Qu’il s’agisse de ses députés, de son personnel ou d’« étrangers »,
la Chambre a le pouvoir d’imposer des sanctions à quiconque se rend coupable d’inconduite, comportement
que la Chambre considère comme une violation de ses privilèges ou un outrage. L’article 9 du Bill of Rights
protège les députés et les étrangers de toute ingérence extérieure lorsqu’ils
participent aux travaux de la Chambre; il les assujettit par ailleurs au pouvoir disciplinaire de la Chambre pour leurs faits
et gestes pendant les délibérations [196] .
Ce pouvoir permet à la Chambre d’imposer une grande variété de sanctions en cas d’inconduite :
une personne qui n’est pas député peut être expulsée de la tribune des visiteurs ou de
l’enceinte parlementaire, réprimandée ou emprisonnée; un député peut être
ramené à l’ordre, se voir ordonner de mettre fin à une intervention pour s’être trop
répété ou éloigné du sujet, être « désigné par son nom »
pour n’avoir pas respecté l’autorité de la présidence, faire l’objet d’une suspension
de son droit de participer aux travaux de la Chambre, être incarcéré, voire expulsé. Dans une certaine
mesure, le pouvoir disciplinaire de la Chambre est régi par le Règlement afin que la Chambre n’ait pas à
prendre position sur chaque cas lorsqu’elle veut régler une question efficacement [197] .
Par exemple, ce pouvoir disciplinaire permet à la Chambre, par l’entremise de ses fonctionnaires, de refuser l’entrée
à un étranger qui, à diverses occasions par le passé, s’est rendu coupable d’inconduite
dans les tribunes du public ou les couloirs du Parlement.
Toute personne qui relève de la compétence de la Chambre, qu’il s’agisse d’un étranger,
d’un membre du personnel de la Chambre ou d’un député, peut encourir des mesures disciplinaires de la
Chambre pour toute forme d’inconduite non seulement à l’intérieur mais également à
l’extérieur de l’enceinte parlementaire [198] .
Par exemple, le pouvoir disciplinaire de la Chambre s’applique aux séances de comité qui se tiennent ailleurs
que dans l’enceinte parlementaire.
Bien qu’il soit un principe fondamental des privilèges parlementaires, le pouvoir disciplinaire de la Chambre n’en
est pas moins limité : la Chambre a le droit de réprimander ou d’emprisonner les fautifs, mais seulement
jusqu’à la fin de la session, et elle n’a pas le pouvoir d’imposer des amendes [199] .
Au Canada, le Parlement a hésité à se servir de ces pouvoirs, et il ne l’a fait que rarement. Avec
l’adoption de la Charte des droits et libertés, la constitutionnalité du droit du Parlement d’imposer
des peines d’emprisonnement est d’ailleurs remise en question [200] .
Le blâme, la réprimande et la citation à comparaître à la barre de la Chambre
À un certain nombre d’occasions à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième
siècle, des personnes ont été citées à comparaître à la barre de la Chambre. La barre
est une rampe de laiton, située devant l’entrée sud de la Chambre, au-delà de laquelle les étrangers
ne sont pas admis. Les personnes qui se rendent coupables d’outrage à la Chambre — c’est-à-dire
d’atteinte à la dignité ou à l’autorité du Parlement — peuvent être formellement
sommées par la Chambre de comparaître à cette barre, si la Chambre adopte une motion en ce sens. Au moment de sa
comparution, l’accusé se tient debout à la barre. Par le passé, la Chambre a ordonné à des
députés de comparaître depuis leur siège, et à d’autres personnes, à la barre, pour
répondre à des questions ou recevoir un blâme, une semonce ou une réprimande. Même si, à
première vue, une telle comparution peut sembler ne pas constituer une sanction vraiment punitive, c’est un événement
extraordinaire qui place le député ou la personne en question sous l’autorité de la Chambre investie de ses
pleins pouvoirs disciplinaires.
En 1873, James Bell, un directeur du scrutin, fut sommé de comparaître à la barre de la Chambre pour répondre
de ses actes dans une élection contestée. Rendu à la barre, après avoir demandé et obtenu la permission
de se faire assister par un procureur, il répondit aux questions. La Chambre adopta une résolution critiquant les actes de
M. Bell. Convoqué de nouveau à la barre, on lui lut la résolution en question, puis il fut libéré [201] .
Encore en 1873, l’éditeur du journal Le Courrier d’Outaouais, Elie Tassé, qui était
également employé de session à la Chambre des communes, s’est vu sommé de comparaître à
la barre de la Chambre pour répondre à des questions concernant un article qui jetait le discrédit sur deux
députés. M. Tassé comparut à la barre, répondit à des questions, puis fut autorisé
à se retirer [202] .
En novembre 1873, le sergent d’armes reçut l’ordre de mettre sous garde John Heney, un échevin d’Ottawa,
et de l’amener à la barre de la Chambre pour répondre d’une tentative de corruption d’un député.
M. Heney a été sous la garde du sergent d’armes du 4 au 7 novembre 1873, mais il n’a jamais comparu à
la barre, le Parlement ayant été prorogé le 7 novembre [203] .
Le 31 mars et le 1er avril 1874, Louis Riel (Provencher) reçut l’ordre de se rendre à son siège pour
comparaître devant la Chambre pour s’être dérobé à la justice dans l’affaire du meurtre de
Thomas Scott. Il omit de se soumettre à cet ordre et fut par la suite expulsé de la Chambre. Trois témoins furent
convoqués à la barre en rapport avec l’affaire Riel (le procureur général du Manitoba et deux agents de
police d’Ottawa). Les trois comparurent et répondirent à des questions [204] .
En 1879, un visiteur qui prenait place dans la tribune, John Macdonnell, avait adressé des remarques offensantes à un
député. Après avoir été expulsé de la tribune, il répéta ses remarques dans une
note qui fut livrée au député à son siège à la Chambre. À la suite de cet incident, il
fut sommé de comparaître à la barre de la Chambre, où il présenta des excuses. On lui demanda de se
retirer, puis la Chambre adopta une motion disant que M. Macdonnell avait violé les privilèges de la Chambre, mais que, compte
tenu des excuses qu’il avait formulées, il ne serait pas nécessaire de prendre d’autres mesures. M. Macdonnell fut
alors rappelé à la barre, où on lui lut la résolution, après quoi il fut libéré [205] .
En mai 1887, John Dunn, un directeur du scrutin, fut sommé de comparaître à la barre de la Chambre pour répondre
de sa conduite au cours d’une élection. Ayant été autorisé par la Chambre à se faire accompagner
d’un procureur, il répondit à de nombreuses questions. Il fut finalement libéré, et aucune autre mesure ne
fut prise contre lui [206] .
En 1891, Michael Connolly, sommé de comparaître devant le Comité des privilèges et élections, avait accepté
de témoigner, mais il avait refusé de remettre au Comité les documents qu’il avait emportés avec lui. Le
Comité saisit la Chambre de la situation et lui demanda de « prendre une décision à ce sujet ». La
Chambre adopta alors une motion ordonnant à M. Connolly de comparaître à la barre de la Chambre. Il s’y présenta
comme convenu, répondit aux questions, obtint l’autorisation de se faire aider par un procureur, et fut enjoint de produire
les livres de compte qu’exigeait le Comité [207] .
Encore en 1891, le Comité des comptes publics mentionna dans son rapport qu’André Senécal, un employé du Bureau
de l’imprimerie du gouvernement, avait fait défaut de se soumettre à une citation à comparaître devant le Comité
La Chambre adopta une motion lui enjoignant de se présenter à la barre de la Chambre. Il omit de le faire, et la Chambre ordonna qu’il
soit mis sous la garde du sergent d’armes, qui ne parvint pas à le retrouver. Les choses en sont restées là [208] .
En 1894, deux personnes (MM. Provost et Larose) omirent de se soumettre à une citation à comparaître comme témoins devant
le Comité des privilèges et élections. Le Comité fit rapport à la Chambre de la situation et lui demanda
d’« agir en conséquence ». La Chambre adopta alors une motion enjoignant aux deux témoins de comparaître
à la barre de la Chambre. Comme ils avaient fait défaut de le faire, la Chambre ordonna au sergent d’armes de les mettre sous
arrêt afin de les forcer à comparaître à la barre de la Chambre. Ils comparurent par la suite, répondirent aux
questions et furent libérés [209] .
En 1906, William T. Preston, un inspecteur de l’immigration canadienne en Europe, comparut comme témoin devant le Comité d’agriculture
et de colonisation de même que devant le Comité des comptes publics et refusa de répondre à certaines questions. Les deux
comités firent rapport à la Chambre de la situation. Un député présenta alors à la Chambre, sur la base du rapport
du Comité de l’agriculture, une motion demandant qu’on enjoigne à M. Preston de comparaître à la barre de la Chambre.
Cependant, la Chambre adopta une motion d’amendement portant que M. Preston ne soit pas obligé de comparaître. La motion modifiée
fut adoptée [210] .
Encore en 1906, un député s’étant plaint de la teneur d’un article de journal, on en fit lecture à la Chambre, et
celle-ci adopta une motion enjoignant à son auteur, E.E. Cinq-Mars, de comparaître à la barre de la Chambre. M. Cinq-Mars se présenta
comme convenu et répondit aux questions à deux séances consécutives de la Chambre. La Chambre adopta alors une motion de censure
contre lui, on lui en fit lecture, puis on lui permit de se retirer [211] .
En 1913, R.C. Miller, qui avait comparu comme témoin devant le Comité des comptes publics, avait refusé de répondre aux questions.
La Chambre ayant été saisie de l’affaire, elle adopta une motion enjoignant à M. Miller de se présenter à la barre de la
Chambre pour y être interrogé. M. Miller comparut à deux reprises à la barre de la Chambre, et il obtint l’autorisation,
à chacune des deux occasions, de se faire assister par un procureur. On lui ordonna de se retirer après qu’il eut refusé de fournir
l’information demandée par le Comité. La Chambre adopta alors une motion précisant que M. Miller s’était rendu coupable
d’outrage à la Chambre et devait être emprisonné. M. Miller fut de nouveau amené à la barre de la Chambre et on lui lut
la résolution en question [212] .
En 1991, un député souleva une question de privilège pour alléguer qu’un outrage à la Chambre avait été
commis au moment de l’ajournement de la séance précédente quand un député, Ian Waddell (Port Moody–Coquitlam),
avait tenté de se saisir de la masse qui était sur l’épaule du sergent d’armes. Le Président jugea qu’il y avait
effectivement là, de prime abord, outrage, et la Chambre adopta un ordre déclarant M. Waddell coupable d’outrage et lui enjoignant de
comparaître à la barre de la Chambre pour y être réprimandé par le Président. En conséquence, le
député a comparu à la barre, a été admonesté par le Président et déclaré coupable de violation
des privilèges et d’outrage flagrant à la Chambre [213] .
La mise des coupables sous garde et l’emprisonnement
La Chambre des communes jouit du droit de réprimer l’outrage par l’emprisonnement [214] .
À certaines occasions, la Chambre a ordonné au sergent d’armes de mettre les coupables sous garde et,
à d’autres occasions, elle a ordonné de les emprisonner. En mai 1868, un député qui avait été
désigné président d’un comité spécial fit défaut de se présenter au moment où
les membres du comité étaient assermentés, et une motion fut adoptée à la Chambre ordonnant au sergent
d’armes de le mettre sous sa garde. Le sergent d’armes informa la Chambre qu’il avait été dans
l’impossibilité de donner suite à cet ordre, et aucune autre mesure n’a été prise par la
suite [215] .
En 1873, deux députés, sir John A. Macdonald et Frederick Pearson, étaient membres d’un comité et ont
fait défaut de se présenter au moment où ils devaient être assermentés. Une motion fut adoptée
à la Chambre enjoignant au sergent d’armes de les mettre sous sa garde. Lors de la comparution de M. Macdonald, un autre
député fit lecture d’un affidavit établissant que, médicalement parlant, le député
n’était pas en mesure de s’acquitter de ses fonctions. M. Macdonald a alors été libéré.
Aucune autre mesure n’a été prise contre M. Pearson, le sergent d’armes ayant informé la Chambre
qu’il avait été dans l’impossibilité de donner suite à son ordre, étant donné
que M. Pearson était absent de la ville [216] .
Dans l’affaire Heney, en novembre 1873, l’échevin a été mis sous la garde du sergent d’armes du
4 au 7 novembre [217] .
En 1913, la Chambre ordonna l’emprisonnement de R.C. Miller pour avoir refusé de répondre aux questions qui lui
était posées lors de sa comparution à la barre de la Chambre. Il est demeuré en prison pendant environ quatre
mois, jusqu’à la fin de la session [218] .
L’expulsion
En vertu du privilège parlementaire, les députés ont la responsabilité d’agir d’une façon
qui soit à la hauteur de leurs fonctions de représentants élus de la population. Toute désobéissance
aux ordres de la Chambre, ou tout acte répréhensible — menaces, offre ou acceptation de pots-de-vin, intimidations —
constitue une infraction pour laquelle le député peut être réprimandé ou même expulsé. En
vertu de l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui conférait à la Chambre des communes canadienne
les mêmes privilèges, immunités et pouvoirs que ceux dont jouissait la Chambre des communes britannique, la Chambre
des communes canadienne possède le pouvoir d’expulsion. L’expulsion, une mesure fort sérieuse, poursuit un double
but, comme l’explique May :
L’expulsion n’est pas tant une mesure disciplinaire qu’une mesure de redressement, elle ne vise pas tant à punir
des députés qu’à débarrasser la Chambre de personnes qui ne sont pas aptes à en faire partie. On
peut à juste titre la considérer comme un exemple du pouvoir qu’a la Chambre de réglementer sa propre constitution.
Mais il est plus commode d’en traiter comme d’une méthode parmi d’autres dont dispose la Chambre pour punir [219] .
Comme le fait remarquer Bourinot, ce pouvoir redoutable a toutefois ses limites :
Tout corps législatif a incontestablement le droit de suspendre ou d’expulser un de ses membres pour ce qui lui apparaît
être un motif suffisant. Il a absolument besoin d’un tel pouvoir pour conserver sa dignité et son utilité comme
entité. Cependant, bien que l’expulsion libère le siège d’un député, elle ne rend pas celui-ci
inapte à être de nouveau élu comme député dans l’avenir [220] .
La Chambre peut exercer son pouvoir d’expulser un député pour des infractions commises en dehors de son rôle de
représentant élu ou en dehors d’une session du Parlement. Comme l’explique Maingot, ce pouvoir
« s’étend à tous les cas où l’infraction, de l’avis de la Chambre, rend le député
inapte à s’acquitter de ses devoirs parlementaires [221] ».
La Chambre a expulsé des députés à quatre occasions. Louis Riel (Provencher) a été expulsé
de la Chambre à deux reprises. Riel s’était dérobé à la justice après avoir été
accusé du meurtre de Thomas Scott. Au printemps de 1874, la Chambre ordonna à M. Riel de comparaître à son siège.
Il omit de le faire, et la Chambre l’expulsa [222] .
À l’automne de cette même année, il a été réélu député de Provencher.
La deuxième expulsion de M. Riel eut lieu en février 1875. Le 22 février, une copie du jugement prononçant sa mise
hors-la-loi dans l’affaire de La Reine c. Riel a été déposée à la Chambre. Le 24 février,
après que le document fut lu à la Chambre, celle-ci adopta deux ordres, l’un donnant avis que M. Riel avait été
jugé hors-la-loi pour crime grave et l’autre enjoignant à la présidence de préparer un nouveau bref
d’élection pour la circonscription électorale de Provencher, ce qui par le fait même expulsait M. Riel [223] .
En 1891, Israël Tarte (Montmorency) a accusé Thomas McGreevy (Québec-Ouest) de corruption en relation avec des travaux
d’amélioration au havre de Québec, et l’affaire a été renvoyée par la Chambre au Comité
permanent des privilèges et élections. Lors de sa comparution devant le Comité, M. McGreevy refusa de répondre
aux questions qui lui étaient posées. Le Comité fit rapport à la Chambre le 12 août 1891, et demanda
à la Chambre de prendre la décision qu’elle jugerait appropriée. Le 13 août, la Chambre ordonna à
M. McGreevy d’être présent à son siège le 18 août. Constatant que M. McGreevy était absent ce
jour-là, la Chambre a donné ordre que le député soit commis à la garde du sergent d’armes. Le 19
août, M. McGreevy voulut démissionner, mais la Chambre refusa d’accepter sa démission parce que son siège
était alors contesté. Le 29 septembre, la Chambre adoptait une résolution déclarant que M. McGreevy s’était
rendu coupable de mépris envers l’autorité de la Chambre pour avoir omis de se présenter à son siège
comme on le lui avait ordonné, ainsi que de certaines autres infractions. La Chambre adopta ensuite une seconde résolution
expulsant M. McGreevy [224] .
Le 30 janvier 1947, la Chambre a résolu que Fred Rose (Cartier), qui avait été reconnu coupable de violation de la
Loi sur les serments officiels et avait été condamné à une peine d’emprisonnement de six ans,
était de ce fait devenu inapte à siéger ou à voter à la Chambre. La motion ordonnait également
à la présidence de demander au directeur général des élections d’émettre un nouveau bref
d’élection pour combler cette vacance. Même s’il n’était pas explicitement fait mention de
l’expulsion dans la motion, la Chambre a déclaré son siège vacant [225] .