On trouve dans Erskine May’s Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament
la définition classique du privilège parlementaire :
Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers à chaque chambre, collectivement,
[…] et aux membres de chaque chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s’acquitter
de leurs fonctions. Ces droits dépassent ceux dont sont investis d’autres organismes ou particuliers.
On est donc fondé à affirmer que, bien qu’il s’insère dans l’ensemble des
lois, le privilège n’en constitue pas moins, en quelque sorte, une dérogation au droit commun [7] .
On peut répartir en deux catégories les « droits particuliers » en question :
ceux accordés aux parlementaires individuellement et ceux dont jouit la Chambre à titre collectif.
Chaque catégorie peut à son tour être subdivisée. Par exemple, on regroupe habituellement
sous les rubriques suivantes les droits et immunités accordés aux parlementaires à titre individuel :
- La liberté de parole;
- L’immunité d’arrestation en matière civile;
- L’exemption du devoir de juré;
- L’exemption de l’obligation de comparaître comme témoin.
Quant aux droits et pouvoirs de la Chambre en tant que collectivité, on peut les répartir ainsi :
- Le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires, c’est-à-dire le droit de punir (par incarcération)
les personnes coupables d’atteinte au privilège ou d’outrage, et le pouvoir d’expulser des
députés coupables d’inconduite;
- Le droit de réglementer ses affaires internes;
- Le pouvoir d’assurer la présence et le service de ses députés;
- Le droit d’enquêter, de convoquer des témoins et d’exiger la production de documents;
- Le droit de faire prêter serment aux témoins;
- Le droit de publier des documents contenant des éléments diffamatoires.
Ces deux catégories englobent tous les privilèges dévolus aux députés et
à la Chambre des communes en tant que collectivité. On examinera plus en détail dans ce chapitre
chacun des privilèges en question en faisant référence à des exemples précis.
La Chambre a le pouvoir d’invoquer le privilège lorsqu’on fait obstacle à
l’exécution de ses fonctions ou de celles des députés. C’est uniquement dans ce
contexte que le privilège peut être considéré comme une exemption par rapport à
la loi générale. Les députés ne sont pas au-dessus des lois qui régissent tous
les citoyens du Canada. De fait, les privilèges des Communes visent à préserver les droits
de chaque électeur [8] .
Par exemple, le privilège de la liberté de parole est accordé aux députés non
pour leur avantage personnel, mais pour leur permettre de bien représenter leurs électeurs sans crainte
de poursuites civiles ou criminelles suite à ce qu’ils auraient déclaré à la
Chambre et en comité. Lorsqu’une circonscription élit un candidat, il relève du droit
des électeurs que ce représentant élu soit protégé contre toute pression indue,
et en particulier contre la violence [9] .
Le trait distinctif du privilège est son caractère accessoire. Les privilèges du Parlement
sont des droits « absolument indispensables à l’exercice de ses pouvoirs ».
Les députés en sont bénéficiaires à titre individuel car la Chambre serait
incapable de s’acquitter de ses fonctions sans disposer librement des services de ses membres. Mais chaque
Chambre en est également bénéficiaire pour la protection de ses membres et l’affirmation
de son autorité et de sa dignité [10] .
Le privilège appartient essentiellement à la Chambre dans son ensemble; à titre individuel,
les députés ne peuvent l’invoquer que dans la mesure où une atteinte à leurs
droits ou des menaces risqueraient d’entraver le fonctionnement de la Chambre. En outre, les députés
ne peuvent invoquer le privilège ou l’immunité pour des questions qui ne sont pas liées
à leurs fonctions à la Chambre [11] .
Par ailleurs, même si elle ne porte atteinte à aucun privilège particulier, toute conduite qui
cause préjudice à l’autorité ou à la dignité de la Chambre est considérée
comme un outrage au Parlement. L’outrage peut être un acte ou une omission. Il n’est pas nécessaire
de faire réellement obstacle au travail de la Chambre ou d’un député; la tendance à
produire un tel résultat suffit.
Les privilèges considérés comme « absolument nécessaires » par le Parlement
ont varié au cours des siècles. Néanmoins, certains principes de base sont établis. Ni
l’une ni l’autre chambre du Parlement ne peut à elle seule étendre ses privilèges,
même si chacune peut, par résolution, décider de ne pas invoquer ou appliquer un privilège
dont elle usait auparavant [12] .
Aucune chambre ne peut revendiquer pour elle-même de nouveaux privilèges, lesquels ne peuvent être
établis qu’en vertu d’une loi du Parlement, tout comme l’élargissement d’anciens
privilèges [13] .
L’une ou l’autre chambre peut exercer ses droits dans de nouvelles circonstances, ce qui revient parfois
à créer de nouveaux cas d’outrage [14].
Enfin, chaque chambre peut individuellement juger et punir les atteintes à ses privilèges.