons les bons partenaires au Congo. À l'ACDI, nous créons des partenariats avec la société civile canadienne et la société civile congolaise. Nous ne sommes peut-être pas en mesure d'évaluer les acteurs de la société civile congolaise, mais nous avons au Canada des organismes—la société civile et les ONG—qui suivent de très près la situation au Congo et qui travaillent de concert avec des organismes au Congo même.

Nous avons donc créé des partenariats, mais nous travaillons avec certains organismes depuis un certain déjà, depuis trois ans précisément, et nous savons qu'ils sont efficaces. On pourrait peut-être s'interroger sur leur façon de procéder, mais là encore, je pense que leur travail est précieux, ce que nous confirment leurs partenaires canadiens et les autres organismes internationaux comme l'ACDI ou même des instances multilatérales. À ma connaissance, nous travaillons avec les bons partenaires. Cela est confirmé d'une certaine façon par cet exercice que nous entamons, à savoir les programmes de l'ACDI visant l'aide au développement du Congo.

Comment les groupes peuvent-ils participer? La participation à nos programmes se fait de façon très transparente. En fait, nous tenons des discussions avec la société civile et d'autres Canadiens concernés quant nous commençons l'élaboration de programmes. Le Congo n'est pas une exception. Nous avons déjà eu une réunion avec de représentants de la société civile canadienne en novembre. Nous avons l'intention de tenir une autre réunion ce printemps. Nous nous mettons à votre disposition si vous voulez que nous venions vous faire part des analyses que nous aurons faites et de la façon dont nous envisageons les programmes pour le Congo au cours des deux à trois prochaines années. Nous serions ravis de venir le faire, ou encore quelqu'un pourrait venir participer aux discussions avec la société civile. Je l'ai dit et je le répète, nous travaillons de façon très limpide, très transparente quand il est question d'élaborer de nouveaux programmes, pour la simple raison que la société civile canadienne tient absolument à poursuivre sa participation dans le cadre de notre programme au Congo.

Merci de votre attention.

La présidente: Je vous remercie. Madame Debien.

[Français]

La présidente: Madame Debien.

Mme Maud Debien: Merci, madame la présidente. Tout à l'heure, j'ai posé deux questions. On a répondu à la première, mais non pas à la deuxième. Avant que vous y répondiez, j'aimerais vous faire part d'un certain nombre d'observations et de chiffres et qu'on m'a remis et que j'ai fouillés.

• 1645

Les intérêts miniers canadiens en Afrique, entre 1992 et 1998, ont augmenté de 50 p. 100, ce qui est quand même important, et 30 p. 100 des investissements miniers canadiens mondiaux se font en Afrique. Il y a de grandes compagnies canadiennes qui sont implantées en Afrique et font de l'exploration minière.

Or, l'ACDI participe au développement de ces investissement privés canadiens dans le secteur minier en Afrique; non seulement elle participe à leur développement, mais elle en prépare le terrain. Par exemple, on m'a dit qu'au Botswana et au Zimbabwe, où le diamant suscite beaucoup d'intérêt, le Canada est le pays qui fournit l'aide internationale la plus importante au secteur minier. Dans ces pays, l'intervention de l'ACDI dépasse largement la tâche d'aider au recensement des ressources minières ou géologiques. Ce n'est pas mauvais en soi, mais en faisant cela, évidemment, elle participe à la mise en place du ministère des Mines au Zimbabwe par la formation de cadres et de cadets. Entre autres, la School of Mining s'est fait épauler par l'Association des collèges communautaires du Canada avec l'aide de l'ACDI.

Si on refuse de parler de l'implication de l'ACDI dans le développement des compagnies minières canadiennes en Afrique, je ne sais pas de quoi on parle. Évidemment, cette aide a un véritable effet d'entraînement pour les sociétés minières canadiennes. Elles ont ainsi un accès facile à l'information géologique du pays, elles économisent du temps et de l'argent et elles trouvent, au sein des gouvernements et parmi les individus formés au Canada par des Canadiens, des gens qui sont a priori favorables aux entreprises et au savoir-faire canadiens.

Je questionne l'ACDI là-dessus. Qu'est-ce que l'ACDI fait là? On sait les impacts négatifs et dramatiques que cela peut avoir. On en a eu l'exemple plus évident avec la compagnie Talisman. J'ai ici les noms des compagnies canadiennes qui opèrent là-bas et qui causent soit des déplacements de population, soit des désastres environnementaux, et l'ACDI serait dans le portrait indirectement. Je trouve cela inadmissible.

M. Joseph Caron: Je passe la parole à...

M. Rolando Bahamondes: Merci.

Merci beaucoup, madame, pour votre question. Malheureusement, je ne peux pas parler pour le Botswana et le Zimbabwe. Ma responsabilité, c'est les grands lacs de l'Afrique centrale. Je peux cependant parler en général de la façon dont l'ACDI opère vis-à-vis du développement en Afrique en général.

Je vais transmettre votre question à mes collègues à l'ACDI. C'est une bonne question, surtout qu'il y a maintenant des discussions sur le diamant. Notre rôle en Afrique est d'appuyer le développement. Malheureusement...

Mme Maud Debien: Sur le plan minier.

M. Rolando Bahamondes: Eh bien, disons que les pays en développement ont besoin d'exporter et d'exploiter leurs ressources. Je ne doute pas du tout du fait qu'au Botswana et au Zimbabwe, le secteur minier est une des ressources importantes à exploiter du point de vue du développement. Sans exporter leurs ressources, les pays ne peuvent pas importer d'autres denrées. Si le secteur minier dans ces pays est important et s'il y a un marché international pour ces produits, je pense que l'ACDI a un rôle à jouer. Elle doit développer la capacité du pays à augmenter ses exportations, que ce soit dans le secteur minier ou dans autres secteurs.

De toute façon, l'ACDI travaille de façon très réglementée. Nos investissements sont tous passés par des règles environnementales, et l'information qu'on tire de ces projets est la propriété du gouvernement avec lequel on travaille. On est des institutions de gouvernement à gouvernement. Donc, si on travaille avec le ministère des Mines au Botswana...

Mme Maud Debien: Avec des gouvernements corrompus, bien sûr. C'est très intéressant.

M. Rolando Bahamondes: Je comprends, mais il est très rare qu'on trouve des gouvernements non corrompus dans les pays en développement. C'est le climat dans lequel on travaille. Pour ce qui est de l'information et de l'accès des industries canadiennes à l'information, ce n'est pas notre information. Les données sont la propriété des deux gouvernements, et je peux vous assurer, madame, que nous ne donnons pas cette information au secteur privé. Si les compagnies veulent l'obtenir, il faut qu'elles la demandent au gouvernement, au ministère des Mines.

• 1650

Bien sûr, s'il y a des compagnies de consultants qui travaillent pour nous dans ce secteur, elles ont accès à l'information, mais, comme je vous l'ai dit, le propriétaire de cette information est le gouvernement récipiendaire; ce n'est pas nous. De toute façon, madame, je vais demander à mes collègues du secteur de l'Afrique de se pencher sur votre question. Malheureusement, je ne connais pas le cas du Botswana et du Zimbabwe.

La présidente: Merci.

Mme Maud Debien: Je ne veux pas parler seulement du Botswana et du Zimbabwe. Des études ont été faites, entre autres par l'ACDI, par Elizabeth Smith, sur l'expansion minière au Botswana et au Zimbabwe, mais de nombreuses autres études ont été publiées sur toute la problématique de l'exploration des compagnies minières canadiennes en Afrique qui, entre autres, par certains biais détournés dont j'ai parlé plus tôt, bénéficient de l'aide de l'ACDI. C'est cela que je trouve grave. On parlait même des collèges communautaires du Canada.

Je ne sais pas s'il y a des règles de conduite ou des codes de conduite. Les compagnies devraient s'en donner, bien sûr. Je pense que c'est prioritaire, mais, comme on le sait, ce n'est pas le cas. On a vu le couvercle de la marmite se soulever avec Talisman. Si on se met à fouiller le dossier, la marmite va exploser, et l'industrie minière canadienne va écoper, de même que le gouvernement canadien indirectement.

C'est dans ce sens que je pose mes questions. Je voudrais que l'ACDI, le ministre ou les autorités en place règlent une fois pour toutes cette question des codes de conduite et donnent des lignes directrices aux entreprises qui vont s'installer dans ces pays-là, particulièrement en Afrique.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie.

Monsieur Caron.

[Français]

M. Joseph Caron: Si vous me le permettez, je vais ajouter quelques commentaires. Je ne suis pas expert en développement et je ne veux certainement pas voler la parole à l'ACDI, mais notre ministère peut apporter sa perspective.

D'abord et avant tout, l'Afrique est vaste, et c'est vrai qu'il y a là des régimes très corrompus. Aujourd'hui, on a surtout parlé de régimes ou de non-régimes, d'États qui sont quasiment faillis, mais il y a certains pays où les choses marchent assez bien, où il y a une progression démocratique. On vient de le voir au Sénégal. On a eu un rôle primordial à jouer à l'égard de la démocratisation de l'Afrique du Sud, du Nigeria, etc. Évidemment, l'évolution de ces pays est aussi lente ou aussi rapide qu'elle peut l'être au Canada ou ailleurs.

La forme d'aide et nos politiques d'APD vis-à-vis des pays ne sont pas des choses qu'on leur impose unilatéralement. Ce sont des programmes qui sont développés en collaboration avec eux. Ils ont leurs desiderata; si cela correspond à nos objectifs de développement, on travaille avec eux et si cela n'y correspond pas, on ne le fait pas. On ne bâtit plus, comme on le faisait jadis, de vastes écluses ou des ponts et chaussées. Aujourd'hui, on fait d'autres choses.

Mme Maud Debien: Les besoins fondamentaux.

M. Joseph Caron: C'est cela. Il se trouve que le Canada a un secteur minier ainsi que l'expérience minière, en géologie, en géomorphologie, en analyse par satellite des terrains, etc. qui est la plus sophistiquée au monde. Si on est un pays qui ne possède pas de vastes arpents de terrains agricoles, qui n'a pas accès à des ports ou qui n'a pas déjà une industrie, mais qui a ressources naturelles minières, eh bien, on demande au Canada: aidez-nous à développer nos mines. Il ne faut pas s'étonner de cela. Évidemment, si on contribue au développement, les compagnies qui viendront investir par la suite, qu'elles soient britanniques, américaines, canadiennes, allemandes ou indigènes, bénéficieront du rôle du Canada.

Mais il y a une problématique dans certains pays, et c'est de cela que vous parlez. Il y a là différentes choses qui doivent entrer en ligne de compte. Vous avez nommé Talisman. C'est la compagnie la mieux connue, mais cela ne se limite pas à Talisman. M. Axworthy prône l'établissement d'un code de responsabilité sociale. Cela existe déjà. CanadianOxy, Canadian Occidental, est un chef de file dans le monde pour l'élaboration de codes de performance à l'égard des droits de la personne. Ces codes sont prônés par le conseil d'administration de la compagnie et sont mis en vigueur dans des pays aussi difficiles que le Nigeria.

• 1655

Il y a donc des choses qui se passent. Je pense que votre sentiment que plus doit se passer est tout à fait juste. C'est la ligne qu'on adopte.

Il y a une autre dimension qu'il ne faut pas oublier et qui est très importante. C'est que, dans certains pays, même conflictuels, il y a des sanctions des Nations Unies alors que dans d'autres, il n'y en a pas. Là où il n'y a pas de sanctions des Nations Unies, si le conseil d'administration, les actionnaires et la gestion de la compagnie, en l'absence totale d'un genre de stabilité que 99,9 p. 100 des firmes canadiennes exigent, sont prêts à le faire, ils vont le faire. Tant et aussi longtemps qu'ils n'enfreignent pas la loi canadienne et ne vont pas à l'encontre de sanctions multilatérales, les instruments utilisables par les gouvernements sont plus limités. Ce qui doit se faire, c'est ce genre de code dont on a parlé il y a quelques minutes. Il faut que les actionnaires eux-mêmes soient sensibilisés, de même que les médias. C'est exactement ce qui se passe ces jours-ci.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Monsieur Gruending.

M. Dennis Gruending: Je voudrais insister davantage sur la société civile et sur le type de travail que nous faisons là-bas.

Je vois tout ce qui se passe ici, je vois que par le truchement du Fonds de développement de la démocratie nous encourageons la tenue d'un dialogue national sur la résolution du conflit, et dans le cadre du programme de soutien à la démocratie, nous parlons de la campagne publique nationale pour promouvoir la paix. Nous parlons du renforcement des capacités institutionnelles et de la sensibilisation de l'opinion publique. Il est également question, dans le cadre de notre projet de soutien au développement de la démocratie, de soutenir les efforts d'organisations qui visent à promouvoir et à protéger les droits des femmes et à accroître la participation populaire.

J'essaie encore de me faire une idée de la façon dont cela marche. Il me semble que nous sommes en faveur de la tenue de beaucoup de dialogues et de conférences, et de la sensibilisation de l'opinion publique; j'aimerais savoir deux choses.

Premièrement, de quelle marge de manoeuvre disposons-nous pour faire tout cela? Avons-nous toute la liberté voulue pour sensibiliser l'opinion publique ou pour promouvoir certains droits dans le contexte actuel là-bas?

Deuxièmement, comment choisir entre ceux-là et d'autres types de mesures, notamment des mesures plus traditionnelles comme l'installation de puits, l'alimentation et le développement de certains types d'agriculture?

Donc pour récapituler, j'aimerais comprendre comment on pourra réaliser tous ces objectifs et comment se fera la participation de ces groupes. Deuxièmement, et je ne vous demanderai pas de me dire si c'est la meilleure façon d'utiliser les fonds, pourquoi avoir choisi cette voie plutôt que d'autres?

M. Rolando Bahamondes: Merci beaucoup.

Pourquoi ce choix plutôt qu'un autre? Je pense que l'un des principaux objectifs de notre aide au Congo à l'heure actuelle, comme je vous l'ai mentionné au début, est d'assurer une saine gestion publique et la protection des droits de la personne. Si une société n'a pas accès à la loi et n'a pas le droit de participer au processus, en fin de compte il n'y a pas de démocratie. Comprenez-moi bien: les projets dont je vous ai parlé sont un exemple de ce que nous faisons. Pour moi, il s'agit là des priorités les plus courantes par rapport à notre soutien à la société civile congolaise. Ils travaillent entre eux. Oui, il y a des divisions, mais il y a une voix commune qui tente d'en arriver au dialogue inter-congolais et à la mise en oeuvre de l'Accord de Lusaka.

Sans la paix au Congo, il n'y a pas de développement durable. Par conséquent, nous devons d'une certaine façon tenter de créer cette capacité de dialoguer et de participer à la société civile afin de s'assurer que tous les acteurs ont une place à la table. Ils l'ont pour ce qui est de trouver une solution au conflit. C'est la raison pour laquelle nous mettons l'accent sur ce domaine.

Comment cela fonctionne-t-il? Le pays est en guerre, mais je pense qu'il fonctionne toujours. Les institutions elles-mêmes ont de petites unités partout au pays qui travaillent et fonctionnent. Des organismes cadres apportent le point de vue de ces petites institutions de régions rurales au centre, afin de créer cette voix dont je vous parlais au sujet de la société civile. Cependant, nous travaillons aussi dans d'autres domaines. Nous sommes en train de creuser des puits avec Oxfam à Kinshasa. Nous appuyons le développement agricole par l'intermédiaire des ONG.

• 1700

Nous tentons donc de trouver une façon de fonctionner afin de contribuer d'une certaine façon au processus de paix. Mais, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, nous tentons de jeter la base d'un développement durable à plus long terme. Encore une fois, nous choisissons d'appuyer des activités à court terme et une vision à plus long terme... Je pense que les choses ont évolué au cours des dernières années. C'est la raison pour laquelle nous réexaminons le programme à l'heure actuelle, pour essayer de mieux comprendre la situation dans l'ensemble, pour voir vers où le Congo se dirige et quel est le rôle de la société civile par rapport au gouvernement, et pour élaborer une nouvelle programmation pour les deux ou trois prochaines années.

Pour le moment, je pense que nous avons un programme à deux volets: appuyer le processus de paix et jeter la base du développement futur.

M. Dennis Gruending: Une petite question supplémentaire: Vous parlez d'une vingtaine d'organisations dans le cadre du Fonds de développement de la démocratie. Ces groupes de la société civile sont-ils en mesure de faire leur travail sans être intimidés ou sans danger, ou est-ce dangereux pour eux de le faire? Dans quelle mesure peuvent-ils faire ce que vous les aidez à faire?

M. Rolando Bahamondes: Je pense que la sécurité est un problème, et c'est la raison pour laquelle nous travaillons avec des organisations locales qui sont censées tenter d'apporter les compétences canadiennes au pays. Elles y arrivent cependant. Écoutez, elles vivent avec cela. Cela fait partie de leur quotidien. Certainement, dans les régions où la sécurité est très difficile, il n'y a pratiquement aucun accès. Mais elles fonctionnent dans les régions où elles peuvent fonctionner.

La question de la sécurité est problématique. Pas uniquement pour nous, mais pour le reste de la communauté internationale. Ce sont les organisations locales, les organisations nationales, qui fonctionnent. Elles composent avec cela quotidiennement.

M. Dennis Gruending: Merci.

La présidente: Merci.

Madame Augustine.

Mme Jean Augustine: Madame la présidente, je voudrais poser deux questions.

Pouvez-vous nous donner une idée de la vie quotidienne à Kinshasa? Y a-t-il un pouvoir judiciaire? Y a-t-il des tribunaux? Ont-ils des mécanismes? Si quelqu'un commet un crime, y a-t-il des agents de police dans la rue? Quelle est la structure là-bas? Pouvez-vous me brosser un tableau un peu plus clair de la gestion publique courante là-bas?

Et si nous voulions communiquer? Kabila est-il assis dans un bureau présidentiel avec un téléphone, du personnel et tout le reste? Est-il en mesure de répondre? C'est une question simpliste mais en même temps, je pense qu'il est important pour nous de vraiment comprendre ce qui se passe là-bas en termes de gouvernement et de relations bilatérales... Y a-t-il quoi que ce soit de ce genre?

Ma deuxième question est la suivante: allons-nous assumer la direction du Conseil de sécurité dans une semaine? Le Congo est-il à l'ordre du jour? Qu'avons-nous prévu à cet égard? Pouvez-vous nous dire ce qui est prévu en avril et quelle situation le Canada pourrait prendre?

M. Joseph Caron: Je vais demander à Philippe qui était à Kinshasa il y a une semaine de nous dire s'il a reçu une contravention pour avoir traversé illégalement la chaussée.

Mme Jean Augustine: Ou pour un excès de vitesse ou autre chose du genre.

M. Philippe Beaulne: Non, je n'ai pas reçu de contraventions pour traversée illégale ou excès de vitesse. J'aurais pu, mais quoiqu'il en soit...

Tout d'abord, la vie est difficile à Kinshasa pour des raisons économiques, et elle a toujours été difficile. Ce n'est pas nouveau. La guerre a cependant aggravé les problèmes.

M. Caron a fait allusion tout à l'heure au problème d'infrastructure. Il y a très peu d'infrastructure au Congo. Il faut comprendre qu'il s'agit d'un très petit État pour les services et tout le reste.

• 1705

Kinshasa est une assez grande ville. On ne sait pas exactement quelle est la population, mais il pourrait y avoir environ 4 ou 5 millions d'habitants. C'est une ville assez étendue. À cause de la guerre, il y a une pénurie d'essence, de sorte qu'il y a un problème au niveau du transport. Les gens ont du mal à se rendre d'un endroit à un autre à Kinshasa; ils doivent encore plus qu'avant se déplacer à pied.

Les mesures économiques que le gouvernement a prises récemment ont par ailleurs aggravé les difficultés économiques.

Vous parliez tout à l'heure des tribunaux. Il n'y a jamais eu un très bon système judiciaire en République démocratique du Congo ou précédemment au Zaïre, ni sous Mobutu ni à l'heure actuelle. Il y avait un problème avec les tribunaux militaires. Lorsque Kabila a pris le pouvoir, il a établi des tribunaux militaires en prétextant qu'il y avait très peu de tribunaux opérants et que c'était une façon d'accélérer les choses. Cela a été fortement contesté; j'imagine qu'ils n'ont pas appliqué ce que nous considérerons comme étant la procédure établie dans leur façon d'instruire ces affaires. Les tribunaux militaires sont donc toujours à l'oeuvre, ils ont ralenti leur rythme.

Je dirais qu'il règne au Congo une anarchie relative. Les règles ne sont pas vraiment appliquées, mais il y a beaucoup de problèmes économiques et on peut également avoir des démêlés avec les autorités pour différentes raisons. Le régime a établi ce qu'on appelle des comités de quartier qui assurent un certain service de police, mais avec beaucoup d'intimidation.

Le VIP n'est pas très facile pour les habitants. Nous avons entendu dire qu'il commence à y avoir des problèmes de malnutrition dans certains des quartiers les plus pauvres. Je ne sais pas si cela vous donne une idée.

Mme Jean Augustine: Et les hôpitaux, les écoles?

M. Philippe Beaulne: Encore une fois, les hôpitaux n'ont jamais été très nombreux. Étant donné la faiblesse de l'État, bon nombre d'organisations de la société civile, des églises ou les ONG assuraient certains des services sociaux, notamment des cliniques etc. Mais il n'existe pas de système hospitalier comme tel.

M. Joseph Caron: Quant à Kabila, il occupe une enceinte au bord de la rivière qui a été construite par Mobutu. Ce n'est pas très luxueux. C'est très agréable, et il y a des aires publiques et des aires privées.

Comme je l'ai dit, il vient de Katanga, dans le sud. C'est un ancien chef de guérilla; il a vécu dans la brousse pendant 30 ans. Il a donc apporté ses habitudes avec lui.

Pour ce qui est de son entourage, il a un groupe de six à dix très proches collaborateurs qui sont avec lui depuis longtemps. Ces gens sont là à cause de leur loyauté et de leur fiabilité absolues pour ce qui est d'assurer sa propre sécurité, car il a été victime d'une tentative d'assassinat. On a tenté de le tuer. Il a donc amené les Kangangais et ils sont très présents; ils ont des chars d'assaut et ils sont déployés tout autour du secteur. Kalila se déplace cependant beaucoup.

Lorsqu'on va voir à l'extérieur de ce cercle, au conseil des ministres, dont les membres ont été nommés par lui, on se rend compte qu'il y a des gens très compétents, très instruits, qui comprennent les problèmes auxquels le pays fait face et savent comment transiger avec le FMI, la Banque mondiale, les organismes d'aide internationale et les pays qui tiennent à secourir le Congo. Ces derniers veulent le faire pour des raisons altruistes, humanitaires mais aussi pour des motifs crûment politiques, car cette partie du continent africain est une zone sinistrée. On y trouve des enfants soldats, de la drogue, du blanchiment de fonds et du vol de matières premières et tout le reste. Il y a donc beaucoup de raisons qui justifient de venir en aide au pays, et on trouve là-bas des gens compétents, mais ils sont entravés dans leur travail faute des mécanismes fondamentaux dont un État a besoin pour fonctionner.

Ainsi que je le disais, l'entourage personnel de M. Kabila lui-même ne compte pas nécessairement ces gens-là; il est constitué de gens qui l'ont côtoyé dans les années 60, y compris, Che Guevara. Il a en effet connu Che Guevara. Cependant, pour dissiper toute rumeur, Che Guevara n'est pas au Congo.

Des voix: Oh, oh!

• 1710

M. Joseph Caron: Je crois que vous avez posé deux questions.

Mme Jean Augustine: Au sujet du Conseil de sécurité.

M. Joseph Caron: Il y a plusieurs aspects à ce sujet. M. Myiet, qui dirige la division de maintien de la paix, revient à peine de la région. Je pense même qu'aujourd'hui, il donnait une séance d'information...

Une voix: Oui.

M. Joseph Caron: ...dans une réunion à huis clos du Conseil de sécurité, et nous n'avons donc pas encore reçu de rapport là-dessus. Cela s'est passé il y a seulement quelques heures. Quelle que soit la teneur de cette réunion, les résultats s'en feront sentir au mois d'avril, et on abordera donc alors certains thèmes généraux liés à la question.

Sandelle me rappelle à l'instant que nous avons laissé savoir que nous allons soulever la question de la protection des civils et du grave problème des personnes déplacées à l'intérieur de leurs frontières. Il y en a plus d'un million, et nous allons donc nous efforcer de faire mettre le sujet à l'ordre du jour.

La présidente: Merci.

J'ai moi-même quelques questions à poser. L'ACDI donne pour 17 millions de dollars en aide bilatérale. Est-ce que le ministère des Affaires étrangères dépense lui aussi davantage d'argent dans la région? Et où se situe ce montant de 17 millions de dollars par rapport à notre aide totale à la région? Par ailleurs, lorsqu'on parle de soutenir les programmes de réinsertion sociale des enfants soldats, je me demande quel est l'âge moyen de la population du Congo.

M. Rolando Bahamondes: La somme de 17 millions de dollars est censée s'échelonner sur trois ans. Nous n'avons pas de budget fixe pour le Congo comme nous en avons pour d'autres programmes, précisément en raison du conflit dans ce pays. A brûle-pourpoint, je ne puis vous citer de chiffres, mais je vous les obtiendrai certainement. Pour vous fournir des chiffres comparatifs, j'aurais besoin des donnée relatives aux dépenses triennales de la direction de l'Afrique, et je ne les connais pas par coeur. Toutefois, je vais certainement donner suite à votre demande et vous fournir ces renseignements.

La présidente: Merci.

Et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international dépense-t-il davantage d'argent là-bas?

M. Joseph Caron: Non, nous ne disposons pas de ce genre de budget.

Nous discutons des enfants soldats.

Je crois que le budget total du ministère des Affaires étrangères et du Commerce intérieur en ce qui a trait à tous nos postes en Afrique atteint quelque 25 ou 30 millions de dollars.

Mme Sandelle Scrimshaw: Il s'agit là du budget de fonctionnement.

M. Joseph Caron: Oui, du budget de fonctionnement. C'est ce que nous dépensons en Afrique, mais pour payer les notes d'électricité dans les ambassades, le personnel et ce genre de choses. Nos programmes là-bas sont assez modestes.

Au sujet des enfants soldats...

Mme Jean Augustine: On a posé une question là-dessus aujourd'hui à la Chambre des communes, et je crois que c'est le ministre des Affaires étrangères qui y a répondu, ou est-ce bien lui? C'est plutôt le ministre de la Défense nationale qui a répondu aujourd'hui à une question posée au sujet des enfants soldats en Afrique.

Une voix: Au Congo?

Mme Jean Augustine: Eh bien, je n'en suis pas tout à fait sûre, mais en Afrique.

La présidente: Je crois savoir que la population de ce pays est très jeune.

M. Philippe Beaulne: Vous aimeriez savoir l'âge moyen de la population?

La présidente: Oui.

M. Philippe Beaulne: Eh bien, cela fait probablement trois ans qu'il n'y a pas eu de recensement en République démocratique du Congo, il n'y a donc que des chiffres approximatifs, rien de sûr. Le 60 millions dont nous parlons est donc approximatif. On peut dire la même chose de la population de Kinshasa.

Cela dit, la population du Congo doit être assez semblable à celle d'autres pays d'Afrique, et sa moyenne d'âge doit s'établir à peu près entre 20 et 25 ans.

La présidente: Lorsqu'une population est très jeune...

M. Philippe Beaulne: Est-ce que vous me posiez la question au sujet des enfants soldats ou de la population en général?

La présidente: Eh bien, j'entends par là que si la population est constituée seulement d'enfants ou de jeunes à peine sortis de l'enfance, il va forcément y avoir des enfants soldats. Je ne vois pas comment on pourrait résoudre...

M. Joseph Caron: Je crois que quiconque a moins de 15 ou 14 ans et est sous les drapeaux est considéré un enfant soldat.

M. Philippe Beaulne: Souvent, ils sont conscrits de force dans les armées à partir de l'âge de 7 ou 8 ans. Ils font toutes sortes de corvées et à la longue, deviennent des combattants.

La présidente: Merci.

Madame Debien.

[Français]

Mme Maud Debien: Monsieur Beaulne, le nouvel agenda des mesures d'application de l'Accord de Lusaka, dont vous parlez d'ailleurs dans votre texte, est prévu pour mars. On y est. Ce n'est pas très réaliste, si je vous comprends bien.

M. Joseph Caron: C'est-à-dire que le calendrier n'est pas réaliste. Ce qui est réaliste, mais qui n'est pas réalisé, c'est que c'est un bon encadrement. Comme je le disais tout à l'heure, c'est un accord pas mal sophistiqué. Il est très long et traite de tous les aspects clés du conflit, mais s'il n'y a pas de désir politique de le réaliser, cela restera lettre morte.

• 1715

Actuellement, la communauté internationale insiste sur le fait, et tous les combattant l'acceptent nominalement, qu'il s'agit de l'encadrement d'une paix éventuelle. C'est très important.

[Traduction]

C'est la seule voie possible.

[Français]

Rien d'autre n'a de crédibilité ou l'appui des Nations Unis. Les résolutions des Nations Unis font référence à l'Accord de Lusaka.

Il faut donc des mesures diplomatiques, des pressions et peut-être des défaites sur les terrains de bataille, qui feront que les acteurs principaux ou certains acteurs principaux vont vouloir réaliser les objectifs qu'ils se sont fixés eux-mêmes, parce que ce sont eux qui ont négocié ça.

Mme Maud Debien: On sait qu'il y a encore des conflits et des explosions de violence ici et là malgré l'Accord de Lusaka. On m'a dit que c'était principalement attribuable aux groupes mafieux qui, eux, ne sont pas intéressés à ce qu'il y ait application de l'Accord de Lusaka parce qu'ils y perdraient beaucoup trop. D'après vous, est-ce que c'est une affirmation gratuite ou qui peut être vérifiable?

M. Joseph Caron: Je pense que c'est un peu gratuit. Ce qui est indéniable, c'est qu'il y a des combattants et peut-être même des chefs de combattants qui s'enrichissent.

Mme Maud Debien: Quand j'ai parlé de mafieux, c'est un peu ce que je voulais dire.

M. Joseph Caron: Cela fait partie du mélange, si vous voulez, mais des soldats, ce ne sont pas des marionnettes. Il faut qu'ils se sentent justifiés dans leur action. Il faut qu'ils soient payés. Ils ne veulent pas perdre leur vie pour rien, qu'ils soient du Canada ou du Zimbabwe. Donc, c'est un mobile, oui, mais ça ne peut pas être le seul et unique mobile. Si c'était le seul et unique mobile, tout le monde serait mafieux tout le temps. Ce n'est pas le seul deus ex machina qui joue, mais c'est indéniablement là.

Mme Maud Debien: J'aimerais poser une dernière question à M. Beaulne. On m'a dit, si j'ai bien compris, que vous arriviez de Kinshasa.

M. Philippe Beaulne: Oui.

Mme Maud Debien: Il a été question ici à quelques reprises que les parlementaires effectuent une mission là-bas, et d'ailleurs la diaspora congolaise nous a fortement incités à y aller.

Dans le contexte que vous venez de nous décrire, est-il réaliste d'y aller et de rencontrer vraiment les gens qui vont pouvoir nous donner les véritables informations? On ne parle pas de rencontrer des parlementaires parce qu'il n'en existe pas, mais serait-il possible et réaliste de rencontrer les gens de la société civile? Si on veut prendre le pouls réel de la situation, est-ce qu'on va pouvoir se déplacer facilement? Est-ce qu'on va pouvoir rencontrer les interlocuteurs de la société civile de façon sécuritaire et adéquate, et pour nous et pour ces gens-là? C'est important. Étant donné que vous arrivez de là et que vous avez les informations les plus fraîches, pensez-vous que c'est pertinent?

M. Philippe Beaulne: Oui, il est possible de rencontrer les différents acteurs. Cela se fait. Il y a eu plusieurs délégations qui sont allées depuis. Naturellement, ça dépend des buts et des objectifs de votre mission et de ce que vous cherchez à accomplir sur le terrain.

Maintenant, ça se fait à Kinshasa, mais sortir de Kinshasa est très difficile, d'abord pour des raisons d'infrastructures. Vous pouvez faire à peu près une heure de route, puis ensuite c'est la brousse. Il y a aussi une question de sécurité si vous vous déplacez par voie aérienne, parce qu'il y a quand même un front et des combats dont l'intensité varie le long de cette ligne de front. Il ne faut pas oublier également qu'il n'y a pas un seul conflit, mais plusieurs conflits. Il y a une dizaine de conflits qui se déroulent.

Mme Maud Debien: Dans la région.

M. Philippe Beaulne: Non, sur le sol congolais. Donc, oui, à Kinshasa, il y a moyen de rencontrer les différents acteurs. Les conditions ne sont pas faciles là-bas.

[Traduction]

La présidente: Mais est-ce qu'il s'agirait des plus importants? Serait-il possible de rencontrer plus facilement certains de ces intervenants dans les régions périphériques, dans un ou plusieurs des pays environnants?

Un témoin: Eh bien...

La présidente: Si vous permettez, je dois suspendre ici nos délibérations, car il nous reste un peu plus de 10 minutes pour aller voter. Jim communiquera avec vous.

• 1720

Votre témoignage a été des plus éclairants. Nous vous sommes reconnaissants de votre participation et nous comptons sur vous pour nous renseigner encore et orienter notre étude.

Mme Jean Augustine: Je crois aussi qu'il y a lieu de faire des excuses. Certains de nos collègues s'intéressent de très près au projet de loi C-23, ce qui explique leur absence. Tout le monde s'intéresse aux droits de la personne, mais nos députés sont écartelés entre diverses activités.

La présidente: Oui.

Merci beaucoup. La séance est levée.