La procédure et les usages de la Chambre des communes
Sous la direction de Robert Marleau et Camille Montpetit
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3. Les privilèges et immunités

Les droits collectifs de la Chambre

À la différence des privilèges et immunités des députés, lesquels sont limités, les privilèges et les pouvoirs collectifs de la Chambre des communes ne se prêtent pas à une définition précise. Les privilèges dont la Chambre a besoin pour pouvoir s’acquitter de ses devoirs constitutionnels doivent être assortis de pouvoirs lui permettant de se protéger et de sévir contre toute atteinte à ses privilèges [194] . À l’instar d’une cour de justice, la Chambre des communes peut, comme tout tribunal supérieur, exercer son pouvoir de réprimer l’outrage, ce qui lui donne une très grande latitude pour défendre sa dignité et son autorité. En d’autres termes, la Chambre peut, au moyen d’ordres, considérer toute inconduite comme étant un outrage et la traiter en conséquence. Ce volet du droit parlementaire est donc extrêmement souple, ce qui est presque essentiel pour que la Chambre des communes puisse réagir à toute situation nouvelle.

Collectivement, la Chambre dispose d’un certain nombre de droits qu’elle revendique ou qui lui ont été dévolus d’office. Par exemple, elle revendique le droit d’instituer des enquêtes sur toute question, d’obliger des témoins à comparaître et d’ordonner la production de documents; la Loi sur le Parlement du Canada lui confère le droit d’interroger des témoins sous serment [195] .

Les droits et pouvoirs collectifs de la Chambre peuvent être classés dans les catégories suivantes :

  • Le pouvoir disciplinaire;
  • Le pouvoir de réglementer ses affaires internes;
  • Le droit de bénéficier de la présence et des services des députés;
  • Le droit d’instituer des enquêtes, d’assigner des témoins à comparaître et d’exiger la production de documents;
  • Le droit d’entendre des témoins sous serment;
  • Le droit de publier des documents contenant des propos diffamatoires.

Ses deux droits ou pouvoirs les plus importants sont le pouvoir disciplinaire et le droit de réglementer ses affaires internes.

Le pouvoir disciplinaire

Qu’il s’agisse de ses députés, de son personnel ou d’« étrangers », la Chambre a le pouvoir d’imposer des sanctions à quiconque se rend coupable d’inconduite, comportement que la Chambre considère comme une violation de ses privilèges ou un outrage. L’article 9 du Bill of Rights protège les députés et les étrangers de toute ingérence extérieure lorsqu’ils participent aux travaux de la Chambre; il les assujettit par ailleurs au pouvoir disciplinaire de la Chambre pour leurs faits et gestes pendant les délibérations [196] . Ce pouvoir permet à la Chambre d’imposer une grande variété de sanctions en cas d’inconduite : une personne qui n’est pas député peut être expulsée de la tribune des visiteurs ou de l’enceinte parlementaire, réprimandée ou emprisonnée; un député peut être ramené à l’ordre, se voir ordonner de mettre fin à une intervention pour s’être trop répété ou éloigné du sujet, être « désigné par son nom » pour n’avoir pas respecté l’autorité de la présidence, faire l’objet d’une suspension de son droit de participer aux travaux de la Chambre, être incarcéré, voire expulsé. Dans une certaine mesure, le pouvoir disciplinaire de la Chambre est régi par le Règlement afin que la Chambre n’ait pas à prendre position sur chaque cas lorsqu’elle veut régler une question efficacement [197] . Par exemple, ce pouvoir disciplinaire permet à la Chambre, par l’entremise de ses fonctionnaires, de refuser l’entrée à un étranger qui, à diverses occasions par le passé, s’est rendu coupable d’inconduite dans les tribunes du public ou les couloirs du Parlement.

Toute personne qui relève de la compétence de la Chambre, qu’il s’agisse d’un étranger, d’un membre du personnel de la Chambre ou d’un député, peut encourir des mesures disciplinaires de la Chambre pour toute forme d’inconduite non seulement à l’intérieur mais également à l’extérieur de l’enceinte parlementaire [198] . Par exemple, le pouvoir disciplinaire de la Chambre s’applique aux séances de comité qui se tiennent ailleurs que dans l’enceinte parlementaire.

Bien qu’il soit un principe fondamental des privilèges parlementaires, le pouvoir disciplinaire de la Chambre n’en est pas moins limité : la Chambre a le droit de réprimander ou d’emprisonner les fautifs, mais seulement jusqu’à la fin de la session, et elle n’a pas le pouvoir d’imposer des amendes [199] . Au Canada, le Parlement a hésité à se servir de ces pouvoirs, et il ne l’a fait que rarement. Avec l’adoption de la Charte des droits et libertés, la constitutionnalité du droit du Parlement d’imposer des peines d’emprisonnement est d’ailleurs remise en question [200] .

Le blâme, la réprimande et la citation à comparaître à la barre de la Chambre

À un certain nombre d’occasions à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle, des personnes ont été citées à comparaître à la barre de la Chambre. La barre est une rampe de laiton, située devant l’entrée sud de la Chambre, au-delà de laquelle les étrangers ne sont pas admis. Les personnes qui se rendent coupables d’outrage à la Chambre — c’est-à-dire d’atteinte à la dignité ou à l’autorité du Parlement — peuvent être formellement sommées par la Chambre de comparaître à cette barre, si la Chambre adopte une motion en ce sens. Au moment de sa comparution, l’accusé se tient debout à la barre. Par le passé, la Chambre a ordonné à des députés de comparaître depuis leur siège, et à d’autres personnes, à la barre, pour répondre à des questions ou recevoir un blâme, une semonce ou une réprimande. Même si, à première vue, une telle comparution peut sembler ne pas constituer une sanction vraiment punitive, c’est un événement extraordinaire qui place le député ou la personne en question sous l’autorité de la Chambre investie de ses pleins pouvoirs disciplinaires.

En 1873, James Bell, un directeur du scrutin, fut sommé de comparaître à la barre de la Chambre pour répondre de ses actes dans une élection contestée. Rendu à la barre, après avoir demandé et obtenu la permission de se faire assister par un procureur, il répondit aux questions. La Chambre adopta une résolution critiquant les actes de M. Bell. Convoqué de nouveau à la barre, on lui lut la résolution en question, puis il fut libéré [201] .

Encore en 1873, l’éditeur du journal Le Courrier d’Outaouais, Elie Tassé, qui était également employé de session à la Chambre des communes, s’est vu sommé de comparaître à la barre de la Chambre pour répondre à des questions concernant un article qui jetait le discrédit sur deux députés. M. Tassé comparut à la barre, répondit à des questions, puis fut autorisé à se retirer [202] .

En novembre 1873, le sergent d’armes reçut l’ordre de mettre sous garde John Heney, un échevin d’Ottawa, et de l’amener à la barre de la Chambre pour répondre d’une tentative de corruption d’un député. M. Heney a été sous la garde du sergent d’armes du 4 au 7 novembre 1873, mais il n’a jamais comparu à la barre, le Parlement ayant été prorogé le 7 novembre [203] .

Le 31 mars et le 1er avril 1874, Louis Riel (Provencher) reçut l’ordre de se rendre à son siège pour comparaître devant la Chambre pour s’être dérobé à la justice dans l’affaire du meurtre de Thomas Scott. Il omit de se soumettre à cet ordre et fut par la suite expulsé de la Chambre. Trois témoins furent convoqués à la barre en rapport avec l’affaire Riel (le procureur général du Manitoba et deux agents de police d’Ottawa). Les trois comparurent et répondirent à des questions [204] .

En 1879, un visiteur qui prenait place dans la tribune, John Macdonnell, avait adressé des remarques offensantes à un député. Après avoir été expulsé de la tribune, il répéta ses remarques dans une note qui fut livrée au député à son siège à la Chambre. À la suite de cet incident, il fut sommé de comparaître à la barre de la Chambre, où il présenta des excuses. On lui demanda de se retirer, puis la Chambre adopta une motion disant que M. Macdonnell avait violé les privilèges de la Chambre, mais que, compte tenu des excuses qu’il avait formulées, il ne serait pas nécessaire de prendre d’autres mesures. M. Macdonnell fut alors rappelé à la barre, où on lui lut la résolution, après quoi il fut libéré [205] .

En mai 1887, John Dunn, un directeur du scrutin, fut sommé de comparaître à la barre de la Chambre pour répondre de sa conduite au cours d’une élection. Ayant été autorisé par la Chambre à se faire accompagner d’un procureur, il répondit à de nombreuses questions. Il fut finalement libéré, et aucune autre mesure ne fut prise contre lui [206] .

En 1891, Michael Connolly, sommé de comparaître devant le Comité des privilèges et élections, avait accepté de témoigner, mais il avait refusé de remettre au Comité les documents qu’il avait emportés avec lui. Le Comité saisit la Chambre de la situation et lui demanda de « prendre une décision à ce sujet ». La Chambre adopta alors une motion ordonnant à M. Connolly de comparaître à la barre de la Chambre. Il s’y présenta comme convenu, répondit aux questions, obtint l’autorisation de se faire aider par un procureur, et fut enjoint de produire les livres de compte qu’exigeait le Comité [207] .

Encore en 1891, le Comité des comptes publics mentionna dans son rapport qu’André Senécal, un employé du Bureau de l’imprimerie du gouvernement, avait fait défaut de se soumettre à une citation à comparaître devant le Comité La Chambre adopta une motion lui enjoignant de se présenter à la barre de la Chambre. Il omit de le faire, et la Chambre ordonna qu’il soit mis sous la garde du sergent d’armes, qui ne parvint pas à le retrouver. Les choses en sont restées là [208] .

En 1894, deux personnes (MM. Provost et Larose) omirent de se soumettre à une citation à comparaître comme témoins devant le Comité des privilèges et élections. Le Comité fit rapport à la Chambre de la situation et lui demanda d’« agir en conséquence ». La Chambre adopta alors une motion enjoignant aux deux témoins de comparaître à la barre de la Chambre. Comme ils avaient fait défaut de le faire, la Chambre ordonna au sergent d’armes de les mettre sous arrêt afin de les forcer à comparaître à la barre de la Chambre. Ils comparurent par la suite, répondirent aux questions et furent libérés [209] .

En 1906, William T. Preston, un inspecteur de l’immigration canadienne en Europe, comparut comme témoin devant le Comité d’agriculture et de colonisation de même que devant le Comité des comptes publics et refusa de répondre à certaines questions. Les deux comités firent rapport à la Chambre de la situation. Un député présenta alors à la Chambre, sur la base du rapport du Comité de l’agriculture, une motion demandant qu’on enjoigne à M. Preston de comparaître à la barre de la Chambre. Cependant, la Chambre adopta une motion d’amendement portant que M. Preston ne soit pas obligé de comparaître. La motion modifiée fut adoptée [210] .

Encore en 1906, un député s’étant plaint de la teneur d’un article de journal, on en fit lecture à la Chambre, et celle-ci adopta une motion enjoignant à son auteur, E.E. Cinq-Mars, de comparaître à la barre de la Chambre. M. Cinq-Mars se présenta comme convenu et répondit aux questions à deux séances consécutives de la Chambre. La Chambre adopta alors une motion de censure contre lui, on lui en fit lecture, puis on lui permit de se retirer [211] .

En 1913, R.C. Miller, qui avait comparu comme témoin devant le Comité des comptes publics, avait refusé de répondre aux questions. La Chambre ayant été saisie de l’affaire, elle adopta une motion enjoignant à M. Miller de se présenter à la barre de la Chambre pour y être interrogé. M. Miller comparut à deux reprises à la barre de la Chambre, et il obtint l’autorisation, à chacune des deux occasions, de se faire assister par un procureur. On lui ordonna de se retirer après qu’il eut refusé de fournir l’information demandée par le Comité. La Chambre adopta alors une motion précisant que M. Miller s’était rendu coupable d’outrage à la Chambre et devait être emprisonné. M. Miller fut de nouveau amené à la barre de la Chambre et on lui lut la résolution en question [212] .

En 1991, un député souleva une question de privilège pour alléguer qu’un outrage à la Chambre avait été commis au moment de l’ajournement de la séance précédente quand un député, Ian Waddell (Port Moody–Coquitlam), avait tenté de se saisir de la masse qui était sur l’épaule du sergent d’armes. Le Président jugea qu’il y avait effectivement là, de prime abord, outrage, et la Chambre adopta un ordre déclarant M. Waddell coupable d’outrage et lui enjoignant de comparaître à la barre de la Chambre pour y être réprimandé par le Président. En conséquence, le député a comparu à la barre, a été admonesté par le Président et déclaré coupable de violation des privilèges et d’outrage flagrant à la Chambre [213] .

La mise des coupables sous garde et l’emprisonnement

La Chambre des communes jouit du droit de réprimer l’outrage par l’emprisonnement [214] . À certaines occasions, la Chambre a ordonné au sergent d’armes de mettre les coupables sous garde et, à d’autres occasions, elle a ordonné de les emprisonner. En mai 1868, un député qui avait été désigné président d’un comité spécial fit défaut de se présenter au moment où les membres du comité étaient assermentés, et une motion fut adoptée à la Chambre ordonnant au sergent d’armes de le mettre sous sa garde. Le sergent d’armes informa la Chambre qu’il avait été dans l’impossibilité de donner suite à cet ordre, et aucune autre mesure n’a été prise par la suite [215] . En 1873, deux députés, sir John A. Macdonald et Frederick Pearson, étaient membres d’un comité et ont fait défaut de se présenter au moment où ils devaient être assermentés. Une motion fut adoptée à la Chambre enjoignant au sergent d’armes de les mettre sous sa garde. Lors de la comparution de M. Macdonald, un autre député fit lecture d’un affidavit établissant que, médicalement parlant, le député n’était pas en mesure de s’acquitter de ses fonctions. M. Macdonald a alors été libéré. Aucune autre mesure n’a été prise contre M. Pearson, le sergent d’armes ayant informé la Chambre qu’il avait été dans l’impossibilité de donner suite à son ordre, étant donné que M. Pearson était absent de la ville [216] . Dans l’affaire Heney, en novembre 1873, l’échevin a été mis sous la garde du sergent d’armes du 4 au 7 novembre [217] . En 1913, la Chambre ordonna l’emprisonnement de R.C. Miller pour avoir refusé de répondre aux questions qui lui était posées lors de sa comparution à la barre de la Chambre. Il est demeuré en prison pendant environ quatre mois, jusqu’à la fin de la session [218] .

L’expulsion

En vertu du privilège parlementaire, les députés ont la responsabilité d’agir d’une façon qui soit à la hauteur de leurs fonctions de représentants élus de la population. Toute désobéissance aux ordres de la Chambre, ou tout acte répréhensible — menaces, offre ou acceptation de pots-de-vin, intimidations — constitue une infraction pour laquelle le député peut être réprimandé ou même expulsé. En vertu de l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui conférait à la Chambre des communes canadienne les mêmes privilèges, immunités et pouvoirs que ceux dont jouissait la Chambre des communes britannique, la Chambre des communes canadienne possède le pouvoir d’expulsion. L’expulsion, une mesure fort sérieuse, poursuit un double but, comme l’explique May :

L’expulsion n’est pas tant une mesure disciplinaire qu’une mesure de redressement, elle ne vise pas tant à punir des députés qu’à débarrasser la Chambre de personnes qui ne sont pas aptes à en faire partie. On peut à juste titre la considérer comme un exemple du pouvoir qu’a la Chambre de réglementer sa propre constitution. Mais il est plus commode d’en traiter comme d’une méthode parmi d’autres dont dispose la Chambre pour punir [219] .

Comme le fait remarquer Bourinot, ce pouvoir redoutable a toutefois ses limites :

Tout corps législatif a incontestablement le droit de suspendre ou d’expulser un de ses membres pour ce qui lui apparaît être un motif suffisant. Il a absolument besoin d’un tel pouvoir pour conserver sa dignité et son utilité comme entité. Cependant, bien que l’expulsion libère le siège d’un député, elle ne rend pas celui-ci inapte à être de nouveau élu comme député dans l’avenir [220] .

La Chambre peut exercer son pouvoir d’expulser un député pour des infractions commises en dehors de son rôle de représentant élu ou en dehors d’une session du Parlement. Comme l’explique Maingot, ce pouvoir « s’étend à tous les cas où l’infraction, de l’avis de la Chambre, rend le député inapte à s’acquitter de ses devoirs parlementaires [221]  ».

La Chambre a expulsé des députés à quatre occasions. Louis Riel (Provencher) a été expulsé de la Chambre à deux reprises. Riel s’était dérobé à la justice après avoir été accusé du meurtre de Thomas Scott. Au printemps de 1874, la Chambre ordonna à M. Riel de comparaître à son siège. Il omit de le faire, et la Chambre l’expulsa [222] . À l’automne de cette même année, il a été réélu député de Provencher. La deuxième expulsion de M. Riel eut lieu en février 1875. Le 22 février, une copie du jugement prononçant sa mise hors-la-loi dans l’affaire de La Reine c. Riel a été déposée à la Chambre. Le 24 février, après que le document fut lu à la Chambre, celle-ci adopta deux ordres, l’un donnant avis que M. Riel avait été jugé hors-la-loi pour crime grave et l’autre enjoignant à la présidence de préparer un nouveau bref d’élection pour la circonscription électorale de Provencher, ce qui par le fait même expulsait M. Riel [223] .

En 1891, Israël Tarte (Montmorency) a accusé Thomas McGreevy (Québec-Ouest) de corruption en relation avec des travaux d’amélioration au havre de Québec, et l’affaire a été renvoyée par la Chambre au Comité permanent des privilèges et élections. Lors de sa comparution devant le Comité, M. McGreevy refusa de répondre aux questions qui lui étaient posées. Le Comité fit rapport à la Chambre le 12 août 1891, et demanda à la Chambre de prendre la décision qu’elle jugerait appropriée. Le 13 août, la Chambre ordonna à M. McGreevy d’être présent à son siège le 18 août. Constatant que M. McGreevy était absent ce jour-là, la Chambre a donné ordre que le député soit commis à la garde du sergent d’armes. Le 19 août, M. McGreevy voulut démissionner, mais la Chambre refusa d’accepter sa démission parce que son siège était alors contesté. Le 29 septembre, la Chambre adoptait une résolution déclarant que M. McGreevy s’était rendu coupable de mépris envers l’autorité de la Chambre pour avoir omis de se présenter à son siège comme on le lui avait ordonné, ainsi que de certaines autres infractions. La Chambre adopta ensuite une seconde résolution expulsant M. McGreevy [224] .

Le 30 janvier 1947, la Chambre a résolu que Fred Rose (Cartier), qui avait été reconnu coupable de violation de la Loi sur les serments officiels et avait été condamné à une peine d’emprisonnement de six ans, était de ce fait devenu inapte à siéger ou à voter à la Chambre. La motion ordonnait également à la présidence de demander au directeur général des élections d’émettre un nouveau bref d’élection pour combler cette vacance. Même s’il n’était pas explicitement fait mention de l’expulsion dans la motion, la Chambre a déclaré son siège vacant [225] .

La règlement des affaires internes de la chambre

Le droit exclusif de la Chambre des communes de réglementer ses affaires internes s’entend principalement de son droit d’être maître du programme de ses travaux et du déroulement de ses délibérations [226] . Par exemple, les tribunaux ou d’autres institutions ne peuvent s’ingérer dans les affaires des Communes [227] , même quand il peut être dans l’intérêt de la justice que les affaires en instance devant les tribunaux ne fassent pas l’objet de discussions susceptibles d’en influencer l’issue. La Chambre des communes n’est pas tenue de s’abstenir de débattre d’affaires en instance devant les tribunaux de manière à servir les intérêts de la justice. Bien qu’il soit d’usage que les parlementaires fassent preuve de prudence à cet égard par respect pour les tribunaux, ils n’y sont pas légalement tenus. La raison en est qu’il est parfois tout aussi important dans l’intérêt public de débattre publiquement de questions dont sont saisis les tribunaux [228] . D’ailleurs, il n’est pas rare que l’adoption d’une loi par le Parlement vise effectivement à influencer l’issue d’affaires en instance devant les tribunaux.

Les décisions de la Chambre des communes sont normalement à l’abri des examens judiciaires quand elles sont prises en vertu du Règlement, d’un ordre sessionnel ou d’une résolution [229] . Il en va de même des décisions de la présidence où celle-ci interprète des ordres ou des résolutions de la Chambre. Ainsi, lorsqu’un député estime que le Règlement de la Chambre n’est pas appliqué comme il le souhaiterait, il ne peut en appeler aux tribunaux [230] . Seule la Chambre des communes est habilitée à se prononcer en cette matière. D’ailleurs, les décisions de la présidence concernant le rappel au Règlement ne sont pas sujettes à examen par les tribunaux.

Le droit exclusif de la Chambre des communes de régir ses affaires internes a également été interprété comme signifiant que les règlements locaux ou provinciaux ne s’appliquent ordinairement pas dans l’enceinte parlementaire. Par exemple, il n’est pas nécessaire d’obtenir un permis des autorités compétentes pour pouvoir ouvrir un débit de boisson dans l’enceinte, et les ascenseurs n’ont pas à être reconnus sécuritaires par les autorités provinciales [231] . Un huissier ne peut normalement pas pénétrer dans l’enceinte pour délivrer une citation à comparaître devant un tribunal civil [232] . Bien que l’enceinte du Parlement ne constitue pas un lieu d’asile, la dignité de la Chambre des communes n’en requiert pas moins que les forces de police n’y pénètrent pas pour enquêter sur la perpétration d’infractions sans avoir obtenu pour ce faire l’autorisation de la présidence ou du sergent d’armes [233] .

Le droit de s’assurer de la présence et des services des députés

Le Règlement de la Chambre dispose que tout député est tenu d’assister aux séances de la Chambre sauf s’il est occupé à d’autres activités et fonctions parlementaires ou à un engagement public ou officiel [234] . En règle générale, la présence des députés à leur siège n’est pas exigée par la Chambre, et toute allusion à la présence ou à l’absence d’un député à la Chambre est considérée comme antiréglementaire [235].

Tout ce qui touche la présence des députés relève normalement des dirigeants de chacun des partis, ordinairement du whip, ou est considéré comme une question d’obligation personnelle si le député n’est affilié à aucun parti. Dans May,il est mentionné que « la participation aux travaux du Parlement comprend l’obligation de s’acquitter des devoirs imposés aux députés par les ordres et le Règlement de la Chambre [236]  ».

Le droit de procéder à des enquêtes, d’exiger la comparution de témoins et d’ordonner la production de documents

Le droit du Parlement de procéder à des enquêtes, d’exiger la comparution de témoins et d’ordonner la production de documents est essentiel au bon fonctionnement du Parlement. Ce droit est d’ailleurs aussi ancien que le Parlement lui-même. Dans une large mesure, ce droit est maintenant exercé par les comités en vertu des pouvoirs qui leur sont délégués aux termes du Règlement [237] . « La seule limitation que la Chambre pourrait elle-même s’imposer serait que l’enquête doive se rapporter à un sujet relevant de la compétence législative du Parlement, en particulier lorsque des témoins doivent être entendus et qu’on envisage de recourir à la compétence pénale du Parlement. Cette restriction est conforme au droit des Chambres du Parlement de convoquer une personne et de l’obliger à témoigner sur un sujet relevant de leur compétence respective [238] . »

Le droit d’interroger des témoins sous serment

Le droit de la Chambre et de ses comités d’interroger des témoins sous serment [239] , droit qui ne faisait anciennement pas partie des usages parlementaires, leur a été conféré par voie législative et est maintenant énoncé dans la Loi sur le Parlement du Canada [240] . Les dispositions de cette loi permettent à la Chambre et à ses comités d’interroger des témoins sous serment et autorisent la présidence, les présidents de comité et toute personne désignée par le Président à faire prêter serment ou à recevoir des affirmations solennelles. Cette loi stipule également que quiconque, sous serment, fait délibérément un faux témoignage encourt les peines prévues en cas de parjure.

Le droit de publier des documents contenant des propos diffamatoires

La Loi sur le Parlement du Canada [241]  protège la publication, sur ordre de la Chambre, de tout document parlementaire susceptible de contenir ou d’avoir en annexe des propos diffamatoires [242] . Cette disposition s’applique à tous les documents publiés par un comité agissant sous l’autorité de la Chambre. Ce droit ne vise pas à protéger la publication de propos diffamatoires qui pourraient être contenus dans d’autres documents, comme le bulletin parlementaire des députés.


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